3. Les incidences sur la France du programme AGS de l'OTAN
Le programme majeur défini par l'OTAN en matière de drones d'observation s'inscrit dans le cadre global de l'AGS (Alliance Ground Surveillance), portant sur l'ensemble des éléments concourrant à la surveillance du sol.
L'OTAN a marqué depuis plusieurs années son intérêt pour les drones, et plusieurs alliés en ont déployé à son profit sur les théâtres d'opérations de l'OTAN, qu'il s'agisse de la FIAS (Force intérimaire d'assistance à la sécurité) en Afghanistan ou de la KFOR (Force de sécurité internationale) au Kosovo. Il s'agissait, pour la France, du drone Hunter, pour l'Allemagne, du Luna, pour le Canada, du Sperwer, et pour les Etats-Unis, du Predator A.
Le programme majeur de l'OTAN est donc l'AGS, qui répond à un besoin capacitaire de surveillance du sol comportant des contributions nationales, et une capacité centrale appartenant à l'OTAN. Cette capacité centrale comprend deux types de plateformes aéroportées, dont un drone de type HALE (Haute Altitude Longue Endurance) dérivé du système Global Hawk américain, avec leurs stations au sol respectives.
C'est lors d'une réunion du Conseil de l'Atlantique Nord en septembre 2001, que les pays membres de l'OTAN ont décidé que serait développée une capacité centrale AGS, qui appartiendrait à l'Alliance et serait exploitée par elle, et qui serait opérationnelle d'ici à 2010.
A l'occasion du Sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance, qui s'est tenu à Prague, en novembre 2002, les Directeurs nationaux de l'armement de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, des Pays-Bas, de l'Espagne et des États-Unis ont signé une déclaration d'intention en vue de la conception et de la construction du radar AGS développé en coopération transatlantique (TCAR - Transatlantic cooperative AGS Radar). Ce radar doit également permettre de répondre aux besoins des pays, individuellement, à l'échelon national.
Deux ensembles industriels, l'un dénommé « Solution proposée par les industries transatlantiques » (TIPS), comprenant EADS, Galileo Avionica, General Dynamics Canada, Indra, Northrop Grumman et Thales, l'autre dénommé « Système AGS transatlantique développé en coopération », comprenant Raytheon, Alenia Marconi Systems et Siemens, ont fait des propositions afin de répondre à la demande d'AGS décidée par l'OTAN.
Chacun des deux consortiums a fourni une étude de définition précisant les aspects opérationnels, techniques et financiers de sa proposition. Après examen de ces propositions, le Comité directeur sur l'AGS a décidé, en avril 2004, qu'une solution basée sur la proposition TIPS correspondrait le mieux aux besoins de l'Alliance . La décision a été entérinée à la Conférence des Directeurs nationaux des armements, tenue le 16 avril 2004.
Le 28 avril 2005, l'OTAN a signé un contrat de 23 millions d'euros avec le consortium TIPS dans le cadre de la phase de définition du projet.
Lorsque celle-ci aura été accomplie avec succès, l'OTAN passera à l'étape suivante, avec la signature d'un contrat de 500 millions d'euros pour la conception et le développement du programme AGS. Cette étape est prévue pour le début de 2006.
La phase de conception et de développement durera environ deux ans et sera suivie de la phase de mise au point technique et de fabrication, puis de la phase de production.
Par ailleurs, le renouvellement prévu de la flotte des avions AWACS 6 ( * ) de l'OTAN conduit certaines nations, dont l'Allemagne, à envisager, du fait des coûts induits très élevés, de coupler cette opération avec la mise en place d'une plateforme pilotée pour l'AGS, qui pourrait être l'Airbus A 321.
Ces plateformes seront équipées du radar TCAR, dont l'étude de faisabilité est en cours. La question principale est celle de la capacité d'emport des drones. A ce stade, il est exclu que des drones de type MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) puissent être équipés du radar TCAR, dans sa définition actuelle, car son poids de 800 kg est trop élevé pour l'EuroMale.
L'utilisation croissante des drones va d'ailleurs poser un problème de respect des règles de gestion de l'espace aérien et de circulation aérienne. Le comité OTAN chargé de ces domaines étudie cette question, et le Commandement Suprême des Opérations de l'OTAN préconise de stationner les composantes AGS (drones et plateforme pilotée) au sud des Alpes pour des raisons de moindre encombrement de l'espace aérien.
