II. VERS UNE ADMINISTRATION ÉLECTRONIQUE GÉNÉRALISÉE ET PERFORMANTE

Malgré la succession accélérée des plans, des structures, des initiatives et des concepts, dont il était possible de redouter qu'elle fût contre-productive, votre rapporteur spécial a pu observer que les perspectives offertes par l'administration électronique étaient, finalement, globalement encourageantes.

A. L'ADAPTATION DE L'ENVIRONNEMENT JURIDIQUE

L'évolution du cadre juridique peut être analysée comme progressant vers la conciliation de deux impératifs :

- la simplification des démarches pour les usagers, qui suppose d'encourager les téléprocédures et de décloisonner les services administratifs afin que l'usager ne soit pas systématiquement réinterrogé pour des renseignements déjà fournis ;

- le respect de la protection des données personnelles , qui peut conduire, au contraire, à limiter les interconnections entre administrations.

La succession des textes, ainsi qu'il suit, traduit aussi l' adaptation progressive de l'environnement juridique à une diffusion croissante des nouvelles technologies en général, et de l'administration électronique en particulier.

1. Une adaptation progressive de l'environnement normatif...


• Mise en place par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés 13 ( * ) , la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) veille au respect des dispositions de ladite loi, qui visent à concilier la constitution et l'utilisation des fichiers avec les droits et les libertés des administrés.

Elles limitent fortement, pour les administrations, les possibilités de croisement des fichiers informatiques en leur possession, ce qui présente l'inconvénient de susciter des demandes d'information redondantes auprès des administrés.

Les cinq mission principales confiées à la CNIL par la loi « informatique et libertés »

- Informer les personnes de leurs droits 14 ( * ) et obligations, et proposer au gouvernement les mesures législatives ou réglementaires de nature à adapter la protection des libertés et de la vie privée à l'évolution des techniques. L' avis de la CNIL doit d'ailleurs être sollicité avant toute transmission au Parlement d'un projet de loi créant un traitement automatisé de données nominatives ;

- garantir le droit d'accès aux informations nominatives ;

- recenser les fichiers. La CNIL donne un avis sur toutes les créations de traitements du secteur public et reçoit les déclarations de traitements du secteur privé ;

- contrôler les applications informatiques afin de vérifier que la loi est respectée ;

- réglementer en établissant (outre son règlement intérieur) des normes simplifiées pour les catégories les plus courantes de traitements ne comportant manifestement pas d'atteinte à la vie privée ou aux libertés, et des règlements types tendant à assurer la sécurité des systèmes (compétence exercée une seule fois, par délibération n° 81-94 du 21 juillet 1981).


• L'article 4 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle pose le principe selon lequel toute déclaration d'une entreprise à une administration peut être faite par voie électronique .


• Le décret n° 99-68 du 2 février 1999 pris en application du PAGSI a encouragé la « mise en ligne » des formulaires administratifs. En application de ce texte, tout nouveau formulaire doit être accessible par internet . Les formulaires ainsi disponibles sont opposables aux administrations, sous réserve que leur contenu n'ait pas été altéré par l'utilisateur.


• La loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique a  reconnu la validité juridique de la signature électronique.

Ainsi, le code civil dispose désormais à l'article 1316-1 : « L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier , sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité ».

Et à l'article 1316-4 : « La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie celui qui l'appose . Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte .

« Lorsqu'elle est électronique , elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache . La fiabilité de ce procédé est présumée , jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie , dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État ».

En conséquence, le décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 relatif à la signature électronique pris pour l'application de l'article 1316-4 du code civil a défini le cadre juridique de la mise en place de procédés de signature électronique sécurisés, puis le décret du 18 avril 2002 relatif à l'évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et systèmes des technologies et de l'information a précisé les conditions technologiques de fonctionnement de la signature électronique. Les compétences de certification sont exercées sous l'autorité du Premier ministre, en vertu du décret n° 2001-694 du 31 juillet 2001 portant création de la direction centrale pour la sécurité des systèmes d'information (DCSSI).

