CONCLUSION
Ce rapport a l'ambition, limitée, d'apporter une série d'éléments de fait de nature à éclairer un débat, à l'évidence trop passionnel, sur un impôt tout à fait emblématique de l'exception fiscale française .
D'un point de vue technique, l'ISF est devenu un impôt de plus en plus complexe, du fait de la multiplication des régimes particuliers qu'il a fallu mettre en place pour éviter qu'il ne pénalise trop l'initiative. Son rendement régresse et son produit plafonne, alors que ses effets pervers, dus notamment à de multiples seuils, sont de plus en plus sensibles.
Le contexte dans lequel s'inscrit cet impôt, a profondément changé depuis sa création, il y a maintenant plus de vingt ans.
Nous sommes passés d'une situation de rendements nominaux élevés consécutifs à une inflation à deux chiffres, à des niveaux historiquement bas, ce qui a eu pour conséquence un alourdissement du prélèvement qui tend à favoriser l'exode des compétences, des capitaux et des entreprises.
Parallèlement, avec les progrès de l'intégration économique européenne et de la globalisation, cet impôt apparaît encore plus nettement en décalage avec l'environnement économique et politique de l'économie française.
Alors qu'aujourd'hui seul un petit nombre de pays conserve ce type de prélèvement, la France se caractérise par le cumul d'une imposition du capital particulièrement lourde tant au niveau de sa transmission que de sa détention.
Nul doute que la situation n'est pas soutenable à long terme, qu'un tel impôt ne pourra indéfiniment être maintenu en l'état et qu'il faudra, dès que la situation des finances publiques le permettra, en revoir, sinon le principe, du moins le barème, si l'on veut préserver l'attractivité du territoire national et donc l'emploi des Français.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 16 juin 2004 , sous la présidence de M. Jean Arthuis, président , la commission a entendu une communication de M. Philippe Marini, rapporteur général , sur l' impôt de solidarité sur la fortune .
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué que sa communication relative à l'impôt de solidarité sur la fortune visait, par une mise en perspective sur la période 1997-2003 des données officielles issues du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, à dresser un état des lieux d'un impôt qui suscitait des analyses plus fréquemment fondées sur l'idéologie que sur des chiffres. Il a précisé que son exposé comporterait deux parties, l'une consacrée à une « leçon de chose », l'autre proposant une « boîte à outil », où il était possible de puiser différentes modalités de réforme.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a tout d'abord montré que le nombre de contribuables à l'impôt de solidarité sur la fortune avait fortement augmenté, de 67,5 %, sur les six dernières années, passant de moins de 180.000 à près de 300.000. Il a observé que la progression était, en valeur absolue, particulièrement marquée pour les deux premières tranches du barème, la première tranche enregistrant 42.000 nouveaux contribuables, et la deuxième, 45.000. Il a dès lors jugé que l'impôt de solidarité sur la fortune était devenu un impôt de classes moyennes ou de classes moyennes supérieures. Il a expliqué que, sur la même période, le produit de l'impôt de solidarité sur la fortune avait augmenté dans de moindres proportions, passant de 1,5 milliard d'euros en 1997 à 2,3 milliards d'euros en 2003. Il a souligné que le produit de l'impôt s'était contracté depuis 2001. Il a fait remarquer que les deux dernières tranches du barème représentaient 1,6 % des assujettis et 35 % du produit de l'impôt de solidarité sur la fortune, tandis que la première tranche, qui représentait 47,6 % des contribuables, n'était à l'origine que de 7 % des recettes.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a ensuite montré qu'en conséquence du décalage entre l'évolution du nombre de contribuables et celui du produit, le rendement moyen de l'impôt avait baissé, 1997 à 2003, de 9 %, rappelant que la cotisation moyenne d'impôt de solidarité sur la fortune était revenue de 8.572 euros à 7.792 euros.