Utilisations civiles des drones de surveillance : des capacités multiples, actuellement entravées par une réglementation restrictive de l'espace aérien L'insertion des drones, qu'ils soient civils ou militaires, dans la circulation aérienne nécessite que ces systèmes soient certifiés ou autorisés à voler et que des règles de circulation aérienne spécifiques soient définies du fait des difficultés qu'ils soulèvent en matière de risque de collision avec les autres aéronefs. La certification de navigabilité est une reconnaissance, par les autorités compétentes, que le système de drone est conforme aux exigences permettant d'assurer la sécurité des personnes et des biens au sol. La principale difficulté suscitée en la matière par les drones est qu'ils ne disposent pas encore d'équipement technique certifié permettant de remplacer l'oeil du pilote pour appliquer la règle « voir et éviter ». La formation et la qualification du pilote opérateur de drone doivent être également définies. Aujourd'hui, aucune réglementation sur la certification et sur la circulation aérienne des drones n'existe au niveau international. Seule, la convention de Chicago relative à l'aviation civile internationale prévoit, dans son article 8, que : « chaque Etat s'engage à ce que le vol de drone ne représente aucun danger pour les aéronefs civils. En France, une concertation a été entreprise entre la Direction Générale de l'Aviation Civile (DGAC) et la Défense sur ce point précis, avec une étude conjointe menée par la Direction de la Navigation aérienne et la DIRCAM sur la circulation aérienne des drones en temps de paix, entreprise en janvier 1999. L'objectif de ces travaux était de répondre aux questions d'ordre réglementaire et d'utilisation de l'espace aérien. Cette étude a souligné l'insuffisance des textes existants, trop succincts et trop généraux pour satisfaire à la couverture réglementaire du domaine de vol des drones. L'absence de réglementation aérienne pour les aéronefs sans pilote à bord, ainsi que l'inaptitude de ces systèmes à appliquer la règle « voir et éviter » exigent donc de les faire évoluer, dans l'état actuel de la réglementation, dans des espaces aériens exclusivement réservés à leur usage. Cela a été le cas en juin 2003, lors du sommet du G8 à Evian. L'insertion du drone « HUNTER » dans le dispositif aérien de Défense a contribué à la réussite de la mission de sûreté aérienne confiée à l'Armée de l'Air française et aux forces aériennes suisses, mais a été permise par la création d'une « bulle » aérienne sous contrôle exclusivement militaire. En décembre 2003, 2 zones réglementées ont été créées au profit des drones de la société SAGEM, à Montluçon-Guéret ; En juin 2004, la mise en place d'un dispositif particulier de sûreté aérienne avec le drone « HUNTER » destiné à garantir la protection des cérémonies organisées pour le 60ème anniversaire du débarquement et de la libération, face à une menace évoluant dans la troisième dimension a entraîné la création d'un dispositif de « bulle » déjà expérimenté lors du G 8 d'Evian. La multiplicité des missions que ces engins peuvent effectuer devraient permettre l'évolution d'une réglementation légitimement contraignante, mais que les autorités responsables de l'aviation civile ne semblent guère désireuses d'aménager. En effet, de nombreuses opérations de sécurité intérieure, comme la surveillance des frontières, des côtes et eaux territoriales, des sites sensibles à une attaque terroriste (centrales nucléaires, barrages et autres édifices d'importance), de réunions de hauts dirigeants, de contrôle de foules ou de maîtrise de la violence seraient considérablement facilitées et renforcées et facilitées par l'utilisation de drones de surveillance. De même, les opérations de sécurité civile, comme l'observation de l'évaluation de catastrophes naturelles, la mise en oeuvre de dispositifs d'alerte en matière de détection d'incendie, de contrôle de pollution ou de surveillance du trafic routier pourraient être considérablement renforcées par des drones d'observation. Il faut relever, cependant, que les autorités suédoises ont adopté, en novembre 2004, un texte fixant le cadre légal nécessaire à l'exploitation des drones militaires par la Suède, avec pour objectif leur intégration dans le système aéronautique global. Ce texte précise qu'un drone doit recevoir un certificat de navigabilité militaire standard, et que le personnel qui le met en oeuvre doit avoir des compétences équivalentes à celles des équipages d'avions pilotés. La France a déjà avancé dans ce cadre : les services compétents du Ministère de la Défense ont rédigé un projet de « code de navigabilité », qui a été communiqué à la DGAC et aux industriels de l'aéronautique, ainsi qu'à l'Agence européenne de la sécurité aérienne. Seule une concertation au niveau européen permettra de mettre en place une réglementation adaptée aux vols et à la prise en charge des dommages en cas d'incidents. Mais la priorité actuelle porte sur le recours aux drones militaires, qui ont vocation à être utilisés lors d'opération extérieures, hors du territoire national. |
Les estimations actuelles des coûts du programme AGS sont pour la conception de 780 M€, pour le développement et l'industrialisation de 2 033 M€ et pour l'acquisition, de 1 985 M€, soit environ 720 M€ pour la France pour l'ensemble du programme.
