B. UN ÉLAN MOBILISATEUR EN FAVEUR DE NOS ARTS CULINAIRES : UN LEVIER POUR RÉPONDRE AUX ENJEUX DE LA TRANSMISSION, DE LA PROMOTION ET DU RENOUVELLEMENT DE CE PATRIMOINE VIVANT
Votre rapporteur a mesuré, au fil de ses auditions, les multiples enjeux que le projet de candidature auprès de l'UNESCO a l'immense mérite de mettre en avant : ce projet, par son côté fédérateur, et quel que soit le champ qui en sera défini, peut en effet créer un sursaut utile pour l'ensemble des « arts du goût et de la table » et pour les générations futures.
Ces défis s'articulent notamment autour de trois principaux axes : le développement de l'éducation au goût, la dynamisation du secteur dans son ensemble par la valorisation des métiers et la promotion de l'innovation, et enfin la capacité de notre culture culinaire à porter un message fort en matière de développement durable et de dialogue interculturel.
1. Développer l'éducation au goût à tous les âges de la vie
L'éducation au goût a été soulignée par un grand nombre d'interlocuteurs comme un enjeu majeur, notamment pour éveiller les jeunes palais , dans un contexte de standardisation croissante des goûts et d'appauvrissement des saveurs lié à l'industrialisation.
Défenseur de l'éveil sensoriel des enfants et véritable « pionnier » en ce domaine, M. Jacques Puisais, fondateur de l'Institut du goût, a indiqué, lors de son audition, que le « bien manger » suppose en effet un contact entre un « émetteur » - le bon produit - et un « récepteur » averti. Il exprime ce principe à travers le slogan suivant : « avaler sans goûter n'est que ruine du palais » .
Alors que, par ailleurs, les changements de modes de vie font que le repas est de moins en moins un temps fort de la vie familiale, l'objectif est également de faire retrouver les notions de plaisir, de saveur, d'émotions et de partage auxquelles la cuisine renvoie.
De fait, l'éducation au goût ne se limite pas à une seule perspective nutritionnelle, même si l'acquisition de bons réflexes alimentaires, pour ensuite choisir une nourriture saine et équilibrée, est la base de notre capital santé. Elle participe, au-delà, d'une véritable éducation morale : en effet, comme s'interroge le chef Alain Ducasse dans son « Dictionnaire amoureux de la cuisine » : « Nos enfants pourraient-ils grandir normalement s'ils étaient privés de ce que la terre recèle de saveurs et de trésors culinaires ? » 9 ( * )
Il s'agit de faire retrouver, d'une part, le plaisir et la convivialité du partage autour de la table, et, d'autre part, d'enrichir la culture culinaire en faisant découvrir - ou redécouvrir -, à travers une approche sensorielle, toute la diversité des sensations et des émotions qui s'attachent aux saveurs.
Diverses expériences ont été menées en France, depuis les premières classes d'éveil au goût , mises en place à l'initiative de M. Jacques Puisais à la fin des années 1970 : celles-ci ont concerné 100 000 enfants, avant d'être abandonnées au milieu des années 1990. Aujourd'hui, outre quelques actions éducatives ponctuelles, menées à l'initiative de grands chefs, on pense notamment à « La Semaine du goût » , qui a lieu chaque année depuis 1990, et pendant laquelle un certain nombre d'évènements autour de la cuisine sont organisés sur l'ensemble du territoire ; dans ce cadre, des ateliers sont proposés dans les écoles et les cantines scolaires. Signalons, par ailleurs, qu'à partir de la prochaine rentrée, et à l'initiative des ministres de l'agriculture et de l'éducation nationale, MM. Michel Barnier et Xavier Darcos, un fruit sera distribué à chaque élève pendant la récréation.
Ces actions ont permis de démontrer une influence très positive sur le comportement des enfants : stimulation de la curiosité , par une approche ludique, découverte de soi et respect de l'autre, car chacun éprouve une expérience gustative et des émotions qui lui sont propres, renvoient à sa propre sensibilité et à ses souvenirs, enfin capacité à s'exprimer et à communiquer , par la recherche du mot juste, approprié à la sensation perçue.
D'ailleurs, d'autres pays ont vu tout l'intérêt de telles actions éducatives :
- des cours d'éducation au goût ont été récemment introduits dans les écoles japonaises ; un programme est actuellement lancé en Louisiane ;
- le projet des « jardins école » , initié aux États-Unis par la chef californienne Alice Waters notamment, et soutenu par l'association Slow Food, encourage la création de jardins potagers dans les écoles ;
- enfin, en janvier dernier, l'Angleterre a annoncé que les cours de cuisine , déjà proposés dans plus de 85 % des écoles primaires, seront obligatoires, dès la prochaine rentrée, dans les collèges, pour les élèves de 11 à 14 ans ; cette initiative répond à un objectif de santé publique précis, puisqu'il s'agit d'abord de lutter contre l'obésité, alors que la moitié des Britanniques seront concernés par ce fléau d'ici 25 ans.
A la lumière de ces différentes initiatives, votre rapporteur souligne l'intérêt de multiplier ces expériences d'éveil au goût dans les écoles ou collèges . Il existe pour cela des outils pédagogiques et nombre de chefs sont prêts à s'engager en faveur de cette noble cause : MM. Cyril Lignac et Thierry Marx, par exemple, ont indiqué, lors de leur audition, soutenir des projets pour améliorer la qualité des repas dans les cantines scolaires .
Ces expériences pourraient également être déclinées dans d'autres lieux de restauration collective, tels que les hôpitaux, les maisons de retraite, les prisons, les restaurants d'entreprise ...
Partager des émotions autour d'une table est propice aux échanges et constitue un formidable vecteur d'intégration : le mot « plaisir » est revenu en leitmotiv au cours des auditions, prouvant, s'il en était besoin, que les expériences culinaires, en sollicitant tous les sens et en renvoyant chacun à sa propre histoire individuelle, contribuent à redonner du goût à la vie.
* 9 « Dictionnaire amoureux de la cuisine », Alain Ducasse, Plon, 2003.