THÈME DE L'APRÈS-MIDI : LES RÉPONSES
I. PREMIÈRE TABLE RONDE
LA PRODUCTION D'ÉNERGIE :
QUEL(S) MODÈLE(S) ÉNERGÉTIQUE(S)
POUR LA FRANCE
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Participent :
• M. Jean-Louis BAL, Directeur des énergies renouvelables, des réseaux et des marchés énergétiques, ADEME
• M. Claude JEANDRON, Directeur délégué au développement durable, EDF
• M. Ghislain GOSSE, Président de l'INRA de Lille
• M. Didier MARSACQ, Pôle de recherche technologique, CEA (hydrogène)
M. Pierre LAFFITTE - Chers auditeurs, nous avons évoqué ce matin la nécessité, compte tenu des effets du changement climatique et de l'approche du pic pétrolier et de ses conséquences, de l'évolution vers un nouveau système énergétique qu'il nous paraît intéressant de prévoir dès à présent car il requiert une volonté, des idées et des financements.
Certaines personnes sont présentes. Nous allons commencer par le Directeur délégué au développement durable d'EDF, Claude JEANDRON.
M. Claude JEANDRON - Bonjour à toutes et à tous. En quelques lignes, je vais essayer d'exposer la vision d'un énergéticien comme EDF sur cette question à l'horizon 2030, sachant que c'est bien à cet horizon qu'il faut travailler et même au-delà, puisqu'il faut s'en fixer un autre, l'horizon géographique.
Comme cela a été dit ce matin, la question des changements climatiques et notamment de la contribution de la production d'énergie, en particulier de l'électricité, est une question planétaire. La Chine, aujourd'hui, émet autant de gaz à effet de serre, voire plus, que l'Union européenne des 25. Sa croissance en matière énergétique est supérieure à 10 % par an.
La question des besoins et de l'impact des réponses apportées dans ces pays comme la Chine et l'Inde, auxquels tout le monde pense, est centrale. Nous y reviendrons peut-être dans l'après-midi.
L'avenir doit être observé du point de vue de l'Europe, dont la situation est diversifiée. Le secteur de sa production d'électricité équivaut à un peu plus du quart des émissions de gaz à effet de serre et seulement 7 % en France en raison de son parc de production d'électricité composé à 95 % de nucléaire et d'hydraulique, sans émission de gaz à effet de serre.
La situation est donc très diversifiée. Le groupe EDF est, bien sûr, présent en Europe, notamment dans les grands pays d'Europe occidentale, au-delà de la France, au Royaume-Uni, Allemagne et Italie.
La question du renouvellement des parcs de production est déterminante pour nous. Il faut avoir en tête que, d'ici 2025, la moitié du parc de production d'électricité de toute l'Europe est à remplacer. C'est un besoin d'investissements considérable et cela donne une idée aussi de l'importance des choix à faire, ce dans les toutes prochaines années, sachant que certains pays sont presque au pied du mur.
Pour nous, la question se pose à plus long terme. Actuellement, les investissements en France sont surtout destinés à suivre l'évolution de la demande. La question du renouvellement du parc de production actuel se pose à partir de 2012-2015 pour la partie thermique fossile et à l'approche de 2020 pour le parc nucléaire. C'est à cela que répond le projet de construction de Flamanville.
Cet aspect est déterminant pour un énergéticien comme EDF mais nous ne sommes pas seuls concernés.
Quelle pourrait être la situation en 2030 ? Ayons en tête deux scénarios car la question du nucléaire et de la place qu'il occupera à ce moment est évidemment importante du fait de son absence d'émission.
Deux hypothèses : supposons que toutes les centrales nucléaires sans exception, à l'issue de leur durée de vie normale, voire de façon anticipée comme c'est le cas en Allemagne, ne soient pas remplacées, que l'on modernise le parc fossile existant en Europe et supposons qu'on développe les énergies renouvelables, en gros qu'elles soient doublées quasiment en matière de production d'électricité. Dans cette hypothèse, en 2030, les émissions de gaz à effet de serre du secteur électrique seraient augmentées de 50 %. De 1 250 millions de tonnes, elles passeraient à 2 000 millions.
Dans l'autre hypothèse, les centrales nucléaires arrivant en fin de vie sont remplacées par du nucléaire. On reste simplement à stabilité. On modernise tout le thermique fossile, on remplace les centrales au fuel et au charbon en fin de vie à moitié par des centrales cycle combiné gaz qui émettent moitié moins par KWH produit et on double la production d'électricité par les énergies renouvelables. Dans cette hypothèse, on ne fait que maintenir le niveau actuel des émissions.
Voyez l'enjeu que représente le renouvellement du parc et, en particulier, la place du nucléaire. C'est l'effet quantitatif et l'importance des choix de politique énergétique qu'il y a derrière.
S'agissant des choix technologiques, quelles seront les technologies présentes dans ce renouvellement de parc à cet horizon 2030 ?
J'ai déjà un peu donné la réponse en disant que le choix est à faire dans les prochaines années. Les technologies largement présentes en 2030 seront les meilleures d'aujourd'hui. En nucléaire, on aura celui existant pour les centrales qui n'auront pas atteint leur fin de vie et le nucléaire le plus moderne d'aujourd'hui, c'est-à-dire celui dit « de génération 3 » qui n'introduit aucune révolution mais la synthèse des technologies existantes, notamment franco-allemandes.
Le nucléaire de génération 4, utilisant mieux les ressources d'uranium, ne pourra connaître un développement industriel important qu'en 2030-2040. S'il y a un expérimentateur en 2030, ce sera bien.
Il faut différencier la recherche, construire un démonstrateur et chercher à développer une filière à l'échelle industrielle.
Il pourrait y avoir des démonstrateurs. Une petite dizaine de pays travaille sur le programme de génération 4. En gros, six filières sont possibles. Il pourrait y avoir un ou plusieurs démonstrateurs, pas forcément en Europe. Bien sûr on serait satisfait d'en avoir un ici puisque l'on sait que la conception et la construction des filières nucléaires ont un essor important.
Cela étant, encore une fois, pour déterminer quelle serait la filière pouvant se développer à une échelle industrielle, il faut résoudre des problèmes techniques et technologiques avant de construire le démonstrateur et donner la preuve qu'il peut être construit à plus grande échelle, notamment en série.
En conclusion nous le voyons en 2030, si on veut faire preuve d'optimisme. Mais c'est plus vraisemblablement en 2040.
Autre technologie, celle fossile qui permet de gagner en rendement thermodynamique des installations. C'est le charbon dit « supercritique », par exemple.
