N° 450
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 30 juin 2006 Enregistré à la Présidence du Sénat le 3 juillet 2006 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la gestion des crises en Afrique subsaharienne ,
Par MM. André DULAIT, Robert HUE,
Yves POZZO di BORGO et Didier BOULAUD,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice - présidents ; MM. Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, Jacques Peyrat, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.
Afrique. |
POURQUOI « GÉRER » LES CRISES AFRICAINES ?
A un relatif désintérêt pour l'Afrique sub-saharienne au sortir de la guerre froide a succédé, depuis le début de la décennie 2000, un réinvestissement notable de la part des puissances extérieures au continent. Les Etats-Unis, la Chine ou l'Inde y déploient une activité croissante.
Les causes en sont diverses : la richesse en matières premières et en énergie intéresse, tandis que l'instabilité du continent inquiète.
Si l'Afrique sub-saharienne est une terre de contrastes que l'on ne saurait qualifier de façon univoque, elle est aussi un espace de conflits, traversé d'un arc de crise sur une ligne allant du Soudan et de la Corne de l'Afrique au Congo et affecté, dans sa partie occidentale, par une instabilité chronique. En 2003, 20 % de la population du continent et 15 Etats sur 54 étaient touchés par la guerre.
Les causes de ces conflits sont évidemment multiples. Les facteurs culturels, religieux, politiques, militaires, économiques s'entremêlent sur fond de crise de l'Etat.
Les conséquences de ces crises dépassent le simple cadre des Etats : l'entrave au développement, le risque sécuritaire régional, les trafics criminels internationaux, les risques sanitaires majeurs, affectent le continent et au delà, les régions voisines. L'indifférence n'est pas permise et une intervention extérieure peut être nécessaire, parfois sous la forme ultime de l'intervention militaire.
Faut-il intervenir militairement dans les crises en Afrique ?
Une intervention militaire extérieure ne règle jamais durablement un conflit. Vécue comme une forme violente d'intrusion, elle peut être un germe d'instabilité supplémentaire. Elle reste le dernier recours en cas de risque majeur pour les populations civiles et de menace pour la stabilité régionale, suscités par de nouvelles formes de conflit, apparues après la fin de la guerre froide, qui les avait précédemment contenus. Surtout, son cadre est devenu particulièrement malaisé dans des contextes où les questions de sécurité intérieure se mêlent aux enjeux de sécurité régionale sans qu'une « agression extérieure classique » soit caractérisée.
Qui peut intervenir militairement en Afrique ?
Après les événements de Somalie, qui ont conduit à une position de retrait durable des Etats-Unis sur le plan militaire, et la tragédie rwandaise qui a entraîné une révision des positions françaises, les années récentes ont vu la multiplication des opérations de maintien de la paix et l'intervention française en Côte d'Ivoire succéder à l'intervention britannique en Sierra Leone.
A la différence du Royaume-Uni, la France a maintenu une présence très importante en Afrique, mais elle avait renoncé à intervenir seule militairement sur le continent africain, dans le même temps où elle redéfinissait le cadre général de ses relations autour de nouveaux axes politiques : banalisation des relations avec les anciennes colonies, multilatéralisme et partenariat franco-africain.
La France, y compris dans le champ de ses partenariats historiques, n'entend plus être le « gendarme de l'Afrique ».
Sur le plan militaire, cette nouvelle approche a connu sa première application à Abidjan, en 1999, lorsque la France a décidé de ne pas intervenir après le coup d'Etat contre le président Konan Bédié.
Depuis septembre 2002, c'est encore à Abidjan qu'est mis en oeuvre un mode nouveau de règlement des crises avec, certes, un engagement direct des troupes françaises, mais sous le mandat de l'organisation des Nations unies, et en appui à une force régionale africaine.
C'est cette évolution dans les modes de gestion des crises et la place que peut y prendre notre pays que votre Commission a souhaité approfondir.
