C. LE CONTRÔLE A POSTERIORI DU RESPECT DES ENGAGEMENTS PRIS PAR LES INVESTISSEURS
1. L'absence de procédure de contrôle et le nombre incertain de sanctions
La possibilité de réduire grâce à la fiscalité le coût d'un investissement réalisé outre-mer est subordonnée au respect de conditions prévues par la loi : l'obligation d'exploiter pendant cinq ans le bien ayant fait l'objet de l'avantage fiscal et l'obligation de rétrocéder une partie de l'avantage fiscal à l'opérateur local qui exploite le bien. L'article 217 undecies du code général des impôts prévoit que, si ces conditions cessent d'être remplies, l'avantage fiscal est repris.
Lorsque le bénéfice de l'avantage fiscal est subordonné à l'obtention d'un agrément, des conditions supplémentaires doivent être remplies : création ou de maintien d'emploi, intégration dans la politique d'aménagement du territoire et d'environnement, protection et de garantie des investisseurs et des tiers, respect d'objectifs chiffrés en matière d'emplois. L'article 1756 du code général des impôts prévoit que « lorsque les engagements souscrits en vue d'obtenir un agrément administratif ne sont pas remplies, cette inexécution entraîne le retrait de l'agrément et les personnes physiques ou morales à qui des avantages fiscaux ont été accordés, du fait de l'agrément, sont déchues du bénéfice desdits avantages (...) le ministre de l'économie et des finances est autorisé à limiter les effets de la déchéance à une fraction des avantages obtenus du fait de l'agrément » 22 ( * ) .
Le caractère très lourd de la sanction tranche avec l'absence de procédure de contrôle a posteriori du respect des engagements qui conditionnent le bénéfice de l'avantage fiscal.
En 1996, dans un rapport cité par notre collègue Didier Migaud dans son rapport de 1998, l'inspection générale des finances remarquait que « seuls les dossiers d'agrément et de demandes préalables permettent d'identifier la nature et la localisation des investissements réalisés, ainsi que leur impact prévisionnel sur l'économie locale (créations d'emplois notamment). Aucun suivi a posteriori ne permet toutefois de s'assurer de la réalisation des investissements agréés ni a fortiori de la réalité de l'impact prévu, aux éventuels contrôles fiscaux prêts ».
De fait, entre 1998 et 2002, le ministère de l'économie et des finances a indiqué à votre rapporteur que dix retraits d'agrément avaient été prononcés par l'administration centrale (entre 1998 et 2000, 419 agréments ont été accordés directement par le ministre du budget). En tenant compte des agréments accordés et retirés par les services déconcentrés, moins d'une dizaine d'agréments seraient retirés chaque année.
Le faible nombre d'agrément retirés doit être mis en relation avec le taux élevé de refus d'agréments, qui conduit l'administration fiscale à considérer que le système de l'agrément permet une bonne sélectivité des projets.
Certains interlocuteurs de votre rapporteur lui ont assuré que le nombre de reprise d'avantages fiscaux constatés chaque année était largement supérieur à dix.
2. Les contrôles effectués par l'administration
Interrogé par votre rapporteur sur la manière dont l'administration s'assure a posteriori du respect des conditions d'octroi de l'agrément, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a transmis les éléments suivants :
« - le suivi des agréments délivrés ou des accords de principe est également l'occasion d'un contrôle du respect des conditions de l'agrément, de surcroît, sur la base de données actualisées et non plus seulement prévisionnelles.
« Concrètement, les bénéficiaires des avantages fiscaux sont tenus de respecter les engagements pris et les conditions posées dans la décision d'agrément et de porter à la connaissance de l'administration tout événement de nature à porter atteinte à ceux-ci.
« A cet égard, les bénéficiaires du régime d'aide fiscale sont tenus de joindre à leur déclaration de revenus tout élément permettant de justifier que l'emploi de l'investissement productif est conforme à la description faite pour l'obtention de l'agrément fiscal. Un dispositif semblable est également arrêté pour les entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés.
