C. DÉFINIR DES PRÉLÈVEMENTS DE NATURE À CLARIFIER LES RESPONSABILITÉS EN MATIÈRE DE PROTECTION SOCIALE ?
1. Quelle philosophie ? La nécessité de trouver de nouvelles logiques
Au-delà de cette indispensable réflexion relative à l'assiette des cotisations sociales et aux mesures fiscales et sociales dérogatoires, votre rapporteur général considère que doivent être abordées de front les logiques sous-tendant notre système de protection sociale, afin de mettre sur pied un nouveau système de financement permettant à la fois lisibilité et responsabilisation des acteurs.
En effet, comme le soulignaient MM. Christian de Boissieu et Roger Guesnerie dans leur synthèse de l'avis du Conseil d'analyse économique sur le projet d'élargissement de l'assiette des cotisations sociales employeurs, « la différence des fonctions est susceptible de justifier des modes de prélèvement différents ».
Les trois logiques à l'oeuvre dans le
système de protection sociale,
« La première renvoie à une notion de salaire différé . Cette logique semble imprégner profondément les réformes de l'après-guerre en France où elle détermine les formes de gestion paritaire du système. L'exemple des régimes de retraites en France en constitue la meilleure illustration. Le système conduit à une épargne forcée qui n'est ni actuariellement ni distributivement neutre - elle opère de la redistribution entre générations, mais aussi au sein des générations - mais qui relève principalement d'une logique de salaire différé : les cotisations assises sur le salaire déterminent dans une mesure significative les prestations (fondées sur les « meilleures années »)... « L'assurance chômage fournit, elle, un salaire de remplacement , en un certain sens différé mais qui a plus ici la nature d'un versement à titre d'assurances ; « Le secteur de l'assurance-maladie obéit à une logique qui s'écarte en dépit du vocabulaire de l'assurance et plus encore du salaire différé. Elle finance le service public de la Santé et s'inscrit donc dans la rubrique fourniture publique de consommation privative, l'intervention publique étant justifiée à la fois par les « externalités » et des effets redistributifs accentués ». Source : avis du CAE sur le projet d'élargissement de l'assiette des cotisations sociales employeurs (27 juillet 2006), synthèse de MM. Christian de Boissieu et Roger Guesnerie |
MM. Michel Didier et Michel Martinez, dans leur « Contribution au Conseil d'analyse économique sur le basculement des cotisations patronales », jointe à l'avis précité du CAE, abondaient également en ce sens : « Aller vers une fiscalisation du financement des dépenses universelles (maladie, famille) permet la transparence des choix sociaux : si les citoyens choisissent d'augmenter les dépenses de santé, les prestations autonomie, ils le font au détriment d'autres dépenses. Et on ne voit pas non plus pourquoi les entreprises auraient à intervenir dans ce type de choix des ménages.
A cet égard, on ne peut que constater que depuis quinze ans, les réformes entreprises en France ont contribué à distinguer les logiques d'assurance (quand les prestations sont liées aux cotisations comme en matière de chômage et de retraite) et de solidarité (maladie, famille...). Toutefois, toutes ces réformes se sont faites de façon implicite, c'est-à-dire sans que les principes présidant à la transformation du financement de la protection sociale aient été explicités ».
Cette transformation apparaît nettement lorsque l'on considère la structure actuelle des différentes branches du régime général, comme le montrent les « camemberts » suivants, qui mettent en évidence :
- le poids essentiel des cotisations sociales alimentant les branches vieillesse et accidents du travail (respectivement 80 % et 74 % des recettes), alors que la part des impôts et taxes affectés reste limitée ;
- la part plus importante des impôts et taxes affectés dans les recettes des branches maladie et famille (respectivement 40 % et 27 %), les cotisations sociales représentant d'ores et déjà moins de la moitié des ressources de la branche maladie.
Les structures des recettes des différentes branches du régime général en 2007
Votre rapporteur général estime qu'il est temps d'expliciter ces principes sous-jacents à notre système de protection et d'adapter en conséquence les modalités de financement.
A cet égard, on pourrait imaginer de s'orienter vers une fiscalisation complète, ou à tout le moins très majoritaire, des ressources des branches maladie et famille. Cette option pourrait être conjuguée avec la mise en oeuvre de la TVA sociale.
Le traitement de la dépendance , qui ne fait pas l'objet d'une branche à part entière de notre système de sécurité sociale en dépit de la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, pourrait demeurer mixte, les individus pouvant s'assurer par le biais de contrats de dépendance, venant en complément de prestations de base relevant de la solidarité nationale. Ces contrats de dépendance pourraient être couplés à des contrats d'épargne retraite, ainsi que l'a noté votre rapporteur général dans son récent rapport d'information sur l'épargne retraite 39 ( * ) .
M. Thomas Piketty, dans un récent article paru dans le journal Le Monde 40 ( * ) , développe une analyse voisine de celle de votre rapporteur général : « cela n'a guère de sens de financer avec des cotisations pesant exclusivement sur les salaires l'ensemble des dépenses de la protection sociale. Cela se justifie pour les prestations relevant de l'assurance obligatoire (retraites et chômage), qui ouvrent des droits proportionnels aux cotisations versées, et qui doivent apparaître comme telles pour les citoyens, séparément des autres prélèvements. (...) Mais cela ne peut se justifier pour les prestations familiales et les dépenses de santé, qui relèvent d'une logique de solidarité nationale et devraient reposer sur des bases fiscales aussi larges que possible - surtout à un moment où le travail est déjà surtaxé et où l'on cherche à favoriser les créations d'emplois ».
Votre rapporteur général estime qu'il convient de s'efforcer de faire apparaître des blocs cohérents de recettes , afin de responsabiliser au mieux les gestionnaires et de clarifier des flux financiers aujourd'hui complexes . La réflexion sur les recettes ne pouvant être distincte de celle menée sur les dépenses, ces blocs de ressources devraient connaître une évolution des produits conforme à la tendance naturelle de progression des dépenses des branches en cause .
Une telle évolution implique en parallèle, comme il est exposé ci-après, d'en tirer les conséquences en termes de gouvernance du système.
* 39 « L'épargne retraite en France trois ans après la « loi Fillon » : quel complément aux régimes de retraite par répartition ? », rapport d'information n° 486 (2005-2006).
* 40 « Fiscalité : augmenter ou diminuer ? Pas de destin commun sans pression fiscale », 20 octobre 2006.