C. INSCRIRE LA MISE EN oeUVRE DE NATURA 2000 DANS UNE APPROCHE CONCERTÉE
1. Un dossier mal engagé
a) Les fondements de Natura 2000
L'objectif de la directive « Habitats Naturels » est de contribuer à assurer la préservation de la diversité biologique européenne, principalement au moyen de la constitution d'un réseau écologique intitulé « Natura 2000 » de sites abritant les habitats naturels et les habitats d'espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire.
La directive cherche à concilier cet objectif de protection avec les exigences économiques, sociales et culturelles des Etats membres. Ainsi, la désignation des sites entraînera pour les Etats membres une obligation de résultat, c'est-à-dire, selon la directive, le maintien ou la restauration des habitats naturels et des habitats d'espèces d'intérêt communautaire, dans un état de conservation favorable. Mais l'article 2, dans son paragraphe 3, précise qu'il est tenu compte tant des exigences économiques, sociales et culturelles que des particularités régionales et locales.
L'objectif de la directive est donc de mettre en place un réseau d'habitats dits d'intérêt communautaire en créant des Zones spéciales de conservation (ZSC) visant la conservation des 253 types d'habitats, des 200 espèces faunistiques et des 432 espèces végétales figurant dans ses annexes. Ces habitats ou ces espèces sont soit en danger de disparition dans leur aire de répartition naturelle « et sont donc considérés comme prioritaires dans la directive », soit ont une aire de répartition naturelle réduite, sont menacés ou vulnérables ou enfin constituent des exemples remarquables des caractéristiques propres à l'une ou à plusieurs des six régions biogéographiques européennes. La directive est complétée par six annexes : - annexe I : types d'habitats naturels d'intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de ZSC (basée sur la classification CORINE-biotopes) ; - annexe II : espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de ZSC ; - annexe III : critères de sélection des sites susceptibles d'être identifiés comme sites d'importance communautaire et désignés comme ZSC ; - annexe IV : espèces animales et végétales d'intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte ; - annexe V : espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont le prélèvement dans la nature et l'exploitation sont susceptibles de faire l'objet de mesures de gestion ; - annexe VI : méthodes et moyens de capture et de mise à mort et modes de transport interdits. La constitution de ce réseau fait l'objet d'une procédure détaillée prévue aux articles 4 et 5 de la directive et qui requiert une collaboration étroite entre la Commission européenne et les Etats membres : sur la base de listes nationales transmises par les Etats membres, la Commission doit établir la liste des sites d'intérêt communautaire que les Etats membres devront désigner ensuite en ZSC. Le calendrier prévisionnel de la constitution du réseau « Natura 2000 » s'établissait ainsi : - établissement d'une liste nationale de sites (1992-1995) ; - établissement de la liste communautaire (1995-1998) ; - incorporation des sites retenus au réseau « Natura 2000 » (1998-2004), et adoption des mesures de gestion, mais tous les Etats membres ont pris du retard dans la mise en oeuvre de la directive. Il convient de rappeler que la directive 92/43/CEE « Habitats naturels » intègre également les zones de protection spéciale (ZPS) désignées au titre de la directive 79/409/CEE/Oiseaux sauvages. Ainsi, à compter de l'entrée en vigueur de la directive 92/43/CEE/»Habitats naturels», le 5 juin 1994, l'article 7 prévoit que les obligations découlant de l'article 6 paragraphes 2, 3 et 4 se substituent à celles de l'article 4, paragraphe 4 de la directive 79/409/CEE/Oiseaux sauvages et s'appliquent tant aux ZPS désignées à cette date qu'aux ZPS créées ultérieurement. |
L'article 6, paragraphes 1 et 2, donne compétence aux Etats membres pour définir les mesures appropriées permettant d'atteindre les objectifs définis à l'article 2, afin d'éviter notamment toute perturbation ou détérioration ayant des effets significatifs sur les espèces ou les habitats visés dans les annexes.
En conséquence, et tout en laissant aux Etats membres le soin de définir les moyens permettant d'atteindre les objectifs fixés, la directive prévoit de façon détaillée à l'article 6, paragraphes 3 et 4, la procédure d'évaluation de l'impact d'un projet sur l'environnement, lorsque ce projet est prévu dans une ZSC.
