B. LE RENOUVEAU DE L'EXPERTISE
Les interrogations qui naissent pour mener à bien une étude sur les polluants d'usage courant dont les éthers de glycol permettent d'amorcer une réflexion sur la notion d'expertise et, plus particulièrement, sur ce qu'elle devrait être en matière de santé publique.
Aucune expertise n'est possible en l'absence d' indicateurs de santé publique (études épidémiologiques, données statistiques diverses sur les différentes maladies, les causes de décès à rapprocher de l'espérance de vie sans handicap ou des années de vie perdues sans handicap).
Selon la quête menée, il convient ensuite de hiérarchiser ces indicateurs .
Sur la base de ces éléments, l'expertise peut être entreprise au sein des structures spécialisées dont la France a décidé de se doter pour améliorer la qualité de l'expertise en matière de santé publique (INvS pour les risques sanitaires, Haute autorité de santé publique pour le système de prévention et de soins, AFSSA, AFSSAPS, AFSSET pour l'expertise et la préparation de la gestion des risques, des produits alimentaires, des produits de santé et de tout produit, sur la santé et l'environnement). In fine la gestion du risque dépend de l'arbitrage politique.
Ces organismes se doivent de respecter l' éthique de l'expertise qui a motivé leur création : - distinction entre experts et expertisés , - distinction entre experts et décideurs - excluant à la fois la confrontation et la connivence -, qualification de l'expert (un expert doit être reconnu par ses pairs), impartialité de l'expert (absence de conflits d'intérêt, indépendance par rapport aux industriels concernés), fixation de tous les objectifs explicites , communication de toutes les données à l'expert , instruction directe des éléments de la décision par le décideur .
Une fois le respect de ces principes acquis, l'expertise peut connaître trois degrés : l' expertise des connaissances (par des scientifiques), puis, s'appuyant sur la première, l' expertise des décisions possibles et des conditions de leur mise en oeuvre (bilan de l'existence d'incertitudes) et, par la suite, l' expertise des décisions prises , souvent appelée évaluation et rarement opérée.
Si votre Rapporteur insiste sur les conditions de l'expertise, c'est parce que, selon la formule du Pr. Claude GOT, une expertise incomplète en matière de santé publique peut constituer un risque majeur .
Pour revenir au cas particulier de l'expertise en matière de santé et d'environnement, la notion d'expertise a été au coeur des dissensions qui ont agité l'AFSSET à partir de l'année 2005.
Pour la directrice générale de cette agence, la compétence et l'indépendance de l'expert doivent être également recherchées même si le nombre d'experts est trop restreint dans certains domaines.
Pour l'ancien directeur scientifique de l'Agence - qui partage ces objectifs - le choix final des experts pouvait incomber, faute de mieux, au conseil scientifique de l'Agence.
L'audition publique organisée par l'OPECST, le 6 décembre 2005 sur « L'expertise scientifique » a notamment porté sur l'expertise scientifique au service de la décision publique.
A cet égard, trois préoccupations majeures sont apparues relatives à la reconnaissance de l'expertise et des experts , à l' indépendance de l'expertise comme des experts et à la procédure à retenir pour l'expertise scientifique .
Les enseignements à tirer de cette journée d'audition pour le domaine environnement et santé sont les suivants :
- face au besoin accru d'expertise ressenti par la société, la fonction d'expertise doit être valorisée pour attirer des jeunes et constituer un vivier d'experts liés à la recherche et de professionnels du secteur industriel, en particulier pour évaluer des risques ;
- l'organe d'expertise doit être indépendant vis-à-vis du décideur comme du secteur privé ;
- l'expert ou le collège d'experts doit également être indépendant (identification et résolution des conflits d'intérêt, protection vis-à-vis de l'institution à laquelle l'expert appartient) ;
- l'expertise gagnerait à être plus ouverte sur la société (transparence des procédures suivies, de la méthodologie adoptée et communication autour des avis rendus) ;
- l'expertise collective peut garantir la pluridisciplinarité et l'indépendance - à condition d'être une synthèse débattue et non la simple juxtaposition d'expertises individuelles ;
- l'expert doit éclairer le décideur, sans se substituer à lui ;
- l'expertise doit s'ouvrir à l'international (experts étrangers, experts français consultés par l'étranger) ;
- la place faite aux opinions divergentes d'experts , à la normalisation de l'expertise ou à l' harmonisation des décisions d'expertise constituent autant de points très discutés.
Pour résoudre tout ou partie de ces problèmes, l'idée de la création d' une Haute autorité de l'expertise , indépendante, a été parfois avancée comme, tout récemment, lors des débats dits du « Grenelle de l'environnement 28 ( * ) », pour promouvoir une profonde amélioration de l'expertise.
Il s'agit maintenant de vérifier le respect des principes énoncés ci-dessus par les organismes ou experts chargés d'une mission d'expertise dans le domaine environnement et santé Sans préjuger les suites données aux propositions des divers ateliers du « Grenelle de l'environnement » dont celles de l'atelier 5 relatives notamment à la création d'une Haute autorité de l'expertise, il est intéressant de suggérer quelques pistes novatrices dont la nécessité de l'existence d' un garant de l'expertise et la nécessité de se mettre d'abord d' accord sur la signification de la terminologie employée avant de se lancer dans l'expertise.
Au terme des auditions de l'OPECST, il apparaît que chacun est demandeur d'expertises mais que les exigences imposées à celles-ci varient fortement ; c'est pourquoi il est plus facile de se mettre d'accord sur la nécessité de mener une expertise sur telle ou telle question que sur les modalités de réalisation de ladite expertise. Plusieurs exemples ont d'ailleurs montré que les querelles et les mises en cause surviennent à propos des modalités. Ainsi, bien souvent, le choix des experts à consulter comme l'ampleur de leurs références sont contestés, le rythme même de leurs travaux est suspecté.
A l'intérieur même des modalités d'expertise, il est singulier d'observer que nombre d'expertises menées consistent en un recensement analytique ou non des travaux déjà réalisés mais très rarement en une nouvelle recherche, pas même en une nouvelle approche. De là naissent bien des malentendus qui dégénèrent en polémique qu'aucune haute autorité ne serait à même d'endiguer car l'intervention de celle-ci aurait du se produire en amont, c'est-à-dire au début puis au cours de l'expertise pour en corriger les éventuelles déviations.
Enfin, pour élargir le vivier d'experts potentiels, il serait bon que la participation de doctorants comme celle de chercheurs plus avancés soient valorisées au bénéfice de leurs travaux ou de leur carrière et que les enseignants-chercheurs deviennent des enseignants-chercheurs-experts . Sans tomber dans les excès de théâtralisation des conférences de citoyens, l'ouverture des enceintes d'expertise aux citoyens apparaît une saine nécessité, que ce soit pour poser une question nouvelle ou pour faire entendre une voix non experte au cours des travaux de l'instance d'expertise.
* 28 Voir, en annexe 3, « Les réflexions et suggestions du rapporteur au vu des conclusions des débats dits du Grenelle de l'environnement ».