Construire de tels outils génère des gains dans les pays où le parc charbon est peu performant. A ce jour, construire une centrale supercritique charbon a un sens en Chine ou en Allemagne quand cela remplace des centrales assez vétustes. Il faut chercher des gains importants. Sur le long terme, c'est une solution de moins en moins appropriée, sauf là où l'utilisation du charbon est incontournable. C'est pourquoi je parlais de la Chine.
Cela rejoint ce qui a été évoqué ce matin à propos du charbon propre, qui n'existe que s'il y a capture et séquestration du CO 2 .
Que peut-on penser de cette filière d'ici 2030 ? Il y a des problèmes à résoudre. Les procédés de la capture existent. Il faut les rendre industriels, c'est-à-dire compétitifs. A ce jour, selon les différentes technologies et modes de combustion, en moyenne le prix de revient du KWH avec simplement capture est pratiquement 50 % plus élevé que le KWH produit avec une centrale charbon existante, d'où un surcoût notable.
Ces technologies doivent être maîtrisées à l'échelle industrielle, il faut regérer les produits de captation. Tous ces procédés de capture consomment de l'énergie. Il ne faut pas voir seulement l'augmentation du prix du KWH qui sort d'une centrale mais aussi le bilan énergétique global. Selon les modes de capture, parfois les pertes de rendement sont importantes.
Tout cela occasionne un travail important au travers de démonstrations et évidemment de dispositifs d'incitation. Régler le problème de la capture n'est pas suffisant. Il faudra résoudre celui du stockage. Cela a été dit ce matin, on sait stocker en gisement pétrolier ou gazier.
D'après une étude récente, les gisements présents en Europe, essentiellement en Mer du Nord, permettraient de stocker la moitié du CO 2 produite par le parc électrique européen d'ici 2050, pas plus. C'est déjà bien. Il faut réfléchir à l'autre solution qu'est le captage en aquifère profond, solution sur laquelle des industriels travaillent déjà beaucoup.
Peut-on voir d'ici 2030 un développement de ces solutions à l'échelle industrielle ? On peut penser que cela pourrait commencer à un stade industriel à ce moment-là. L'importance des problèmes liés au stockage est assez élevée.
Après il y a les énergies renouvelables, celles qui peuvent se développer sont matures : l'éolien, mais l'espace est limité, on obtient des gains en termes d'échelle de prix mais ce n'est plus si simple. Il y a d'autres formes de récupération d'énergie plutôt marines, hydroliennes, énergie des vagues. Nous sommes en cours de recherche.
Des gisements ne sont pas négligeables mais aucun ne peut résoudre la totalité du problème. C'est donc sur une complémentarité de toutes ces solutions qu'il faut miser à ce jour. Tous les programmes de recherche et développement que nous menons et avons à mener doivent permettre de dégager des technologies qui émergeront plus tard.
Je parle au nom d'EDF et peux vous donner l'impression qu'on ne se préoccupe que des modes de production ; non, maintenant il n'est plus possible pour un énergéticien ne pas se soucier de la façon dont l'énergie est utilisée. Le modèle d'activité de tous les énergéticiens est en train de glisser progressivement sur une production efficace tenant compte des ressources naturelles, de l'épuisement de la sécurité d'alimentation mais aussi vers des modes d'utilisation, des choix, des économies à faire.
Ce sera le thème de la table ronde suivante mais on tourne autour du même problème : d'ici 10 ou 15 ans, les technologies existantes permettront d'accomplir des progrès considérables et la recherche que nous menons maintenant est pour la suite, pour la propulsion des automobiles, pour les systèmes énergétiques dans nos logements et bâtiments et dans nos réseaux.
M. Pierre LAFFITTE - Je donne la parole à M. MARSACQ, du Pôle recherche technologique du CEA.
M. Didier MARSACQ - Je suis le Directeur du laboratoire en charge du développement des nouvelles technologies au CEA. Je vais articuler mon propos autour de l'hydrogène et de la vision du Commissariat à l'énergie atomique sur l'évolution du bouquet énergétique en France.
Elle interviendra avec une diminution du fossile disponible, une augmentation de la part du nucléaire, inéluctable selon nous, et l'utilisation d'un nouveau vecteur énergétique, l'hydrogène. Transverse, pour être produit, il utilisera le nucléaire et les énergies renouvelables. En effet, l'hydrogène n'existe pas. Il faut le produire. J'évoquerai ensuite les principaux modes de sa production.
Les deux principales sources de consommation de fossiles sont l'habitat et le transport. Leur problème se pose différemment. Pour le premier, les technologies actuelles permettraient quasiment de concevoir des habitats soit bioclimatiques, soit à énergie positive, qui ne consommeraient pas d'énergie fossile. Les technologies existent mais le problème est que seul 1 % du parc se renouvelle par an. Pour moderniser notre habitat et le rendre compatible aux énergies positives, il faut près d'un siècle. Voyez l'effort à fournir.
Dans l'habitat quelles sont les sources d'énergie disponibles pour se substituer aux fossiles ? Le solaire thermique et photovoltaïque, le bois et la géothermie. Il existe diverses solutions. Le CEA porte actuellement ses efforts vers l'énergie solaire et la combinaison des différentes solutions existantes.
A ce titre, les mesures récentes du gouvernement, notamment l'augmentation du prix de rachat de l'électricité photovoltaïque, sont très intéressantes. Le prix de rachat est passé de 0,15 € à 0,55 €, rentabilisant ainsi l'installation photovoltaïque sur une maison de 20 ans à 5 ans. C'est une mesure importante qui va sans aucun doute lancer le photovoltaïque en France. Nous étions les derniers de la classe. Il n'y a pas de raison de ne pas rattraper notre grand frère allemand dans ce domaine. Cette mesure est symbolique de l'importance des normes et de l'influence du pouvoir politique sur le comportement et l'amélioration de la situation énergétique. Notamment dans le bâtiment, un levier très fort correspond aux normes d'isolation thermique et d'utilisation de l'énergie.
S'agissant de l'habitat, les solutions existent, il faut s'en donner les moyens et que les politiques appuient sur l'accélérateur, imposent des normes et tout devrait se passer de façon positive, mais cela prendra du temps. Il faut commencer immédiatement.
La seconde source de consommation est le transport pour qui la situation est plus critique. On considère qu'il n'y a pas de solution totalement satisfaisante.
Un ordre d'idée : quand vous faites le plein à la pompe, vous développez une puissance d'un MGW. L'essence est donc formidable en termes de densité d'énergie et c'est la raison pour laquelle tous les laboratoires « s'arrachent les cheveux » pour développer une technologie alternative.
