c) L'absence de relève
Il est fréquent de mettre en lumière la faible capacité de la France à faire émerger des nouveaux champions comme c'est par exemple le cas aux Etats-Unis.
Cette idée est globalement juste, mais contrairement à une idée reçue, cette différence ne porte pas sur les firmes actuelles . En effet, les groupes mondiaux d'origine américaine ne sont pas beaucoup plus jeunes que leurs équivalents français : seules 20 à 25 % des plus grandes entreprises américaines ont été créées depuis 1960, alors que ce chiffre est de 15 à 18 % pour la France, l'indice CAC 40 comptant six « quadras » (Accor, Cap Gemini, Carrefour, Danone, PPR et ST Microelectronics 225 ( * ) ).
C'est, en revanche, pour l'avenir qu'un réel clivage pourrait s'établir entre les deux rives de l'Atlantique . L'exemple d'entreprises comme Google ou Compaq illustre ainsi les différences importantes existant d'ores et déjà entre l'Amérique et l'Europe. Les Etats-Unis ont une forte capacité à faire émerger des géants ex nihilo et par croissance interne.
Ensuite, les entreprises citées ont toutes les chances de faire des émules au regard des avantages comparatifs des Etats-Unis dans les secteurs innovants. C'est ainsi qu'un rapport récent du ministère du commerce et de l'industrie britannique estime que parmi les 237 entreprises mondiales appartenant à la catégorie des « géants en puissance » 226 ( * ) , les deux tiers se situeraient aux Etats-Unis, dont 67 dans les TIC, 39 dans la pharmacie-biotechnologie et 38 dans les logiciels. Quant aux européens, ils doivent se contenter de 12 champions potentiels pour les Anglais, 6 pour les Français, 227 ( * ) 5 pour les Suisses et 1 pour les Allemands.
Enfin, d'une façon générale, l'émergence de nouveaux champions mondiaux originaires d'Europe est aussi très handicapée par la politique de concurrence suivie par la Commission européenne.
L'actuel modèle économique français, où les firmes mondiales occupent une place centrale, a donc peu de chances de voir celles actuellement existantes être complétées, ou éventuellement remplacées par de nouveaux acteurs.
Mais au-delà de cette difficulté commune aux pays européens, la France se distingue de ses voisins par le trop faible nombre d'entreprises moyennes qui seraient susceptibles de compenser la perte de quelques grands groupes.
Un véritable facteur de fragilité française est l'absence d'un tissu d'entreprises moyennes capable, par sa densité et son dynamisme, de compenser le risque de « défrancisation » de nos firmes globales .
Entreprises employant entre 250 et 1000 personnes
France |
Royaume-Uni |
Allemagne |
4.060 |
8.500 |
10.616 |
Source : CBK Ernst & Young 2005
En effet, si la France compte un nombre de micro entreprises tout à fait comparable à celui de l'Allemagne ou du Royaume-Uni 228 ( * ) , un écart apparaît, en revanche, à la défaveur de notre pays, au fur et à mesure que la taille des entreprises considérées augmente.
C'est ainsi que par rapport à l'Allemagne, l'économie française compte 2,12 fois moins d'entreprises de plus de 100 salariés et 2,47 fois moins d'entreprises de moins 1.000 salariés .
L'écart s'aggrave encore pour les grandes entreprises situées entre le 500 ème et le 2.000 ème rang du classement Forbes, pour lesquelles la France compte moins d'entreprises que dans les 500 premières.
Globalement, les entreprises françaises ne disposent donc pas de la taille critique pour se développer à l'international , et notamment des moyens humaines et financiers nécessaires pour s'implanter dans la durée dans plusieurs pays ou pour aborder les marchés les plus éloignés.
C'est, dès lors, la capacité de résistance et d'adaptation de l'ensemble du devenir économique français qui est en cause, tant le foisonnement, le dynamisme et le renouvellement des entreprises moyennes est un des gages les plus sûrs de création d'activités et d'emplois et de maintien sur le territoire de centres de décision indépendants, comme en témoigne l'exemple du Mittelstand allemand.
L'économie française s'apparente alors à une « étrange forêt » où une cinquantaine de chênes puissants cohabitent avec des centaines de milliers de frêles arbustes , sans qu'une population de quelques milliers jeunes arbres constitue un environnement intermédiaire et stabilisé entre les deux.
Si les chênes nous protègent, nous savons qu'ils ne sont pas indéracinables . Au-delà de l'éclosion spectaculaire d'un ou deux chênes nouveaux, la question principale qui nous est posée est celle de savoir pourquoi nos roseaux et nos arbustes ne parviennent pas à grandir.
* 225 « Mondialisation : réconcilier la France avec la compétitivité » , note de l'Institut Montaigne, juin 2006.
* 226 Définis en fonction d'une série de critères prédéterminés (chiffre d'affaires, budget de recherche ...).
* 227 Avec une mention particulière pour Business Objects et Atos.
* 228 D'après Eurostat, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni comptaient respectivement 2,326 millions, 2,656 millions et 1,996 million d'entreprises de moins de 9 employés ou de moins de 1 million d'euros de chiffre d'affaires.