III. UNE SITUATION HUMANITAIRE COMPLIQUÉE PAR L'OCCUPATION MILITAIRE ET LA CORRUPTION
A. DES TENSIONS SÉPARATISTES QUI ONT CONDUIT À PLACER LA PROVINCE SOUS CONTRÔLE MILITAIRE
Plus ancien foyer d'expansion de l'Islam de l'archipel indonésien, la province d'Aceh a été islamisée dès le XV e siècle par le sultanat de Mascate 7 ( * ) , et a souvent fait figure d'ultime bastion de résistance à la colonisation hollandaise, de 1873 à 1905, puis à l'unification de l'Indonésie. La pratique de l'Islam y est stricte (la charia est partiellement en vigueur) mais pas nécessairement intégriste, et les Acehnais tirent une certaine fierté de l'appellation « veranda (ou seuil) de La Mecque » traditionnellement donnée à la région.
Depuis près de trois décennies, la province, qui bénéficie officiellement d'un statut particulier d'autonomie qui n'a jamais été vraiment appliqué, est le théâtre de fortes tensions séparatistes menées par le GAM (Gerakan Aceh Merdeka, « Mouvement Aceh Libre »), mouvement islamiste et nationaliste qui mène une guérilla contre l'armée indonésienne (appelée TNI). Le conflit a ainsi fait plus de dix mille morts depuis 1976, et on estime qu'il reste au maximum 2.500 combattants rebelles détenant 850 armes, face à près de 40.000 militaires. Cette situation insurrectionnelle contribue à renforcer l'isolement de la province , fermée aux étrangers qui y étaient quasiment absents avant le tsunami : située aux confins de l'Indonésie, elle dispose de faibles infrastructures et aucune activité touristique n'a naturellement pu s'y développer. Les autorités locales se sont employées à présenter cette province éloignée comme un refuge de brigands, d'habitants animés de sentiments anti-indonésiens et d'extrémistes religieux.
L'emprise de la TNI sur la province a été ébranlée en 1999-2000 par un mouvement civil en faveur d'un référendum d'autodétermination, mais les représentants de la société civile ont par la suite été neutralisés. La loi martiale a été instaurée par la présidente Megawati le 19 mai 2003 et reconduite le 4 novembre de la même année. Les tentatives diplomatiques déployées pour sauver les accords de paix du 9 décembre 2002 ont toutes échoué et les revendications des parties sont demeurées irréconciliables. Le gouvernement exigeait du GAM qu'il dépose les armes et adhère définitivement au principe d'autonomie, excluant toute indépendance, tandis que le GAM revendiquait la mise en place d'un « dialogue global » et d'élections. Les ONG humanitaires et les journalistes se sont vus interdire l'accès à la province, et les opérations militaires ont entraîné le déplacement de plusieurs dizaines de milliers d'Acehnais. Le nouveau président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono (« SBY »), élu le 20 septembre 2004, a reconduit pour six mois l'état d'urgence civile le 18 novembre 2004.
La population locale n'est pas nécessairement favorable à l'insurrection menée par le GAM, et beaucoup estiment ne pas avoir besoin de la caution islamiste de ce mouvement pour pratiquer leur religion avec ferveur. Le nombre de sympathisants non armés du GAM au sein de la population demeure donc incertain, mais il est probablement faible (d'aucuns évoquent 5.000 personnes) au regard de la population. Le GAM est soupçonné comme l'armée indonésienne de rapine et d'extorsion en échange d'une « protection ». Depuis mai 2003, la tactique de l'armée a été de repousser le GAM vers le centre de la région ; le tsunami aurait néanmoins permis aux combattants de redescendre vers les côtes et de s'emparer de caisses de vivres et de médicaments distribuées par les ONG.
* 7 Aux XVI eme et XVII eme siècles, le sultanat d'Aceh procurait à l'Europe la moitié de son poivre et entretenait des relations directes avec l'empire ottoman. En 1585, le sultan d'Aceh signa avec Elisabeth I ère d'Angleterre un traité commercial. L'Angleterre conclut néanmoins en 1871 un traité avec la Hollande, levant toute objection à la colonisation d'Aceh par la Hollande.