C. DÉVELOPPER LE MÉCÉNAT COMME FACTEUR DE DIVERSITÉ

Activité hybride à la fois économique et culturelle, le cinéma ne s'appuie pas suffisamment sur le ressort puissant que constitue le mécénat.

Le projet de loi que vient de déposer le gouvernement relatif au mécénat, aux associations et aux fondations devrait favoriser le développement d'une source de financement qui devrait jouer un rôle essentiel, non seulement comme complément de ressources, mais comme facteur de diversité culturelle.

1. Une ressource insuffisamment exploitée

Le rapport de M. Jean-Pierre Leclerc constate le faible développement du mécénat dans le domaine du cinéma. Pourtant, le potentiel du secteur semble important.

a) Le constat du rapport Leclerc

Le mécénat culturel est faiblement développé en France tant pour les particuliers que pour les entreprises. Les Français ont déclaré 1 milliard d'euros de dons en 2001, tandis que les entreprises n'y ont consacré que 341 millions d'euros.

Le montant moyen des dons confirme la relative faiblesse des motivations philanthropiques en France par rapport à ce qui existe dans les autres pays.

D'une part, sur 10 foyers fiscaux à peine 15 % ont déclaré un don qui, en moyenne, est de 230 euros.

D'autre part, le mécénat d'entreprise est également peu actif. Ainsi le nombre d'entreprises mécènes reste peu élevé : une société effectue un don moyen de l'ordre de 13.000 euros, ce qui représente moins de 0,3 pour 1000 de son chiffre d'affaires, soit le 10 ème du plafond autorisé par l'article 238 bis du code général des impôts.

Pour compléter ce tableau relativement pessimiste, l'on peut souligner que la France ne compte que 486 fondations reconnues d'utilité publique, 65 fondations d'entreprises, et 1.500 fondations abritées, alors que l'on dénombre 12.000 fondations aux États-Unis et 3.000 « charity trust » au Royaume-Uni.

Selon le rapport Leclerc, une seule fondation est véritablement active en matière de cinéma. Il s'agit de la fondation GAN pour le cinéma . Cette fondation créée en mai 1987, permet notamment à des jeunes cinéastes au nombre de 5 ou 6 par an, de réaliser leur premier long métrage, grâce à une aide financière à la production de 67.600 euros par projet. Un certain nombre de films aidés ont constitué le début d'une belle carrière pour leurs auteurs. Parmi ceux-ci, on peut citer : Microcosmos, Delicatessen, L'odeur de la papaye verte, ou la vie rêvée des anges.

En réalité, à des degrés divers, et il est vrai parfois modestes, de nombreuses entreprises interviennent dans l'attribution de prix ou dans le financement de festivals. L'aide concerne soit des films spécialisés dans une activité en liaison avec celle de l'entreprise, soit des courts métrages. On peut signaler ainsi le prix Altadis du jeune réalisateur, le prix Gras Savoye du court métrage. Enfin, on remarque que la fondation Hachette a décerné des bourses à de jeunes scénaristes pour un montant global de près de 100.000 euros

b) Un terrain pourtant favorable

La nature même de l'activité cinématographique en fait pourtant un domaine très propice aux actions de mécénat.

On citera un exemple tout à fait emblématique : celui de la cinémathèque française dont le ressort principal reste celui de l'initiative privée. L'engagement d'Henri Langlois se perpétue pour faire de cette institution une forme de catalyseur de toutes les énergies et les passions que suscite le cinéma.

Il faut rappeler que les grandes cinémathèques françaises résultent d'initiatives largement personnelles , qu'il s'agisse bien sûr de celle de Paris, créée en 1936, mais aussi de celles de Toulouse ou de l'Institut Lumière de Lyon, à l'origine desquelles l'on trouve chaque fois l'engagement d'une personne privée.

