4. Quelques interrogations inhérentes au dispositif
Un statut de la victime encore trop flou
La composition pénale n'omet pas la victime.
La loi prévoit en effet que la réparation du préjudice est indissociable des mesures de composition pénale. Elle impose au parquet l'obligation de proposer à l'auteur des faits de réparer les dommages causés à la victime lorsque celle-ci est identifiée, la réparation devant intervenir dans un délai maximum de six mois. La mesure de réparation prend le plus souvent la forme d'un versement d'une somme d'argent 55 ( * ) . A l'instar du taux d'exécution des sanctions et pour des raisons analogues à celles évoquées précédemment, le taux de réparation -entre 80 et 90 %- se situe à des niveaux très satisfaisants dans toutes les juridictions.
Au surplus, depuis la loi du 9 mars 2004, les victimes peuvent demander le recouvrement des dommages et intérêts que l'auteur des faits s'est engagé à leur verser suivant la procédure d'injonction de payer.
En outre, la victime qui estime n'avoir pas été indemnisée convenablement peut saisir le tribunal correctionnel qui statue uniquement sur les intérêts civils 56 ( * ) . Cette faculté est rarement mise en oeuvre en pratique. La victime est également toujours avisée de la validation ou non de la mesure proposée par le délégué.
Enfin, la victime peut à tout moment faire échec à la composition pénale envisagée par le parquet en prenant l'initiative d'engager des poursuites par voie de citation directe ou en se constituant partie civile devant le juge d'instruction.
En dépit de ces garanties, certains parquets estiment que la place des victimes n'est pas suffisamment prise en compte dans le déroulement de la procédure.
D'une part, les modalités de la présence de la victime au cours des différentes étapes du processus ne sont pas définies. Celle-ci n'est en principe pas partie prenante à la procédure. Or, son audition ou sa confrontation avec l'auteur des faits -qui n'est pas expressément prévue par la procédure- pourrait utilement contribuer à une réparation symbolique du trouble causé. Au surplus, les conditions dans lesquelles la victime est informée du sort réservé à l'auteur des faits ne sont pas précisées et dépendent bien souvent de la diligence de l'enquêteur 57 ( * ) .
D'autre part, l'évaluation de la réparation elle-même constitue un exercice difficile notamment lorsque la victime demande une réparation d'un montant trop élevé. Comme l'a souligné M. Jean-Luc Domenech, directeur de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM), il ne peut s'agir en pratique que d'un dédommagement limité dont le montant doit rester « raisonnable » 58 ( * ) : il ne doit pas dépasser l'équivalent d'une provision. Les conditions dans lesquelles la réparation de la partie civile est décidée ne sont pas précisées. Comme l'ont souligné les magistrats du siège du TGI de Reims, il existe un risque de marchandage entre l'auteur des faits et la victime, avant que la composition pénale ait lieu, susceptible d'en biaiser l'issue.
Face à ces difficultés, les pratiques divergent fortement selon les tribunaux.
Certaines juridictions (Nantes ou Bourg-en Bresse) préconisent un dialogue entre l'auteur des faits et la victime en invitant systématiquement celle-ci à participer à l'entretien de composition pénale. A Ajaccio, la victime peut même être reçue à plusieurs reprises par le délégué du procureur (en particulier en amont de la procédure pour l'évaluation des dommages et intérêts puis lors de l'entretien de composition pénale lui-même).
D'autres parquets tendent à encadrer l'application de la composition pénale aux victimes, voire à l'exclure (Lyon ou Ajaccio par exemple). Ainsi, à Reims, les dossiers avec victimes peuvent être soumis à la composition pénale, à condition que le préjudice ne dépasse pas un plafond prédéterminé. A Laval, dès que la victime a subi un préjudice, la composition pénale est exclue, le parquet considérant qu'il n'entre pas dans sa vocation d'évaluer le montant de la réparation. A Nîmes ou à Toulon, la composition pénale est principalement limitée aux dossiers comportant des victimes institutionnelles (collectivité locale, grands magasins) pour lesquelles la question du préjudice paraît plus matérielle que morale.
La mission préconise une clarification du statut de la victime afin de permettre aux juridictions de développer la composition pénale dans des affaires avec victimes, conformément au souhait initial du législateur. Les modalités de sa présence dans la procédure, ses relations avec le mis en cause et les règles de réparation pourraient utilement être précisées.
Un intérêt encore modeste des avocats pour la composition pénale
Bien que les barreaux aient été majoritairement associés à la mise en oeuvre de la composition pénale, la défense ne semble pas encore y avoir trouvé sa place . Sauf quelques rares exceptions comme Toulon où l'avocat de permanence assiste systématiquement le mis en cause, ce professionnel est peu présent dans cette procédure 59 ( * ) . Toutefois quelques juridictions 60 ( * ) relèvent une présence en augmentation.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
D'une part, les représentants des avocats entendus par la mission considèrent que la procédure ne garantit pas suffisamment l'information effective du mis en cause du droit à l'assistance d'un avocat. Le moment de cette information n'est pas précisé. Les pratiques sont donc très variées selon les ressorts. Ce droit est notifié tantôt par courrier dans la lettre de convocation à l'entretien de composition pénale tantôt oralement au stade de l'enquête ou alors, vraiment tardivement, au stade de l'entretien.
