LA PÉRÉQUATION INTERDÉPARTEMENTALE
:
VERS UNE NOUVELLE ÉGALITÉ TERRITORIALE ?
M.
Claude Belot, sénateur de Charente-Maritime
Nous avons tenté de créer un 101ème département virtuel, pour voir combien les départements dépensent pour chaque habitant pour les compétences obligatoires. Nous sommes arrivés à une dépense moyenne constatée, en euro et par habitant. Les résultats sont tout à fait surprenants.
L'échelle des dépenses réalisées pour remplir les mêmes responsabilités est extrêmement large. Par exemple, pour les dépenses de transport scolaire, on passe du simple au double, selon qu'il s'agisse de la Creuse ou du Val d'Oise. Le rapport des dépenses en matière de voirie entre la Creuse et la Seine-Saint-Denis est de 1 à 200, pour l'APA, il est de 1 à 3. L'ampleur de ces écarts est particulièrement spectaculaire. Il existe une grande différence dans le coût de l'exercice des responsabilités obligatoires pour les départements. Compte tenu de l'obligation de présenter des comptes équilibrés à la fin de l'année, chacun exerce ses compétences en fonction des ses moyens.
Nous avons également procédé à une évaluation des différences de recettes par habitant. Par exemple, la répartition de la base de taxe professionnelle est très inégale, passant de 581 dans la Creuse à 3.830 dans les Hauts-de-Seine. Les résultats ne sont pas erratiques. En réalité, la répartition des départements est assez régulière. Si on effectuait une courbe de Gauss, sa base serait relativement large.
Ce constat de grands écarts de richesses n'est pas sans conséquences sur l'exercice des compétences obligatoires et sur l'aptitude des départements à choisir d'exercer d'autres compétences en partage avec la région. Certains départements ne peuvent pas exercer le pouvoir d'initiative dont ils disposent théoriquement. Si ce constat est banal, nous avons tenté de mesurer objectivement la situation. Il apparaît souhaitable de la corriger. Il existe aujourd'hui un écart croissant dans l'exercice, par les départements, des compétences par rapport à la situation antérieure où la Nation et l'Etat centralisé prenaient en charge ces dépenses.
Nous sommes un petit groupe de sénateurs qui avons tenté de faire évoluer cette situation, notamment lors du vote de la loi Pasqua en 1994. Nous avons préparé des textes audacieux, mais la péréquation horizontale que nous avions imaginée est devenue une idée tellement difficile à appliquer qu'elle n'avait plus beaucoup de sens. En 1998, nous avons tenté de réintroduire cette idée dans la loi Voynet, mais la ministre de l'environnement et Bercy ne considéraient pas cette question comme une priorité.
Peut-être voyons-nous se présenter une nouvelle opportunité. Avec la redistribution des cartes qu'impliquent la décentralisation et les transferts vers les collectivités, il y a peut-être la possibilité de corriger des inégalités aussi flagrantes. Il ne faut cependant pas tout attendre de la décentralisation. La loi votée n'offre qu'une faible marge de manoeuvre pour redistribuer la richesse. Un débat sur l'affirmation du principe d'égalité nationale est inévitable. Sinon, certains départements ne seraient pas à même d'exercer l'ensemble de leurs compétences. Il faut bien mesurer les conséquences de ce problème.
Les élus des collectivités locales les plus riches nous félicitent pour le travail que nous avons accompli. Mais ils nous disent qu'ils ne disposent d'aucune marge de manoeuvre car ils ont déjà mobilisé les moyens humains et financiers pour la réalisation de leurs projets, et ne peuvent pas contribuer au rééquilibrage.
Il est très difficile d'effectuer des réformes dans notre pays. La DGF et les fonds pour la péréquation ne fonctionnent plus, c'est pourquoi il est important de traiter ce problème. Dans le cas contraire, nous risquerions de voir les déséquilibres s'accentuer en France. Or, le pacte républicain implique que chaque citoyen puisse avoir droit d'accès aux mêmes collèges et lycées. Il faudra bien trouver les recettes pour assumer ces responsabilités dans le cadre de la décentralisation.
M. Jean François-Poncet : Je vais donner la parole au sénateur Yves Fréville, grand spécialiste de fiscalité et des finances locales. À sa gauche se trouve M. Michel Klopfer, connu de toutes les collectivités territoriales comme le meilleur spécialiste des questions de finances locales. M. Klopfler et le sénateur Fréville nous ont permis d'avoir une connaissance quasi exhaustive de ce sujet, relativement ésotérique.
Pour compléter les propos du sénateur Belot, je tiens à souligner que notre rapport comporte deux parties. La première, dont il a fort bien parlé, concerne les inégalités considérables de ressources et de charges entre les départements, que nous avons examinées avec une objectivité totale. L'objectivité signifie ici que nous avons éliminé l'impact des politiques pratiquées. Certains départements appliquent leurs compétences de façon plus ou moins dispendieuse ou économe. Pour éliminer ce facteur, nous avons établi, pour chaque dépense obligatoire, des moyennes nationales. Par exemple, dans le domaine de l'éducation, nous avons pris la moyenne par élève, multipliée par le nombre d'élèves, pour obtenir des résultats comparables. C'est une approche totalement neutre.
Le deuxième point sur lequel je souhaitais attirer votre attention est le fait que, instruits par l'expérience, nous nous sommes employés à développer un mécanisme de compensation qui se heurte au minimum de résistances des collectivités les plus riches. Nous proposons de financer les compensations sur la durée, en prélevant les sommes sur la croissance des dotations de l'État, et non sur le montant des dotations actuelles, qui reste garanti pour tous. C'est un dispositif aussi inoffensif que possible. Si on ne veut pas appliquer ce système peu douloureux et basé sur un constat objectif, on se refuse à toute action. Dans ce cas, il est impossible de décentraliser. Sur cette remarque quelque peu abrupte, je passe la parole au sénateur Fréville.