IV. LE SOUDAN : LES PROMESSES D'UNE PAIX À CONFIRMER
Plus grand pays africain par l'étendue (2,5 millions de km 2 ), le Soudan peine à sortir d'une guerre civile quasiment ininterrompue depuis son indépendance, en 1956 .
Les quelque 31 millions de soudanais, qu'ils vivent au nord ou au sud du pays, en paient le prix fort par leur maintien dans une misère généralisée (PIB par habitant équivalent à 1 800 USD en 2001) et, pour certains d'entre eux, un exil durable, soit interne (la capitale, Khartoum, regroupe ainsi 6 millions d'habitants, soit environ 20 % de la population dont de nombreux Soudanais qui ont fui les combats), soit hors des frontières. Ces déplacés sont, au total, évalués à quatre millions de personnes.
Si le processus de paix en cours se confirmait, les nombreux atouts dont dispose le Soudan, en matière hydraulique ou pétrolière, notamment, pourraient être enfin valorisés, au profit des couches de la population les plus déshéritées. Il reste à espérer que l'avenir donnera enfin sa chance à la paix.
A. UNE GUERRE AUX MULTIPLES MOTIFS
Le clivage du Soudan actuel entre une zone nord arabe et islamiste, et une zone sud, noire et non musulmane, mais chrétienne et animiste, remonte à l'installation, dans le courant du XVIIème siècle, de grands sultanats qui exerçaient leur suzeraineté de la Nubie jusqu'au Kordofan.
La partie sud du pays fut rattachée à cet ensemble à partir de 1821 : s'ouvrit alors la période « turque », c'est-à-dire la prise de contrôle de la totalité du territoire de l'actuel Soudan par le vice-roi d'Egypte Méhémet Ali, en quête d'hommes à enrôler dans son armée.
L'emprise britannique sur l'Egypte, à la fin du XIXème siècle, y substitua un condominium anglo-égyptien, qui dura de son établissement, en 1898, à l'indépendance du Soudan, en 1956. La puissance coloniale établit une nouvelle différenciation entre le nord et le sud : autour de Kartoum -fondée en 1824 au confluent des deux Nil, blanc et bleu- les Britanniques développèrent l'économie, et stabilisèrent leur gouvernement en s'appuyant sur les réseaux mahdistes, partisans d'une branche de l'islam née en Nubie.
En revanche, ils choisirent de tenir le sud à l'écart de l'islam, et y protégèrent l'activité de missionnaires protestants ; l'anglais y fut enseigné, au détriment de l'arabe.
A l'indépendance, les élites politiques et culturelles musulmanes de Khartoum s'emparèrent du pouvoir, mais ne purent jamais y soumettre ces régions méridionales.
Pour autant, la fracture qui oppose les populations arabes et musulmanes, au nord, aux habitants noirs et chrétiens ou animistes, au sud, n'est pas propre au Soudan. On la retrouve dans d'autres pays d'Afrique, situés à la même latitude comme le Tchad ou le Niger, par exemple.
Cependant, la situation soudanaise est spécifique par la présence, dans les régions du nord, de nombreuses populations qui ont fui les combats souvent impitoyables pour les civils qui ont dévasté les régions sud. On ne peut donc pas considérer que les populations, qu'elles soient implantées au nord ou au sud du pays, constituent des blocs soudés et antagonistes .
Par ailleurs, le Sud s'est doté d'un dirigeant, John Garang -qui a d'ailleurs parfois imposé sa prééminence par la force- qui dispose d'une nébuleuse de relais et de soutiens dans divers pays occidentaux, ce qui a contribué à médiatiser son action, mais aussi à l'interpréter selon des grilles d'explication qui ne sont pas toujours pertinentes.
En effet, de nombreuses organisations d'obédience chrétienne, situées en Europe du nord ou aux Etats-Unis, ont présenté une vision réductrice de cette guerre civile, décrivant un Nord islamiste et dominateur, aux pratiques archaïques et prédatrices envers les populations sudistes, qui seraient soumises de force à la Charia, et parfois réduites en esclavage.
Or, l'ensemble des observateurs impartiaux de ce conflit en soulignent la complexité, dans les motifs comme dans les alliances, et s'accordent sur le fait que l'opposition religieuse entre nord et sud a dramatisé les tensions entre les acteurs impliqués, mais n'en constitue pas le facteur déterminant . Cette guerre civile, marquée par de nombreuses exactions, oppose deux régions dissemblables par l'histoire, la culture, les ressources ou le peuplement, et ce sont les populations d'ethnie Dinka, enracinées au sud du pays, qui en ont été les principales victimes.
De plus, le Soudan a, sous l'impulsion du dirigeant islamiste Hassan El Tourabi, tenté d'asservir l'ensemble de sa population, musulmane ou non, aux pratiques d'un islam intégriste inspiré de l'Arabie saoudite qui lui étaient étrangères. En effet, l'islam soudanais est, du fait de son inspiration mystique soufie, ainsi que par tradition, d'une grande tolérance envers les autres religions. Aussi la tentative de radicalisation entreprise par Tourabi a échoué ; il a été placé en résidence surveillée en 2000, quand les dirigeants soudanais ont mesuré l'isolement diplomatique que leur valait cette politique irresponsable. Par ailleurs, ce pays a accueilli sur son territoire, de 1990 à 1996, Oussama ben Laden qui s'y livrait officiellement à ses activités d'homme d'affaires prospère, mais qui a probablement mené d'autres activités plus subversives.
Désigné par les Etats-Unis comme la base arrière des groupes qui ont perpétré, en 1998, les attentats contre leurs ambassades à Nairobi et à Dar-Es-Salaam, figurant dès 1993 sur la liste « noire » des pays soutenant le terrorisme international, accusé d'être à l'origine d'une tentative d'assassinat du président égyptien Hosni Moubarak accomplie lors d'une réunion de l'OUA à Addis-Abeba, en 1995, le Soudan a saisi l'occasion présentée par le nouveau contexte stratégique de l'après 11 septembre 2001 pour condamner les attentats commis sur le sol américain, et offrir sa coopération aux Etats-Unis.
Ceux-ci ont alors envoyé en mission le sénateur John DANFORTH, qui a jeté les premières bases des négociations inter-soudanaises ayant abouti à la signature du protocole de Machakos , ville du Kenya où les pourparlers se sont tenus. Un cessez-le-feu a été conclu à Nairobi, le 18 novembre 2002 , entre les deux parties soudanaises ; il est globalement respecté, et accompagne utilement l'avancée des discussions.
La phase actuelle porte sur l'interprétation du Protocole de Machakos sur le plan institutionnel et économique. Soulignons que le Président Chirac a désigné, lors du dernier sommet France-Afrique, un émissaire français, M. Henri de Coignac, pour représenter notre pays à ces négociations, entreprises sous l'égide de l'IGAD. La situation qui prévaut aujourd'hui est donc ouverte : la paix peut s'y enraciner, mais les modalités d'application des dispositions de principe arrêtées à Machakos peuvent également relancer le conflit.