B. « L'ACCÈS À LA RESSOURCE », PRÉAMBULE AUX ACCORDS DE NOUMÉA DE 1998 : LES ACCORDS DE BERCY DU 1ER FÉVRIER 1998
1. Le « préalable minier »
a) Les objectifs des Accords de Bercy
Les Accords de Bercy sont constitués du Protocole d'Accord signé le 1 er février 1998 régissant les conditions et le processus d'échange des massifs de Poum et de Koniambo, jusqu'à cette date détenus respectivement par la SMSP (Société Minière du Sud Pacifique) et Eramet, et de son avenant en date du 4 juin 1998.
Les signataires du Protocole sont la SMSP, Eramet et sa filiale la Société Le Nickel (SLN), l'Etat, représenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le secrétaire d'Etat à l'industrie et le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, et le Territoire, en présence de la Caisse Française de Développement (CFD).
Dans son préambule, le Protocole rappelle les souhaits du gouvernement (alinéas 4 à 6 du préambule de l'accord) :
« que la SMSP soit placée en situation d'assurer l'approvisionnement minier d'une usine pyro-métallurgique dans le Nord dans l'hypothèse où la décision irrévocable de réaliser un tel investissement industriel est prise avant le 1 er janvier 2006 ;
« que SLN, filiale d'Eramet, conserve une ressource minière suffisante pour pérenniser et développer sur le moyen-long terme l'usine de Doniambo et que soient préservés au même horizon les emplois directs et indirects attachés ;
« que, dans tous les cas de figure, l'allocation des ressources néo-calédoniennes en minerais garniéritiques et latéritiques soit orientée dans un sens privilégiant la création de valeur ajoutée sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie à l'horizon le plus rapproché possible ».
Ce préambule permet donc, avant toute construction juridique, de poser les intérêts de chacune des parties en des termes clairs, et donne un sens à l'ensemble de l'Accord.
L'objectif de l'Accord de Bercy est donc la construction d'une usine dans le Nord dans un délai raisonnable. Un ultimatum est d'ailleurs fixé pour la décision irrévocable de construction de l'usine, à savoir le 1 er janvier 2006.
b) Le consentement d'Eramet
Fin 1997, les conseils d'administration de la SMSP et d'Eramet ont approuvé les principes de l'échange des gisements, pour autant, en ce qui concerne Eramet, que les contrats établis remplissent les conditions suivantes ( alinéas 11 à 15 du préambule de l'Accord ) :
« 1 / L'indemnisation d'Eramet/SLN couvre la totalité de la perte de cash-flow et de toutes les pertes directes ou indirectes qui résulteront pour elles de cet échange ;
« 2 / La cession du massif de Koniambo à la SMSP n'interviendra que si la construction de l'Usine du Nord est décidée formellement et engagée irrévocablement dans des délais raisonnablement courts ;
« 3/ La société chargée de la construction et de l'exploitation de l'Usine du Nord sera durablement détenue et contrôlée majoritairement, directement ou indirectement, par des collectivités publiques calédoniennes ;
« 4/ Le minerai extrait du massif de Koniambo sera utilisé exclusivement pour un traitement en Nouvelle-Calédonie ;
« 5/ SLN recevra pour l'avenir, de l'Etat et du Territoire, chacun pour ce qui le concerne, toutes les assurances nécessaires quant à la pérennité des autres éléments de son domaine minier en Nouvelle-Calédonie ».
Ce consentement d'Eramet, actionnaire majoritaire de la SLN, a été obtenu suite à de longues négociations, et il a fallu préciser dans le texte du protocole l'ensemble des dispositions permettant à la société de préserver ses intérêts. Le prix en a été une structure juridique retenue extrêmement lourde et détaillée, avec un échéancier précis . En l'état actuel, il faut retenir que, signataire de l'Accord, qui a la nature d'un contrat de droit privé, la SLN a toute latitude pour, le cas échéant, préserver ses intérêts si la société venait à estimer qu'ils n'avaient pas été suffisamment pris en compte, par le biais d'un recours en justice .