Dans l'évolution du transport, nous essayons d'avoir une road map représentative de ce qu'il va se passer. On est dans la génération « moteurs thermiques », en pleine évolution. On voit les efforts de TOYOTA sur l'hybride. Quelques chiffres : il s'est vendu cette année 300 000 véhicules hybrides dans le monde, dont 80 % de marque TOYOTA, et aucun français. La solution va s'imposer sans aucun doute.
En complément, seront introduits sur le marché les biocarburants ou carburants de synthèse. On peut imaginer sous 10 ans que les véhicules consommeront entre 1 et 2 litres de combustible fossile du fait d'un gain de 20 %, lié à l'hybride, et un autre à l'introduction de carburants de synthèse.
Globalement, sous 10 ou 15 ans on devrait avoir des véhicules réellement de très faible consommation. Le pari du CEA sur le transport est que la génération après-hybride sera électrique, à piles à combustible, notamment pour les marchés de masse. On peut penser aux véhicules électriques à batteries pour les flottes captives.
Le CEA ne croit pas aux véhicules à batteries pour chacun. Cela demandera des quantités de batteries énormes. Nous avons un doute sur cette possibilité. Cependant peuvent être imaginées des flottes captives, tels les véhicules de grandes sociétés, toutes électriques et à batteries.
Par ailleurs, l'hydrogène s'utilise de plusieurs façons dont la plus directe est de l'introduire directement dans le moteur. On y gagne peu et on conserve le mauvais rendement du moteur thermique auquel s'ajoutent les problèmes liés à l'hydrogène, comme son stockage.
Il existe la conversion dans les piles à combustible dont l'hydrogène est le carburant. Cependant on peut l'utiliser pour des carburants de synthèse. Il présente donc plusieurs avantages.
Selon nous, la production d'hydrogène va s'articuler selon deux axes :
- Une massive et centralisée, avec le nucléaire. Pour électrolyser de l'eau, il faut beaucoup de chaleur et d'énergie électrique. Nous pensons qu'une telle production est forcément liée à l'énergie nucléaire.
- On peut imaginer également une production décentralisée, d'autres l'ont fait avant nous, avec dans chaque maison une centrale photovoltaïque, un électrolyseur basse température et chaque habitat produit l'hydrogène alimentant la chaudière et faisant le plein du véhicule.
Voilà l'avantage de ce vecteur énergétique.
Nous sommes convaincus que le nucléaire est un élément-clé dans le futur bouquet énergétique. Des débats existent sur quels types de filières, quelles sont les réserves de combustibles pour le nucléaire. Je vais donner un ordre de grandeur : pour remplacer en équivalent énergie la consommation de fossiles actuelle par un parc nucléaire, il faut passer de 800 réacteurs à 8 000 dans le monde. Nos réserves d'uranium se chiffreraient sur les doigts d'une main en années. Le nucléaire n'est pas la panacée mais complétera le reste.
La filière des surgénérateurs nous semble intéressante. Ceux-ci posent moins de problèmes de ressources en combustible nucléaire.
Pour conclure, la décroissance de l'offre pétrole à court terme est évidente. Je crois que personne ne la remet en question. Il me semble tout aussi évident que les pays comme la Chine ou l'Inde auront recours massivement au charbon. Parallèlement à la baisse du pétrole, interviendra une hausse des problèmes de climat et d'effet de serre, d'où simultanément une crise énergétique avec des dérèglements économiques et une crise environnementale. Il y a une vraie urgence à la mobilisation de toutes les énergies pour développer les filières dont je viens de parler.
Voilà la vision du CEA.
M. Pierre LAFFITTE - Nous écoutons Jean-Louis BAL, Directeur des énergies renouvelables, des réseaux, et des marchés énergétiques de l'ADEME.
(Projection)
M. Jean-Louis BAL - Je passe rapidement sur des sujets déjà évoqués par les deux orateurs précédents pour vous présenter une autre vision de la place des énergies renouvelables dans le défi qui nous est posé pour résoudre les questions de raréfaction des ressources et de changement climatique.
De quelles ressources dispose-t-on quand on parle d'énergies renouvelables ? Je définis une nouvelle unité : la consommation totale d'énergie au niveau de la planète. J'ai pris le chiffre 2002, c'est-à-dire 10,8 milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP).
L'énergie solaire interceptée par la planète représente déjà près de 12 000 fois cette quantité. Ce qui arrive sur la surface de la terre et qui n'est pas renvoyé par l'atmosphère est 8 400 fois cette unité. Par conséquent l'énergie solaire, mère de presque toutes les autres énergies renouvelables, a largement de quoi répondre à nos défis. Le problème est plutôt une question de temps. On ne pourra y répondre à la vitesse demandée.
Cette énergie solaire va se transformer en cycles hydrologiques pour faire de l'hydraulique. La quantité d'énergie est tout à fait considérable.
Un focus sur la biomasse, dont la croissance annuelle correspond à peu près à trois fois la consommation d'énergie de l'humanité. Cela dit, la biomasse sert à autre chose qu'à l'énergie, en premier lieu à se nourrir, et permet la réalisation de matériaux.
L'ensemble des courants (vents marins et houle) représente 26 fois la consommation mondiale d'énergie et, finalement, tout ce qui nous vient du centre de la terre. La géothermie représente en flux deux fois la consommation mondiale d'énergie, ce qui est relativement peu. Cela dit, on exploite dans la géothermie la chaleur accumulée dans la croûte terrestre qui représente beaucoup plus que les ressources en énergies fossiles.
Nous devons réduire par quatre nos émissions, et ce rapidement. Nous n'y parviendrons pas uniquement avec les énergies renouvelables, malgré l'ampleur de la ressource dont je viens de parler. Aussi il faudra utiliser la panoplie entière des outils à notre disposition. On a parlé du nucléaire, de la séquestration du carbone mais il sera surtout question de maîtrise de l'énergie, donc de la diminution de nos consommations.
Pour le cas français, vous est présentée l'évolution des émissions de gaz à effet de serre pour les différents secteurs. Dans l'ordre, ce sont le transport, le bâtiment mais aussi la production d'énergie puisque, malgré le fait que la base soit assurée par de l'hydraulique et du nucléaire, les émissions de gaz à effet de serre sont en hausse.
La biomasse est une source d'énergies renouvelables qui a la caractéristique de pouvoir répondre aux trois usages de l'énergie transport, production de chaleur et d'électricité, mais en quantité relativement limitée.
