b) Les lacunes de l'ingénierie
La mission estime parfaitement fondé le diagnostic de M. Paul Santelmann, chef du service prospective de l'AFPA, qui considère que les deux grandes lacunes de la formation professionnelle sont liées à l'insuffisance de l'orientation des personnes et aux faiblesses en ingénierie des organismes de formation .
L'atomisation de l'appareil de formation ne permet pas aux opérateurs de disposer des ressources méthodologiques suffisantes pour offrir aux formateurs un appui de qualité, notamment lorsque ceux ci s'adressent aux publics en difficulté qui nécessitent un outillage « haut de gamme ».
Parallèlement, l'internationalisation de l'économie conduit à s'interroger sur le caractère parfois trop « national » du système français de formation professionnelle : selon l'INSEE, 1,9 million de salariés travaillent dans des filiales de groupes étrangers implantées sur notre territoire ( Images économiques des entreprises et des groupes au 1 er janvier 2005) ; en outre, la population immigrée en France, les travailleurs frontaliers et les entreprises françaises disposant de filiales à l'étranger ou exportant leur production sont autant de facteurs qui induisent un brassage international des savoirs qui doit être mieux pris en compte par l'appareil de formation.
c) Le rôle de « laboratoire » du CNAM
Comme l'a fait observer Mme Laurence Paye-Jeanneney, administratrice générale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), l'efficacité de cet établissement repose sur une ingénierie dont le modèle est encore trop peu connu et sans équivalent à l'étranger, sauf dans les pays où le CNAM a été appelé à ouvrir des centres dans le cadre de partenariats avec des collectivités locales et des partenaires du monde économique et social.
La mission souligne ainsi que la tendance qui consiste à privilégier l'observation et, parfois, l'imitation de pratiques conduites à l'étranger ne doit pas conduire à négliger le gisement d'innovation et d'efficacité que constitue la pratique du CNAM.
- L'établissement public fonctionne, tout d'abord, en réseau avec les vingt-huit centres régionaux répartis sur l'ensemble du territoire.
- Au niveau central , il dispose d'un corps spécifique de professeurs titulaires de chaires, qui se charge de la définition de l'offre de formation et du contrôle de la qualité des formations dispensées sur l'ensemble du territoire. Les centres régionaux font appel à des personnels compétents en fonction de leurs besoins, ce qui leur assure une capacité d'adaptation plus forte.
- La logique d'offre est un risque combattu en permanence : les formations dispensées, qui recouvrent l'ensemble des champs de métiers tertiaires et industriels, répondent à un souci permanent d'adaptation aux besoins et aux demandes locales émanant des 150 centres d'enseignement qui assurent un maillage du territoire.
- Les formations peuvent être assurées à distance , grâce aux technologies de l'information, mais tout en conservant un nécessaire accompagnement, dispensées en dehors du temps de travail et sous la forme de modules courts, selon un système d'unités de valeur.
- Les méthodes employées s'écartent des pratiques académiques et font intervenir en majorité des professionnels , puisque seuls 500 enseignants sur 5 500 sont des universitaires.
- Le CNAM accueille des publics très divers , âgés de vingt à soixante-cinq ans ; il accueille près de 30 % d'auditeurs issus de l'immigration, contre 2 à 3 % seulement dans les universités. A cet égard, une réflexion est en cours sur un projet d'école de l'intégration. Par ailleurs, les formations sont facturées aux entreprises à des tarifs en général plus élevés que ceux proposés aux personnes venant de leur propre initiative. L'établissement propose des services de conseil et d'accompagnement à ceux qui n'ont pas de projet précis.
- Dépassant la distinction entre formation initiale et continue, le CNAM ne considère pas la formation initiale comme un produit fini : au contraire, il propose à chacun de s'engager dans une formation « continuée » et ce « modèle CNAM » pourrait être amené à jouer un rôle-clé dans le cadre de la montée en puissance des compétences des régions en matière de formation professionnelle. Un projet en cours permet à des étudiants des filières littéraires de s'engager dans un parcours de professionnalisation dans des secteurs techniques offrant d'excellentes perspectives d'accès à l'emploi.
Cette université des métiers, selon les indications de sa représentante, se sent souvent mieux compris par le monde de la formation professionnelle que par son organisme de tutelle l'éducation nationale ; la mission apporte son soutien au souhait qu'elle a formulé d'élargir sa tutelle aux ministères en charge de la formation professionnelle et de l'industrie. Une telle évolution doit s'accompagner d'une plus grande autonomie, notamment dans le recrutement de ses enseignants.
Le CNAM travaille d'ores et déjà avec certaines branches professionnelles pour leur apporter une aide en matière d'ingénierie de formation : tel est le cas actuellement avec le secteur automobile par exemple, en vue d'adapter les compétences des garagistes.
La mission encourage la diffusion plus large de ce savoir faire du CNAM vers :
- les nombreux organismes qui n'ont pas une taille suffisante pour pouvoir financer des recherches en ingénierie de formation ;
- et ceux, comme les établissements scolaires ou universitaires où doit être donnée l'impulsion nécessaire à une remise en question de pratiques pédagogiques parfois inadaptées aux besoins.