« - une demande déposée dans le cadre de la continuité d'une opération antérieure ou déposée par une société qui a déjà bénéficié d'un agrément par le passé est l'occasion d'un contrôle du respect effectif de ces conditions sur les projets déjà défiscalisés.
« - par ailleurs, ces opérations peuvent être soumises au pouvoir de contrôle fiscal de l'administration ; tout changement révélé par ces contrôles qui aurait affecté les biens ayant bénéficié des avantages fiscaux conduit à engager une procédure de retrait de l'agrément. En application de l'article 1756 du code général des impôts, ce retrait, lorsqu'il est prononcé, rend immédiatement exigibles les impôts et contributions dont le bénéficiaire a été dispensé. Il est assorti de pénalités.
« Enfin, le rapport au Parlement prévu par la loi comprend désormais un chapitre sur le respect des engagements pris en matière d'emploi. »
Le ministère de l'outre-mer a indiqué à votre rapporteur ne pas intervenir dans le suivi a posteriori des investissements ayant donné lieu à un agrément et ne procède à aucune évaluation de leur impact économique et social.
3. Un contrôle qui se heurte à des difficultés pratiques
Il ressort des explications fournies par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie que l'administration procède plutôt par sondage que par vérification systématique du respect des conditions pour chacun des investissements ayant donné lieu à un avantage fiscal. Cette démarche, si elle laisse ouverte la possibilité d'abus, est compréhensible compte tenu des moyens humains limités des services fiscaux centraux et déconcentrés, qui leur permettent à peine de respecter le délai de traitement des dossiers de demande d'agrément.
Un suivi exhaustif du respect des conditions de l'octroi de l'avantage fiscal, même limité aux investissements agréés, paraît malheureusement devoir être considéré comme illusoire.
Pour l'établissement du chapitre du rapport au Parlement relatif au respect des engagements pris en matière d'emploi, l'administration a décidé de ne pas collecter elle-même ces données mais, selon les informations recueillies par votre rapporteur, a inséré dans les décisions d'agrément un article obligeant les gérants de SNC à fournir les données pour l'ensemble des entreprises qui investissent grâce à leurs SNC. Certains praticiens de la défiscalisation rencontrés par votre rapporteur ont confié leurs difficultés à procéder à ce recensement, en particulier lorsqu'ils gèrent des SNC ayant financé les investissements de plusieurs centaines d'entreprises, dont parfois de très petites. Dès lors, si les « monteurs » éprouvent des difficultés à s'assurer a posteriori du respect d'un seul critère, il n'est pas envisageable de demander au bureau des agréments de se livrer au suivi fin de l'ensemble des critères pour l'ensemble des investissements agréés.
Dans son rapport de septembre 2001 sur les créations d'emplois engendrées par les investissements défiscalisées, l'inspection générale des finances soulignait également les difficultés à récolter ce type d'information car il arrive « fréquemment que les liasses déposées soient incomplètes. Surtout, force est de constater que le respect des obligations déclaratives est moins spontané et moins régulier dans les départements d'outre-mer qu'en métropole ».
En revanche, s'agissant des investissements réalisés dans les territoires d'outre-mer et en Nouvelle Calédonie, l'administration fiscale dispose d'une faible marge de manoeuvre lorsqu'elle souhaite contrôler la réalité de l'exploitation d'investissements ayant ouvert droit à l'avantage fiscal. Les conventions d'assistance administrative entre les services fiscaux de l'Etat et les services fiscaux territoriaux sont soit inexistantes, soit difficiles à faire appliquer et, comme le soulignait le rapport interministériel de 1998, le « faible nombre de services de l'Etat limite leur capacité à obtenir une information technique indépendante de celle délivrée par les porteurs de projets locaux ».
* 22 On peut observer que les agréments en matière de défiscalisation outre-mer sont délivrés par le ministre du budget mais que, en cas de retrait d'agrément, la décision de ne pas reprendre en totalité l'avantage fiscal appartient au ministre des finances.