b) Une hiérarchisation des filières qui conduit à une orientation par échecs successifs vers l'enseignement professionnel
Notre système éducatif s'est développé vers le haut sur la base du postulat selon lequel l'acquisition d'un diplôme élevé serait le meilleur moyen de se prémunir contre le chômage.
De fait, la filière générale, conduisant à des études longues, reste attachée à une image noble, alors que, comme cela a été souligné par de nombreux intervenants, et notamment par M. André Gauron, « au niveau du secondaire, la formation professionnelle est déconsidérée » .
Comme l'ont souligné les représentants des familles, l'orientation vers une filière professionnelle relève, pour les parents, de la « résignation » et non d'un véritable choix raisonné de l'élève et de sa famille.
En revanche, M. André Gauron a mis en avant le « paradoxe de la formation professionnelle » : « au-dessus du baccalauréat, ce sont les bons élèves qui se dirigent vers les formations professionnelles. Les IUT, fondés avant l'existence des baccalauréats technologiques pour professionnaliser les élèves issus des baccalauréats généraux, recrutent aujourd'hui les deux tiers de leurs étudiants parmi les bacheliers de l'enseignement général. La sélection y est forte. Les étudiants de BTS viennent pour un tiers d'entre eux des lycées d'enseignement général. Les deux autres tiers possèdent un baccalauréat technologique. Notre système valorise la formation professionnelle à partir de l'enseignement supérieur. Ces formations sont considérées comme parmi les meilleures. »
Or, les résultats en termes d'insertion professionnelle, qui varient néanmoins fortement en fonction des spécialités de formation, montrent que la voie professionnelle, y compris au niveau du secondaire, peut constituer une véritable filière de réussite : en effet, 77 % des jeunes titulaires d'un CAP ou BEP (dont 67 % par la voie scolaire et 83 % par l'apprentissage) et 85 % des bacheliers professionnels dans une spécialité industrielle accèdent de façon stable et durable à l'emploi, alors que ce n'est le cas que de 64 % de ceux sortis de l'enseignement supérieur sans diplôme et de 69 % des titulaires d'un diplôme universitaire de niveau bac + 2.
A l'inverse, la logique d'« inflation » des études a également ses revers et produit des frustrations :
- alors qu'un jeune sur deux accède à l'enseignement supérieur, seulement 40 % en ressortent diplômés ; si le taux d'échec dans l'enseignement supérieur est ainsi de 20 % en moyenne, il atteint 61 % pour les bacheliers professionnels qui entreprennent des études supérieures ; en effet, comme l'a souligné M. André Gauron, « il faut avoir le courage d'affirmer (...) que 22 % des jeunes entrant à l'université auraient préféré suivre d'autres études, mais n'en possédaient pas les moyens scolaires. Ils n'avaient par exemple pas obtenu une mention suffisante pour accéder aux classes préparatoires ou avaient été bloqués, pour la majorité d'entre eux, par la sélection à l'entrée du BTS ou de l'IUT » ;
- la concurrence entre diplômés conduit à un « déclassement » d'une partie d'entre eux, à la défaveur des moins qualifiés, par exemple les titulaires d'un CAP ou d'un BEP à qui ces postes étaient auparavant réservés.
Lors de son audition devant la mission, M. Alain Griset s'est ainsi exprimé dans des termes acérés : « Le système est totalement en dehors de la réalité des besoins, aussi bien des jeunes que des entreprises. La persistance de l'idée de la nécessité de l'obtention du baccalauréat pour réussir un parcours de formation, de préférence universitaire, est tout à fait significative. La plupart des jeunes ont leur baccalauréat. C'est presque devenu un droit. Cependant, la moitié des étudiants de niveau bac + 1 sans diplôme n'ont que le droit de s'inscrire à l'ANPE. (...) L'entreprise reste très mal vue dans le milieu scolaire. L'objectif des pouvoirs publics doit être atteint. Un jeune de quatorze ou quinze ans ne doit pas nécessairement se diriger vers l'apprentissage, mais il doit disposer d'une réelle information sur les métiers dont on sait qu'ils sont susceptibles de l'embaucher dans l'avenir. Former des psychologues ou des sociologues en excès n'a pas de sens. C'est un gaspillage d'argent public et un drame humain ».
Ainsi, « La « fuite » dans les études longues qui ne correspondent pas toujours à un projet professionnel précis » , que mettait également en avant M. André Gauron dans un rapport sur la « Formation tout au long de la vie » paru en 2000 19 ( * ) , tient notamment au fait que la formation professionnelle continue n'apparaît pas, comme celui-ci l'a rappelé devant la mission, comme susceptible de tracer des « parcours ascendants » : « contrairement aux entreprises allemandes, les entreprises françaises ont tendance à intégrer des jeunes avec un niveau de qualification de plus en plus élevé, et non à organiser la promotion professionnelle en développant les niveaux de qualification. La dernière étude du CEREQ sur la métallurgie montre que les intégrations se produisent au moins au niveau du Bac, sinon du BTS. Ce secteur ne se préoccupe pas de recruter des jeunes sans qualification pour les transformer en ouvriers qualifiés. Ainsi, la formation continue consiste de plus en plus en une adaptation aux évolutions économiques, comme l'indiquent les études de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) ou de l'INSEE. Ce type de formation est donc essentiellement horizontal et ne trace pas des parcours ascendants dans les entreprises. »
Ces constats renvoient au fait que les frontières entre la formation initiale et continue restent encore étanches. Même si le développement de l'alternance, évoqué plus haut, permet de créer des points d'articulation entre « apprendre » et « travailler », créant une zone de « mixité » de la formation entre la responsabilité de l'État et celle des entreprises, les logiques restent encore séparées, y compris au sein de ces dispositifs.
* 19 « La formation tout au long de la vie. Une prospective économique », M. André Gauron, Conseil d'analyse économique, 2000.