LE BILAN CONTRASTÉ DE LA DÉCENTRALISATION EN
MATIÈRE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
M. Jean-Pierre
Balligand, député de l'Aisne
Adrien Zeller et moi-même, dans le cadre de l'Institut de la décentralisation, essayons de défendre la cause de la décentralisation tout en ayant des engagements politiques différents. Nous aurons, dans peu de temps, l'occasion de débattre à l'Assemblée nationale avec M. Marc Philippe Daubresse.
Je souhaiterais revenir sur ce que vient de dire mon prédécesseur, dont j'ai beaucoup apprécié les propos. Si on effectue le bilan de la décentralisation, il est « globalement positif », comme l'a dit M. Bertrand Pancher. La décentralisation est une cause assez noble, et dans des cas importants comme les lycées et les collèges, ce transfert de compétences a été un succès exemplaire. Du temps de la gestion de l'Etat, la situation des lycées et des collèges était un scandale. Aujourd'hui, dans n'importe quel département français, d'énormes progrès ont été accomplis.
Je serais néanmoins plus prudent en matière sociale. Il est audacieux de vouloir dresser un bilan. Un travail important est nécessaire sur la réalisation d'évaluations ex ante , pour pouvoir ensuite la faire ex post , de manière ponctuelle.
L'expérimentation est une bonne chose, mais il ne faut pas en faire une religion. Elle introduit une complexité certaine au niveau du partage des compétences, et il faut faire attention de ne pas généraliser systématiquement des projets qui devraient rester au stade de l'expérimentation. Par exemple, la généralisation de la Prestation spécifique dépendance (PSD) a produit des écarts considérables entre les départements au sein d'une même région. Le traitement apporté à la question de la dépendance a créé une forte hétérogénéité. Il faut donc nuancer le bilan positif.
Que faut-il faire ? Il faut remettre à plat les compétences actuelles. Jeune député en 1981, j'ai voté la décentralisation avec enthousiasme. Quand on en fait le bilan, c'est un lent glissement vers des prises de compétences par des collectivités qui n'avaient pas été choisies au départ. Par exemple, l'action économique des collectivités n'est pas prise en charge globalement par les régions, les statistiques de la direction générale des collectivités locales sont claires sur ce point. Le conseil général, qui a la charge des compétences sociales, veut également prendre en charge les activités économiques, considérées plus nobles et plus valorisantes pour les élus. Comme le conseil général avait obtenu de la loi Defferre des ressources plus importantes que la région, il s'est mis à occuper tout l'espace.
La question posée est celle de la clause de compétence générale, et le texte de loi n'y apporte aucune réponse. La loi Defferre, après les arbitrages du Président de la République, s'est orientée vers la clause de compétence générale : chaque entité (commune, département, région quand elle est devenue collectivité de plein exercice) pouvait agir dans tous les domaines. Nous nous sommes donc retrouvés avec trois piliers concurrents. Comme la commune était peut-être la structure la moins concurrente parce que la plus atomisée, nous avons dû voter les lois Joxe de 1992 et Chevènement de 1999 pour donner des moyens d'action aux communes. Ainsi, les communes qui ne pouvaient pas toujours exercer la clause de compétence générale ont pu le faire par le biais de l'intercommunalité.
Nous ne devons pas étudier cette question comme des acteurs qui font la loi. J'ai d'ailleurs dit à M. Jean Pierre Raffarin que la deuxième loi sur la décentralisation sera beaucoup plus difficile à rédiger parce qu'au moment de la première, il n'y avait pas encore de pouvoirs installés.
Il convient donc de remettre à plat les compétences et d'aborder le problème de la clause de compétence générale. Je souhaiterais que les collectivités en France se voient attribuer une « autorité organisatrice ». Par exemple, la région et l'intercommunalité seraient responsables de l'économie. Il faut que des gens de terrain à un niveau local insufflent l'initiative en matière économique, à partir de connexions avec les universités, à travers les transferts technologiques.
En même temps, il faut partager la taxe professionnelle. On reproche souvent à la gauche d'avoir peu fait pour la décentralisation. C'est faux : en 1999, nous avons décommunalisé la taxe professionnelle, pour arrêter l'opposition entre communes, dans le cadre de la communauté d'agglomération. Un amendement au Parlement a permis d'instaurer la TPU pour les communautés de communes. Je vous rappelle qu'aujourd'hui, 32,7 % des communautés de communes sont déjà passées en taxe professionnelle unique.
Bien évidemment, l'intercommunalité n'est pas un pouvoir, ce n'est pas une collectivité locale. Mais qui aujourd'hui dirige l'aménagement du territoire à l'échelle infrarégionale ? Ce ne sont pas les anciens districts, mais les communautés de communes. En milieu rural, les fédérations de communautés de communes donnent les moyens d'agir. Or ces entités, qui sont les territoires les plus actifs, ne figurent pas dans la loi. On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un phénomène nouveau.
Je souhaiterais conclure sur la citoyenneté. On ne fera pas la décentralisation contre les citoyens. Les Français ont l'impression que la décentralisation n'est qu'un nouveau partage de pouvoir entre élus. Il faut introduire la démocratisation. Certains établissements locaux, comme des communautés urbaines, lèvent des impôts très élevés, supérieurs au budget de la région sans aucun contrôle ou sanction du suffrage universel. Cette situation ne peut pas durer. Les citoyens ne savent plus qui est responsable, et nous traversons une crise du politique qui dépasse le cadre de l'élection présidentielle. Il faut clarifier les compétences pour aborder la question de la citoyenneté. Cette question doit être appréhendée par l'ensemble des responsables politiques attachés à la fois à la décentralisation et à la République.