GÉRER LA CONNAISSANCE
Dans l'économie industrielle classique, née du 19 e siècle, les périodes de ruptures technologiques étaient suivies de durées d'exploitation assez longues. Dans ce cadre, l'adaptation des connaissances ne posait pas de problèmes particuliers.
Dans l'économie moderne, il en va autrement.
Le secteur des microprocesseurs, en poussée technologique continuelle depuis plus de quarante ans, illustre bien le changement intervenu dans la dynamique de l'économie d'aujourd'hui.
Tout autant que le capital, l'exploitation de la connaissance scientifique et technologique est devenue un facteur déterminant de la compétitivité des grandes économies.
Comme le capital, c'est un facteur de production qui se mondialise rapidement ; les chercheurs et les ingénieurs, actuellement, s'importent et s'exportent.
Dans ce cadre, il est plus que probable que seuls les pays qui sauront gérer le facteur humain - c'est-à-dire produire de la connaissance, la conserver, organiser sa diffusion et sa valorisation - pourront prétendre à conserver la maîtrise de leur développement 31 ( * ) .
C'est particulièrement vrai pour la France qui bénéficie d'une forte attractivité en raison de la qualité et du nombre des étudiants qu'elle forme au niveau prédoctoral ou doctoral.
Une ambition de ce type, dont la réalisation touche beaucoup d'aspects de la vie économique, sociale et culturelle de notre pays excède, de beaucoup, l'objet de cette étude, et même de l'organisation du soutien aux filières de haute technologie. Elle la recoupe, pourtant, sur beaucoup de points en matière de formation initiale, comme de formation continue.
La formation initiale
Remédier à la crise des vocations scientifiques
Dans la plupart des grands pays scientifiques on fait le même constat qu'en France : les formations scientifiques attirent de moins en moins d'étudiants (aux États-Unis, le nombre des docteurs de nationalités étrangères en sciences approche celui des docteurs de nationalité américaine).
Même si les raisons de cette situation sont complexes, il est urgent que les pouvoirs publics engagent rapidement une politique permettant de redresser cette évolution, y compris au prix de mesures que l'on pourrait juger discriminatoires - comme par exemple dans le domaine du nombre et du montant des bourses ou de l'accueil des étudiants étrangers .
Anticiper les évolutions
la formation à la pluridisciplinarité
L'apparition des microsystèmes et des nanotechnologies commande une plus grande interdisciplinarité .
Or, les formations scientifiques telles qu'elles sont conçues, à l'université ou dans les écoles, sont organisées en fonction d'une spécialisation croissant avec la durée des études.
Il semble donc souhaitable qu'une réflexion soit engagée afin d'étudier comment notre système de formation pourrait prendre en considération une évolution incontournable et qui semble aller à l'encontre de sa logique d'organisation actuelle .
Prévoir les besoins dans le domaine de la conception assistée par ordinateur
Dans les écoles d'ingénieurs, il paraît essentiel de faire un effort dans un domaine de la microélectronique où le manque de diplômés se fait déjà sentir : la conception assistée par ordinateur.
Il s'agirait ici d'accroître les moyens des écoles spécialisées en logiciels de simulation 32 ( * ) et de créer, dans une ou deux implantations, des unités de valeur correspondante.
Quoiqu'en apparence peu ambitieuse, cette préconisation permettrait au système de formation français de conserver une maîtrise et d'opérer un pouvoir d'attraction dans un segment du secteur qui devient de plus en plus important.
Relancer la formation en microélectronique et microsystèmes
Cette formation repose, dans un premier stade, sur les écoles d'ingénieurs puis, à l'échelon bac+5, sur le Centre national de formation à la microélectronique (CNFM).
Le CNFM est un GIP constitué entre le ministère de l'éducation nationale et le SITELESC (Syndicat professionnel des fabricants de semi-conducteurs).
Il est organisé en centrales de moyens à vocation régionale ou interrégionale. Il forme actuellement 1 000 spécialistes en microélectronique et fournit à 2 000 étudiants non spécialisés une formation dans ce domaine - ce qui est un élément de pluridisciplinarité fort.
