b) La nécessité de développer « une culture de l'évaluation »

Enfin, il convient de souligner une fois encore combien les questions de gouvernance et d'évaluation sont étroitement liées.

Dans le contexte d'une gouvernance régionale de la formation, le recours à l'évaluation doit permettre un pilotage plus efficace de l'action publique au niveau décentralisé. Mais cette culture de l'évaluation reste encore largement à construire.

Au niveau national, le déficit d'évaluation a été souligné avec force par Marc Ferracci, chercheur au CREST-INSEE : « Nous souffrons d'un énorme déficit d'évaluations. Nous n'avons pas, avec notre étude, la prétention de clore le débat. Nous avons eu la chance de travailler sur des bases de données extrêmement larges puisqu'elles couvrent 800 000 observations. Les résultats sont donc statistiquement robustes. Cependant, il serait profitable que d'autres chercheurs se saisissent de ces données afin d'améliorer la connaissance dans ce domaine. Notre étude n'aborde pas certains aspects du problème, en particulier l'analyse coût-bénéfice. Nous détenons des informations sur le devenir des personnes formées, mais nous sommes incapables d'évaluer l'impact financier net du processus de formation sur l'équilibre de l'assurance chômage.

« En outre, l'impact des différents dispositifs de formation est méconnu. Une connaissance plus fine serait souhaitable . Au regard de l'éclatement du marché de la formation, il existe sans doute des contenus de formation, voire même des prestataires de formation, plus efficaces que d'autres. Nous devons réussir à stratifier les résultats en fonction des contenus et des objectifs des formations . »

Il faut donc encourager les démarches prometteuses impulsées par des instances nationales comme le CNFPTLV et par les acteurs régionaux eux-mêmes.

Au sein du CNFPTLV, une commission d'évaluation est chargée de conduire une évaluation triennale débouchant sur la remise d'un rapport au Parlement.

Elle vise également à améliorer le socle de données et connaissances, tant en quantité qu'en disponibilité, dont on a souligné l'importance ci-dessus.

Parmi les thèmes d'évaluation retenus pour 2006-2009 figurent l'articulation entre le sectoriel et le territorial et en particulier les contrats d'objectif territorial.

Le but de l'évaluation est d'accompagner la conduite des politiques publiques, gouvernementales et régionales, en matière de formation professionnelle tout au long de la vie. La décentralisation est bien au coeur du processus car l'évaluation est conduite « en liaison » avec les comités de coordination régionaux de l'emploi et de la formation professionnelle (CCREFP).

Toutefois le président du CNFPTLV a souligné une des difficultés majeures au développement de cette évaluation : « Nous rencontrons une difficulté, plus technique mais néanmoins réelle, celle de l'insuffisance de la connaissance dans le domaine de la formation professionnelle continue . Certes, des chiffres existent, mais souvent issus d'analyses budgétaires. Ces indications financières ne constituent pas un angle d'attaque suffisant pour une évaluation scientifique. Nous nous apercevons que l'appareil de connaissance demeure déficient. Par exemple, une bonne partie de l'information disponible est issue des déclarations des entreprises sur l'usage qu'elles font ou non de l'obligation de contribuer à hauteur de 1,6 % de leurs salaires au développement de la formation continue. Ce document 24.83, mis en place en 1971, impose aux entreprises de rendre compte aux pouvoirs publics, comme à l'ensemble du pays, de leurs actions dans ce domaine. Cet exercice est un exercice de consolidation nationale. Aucune régionalisation, aucune considération de branche professionnelle, ne peut sortir de la synthèse de l'ensemble de ces déclarations. Or, les régions sont également appelées par la loi à effectuer des exercices d'évaluation régionale. Elles nous disent régulièrement qu'elles ne sont pas en mesure d'assurer cette mission faute de données suffisantes.