2. Les dispositions du protocole de Bercy
L'article premier du protocole rappelle son objet : définir et mettre en place le schéma contractuel et les structures juridiques destinés à réaliser le transfert irrémédiable à la SMSP de la propriété des droits miniers du massif du Koniambo, et symétriquement à la SLN des droits miniers du massif de Poum, pour autant que la construction de l'Usine du Nord soit décidée de manière irrévocable au plus tard le 1 er janvier 2006 dans les termes convenus de la condition suspensive prévue à l'article 8.1 du Protocole.
Aux termes du protocole, l'échange des massifs miniers de Poum et de Koniambo pour la réalisation du projet de construction de l'Usine du Nord se fera par l'intermédiaire d'une structure ad hoc, « l'Entité », définie à l'article 3-1, qui les détient provisoirement.
L'Entité est une structure provisoire présidée et administrée depuis Jersey, dont la CFP (devenue l'AFD) détient 99 % du capital, chargée de créer et gérer les deux filiales détenant les titres miniers de Poum et de Koniambo (SAS Poum et SAS Koniambo). La SMSP a ainsi cédé à la SAS Poum les titres miniers qu'elle détenait sur le massif de Poum et la SLN à la SAS Koniambo les titres miniers qu'elle détenait sur le massif du Koniambo .
L'Entité doit conserver les actions de ces deux SAS au plus tard jusqu'au 1 er janvier 2006 en vue de procéder à leur cession dans les conditions prévues dans le Protocole. Entre autres responsabilités, le président de l'Entité doit exécuter le Protocole dans toutes ses dispositions et peut s'entourer des services de conseils et d'experts à cette fin.
Selon l'article 7 , le projet de l'Usine du Nord doit être réalisé par la SMSP dans le cadre d'un partenariat industriel avec un opérateur métallurgiste, en l'occurrence Falconbridge, où il est prévu que les études de pré-faisabilité et de faisabilité soient menées en étroite coopération entre les deux partenaires, conformément aux usages en vigueur pour ce type d'investissement industriel .
Jusqu'à la date du 1 er janvier 2006, date à laquelle devra être réalisée la condition suspensive, des réunions se tiennent au mois de janvier de chaque année entre l'Entité et la SMSP. A l'occasion de ces réunions annuelles, un état de l'avancement de l'ensemble des travaux, études, recherches, prospections nécessaires à la prise de décision de construire l'usine du Nord est établi et la SMSP doit confirmer à l'issue de chacune de ces réunions sa volonté de réaliser la condition suspensive ou faire part de l'impossibilité de respecter cette échéance . A l'issue de ces réunions, un avis rendant compte du déroulement réel du processus, par référence notamment à son déroulement normal, est co-signé par l'Entité et la SMSP, ou à défaut par l'Entité seule, puis publié par la SMSP.
L'article 8.1 du Protocole régit la vente des actifs miniers en précisant que « l'Entité aura l'obligation de céder les actions de la SAS Koniambo à la SMSP et les actions de la SAS Poum à SLN dès réalisation de la condition suspensive consistant en la justification à l'Entité de commandes fermes d'équipements, matériels et prestations (fournitures, service, maîtrise d'oeuvre, ingénierie, etc, ...) destinés à la seule réalisation de l'Usine du Nord à l'exclusion des dépenses engagées au titre des études de pré-faisabilité et de faisabilité, pour un montant au moins égal à 100 millions USD, au vu du résultat positif de l'étude de faisabilité technique ». La condition suspensive est réputée non réalisée si la SMSP a renoncé à sa réalisation ou si, au 1 er janvier 2006, elle n'est toujours pas réalisée . En cas de non réalisation de la condition suspensive, l'Entité cédera sans qu'aucune des parties ne puisse s'y opposer les actions de la SAS Koniambo à SLN et les actions de la SAS Poum à la SMSP.
Dans l'article 11 , la SMSP et SLN s'engagent, si elles ne traitent pas elles-mêmes les minerais latéritiques des massifs dont elles sont ultimement propriétaires , chacune pour ce qui la concerne, à les céder pour l'approvisionnement minier de toute usine hydro-métallurgique qui serait construite dans le Nord du Territoire.