En complétant ses travaux à Paris et à Bruxelles par un déplacement en Afrique du sud et au Sénégal, elle a souhaité apprécier dans quelle mesure l'aspiration des Africains à prendre en charge la sécurité du continent pouvait rencontrer celle de la France à y tenir un rôle nouveau et mesurer la réalité et les implications du mouvement de construction régionale à l'oeuvre en Afrique et l'émergence de puissances régionales sur le continent.
Ces déplacements visaient aussi à apprécier la façon dont la politique française était perçue par deux pays qui sont aussi deux acteurs importants de la gestion de crises, l'un étant un partenaire historique de la France et l'autre un partenaire nouveau doté d'une légitimité singulière.
L'intervention militaire française dans la gestion de crises africaines ne peut être que plus compliquée dans un contexte profondément nouveau, et ses objectifs, après la disparition du « pré carré » sont à la fois plus difficiles à définir et à mettre en oeuvre. L'enjeu est désormais de construire un partenariat sécuritaire qui soit à la fois légitime et efficace.
I. QUELLE IMPLICATION POUR LA FRANCE DANS LA GESTION DES CRISES AFRICAINES?
La France a cette particularité, héritage de l'histoire, de maintenir une présence militaire très importante en Afrique sub-saharienne. Les liens de la France avec les Etats africains sont un atout pour notre pays qu'il faut garantir et valoriser, mais ils doivent aujourd'hui s'exercer selon des modalités renouvelées pour définir les termes d'un partenariat de sécurité équilibré.
A. LA FRANCE MAINTIENT UNE PRÉSENCE MILITAIRE TRÈS IMPORTANTE EN AFRIQUE
Avec 11 000 militaires présents sur le continent, ce qui représente un tiers des effectifs français déployés hors du territoire métropolitain, la France est très présente en Afrique sub-saharienne. Elle l'est à titre permanent avec des forces prépositionnées et dans le cadre d'opérations extérieures. Elle entretient également sur cette partie du continent un réseau de 26 attachés de défense.
1. Le dispositif militaire pré positionné
Les effectifs militaires permanents de la France en Afrique sont passés de 8 000 à 5 000 à la fin des années 1990, à la suite de la fermeture des bases françaises en République centrafricaine.
Le dispositif actuel reste important, avec plus de 6 000 hommes répartis sur cinq pays (Djibouti, Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon, Tchad). La base la plus importante est Djibouti avec 2 900 hommes suivie du Sénégal, où les forces françaises du Cap-vert comptent 1 200 hommes, et du Gabon avec 1 000 personnels.
La Côte d'Ivoire et le Tchad sont des cas particuliers. Dans le premier pays, qui accueille des forces françaises pré positionnées de 950 hommes en temps ordinaire, l'opération Licorne, actuellement en cours, réunit 4 000 hommes, tandis que dans le second, les éléments français au Tchad (1.000 hommes), stationnés à N'djamena et Abéché, sont présents au titre du dispositif Epervier, mis en place en février 1986 afin de veiller au maintien de l'intégrité territoriale du pays, et maintenu depuis lors.
Les bases françaises sont installées sur le fondement d'accords bilatéraux de défense ou de coopération militaire technique 1 ( * ) , permettant la présence de troupes, l'utilisation d'emprises et de moyens de communication.
Particulièrement précieuses pour les intérêts nationaux français, notamment pour la protection des ressortissants français et de ceux des Etats tiers, les forces prépositionnées ont connu une première réorientation de leurs missions, d'une mission de présence à celle de relais et de points d'appui à des opérations de projection. Elles se sont également ouvertes davantage vers le pays d'accueil.
Les autorités françaises recherchent la meilleure insertion possible dans l'environnement du pays d'accueil, par le développement des « actions civilo-militaires », de missions de « service public » (lutte contre les incendies, sauvetage en mer...) et, plus récemment, par le recours aux bases pour le soutien opérationnel au programme RECAMP.
Dans un avenir proche, les forces prépositionnées devraient être amenées à soutenir le développement des organisations sous-régionales.
* 1 Accord de défense entre la France et le Sénégal du 29/03/1974, Gabon : accord de défense de1960, Tchad : accord de coopération militaire tecde1976, Djibouti : accord de défense de1977, Côte d'Ivoire : accord de défense du 24/04/1961.