En réponse à une interrogation de M. Michel Moreigne, M. Philippe Marini, rapporteur général , a fait valoir que son analyse n'était pas véritablement altérée par le mécanisme du plafonnement. Détaillant l'évolution de la cotisation moyenne par tranche de barème entre 1997 et 2002, il a montré que toutes les tranches, à l'exception de la première, avaient connu une baisse de la cotisation moyenne sur la période. Il s'est, dès lors, interrogé sur les raisons conduisant à constater au sein des tranches supérieures une diminution très sensible du rendement de l'impôt. Comparant de plus, sur les périodes 1982-1986, 1988-1992 et 1996-2000, le rendement nominal des obligations et le taux marginal de l'impôt sur les grandes fortunes, puis de l'impôt de solidarité sur la fortune, il a fait valoir que la soutenabilité de l'impôt était bien meilleure en 1982 qu'à l'époque actuelle, certains actifs pouvant en effet être aujourd'hui, pour des raisons fiscales, privés de tout rendement.
Répondant à M. Aymeri de Montesquiou, M. Philippe Marini, rapporteur général, a montré que cette dernière comparaison ne devait pas prendre en compte le taux d'inflation, afin de mettre en regard le taux d'imposition, qui était un taux nominal, avec un autre taux nominal. Comme M. Aymeri de Montesquiou l'y invitait par ailleurs, il a mis en exergue, en mentionnant l'absence de corrélation forte entre l'évolution de l'impôt de solidarité sur la fortune et la conjoncture économique, le poids de la « bulle immobilière » dans le produit de l'impôt. Il a montré que la part des actifs immobiliers augmentait dans le patrimoine brut global des ménages, précisant, à l'invitation de M. Aymeri de Montesquiou, qu'il convenait de déduire de ce patrimoine brut les éléments de passif pour obtenir le patrimoine imposable. Il a jugé enfin que les chiffres présentés mettaient en évidence sur le plan économique des phénomènes complexes dont l'origine était à trouver dans un mauvais fonctionnement de l'outil fiscal qu'était l'impôt de solidarité sur la fortune.
Evoquant les délocalisations de redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune, M. Philippe Marini, rapporteur général , a jugé que ce mouvement constituait un phénomène stable et durable. Il a observé que si les 2.525 redevables délocalisés entre 1997 et 2003 représentaient moins de 1 % du total, ce chiffre prenait tout son sens lorsqu'il était mis en perspective avec les 4.500 contribuables des deux dernières tranches du barème, les 4.000 contribuables voyant leur cotisation d'impôt plafonnée et, en leur sein, les 1.742 redevables soumis à une limitation de ce même plafonnement. Il a indiqué que les pertes en bases imposables s'établissaient sur les dernières années en moyenne à 1,3 milliard d'euros, compte non tenu, évidemment, des actifs exonérés au titre des biens professionnels qui ne faisaient pas l'objet d'une évaluation par la direction générale des impôts. Il a jugé, qu'en comparaison, le retour des redevables délocalisés était insignifiant, les gains en droits s'élevant seulement à 0,9 million d'euros pour des pertes liées aux départs de redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune de 11 millions d'euros. Il a dressé une typologie des redevables délocalisés, distinguant deux populations, la première, plus âgée, avec un âge moyen de 55 ans, plus fortunée, avec un patrimoine moyen de 15 à 16 millions d'euros, qui partait en Suisse ou en Belgique, la seconde plus jeune, avec un âge moyen de 45 ans, relativement moins fortunée, avec un patrimoine moyen de 2,8 millions d'euros à 3,8 millions d'euros, qui s'établissait au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Il a constaté que, dans tous les cas, la population expatriée était une population plus jeune que la moyenne des redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune, tout en étant expérimentée et nettement plus riche.
