III. UN SECTEUR SOUMIS AUX ENJEUX DE LA SOCIÉTÉ
Non seulement la microélectronique a envahi notre vie quotidienne, mais elle influence de manière croissante notre façon de vivre, en bien ou en mal.
Ainsi, grâce à la microélectronique, la sécurité des voitures a été améliorée et la consommation en carburant réduite. En revanche, l'incorporation de dispositifs électroniques « intelligents » et communiquant entre eux dans la plupart de nos objets quotidiens (téléphones, cartes bancaires, passes pour les transports en commun etc) n'est pas sans soulever de réels problèmes quant à la traçabilité des individus et la protection des données personnelles.
Parfois, une même application peut susciter des réactions ambivalentes. L'explosion du marché de la vidéo-surveillance 15 ( * ) liée à la miniaturisation des caméras et à la chute de leur prix est justifiée par ses protagonistes par la nécessité d'assurer la sécurité des biens et des personnes alors que ses pourfendeurs l'accusent de porter atteinte à la vie privée.
Compte tenu de l'importance prise par la microélectronique dans notre environnement et des nouvelles opportunités que la poursuite des progrès technologiques dans ce secteur laisse entrevoir, la réflexion sur les finalités de ces technologies ne peut pas être laissée aux seuls scientifiques et industriels de la microélectronique, mais doit faire l'objet d'un débat public sur les potentialités et les risques liés au secteur des semiconducteurs.
A. UN SECTEUR POTENTIELLEMENT CRUCIAL POUR SURMONTER LES DÉFIS SOCIÉTAUX DU XXIÈME SIÈCLE
L'idée selon laquelle le secteur de la microélectronique est amené à jouer un rôle crucial pour surmonter les défis sociétaux du XXIème siècle semble recueillir un large consensus auprès non seulement des industriels concernés, mais également des autorités politiques européennes et nationales.
Cinq enjeux sont régulièrement cités : l'explosion des dépenses de santé ; les coûts liés au vieillissement de la population ; la maîtrise de la consommation d'énergie ; la gestion du trafic routier afin de limiter les embouteillages et les accidents de la route ; enfin toutes les mesures visant à améliorer la sécurité des biens et des personnes.
1. L'explosion des dépenses de santé
Actuellement les dépenses de santé au niveau européen représentent déjà plus de 600 milliards d'euros par an, soit 9 % du PIB européen. Or, elles ont vocation à augmenter sous la double pression de l'évolution technologique et du vieillissement de la population.
Selon les informations fournies par le livre blanc du programme EUREKA CATRENE (Cluster for Application and Technology Research in Europe on NanoElectronics), en 2030, plus de 25 % de la population européenne aura plus de 60 ans. Comme les plus de 65 ans sont responsables de 60 % des dépenses de santé, les tensions observées sur les budgets européens de sécurité sociale ne peuvent qu'amplifier.
Pour contrer cette tendance à la hausse, les gouvernements sont amenés à prendre des mesures d'économie qui reportent la charge des dépenses sur les patients, ce qui pose des problèmes de solidarité nationale compte tenu de la concentration des dépenses de santé : en Belgique, 15 % de la population concentrent 80 % des remboursements.
Maîtriser les dépenses de santé tout en assurant à la population une offre de santé qui intègre les derniers progrès scientifiques exige donc de rendre le système de santé plus efficace. Dans ce cadre, la microélectronique peut jouer un rôle non négligeable.
D'abord, elle peut contribuer à développer la prévention en la rendant moins chère et donc abordable pour une large partie de la population, mais également plus fiable par une détection très précoce des maladies. Or, il est reconnu qu'une bonne prévention permet d'éviter des traitements curatifs coûteux. Dans son livre 16 ( * ) , Ted Sargent explique que les techniques d'imagerie telles que le scanner et l'imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent de détecter des tumeurs de la taille d'un petit grain de raisin. Arrivées à ce stade, elles contiennent un milliard de cellules qui se sont divisées en plus de trente générations et ont largement eu l'occasion de se disséminer dans l'organisme. En utilisant des quantum dots 17 ( * ) qui ne se fixent que sur les cellules humaines cancéreuses, il deviendrait possible de détecter cette maladie à partir de 10 à 100 cellules.
Le développement de la pharmacogénétique prépare ainsi la prochaine avancée majeure, à savoir le dépistage chez des sujets sains de prédispositions génétiques à certains cancers, à des maladies cardiovasculaires ou encore à d'autres affections héréditaires.
Par ailleurs, l'utilisation de méthodes de diagnostic et de traitement peu invasives permettra de réduire les durées des séjours à l'hôpital , ce qui constituera une source d'économie non négligeable puisque le coût d'une journée d'hospitalisation est estimé à 1.000 euros. Ainsi, le traitement du cancer par ultrasons 18 ( * ) associé à l'illumination des cellules cancéreuses évoquée précédemment pourrait remplacer avantageusement dans certains cas la chirurgie.
Une autre voie d'économie réside dans le développement des soins à domicile et du suivi du patient à distance . Des chercheurs ont ainsi récemment démontré que l'on pouvait stimuler la libération de médicaments par des signaux électriques issus de micropuces implantées dans le corps du patient. L'idée est de prévoir plusieurs réservoirs sur une puce contenant chacun un certain nombre de médicaments. Le contrôle de la libération peut être externe (médecin ou pharmacien), mais également interne : on peut imaginer pour les patients diabétiques, par exemple, un système de libération d'insuline autorégulé capable de détecter les concentrations de sucre dans le sang, leur changement au cours du temps et d'y réagir automatiquement par de minuscules largages d'insuline.
De même, le maintien de patients âgés dans des maisons de retraite non médicalisées serait facilité par la généralisation de la télémédecine qui permet d'éviter la présence permanente d'un médecin.
Enfin, d'énormes gains de productivité restent à réaliser dans la gestion administrative des dossiers des patients . Actuellement, la plupart des actes médicaux sont transcrits sous forme papier, ce qui rend leur manipulation compliquée et freine la coordination et les échanges d'informations entre les professionnels de santé, sans parler des risques de perte des dossiers non négligeables. Grâce à la microélectronique et à l'informatique, la gestion des dossiers pourrait être rationalisée, ce qui entraînerait non seulement une réduction importante des coûts administratifs, mais également une plus grande efficacité et une meilleure offre de soins.
* 15 Aux Royaume-Uni, on dénombre pas moins de 4,2 millions de caméras de surveillance, soit une pour 15 habitants.
* 16 Ted Sargent : « Bienvenue dans le nanomonde », édition Quai des sciences, Dunod.
* 17 Les quantum dots sont des nanocristaux semiconducteurs fluorescents.
* 18 Le traitement du cancer par ultrasons consiste à émettre des ultrasons convergents de haute intensité par impulsions de quelques secondes. L'énergie absorbée par les tissus provoque une élévation intense et soudaine de la température, provoquant une destruction tissulaire localisée.