EXAMEN DU RAPPORT PAR L'OBSERVATOIRE DE LA DECENTRALISATION
Au cours de sa réunion du 1 er février 2006, l'Observatoire de la décentralisation a procédé à l' examen du rapport d'information de M. Philippe Dallier relatif à l'intercommunalité à fiscalité propre .
Après avoir défini l'intercommunalité comme « faire ensemble, mieux et à moindre coût pour le contribuable, ce que chaque commune seule ne peut faire ou ferait moins bien et à un coût plus élevé », M. Philippe Dallier, rapporteur, a souligné l'actualité du sujet, alors que plusieurs rapports sur l'intercommunalité sont récemment parus.
Le rapporteur a déclaré qu'il lui semblait nécessaire de s'interroger sur les conséquences du développement de l'intercommunalité sur l'organisation territoriale du pays. Il a également souligné qu'il lui paraissait indispensable de remettre le citoyen au coeur de la révolution silencieuse provoquée par l'intercommunalité. Il serait en effet dommage, a-t-il estimé, que l'intercommunalité ne soit palpable, pour le citoyen, qu'au travers des taxes additionnelles figurant sur les feuilles des impôts locaux.
Après avoir rappelé les grandes étapes de l'intercommunalité depuis la Révolution jusqu'à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, M. Philippe Dallier, rapporteur, a fait savoir qu'au 1 er janvier 2005, plus de 52 millions de Français vivaient au sein d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, dont 39,4 dans un EPCI à taxe professionnelle unique (TPU). A cette date, on comptait 14 communautés urbaines, 162 communautés d'agglomération et 2 342 communautés de communes. Le rapporteur a fait remarquer que l'Ile-de-France est la région qui a connu et qui continue de connaître le taux de création le plus faible, notamment en raison de la difficulté à y définir des périmètres cohérents.
Au-delà du bilan chiffré, M. Philippe Dallier, rapporteur, a entendu dresser un bilan plus qualitatif de l'intercommunalité, au travers de plusieurs observations.
Sur les périmètres, le rapporteur a estimé que leur pertinence n'était pas toujours évidente. Après avoir cité l'exemple des EPCI purement « défensifs », en ce qu'ils visent à éviter à certaines communes de se trouver incorporées au sein d'un EPCI sans qu'elles l'aient véritablement souhaité, le rapporteur a relevé l'existence de périmètres exclusivement politiques, résultant d'une tendance au regroupement de villes qui partagent la même couleur politique. Le rapporteur a décrit les EPCI comme des lieux d'enjeu de pouvoir dont les citoyens sont exclus, puisqu'ils ne peuvent en élire les membres.
M. Philippe Dallier, rapporteur, a ensuite insisté sur le rôle du préfet, dont le pouvoir de contrainte peut être très important, et a évoqué l'aspect financier de l'intercommunalité, pour l'État comme pour les collectivités territoriales. Il a remarqué l'existence d'un effet d'aubaine, dans la mesure où ce sont souvent les incitations financières de l'État qui ont poussé au développement intercommunal, alors même parfois que la réflexion sur les compétences à transférer et sur l'intérêt communautaire n'était pas aboutie. Le rapporteur s'est inquiété des conséquences de la dernière réforme de la taxe professionnelle qui risque fort de limiter sérieusement les marges de manoeuvre des EPCI à TPU et de pousser à la mise en place d'une fiscalité mixte que le contribuable devra supporter, sans forcément la comprendre ; il s'est également inquiété de l'évolution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) intercommunale.
M. Philippe Dallier, rapporteur, a ensuite abordé la question de la nature de l'EPCI : s'ils ne sont pas aujourd'hui des collectivités territoriales à proprement parler, bien qu'ils en possèdent beaucoup d'attributs, les EPCI sont des lieux de pouvoir politique et fiscal. Ce ne sont en revanche pas des lieux de démocratie directe, puisque les représentants des communes-membres sont désignés par les conseils municipaux.
Le rapporteur a ensuite considéré le point de vue du citoyen en remarquant que la création des EPCI n'a fait que brouiller un peu plus les cartes dans un paysage institutionnel déjà très encombré. Le « mille-feuille » compte désormais six couches, avec la commune, la structure intercommunale, le département, la région, l'État et l'Europe, auxquelles on peut même éventuellement ajouter les pays, les quartiers et autres commissions locales. Le rapporteur a déclaré que cette situation empêchait le citoyen d'associer les compétences au bon échelon d'administration et d'identifier les décideurs, d'autant que les circonscriptions électorales ne coïncident pas toujours avec la collectivité qu'elles permettent de constituer et contribuent à aggraver ce sentiment d'illisibilité de nos institutions et cette impression de déficit démocratique. Le risque, au final, a estimé le rapporteur, est que les citoyens ne perçoivent plus l'intercommunalité que comme une raison supplémentaire de voir se développer une technostructure toujours plus complexe, envahissante et consommatrice d'impôts locaux.
S'agissant des élus, M. Philippe Dallier, rapporteur, a constaté qu'ils étaient nombreux à souhaiter une pause avant d'entamer une nouvelle étape si celle-ci s'avérait nécessaire pour conduire à son terme la décentralisation et aboutir à une organisation territoriale du pays qui permette à la fois d'optimiser la dépense publique et de rapprocher le plus possible les décisions du niveau adéquat.