Aujourd'hui encore, le patrimoine cinématographique est , comme le rappelle M. Serge Toubiana, dans son rapport « Toute la mémoire du monde » une affaire de propriété privée . Pour la mission, l'intervention publique doit demeurer subsidiaire, même si sa nécessité n'en reste pas moins évidente.

Nul doute que le mécénat doit pouvoir jouer son rôle, à la fois au niveau de la conservation des oeuvres et de leur création, moins d'ailleurs comme une source de financement complémentaire que comme un facteur de diversité culturelle.

2. La mobilisation des moyens

Le rapport Leclerc, mais aussi celui précité de Serge Toubiana, évoquent l'apport de dispositifs fiscaux pour stimuler le mécénat dans le domaine du cinéma.

Le projet de loi relatif au mécénat, aux associations et aux fondations, défendu par M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, crée les conditions d'une relance du rôle de l'initiative privée en matière culturelle.

a) Tirer parti du projet de loi relatif au mécénat aux associations et aux fondations

L'État n'a pas le monopole de l'intérêt général. C'est sur la base de cette profession de foi que le gouvernement a décidé d'adapter de façon audacieuse la fiscalité pour permettre à la France de rattraper son retard en matière de fondations et d'activités désintéressées.

Dans son architecture initiale, le texte gouvernemental tend à stimuler les dons des particuliers comme des entreprises.

Les particuliers devraient pouvoir déduire de leur impôt sur le revenu 60 % de la valeur de leurs dons aux organismes d'intérêt général répondant aux critères de l'article 200 du code général des impôts dans la limite de 20 % de leur revenu imposable. Compte tenu du niveau des taux moyens d'imposition, un tel régime va permettre aux individus de bénéficier de réductions d'impôt très importantes par rapport à leur cotisation ; mieux encore, avec la possibilité de reports sur 5 exercices, un foyer fiscal pourra donner en franchise d'impôt, sur 5 ans, l'équivalent de la totalité de son revenu imposable d'une année.

Les entreprises bénéficient également d'un assouplissement du régime de l'article 238 bis du code général des impôts. La déduction du revenu imposable, qui ne s'accompagnait que d'un avantage de l'ordre de 33 %, compte tenu du taux de l'impôt sur les sociétés, laisse la place à une réduction d'impôt de 60 %.

Parallèlement, la limite de cette possibilité de versement à des organismes à caractère d'intérêt général passe de 3,25 pour 1000 à 5 pour 1000.

Le nouveau dispositif comporte des effets de levier très puissants. Telle est la raison pour laquelle vos deux rapporteurs n'estiment pas réaliste d'aller aussi loin que l'évoque M. Serge Toubiana qui préconisait d'appliquer le dispositif de l'article 238 bis 0-A du code général des impôts, relatif aux trésors nationaux à certains grands films historiques.

En fait, il semble possible, d'une part, de se contenter de la déduction de 60 % prévue par le projet de loi précité, et d'autre part, de faire jouer la possibilité actuellement reconnue par les services fiscaux de donations d'oeuvres en nature. Il semble effectivement qu'un particulier devrait pouvoir donner un film à une cinémathèque et déduire sa valeur marchande de son revenu imposable, éventuellement sur plusieurs années.

b) Permettre l'affectation des droits non investis aux fondations dédiées au cinéma

Le rapport Leclerc fait figurer parmi les dispositions destinées au renforcement des capitaux propres des sociétés de production, la possibilité pour certains producteurs, de mobiliser leurs droits de tirages sur le compte de soutien pour le renforcement de leurs capitaux propres.

De fait, une telle mesure serait de nature à diminuer la dette flottante qui pèse sur le CNC dans la mesure où une partie des producteurs ne peuvent pas utiliser les droits qu'ils ont acquis.

Vos deux rapporteurs considèrent, sans pour autant condamner cette piste, qu'il faudrait en étudier une autre permettant aux producteurs qui ne sont pas en mesure d'utiliser leurs droits de tirage, de les affecter à une fondation consacrée au cinéma.

