B. DE LA CAISSE D'AMORTISSEMENT À LA CAISSE NOIRE : LES MÉCANISMES D'UN DÉVOIEMENT
1. Le paradoxe de la présentation
Afin d'assurer la crédibilité de la Caisse auprès des marchés financiers, le choix fut fait dès l'origine de construire pour la CADES un plan de financement anticipant un excédent au 31 janvier 2009, et ce, même si un scénario moins favorable devait se réaliser.
Les choix qui ont présidé à cette construction avaient une implication forte : prolonger par précaution l'autorisation de percevoir la CRDS, en espérant in fine que l'effet sur la crédibilité de la caisse se traduirait par un financement à meilleur marché, et donc, pour les Français, par une diminution du coût d'amortissement de la dette sociale.
Ce choix a été confirmé lors de la réouverture de la CADES en 1998, puisque la reprise du nouveau stock de dette de la sécurité sociale fut accompagnée d'un allongement de la durée de vie de la caisse de cinq ans. Tant en 1996 qu'en 1998, il semblait acquis qu'en cas de réalisation du scénario central, les dettes auraient été amorties plus vite et la perception de la CRDS abandonnée plus précocement.
Mais, dès l'encre du plan de financement séchée, le Gouvernement d'alors a prétendu faire découvrir la perspective d'un excédent en fin de vie, et a procédé à une première ponction, réduisant ce faisant la marge fixée initialement qui sert à la caisse de garantie.
Ainsi, sans doute semblerait-t-il équitable pour les générations futures, qui remboursent une dette à laquelle ils ne furent pas parties, que la Caisse soit construite sans excédent prévisionnel en fin de vie, interdisant ainsi toute ponction. Mais une telle hypothèse se traduirait par une baisse de la confiance des investisseurs et donc une hausse du coût de refinancement de la Caisse...
« Piège abscons », l'incohérence temporelle de la décision publique enferme la Caisse dans le châtiment de Prométhée : l'excédent prévisionnel est chaque fois reconstitué pour que le budget de l'État puisse le prélever...
Il n'y a pas de solution à cette difficulté, sauf à placer la CADES hors de la compétence du législateur ordinaire.
En réalité, l'attitude successive des gouvernements a profondément modifié la philosophie de la CADES. Alors que le principe originel fut de fixer une date butoir éloignée pour amortir la dette du passé, en assurant que celle-ci serait, au regard des efforts exigés, amortie avant, cette date est devenue un horizon minimal de perception de la CRDS.
2. L'imposture des « excédents »
On a pu souvent entendre la référence faite aux notions « d'excédent », ou encore de « marge de manoeuvre », ou « d'avance » de la CADES, et ce dans un même posture : justifier un prélèvement. Votre rapporteur a interrogé la CADES sur la réalité de ces notions. Il a obtenu les réponses suivantes :
« L'excédent de la CADES ».
Dès l'origine et afin de rassurer les investisseurs, la CADES a toujours été présentée avec une trésorerie positive à la fin de sa vie . Ceci a été le cas en 1996 puis en 1998 lors de l'allongement de cinq ans de la vie de la CADES, pour neutraliser la nouvelle reprise de dette, l'équilibre global de la CADES devant être préservé.
(...) Cet « excédent » n'apparaît que dans les derniers mois de vie de la CADES . Son montant varie avec les hypothèses de taux, de croissance et d'inflation (...).
Il ne s'agit en aucune façon d'argent disponible dès maintenant.
Cet excédent futur est en outre théorique. Rien n'empêcherait un gouvernement qui constaterait que la CADES vient d'atteindre une situation nette nulle, de la fermer aussitôt et de mettre fin simultanément à la perception de la CRDS.
Les « marges de manoeuvre de la CADES ».
Un excédent final de trésorerie apparaissant sur les simulations présentées par la CADES, la tentation est grande de penser qu'il permet des « marges de manoeuvre » plus ou moins importantes, pouvant aller jusqu'à la « remise à zéro » de la CADES. C'est ignorer volontairement que tout prélèvement supplémentaire ou tout rétrécissement de l'assiette de la CRDS , en l'absence de compensation, diminue l'excédent final, accroît la possibilité qu'il soit négatif et recule de fait la date à laquelle un gouvernement pourrait mettre fin à la perception de la CRDS.
« L'avance de la CADES ».
Constatant que, pendant les premières années, la CRDS a crû à un taux supérieur à celui de 3,5% sur lequel repose le scénario central de la CADES, certains ont pu justifier des mesures ponctuelles en parlant de « l'avance de la CADES » sur son plan de marche. Cette avance est tout aussi théorique et peut être remise en cause par un ralentissement économique.
Ce prélèvement sur « des excédents » aujourd'hui nécessairement inexistants, - la CADES doit encore amortir plus de 30 milliards d'euros de dettes -, n'est toutefois pas neutre du point de vue des coûts.
