2. La France dans une « moyenne basse » au regard du budget moyen consacré à l'aide juridictionnelle

Sous les observations précédentes, un élément de réflexion complémentaire peut être apporté par une comparaison internationale concernant le budget moyen consacré à l'AJ .

En France, la dépense unitaire moyenne pour une mission d'AJ se monte, en s'appuyant sur les données 2006 (904.532 admissions prononcées, 300,41 millions d'euros de crédits consommés), à 332,11 euros .

La Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) 39 ( * ) a réalisé une étude comparative en 2006 sur les systèmes judiciaires européens, en s'appuyant sur les données fournies par les Etats pour l'année 2004. Le résultat de cette étude du point de vue du montant moyen de l'aide judiciaire allouée par affaire est présenté dans le graphique suivant.

Le montant moyen de l'aide judiciaire allouée par affaire en 2004

(en euros)

* budget estimé ou calculé

Source : rapport sur les systèmes judiciaires européens, CEPEJ, Edition 2006

Quelques réserves méthodologiques doivent, certes, être apportées par votre rapporteur spécial concernant cette étude.

En effet, le montant unitaire moyen calculé pour une affaire relevant à l'AJ en France (350 euros) ne correspond pas exactement à l'estimation (329,32 euros) que votre rapporteur peut lui-même réaliser à partir des données à sa disposition et communiquées par la Chancellerie pour 2004 (831.754 admissions prononcées, 273,92 millions d'euros de crédits consommés).

En outre, ce résultat doit bien évidemment être interprété avec un certain recul en tenant compte des fortes spécificités de chaque pays en matière d'AJ, d'ailleurs soulignées par l'étude de la CEPEJ.

Toutefois, cette comparaison permet de dresser un tableau d'ensemble de l'AJ dans les pays membres du Conseil de l'Europe qui, dans les grandes lignes, n'est probablement guère éloigné de la réalité.

On constate ainsi que la France, au regard du budget moyen consacré à une affaire relevant de l'AJ, se situe plutôt dans une « moyenne basse » , devant le Danemark, le Portugal et la Belgique, mais loin derrière l'Islande, l'Angleterre et l'Irlande.

Le dilemme auquel elle est confrontée n'en est que plus compliqué à résoudre.

3. La nouvelle donne induite par la LOLF

Avec la mise en oeuvre de la LOLF, la physionomie de l'AJ a connu des modifications sensibles du point de vue budgétaire.

L'enveloppe consacrée à l'AJ relève désormais d'une action spécifique, l'action n° 1 « Aide juridictionnelle » , au sein du programme n° 101 « Accès au droit et à la justice » relevant de la mission « Justice ».

Par ailleurs, les crédits contenus dans cette enveloppe, qui étaient auparavant simplement évaluatifs, sont devenus limitatifs .

Le circuit de paiement de la dépense en a été modifié . Jusqu'au 31 décembre 2005, ces crédits (évaluatifs) étaient payés directement par le trésorier payeur général (TPG). Depuis le 1 er janvier 2006, la procédure de paiement de droit commun est appliquée. Celui-ci est effectué, après mandatement par le service administratif régional (SAR) de chaque cour d'appel, par le TPG près cette cour.

Un mode de gestion de la dépense renouvelé avec la mise en oeuvre de la LOLF

Le mode de gestion des crédits de l'AJ retenu par le ministère de la justice dans le cadre de la mise en oeuvre de la LOLF se singularise par rapport aux autres programmes de la mission. Cette gestion s'effectue à trois niveaux distincts.

Un budget opérationnel de programme (BOP) central , placé sous la responsabilité du responsable du programme « Accès au droit et à la justice » (actuellement Mme Marielle Thuau, chef du SADJPV), est en charge de la gestion des dotations versées aux CARPA, de la dotation à la Caisse Nationale des Barreaux Français (droits de plaidoirie) et de la rétribution des avocats au Conseil d'Etat

Ainsi que l'indiquait l'annexe « Justice » du projet de loi de finances pour 2006, la complexité de l'analyse des données permettant de déterminer les dotations annuelles versées aux CARPA explique que la gestion de ces dépenses relève du BOP central. En effet, les dotations annuelles aux CARPA sont calculées à partir d'une prévision portant sur les missions achevées dans l'année et les missions engagées susceptibles de donner lieu au versement d'une provision. Elles tiennent compte également des reports résultant de la différence entre la dotation versée l'année précédente et la dotation liquidée. La liquidation de la dotation est prononcée à partir des bilans certifiés par un commissaire aux comptes.