Les fondations ainsi alimentées par les ressources du compte de soutien, pourraient aider, non seulement la réalisation de scénarios ou le montage de premiers films, mais encore la conservation du patrimoine cinématographique.

Ainsi pourrait-on retrouver, mais dans le cadre d'une initiative privée, l'idée développée par Serge Toubiana dans son rapport précité consistant à permettre de financer indirectement sur le compte de soutien des opérations de conservation ou de restauration . D'une certaine façon, il s'agit de récupérer, au profit du patrimoine cinématographique, les droits de tirages en déshérence, ce qui n'est pas sans rappeler certaines initiatives de la commission des finances dans d'autres secteurs du patrimoine.

*

* *

Le présent rapport d'information ne comporte pas en annexe de liste de mesures. D'abord, parce qu'il a paru possible de s'appuyer, dans de nombreux cas, sur celle, très complète, dressée par M. Jean-Pierre Leclerc ; ensuite et surtout, en raison de l'approche même retenue par vos deux rapporteurs : s'ils ont évoqué, ici ou là, des propositions concrètes, il s'agit de simples exemples qui doivent être soumis au crible des examens contradictoires des différents acteurs du secteur.

Une liste récapitulative est apparue d'autant moins nécessaire que l'ambition de vos deux rapporteurs est , avant tout, d'engager les intéressés, administrations et professionnels , à entreprendre une réflexion sur les mécanismes mêmes du compte de soutien , dont on peut se demander s'ils n'ont pas quelque peu vieilli dans un espace économique et culturel désormais largement mondialisé.

L'augmentation des ressources , que vos rapporteurs envisagent effectivement comme une priorité, est la condition nécessaire mais non suffisante pour éviter la crise .

Même si le changement d'assiette de la taxe sur les vidéogrammes, ainsi que les éventuels aménagements du régime fiscal constituent un appoint non négligeable, ils ne sauraient nous dispenser d'un changement de méthode et de mentalité.

Effectivement, il va sans doute falloir s'habituer à se développer au sein d'un espace économique qui a cessé d'être en expansion rapide, autrement dit être capable de « faire tourner la machine » avec des ressources financières qui, dans la meilleure des hypothèses, ne connaîtront qu'une croissance lente.

Or le système d'aide français a évolué de telle manière qu'il ne facilite guère les choix. S'il a permis une plus grande sélectivité, c'est au prix d'une complexité croissante et d'un manque de lisibilité pour les intéressés.

Cette évolution s'est traduite par un certain décalage entre les mots et les choses : l'aide automatique a été rendue à ce point dégressive qu'il s'agit déjà d'une forme d'aide sélective ; quant à l'aide sélective proprement dite, il s'agit en réalité d'une aide discrétionnaire, qui, du fait de son ampleur, ne peut guère échapper au soupçon d'arbitraire voire de favoritisme

La torsion du système d'aide automatique pour y introduire de la sélectivité a atteint ses limites, car la logique de marché n'est pas forcément la plus adaptée pour faire de l'interventionnisme .

A ce glissement progressif, s'est ajouté un malentendu qui tend à faire des ressources du compte de soutien et, en particulier, de l'aide automatique, la propriété de la profession .

Il y a là une question de principe : autant les ressources provenant des entrées-salles peuvent être considérées comme l'argent du cinéma, même s'il s'agit en fait de celui des spectateurs, autant la taxe sur la publicité télévisée -qui est un prélèvement sur un secteur d'activité au profit d'un autre - procède d'une logique fiscale , ce qui fait relever sa redistribution de la responsabilité de l'État. C'est à lui qu'il incombe d'en définir les modalités, même si dans le secteur plus encore que dans d'autres, il doit prêter une oreille attentive aux attentes des professionnels.

