3. Le sens et les objectifs de la démarche
a) Des incompréhensions à lever
Le projet d'inscription de notre patrimoine gastronomique français au patrimoine immatériel de l'humanité a pu susciter quelques incompréhensions , qui tiennent notamment à la difficulté à cerner ce qu'est le « patrimoine culturel immatériel ». Ce concept nouveau diffère en effet de la notion de patrimoine culturel et naturel mondial, désormais bien connue pour les sites et monuments exceptionnels auxquels elle renvoie.
Aussi semble-t-il nécessaire de clarifier, sur différents points, le sens de cette démarche, afin de répondre aux différentes craintes dont votre rapporteur s'est fait l'écho au cours de ses auditions :
- il ne s'agit pas d'assurer la sauvegarde d'un « chef d'oeuvre en péril » ; le projet de candidature porte sur la liste dite « représentative », mettant en valeur les expressions culturelles jugées les plus remarquables, et non pas sur la liste du patrimoine requérant une sauvegarde urgente ;
- il ne s'agit pas de « muséifier » notre patrimoine gastronomique , d'en dresser un « panthéon » et d'y figer une vision que l'on pourrait avoir, à un moment donné, des traditions culinaires de notre pays ; le concept de patrimoine immatériel s'inscrit, au contraire, dans une approche dynamique , puisqu'il renvoie aux notions de transmission, de processus permanent de production, de créativité et d'innovation... ;
- il ne s'agit pas de prétendre ou de démontrer que notre cuisine française serait la meilleure au monde ; ce qu'il faudra prouver est un attachement des Français à ce patrimoine, constitutif de leur identité et profondément ancré dans leur culture ; la démarche n'est donc surtout pas comparative, mais fédératrice ;
- il ne s'agit pas, enfin, de couronner l' « élite » de notre gastronomie française ; comme votre rapporteur a pu l'entendre au cours de ses auditions, la démarche n'est pas une « affaire de grandes toques » : elle ne concerne pas uniquement nos restaurants « étoilés » mais l'ensemble du patrimoine culinaire de nos terroirs ; elle se veut donc populaire ; c'est pourquoi le terme de « gastronomie », compte tenu de sa connotation plutôt élitiste, n'est sans doute pas le terme le plus approprié pour présenter le projet.
b) Créer un sursaut et susciter une prise de conscience
Comme l'exprime M. Jean-Robert Pitte, président de la Mission, les Français sont fiers de leur patrimoine culinaire : selon un sondage IFOP et Gault-Millau de 1977, 84 % d'entre eux estimaient alors que la cuisine française est la meilleure au monde.
Mais il ajoute, en avant-propos de son ouvrage sur la « Gastronomie française », que « s'ils veulent conserver cette particularité de leur culture dont ils sont si fiers, ils doivent lutter tous les jours, chaque fois qu'ils font leur marché ou qu'ils se mettent à table. Se montrer exigeant vis-à-vis de son assiette, c'est aussi l'être vis-à-vis de toute la chaîne agro-alimentaire ou de soi-même. » Or, « la gourmandise française vit actuellement des heures paradoxales. Jamais on n'a autant parlé de création culinaire et de cuisiniers, jamais on n'a autant publié de littérature - savante ou populaire - consacrée à ce thème. Et pourtant jamais on n'a aussi peu cuisiné dans les familles. »
L'un des premiers objectifs de la démarche engagée en faveur de la reconnaissance de notre patrimoine culinaire est donc de susciter un sursaut :
- il s'agit, d'abord, de reconnaître la place qu'occupe celui-ci dans notre culture ; en effet, si l'on envisage souvent le monde de la cuisine sous l'angle économique, il est plus rare de mettre l'accent sur sa dimension culturelle et identitaire : l'absence d'implication du ministère de la culture sur ce sujet est à cet égard révélateur ; or, comme le soulignent les membres de la Mission française, « on se nourrit de culture » ;
- il s'agit, ensuite, de sensibiliser les Français à la richesse et à la diversité d'un patrimoine dont ils n'ont bien souvent qu'une faible connaissance, et de leur faire prendre conscience, face au développement de l'industrialisation et de la standardisation des goûts et des identités culinaires, que le bien manger n'est pas un luxe et doit rester une exigence au quotidien ;
- il s'agit, enfin, de rendre hommage aux savoir-faire qui sont attachés à l'image de notre pays de par le monde et d'assurer leur transmission, leur promotion et leur mise en valeur.
c) Ouvrir la voie à la reconnaissance d'autres cultures culinaires : une démarche humble et pionnière
Comme votre rapporteur l'a souligné, le projet de candidature auprès de l'UNESCO ne vise en rien à prouver une éventuelle supériorité française en matière de gastronomie : il s'agit d'abord, ainsi que l'a indiqué M. Francis Chevrier lors de son audition, de démontrer en quoi, pour nous Français, la cuisine fait partie de notre culture et de notre patrimoine et constitue une part importante de notre identité.
En raison de la reconnaissance internationale dont elle jouit et de la véritable passion que nous vouons, en France, à notre culture culinaire, notre pays dispose de solides atouts pour ouvrir la voie : en effet, aucun élément du patrimoine culinaire n'a jusqu'alors été classé par l'UNESCO au titre des « Chefs d'oeuvre » du patrimoine oral et immatériel de l'humanité. En 2005, la candidature du Mexique avait été rejetée.
De fait, la candidature de la France n'est pas exclusive de celles d'autres pays, qui souhaiteraient voir reconnaître leur patrimoine culinaire, ou un élément de celui-ci, comme étant constitutif de leur identité culturelle.
Signalons, à cet égard, qu'un autre projet, porté par l'Espagne et l'Italie notamment, a d'ailleurs été évoqué : il consisterait à demander l'inscription du « régime méditerranéen », notamment dans le cadre de la future Union pour la Méditerranée.