D'autre part, estimant que l'avocat ne plaide pas en composition pénale mais se contente d'apporter des précisions sur la procédure, d'autres membres de cette profession jugent leur rôle trop limité et avouent un certain désintérêt pour les procédures simplifiées.
Pourtant, certains avocats, notamment le syndicat des avocats de France et l'association des avocats pénalistes, militent pour une présence systématique, jugeant lacunaire l'information du mis en cause souvent dans l'incapacité d'apprécier réellement l'intérêt d'accepter la composition pénale.
Sans préconiser une présence obligatoire de l'avocat qui pourrait se révéler trop lourde compte tenu de la simplicité de certaines affaires, la mission souhaite une meilleure garantie des droits de la défense et ce d'autant que le champ d'application de cette procédure s'est élargi et que son utilisation se banalise. En ce sens, une clarification des conditions dans lesquelles l'information du droit à l'assistance d'un avocat est donnée paraît souhaitable. Il serait en outre particulièrement opportun que la défense puisse avoir accès à la procédure avant l'entretien de composition pénale 61 ( * ) .
La persistance de fortes disparités dans l'application de la composition pénale
Malgré les efforts récents du législateur pour rendre cette procédure plus attractive auprès des parquets, l'application de la composition pénale reste marquée par de fortes disparités.
Certains ressorts comme celui de la cour d'appel de Poitiers 62 ( * ) s'illustrent par l'impulsion très forte donnée à cet instrument.
Cette situation est loin d'être générale :
- plusieurs tribunaux de grande instance -Blois, Caen, Castres ou encore Quimper- ne l'ont toujours pas mise en oeuvre ; faute de données actualisées par le ministère de la justice, la mission n'a pu recenser leur nombre exact ;
- certains parquets n'envisagent pas de développer cet instrument. Ainsi, le parquet de Bobigny, du fait de l'instauration d'autres modes de réponse pénale, voit dans la composition pénale une procédure « en perte de vitesse » ;
- d'autres parquets comme ceux de Nanterre 63 ( * ) ou de Lyon, la jugeant trop complexe, ne souhaitent pas l'utiliser activement.
Force est de reconnaître que, dans certains cas particuliers, cette procédure atteint ses limites. Ainsi, à Cayenne, un ancien procureur de la République de ce tribunal, Mme Anne Kayanakis, a indiqué à la mission que le contexte local avait conduit à l'écarter. Elle a expliqué que la composition pénale qui implique à la fois le dialogue et l'adhésion de l'intéressé apparaissait complexe à mettre en oeuvre compte tenu du profil des délinquants (analphabètes et non francophones).
Toutefois, dans le souci de garantir l'égalité des citoyens devant la justice, la mission recommande que le ministère de la justice invite les juridictions qui appliquent timidement ou pas du tout la composition pénale à utiliser l'instrument mis à leur disposition et, au besoin, saisisse l'inspection générale des services judiciaires en cas de difficultés persistantes.
Les efforts de concertation entre les magistrats et de réorganisation du travail entre les acteurs participant au fonctionnement de la justice menés par de nombreux tribunaux démontrent que l'objectif souhaité par le législateur peut être atteint si la volonté et l'esprit d'initiative existent.
* 55 Il peut par exemple également s'agir d'une lettre d'excuses.
* 56 Art. 41-2, alinéa 22 du code de procédure pénale.
* 57 La victime n'est en effet informée par le procureur de la République que de la proposition de réparation soumise à l'auteur de l'infraction(art. 41-2, alinéa 15).
* 58 Selon le terme de la directive générale de mise en oeuvre de la procédure de composition pénale diffusée par le parquet de Bourg-en-Bresse.
* 59 Le taux de présence se situe à un étiage assez bas. Il est souvent inférieur à 5 % des affaires, mais peut parfois atteindre 15 % (à Nantes par exemple).
* 60 Nantes et Nîmes par exemple.
* 61 Même si la mission est consciente des difficultés matérielles auxquelles sont confrontés les juridictions et plus encore les délégués du procureur (absence de photocopieuse...).
* 62 La composition pénale a connu un développement important dans ce ressort au point de représenter 14 % de l'ensemble des compositions pénales mises en oeuvre en 2003.
* 63 A Nanterre, le nombre de compositions pénales s'est élevé en 2004 à 84 alors qu'une plus petite juridiction comme Toulon en a ordonné 365.