- Il s'agit de s'assurer que tout nouveau projet d'activités prend en compte effectivement les intérêts de conservation de la nature. Ceci passe par une évaluation appropriée des incidences du projet sur les objectifs de conservation du site et la consultation du public en cours de procédure. - S'il est démontré que l'impact du projet porte préjudice à l'intégrité du site, les autorités nationales ne peuvent donner leur accord que sous certaines conditions : * s'il est démontré qu'il n'existe pas d'autre solution ; * si le projet répond à un intérêt public majeur qui peut être de nature sociale ou économique ; * l'Etat doit alors adopter des mesures compensatoires pouvant, au besoin, prévoir la recréation du même type d'habitat sur le site ou ailleurs. Enfin, lorsque le site abrite un type d'habitat naturel ou d'espèce prioritaire, le projet ne peut porter préjudice à l'intégrité du site que pour des considérations majeures liées à la santé de l'homme et à la sécurité publique. En ce qui concerne le régime de protection des espèces, la présence de celles dotées d'un statut prioritaire justifie, en outre, la mise en place de mesures évitant toute perturbation et dérangement. |
b) Les difficultés de constitution du réseau Natura 2000 en France
(1) Les très fortes oppositions rencontrées
Comme le rappelait notre collègue Jean-François Le Grand dans son rapport d'information 9 ( * ) adopté par la Commission des Affaires économiques en avril 1997, le très mauvais contexte dans lequel a été mise en oeuvre la directive 92/43/CEE « Habitats naturels » explique le rejet unanime constaté, en 1996, contre ce texte, et ce parmi l'ensemble des acteurs du monde rural. Ainsi, relevait-il, on avait à faire à « un texte mal connu, mal interprété, une règle du jeu quasi inexistante, un défaut majeur de communication et à des réactions de défense de la part de certains se sentant pris au piège de l'intégrisme écologique prôné par quelques autres ».
Lors de l'examen du projet de loi portant transposition par ordonnances de directives communautaires, le Sénat avait, sur proposition du rapporteur pour avis de la Commission des Affaires économiques 10 ( * ) , adopté un amendement tendant à supprimer la directive « Habitats naturels » de la liste faisant l'objet du projet de loi d'habilitation.
Par ce vote, le Sénat entendait protester contre la procédure employée par le Gouvernement qui privait le Parlement d'un débat approfondi sur un sujet majeur pour l'aménagement de l'espace rural, en raison de ses répercussions possibles sur des projets d'infrastructures et de ses atteintes éventuelles au droit de propriété.
D'autant plus qu'en juin 1998, le Gouvernement avait refusé de débattre de la proposition de loi relative à la mise en oeuvre du réseau écologique européen dénommé « Natura 2000 » 11 ( * ) , et avait même opposé l'article 40 à l'article de la proposition de loi relatif à l'indemnisation des propriétaires et gestionnaires concernés.
Le Sénat a finalement accepté, compte tenu des retards accumulés vis à vis de la Commission européenne, que la transposition de la directive « Habitats naturels » se fasse par voie d'ordonnance, en imposant que, pour les sites ayant déjà fait l'objet d'une transmission à Bruxelles, soient organisées au niveau départemental des réunions d'information pour les élus des communes concernées.
Même si, après une phase de démarrage extrêmement conflictuelle, le dialogue a repris avec profit, la mission commune d'information a pu constater, au cours de ses déplacements, que les oppositions locales pouvaient rester fortes.
Comme le soulignait M. Jean-Paul Fuchs, président de la Fédération des parcs naturels régionaux, « en France, la procédure a été pilotée par l'Etat, alors que Bruxelles souhaitait qu'il y ait un dialogue, une participation de l'ensemble des acteurs ».
Les élus locaux rencontrés, opposés à la mise en place d'un zonage Natura 2000, dénoncent une fois encore ce manque de concertation effective sur la désignation des périmètres.
(2) Mais l'insuffisance des propositions selon la Commission européenne
Le réseau Natura 2000 est constitué des zones spéciales de conservation désignées en application de la directive « Habitats » et des zones de protection spéciale désignées en application de la directive « Oiseaux ».
Au titre des zones spéciales de conservation (ZSC) :
1.174 propositions de sites couvrant plus de 4 millions d'hectares (dont 5.000 km² marins et 7,4 % du territoire terrestre) ont été transmises entre octobre 1997 et septembre 2002.
La Commission européenne ayant considéré que ces propositions étaient insuffisantes pour certains habitats ou espèces, les préfets ont été saisis de demandes complémentaires : 200 nouveaux sites devraient être proposés en 2002.
