B. UN RETARD PRÉOCCUPANT PAR RAPPORT AUX AUTRES GRANDS PAYS INDUSTRIALISÉS
1. Un retard relatif mesurable par le degré de couverture du territoire et les parts d'audience
a) Une place encore modeste des télévisions locales dans le paysage audiovisuel français
Le retard de la France dans le développement des télévisions locales s'explique notamment par leur apparition plus tardive que dans les autres pays d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord , comme le font apparaître les études par pays figurant en annexe n° 2.
Même si les données ne sont pas entièrement disponibles, faute d'outil de comparaison internationale standardisé, il en ressort que les télévisions locales couvrent une part de la population française plus faible , et que les résultats d'audience sont par conséquent relativement modestes .
Compte tenu des autorisations en cours, il est généralement estimé que le nombre de personnes couvertes par une télévision locale en France devrait doubler en 2005, pour atteindre 10 millions de personnes en fin d'année, contre 5 millions un an plus tôt. Si cet essor est réel, cela signifie néanmoins que plus de quatre Français métropolitains sur cinq n'auront toujours pas accès à un service de télévision locale en France en fin d'année 2005. En termes de parts d'audience , malgré l'absence de mesure médiamétrique, le poids des télévisions locales compte tenu du degré de couverture ne dépassait manifestement pas 1 % en 2004 (à comparer à une part d'audience de 5 % en Italie, où près de la moitié de la population italienne a accès à un service de télévision locale) . A la même date, le nombre de chaînes hertziennes analogiques permanentes n'était que d'une dizaine en métropole et de 115 sur le câble.
b) Des situations étrangères contrastées, mais globalement meilleures qu'en France
Alors que les premières autorisations permanentes en mode analogique hertzien par le CSA ne datent en France que de 1998 , les « canaux ouverts », dont le principe est d'offrir un temps d'antenne à tous ceux qui le souhaitent, sont nés en Amérique du Nord dès les années 1960 et se sont également rapidement développés en Allemagne à partir de la deuxième moitié des années 1990.
Aux Etats-Unis , le paysage télévisuel s'est constitué sur une base locale, les réseaux ( networks ) nationaux regroupant des chaînes de proximité. Le territoire américain est ainsi divisé en 210 marchés audiovisuels. Les télévisions locales privées sont au nombre de 2.130 (1.280 affiliées à des réseaux et 850 indépendantes), soit vingt fois plus qu'en France pour une population moins de cinq fois supérieure. Ces télévisions parviennent à s'autofinancer grâce à la publicité. En outre, en application des dispositions inscrites dans le Telecommunication Act de 1976, plus de 5.000 télévisions locales associatives sont présentes sur le câble.
Les télévisions locales connaissent un développement du même ordre de grandeur qu'aux Etats-Unis en Grande-Bretagne , où la télévision privée s'est également développée d'abord sur une base régionale, chacune des quinze régions étant dévolue à un grand opérateur. On compte, à ce jour, près de six cents chaînes régionales ou locales, en hertzien et sur le câble.
Ce sont également des initiatives privées qui ont permis le développement des télévisions locales en Italie et en Espagne. En Italie , la libéralisation des ondes a commencé au niveau local dès les années 1960 et 1970 ; le paysage télévisuel local est très dynamique mais la situation s'avère parfois confuse et l'ancrage local discutable. On dénombre 453 chaînes commerciales et 135 chaînes communautaires, ainsi définies car à but non lucratif, dans leur grande majorité paroissiales ou diocésaines.
En Espagne , le développement des télévisions locales a coïncidé avec la transformation du marché audiovisuel au début des années 1990. Le cadre juridique assez souple a permis un développement du paysage audiovisuel jugé parfois anarchique, comme en Italie : compte tenu de l'ancienneté des dernières statistiques disponibles (en 2002, 897 chaînes locales étaient réparties sur 606 communes), il existerait aujourd'hui plus de 1.000 télévisions locales dans l'ensemble du pays. La plupart d'entre elles sont nées d'une initiative privée (de groupes de construction immobilière, par exemple) mais il existe également de nombreuses télévisions associatives. Les télévisions locales ont d'ores et déjà acquis une place importante et sont devenues beaucoup plus qu'une simple alternative aux programmes nationaux. La retransmission de sports locaux, de fêtes populaires ou de journaux télévisés de proximité leur permet d'être régulièrement en première position en termes d'audience. Le gouvernement espagnol, résolu à mettre fin aux incertitudes juridiques actuelles et à certains abus 6 ( * ) , vient d'annoncer la mise en oeuvre d'une réglementation permettant l'octroi par adjudication de licences de diffusion. Dans chacune des 250 zones géographiques prévues, il serait délivré une licence pour quatre chaînes.