On dispose d'une ressource en dehors des usages alimentaires et des usages matériaux de l'ordre de 40 à 50 millions de tonnes équivalent pétrole, à rapporter à notre consommation totale d'énergies de 275 millions. On ne pourra pas tout faire, il faudra choisir entre les usages carburant, chaleur et électricité. Nous proposons une hiérarchisation entre ces différents usages avec une priorité au carburant. Comme l'a expliqué Didier MARSACQ, c'est la seule alternative pour faire des carburants à partir d'énergies renouvelables sous forme de carburant ou d'hydrogène ensuite.
Quel est le potentiel pour les biocarburants dans le transport ? Les carburants de première génération, dérivés de l'agriculture alimentaire, pourront au mieux produire de l'ordre de 5 millions de TEP. L'estimation est déjà très optimiste. Elle demandera d'utiliser 3,5 millions d'hectares sur les 18 de terres cultivables dont nous disposons.
Il faudra passer aux carburants de seconde génération, fabriqués à partir de la plante entière de la lignocellulose et pour lesquels on pourra de nouveau produire de l'ordre de 5 à 7 millions de tonnes équivalent pétrole, le total représentant un maximum de 24 % de la consommation de carburant, si celle-ci n'augmente pas. Ces chiffres sont basés sur la consommation actuelle. C'est significatif mais ne règle pas la totalité du problème.
S'agissant de l'usage chaleur, celui qui se développe, bien connu mais qui demeure marginal, est l'usage du chauffage solaire. Avec la réglementation thermique datant de 2000, on peut couvrir de l'ordre de 50 % des besoins thermiques globaux de l'habitation.
On peut aller plus loin. Je vous présente une photo d'une habitation qui ne consomme plus d'énergie pour son chauffage ni pour sa climatisation. Elle se situe en Suède, mais il en existe dans beaucoup de pays nordiques, en Allemagne et en Suisse également.
C'est un habitat dont l'isolation et l'étanchéité sont tellement soignées que l'apport du métabolisme, les apports solaires directs et les chaleurs issues des consommations d'électricité à l'intérieur suffisent à maintenir le logement en température. Par - 29 degrés à l'extérieur, il y avait + 22 à l'intérieur. On a même eu par - 3, + 29 à l'intérieur, ce qui a forcé les habitants à ouvrir les fenêtres en plein hiver. Il n'y a pas besoin de climatisation. L'architecture est pensée avec des débords de toiture qui permettent d'éviter en été le chauffage direct par le soleil. Il y a à surveiller le renouvellement d'air, une ventilation est contrôlée avec échangeur de chaleur sur l'air extrait.
C'est valable pour le tertiaire. C'est l'habitat du futur qui pourrait être généralisé dès maintenant mais avec le temps de réponse nécessaire pour adapter les professions, les réglementations car tout cela va prendre du temps.
Sur les énergies renouvelables pour la production de chaleur, plusieurs autres sources importantes :
Le bois, qui est déjà la première énergie renouvelable en France, fournit près de 15 % de nos besoins thermiques, et que l'on peut encore considérablement améliorer, mais on va toucher à la même ressource dont j'ai parlé. On peut améliorer son bilan et même avoir plus de chaleur fournie pour moins de bois consommé, ce qui libérerait des quantités d'énergie pour d'autres usages.
Notre vision sur l'horizon 2050, en soignant la qualité des bâtiments aussi bien existants que neufs, est que, globalement, la consommation du secteur bâtiment pourrait être diminuée par deux pour répondre au besoin rémanent à partir des énergies renouvelables pour 50 % et le reste serait fourni à partir d'énergies fossiles, de préférence le gaz, puisque c'est le moins émetteur de CO 2 , mais aussi l'électricité qui pourrait fournir de la chaleur à partir de pompes à chaleur, notamment géothermiques.
A propos de l'électricité, il faut souligner l'importance de l'hydraulique, pour rappeler que le débat ne se limite pas à l'éolien. L'hydraulique est une énergie qui nous est précieuse. Vous est représentée ici sur quelques jours l'évolution de la production électrique française avec une base assurée par le nucléaire et surtout des pointes consolidées par turbinage à partir de lacs ou d'écluses. Ce potentiel augmente difficilement, encore qu'il sera possible de faire des centrales de pompage turbinage, mais il faut surtout le préserver car il peut y avoir antagonisme entre qualité de l'eau, protection de l'environnement et limitation des émissions de gaz à effet de serre.
L'énergie éolienne pourra apporter un complément non négligeable avec un potentiel réaliste de 25 à 75 térawatts/heure à moyen terme. Sous réserve que l'acceptabilité sociale s'améliore, on peut techniquement tolérer jusqu'à 15 % d'électricité variable sur un réseau électrique. Ce qui est beaucoup plus que 25 à 75 térawatts/heure.
Le solaire photovoltaïque est une énergie électrique du futur. Bien qu'on puisse déjà la développer, elle n'apportera pas de contribution significative avant 2020. Avec 25 m² de capteurs solaires photovoltaïques, on couvre les besoins électriques actuels d'une habitation. On a la compétitivité à l'horizon 2020. C'est là que l'on pourra développer une contribution tout à fait significative.
Toujours sur l'électricité, existe une autre possibilité : l'exploitation des roches profondes par la géothermie. Vous avez ici le schéma de l'expérimentation menée actuellement en Alsace au travers de laquelle on va chercher de la chaleur dans des roches sèches par injection d'eau à 5 000 m de profondeur que l'on récupère pour ensuite produire de l'électricité. On n'a pas encore une très bonne estimation du potentiel exploitable à partir de cette technologie. Si elle s'avère économiquement et techniquement compétitive, c'est de l'ordre de plusieurs centaines de térawatts/heure annuelles au niveau de l'Union européenne.
Enfin, je rappelle que les énergies renouvelables conjuguées à la maîtrise de l'énergie sont une réponse significative au fameux défi.
A court terme, se développeront les biocarburants version agriculture alimentaire, la biomasse, le solaire et la géothermie pour le chauffage, l'éolien terrestre pour la production d'électricité et sur le moyen terme, les biocarburants de seconde génération, l'éolien en mer, la géothermie profonde et le photovoltaïque, peut-être des énergies tirées de courants marins ou de la houle, mais on a encore des besoins en recherche et développement importants pour améliorer les technologies et apprendre à gérer correctement des énergies intermittentes.
Tout cela prendra du temps et c'est bien la raison pour laquelle les énergies renouvelables ne peuvent répondre à elles seules à ce défi, notamment pour développer l'offre professionnelle et les réglementations qui vont avec. Je pense particulièrement au secteur du bâtiment.