La France doit statuer prochainement sur sa participation aux phases suivantes. Dans l'hypothèse où elle déciderait de ne pas y participer, elle resterait membre observateur du comité directeur du programme, comme le Royaume-Uni 7 ( * ) , afin d'assurer l'interopérabilité de ses moyens avec ceux de l'OTAN.
L`AGS vise à l'acquisition d'une capacité de surveillance du sol équivalente à celle fournie par les AWACS. Le programme visait initialement à des actions d'identification et de reconnaissance, réalisées grâce à une technologie que les européens ne maîtrisaient pas, en l'occurrence l'avion américain de surveillance du champ de bataille J. Star. La volonté américaine de fermeture aux partenaires européens de cette capacité stratégique s'est assouplie durant la dernière décennie, et l'OTAN a identifié un besoin militaire de surveillance du sol auquel les entreprises européennes ont été invitées à répondre. C'est donc dans le cadre d'une coopération ouverte entre les 26 membres actuels de l'OTAN qu'ont été définis trois programmes simultanés : la réalisation du radar TCAR, l'achat d'avions pilotés pour se substituer, à terme, aux AWACS de l'Alliance, et la mise au point d'une version européenne du drone américain Global Hawk . Les avions pilotés devraient être des A 321, au nombre de cinq, adaptés à leurs nouvelles missions de surveillance et couplés à des stations de réception et d'interprétation des données au sol. Ces avions seraient utilisés en les maintenant en retrait (150 km) du théâtre d'opération, car leurs capacités d'observation sont de 200 km de profondeur. Ce retrait les mettrait à l'abri des ripostes sol-air de l'adversaire.
C'est essentiellement à la demande de l'Allemagne que sera mis au point l'EuroHawk, drone HALE dont la version américaine initiale Global Hawk possède une autonomie de 28 heures, avec une capacité de vol à 20.000 mètres d'altitude, et une charge utile de 1.200 kg.
L'ensemble de ces choix a été effectué au début de l'année 2004, à un moment où la France n'avait pas encore clairement défini les modalités optimales à retenir pour la surveillance du champ de bataille. Le ministère français de la défense a, en effet, rendu public le programme EuroMALE, destiné à remplir cet objectif, en juin 2004.
Mais, dans le même temps, la position spécifique française à l'égard de l'OTAN a sensiblement évolué après l'élargissement de 19 à 26 membres réalisé lors du sommet de Prague, en novembre 2002. Notre pays s'est, en effet, alors engagé dans la transformation de l'Organisation, et participe désormais à la Force de Réaction Rapide (NRF : Nato Response Force) constituée par l'Alliance, ce qui l'a conduit à s'intéresser à l'AGS, composante majeure de la NRF.
En effet, le besoin de surveillance du champ de bataille et l'émergence de nouvelles configurations géopolitiques est pleinement reconnu par la DGA, qui souhaite désormais participer au programme AGS s'il est révisé financièrement à la baisse . Dans sa définition actuelle, la phase de développement et l'acquisition des plateformes pilotées nécessitent un financement d'environ 5 milliards d'euros. La France souhaite voir réduire cette somme à 3 milliards d'euros, en cohérence avec la nécessité de diminuer le poids du radar TCAR, de 800 à 600 kg, et de porter parallèlement la charge utile de l'EuroHawk de 1.200 à 1.500 kg.
La position de notre pays est donc complexe : il souhaite se doter de modalités autonomes de recueil d'informations, qui constituent un élément prioritaire de son autonomie d'action et permettent la satisfaction d'un besoin stratégique, grâce au programme EuroMALE. Mais cette option n'est pas exclusive de l'intérêt indéniable présenté par le programme AGS, qui comprend des engins HALE, et consolide la coopération tant européenne que transatlantique à travers l'OTAN.
L'Allemagne constitue un partenaire majeur d'AGS, car elle veut se doter, en priorité, de drones HALE permettant d'effectuer des missions de reconnaissance à partir de son sol. Ce pays n'est pas fermé au principe d'EuroMALE, et a d'ailleurs manifesté son intérêt par une participation financière symbolique (10 millions d'euros). Mais sa priorité porte sur l'acquisition de drones HALE permettant une meilleure observation, optique et radar, du champ de bataille. Pour la France, la possibilité d'envoyer ses futurs drones de reconnaissance à partir de sites divers, notamment en Afrique, la conduit à donner la priorité aux drones MALE, qui fournissent une réelle autonomie stratégique, alors que l'EuroHawk dépend des Etats-Unis pour le radar et la plateforme, et sa mise en oeuvre logistique est d'ailleurs longue à effectuer.
* 6 La France et la Grande-Bretagne disposent de leur propre flotte d'AWACS
* 7 Qui poursuit son propre programme de surveillance du sol, qui devra être interopérable avec le système OTAN