Au total, la signature électronique est recevable en justice et a même force probante qu'une signature manuscrite à condition que le signataire soit identifié, que l'écrit soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité, et qu'il soit lié de façon indissociable à la signature.


• En vertu de l'article 20 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration (loi DCRA) , « lorsqu'une demande est adressée à une autorité administrative incompétente, cette dernière la transmet à l'autorité administrative compétente et en avise l'intéressé ». Cette obligation incite au développement des échanges électroniques entre administrations.


• Le décret n° 2002-1064 du 7 août 2002 a créé un service public de la diffusion du droit par l'Internet, aboutissant à l'ouverture du site « Légifrance » . Ce service a pour objet de permettre gratuitement l'accès du public aux textes en vigueur ainsi qu'à la jurisprudence. Il est « piloté » par le comité du service public de la diffusion du droit par l'Internet, placé auprès du Premier ministre.


• La loi pour la confiance dans l'économie numérique , adoptée définitivement le 13 mai 2004 , a permis de définir le rôle des hébergeurs et de réglementer le cryptage. Par ailleurs, le texte prévoit que les contrats pourront valablement emprunter un support numérique, ce qui constitue une innovation majeure.


• Le projet de loi relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, adopté en deuxième lecture par le Sénat le 15 juillet 2004, précise le droit applicable au traitement des données personnelles , conformément aux exigences de la directive européenne 24 octobre 1995 portant sur la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel (dont la transposition devait être effectuée par les Etats membres avant le 24 octobre 1998).

Ce projet de loi prévoit ainsi de distinguer les régimes des formalités préalables en fonction de la dangerosité des traitements (qui peut résulter de la finalité 15 ( * ) du « fichier » concerné ou de la nature 16 ( * ) des données qu'il collecte), que ces traitements soient mis en oeuvre par des personnes morales de droit public ou de droit privé (ce qui diffère du régime dissymétrique d'autorisation préalable pour les fichiers publics, et de déclaration pour les fichiers privés, prévu par la loi du 6 janvier 1978). Ainsi, la déclaration préalable à la CNIL devient la formalité préalable de droit commun , avec en contrepartie un renforcement des pouvoirs d'investigation et de sanction de la commission. Seule la dangerosité justifie un régime d' autorisation préalable par le CNIL.

Par ailleurs, le projet de loi précité propose de remplacer l'avis conforme de la CNIL par un avis simple pour les traitements dits « de souveraineté », c'est-à-dire les fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense, la sécurité publique ou la répression pénale, ainsi que les fichiers utilisant le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) 17 ( * ) , ou ceux portant sur la quasi totalité de la population.


• Le projet de loi relatif aux libertés et aux responsabilités locales 18 ( * ) autorise la transmission au représentant de l'Etat par voie électronique des actes des collectivités territoriales, ce qui est un gage de rapidité, de sûreté et d'économie.

2. ... accélérée par le recours aux ordonnances

a) La loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit

La loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit comprend certaines habilitations destinées à développer l'administration électronique.


• Le d) du 1° de son article 2 prévoit de simplifier les démarches des usagers auprès des administrations publiques en organisant (dans le respect des règles de protection de la liberté individuelle et de la vie privée) la transmission de documents entre elles.


• Son article 4 prévoit une simplification et une harmonisation des règles relatives aux conditions d'entrée en vigueur des lois, ordonnances, décrets et actes administratifs, ainsi que les modalités selon lesquelles ces textes sont publiés et portés à la connaissance du public, prenant en compte les possibilités offertes par les technologies de l'information et de la communication.

Sur le fondement de cette habilitation, l'ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs a prévu que seront publiés au Journal officiel , et mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite , les lois, les ordonnances, les décrets et, lorsqu'une loi ou un décret le prévoit, les autres actes administratifs. Cette publication est assurée, le même jour, dans des conditions de nature à garantir leur authenticité, sur papier et sous forme électronique.