Son action, dans un secteur où une insuffisance de main d'oeuvre qualifiée se manifeste déjà, est essentielle.
Mais il est nécessaire de l'amplifier.
D'une part, parce que les besoins industriels se diversifient, notamment vers les systèmes sur puces et les microsystèmes, mais également dans ceux de la simulation et des tests.
D'autre part, parce qu'une projection des besoins montre qu'il est nécessaire de doubler de 1 000 à 2 000 le nombre des spécialités en microélectronique, et d'augmenter pour 1 000 diplômés supplémentaires le volume des enseignements en microélectronique pour les filières à bac+5.
Ces objectifs pourraient être progressivement atteints en cinq ans sous réserve d'allocation de moyens financiers supplémentaires de l'ordre de 5 millions d'euros par an.
Si la France veut conserver les atouts dont elle dispose du fait de son système de formation, il est indispensable qu'elle se donne les moyens, dans ce domaine, de l'adapter en permanence.
A cet égard, on doit formuler une observation : le partage de notre système de formation entre plusieurs ministères dotés de moyens financiers insuffisants, paralysés par la culture de la verticalité administrative, constitue un handicap important.
On mesure, comme trop souvent dans notre pays, une certaine incapacité à mesurer les enjeux, à fixer des priorités et à les doter de moyens suffisants dans la durée . Considérer que l'avenir de la formation dans une branche aussi stratégique dépende d'une majoration de financement annuel de 5 millions d'euros dont les ministères concernés n'arrivent pas à se répartir la charge laisse perplexe.
La formation continue
La France se situe au second rang européen pour le nombre de diplômés en sciences et ingénierie par rapport aux classes d'âge (20-29 ans).
A ce titre, elle forme 80 % de plus d'ingénieurs que les États-Unis et 60 % de plus que le Japon 33 ( * ) .
Sa formation continue est-elle à la hauteur de l'excellence de cet effort initial ?
Plus tout à fait.
Le dispositif de la loi sur la formation professionnelle continue de 1971
Le système de formation continue dans les entreprises reste, pour l'essentiel, régi par la loi du 16 juillet 1971 . Il draine environ 150 milliards d'euros par an au travers de canaux quelquefois complexes.
Ce texte a vieilli.
Pour preuve, la France, qui avait été un pionnier dans ce domaine, se situe maintenant dans la moyenne des pays de l'Union européenne, derrière le Royaume-Uni et les nations du nord de l'Europe.
On peut également poser la question de la pertinence du dispositif général, et surtout son adaptation aux exigences des filières de haute technologie. Celles-ci, constamment soumises à la pression de l'innovation technologique, engagent des sommes beaucoup plus élevées (de l'ordre de 6 à 7 % de leur chiffre d'affaires) que l'obligation légale de 2 %.
Il est de toute façon nécessaire d'envisager une refonte de la loi de 1971, et à cette occasion il serait souhaitable d'engager une réflexion particulière sur la formation continue dans les filières de haute technologie .
Le crédit d'impôt formation
Il existe un crédit d'impôt formation, mais celui-ci est réservé aux PME (plus précisément aux entreprises réalisant un chiffre d'affaires de 7,63 millions d'euros).
Il est nécessaire d'étudier les voies de son extension aux grandes entreprises.
* 31 Un récent rapport émanant du Commissariat général au plan (« La France dans l'économie du savoir » - Rapport du groupe présidé par Pascal Viginier) appelle l'attention sur l'importance de cet enjeu et préconise des orientations qui sont par ailleurs développées dans cette étude (afficher des objectifs, valoriser la connaissance dans le milieu industriel, etc.).
* 32 Les coûts de location sur le marché de ces logiciels sont de l'ordre d'un million d'euros annuels, mais leur facturation est plus faible pour les centres de formation.
* 33 Données du tableau de bord européen de l'innovation - décembre 2002.