M. Philippe Marini, rapporteur général , a dressé ensuite une liste des outils de la réforme à court terme ou moyen terme, qu'il s'agisse de mettre fin aux dérèglements issus de la période 1997-2002, en actualisant le barème en fonction de l'inflation, en supprimant « le plafonnement du plafonnement » et en remettant en cause la tranche marginale à 1,8 %, ou d'introduire des réductions d'impôt ciblées, augmentant l'abattement sur la résidence principale, intégrant les dons aux fondations et prenant mieux en compte les charges de famille.
Sur les moyen et long termes, M. Philippe Marini, rapporteur général , a insisté sur la nécessité d'une vision d'ensemble intégrant les droits de succession, tenant compte de l'impératif de relocalisation des capitaux, qui pouvait constituer le levier d'une réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune. Il a rappelé la faiblesse des marges de manoeuvre budgétaires actuelles qui ne devait pas avoir, néanmoins, pour effet d'éluder toute tentative de dessiner sur la durée une politique fiscale cohérente. Il a montré, à terme, dans l'hypothèse où la France souhaiterait conserver l'impôt de solidarité sur la fortune, le besoin d'un barème fortement restructuré.
Un très large débat s'est ensuite engagé.
M. Jean Arthuis, président , a souligné l'intérêt d'une contribution apportant un éclairage sur la concurrence fiscale entre Etats. En ce qui concernait la familialisation de l'impôt, il a souligné que, selon lui, comme en matière de plafonnement, existaient des stratégies fiscales visant à éviter l'impôt.
En réponse, M. Philippe Marini, rapporteur général , a indiqué qu'il ne disposait pas de données sur ces comportements, regrettant la trop grande timidité de la direction générale des impôts en matière d'élaboration de statistiques.
M. François Marc a jugé la comparaison entre rendement nominal des obligations et taux marginal de l'impôt de solidarité peu pertinente, puisqu'elle ne prenait pas en compte l'inflation. Il s'est demandé si la situation des redevables à l'impôt de solidarité sur la fortune s'était tant détériorée sur les six dernières années par rapport aux autres composantes de la population, rappelant l'existence d'une « fracture sociale ». Il a souhaité savoir si l'évolution des délocalisations de redevables à l'impôt de solidarité ne correspondait pas, en réalité, au phénomène d'internationalisation des mouvements de personnes en cours depuis une vingtaine d'années.
M. Yann Gaillard a souligné l'intérêt des solutions contentieuses pour venir à bout de certains biais concernant l'impôt de solidarité sur la fortune. Il a rappelé l'exigence d'une actualisation du barème en fonction de l'inflation et souligné l'importance de la suppression du « plafonnement du plafonnement ».
M. Jean-Philippe Lachenaud a observé que cette communication permettait d'apaiser le débat et attirait l'attention sur la nécessité d'un meilleur fonctionnement de l'économie. Il a jugé que le retrait de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune de la résidence principale constituerait une mesure utile, comme le serait un dispositif permettant d'activer les richesses dormantes pour les investir dans le capital risque et les entreprises innovantes.
M. Joël Bourdin a souhaité connaître la façon dont les contribuables entraient dans la première tranche. Il s'est montré très intéressé par une mesure exonérant d'impôt de solidarité sur la fortune la résidence principale.
M. Philippe Adnot a souhaité savoir le nombre de contribuables se délocalisant avant cession de leur outil de travail. Il a souligné qu'une réforme du barème ne saurait, en aucun cas, être « gagée » par une suppression de l'exonération au titre des biens professionnels. Il a souhaité que puissent être déduits de la cotisation d'impôt les investissements dans le capital risque.
MM. Roger Besse et Auguste Cazalet ont souhaité connaître les pays européens ayant conservé un impôt sur la fortune.
M. Maurice Blin a fait un lien entre le poids des prélèvements obligatoires sur le patrimoine et le taux de chômage élevé que connaissait la France. Il a regretté qu'en Europe, la France soit une exception en ce qui concernait la fiscalité du patrimoine.
M. Eric Doligé s'est inquiété du phénomène de délocalisation des cerveaux pour des raisons fiscales, jugeant, a contrario, que peu de personnes choisissaient de se localiser en France.