Les autres habilitations de la loi du 2 juillet 2003


• Le 5° de l'article 15 de la même loi d'habilitation, qui prévoit d'étendre le système de transmission électronique en vigueur pour la branche maladie (SESAM-Vitale) aux prestations de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, s'est traduit par l'article 2 de l'ordonnance n° 2004-329 du 15 avril 2004 allégeant les formalités applicables à certaines prestations sociales.


• Le 2° de son article 19, qui prévoit le recours au vote électronique pour les élections aux chambres consulaires, aux tribunaux paritaires des baux ruraux et pour les élections prud'homales, a connu un commencement de mise en oeuvre au travers de deux ordonnances.


• Enfin, l'article 28 de cette loi, qui autorise le gouvernement à prendre par ordonnance toutes mesures nécessaires pour développer l'utilisation des technologies de l'information afin de simplifier le fonctionnement des collectivités territoriales et des autorités administratives, ainsi que les procédures de transmission des actes des collectivités territoriales et des autorités administratives soumis au contrôle du représentant de l'État dans le département, restera lettre morte. En effet, la voie législative ( cf. supra le projet de loi relatif aux responsabilités locales) est finalement préférée.

b) Un nouveau projet de loi de simplification du droit19 ( * ) pour un « grand bond en avant » des téléprocédures

En France, les téléprocédures existantes, telles que « téléTVA », « téléIR », « SESAM-Vitale » ou encore la « DUCS » 20 ( * ) , ont été mises en oeuvre par des textes spécifiques, constituant autant de cadres juridiques autonomes. Les habilitations prévues à l'article 3 du nouveau projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit visent essentiellement à améliorer la cohérence du cadre juridique général des téléprocédures , afin, notamment, d'assurer la compatibilité de leur développement avec le respect du secret professionnel ou la protection de la vie privée, et d'apporter aux autorités administratives 21 ( * ) et aux usagers une meilleure sécurité juridique et technique.

La plupart des habilitations qu'il comporte permettront de concrétiser certaines des mesures inscrites dans le programme gouvernemental « ADELE » de planification des progrès de l'administration électronique pour la période 2004-2007.

La CNIL, appelée à donner un avis sur les dispositions relatives au développement de l'administration électronique de l'avant-projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit par voie d'ordonnances, a relevé que l'ensemble des dispositions dont elle avait été saisie « n'appelle pas d'objection de principe au regard des principes de protection des données à caractère personnel mais qu'elle devra être consultée sur les dispositions des ordonnances qui préciseront les mesures envisagées et qui seront susceptibles d'intéresser la protection des droits et libertés des personnes à l'égard des traitements de données à caractère personnel ».

(1) La sécurité des échanges d'information

Il est apparu que, lorsque les services publics développent un « téléservice », ils en assurent la sécurité juridique de manière autonome. Aussi, le 1° du I de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit prévoit-il l'adoption de mesures visant à « assurer la sécurité des informations échangées entre les usagers et les autorités administratives, ainsi qu'entre les autorités administratives ».

La mise en place d'un référentiel de sécurité

D'après l'exposé des motifs du projet de loi de simplification du droit, le gouvernement est ainsi habilité à prendre une ordonnance qui :

- met en place un référentiel général de sécurité dénommé « politique de référencement intersectoriel de sécurité » ( PRIS ), prévoyant plusieurs niveaux de sécurité possibles pour chaque service de sécurité offert, tels que l'identification, la signature, la confidentialité, l'archivage et l'horodatage ;

- oblige les autorités administratives qui proposent des téléservices à se conformer à un niveau de sécurité se référant à la PRIS ;

- oblige les prestataires de services de sécurité ainsi que les fournisseurs de produits de sécurité à respecter les exigences de la PRIS afin que les produits et services qu'ils offrent puissent être acceptés par les autorités administratives ;

- prévoit que l'usager qui utilise un produit ainsi référencé pour effectuer une démarche administrative par voie électronique ne puisse voir sa demande refusée ;

- admet que la PRIS puisse être également utilisée pour la définition de politiques de sécurité ou de spécifications techniques par le secteur privé ;

- enfin, prévoit que la PRIS s'appliquera également dans les échanges d'informations par voie électronique entre autorités administratives.

