EXAMEN en commission
Réunie le mercredi 5 octobre 2005, sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général , sur les perspectives d'évolution du marché immobilier et son contexte macroéconomique.
Procédant à l'aide d'une vidéoprojection, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué qu'il avait commandé, au printemps 2005, avec l'appui du service des études économiques et de la prospective du Sénat, une étude à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sur l'existence d'une « bulle » immobilière en France et visant à analyser les causes et conséquences macro-économiques d'un retournement du marché immobilier. Il avait, par ailleurs, sollicité sur le même sujet trois banques (Crédit Agricole, Exane-BNP Paribas, Barclay's Bank), l'institut économique REXECODE, ainsi que la Banque de France. Il a souhaité mettre en perspective ces travaux, soulignant au préalable que le marché immobilier présentait un caractère cyclique. Il a observé qu'à partir de ce constat, il s'agissait de définir les points de retournements avec des capacités d'anticipation suffisantes, les scenarios pouvant prévoir des retournements plus ou moins brutaux, et plus ou moins pénalisants sur le plan économique. Il a concentré son analyse sur le marché du logement, celui de l'immobilier de bureau n'ayant pas connu sur la période récente de hausse significative.
Il a montré que le cycle immobilier en France oscillait, en ce qui concernait l'immobilier résidentiel, autour d'une tendance de long terme de 1,4 % l'an et que le cycle avait connu précédemment un point haut en 1991 et un point bas en 1997-1998. Il a rappelé que le retournement du marché en 1991 avait été lié à l'insolvabilité d'un nombre important d'agents économiques, fortement endettés auprès du système bancaire, mouvement amplifié par une baisse du taux de croissance du PIB.
S'interrogeant sur l'existence d'une « bulle » en 2005, il a évoqué les conclusions de l'étude de l'OFCE, comme celles de la quasi-totalité des organismes ayant étudié le marché immobilier, réfutant qu'un tel phénomène existe aujourd'hui. Il a fait valoir, au cours de ces dernières années, l'importance des facteurs conjoncturels d'augmentation de la demande pour expliquer la hausse des prix, parmi lesquels une population croissant plus vite sur la période récente, une augmentation du nombre de ménages rapporté à la population, une baisse des taux d'intérêt (moins trois points depuis 1997), un allongement de la durée des prêts, et enfin la mise en place d'avantages fiscaux pour l'investissement locatif. II a souligné que, malgré la hausse des prix, le rendement relatif global de l'immobilier s'était maintenu, du moins jusqu'à une période récente.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a jugé qu'un retournement de tendance était désormais imminent, expliquant que les politiques visant à solvabiliser la demande avaient atteint leurs limites et que les accroître présentait un danger. Il a fait remarquer que la solvabilité des ménages s'était fortement dégradée au cours des derniers mois, la dette des ménages représentant en 2004 le niveau record de 60,3 % du revenu disponible brut. Il a fait observer que le ratio de solvabilité, défini comme l'annuité d'un remboursement de crédit logement pour un nouvel accédant rapportée au revenu moyen, avec une hypothèse de surface standard et un apport personnel de 30 %, avait atteint, en 2004, 30 % du revenu moyen, ce qui était très élevé. Il a montré, en parallèle, que les mises en chantier de nouveaux logements avaient atteint, en 2005, leur point le plus haut depuis vingt-cinq ans. Il a indiqué que les facteurs de hausse de la demande avaient, par ailleurs, tendance à s'essouffler, notant à partir d'une étude de l'INSEE relative à l'impact du vieillissement de la population sur la demande potentielle de logements, que l'évolution du nombre de ménages, et donc de la demande potentielle de constructions neuves, allait connaître une inflexion sur la période 2005-2010.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a ensuite évoqué la probabilité d'une baisse des prix de l'immobilier résidentiel, montrant que, selon une étude du FMI portant sur les pays de l'OCDE dans la période 1970-2002, les fortes augmentations des prix avaient été suivies de fortes diminutions des prix, dans environ 40 % des cas. Il a indiqué que, s'il n'était pas impossible que l'augmentation actuelle des prix de l'immobilier soit suivie d'une stabilisation, il y avait près d'une chance sur deux qu'elle soit immédiatement suivie d'une baisse. Il a jugé que le déclencheur du retournement de tendance serait la capacité d'acquisition des ménages, liée au prix du marché et aux conditions de financement. Il a noté que, si les ménages avaient encore, en 2003, plus intérêt à acheter un logement qu'en 1991, cela n'était sans doute plus le cas en 2005. Retraçant l'évolution des transactions et des prix moyens au mètre carré à Paris depuis 1985, il a fait état, entre 1990 et 1991, d'une période durant laquelle les prix s'étaient maintenus à un niveau très élevé, tandis que le nombre des transactions s'était effondré. Il a souligné le lien entre la forte progression du nombre de redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune et la phase haussière qu'avait connue le marché immobilier, notamment parisien.