M. Pierre LAFFITTE - Je donne la parole à Ghislain GOSSE, Président de l'INRA de Lille.
M. Ghislain GOSSE - Bonjour à toutes et à tous.
Je vais essayer de présenter la vision de l'INRA sur les questions de la biomasse, le nucléaire étant loin de nos compétences.
En matière de biomasse, l'analyse de l'INRA aujourd'hui est qu'il faut en sortir un élément de régulation des marchés agricoles.
La biomasse est un des éléments du bouquet énergétique français. Je pense que cela change complètement la donne. Je reprendrai ce qu'a pu dire Jean-Louis BAL : aujourd'hui, c'est de l'ordre de 8 à 10 millions de TEP, en 2050, 40 à 50 millions de TEP. Cela ne sera qu'un des éléments du bouquet énergétique.
Pour nous, la priorité est de savoir où mettre la biomasse. Vers l'électricité ? La chaleur ? Les biocarburants ? C'est une question fondamentale. Un des critères de choix de sélection du process que nous retiendrons sera l'efficacité en termes de réduction des émissions des gaz à effet de serre. C'est là où on situe la priorité, peut-être plus que sur celle énergétique.
D'autres contraintes feront que ce sera orienté différemment.
Le problème qui se pose à un organisme de recherche est comment assurer aujourd'hui la faisabilité du saut de 8, 10 millions de TEP à 40, 50 millions de TEP. Cela paraît relativement facile mais loin d'être trivial.
Trois possibilités s'offrent à nous :
- élargir l'assiette de la biomasse que l'on pourra mobiliser, c'est-à-dire ne pas se limiter aux seuls grains de colza, de blé ou racine de betterave. Il faudra aller chercher ailleurs ;
- travailler sur la plante entière et non plus sur 50 % ;
- mobiliser des surfaces qui aujourd'hui le sont pour les usages alimentaires.
Ces trois scénarios ont un point commun : la lignocellulose, tissu de soutien des végétaux, du bois et des tiges. C'est ce que nous considérons être un élément prioritaire.
On extrapole exagérément : mobiliser des surfaces pour être efficace et diminuer la compétition entre alimentaire et non alimentaire en pensant passer de 10 à 40 millions, soit 30 millions de TEP, n'est pas un système durable, surtout en s'appuyant sur un scénario existant basé sur une TEP/hectare. Il nous faut donc travailler des procédés performants par unité de surface et aujourd'hui, sur les cultures lignocellulosiques dédiées sur lesquelles nous agissons, nous sommes sur des bases de l'ordre mentionné par Jean-Louis BAL, 6, 7, 8 TEP/hectare. Avec ce type de culture, s'ouvre un panel de possibilités en fonction des conditions pédoclimatiques.
L'agriculture est basée sur un système de cultures annuelles que l'on empile tous les ans classiquement. Le fondement de notre réflexion est de se dire que les systèmes les plus performants pour ce type de production ne seront pas annuels mais pérennes.
L'enjeu pour le monde agricole sera donc de réussir à rentrer des systèmes pérennes dans lesquels les décisions seront prises pour 15 ou 20 ans alors que le monde agricole est habitué à en prendre tous les ans. Je pense que prendre en compte cette échelle de temps est fondamental.
Dès lors que l'on parle de biomasse, de TEP, de millions de TEP, il y a des hectares et des millions d'hectares. Il y a des territoires ruraux, avec des terres arables, des prairies, avec des espaces qui ont des services écologiques et des habitants.
L'un des enjeux de la biomasse est de savoir comment l'insérer dans les territoires ruraux. L'idée n'est pas de faire un couper-coller systématique. Dans certains lieux, il sera possible d'introduire des cultures pérennes en nombre relativement important et parfois non, pour des raisons évidentes de compétition avec l'alimentaire.
Il faut travailler sur cette série de niches. Dans les années 90, ces idées existaient mais étaient portées par « des ayatollahs » d'une solution qui voulaient la décliner partout et s'affronter. Je pense que la solution consiste en un mix décliné à certains endroits et pas dans d'autres.
L'INRA est relativement incompétent sur un élément qui aura des conséquences importantes en matière d'aménagement du territoire, à savoir les choix technologiques pour valoriser cette biomasse lignocellulosique. Si on part sur des voies thermochimiques avec des unités de l'ordre du million ou de 5 millions de tonnes de produits finis, on voit que l'organisation de la ressource et de la logistique sera complètement différente d'un choix avec des voies biologiques où la taille des unités équivaut à 200 000 tonnes, taille d'une sucrerie distillerie classique aujourd'hui.
Cette incertitude sur le choix technologique, voie thermochimique ou biologique, est importante en matière de développement rural et d'organisation de la ressource. On a besoin d'une interaction très forte entre les hommes de la ressource et ceux de la technologie.
Dernier aspect biomasse/acceptabilité : faire du carbone renouvelable, certes c'est bien mais pas trivial. Ce n'est parce que l'on parle de biomasse qu'on travaille nécessairement comme il faut. Il faut l'intégrer. On peut être bon en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et être mauvais en termes d'impact régional et local, pollution des eaux et biodiversité.
Je pense que cet aspect-là est fondamental pour l'acceptabilité des filières. Il ne faut pas « se rater » si on veut que les filières soient acceptées au niveau de l'espace rural. Idem sur la logistique à mettre en oeuvre pour alimenter les structures industrielles. Logistique signifie camions et circulation. Il faut être vigilant également sur la manière dont on travaillera.
Comment l'INRA le décline-t-il en matière de programmes de recherche ? Le court terme pour nous correspond à contribuer à l'amélioration des bilans économiques et environnementaux des marchés de masse en place et des biocarburants de première génération, à savoir comment, par une valorisation des coproduits, améliorer leur bilan économique ?
Notre priorité ensuite est la mise en oeuvre de la ressource lignocellulosique en termes d'adaptation et de mobilisation de la ressource, et une utilisation par des voies biologiques dans les compétences.
A plus long terme, trois questions, qui, à mon avis, entre 2030 2050 et au-delà, sont fondamentales :
Quelle incidence régionale du changement climatique ? Nous ne pouvons l'oublier dans nos réflexions.
Quels conflits et comment les gérer pour l'eau et les sols ? La question ne se pose pas nécessairement dans nos régions mais dans le Sud de la France et, si on raisonne au niveau Afrique ou tropical, elle sera fondamentale.