Cette habilitation permettra la réalisation du projet « ADELE 119 : Politique de référencement intersectorielle de sécurité (PRIS ) ». Le cadre juridique mis en place imposera ainsi aux administrations, pour chaque téléservice qu'elles proposent, de déterminer, sur la base de la PRIS, le niveau de sécurité requis, et l'usager utilisant un outil référencé dans le cadre de la PRIS ne pourra se voir refuser l'accès à ce téléservice.

Les mesures prises sur ce fondement devront respecter tant les dispositions de l'article 17 de la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui oblige à prendre des mesures de sécurité suffisantes contre leur destruction, leur perte, leur altération, leur diffusion ou leur accès non autorisés, que les prescriptions de l'article 29 de la loi du 6 janvier 1978, dont la portée est comparable.

D'après la fiche du projet « ADELE 119 », l'impact financier de la mise en oeuvre de la PRIS est évalué à 0,7 million d'euros en 2004 et à 0,1 million d'euros en 2005, pour un usage généralisé en 2006. Le retour sur investissement a été évalué à 2,5 millions d'euros par l'ADAE.

(2) La généralisation des téléservices

Le 2° du I de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit vise à « simplifier l'exercice des démarches administratives, en permettant aux usagers de les faire par voie électronique », ce qui devrait se traduire par l'édiction de règles communes applicables aux téléservices proposés aux usagers par les autorités administratives.

Pour favoriser et simplifier les démarches, il conviendra, en particulier, d'imposer aux administrations une obligation d'échanges de données (ainsi que, d'ailleurs, l'article 2 de la loi du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit y invitait).

La CNIL a indiqué, à l'occasion de son examen du programme ADELE ( infra ), que « dans les cas où la loi rend obligatoire l'échange d'informations entre administrations [cas d'appréciation de droits ou de contrôle notamment], l'accord de l'usager n'a pas à être requis et n'aurait d'ailleurs aucune portée. Lorsque la fourniture d'une information conditionne l'obtention d'un droit, le demandeur n'a en effet pas d'autre choix que d'« accepter » l'échange d'information entre administrations. (...) Il doit cependant être clairement informé de cet échange . »

En revanche, la CNIL précise que « l'accord explicite de l'usager pour l'échange direct d'informations entre administrations doit être recueilli dès lors qu'il dispose d'un vrai choix et sous réserve que les textes en vigueur le permettent ou tout au moins ne prévoient pas de disposition interdisant l'échange ».

Le gouvernement , se conformant à la conception extensive de la CNIL de la protection des libertés, n'envisage pas de poser le principe selon lequel la transmission d'un document à une administration donnerait un droit de retransmission à toutes les autres ; il souhaite privilégier , de manière plus prudente et mieux proportionnée, un échange d'informations obligatoires par domaine ou par type de procédure (par exemple, en matière de déménagement, de mariage ou de naissance).

Toutefois, Pierre de Lacoste observe, dans son rapport « L'Hyper-République » 22 ( * ) , que « les logiques développées par les pays étrangers sont plutôt basées sur le modèle de l'utilisation de l'ensemble des données par l'ensemble de l'administration (cas de l'Espagne). L'usager est averti que des données sont utilisées par l'administration, et une boite de dialogue lui demande si, compte tenu de cet avertissement, il désire continuer. Son « oui » vaut acceptation ».

Il semble à votre rapporteur spécial que de tels procédés ne sont nullement attentatoires aux libertés. Ainsi, ils ne devraient pas faire l'objet d'un rejet a priori , s'ils s'avéraient susceptibles d'engendrer des économies supplémentaires.

(3) La « mise en ligne » des procédures de contrôle

Le 3° du I de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit a pour objectif de « permettre que, dans le cadre des procédures de contrôle, les échanges entre les autorités administratives et les usagers et les échanges entre autorités administratives soient réalisés par voie électronique ».