En Allemagne , les chaînes locales sont nombreuses et bien ancrées dans le paysage audiovisuel. Inspirées par les modèles canadien et américain, les premières initiatives ont vu le jour au milieu des années 1980. Pays à structure fédérale où la notion de démocratie locale est très importante, l'Allemagne dispose de près de quatre-vingts « canaux ouverts », gérés le plus souvent par des associations, parfois directement par les Landesmedienanstalten (Conseils supérieurs de l'audiovisuel locaux).
En Belgique , les premières chaînes de télévision locales ont été créées à la fin des années 1970, le gouvernement et la communauté francophone ayant toujours souhaité le développement de télévisions locales pluralistes. Les chaînes locales sont très nombreuses sur le câble, aussi bien en Flandre qu'en Wallonie où l'on compte douze chaînes « locales et communautaires » diffusant entre 2 et 3 heures de programmes par jour.
En Suisse , les dispositions volontaristes introduites dans les législations fédérale et cantonale ont permis la création de quatre-vingt quatre stations locales ou régionales, soit un nombre quasi-équivalent à celui des télévisions locales en France malgré une population huit fois moins importante.
Aux Pays-Bas (quatre fois moins peuplé que la France), on compte cent chaînes locales à but non lucratif, dont près de quatre-vingt dix à l'échelon communal et dix au niveau régional. Les premières télévisions locales sont apparues en 1982. Près de la moitié de la population est couverte. Leur situation financière est toutefois critique.
Dans ce paysage, la situation financière des télévisions locales n'est pas uniforme, certaines difficultés devant aussi être relevées :
- en Allemagne, les chaînes d'agglomération sont confrontées à des incertitudes, faute de regroupement pour capter une part plus élevée du marché publicitaire national et compte tenu d'un caractère local parfois insuffisamment affirmé ;
- la Suède compte un nombre de télévisions locales (29) légèrement supérieur à la France, si l'on prend en compte le poids démographique, mais présentes exclusivement sur le câble et dont les résultats financiers restent négatifs malgré un développement relativement ancien, depuis la fin du monopole d'Etat en 1986.
2. Différents facteurs d'explication de ce retard
Votre rapporteur spécial est convaincu que le faible essor des télévisions locales en France doit s'interpréter comme un retard, et non comme un moindre intérêt pour une forme de télévision qui a fait ses preuves dans les autres pays industrialisés.
Les difficultés de lancement des télévisions locales ne sont pas propres à la France. Ainsi, les premières tentatives de développement des télévisions locales en Allemagne, à Munich au début des années 1980, n'ont conduit à un développement de leur marché que dans les années 1990.
Des facteurs structurels défavorables persistent mais tendent à évoluer : dans de nombreux pays, les télévisions locales ont bénéficié de la forte pénétration du câble 7 ( * ) alors qu'en France, seuls 15 % des foyers sont abonnés à ce mode de distribution 8 ( * ) . Les contraintes de couverture de certaines zones, moins densément peuplées et relativement enclavées, sont en mesure d'être surmontées grâce à la diversification technique des modes d'accès.
De même, la tradition française, plus centralisatrice, est moins favorable à l'émergence de télévisions locales que des structures étatiques fédérales. Votre rapporteur spécial estime toutefois que le sentiment d'appartenance à un territoire et l'attente d'une télévision de proximité sont des facteurs favorables au développement des télévisions locales en France car ils répondent à une demande des téléspectateurs.
Comme votre rapporteur spécial l'analyse dans les deuxième et troisième parties du présent rapport d'information, le relatif désintérêt des financeurs potentiels, jusqu'à une date récente, a également joué un rôle.
Dans ce contexte, l'absence en France d'un cadre juridique et économique stable et suffisamment incitatif a longtemps constitué un handicap majeur. Mais les évolutions récentes ont permis de lever en partie cet obstacle.
* 6 Par exemple, la diffusion de programmes pornographiques aux heures de grande écoute et d'émissions « mettant en scène » des escroqueries téléphoniques.
* 7 Par exemple 96 % en Belgique, 69 % aux Etats-Unis, 67 % en Allemagne. La France compte ainsi moins de foyers abonnés au câble que la Belgique, alors que sa population est six fois supérieure.
* 8 Cependant, ce facteur doit être relativisé dans la mesure où la faible pénétration du câble en Espagne (4 %) et surtout en Italie (1 %) n'a pas freiné le développement des chaînes locales dans ces pays.