Sur le long terme, quelles seront les habitudes alimentaires du Français moyen et du Terrien moyen ? En matière d'utilisation des terres, cette question sera importante. Si on annonce pouvoir faire 30 millions de TEP en France, c'est en disant que des 5 millions d'hectares de blé destinés à l'exportation, il est possible d'en faire des cultures énergétiques à 7 millions de TEP.
En 2030 et 2040, il y a des incertitudes sur lesquelles il faut travailler.
M. Pierre LAFFITTE - Vous n'avez pas prononcé les mots : « forêt méditerranéenne ».
M. Ghislain GOSSE - C'est une des formes de biomasse que l'on peut mobiliser relativement aisément et qui présente l'avantage important de la multifonctionnalité.
Ces biomasses lignocellulosiques peuvent avoir d'autres effets : forêt méditerranéenne, récolte de biomasse et lutte contre les feux de forêt, donc multifonctionnalité et effet induit différent.
Le second exemple est l'implantation de ce type de biomasse sur des zones de captations d'eau où aujourd'hui on a de plus en plus de problèmes de qualité. On pourrait envisager ce type de niches avec des effets de multifonctionnalité ou des corridors écologiques. Les scénarios sont différents.
M. ELGHOZI - Sans préjuger ou présager des choix des différents modes énergétiques qui permettront de répondre à nos questions, concernant le nucléaire, même si j'y suis favorable, j'aimerais connaître l'opinion des experts présents aujourd'hui pour indiquer le niveau de maîtrise des déchets et comment sera-t-il évalué si la croissance de notre parc nucléaire, national et européen, croît pour remplacer les énergies fossiles ?
M. Pierre LAFFITTE - Le Parlement vient de prendre une loi sur les déchets nucléaires. Cela a donné lieu à grands débats plus que sur les déchets des centrales non nucléaires.
M. Claude JEANDRON - Le problème ne porte pas vraiment sur le volume ni la technique de traitement de déchets nucléaires. On sait les trier et les isoler dans une matrice stable à l'échelle de temps suffisante, donc selon la durée de vie de la matière radioactive. Il s'agit de savoir si on fait confiance à la géologie dès aujourd'hui pour assurer le confinement définitif de ces déchets ou à la capacité humaine des générations, entre 5 et 10 tout au plus, pour éventuellement revoir nos choix de recourir à l'entreposage en surface ou en subsurface, d'après l'opinion exprimée dans la loi récente plutôt en subsurface.
La génération 4 utilise moins de combustibles et dans les voies de recherche sur cette génération, un dispositif permet de réduire la durée de vie des produits d'activation. De façon intrinsèque, ces réacteurs produiraient des déchets à moins longue durée de vie. Cela étant, la question se pose quand même un peu de façon similaire.
Une auditrice - A propos de l'énergie thermique peu évoquée, au contraire des produits d'énergie électrique, en dehors du transport que j'exclus, je pense plutôt aux aspects chauffage et thermie en général, comment se positionne-t-on ? Qu'est-ce cela représente par rapport à l'énergie électrique et comment résout-on cet aspect de la consommation énergétique ?
M. Jean-Louis BAL - J'ai parlé de la production de chaleur à partir d'énergies renouvelables. On peut dire que dans la loi de programmation des orientations de la politique énergétique de juillet 2005, il y a un objectif en termes d'augmentation de la production de chaleur à partir des énergies renouvelables.
Comment se positionner ? Je l'ai montré avec le bâtiment dans lequel se consomme une grande partie de la chaleur. En dehors de l'industrie, c'est un des principaux secteurs émetteurs de gaz à effet de serre et c'est bien, après celui des transports, celui sur lequel nous devons concentrer nos efforts.
Cela viendra au moins autant dans la maîtrise de la demande d'énergie, dans le renforcement des performances du bâtiment et dans les équipements à l'intérieur que des énergies renouvelables
On peut améliorer fortement les performances des bâtiments existants. Ceux qui datent d'avant la première réglementation thermique ont une consommation de 300 KWH par mètre carré et par an. De nombreuses expériences montrent qu'on peut réhabiliter des logements anciens jusqu'à descendre leur consommation à environ 50 KWH par mètre carré et par an. Ce qui est moins que ce qu'exige actuellement la réglementation sur le bâtiment neuf, y compris dans les HLM.
A l'horizon 2050, 65 % des bâtiments qui existeront existent déjà aujourd'hui et 35 % seront neufs, c'est-à-dire encore à construire. Il faut se dire que l'effort est à répartir sur le bâtiment existant sans pour autant négliger celui neuf. On peut atteindre sur le bâtiment existant des performances non pas équivalentes au « zéro énergie » que j'ai montré sur les bâtiments neufs mais avec des niveaux fortement réduits qu'on pourra satisfaire avec du bois énergie, via des réseaux de chaleur, de la géothermie et du solaire.
Un auditeur - Pour les énergies renouvelables, des prévisions émanant de l'Agence européenne des énergies renouvelables font état, à l'horizon 2030 ou 2040, que 50 % de l'électricité produite dans le mix énergétique seraient réalisés par les énergies renouvelables, avec l'éolien et le photovoltaïque, qui enregistrent actuellement un taux de croissance de 35 % l'an.
Cela représente l'équivalent de deux centrales nucléaires installées chaque année mais à l'horizon 2030 ou 2040, en puissance installée, cela pourrait correspondre à 300 réacteurs en production d'énergie. Je sais que le nombre d'heures d'utilisation de soleil par rapport au nombre d'heures d'utilisation des centrales nucléaires pourrait représenter 50 tranches de centrales nucléaires de plus par an. Ce n'est pas négligeable.
Actuellement, il y a deux pays moteurs pour cette forme d'énergie renouvelable, le Japon et l'Allemagne. Il est important d'intensifier les recherches en France dans ce domaine pour tenter de combler le retard et ne pas se faire distancer.
M. Pierre LAFFITTE - Dans notre rapport, nous avons pris en compte le développement rapide du photovoltaïque, cela paraissait aller de soi.
Mme Dominique DRON - Je souhaiterais reposer ma question de ce matin : quand on est en système tendu sur les ressources, on voit apparaître des contrats long terme sur le pétrole et le gaz. A quoi ressemblent ceux sur l'uranium ?
Par ailleurs, quand on parle de génération 4, selon l'intervenant on entend évoquer 2015, 2020, 2025, etc. Ces personnes ne parlent sûrement pas du même sujet. Si vous pouviez éclairer notre lanterne, ce serait bien.