Cette disposition vise à permettre, dans le cadre des procédures de contrôle (par exemple un contrôle fiscal), la transmission dématérialisée d'informations sécurisées dont la validité juridique sera reconnue. Ainsi, la notification d'un contrôle via Internet sera autorisée, et les autorités administratives pourront, dans le cadre des procédures de contrôle dont elles ont la charge, obtenir des usagers les informations requises sur demande préalable, et accomplir par voie électronique des actes de procédure liés à l'exercice des contrôles.

Ces avancées nécessiteront de résoudre certains problèmes posés par l'accusé de réception, ainsi que par l' « horodatage » (l'équivalent du « cachet de la poste faisant foi » des téléprocédures).

(4) La création d'un « espace personnel »

Le 4° du I de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit propose de « mettre à la disposition des usagers un dispositif leur donnant la possibilité de stocker sous forme électronique les documents et données les intéressant et susceptibles d'être transmis, sur leur instruction et sous leur responsabilité, aux destinataires qu'ils auront désignés ».

Il s'agit donc de créer un espace personnel permettant d'éviter à l'usager de transmettre plusieurs fois les mêmes pièces à des administrations différentes pour la constitution d'un dossier administratif. D'après l'exposé des motifs, les dispositifs de stockage seront gérés par des prestataires privés agréés, sur le modèle des hébergeurs de données personnelles de santé. Ils pourront contenir des « données alléguées », fournies par l'usager lui-même et des « données prouvées », fournies au moyen de documents administratifs.

Les enjeux de la création d'un « espace personnel »

L'habilitation du projet de loi de simplification est cohérente avec l'avancement du projet « mon.service-public.fr . », retenu par le comité interministériel pour la réforme de l'Etat (CIRE) du 15 novembre 2001, et repris par le programme ADELE (projet « ADELE 34 : Mon service-public »).

Ce projet constitue véritablement, après les informations statiques dématérialisées, puis les formulaires téléchargeables, et, enfin, les téléprocédures, un « quatrième stade » de l'administration électronique.

En effet, ce portail doit permettre la création d'un espace administratif personnel , permettant aux usagers de « gérer en ligne » l'ensemble de ses relations avec l'administration. Au delà de la constitution d'un bouquet personnalisé de téléprocédures, « mon service-public.fr » doit permettre à l'usager, afin de limiter les démarches et les demandes de pièces justificatives, de créer un « compte personnel 23 ( * ) » dans lequel il pourra stocker les données et les documents administratifs (tels qu'attestations, actes d'état civil, ou diplômes) le concernant, afin de les réutiliser directement dans le cadre d'autres téléprocédures .

Ce type d'architecture est déjà acclimaté par les administrations irlandaise avec « Public Services Broker », britannique avec « Government Gateway », et suédoise avec « Government E-Link ».

Les modalités de stockage des données personnelles devront « garantir que l' usager est maître de l'édition, de la conservation, de la suppression et de l'utilisation de ses données », d'après la fiche de projet « ADELE 33 : Espace personnel ».

La constitution de cet espace administratif personnel vise à résoudre la « quadrature du cercle » de l'administration électronique , qui est la conciliation d'une large mise à disposition de l'ensemble des administrations des données et documents déjà fournis à l'une d'entre elles, et la prohibition d'un recours à une interconnexion des fichiers qui serait menée à l'insu du citoyen, généralement jugée par trop « orwellienne », et particulièrement par la CNIL.

Cette dernière a indiqué, à l'occasion de son examen de programme ADELE, qu' « un tel dispositif suppose de définir très précisément son contenu, ses conditions exactes d'accès et d'utilisation par l'usager et par l'administration, les contraintes de sécurité, s'agissant en particulier de la possibilité pour l'usager de chiffrer les informations et de la validité juridique des informations y figurant ainsi que, au regard de l'enregistrement des données, de leur conservation et de leur transmission, les responsabilités respectives de l'usager, de l'administration destinataire et de l'hébergeur ».