Selon l'article 12 , l'Etat, dans le cadre de ses compétences, s'est engagé à garantir le versement de l'indemnité qui serait due à Eramet/SLN et a garanti Eramet/SLN contre les effets pour elles de toute remise en cause des structures juridiques . En outre, il garantit que, sauf autre dévolution des ressources expressément convenues d'un commun accord par la SMSP et SLN, le minerai extrait des massifs de Koniambo et Poum (sous réserve du périmètre restant exploité par la SMSP) sera utilisé exclusivement pour un traitement en Nouvelle-Calédonie.
De son côté, le Territoire s'engage à agir en toutes circonstances, dans le cadre de ses compétences, pour garantir le respect de tels engagements.
Les articles 14 et 15 prévoient que jusqu'à la date de mise en service industrielle de l'Usine du Nord :
- la SMSP restera majoritairement détenue, en capital et en droits de vote, directement ou indirectement, par la Province Nord , et/ou toute autre Province de Nouvelle-Calédonie, et/ou le Territoire ;
- la SMSP et la SLN ne pourront céder ou transférer les droits miniers ainsi que le bénéfice du Protocole, sauf à l'une de leurs filiales détenue majoritairement.
L'article 16 relatif à l'adhésion du partenaire industriel de la SMSP a été mis en oeuvre après constatation par la CFD, au nom des parties, de l'adhésion ferme et définitive de Falconbridge aux termes du Protocole, par un accord tripartite en date du 23 avril 1998 entre Falconbridge, SOFINOR et la SMSP, modifié le 13 octobre 1998 et approuvé par la Province du Nord .
Le Protocole est soumis à la loi française et tout différend sera soumis au règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, sauf en ce qui concerne l'Etat.
Une série d'annexes précise les statuts de l'Entité et des SAS, le rôle et les pouvoirs du Président de l'Entité, le cadre des accès aux informations et aux massifs dans la période précédant leur échange définitif et les mécanismes de cession des actions des SAS.
L'annexe IV, intitulée « Les grandes étapes du projet de l'Usine du Nord », rapporte les grandes lignes des travaux à entreprendre pour aboutir à une étude de faisabilité conforme aux règles de l'art, pour la création d'une usine de traitement de ferro-nickel : étude préliminaire, étude de préfaisabilité et étude de faisabilité, fondée sur une évaluation des coûts d'investissement et de fonctionnement, décrivant la démarche préconisée en matière d'environnement, le projet minier et ses équipements, l'usine, la centrale électrique, etc.. ; elle comprend par ailleurs une étude de marché, une analyse financière, un plan de financement et un calendrier relatif au programme de mise en oeuvre du projet.
Le contrat d'accord tripartite du 23 avril 1998 entre Falconbridge , SOFINOR et la SMSP détaille plus amplement les différentes étapes du déroulement du projet et les engagements des parties à ce titre, jusqu'à la mise en service industrielle de l'usine.
Ainsi, dans l'esprit des signataires de l'accord de Bercy, la structure juridique retenue possède toutes les caractéristiques devant permettre la création de l'usine du Nord. En effet, au 1 er janvier 2006, l'Entité doit constater l'état d'avancement du dossier. Deux cas sont alors possibles :
- ou bien la SMSP et son partenaire industriel ont rempli toutes les conditions qui permettent de lever la « clause suspensive » et, dans ce cas, l'échange de massif est immédiat : l'Entité cède le massif de Koniambo à la SMSP, et le massif de Poum à la SLN ;
- ou bien les conditions de la clause suspensive ne sont pas remplies , et, dans ce cas, les propriétés reviennent à leur propriétaire d'origine : le massif de Koniambo à la SLN, le massif de Poum à la SMSP.
Dans ce dernier cas, Eramet devra rembourser en partie la soulte qui lui a été versée par l'Etat afin de compenser la très grande différence entre les deux massifs. Cette soulte s'élevait en 1998 à un milliard de francs, soit environ 150 millions d'euros.
Toutefois, même dans le cas où l'échange de massifs est effectif, l'Accord n'est pas totalement réalisé puisque l'objectif est bien la réalisation de l'usine et non seulement le transfert des titres miniers du Koniambo de SLN vers la SMSP .