b) L'apparition de fonds, aux comportements plus interventionnistes et plus « courtermistes »
L'évolution récente des marchés, si elle n'a pas remis en cause le rôle dominant des acteurs financiers, est marquée par la montée en puissance des fonds de capital investissement et des fonds spéculatifs, laquelle n'a pas été sans susciter une émotion tant au sein du grand public que de dans l'univers politique.
En effet, ces investisseurs se montrent beaucoup plus interventionnistes que la plupart des gérants de fonds mutuels, de fonds de pension ou d'assurance-vie. Leur arrivée au sein du capital d'une entreprise peut donc présenter, en soi, un caractère déstabilisant. Il convient toutefois de bien les distinguer car ils n'ont pas le même horizon et donc le même comportement.
Les fonds spéculatifs ( hedge funds ), aux stratégies par ailleurs très diverses, visent un bénéfice important et à court terme, généralement en profitant d'anomalies temporaires du marché. Or, tant l'importance et la soudaineté des flux financiers en jeu que l'agressivité de l'attitude de certains fonds peuvent déséquilibrer des entreprises et forcer à leur réorganisation, voire à leur disparition. La récente intrusion du fonds britannique TCI au sein du capital de la banque néerlandaise ABN AMRO, à hauteur de 1 %, qui va très probablement conduire soit à son acquisition par la banque Barclays soit à son démantèlement, en constitue une éloquente illustration.
Mais, même sans atteindre de telles extrémités, les allers et retours à bref délai de ces investisseurs au capital des sociétés cotées changent la donne sur les marchés et présentent un risque pour les dirigeants.
Comme l'a souligné M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques et financières d'Ixis Corporate Investment Bank, lors de son audition par la mission commune d'information, le 18 octobre 2006, « des données démontrent qu'un assureur-vie détient des actions, en moyenne, pendant quatre ans tandis qu'un fond spéculatif les détient environ trois mois. Etant donné que la part [de ces fonds] sur les marchés financiers ne cesse d'augmenter - ils représenteraient plus de la moitié des flux sur Euronext -, nous constatons une domination de plus en plus grande des investisseurs dont l'horizon de programmation est le plus court ». Il en a conclu que l'horizon des investisseurs, donc des dirigeants d'entreprise, se réduisait, les acteurs des marchés raisonnant désormais à l'échéance du trimestre, ce que tend à confirmer le graphique ci-après.
Source : Banque de France
Les fonds de capital investissement , qui se subdivisent eux-mêmes en plusieurs métiers (en particulier capital-risque, capital développement et capital transmission, dit aussi LBO en fonction de l'expression anglaise servant à les qualifier de Leveraged buy out ), ont généralement une perspective de moyen terme, de trois à cinq ans. M. Jacques Garaïalde, directeur exécutif de l'emblématique fonds KKR, entendu par votre rapporteur le 27 mars 2007, a même indiqué que la durée de présence moyenne de son fonds au capital des entreprises dans lesquelles il a investi depuis son origine s'élevait à 7 ans.
Même si ces acteurs ont de très fortes exigences en termes de rentabilité, la démarche, qui s'appuie sur des études en amont très poussées effectuées par des cabinets de conseils en organisation 58 ( * ) , se veut le plus souvent amicale et associe l'équipe de direction sur la base d'objectifs précis. Lors de son audition par votre rapporteur, M. Jacques Garaïalde a souligné que les deux principales opérations de KKR en France, sur les sociétés Legrand et Pages jaunes, s'inscrivaient bien dans un tel cadre.
* 58 M. Patrick SAYER a ainsi déclaré, lors de son audition du 8 février 2007 : « Chaque fois que nous investissons dans une entreprise, nous le faisons sur la base d'un business-plan très détaillé, appuyé par les plus grands experts stratégiques (McKinsey, BCG...) qui procèdent à des analyses sur 4 à 5 ans. Nous sommes capables de dire très en amont s'il faut que l'entreprise fasse légèrement évoluer sa palette de métiers pour conserver ses forces. C'est pour cette raison que j'ai tendance à croire que, en moyenne, nous devons délocaliser moins que les autres entreprises ».