En tout état de cause, les termes de l'habilitation sont de nature à garantir un absolu respect de la maîtrise de l'usager sur ses données personnelles.

Par ailleurs, la perspective d'un recours à des prestataires privés répond à la préoccupation - louable - de la CNIL d'éviter l'émergence d'une administration omnisciente ; toutefois, votre rapporteur spécial n'est pas certain que la discrétion de ces derniers soit mieux assurée que celle d'un établissement public dûment contrôlé.

L'impact financier du développement de l'espace administratif personnel est évalué à 0,15 million d'euros en 2004 (étude des fonctionnalités), et à 1,5 million d'euros en 2005 (assistance à maîtrise d'ouvrage pour la conception, mise en place de la plate-forme et d'un prototype), pour une mise en oeuvre progressive à compter de 2006, d'après le projet « ADELE 33 ». Ces montants s'ajoutent à ceux prévus pour le développement du portail « mon.service-public.fr » (qui permettra d'accéder à l'espace administratif personnel), évalué à 0,5 million d'euros en 2004, et à 5 millions d'euros en 2005, pour une mise en oeuvre progressive à compter de 2006, d'après le projet « ADELE 34 ».

(5) Le changement d'adresse

Dans le prolongement de l'habilitation accordée par le d) du 1° de l'article 2 de la loi du 2 juillet 2003 ( supra ), le 5° du I du projet de loi de simplification prévoit de prendre des mesures permettant aux usagers de « déclarer, en une seule opération, leur changement d'adresse aux autorités administratives ainsi que, le cas échéant, à tout organisme chargé d'une mission de service public et à des organismes de droit privé ».

L'impact de la « mise en ligne » d'un service de changement d'adresse

Une telle perspective ne peut laisser indifférent, si l'on veut bien considérer que près de 3 millions de foyer, représentant environ 10 % de la population, changent de résidence chaque année , ce qui vaut à chacun d'entre eux de nombreuses démarches administratives.

D'après la fiche de projet « ADELE 4 : Changement d'adresse », il s'agira de mettre en place un service accessible via Internet, à partir duquel l'usager pourra déclarer son ancienne adresse, sa nouvelle adresse, les personnes concernées par le déménagement et sélectionner les organismes qu'il souhaite informer. Ces informations seront transmises automatiquement aux seuls organismes qu'il aura sélectionnés ; ces derniers lui confirmeront la prise en compte de sa demande.

La première version de ce service ne concernera que certaines administrations et certains services publics, et ne sera applicable qu'à la résidence principale.

Le coût de la mise en place de ce service est évalué à 0,6 million d'euros en 2004 (réalisation du prototype, recette et assistance à maîtrise d'ouvrage pour préparer le cahier des charges de la version industrielle), et à 0,7 million d'euros en 2005 (réalisation de la version industrielle), pour un accès généralisé et intégré dans « mon.service-public.fr » dès 2006 d'après le projet « ADELE 4 ». Le retour sur investissement, chiffré par l'ADAE en « équivalent temps plein » (ETP), est évalué à 200 emplois à temps plein.

*

Outre l'amélioration de l'environnement juridique des téléprocédures, l'article 3 du projet de loi de simplification du droit devrait être porteur de diverses améliorations en matière d'administration électronique .

Les autres améliorations en matière d'e-administration autorisées par le projet de loi de simplification du droit

1°) La signature électronique des autorités administratives

Le 6° du I de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit prévoit de « permettre et favoriser la signature électronique des actes des autorités administratives ». D'après l'exposé des motifs, les mesures prises en vertu de cette habilitation pourront concerner, par exemple, la promulgation des lois, la signature des décrets et arrêtés, et le contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales.

Il est à noter que la plupart des téléservices publics existants n'ont pas recours à la signature électronique, mais à des dispositifs d'identification et d'authentification plus frustes, reposant sur un code d'identification (attribué par l'organisme) et un mot de passe que l'usager peut changer à sa guise.