« Notre commission d'évaluation, pour sa première année de fonctionnement, a beaucoup travaillé sur cette question de la constitution du bloc de connaissances nécessaires pour procéder à une évaluation qui soit la plus complète et aussi incontestable que possible . Nous disposons d'un comité scientifique qui atteste de la véracité des chiffres afin de permettre un consensus capital entre les différents acteurs de la formation. Dans les mois qui viennent, nous allons publier nos premiers travaux. Nous ne pouvons malheureusement pas réaliser chaque année cet examen total de l'ensemble des questions de financement de la formation professionnelle, comme la loi le prévoit. La loi s'avère trop ambitieuse au regard des contraintes techniques et diplomatiques que nous avons à gérer. »

De son côté, M. Claude Thélot a rappelé avec force que la question de l'évaluation se pose à trois niveaux distincts.

Premièrement, s'il existe des objectifs généraux, c'est d'abord autour d'eux que l'évaluation doit s'articuler.

Deuxièmement, il faut évaluer les dispositifs nouveaux et ne pas hésiter à tirer les conséquences de l'évaluation s'ils s'avèrent imparfaits. « Dans notre pays, nous savons parfois évaluer, mais nous n'arrivons guère à tirer les conséquences de nos évaluations. », a-t-il rappelé.

Troisièmement, sur le processus par lequel sont sélectionnés et qualifiés les prestataires de formations, tant privés que publics, l'évaluation doit non seulement être promue, mais aussi être utilisée comme un outil opérationnel. A titre d'exemple, pour l'AFPA cela signifierait qu'à l'issue d'un stage proposé par celle-ci, l'évaluation puisse porter sur le fait que le demandeur d'emploi ait pu trouver un emploi de meilleure qualité.

Parmi les nombreuses suggestions dans le sens d'une évaluation systématique à tous les niveaux, la proposition de la mise en place d'un Observatoire des évaluations suggérée par M. Jean Wemaere, président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), doit aussi être relevée : « nous devons nous doter d'un Observatoire de l'évaluation et définir des critères. Un de ces critères pourrait être le ratio sommes consacrées à la formation/heures de formation, d'autres pourraient concerner la durée des parcours ou le type de validation. Ces données permettraient d'évaluer les dispositifs et de mesurer l'efficacité collective du système. »

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Arrivée au terme de son étude, la mission a conscience que tous les cadres juridiques possibles ne feront pas avancer les choses s'il n'existe pas, en plus, une forte mobilisation des acteurs du terrain.

La mission partage l'analyse de nombreux experts selon laquelle « le partage, la confiance réciproque, le travail d'équipe, le pilotage et la focalisation sur les solutions sont primordiaux dans la mise en oeuvre locale » 118 ( * ) .

C'est la raison pour laquelle l'expérimentation d'une formule souple comme celle des Conseils locaux de formation devrait contribuer à amorcer le travail transversal et efficace que nos concitoyens sont en droit d'attendre de notre système de formation.

Interrogé sur l'hypothèse d'une nouvelle étape de décentralisation, M. Jean Gaeremynck a précisé que les réflexions en cours « ne vont pas dans le sens de la décentralisation, au sens classique du terme, c'est-à-dire par rapport aux compétences juridiques. Il s'agit plutôt de modes d'organisation permettant de « réconcilier des légitimités » , selon l'expression de M. Jean-Louis Borloo : région, entreprises, partenaires sociaux, branches. Nous manquons cependant d'ingénierie. La piste qui nous semble féconde est la piste territoriale, qui entre cependant en discordance avec le système vertical actuel. Encore faut-il que les personnes intéressées acceptent de participer à ce champ de réflexion et de discussion. »

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En conclusion, et au terme d'une réflexion qui s'est déroulée sur plus de six mois et qui lui a permis de consulter les différents acteurs du système de formation professionnelle et de recueillir de nombreux témoignages, notamment sur son site Internet, la mission formule les propositions exposées ci-après.

* 118 Clarisse Perotti-Reille, Rapport de mission sur la reconversion des salariés du textile/habillement/cuir.2007

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