Toute personne qui recourt au crédit fixe un échéancier de remboursement, le montant des intérêts correspondant annuellement à cet emprunt est d'autant plus élevé que le capital restant dû est important. Ainsi, en début de période, le débiteur assume une charge d'intérêts plus importante qu'en fin de période, moment où il a déjà remboursé une partie du capital.
Ce processus classique, que tout Français ayant acquis par crédit un bien immobilier connaît, devrait théoriquement s'appliquer la CADES. Le schéma initial d'apurement le laissait toutefois penser. Or il n'en est rien car les différentes mesures venant dégrader le résultat annuel de la CADES interdisent qu'il en soit ainsi, intervenant comme si la caisse se trouvait contrainte à demander un nouveau « différé d'emprunt ».
Il faut naturellement être conscient que lorsque la CADES ne réalise pas une année donnée un résultat positif, elle n'amortit pas cette année-là la dette de la sécurité sociale. Lorsqu'elle réalise un déficit, elle se trouve même contrainte d'accroître son stock de dettes.
Elle se trouve d'une part empêchée momentanément de remplir sa mission et, d'autre part, condamnée à le faire de manière différée donc avec un surcoût.
Ainsi, le plan de financement initial prévoyait que la dette sociale serait apurée de manière relativement linéaire. Les différentes mesures intervenues depuis ont abouti à ce que la caisse se trouve confrontée à la nécessité de rembourser brutalement l'essentiel de sa dette pendant les dernières années de son existence. Jusqu'à quel point peut-t-on durcir la pente de l'échéancier de la CADES ?
A titre d'exemple, si la CADES avait été préservée de toute manipulation (hormis la réouverture de 1998), elle aurait pu dans le cadre du scénario central, amortir la totalité de ses dettes au minimum dès 2011 épargnant aux contribuables le versement de deux ans de CRDS, soit 14,2 milliards d'euros, soit plus de 90 milliards de francs.
Si la probabilité reste importante que la CADES affiche à son échéance une situation positive 11 ( * ) , les mesures prises depuis 2001 augmentent fortement :
- la probabilité que le remboursement ne sera pas effectué avant la date butoir ;
- la probabilité que celui-ci ne sera pas réalisé au butoir.
Distribution de la valeur finale de la CADES au
31/01/2014
(structure actuelle)
avant mesures |
1,3 milliard de versement FOREC en 2003 |
2.5 milliards de versement FOREC
|
|
Probabilité de situation nette négative en 2014 |
0,23 % |
0,94 % |
2,73 % |
Probabilité de situation nette négative en 2013 |
0,40 % |
1,23 % |
3,98 % |
Probabilité de situation nette négative en 2012 |
4,59 % |
11,09 % |
25,10 % |
Probabilité de situation nette négative en 2011 |
34,41 % |
51,00 % |
69,50 % |
Probabilité de situation nette négative en 2010 |
87,28 % |
95,28 % |
99,13 % |
Source : d'après CADES
3. L'obscurcissement inutile des missions
Conçue initialement sur un schéma clair, la légitimité des interventions d'une caisse qui devient, au gré des décisions gouvernementales, un instrument de politique fiscale, d'une caisse noire, ou une chambre de compensation est de moins en moins facile à comprendre.
Plaque tournante des finances sociales, la CADES semble assurer aujourd'hui une double mission - paradoxale - de rembourser à l'État et à la sécurité sociale les dettes qu'ils ont l'un envers l'autre.
Il serait nécessaire de s'interroger sur l'utilité ou la vacuité de ces montages financiers.
Le premier de leur caractère est d'être absolument neutre au regard des critères maastrichtiens, tant en stock, c'est-à-dire sur le montant de la dette publique, qu'en flux, c'est-à-dire sur la norme tolérée de déficit.
En effet, les comptes de la caisse figurent parmi les comptes des « organismes divers administration centrale » (ODAC). Lorsque le budget reporte une charge sur la CADES, cette charge se trouve imputée par les autorités européennes de la même manière que s'il avait décaissé lui-même la somme. Il en est de même lorsque l'État reporte sa dette sur celle de la CADES.
Pour être neutre au regard des critères de Maastricht, ces montages ne sont pas sans coût :
- ils induisent un risque de perte de crédibilité de la Caisse auprès des marchés que son président tente, avec succès d'ailleurs, de compenser ;
- ils font supporter aux contribuables une charge inutile car il ne faut pas oublier que la CADES, malgré l'excellence de sa signature, emprunte tout de même 0,05 % plus cher que l'État.
* 11 Elle pourrait ainsi disposer de 9,28 milliards d'euros à cette date (fréquence moyenne la plus élevée selon le modèle de gestion actif-passif de la CADES).