Du reste, la signature électronique n'a nullement vocation à se généraliser pour les téléprocédures, mais à permettre la « mise en ligne » de services requerrant un haut niveau de sécurité, en suivant le principe de « sécurité graduée » ( infra ) dégagé par la CNIL à l'occasion de son examen du programme ADELE. Aujourd'hui, elle ne concerne guère que le télépaiement de la TVA, les actes médicaux avec la carte professionnelle de santé, et la télédéclaration de revenu des particuliers.

En revanche, le procédé de la signature électronique présente encore un important potentiel de développement du coté de l'administration, Or, la loi du 13 mars 2000 précitée ne s'applique pas au droit administratif.

En complément du développement du « portail de l'agent public » (projet « ADELE 77 »), le projet « ADELE 76 : La carte d'agent public » vise précisément à mettre en place un procédé d'identification des agents pour pouvoir s'assurer de leurs droits. Il prévoit de distribuer aux agents une carte qui leur permettra notamment de signer des pièces dans le cadre de la dématérialisation de certaines procédures.

D'après le projet « ADELE 76 », le coût de la mise en place expérimentale de cette carte est évalué à 0,25 million d'euros en 2004 (étude des fonctionnalités), et à 1 million d'euros en 2005 (déploiement expérimental auprès de 100.000 agents, achat de cartes et de lecteurs), pour une montée en charge au sein des services en 2006-2007. Le retour sur investissement est évalué par l'ADAE à 600 ETP (équivalents temps plein).

2°) La refonte du cadre juridique de la diffusion des données publiques

Le 7° du I de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit a pour objectif de « transposer la directive 2003/98/CE du Parlement et du Conseil du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public » ainsi que de « fixer le cadre juridique relatif à l'accès et à la diffusion, notamment gratuite, des données publiques produites ou collectées par l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics ou les organismes de droit public ou privé chargés de la gestion d'un service public ».

Il s'agit ainsi d'édicter des règles visant à favoriser la diffusion des données publiques, qui permettront également de transposer en droit interne la directive européenne du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public. Cette habilitation devrait permettre d'aboutir rapidement à la réforme d'un cadre juridique devenu franchement inadapté.

Cette habilitation devrait enfin conduire à modifier l'article 10 de la loi « informatique et liberté » afin de permettre la diffusion ou l'utilisation à des fins commerciales des documents communiqués, même si le principe général demeurera celui de la gratuité (l'habilitation précise en effet : « notamment gratuite »).

Il est à noter que l'article 4 de la directive précitée précise qu'elle « laisse intact et n'affecte en rien le niveau de protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel garanti par les dispositions du droit communautaire et du droit national (...) ».

Sans doute, les gains permis par les mesures à venir, pour les administrations concernées, sont-ils estimables, si l'on considère que plus de 40 % du chiffre d'affaire de l'industrie française de l'« information en ligne » professionnelle sont liés, directement ou indirectement, à la valorisation de données d'origine publique.

Pour autant, même dans une stricte logique budgétaire, la facturation des données publiques en vue de leur réutilisation commerciale ne devra pas être systématiquement préférée à la gratuité : il conviendra de s'assurer, pour chacun des services concernés, que la gratuité n'entraîne pas de retours en termes d'activité (les « externalités positives ») et d'impôts plus appréciables que les gains résultant d'une facturation immédiate des données faisant l'objet d'une exploitation commerciale.

3°) La promotion de groupements d'intérêt public

Le II de l'article 3 du projet de loi de simplification du droit prévoit que « des groupements d'intérêt public [(GIP)] peuvent être constitués entre des personnes morales de droit public ou entre des personnes morales de droit public et de droit privé, pour favoriser l'utilisation des technologies de l'information, notamment en vue de développer l'administration électronique ou de gérer des équipements d'intérêt commun dans ce domaine ».

Les GIP sont des personnes morales dotées de l'autonomie financière, associant, pour une durée en principe déterminée, des partenaires publics et parapublics, soit entre eux, soit avec des personnes morales du secteur privé.