Les autres dépenses (frais de procédure, rémunération des avoués de cour d'appel, des huissiers de justice, des notaires, des commissaires priseurs, des greffiers de tribunaux de commerce, des experts, des enquêteurs, des médiateurs, des interprètes et des traducteurs) , qui étaient jusqu'alors payées par les trésoreries générales sans ordonnancement ni engagement, sont désormais gérées par les SAR dans le cadre de BOP déconcentrés (un BOP par cour d'appel, placé sous la responsabilité des chefs de Cour).

Anticipant la mise en oeuvre de la LOLF, un protocole d'expérimentation de la gestion de l'AJ avait d'ailleurs été mis en place à la cour d'appel de Lyon en 2005, avec des résultats encourageants.

Enfin, le BOP de la Cour de cassation , placé sous la responsabilité du Premier Président de la Cour de cassation, regroupe la rétribution des avocats à la Cour de cassation et des huissiers.

Les conditions de délégation des crédits d'AJ aux CARPA ont également sensiblement évolué. Sous le régime de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, cette délégation de crédits s'opérait généralement courant mars / avril. Sous l'empire de la LOLF, elle intervient désormais plus tôt, dès janvier de chaque année.

Ce changement de calendrier n'est pas sans répercussions sur les conditions de gestion des CARPA. Ces caisses s'étaient constitué un fonds de roulement afin de subvenir aux échéances de règlement des AJ aux avocats en début d'exercice, avant la délégation de crédits. En outre, elles plaçaient leurs liquidités sur les marchés financiers afin que le produit de ces placements couvre leurs coûts de fonctionnement. Cette pratique est d'ailleurs toujours en vigueur aujourd'hui. Or, la mise en place de la LOLF s'accompagne d'un rythme de délégation plus proche de la réalité de la gestion de l'AJ au quotidien et d'une réduction des reports de dotation d'une année sur l'autre.

Dans cette perspective, deux questions se posent donc :

- qu'est devenu le fond de roulement des CARPA depuis la mise en oeuvre de la LOLF ?

- soumises désormais à des conditions de gestion plus « serrées », les CARPA parviendront-elles à couvrir désormais leurs coûts de fonctionnement ?

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2007, M. Pascal Clément, alors garde des Sceaux, ministre de la justice , s'était prononcé, en audition devant votre commission et en réponse à une question de votre président, M. Jean Arthuis, en faveur d'une « étude sur le niveau nécessaire du fonds de roulement » des CARPA 40 ( * ) .

A cet égard, votre rapporteur spécial se félicite que, à son initiative, votre commission ait demandé à la Cour des comptes, dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement prévue à l'article 58 - 2 de la LOLF, une enquête sur le fonctionnement et la gestion des CARPA.

Les conclusions de cette enquête, qui s'inscrit dans la continuité des relations très fructueuses entretenues par votre commission avec la Cour des comptes, permettront d'apporter un éclairage précieux sur, notamment, le devenir du fonds de roulement des CARPA ainsi que sur leurs charges de gestion.

Cette initiative paraît d'autant plus opportune à votre rapporteur spécial que le CNB lui-même, à l'occasion de la communication précitée de sa commission « Accès au droit et à la justice » en date du 24 octobre 2006, a souligné les difficultés de gestion des CARPA en la matière 41 ( * ) .

En s'appuyant sur les résultats du questionnaire adressé aux barreaux, le CNB évoque, dans cette même communication, des charges de gestion des CARPA, au regard de la dotation reçue au titre de l'AJ, variant entre 0,94 % et 6,18 % du montant de cette dotation. Il situe, en outre, les produits résultant du placement de cette dotation à un niveau compris entre 0,18 % et 1,30 % du montant de la dotation 42 ( * ) . La question se pose donc de la « soutenabilité financière » de cette gestion à moyen et long terme.

* 39 La CEPEJ a pour objet l'amélioration de l'efficacité et du fonctionnement de la justice dans les Etats membres du Conseil de l'Europe. Elle a été créée le 18 septembre 2002 par la résolution Res(2002)12 du comité des ministres du Conseil de l'Europe.

* 40 « En réponse à M. Jean Arthuis, président, (M. Pascal Clément) a indiqué que dans la mesure où la LOLF permettait d'accélérer le versement de la dotation aux CARPA, il convenait effectivement de mener une étude sur le niveau nécessaire du fonds de roulement de ces dernières » (Bulletin de la commission des finances, semaine du 13 novembre 2006).

* 41 Cf. notamment, les observations de Mesdames les bâtonniers Ghislaine Dejardin et Marie-Christine Wienhofer, membres de la commission, qui ont insisté sur ces difficultés.

* 42 Observations de Madame Isabelle Teilleux, membre de la commission.

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