N° 255
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008
Annexe au procès-verbal de la séance du 2 avril 2008 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le droit à l' image collective des sportifs professionnels ,
Par M. Michel SERGENT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Christian Gaudin, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.
avant-propos
L'article 1 er de la loi n° 2004-1366 du 15 décembre 2004 a créé un « droit à l'image collective » (DIC) pour les sportifs professionnels. Soumis à conditions, ce dispositif consiste à exonérer de charges sociales une fraction de la rémunération des sportifs, ne pouvant excéder 30 % de leur rémunération brute totale .
Conformément aux dispositions de l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, les recettes non perçues par les organismes de sécurité sociale du fait de cette mesure doivent être intégralement compensées par l'Etat. En l'espèce, c'est le programme n° 219 « Sport » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » qui supporte cette charge 1 ( * ) .
L'augmentation très nette, année après année, du montant inscrit à cet effet en projet de loi de finances (32 millions d'euros au titre de 2008) a suscité de vifs débats lors de l'examen des crédits de la mission dans les deux assemblées, d'autant que le coût du DIC représente plus de 15 % des crédits du programme « Sport ». Ces débats ont abouti à l'adoption de l'article 125 de la loi de finances pour 2008, aux termes duquel le gouvernement doit présenter un rapport au Parlement sur l'efficience des dépenses liées au DIC.
Cependant, votre rapporteur spécial avait alors déjà engagé un contrôle budgétaire, en application de l'article 57 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), sur le DIC, dont le présent rapport d'information rend compte.
Au terme des travaux et auditions qu'il a menés, votre rapporteur spécial a pu constater que le DIC correspondait à un besoin réel du monde du sport professionnel , confronté à une compétition internationale exacerbée, en particulier en ce qui concerne le recrutement des joueurs.
Toutefois, il ne peut être satisfait par un dispositif à l'efficacité limitée (au moins pour ce qui concerne le football d'élite), procyclique et surtout au coût incontrôlable pour l'Etat , susceptible de conduire à des choix financiers douloureux au sein d'un programme aux crédits limités.
C'est pourquoi votre rapporteur spécial vous propose un maintien du DIC tout en donnant des pistes d'évolution pour l'avenir , afin que les pouvoirs publics puissent avoir une visibilité et une maîtrise de cette dépense.
I. LE DROIT À L'IMAGE COLLECTIVE (DIC) : UNE CRÉATION RÉPONDANT À DES BESOINS MULTIPLES DU SPORT PROFESSIONNEL
Avant d'examiner l'application du droit à l'image collective (DIC) des sportifs professionnels en France, votre rapporteur spécial tient à rappeler les éléments de contexte ayant conduit à sa création.
En effet, depuis l'arrêt « Bosman », le monde sportif se voit appliquer les conditions générales de circulation des travailleurs. Or, les sportifs d'élite constituant une main d'oeuvre aussi convoitée que mobile, la concurrence entre clubs s'avère particulièrement vive .
Or, dans cette forte compétition, les clubs français se trouvent défavorisés pour des raisons tant économiques que fiscales et relatives au contrôle financier.
L'instauration du DIC a donc semblé une solution susceptible de réduire l'écart de compétitivité des clubs français et d'apporter, en outre, une réponse à l'opacité de certains contrats individuels de droit à l'image qui avaient été mis en place au profit de certains joueurs.
A. UNE CONCURRENCE « DÉBRIDÉE » DANS LE SPORT EUROPÉEN NÉE DE L'ARRÊT « BOSMAN » ET DE SON EXTENSION
1. L'arrêt « Bosman » ou la liberté de circulation des sportifs professionnels ressortissants d'un pays de l'Union européenne
Si la circulation des sportifs professionnels, notamment en Europe, existe de longue date, l'économie générale du système a été bouleversée par l'arrêt dit « Bosman » rendu le 15 décembre 1995 par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) 2 ( * ) .
Tranchant un litige qui opposait M. Jean-Marc Bosman, footballeur belge, à son club de Liège qui refusait son transfert vers le club français de Dunkerque, cet arrêt a établi que les règlements de l'Union européenne de football association (UEFA), et notamment ceux instaurant des quotas liés à la nationalité (trois joueurs étrangers par club), étaient contraires à l'article 39 du Traité de Rome sur la libre circulation des travailleurs entre les Etats membres de l'Union européenne (UE).
En conséquence, l'UEFA a aboli les quotas de joueurs communautaires à partir de la saison 1996-1997, ce qui a immédiatement entraîné une augmentation du nombre de transferts et des sommes en jeu , comme l'ont très bien décrit de nombreuses études, par exemple le rapport d'information 3 ( * ) de notre ancien collègue député Dominique Juillot sur les transferts de joueurs et l'activité des agents sportifs.
2. Une jurisprudence élargie à d'autres nationalités
La « jurisprudence Bosman » a ensuite été élargie à d'autres nationalités par d'autres décisions de justice, accentuant encore le nombre de transferts de joueurs entre clubs sportifs professionnels.
Ainsi, en France, le 30 décembre 2002, le Conseil d'Etat, dans son arrêt dit « Malaja », a assimilé Mme Lilia Malaja basketteuse polonaise , que souhaitait embaucher le RC Strasbourg, en dépit des quotas de la Fédération française de basket-ball, à une ressortissante de l'UE, en application d'un accord d'association signé entre la Pologne et l'UE qui interdisait la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail. Cet arrêt a eu des conséquences majeures puisque les ressortissants de 101 Etats non membres de l'Union européenne pouvaient en bénéficier .
La CJCE a validé ce raisonnement dans deux arrêts, l'arrêt Kolpak du 8 mai 2003 puis l'arrêt Simutenkov du 12 avril 2005. Aux termes de ce dernier, l'accord UE-Russie « institue, en faveur des travailleurs russes légalement employés sur le territoire d'un Etat membre, un droit à l'égalité de traitement dans les conditions de travail de même portée que celui reconnu en des termes similaires aux ressortissants » des pays membres de l'UE et s'oppose donc « à l'application à un sportif professionnel de nationalité russe, régulièrement employé par un club établi dans un Etat membre, d'une règle édictée par une fédération sportive du même Etat, selon laquelle les clubs ne sont autorisés à aligner, dans les compétitions à échelle nationale, qu'un nombre limité de joueurs d'Etats tiers ».
Dès lors, les ressortissants d'un pays membre de l'Union européenne ayant conclu un accord de partenariat avec l'UE instituant une égalité de traitement des travailleurs peuvent circuler librement au sein des pays de l'Union européenne sans qu'une fédération sportive puisse limiter leur présence au sein d'une équipe ou sur le terrain.
Cette situation, qui a abouti à un bouleversement de l'économie générale du sport aux conséquences multiples, illustre le fait que, le sport n'étant jusqu'alors mentionné dans aucun traité européen, il n'est traité que sous le prisme du droit relatif au marché intérieur ou à la concurrence, sans aucune prise en compte de ses spécificités .
* 1 Dans la loi de finances pour 2007, la ligne de 15 millions d'euros affectée à cette dépense avait été inscrite au sein du programme n° 210 « Conduite et pilotage de la politique du sport, de la jeunesse et de la vie associative » de la même mission.
* 2 Arrêt de la CJCE du 15 décembre 1995, « Union royale belge des sociétés de football association ASBL contre Jean-Marc Bosman, Royal club liégeois SA contre Jean-Marc Bosman et autres et Union des associations européennes de football (UEFA) contre Jean-Marc Bosman », affaire C-415/93.
* 3 Rapport d'information n° 3741, XII ème législature, février 2007.