Enfin, j'ai conclu de l'exposé de M. MARSACQ concernant l'hydrogène qu'il pensait que, malgré les chutes de rendement, chaque fois que l'on change de vecteur il y avait plus de possibilités de stocker l'hydrogène que l'électricité, même en 2030 ou 2050.
Ai-je bien compris ?
M. Claude JEANDRON - Le souci de tout producteur d'origine nucléaire est de sécuriser ses approvisionnements en uranium et le plus possible sur le long terme. Selon une donnée publique, figurant dans les rapports de l'AMF pour EDF, cette dernière a sécurisé ses approvisionnements d'uranium jusqu'en 2020.
On a 15 ans de contrats garantis, non pas sous forme unique, mais de contrats diversifiés en termes d'origine géographique. L'uranium vient en gros d'Amérique du Nord, d'Australie, d'Afrique et un peu d'Asie, en particulier du Kazakhstan.
Nous, comme les autres, essayons de diversifier nos approvisionnements. Peut-être plus que les autres d'ailleurs puisque nous sommes le premier producteur au monde.
Nous tentons de diversifier les formules de prix, en particulier de révision, même s'il faut avoir en tête que le prix de l'uranium ne représente que 5 % du prix complet du KWH électrique.
Nous sommes moins sensibles aux variations de prix.
Enfin, sur les réserves, celles d'uranium connues, identifiées et repérées sur la planète représentent 60 ans de production du parc nucléaire actuel mondial. Ce sont les réserves connues à coût économique déterminé. A partir de là, les spécialistes estiment qu'il faut multiplier par un facteur 4 pour avoir une idée de toutes les réserves, y compris celles inconnues ou à des coûts d'exploitation plus élevés. On arrive au-delà de 200 ans, avec la consommation actuelle et les technologies en vigueur. Sachant que la génération 4 multiplie par 50 le facteur de consommation d'uranium, la réserve est égale à 50 fois 200 ans, à la condition, bien sûr, de maîtriser complètement le cycle du combustible. Il faut absolument un retraitement.
S'agissant toujours de la génération 4, quand nous évoquons 2030 par optimisme, ou 2040 plus vraisemblablement, c'est en imaginant un développement industriel de cette technologie. Ce n'est donc pas un démonstrateur de petite puissance mais vraiment une tête de série, ce qui impose un ou plusieurs démonstrateurs avant. Il faudra faire tourner ce démonstrateur quelques années pour être sûr que la filière soit complètement maîtrisée aux plans technique, économique et cycle du combustible.
C'est ce qui nous fait pencher pour 2040 plutôt que 2030, et encore moins 2020. Si on en était capable, ce serait formidable. Ceux qui disent que l'on devrait être en mesure avant, y compris en 2005, sont les mêmes qui disent que ce n'est probablement pas la peine de construire une génération 3 maintenant et qui se réservent la possibilité de critiquer la génération 4 après. Attention à tous ces modes de raisonnement !
Le nôtre n'est pas celui d'un chercheur pur et dur, nous raisonnons tel un industriel qui cherche à mettre à disposition de ses clients une énergie fiable et économique.
M. François MOISAN - Dominique DRON a posé une question sur l'hydrogène.
Je représente la France dans l'Initiative internationale sur l'hydrogène à laquelle 17 pays collaborent pour ce que l'on appelle : « une économie de l'hydrogène ».
Bien sûr, les piles à combustible posent des problèmes. Dans le rapport des sénateurs, on a vu la nécessité de diviser de 50 à 100 leur coût pour les rendre compétitives, du moins dans les transports.
Dans vos propos, Monsieur MARSACQ, cela allait de pair avec le nucléaire. Il est vrai qu'il y avait l'option nucléaire haute température, je vois dans l'IPHE que pour les grands pays représentés, les États-Unis, la Chine, l'Inde, l'option hydrogène va de pair avec le combustible fossile. Le charbon notamment qui fera l'hydrogène.
A propos des réacteurs à haute température, depuis un an les cycles iode-soufre posent des problèmes de développement. Je ne suis pas compétent sur cette filière mais je vois que cela irait de pair avec le charbon et avec la notion de captage et de stockage de CO 2 , incontournable.
Je voulais votre position.
Il reste non pas l'option haute température, mais l'électrolyse.
A la limite le nucléaire servirait à faire de l'électricité, on sait que le charbon sera abondant en Chine. Quel est votre point de vue s'il y a de l'hydrogène ? C'est encore incertain sur les échéances - certains voient 2015, je pense que c'est pour plus tard-. Selon quelles sources ?
M. Didier MARSACQ - Dans la comparaison du stockage électrique via des batteries ou l'hydrogène, actuellement les modes développés sont du même niveau de performance que les batteries en densité d'énergie stockées.
Les batteries, depuis 15 à 20 ans, progressent de quelques pourcent par an, d'où une marge d'amélioration importante. Des idées circulent selon lesquelles l'hydrogène pourrait stocker deux à trois fois plus d'énergie que les batteries. Nous faisons ce pari mais ce ne sont jamais des solutions uniques. Il faut regarder les différents types d'application.
Le vecteur hydrogène est intéressant parce qu'assez versatile. On peut très bien l'injecter dans des chaudières classiques pour les faire fonctionner en replaçant le fioul. C'est impossible avec l'électricité. Il faut toujours regarder application par application.
Au titre de la production massive d'hydrogène, il est vrai que des débats sont engagés chez EDF et au CEA sur les filières les plus appropriées pour produire l'hydrogène.
Globalement, au CEA, notre orientation vise l'électrolyse haute température avec couplage au nucléaire.
On a évoqué la biomasse comme producteur de l'hydrogène ; celle-ci est sûrement intéressante pour certains pays ; toutefois, en France, la forêt augmente mais sur la planète, elle diminue. Nous ne sommes pas favorables à une stratégie biomasse massive.
Je reviens maintenant sur les différents cycles à haute température. La question portait sur la comparaison entre l'électrolyse haute température, les cycles haute température comme l'iode de soufre et le charbon. Celui-ci est un fossile qui va se raréfier. On part d'hypothèses de consommation actuelle sur lesquelles on fonde nos réserves. C'est une erreur.
Affirmer disposer de 200 ans de charbon est valable avec des hypothèses de consommation récente. Quand on voit ce qu'elle est en Chine ou en Inde, ces estimations sont fausses. Par conséquent, une stratégie alternative aux fossiles basée sur le charbon revient à reculer pour mieux sauter.