Sans doute, le compte de soutien peut-il continuer à fonctionner suivant les règles actuelles en l'absence de chocs externes, qu'il s'agisse du retrait de Canal + ou d'une remise en cause radicale du système par les autorités de Bruxelles.

Mais, surtout dans une hypothèse de rupture, il faudrait se tenir prêt à adapter les principes qui sous-tendent l'aide actuelle.

Au départ de l'enquête, il y a en effet un constat réaliste : l'augmentation des ressources du compte de soutien affectées au cinéma ne suffira pas à préserver de la crise le système d'aide publique au cinéma.

L'élargissement de l'assiette de la taxe vidéo, de même que, éventuellement, des aménagements fiscaux, nécessairement limités dans la conjoncture actuelle, ne sont pas des initiatives de nature à éviter une évolution à moyen terme des procédures d'aide.

Il faut donc selon vos rapporteurs, engager toutes les parties prenantes à se pencher, dès maintenant, sur le devenir du système d'aide.

Apportant leur contribution à ce processus de réflexion collective , vos rapporteurs estiment qu'une réforme devrait s'organiser autour de deux axes principaux : la mise en oeuvre de procédures évaluables, la clarification des mécanismes financiers.

Le premier point consiste à appliquer au secteur du cinéma les principes généraux de responsabilisation des acteurs publics, tels qu'ils résultent de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

Il convient de faire évoluer le système d'aide pour le rendre « auditable » , c'est-à-dire que l'on puisse associer à des masses budgétaires des résultats mesurables, ce qui est à l'évidence plus facile à énoncer qu'à mettre en oeuvre s'agissant des aides sélectives, dont l'exemple emblématique est l'avance sur recettes. Même si cette procédure, qui mobilise beaucoup de compétences et de bonnes volontés, donne apparemment satisfaction et paraît recueillir un assez large consensus de la profession, on peut estimer qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire pour en apprécier pleinement les résultats.

Comment ne pas être frappé par le fait que plus de la moitié des films produits n'atteignent pas 25.000 entrées et que 60 % d'entre eux ne sont jamais diffusés sur des chaînes en clair, même s'il s'agit de deux aspects distincts de la question de la sous-exposition au public d'une bonne part de la création cinématographique.

Il est difficile de ne pas y voir un certain gaspillage de talents , bien que l'on puisse considérer qu'il n'est pas anormal de connaître des échecs ou de s'engager dans des impasses, s'agissant d'une activité assimilable à de la recherche-développement.

L'autre axe de réflexion concerne les procédures financières qui doivent être clarifiées. Actuellement, le système fait l'objet de deux catégories de critiques : d'un côté, il y a ceux qui estiment que le soutien automatique, qui découle des entrées-salles, est trop important et entretient l'inflation des coûts ; de l'autre, il y a ceux qui dénoncent l'importance excessive de l'aide sélective et son caractère arbitraire.

Vos deux rapporteurs ont essayé de dépasser cette opposition pour considérer qu' il faudrait, à côté du soutien automatique, faire deux parts dans ce qui s'appelle aujourd'hui l'aide sélective , pour distinguer :

- les aides sélectives classiques attribuées sur dossier de façon discrétionnaire ;

- les aides sélectives ciblées ou fléchées accordées à guichet ouvert comme les aides automatiques, sur la base de critères objectifs de nature comptable ou commerciale .

L'équilibre entre chaque catégorie n'a pas à être défini à ce stade. Mais le nouveau système ne devrait pas, dans l'esprit de vos rapporteurs, comporter d'éléments de rupture dans les flux financiers actuels. En particulier, le montant du soutien automatique et des aides sélectives ciblées, d'une part, et l'aide sélective sur dossier, d'autre part, devrait se situer, pour les principaux opérateurs, en cohérence avec ce qu'ils reçoivent actuellement à un titre ou à un autre. C'est en effet à cette condition de continuité financière que la profession, qui doit rester associée à la gestion de l'aide, peut accepter l'inéluctable changement de la règle du jeu .

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