A l'issue de ce bilan, le rapporteur a jugé utile de se demander si l'intercommunalité était un chaînon manquant, et si elle n'avait pas mis en évidence l'existence d'un échelon de trop dans l'organisation territoriale. Il s'est également demandé si l'émergence de l'intercommunalité était un aboutissement ou simplement une étape vers une évolution future. Il a déclaré que ce débat devait être tranché, et que, pour y répondre, il fallait d'abord procéder à une véritable évaluation financière permettant d'expliquer le bilan de l'intercommunalité en matière d'efficacité de la dépense publique, bilan jugé plutôt préoccupant par les spécialistes. Enfin, pour répondre de manière satisfaisante aux questions soulevées par la révolution intercommunale, il a souhaité procéder à cette étude financière qui mettrait en exergue une comparaison des budgets des communes et des EPCI avant et après 1999, une autre comparaison entre le coût d'un choix de compétences avant et après leur transfert et, pour finir, une analyse des budgets de fonctionnement des intercommunalités et plus particulièrement des communautés d'agglomération et des communautés de communes à TPU.
M. Joël Bourdin a commenté les conclusions du rapporteur en soulignant que l'intercommunalité était un sujet fondamental qui concernait l'ensemble des acteurs locaux. Il a estimé nécessaire de faire, sur quelques domaines habilement choisis, une véritable évaluation car, malgré tout l'intérêt du rapport de la Cour des Comptes, celui-ci n'offre pas une évaluation. Il a ainsi proposé de mener une réflexion sur trois sujets : la pertinence du périmètre des structures intercommunales, la faiblesse de l'intercommunalité à TPU, en panne en raison notamment du plafonnement des bases et de l'extrême complexité de la liaison des taux, et enfin, la question de l'évaluation des charges, mise en évidence par le dernier rapport de la Cour des comptes. Il a regretté à ce propos que les communes aient sous-évalué le coût des compétences transférées afin de gonfler leur attribution de compensation.
M. Michel Mercier , après avoir félicité le rapporteur pour avoir su cerner les difficultés que rencontre aujourd'hui l'intercommunalité, a insisté sur plusieurs problèmes qui selon lui se posent avec beaucoup d'acuité : la question du financement de l'intercommunalité, le déficit démocratique provenant de l'absence d'élection au suffrage direct de conseillers communautaires pourtant appelés à voter une partie de la taxe d'habitation, et la définition de la notion d'intérêt communautaire. A propos des difficultés rencontrées par les EPCI pour leur financement, il a estimé qu'il n'était ni normal ni satisfaisant que le recours à la fiscalité mixte se développe. Il a estimé qu'une démarche évaluative pouvait être le point de départ vers des propositions concrètes, car il n'était pas normal qu'il y ait eu transfert de compétences sans baisse de l'impôt levé par l'échelon qui transfère.
M. Philippe Darniche a pour sa part estimé que l'intercommunalité était arrivée à un stade de développement qui permettait un bilan critique. Après avoir fait part de son expérience en Vendée, il a constaté que l'intercommunalité coûtait cher. Partant du constat que 60 % des dépenses de certaines communautés urbaines étaient des dépenses de fonctionnement, il a estimé qu'il y avait une déperdition énorme pour le financement de projets. M. Philippe Darniche a appelé de ses voeux une intercommunalité plus équilibrée, qui respecte la commune et conduise à des résultats économiques positifs. S'il faut selon lui repousser la tentation de l'élection au suffrage universel direct des élus communautaires, il lui paraît en revanche nécessaire d'oser un vrai bilan de l'intercommunalité, bilan qui pourrait éventuellement se traduire par une loi de correction, car, à ses yeux, la loi de 1999 est déjà dépassée. Il n'a pas exclu qu'à terme, il faille contraindre toutes les communes à appartenir à un EPCI à fiscalité propre et il a considéré que si tel était le cas, le conseil général pourrait ne plus être composé d'élus des cantons, mais de présidents d'EPCI.
M. Michel Mercier a fait remarquer à ce propos que le département n'avait pas les mêmes compétences que les EPCI.
En réponse aux interventions de ses collègues, M. Philippe Dallier, rapporteur , a observé que le débat de l'élection au suffrage universel direct était prématuré et qu'il convenait d'abord d'achever la réforme de l'organisation territoriale ; il a poursuivi en soulignant que la priorité était de faire une évaluation précise de l'organisation actuelle, basée sur des expériences de terrain, et éventuellement de chercher comment régler les problèmes qui se posent en termes d'efficacité. Il a ajouté qu'il souhaitait intégrer un exemple en Ile-de-France.
M. Joël Bourdin a considéré qu'il était trop tôt pour évoquer la question du suffrage universel direct et a souhaité que l'on poursuive cette étude dans une perspective économique et financière.
M. Michel Mercier a approuvé cette orientation tout en regrettant qu'en l'état actuel des choses, l'intercommunalité se contente d'augmenter les impôts-ménages.
M. Philippe Darniche a rappelé le cas trop fréquent des petites communautés de communes qui ont embrassé des compétences trop ambitieuses et ne peuvent plus les assumer aujourd'hui.
M. Jean Puech, président , a retenu l'idée d'une évaluation, qui pourrait notamment porter sur les questions du financement -en particulier sur la TPU-, des transferts de compétence, de l'efficacité des dépenses et de la rationalisation de l'organisation territoriale.
A l'issue de cette présentation, l'Observatoire de la décentralisation a adopté les conclusions du rapporteur et a décidé de les publier sous forme d'un rapport d'information . L'Observatoire a en outre décidé, après ce premier rapport d'étape, de poursuivre une nouvelle étude de l'intercommunalité pour en dresser le bilan coût/avantage .