ALLOCUTION D'OUVERTURE
M. Emile
Blessig, député du Bas-Rhin, président de la
Délégation de l'Assemblée nationale à
l'aménagement et au
développement durable du territoire
Au nom des Délégations à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale et du Sénat, je vous souhaite la bienvenue à l'Assemblée nationale pour ce colloque consacré à la décentralisation et ses conséquences sur l'aménagement du territoire. Je salue en particulier Monsieur le ministre Jean-Paul Delevoye, qui a accepté de participer à l'ouverture de ce colloque.
Avec cette nouvelle législature, les deux Délégations à l'aménagement et au développement durable du territoire du Sénat et de l'Assemblée nationale ont décidé de partager les fruits de leurs travaux chaque fois que cela était possible. Cette collaboration a pour but, d'une part, de mieux couvrir le champ de compétences extrêmement vaste des Délégations, et ainsi éviter les redondances, mais aussi d'unir leurs forces dans un certain nombre de démarches, notamment à l'égard des autorités européennes. C'est ainsi qu'en février 2003, les deux Délégations se sont rendues à Bruxelles pour rencontrer le commissaire européen Michel Barnier à propos de l'avenir des fonds structurels européens.
Habituellement, les colloques servent à faire avancer une idée qui n'a pas encore sa traduction politique. Sommes-nous dans ce cas ? Je répondrai par la négative. Notre colloque coïncide avec l'examen en première lecture du projet de loi sur la décentralisation sur lequel nos collègues sénateurs ont déjà accompli un travail considérable, et dont notre Assemblée est maintenant saisie.
Tout ce que nous évoquerons aujourd'hui a déjà été ou sera évoqué au Parlement. Mais au risque de surprendre, c'est volontairement que nous avons souhaité la tenue de ce colloque en pleine discussion de la loi sur la décentralisation. Ce texte nous a été présenté comme un moyen de réformer l'Etat en le désengorgeant, tout en rapprochant les élus et l'administration.du citoyen.
Monsieur le ministre chargé de l'aménagement du territoire, dont je salue encore une fois la présence, nous rappellera les idées maîtresses du gouvernement en la matière. Mais les deux Délégations du Parlement sont ici réunies car elles estimaient nécessaire de lancer un débat. Au-delà de l'objectif de la loi subsiste une incertitude : la nouvelle étape de la décentralisation renforcera-t-elle la politique d'aménagement du territoire ?
La question est éminemment politique. Pourquoi vouloir renforcer l'aménagement du territoire alors que la compétitivité induit concentration des activités, rationalisation, localisation sur quelques axes dans des régions dont le produit intérieur brut est supérieur à la moyenne européenne ? Sans doute parce que nous sentons les effets négatifs d'une concentration excessive. Au delà des normes comptables, nous savons que l'aménagement du territoire est, avant tout, un combat permanent conduit par des élus et des citoyens qui se battent pour le dynamisme de leur région, et ne baissent pas les bras devant les crises qui affectent les bassins d'emplois. Ils cherchent et trouvent des idées dans tous les domaines pour que leurs territoires soient des lieux de vie. Il s'agit d'un choix délibéré de la société française en faveur d'un développement et d'un peuplement de l'ensemble de l'espace national. Cependant, la décentralisation a modifié la nature de l'aménagement du territoire. D'une politique d'Etat pilotée de Paris, il est devenu une responsabilité partagée entre pouvoir central et collectivités territoriales. En effet, avec la première vague de décentralisation, les collectivités locales ont pris en main l'économie de leurs territoires et plus généralement se sont largement impliquées dans la vie sociale et culturelle. Est-ce à dire que l'Etat est devenu le grand absent de cette politique ? Certains l'affirmeraient avec, à l'esprit, la nostalgie d'une époque où il lançait des travaux d'infrastructures, déconcentrait puis planifiait l'installation d'activités dans des régions reculées. Il jouait donc le rôle de grand ordonnateur.
De nos jours, la mondialisation et le libéralisme économique, la délocalisation rapide des activités économiques, la compétition entre régions et pays rendent presque obsolète toute démarche de planification à long terme. On court le risque majeur d'être tenté de considérer l'aménagement du territoire comme un outil dépassé. Ceci reviendrait à miser sur nos points forts (Paris et quelques grandes métropoles), au lieu de mettre l'accent sur le développement équilibré du territoire.