M. Philippe Marini, rapporteur général , s'est enfin interrogé sur l'impact économique d'une éventuelle baisse des prix de l'immobilier. Il s'est voulu rassurant, notant une plus faible exposition des banques au risque immobilier qu'en 1991, en raison d'une amélioration des dispositifs de garantie et de mutualisation des risques. Il a indiqué que l'étude de l'OFCE précitée jugeait qu'une correction baissière pour le seul marché immobilier aurait des conséquences limitées mais que, selon le FMI, une baisse « simultanée » des prix de l'immobilier dans la plupart des pays de l'OCDE aurait des conséquences économiques plus importantes.
S'agissant de l'étude de l'OFCE, il a montré que le scénario simulé consistait dans une chute de 30 % des prix de l'immobilier, uniquement en France, et sans phénomène concomitant, comme par exemple une hausse des taux d'intérêt. Il a expliqué que l'impact global d'un tel scénario sur la croissance serait de l'ordre de 0,7 point de PIB, et donc relativement modeste, alors qu'une augmentation de 2 points des taux d'intérêt à court et long terme dans l'ensemble des pays de l'OCDE aurait, par comparaison, un impact global sur la croissance de 1,7 point de PIB, et qu'une appréciation de l'euro de 10 % par rapport au dollar, ou une augmentation de 10 dollars par baril du cours du pétrole, avait un impact global de 0,5 point de PIB. Il a souligné, en revanche, le caractère redoutable d'un scénario cumulant plusieurs de ces chocs pour la croissance économique.
Il a fait remarquer, en outre, qu'à l'exception du cas allemand, les cycles immobiliers étaient corrélés au sein des pays industrialisés, ce qui rendait le scénario d'un retournement de tendance « simultané » dans la plupart des pays de l'OCDE vraisemblable. Il a indiqué que, selon l'étude du FMI précitée, portant sur les pays de l'OCDE dans la période 1970-2002, une chute des prix des actions et des prix de l'immobilier réduisait la croissance respectivement de 1,4 point et de 2,6 points de PIB en moyenne au cours de chacun des trois années suivant la baisse. Il a fait valoir que, selon cette même étude, les corrections du marché de l'immobilier, bien que plus faibles dans le passé que celles des marchés boursiers (respectivement 30 % et 45 %), étaient associées à des réductions de la croissance du PIB près de deux fois supérieures à ces dernières. Il a expliqué, en outre, que les corrections du marché de l'immobilier duraient plus longtemps que les corrections du marché des actions (4 années contre 2,5 années).
Dès lors, il a invité les pouvoirs publics à la prudence dans leurs interventions sur le marché de l'immobilier résidentiel. Il les a appelés à éviter de prolonger les politiques pro-cycliques de soutien de la demande afin de ne pas nourrir l'inflation du marché et de favoriser une inflexion des prix en douceur. Il a marqué sa préférence pour une politique de renforcement de l'offre de logements
Au terme de cet exposé, M. Jean Arthuis, président , a félicité M. Philippe Marini, rapporteur général, pour la qualité de son analyse. Il a considéré que l'inflexion des prix de l'immobilier constituait, de façon paradoxale, un élément de réponse pour les redevables de l'impôt de solidarité sur la fortune ayant subi au cours des dernières années l'augmentation de la valeur vénale de leur résidence principale.
M. Yann Gaillard s'est interrogé sur le délai à compter duquel les prix de l'immobilier pourraient baisser.
En réponse à une question de M. François Marc, M. Philippe Marini, rapporteur général, a indiqué que les investissements immobiliers des étrangers en France avaient représenté 0,6 point de PIB en 2003 (contre 0,1 point en 1990) et que l'achat de logements par les non-résidents constituait un facteur important de hausse des prix du logement en province. Il a noté cependant, comme le soulignait la Banque de France dans une étude récente, qu'« apprécier l'impact de ce mouvement sur les prix reste toutefois malaisé, dans la mesure où ces données ne distinguent pas acquisitions immobilières résidentielles et non résidentielles ».
M. Jean-Jacques Jégou s'est montré réservé sur le retournement du marché pourtant souhaité par certains. Il a fait valoir que la hausse des prix était liée à des facteurs structurels et s'est inquiété des perspectives de révision du schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne (SDAURIF) prévoyant une construction de logements bien au-delà de ce qui avait été fait par le passé.
M. Yves Fréville a souligné la difficulté de prévoir le moment de retournement d'un marché, indiquant que la variable stratégique était, selon lui, pour le marché immobilier, l'évolution des taux d'intérêt.
M. Jean Arthuis, président , a indiqué que le secteur du bâtiment avait été en mesure d'absorber sans difficulté les 35 heures en raison du « boom » actuel de l'immobilier. Il a souhaité connaître le surcroît de recettes issu des droits d'enregistrement dont avaient bénéficié les départements, en raison de la hausse des prix de l'immobilier.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a fait remarquer en conclusion qu'il n'existait pas un « marché de l'immobilier», mais un très grand nombre de situations locales qui devraient être examinées une à une, leurs caractéristiques différant tant en termes quantitatifs que qualitatifs, les marchés immobiliers des grandes agglomérations n'ayant que peu de points communs avec ceux de zones à vocation touristique ou de résidence secondaire, a fortiori avec ceux de l'espace agricole.
La commission a alors donné acte à M. Philippe Marini, rapporteur généra l, de sa communication et décidé à l'unanimité que ses conclusions feraient l'objet d'une publication sous la forme d'un rapport d'information.