2. La paupérisation des centres antipoison
Le réseau des centres antipoison français rassemble dix acteurs de premier plan de la sécurité sanitaire qui possèdent les données sur l'intoxication humaine accidentelle ou chronique.
Mais les moyens financiers des centres antipoison ne sont ni à la hauteur de leurs missions ni garantis : en effet, ils dépendent des budgets tendus des Centres hospitaliers régionaux qui les hébergent.
Il est rappelé qu'au niveau national l'organisation de la toxicovigilance est définie par le décret n° 99-841 du 28 septembre 1999 et comporte la Commission nationale de toxicovigilance et le Comité technique de toxicovigilance.
Cette Commission nationale a pour mission de donner des avis au ministre chargé de la santé en matière de lutte et de prévention contre les intoxications, d'informer le CSHPF des travaux de recherche en cours et de coopérer aux missions de l'Institut de veille sanitaire. Enfin elle doit définir les principes et le contenu d'une formation générale en toxicologie clinique.
Pour sa part, le Comité technique de toxicovigilance a pour mission de constituer une cellule permanente d'experts en toxicologie, de centraliser et d'analyser les données de toxicovigilance, d'évaluer les risques encourus par la population et d'en informer la Commission nationale et le cas échéant les centres antipoison.
Face au danger des substances et produits divers, les centres antipoison se trouvent en première ligne car ils doivent. d'une part. pouvoir renseigner par téléphone les personnes déjà en situation de danger ou en état de détresse et, d'autre part, accueillir et soigner et constituer des bases de données à partir des cas observés.
Pour ce faire, ils sont aidés par les données fournies par les fabricants et seuls les centres antipoison ont la possibilité d'accéder aux formulations complètes des produits ayant causé un problème médical plus ou moins grave aux personnes qui se tournent vers eux.
Cependant, les centres antipoison sont souvent démunis face aux très nombreux changements d'appellations commerciales des produits sur le marché et par une certaine réticence des fabricants à communiquer aussi spontanément et complètement que possible la composition de leurs produits .
En effet, la tâche des centres antipoison est compliquée par l' absence , en France, du dépôt obligatoire de la composition des préparations commerciales , la base de l'INRS ne comprenant que moins de 5 % des produits incriminés dans les empoisonnements. Certes, les industriels contactés par les centres antipoison communiquent la composition du produit en cause comme le Code de la santé publique les y oblige mais contacter dans l'urgence des industriels situés à l'étranger ou, pour un même produit, plusieurs industriels en cascade, peut s'avérer difficile .
Les auditions du centre antipoison de Paris et de celui de Lille ont permis de constater que les implantations sur le territoire de ces centres, la répartition des rôles entre eux, la collecte et la communication des données, le mode de fonctionnement quotidien mériteraient plusieurs réformes.
En effet, actuellement, l'utilisation optimale des données n'est pas garantie, non plus que la récolte des informations utiles au niveau européen . En outre, l'importance et la pérennité de ces centres pâtissent du fait que, n'étant pas exclusivement chargés d'une fonction de soins quoique étant situés dans des centres hospitaliers, les autres activités ont tendance à être considérées comme plus importantes et donc plus valorisantes. D'où il s'ensuit, graduellement mais sûrement, l'apparition d'une pénurie progressive des vocations pour les centres antipoison alors que, comme pour les toxicologues, la fonction de ces personnels est essentielle.
En 2003, l'AFSSE et l'Institut de veille sanitaire, saisis par la direction générale de la santé, ont établi un rapport sur les centres antipoison et les centres de toxicovigilance d'où il ressort que si aucune mesure positive n'est apportée rapidement le système actuel des centres antipoison et des centres de toxicovigilance est menacé de disparition à très court terme .
De plus, cela se situe dans un contexte où la lassitude des acteurs actuels, y compris des praticiens titulaires, est grande .
L'existant est donc fragile et toute nouvelle fermeture de structure risque d'entraîner la disparition de spécialistes . Il suffit de constater que l'arrêt de l'activité de réponse téléphonique à l'urgence des centres antipoison de Grenoble, Reims et Rouen et leur transformation en centre de toxicovigilance a considérablement réduit leur activité et entraîné partout, sauf à Grenoble, la quasi disparition de la compétence toxicologique médicale dans les régions concernées.
Ce rapport a rappelé que les missions des centres antipoison (CAP) et des centres de toxicovigilance (CTV) sont à la fois de veille et d'alerte avec une forte articulation entre ces deux dimensions.
En effet, l'activité de réponse téléphonique à l'urgence est complétée par une activité clinique qui permet aux spécialistes de maintenir et de développer leur expertise toxicologique et qui constitue également un lieu de formation unique, attractif pour les jeunes et cet aspect conditionne le renouvellement des praticiens dont beaucoup vont atteindre l'âge de la retraite dans les prochaines années. C'est assez dire que si les missions de réponse téléphonique à l'urgence et de toxicovigilance sont intimement liées, toutes deux ne se conçoivent que dans un contexte hospitalier .