Gardons-nous évidemment de tout excès dans nos analyses : l'Etat existe. Monsieur le ministre, qui a présidé l'Association des maires de France, connaît bien le rôle moteur des collectivités locales ces dernières années, et sait également que la crise budgétaire entrave la volonté d'agir de l'Etat. Dès lors, la décentralisation n'est pas uniquement une nouvelle étape dans notre mode de gestion de l'action publique, mais elle constitue l'occasion de conduire la réforme de l'Etat. Nous commettrions toutefois une grave erreur si nous nous trompions d'objectif. La décentralisation participe de la réforme de l'Etat ; qu'elle en soit à la fois l'origine et l'aboutissement est un constat d'évidence. Que le gouvernement s'y soit attelé avec détermination fait honneur à son volontarisme politique. J'ai également la certitude que la majorité et l'opposition en débattront avec dignité. Mais nous ne décentralisons pas pour répartir des compétences, nous décentralisons car cela répond à une demande et une attente de nos concitoyens. C'est là que nous retrouvons la notion d'aménagement du territoire. Les citoyens attendent des emplois, de l'éducation, de la formation professionnelle, des modes de transports rapides, l'accès aux nouvelles technologies et à la culture. La décentralisation est perçue comme un moyen d'accéder plus rapidement à des services tant publics que privés. Ainsi se pose une série de questions à l'origine de ce colloque à propos du sens à donner à la décentralisation.
Nous vous proposons d'animer cette journée autour de deux thèmes : le premier analysera les conséquences du nouveau volet de la décentralisation sur l'aménagement du territoire ; le second sera abordé cet après-midi et nous permettra d'échanger nos idées sur la notion de péréquation financière.
Nous essaierons ce matin de comprendre pourquoi le projet de loi de décentralisation peut donner une nouvelle dynamique à la politique d'aménagement du territoire. Notre premier champ de réflexion concernera la place respective de l'Etat et des collectivités locales : décentralisation ne signifie pas désengagement de l'Etat, la cohésion du territoire passe par la définition d'une politique au niveau national et au niveau européen. La répartition des compétences entre collectivités n'est qu'un aspect de cette décentralisation. C'est en effet l'architecture globale de notre vie publique qui est en jeu avec la perception qu'en aura le citoyen.
Le citoyen n'est il justement pas devenu une sorte d'« usager de la République », qui attend de celle-ci un ensemble de services rapidement, au moindre coût, n'hésitant pas à comparer les performances des services publics d'une ville à l'autre ? Il ne suffit plus aux collectivités publiques d'exister pour être admises. Elles ont, à l'instar du secteur privé, une obligation de résultat. Dès lors, nous cherchons dans le principe de proximité une solution aux exigences de rapidité de la décision, un mode de gestion plus souple, plus adapté. Sommes-nous assurés qu'une administration est plus efficace quand elle est plus proche ? Quel est le bon niveau de proximité ? Quel est le bon usage de l'expérimentation ? Où en est la subsidiarité ? Ces questions feront l'objet du second thème.
Enfin, un troisième point portera sur les relations futures entre les différents niveaux de collectivités. La répartition des compétences pose encore de multiples questions, comme la dévolution des pouvoirs et le transfert des moyens et des ressources financières qui leur sont corollaires.
Cet après-midi, le président Jean François-Poncet présidera les débats sur la péréquation. Sur la base des travaux du sénateur Claude Belot, le Sénat a produit un travail approfondi qu'il convient de saluer. Je n'insisterai pas outre mesure sur ce point, laissant à Jean François-Poncet le soin de présenter et de conduire le débat avec la finesse et la compétence que nous lui connaissons. Rappelons simplement que le choix de ce thème vient de notre conviction que l'aménagement du territoire est inséparable de la solidarité entre les territoires. Si nous laissons les régions et les départements à leurs seules forces, nous ne réduirons pas les handicaps qui pèsent sur certaines collectivités, nous les aggraverons. La péréquation est donc politiquement un élément de l'unité nationale.
Notre colloque ne sortira pas de son rôle de réflexion. Mais la qualité des intervenants présents à cette table ronde, leur expérience au sein de précédents gouvernements, leur rôle éminent au sein du Parlement ou du Conseil économique et social, des collectivités locales, montre que cette loi ne doit pas se limiter à des transferts de compétences, mais qu'elle doit avoir un sens politique. Je donne donc la parole à M. le ministre chargé de l'aménagement du territoire, Jean Paul Delevoye.