M. Pierre ZALESKI - Les réserves portent sur 200 ans mais les ressources prévues représentent quatre fois plus.
M. Jean-Luc WINGERT - Si on inclut le pic de production ce serait 2050, soit la moitié.
Sachant que les pics de production de gaz naturel et de charbon dépendent de la manière dont sera négocié le passage de celui du pétrole, déjà incertain sur sa date, tout cela commence à être très hypothétique. Mais il est intéressant d'avoir des ordres de grandeur en tête.
M. Didier MARSACQ - Chaque pays défend une stratégie correspondant à ses ressources, ce n'est pas forcément la meilleure pour l'intérêt général. Les pays qui ont du charbon le proposent pour produire de l'hydrogène. La France tire vers une stratégie plutôt nucléaire.
M. François ANDRÉ - Je suis ennuyé, Monsieur BAL ; s'agissant des énergies renouvelables vous avez cité l'éolien, la géothermie, le solaire mais vous avez fait l'impasse sur le micro hydraulique.
Dans la loi d'orientation énergétique, l'année passée, l'hydraulique apparaît. En début d'année, le rapport Dambrine préconise le développement du parc existant. Sept térawatts/heure sont disponibles en pico-hydraulique et 100 000 moulins sont à l'abandon en France, il serait peut-être temps d'agir. Il y a du travail, de l'énergie disponible et de nombreux sites à l'abandon. Prenons déjà ce que nous avons.
M. Jean-Louis BAL - Dans le temps qui m'était imparti, il n'était pas simple d'entrer dans le détail de chacune des filières.
J'ai cité l'hydraulique comme étant notre énergie électrique la plus précieuse. Il est vrai que, dans le diagramme que j'ai montré, les couches inférieures correspondent à l'hydraulique au fil de l'eau, aussi assez précieuse. Il est vrai que demeure un certain potentiel de développement. Selon les estimations, il se situe entre 4 et 7 térawatts/heure. Je rappelle surtout qu'il pourrait être de moins 4 ou de moins 7 si on laisse agir certains « ayatollahs » de la pureté des eaux.
M. Pierre LAFFITTE - Certains ont leur mot à dire concernant l'alimentation en eau des communes.
M. François ANDRÉ - En seconde lecture, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques sera examinée en septembre. Un article 7bis nouveau nous dit que les centrales arrêtées depuis plus de deux ans risquent de perdre leur droit d'eau. D'un côté, on nous dit : « allez-y ! », et de l'autre on se fait poignarder dans le dos chaque jour. Il faut au niveau national une ligne droite pour savoir où l'on va et si on investit ou pas.
M. Claude SAUNIER - C'est une belle illustration de la responsabilité des législateurs qui ont à faire face à des lobbies dont les intérêts sont contradictoires.
Entre ceux qui, comme vous, préconisent l'utilisation massive de l'hydroélectricité et ceux qui défendent les truites, les arbitrages sont parfois difficiles et, par exemple, avec l'obligation de délivrer en constance au moins 10 ou 15 % du débit d'un fleuve, ce n'est pas forcément compatible.
M. Didier MARSACQ - Je souhaite compléter mon propos et formuler une remarque sur le photovoltaïque. Je rejoins les propos de M. WEYMULLER : indépendamment de tout ce que l'on peut dire et des solutions complexes du bouquet énergétique, une énergie semble inépuisable à notre échelle, c'est celle solaire.
Je crois qu'il y a consensus sur le sujet. Il y a plusieurs façons d'utiliser cette énergie mais la vraie stratégie à long terme intéressante, pour le climat et au niveau économique, est l'énergie solaire.
Il y a les stratégies thermiques et photovoltaïques. C'est pour moi une priorité comme tout ce qui gravite autour du solaire avec le stockage de l'énergie et toutes ces thématiques techniques.
Ce n'est pas simplement une vision écologiste du problème mais aussi économique. Le CEA est convaincu que développer l'énergie solaire et l'industrie photovoltaïque constituera un relais de croissance très important pour le pays.
L'an dernier, se sont créés en Allemagne 30 000 emplois dans le photovoltaïque.
M. Pierre LAFFITTE - C'est intégré dans notre rapport. J'en profite pour vous donner sa référence puisqu'il sera dès demain en ligne : http://www.senat.fr/opecst/rapports.html
M. Claude JEANDRON - Deux compléments très brefs pour répondre à l'hydraulique et aux projets d'investissements : EDF, en France, estime le potentiel encore « équipable » de près de 300 MW, sous forme de modernisation d'aménagements existants (le site sur la Romanche dans l'Isère, un autre projeté en Corse et l'équipement de débits réservés) mais ce sont de très faibles puissances puisque l'on ne bénéficie pas de la chute d'eau.
C'est quand même un potentiel relativement limité. Je m'associe à ce que disait M. BAL, attention à préserver le potentiel existant ; certes, il faut regarder les impacts environnementaux, sur la qualité de l'eau, etc. Cependant, on sacrifie parfois le potentiel hydroélectrique pour des questions pas forcément essentielles.
Deuxième complément de réponse, le solaire peut servir à fabriquer de la chaleur. Le solaire pour produire de l'eau chaude sanitaire peut être mis en oeuvre facilement à des coûts d'accès relativement accessibles même si c'est toujours plus coûteux que les solutions classiques.
Il faut recourir à cela. Il est plus facile de stocker de l'eau chaude que de l'électricité, et on sait le faire à l'aide de ballons bien isolés. Le solaire photovoltaïque doit résoudre son problème de base, il nécessite des cellules de silicium dont le marché est complètement saturé. Il ne peut répondre à la demande dans des délais et à des coûts relativement accessibles. C'est une réelle difficulté pour tous les fabricants de panneaux solaires dont EDF fait partie puisqu'une de nos filiales en réalise avec le groupe Total.
Il faut aller chercher d'autres solutions technologiques telles que le solaire en couches minces, plus simple à fabriquer, moins cher et qui n'est pas sans impact environnemental car il faut aussi manipuler certains produits.
Il faut travailler là-dessus et surtout réduire les coûts de leur fabrication. Certes, le rachat de l'électricité a été augmenté de nouveau -c'est bien pour développer la filière- mais il serait bien de diminuer ses coûts de production.
EDF rachète l'électricité d'origine photovoltaïque mais ce sont bien tous les clients, pas seulement ceux d'EDF mais aussi ceux de ses concurrents, qui la paient. Le surcoût de production est intégré dans les charges de service public de l'électricité.
EDF n'a ni intérêt ni inconvénient à développer le solaire, pas plus que les autres. Nous sommes tous confrontés au même problème : le surcoût du solaire pour l'ensemble des clients de tous les fournisseurs d'énergie qui le paient.
Fin de la table ronde à 15 h 15.