Créés par l'article 21 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France 24 ( * ) , leur nombre n'a pas cessé de croître, embrassant progressivement les matières les plus diverses.

S'inscrivant dans ce mouvement, la présente disposition permet la création de GIP en matière d'utilisation des technologies de l'information, ces structures apparaissant les mieux adaptées aux besoins du développement de l'administration électronique en raison de leur souplesse de gestion et des garanties qu'apportent la présence d'un commissaire du Gouvernement et d'un contrôleur d'Etat, et la possibilité d'un contrôle par la Cour des comptes en vertu de l'article L. 111-7 du code des juridictions financières.

La convention constitutive du GIP est soumise à autorisation administrative. Les statuts doivent être approuvés par l'Etat, même s'il n'est pas membre du GIP. Par ailleurs, l'objet poursuivi ne doit pas être à but lucratif. En effet, ces groupements ne peuvent donner lieu à la réalisation ni au partage de bénéfices.

Par ailleurs, il est précisé dans le présent paragraphe que « le personnel de ces groupements peut comprendre des agents contractuels de droit privé », et il est renvoyé à un décret pour les modalités de mise en oeuvre de ses dispositions.

Les perspectives de mutualisation des moyens résultant de la possibilité de recourir à un GIP « TIC » devraient tout particulièrement favoriser, à un moindre coût, le développement de l'administration électronique locale.

* 13 Dite loi « informatique et libertés ».

* 14 Les droits consacrés par la loi « informatique et libertés » sont : le droit à l' information préalable , le droit d' accès aux informations nominatives , le droit de rectification , le droit d' opposition et le droit à l' oubli .

* 15 Utilisation à des fins d'exclusion du bénéfice d'un droit, d'une prestation ou d'un contrat, dès lors que cette exclusion ne repose pas sur une condition légale ou réglementaire, ou interconnexion entre des « fichiers » de nature différente .

* 16 Données dites « sensibles », données génétiques, données relatives aux infractions ou aux condamnations, numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR), appréciations sur les difficultés sociales des personnes, ou données biométriques nécessaires au contrôle de l'identité des personnes.

* 17 Il s'agit du numéro de Sécurité sociale.

* 18 Dans un contexte de modernisation de l'Etat, la télétransmission des actes doit permettre une amélioration de l'organisation des services en offrant aux préfectures un instrument de gestion et de suivi. Par ailleurs, la généralisation des échanges électroniques doit pouvoir bénéficier aux collectivités territoriales dans leur relation avec l'Etat, au moment où elles utilisent de plus en plus de documents numérisés.

* 19 Le nouveau projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit (projet de loi n° 1504, XII éme législature) a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 17 mars 2004, puis voté en première lecture à l'Assemblée nationale le jeudi 10 juin 2004 ; à cette occasion, son intitulé a évolué : il s'agit désormais du projet de loi de simplification du droit . Ce texte devrait, en principe, être examiné au Sénat au début de la session ordinaire 2004-2005.

* 20 Déclaration unique de cotisations sociales individualisée. Elle permet de déclarer, sous une forme unifiée, les cotisations sociales obligatoires.

* 21 Au sens du nouveau projet de loi d'habilitation, les autorités administratives désignent les administrations de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics à caractère administratif, des organismes de sécurité sociale et des autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif.

* 22 Rapport remis le 10 janvier 2003 à M. Henri Plagnol, alors secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.

* 23 Il ne s'agit pas d'un compte au sens « comptable » du terme, et, du reste, les dénominations utilisées varient : « compte personnel », « compte citoyen ».

* 24 Aucune loi n'organise un statut général des GIP. Pour chaque catégorie, il existe une loi (par exemple, la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 relative au domaine universitaire). Cependant, un régime général émerge de ce foisonnement normatif, les GIP de l'article 21 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 précitée constituant à cet égard une manière de « standard » juridique. Du reste, la présente disposition renvoie explicitement à cet article.

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