B. DES RÉGIMES COMPLEXES
La complexité des régimes de prescription concentre le feu des critiques en raison de l'insécurité juridique qu'elle crée. Les délais sont en effet unanimement jugés trop nombreux, leur décompte s'avère délicat et leur qualification aléatoire.
1. Des délais pléthoriques
Le délai de prescription de droit commun , qui est aussi le délai le plus long, est fixé à trente ans pour la prescription acquisitive comme pour la prescription extinctive ( article 2262 du code civil ).
Toutefois, les délais particuliers se sont multipliés au fil des années , du moins en matière de prescription extinctive, au point que M. Alain Bénabent, professeur à l'université de Paris 10, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a pu parler de véritable « capharnaüm ».
a) Les contrastes de la prescription acquisitive
Les durées requises pour acquérir la propriété d'un immeuble, d'une servitude ou d'un meuble n'ont pas changé depuis 1804 et s'avèrent particulièrement contrastées.
(1) Un délai de trente, vingt ou dix ans, selon les cas, pour acquérir un immeuble
Si le délai de droit commun pour acquérir un immeuble est de trente ans , il est abrégé à dix ou vingt ans , selon que le vrai propriétaire est domicilié dans ou hors du ressort de la cour d'appel où l'immeuble est situé, lorsque deux conditions supplémentaires sont réunies :
- la bonne foi du possesseur , c'est-à-dire « la croyance de l'acquéreur de tenir la chose du véritable propriétaire », la bonne foi étant appréciée au moment de l'acquisition ( article 2269 du code civil ) et étant présumée ( article 2268 du code civil ) ;
- l' existence d'un juste titre , c'est-à-dire d'un acte translatif de propriété, passé à titre particulier et exempt de toute cause de nullité absolue. Tel est le cas du contrat de vente, du legs particulier et de la donation, mais non du partage ou de la transaction, qui sont des actes déclaratifs de droits.
La longueur de ces délais se justifie par l'atteinte au droit de propriété que constitue l'usucapion, l'importance économique des transactions immobilières et la nécessité d'assurer leur sécurité.
(2) Un délai de trente ans pour acquérir une servitude
Le délai pour acquérir une servitude est toujours de trente ans ( article 690 du code civil ) 95 ( * ) .
(3) Une acquisition le plus souvent immédiate des meubles
Si la prescription acquisitive trentenaire est susceptible de s'appliquer aux meubles, ces derniers sont soumis à des règles particulières que justifient la nécessité de ne pas entraver leur circulation rapide et la difficulté de les identifier.
En formulant la célèbre maxime « en fait de meubles, la possession vaut titre », le code civil permet leur acquisition immédiate ( article 2279 du code civil ).
Le propriétaire lésé n'est toutefois pas totalement démuni. Il peut exercer plusieurs actions soumises à des délais différents, selon qu'il a été dépossédé de son bien volontairement ou involontairement. Le tableau ci-après, établi par le regretté doyen Jean Carbonnier, les présente succinctement.
Actions ouvertes au propriétaire dépossédé d'un meuble
Demandeur |
Défendeur |
Action |
Prescription |
Propriétaire dépossédé autrement que par perte ou vol (dessaisissement volontaire) |
Détenteur qui a reçu le meuble du propriétaire à titre précaire |
Action personnelle en restitution, née du
contrat.
|
30 ans
|
Possesseur ayant acquis de mauvaise foi le meuble détourné par le détenteur |
Revendication |
30 ans |
|
Possesseur ayant acquis de bonne foi le meuble détourné par le détenteur |
Aucune |
Acquisition instantanée |
|
Propriétaire dépossédé par perte ou vol |
Inventeur ou voleur |
Revendication |
30 ans |
Acquéreur ayant acquis de mauvaise foi le meuble perdu ou volé |
Revendication |
30 ans |
|
Acquéreur ayant acquis de bonne foi le meuble perdu ou volé |
Revendication |
3 ans
|
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Acquéreur ayant acheté de bonne foi le meuble perdu ou volé, dans un marché, une foire, une vente publique, ou d'un marchand vendant des choses pareilles |
Revendication, à charge de remboursement du prix ( article 2280 du code civil ) |
3 ans |
Source : Jean Carbonnier - Droit civil - Tome 3 - Les biens - 18 ème édition - PUF - p. 351.
* 95 Troisième chambre civile de la Cour de cassation, 21 mai 1979.