M. Gérard Braun a souhaité obtenir des précisions relatives aux donations et aux démembrements de propriété.
M. Aymeri de Montesquiou a remarqué que, plus les contribuables étaient riches, plus ils pouvaient s'exonérer des contraintes fiscales. Il s'est demandé si les recettes fiscales ne seraient pas plus importantes si l'impôt de solidarité sur la fortune n'existait pas.
M. Paul Girod a souligné la nécessité de prendre en compte le montant des droits de succession afin de disposer d'une vision globale de la fiscalité du patrimoine.
M. Jean Arthuis, président , évoquant les risques de délocalisation fiscale, a rappelé qu'il s'agissait de la raison pour laquelle le législateur avait choisi de ne pas intégrer les oeuvres d'art dans l'assiette de l'impôt.
En réponse aux différents intervenants, M. Philippe Marini , rapporteur général , a rappelé les conclusions du rapport de Michel Charzat commandé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'époque. Il a observé qu'il n'était pas possible de se résigner aux délocalisations pour raisons fiscales. Il a montré que l'entrée dans la première tranche du barème était, pour l'essentiel, due à l'inflation et à l'évolution du marché immobilier, qui n'induisaient qu'un effet de valorisation latent. Il a jugé que la baisse des cotisations moyennes dans les deux dernières tranches était due à des comportements d'optimisation et de localisation fiscales qui devaient interpeller la représentation nationale. Il a rappelé que certains contentieux avaient été initiés, notamment en ce qui concernait le plafonnement de la cotisation d'impôt, et qu'il faudrait d'abord épuiser les voies de recours internes avant d'aborder la question devant la Cour européenne des droits de l'homme. Il a regretté que l'expatriation des biens professionnels exonérés ne soit pas comptabilisée par la direction générale des impôts. Il a montré par ailleurs tout l'intérêt d'un système d'impôt choisi permettant, sous conditions, aux contribuables, d'affecter une part de leur cotisation d'impôt à des missions d'intérêt général et à l'investissement dans l'économie. Il a rappelé, enfin, que seuls l'Espagne, la Finlande, le Luxembourg et la Suède conservaient un impôt sur la fortune, mais dont les dysfonctionnements étaient moindres qu'en France.
La commission a alors donné acte à M. Philippe Marini, rapporteur général, de sa communication et décidé d'autoriser sa publication sous la forme d'un rapport d'information.
IMPÔT SUR LA FORTUNE :
ÉLÉMENTS D'ANALYSE ECONOMIQUE POUR
Le présent rapport d'information présente pour la période 1997-2003 un état des lieux d'un impôt qui suscite des analyses plus fréquemment fondées sur des préjugés que sur des chiffres. Ces chiffres, tous issus des statistiques officielles du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, apportent notamment un nouvel éclairage sur les délocalisations pour raisons fiscales. Ils n'appellent a priori pas de longs commentaires, tant ils frappent par leur évidence. Leur mise en perspective fait néanmoins apparaître des dysfonctionnement tels qu'il a paru utile de proposer une « boite à outils » pour, à court terme, rendre l'ISF plus supportable aux redevables qui l'acquittent et, à moyen terme, définir un barème simplifié plus compatible avec l'attractivité du territoire. Les principes de base de la fiscalité, conduisant à préférer des tranches élargies et des taux d'imposition économiquement réalistes, ont ainsi permis de dessiner plusieurs hypothèses de travail pour une réforme du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune qui prend tout son sens au moment où le rapatriement des capitaux devient une préoccupation gouvernementale. Nul doute en effet que la situation n'est pas soutenable à long terme, qu'un tel impôt ne pourra indéfiniment être maintenu en l'état et qu'il faudra, dès que la situation des finances publiques le permettra, en revoir, sinon le principe, du moins le barème, si l'on veut préserver l'attractivité du territoire national et donc l'emploi des Français. |