A partir de ce constat, deux grands scénarios de développement de la toxicovigilance ont été envisagés par le rapport cité, dont un seul apparaît crédible, à savoir maintenir les treize structures existantes en 2003 mais en les renforçant très substantiellement afin d'assurer une activité de réponse téléphonique à l'urgence sur tout le territoire 24h sur 24, chaque centre disposant des mêmes systèmes informatiques (les SICAP) et documentaires . Pour alléger le coût financier de cet accroissement de la charge liée à l'urgence, des infirmiers spécialisés pourraient recevoir une formation en toxicologie médicale pour répondre, à la place des internes, aux appels téléphoniques.
Pour mener à bien cette réforme il pourrait être approprié de mutualiser les ressources notamment par la centralisation des appels et la récupération des gardes, hors heures et jours ouvrables pour ces deux aspects et par l'encouragement au regroupement avec les vigilants hospitaliers.
Il serait indispensable de simplifier la gestion des appels par la création d'un numéro national unique et le renforcement des liens entre les CAP et les centres 15 (bascule automatique des appels de toxicologie arrivant dans les centres 15).
Il serait souhaitable de rendre les SICAP pleinement opérationnel, de maintenir une activité clinique pour les praticiens exerçant dans ces centres et enfin de valoriser l'activité spécifique de réponse téléphonique .
Cette réforme nécessitera le renforcement des effectifs médicaux grâce à la création de postes pérennes, ce qui suppose une évaluation précise des besoins en ressources humaines et l'élaboration d'un plan pluriannuel de recrutement (l'attribution immédiate de treize postes pouvant constituer une bonne base) ; ce qui suppose également la formation de personnels infirmiers spécialisés et l'engagement d'une réflexion sur la constitution et l'entretien d'une base de données sur les produits et les compositions.
Quant à la toxicovigilance , ce rapport estime souhaitable d'assurer une couverture territoriale par un véritable réseau de toxicovigilance , de maintenir et renforcer les centres de toxicovigilance existants, de créer dans l'avenir de nouveaux CTV pour aboutir à au moins un centre par région métropolitaine plus deux centres pour les quatre départements d'outre-mer , de développer des réseaux locaux de correspondants et de constituer localement des équipes capables de maintenir la pérennité de la veille sanitaire.
Enfin, devrait être organisé le fonctionnement national de la toxicovigilance. Quant à l'animation nationale de la toxicovigilance, le rapport de la mission InVS-AFSSE a recommandé d' élargir les missions du Comité technique de toxicovigilance en lui donnant une fonction d'alerte pour chacun des domaines où la présence de xénobiotiques est susceptible d'avoir un impact sur la santé des populations (aliments, environnement domestique, environnement de travail industriel et agricole, médicaments, cosmétiques...).
Cette fonction d'alerte pourrait concerner aussi bien l'alerte relative émergeant du réseau de toxicovigilance ou d'une autre source que l'alerte majeure constituant une urgence absolue.
Le Comité technique de toxicovigilance pourrait également voir sa mission étendue à l' expertise du risque toxique ainsi qu'à l' appui aux activités de surveillance des pathologies d'origine toxique (description des intoxications humaines, analyse des facteurs de risque des intoxications, évaluation de politiques de prévention mises en oeuvre) ; enfin, le Comité pourrait également contribuer aux autres vigilances notamment à la cosmétovigilance et à la toxicovigilance agricole et également exercer un rôle dans la définition des activités de formation et d'information liées à la toxicologie et à la prévention de intoxications.
La mission a aussi proposé que les responsabilités de gestion et d'animation des ces instances soit confiée à la direction générale de la santé et à l'InVS pour la Commission nationale de toxicovigilance et à l'InVS et à l'AFSSE pour le Comité technique de toxicovigilance.
Enfin, l'activité d'exploitation épidémiologique de la Banque nationale des cas d'intoxication (BNCI) hébergée par le centre antipoison de Paris serait confiée à l'InVS.
SUGGESTIONS DU RAPPORTEUR
Pour les Centres antipoison (CAP) :
- affecter de préférence des infirmiers confirmés plutôt que des internes à la permanence téléphonique des centres antipoison
- revoir l'implantation sur le territoire des centres antipoison et en diminuer le nombre
- créer une base de données commune aux centres antipoison
- systématiser le retour d'information des pompiers aux CAP en cas d'empoisonnement
- rendre obligatoire le dépôt de la composition commerciale des produits même si beaucoup de ceux-ci figurent sur la base INRS car seulement environ 5 % des produits liés aux empoisonnements ont une composition commerciale rendue publique
- pour nourrir la base de données des CAP faire saisir les données de leurs produits par les industriels eux-mêmes