N° 193
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006
Annexe au procès-verbal de la séance du 1 er février 2006 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de l'Observatoire de la décentralisation (1) sur l' intercommunalité à fiscalité propre .
Par M. Philippe DALLIER,
Sénateur.
(1) Cet observatoire est composé de : M. Jean Puech, Président ; MM. Philippe Darniche, Gérard Delfau, Roger Karoutchi, Michel Mercier, Vice-Présidents ; MM. Jean Arthuis, Joël Bourdin, François-Noël Buffet, Jean-Patrick Courtois, Philippe Dallier, Éric Doligé, Jean François-Poncet, Pierre Hérisson, Dominique Mortemousque, Henri de Raincourt, Bernard Saugey.
Collectivités territoriales. |
INTRODUCTION
Face à l'émiettement communal que constitue l'ensemble hétérogène de ses 36.700 communes, la France, prenant acte de l'échec des politiques incitatives ou autoritaires de fusion, a fait le choix du pragmatisme, en optant de manière progressive pour le regroupement intercommunal. Ce choix d'une intercommunalité rationalisée dite de projet et à fiscalité propre, d'abord lentement et prudemment élaboré, avait pour lui de sembler découler naturellement de la tradition intercommunale française déjà plus que séculaire, qui fut établie par les syndicats de communes nés dans les débuts de la IIIème République. Mais c'était faire comme s'il s'agissait d'un changement de degré alors qu'il s'agissait d'un changement de nature.
La révolution silencieuse de l'intercommunalité de projet n'a donc pas inquiété dans un premier temps, mais aujourd'hui on prend conscience que pour être silencieuse, cette mutation n'en est pas moins profonde et révolutionnaire au plein sens du terme : l'intercommunalité qui, jusqu'à présent, procédait des communes et leur était subordonnée, apparaît désormais de plus en plus comme une supra-communalité qui, au mieux, aide et stimule les communes mais le plus souvent se substitue totalement à elles pour l'essentiel des actions nécessaires à l'organisation de la vie en société. L'intercommunalité de projet s'émancipe progressivement des liens qui la rattachent aux communes.
Ce renversement qui semble évident aujourd'hui provoque naturellement interrogation et inquiétude et il justifie le débat qui s'est ouvert sur l'efficacité de l'intercommunalité depuis la parution du rapport de la Cour des comptes et celle du livre de MM. Beaudouin et Pemezec, députés.
L'intercommunalité de projet (à fiscalité propre par opposition à l'intercommunalité syndicale limitée à un ou plusieurs objets et fonctionnant avec les contributions de ses membres) réunit maintenant 88 % des communes et 84 % de la population nationale au sein de 2.525 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il n'est donc plus possible d'ignorer ce phénomène, ni de sous-estimer sa place dans notre organisation territoriale. L'EPCI à fiscalité propre a pris place aujourd'hui dans le débat local et il apparaît comme un lieu de pouvoir. Sans être pour autant une collectivité territoriale, il participe au grand mouvement de mutation de l'administration territoriale, portée depuis 1982 par la décentralisation.
Pourtant, si cette nouvelle réalité du pouvoir intercommunal ne s'est pas complètement traduite dans le droit (les communautés restent des établissements publics), elle est très sensible quoique très variable dans les faits, ce qui rend difficile tout jugement global et définitif sur l'intercommunalité. On peut constater toutefois, d'une manière générale, que très souvent le pouvoir est passé de l'échelon communal à l'échelon intercommunal, mais que toutes les conséquences n'en ont pas encore été tirées. N'assigne-t-on pas sans le dire à l'intercommunalité le rôle de correcteur de la carte communale tout en conservant aux communes un semblant de prérogatives ? L'attachement des élus et des citoyens à la commune en tant que matrice de la vie collective et fondement de la vie démocratique a empêché jusqu'à ce jour la traduction de la réalité du pouvoir intercommunal dans le droit positif. C'est pourquoi juger de la question de savoir si l'intercommunalité après la loi de 1999 a rempli son but et faire un premier bilan de son efficacité reste périlleux tant les situations de fait sont diverses et tant seront graves les conclusions pour l'avenir de la commune comme pour celui du département.
Votre rapporteur craint que ce ne soit au travers de leurs feuilles d'impôts, avec la création des fameuses taxes additionnelles que les citoyens ne prennent conscience des réalités, c'est-à-dire, par le plus mauvais côté des choses qui pourrait tout simplement les conduire à rejeter l'idée même d'intercommunalité.
Aussi lui apparaît-il que si l'intercommunalité à fiscalité propre peut se targuer aujourd'hui d'appréciables résultats en termes quantitatifs (I) , cette révolution intercommunale semble offrir à ce jour un bilan plus incertain du point de vue de la rationalisation de l'organisation territoriale française (II) et un bilan préoccupant du point de vue de l'efficacité de la dépense publique (III).
*
* *