M. JEAN-MICHEL SÉVÉRINO, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT (EXTRAIT DE L'AUDITION DU 7 FÉVRIER 2007)
Abordant ensuite les termes du débat international sur le développement, M. Jean-Michel Severino a souligné que la planète comptait actuellement six milliards d'habitants, qu'elle devrait en compter environ 10 milliards à l'apogée de la transition démographique dans une vingtaine d'années, dont 2,5 milliards dans les pays émergents, un milliard dans les pays de l'OCDE et de 6 à 7 milliards dans les pays pauvres, qui concentreront l'essentiel de la croissance démographique. L'Afrique compte actuellement 600 millions d'habitants et devrait en compter un milliard dans 20 ans. La transition démographique pourrait s'y produire vers 2030, à un niveau compris entre 1,2 et 1,5 milliard d'habitants. Dans les années 1960, l'Afrique comptait moins de 100 millions d'habitants, ce qui donne une image saisissante de l'enjeu humain et n'a pas de précédent comparable dans l'histoire de la croissance démographique. La croissance démographique du continent africain se double d'une sensibilité extrême au réchauffement climatique, supérieure même à celle du sous-continent indien. L'épuisement des sols, la déforestation, la disparition des ressources en eau engendrent une dynamique problématique et perverse qui a non seulement un impact sur les grands équilibres climatiques, mais aussi sur les équilibres internationaux. La densification démographique entraîne des mouvements de population qui s'effectuent principalement à l'intérieur du continent.
Prenant l'exemple du Niger, M. Jean-Michel Severino a indiqué que les 15 millions d'habitants de ce pays se concentraient sur l'étroite bande des rives du fleuve, zone qui souffre d'une détérioration écologique. La croissance démographique de ce pays est de 3 % par an et devrait doubler la population du pays dans les années à venir, alors que le Niger n'est qu'un des pays du réservoir démographique africain. Une fraction de cette population devrait chercher à gagner le nord de la Méditerranée, tandis que la majeure partie s'arrêtera sur la rive sud. Les pays du Maghreb deviennent des pays récepteurs de flux migratoires, alors qu'ils ont entamé leur transition démographique et connaissent un succès économique relatif.
M. Jean-Michel Severino a souligné que ces mouvements massifs de population, qui accroissent les risques de conflictualité sur tout le continent, conduisaient à s'interroger sur les perspectives de croissance dans les pays d'origine, ainsi que sur les politiques à mener pour fixer les populations sur leur terre. Il a indiqué que l'Afrique sub-saharienne avait une croissance moyenne de 5 % par an, ce qui était supérieur à la croissance démographique mais insuffisant pour permettre un rattrapage économique. Les mécanismes de cette croissance sont stables : le niveau élevé des matières premières, l'assainissement des politiques économiques, ainsi que le désendettement massif opéré par la communauté internationale et dont l'impact macro-économique peut être évalué entre 1 et 1,5 point de croissance. Elle a cependant des aspects négatifs comme la destruction du capital naturel, le mésusage des fruits de la croissance et l'augmentation des inégalités sans amélioration globale des conditions de vie. Parmi des situations très différentes qui vont des pays pétroliers aux pays en crise, la situation intermédiaire des pays sans ressources naturelles, mais qui connaissent une croissance, est un véritable enjeu pour l'action des bailleurs de fonds.
Evoquant les objectifs du Millénaire, M. Jean-Michel Severino a rappelé qu'il s'agissait d'objectifs de performance dans huit grands secteurs du développement économique et social. Il a estimé qu'à l'égard de ces objectifs, le continent africain était en situation d'échec, aucun Etat sur la pente actuelle ne pouvant y parvenir à l'échéance fixée. Les situations sont contrastées. Un Etat comme le Niger ne pourra atteindre ses objectifs en 2015, ni même en 2050. Tandis que le Burkina Faso n'atteindra pas les objectifs en 2015, mais ne doit pas être considéré en situation d'échec, son rythme d'amélioration de la scolarisation primaire étant supérieur à celui de la France à la fin du XIX e siècle. La fixation des objectifs du Millénaire pour le développement s'est faite sans prendre en compte la situation de départ des Etats. Ce constat suscite un dilemme sur les objectifs de l'aide entre l'instauration d'un transfert redistributif à l'échelle mondiale, indépendamment de toute performance économique, ou la recherche d'investissements permettant aux Etats d'acquérir une autonomie. Il s'agit là d'une question fondamentale : si l'aide publique au développement est considérée comme un investissement, la logique serait de se retirer d'un Etat comme le Niger, alors que si elle constitue une redistribution, il faut au contraire y accroître massivement l'aide. Si l'objectif est d'instaurer une social-démocratie à l'échelle planétaire, l'effort financier additionnel nécessaire représente entre 200 et 350 milliards d'euros.
M. Jean-Michel Severino a souligné que la question migratoire se trouvait au coeur de ce débat. Il s'agit de fixer les populations par l'amélioration de leurs conditions de vie. Il a indiqué qu'une attention particulière était portée aux flux financiers des migrants qui ont atteint un niveau très important, de l'ordre de 250 milliards de dollars. Pour ce qui concerne la France, ils sont principalement destinés au Maghreb, au Mali et au Sénégal. M. Jean-Michel Severino a considéré que la gestion de ces flux était complexe en l'absence de clarté sur les finalités de l'action publique. S'agit-il d'orienter davantage les flux vers le développement, alors qu'ils sont actuellement destinés à la consommation plus qu'à l'investissement ? Il faut alors considérer que les régions d'origine sont défavorisées et offrent un faible potentiel d'investissement. Le soutien à la consommation représente alors une utilisation logique du revenu. Dans certaines zones, ces transferts sont devenus une rente qui pousse les Etats à exporter leurs concitoyens. Les marges de manoeuvre sont réduites. S'agit-il d'améliorer le retour des personnes en favorisant leur propre projet de développement ? Les perspectives sont modestes et la balance coûts-bénéfices est faible pour les personnes concernées. La difficulté du sujet conduit l'AFD à l'aborder dans un esprit d'expérimentation. L'AFD accompagne concrètement des projets d'investissement et elle contribue à simplifier et à faire baisser le coût des transferts financiers. Ces travaux devraient se poursuivre en 2007 et en 2008, selon le même mode de l'expérimentation.