Parallèlement, la Cour de justice des communautés européennes a condamné la France, le 11 septembre 2001, pour insuffisance de propositions et une nouvelle procédure en manquement a été engagée par la Commission susceptible d'aboutir d'ici environ 18 mois à une deuxième condamnation de la France, assortie d'astreinte .
De plus, la Commission a pris la décision de conditionner le versement des fonds structurels (DOCUP 1 et 2 et PNDR) à l'engagement des Etats membres de transmettre des propositions complémentaires dans les plus brefs délais.
Les retards accumulés vis à vis de la Commission européenne ne laissent plus guère de choix.
Néanmoins, pour se conformer à la décision du Conseil d'Etat annulant, le 22 juin 2001, 534 propositions de sites (parmi les 1.109 envoyées à la Commission), les préfets ont repris les procédures de consultation sur ces sites qui devraient être achevées courant 2002.
Au titre des zones de protection spéciale (ZPS) :
117 ZPS ont été classées sur 830.000 hectares (1,6 % du territoire). Un contentieux est également engagé par la Commission européenne pour insuffisance globale de classement qui risque d'aboutir à la condamnation de la France en 2002.
2. Les conditions de redémarrage de Natura 2000
a) Engager un partenariat véritable avec les acteurs locaux
Le réseau Natura 2000 est un réseau écologique majeur qui doit structurer la politique européenne de protection de l'environnement. C'est une réalité que la puissance publique -Etat et collectivités territoriales- doit désormais prendre en compte .
Il faut donc chercher à définir les moyens permettant de sortir de cette impasse afin que les acteurs locaux et les gestionnaires de terrains puissent s'approprier cette procédure et mettre en oeuvre ce réseau.
Comme le soulignait M. Pierre Bernard-Reymond, maire de Gap, devant la mission commune d'information en déplacement dans les Alpes : « il s'agit de susciter le dialogue entre les différents pratiquants de la nature pour qu'ils déterminent ensemble le meilleur équilibre possible et se portent volontaires auprès de l'Europe pour respecter ces équilibres et lui demander en retour qu'elle leur apporte son aide ».
b) Contractualiser pour mobiliser des moyens financiers
(1) Une procédure de gestion concertée et contractualisée
La mise en oeuvre de la directive « Habitats naturels » doit permettre d'encourager des activités économiques compatibles avec les exigences de conservation des habitats et des espèces pour lesquels les sites ont été désignés. Pour cela un document d'objectifs doit être établi pour chaque site avant 2004.
Le décret n° 2001-1216 du 20 décembre 2001 relatif à la gestion des sites Natura 2000 fixe le contenu de ce document et la composition du comité de pilotage chargé de préparer le document d'objectifs, de son suivi et de son évaluation.
Ce comité comprend « les représentants des collectivités territoriales intéressées et de leurs groupements et les représentants des propriétaires et exploitants de biens ruraux compris dans le site... Le comité peut être complété notamment par des représentants des concessionnaires d'ouvrages publics, des gestionnaires d'infrastructures, des organismes consulaires, des organisations exerçant leurs activités dans les domaines de la chasse, de la pêche, du sport et du tourisme et des associations de protection de la nature ».
La définition des règles de gestion applicable à un site Natura 2000 est donc conduite, sous la responsabilité du préfet du département, par l'ensemble des parties concernées. Actuellement, la réalisation de 500 documents d'objectifs est en cours.
L'application des documents d'objectifs est contractuelle, en application de l'article L. 414-3 du code de l'environnement. « Le contrat Natura 2000 comporte un ensemble d'engagements conformes aux orientations définies par le document d'objectifs, portant sur la conservation et, le cas échéant, le rétablissement des habitats naturels et des espèces qui ont justifié la création du site Natura 2000. Il définit la nature et les modalités des aides de l'Etat et les prestations à fournir en contrepartie par le bénéficiaire. En cas d'inexécution des engagements souscrits, les aides de l'Etat font l'objet d'un remboursement selon des modalités fixées par décret ».
Ce contrat Natura 2000 a une durée minimale de cinq ans qui peut être prorogée ou modifiée par avenant.
Comme le précise le décret du 20 décembre 2001 précité les aides financières accordées au titre des contrats Natura 2000 sont versées par le centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA). Pour les exploitants agricoles, les contrats prendront la forme d'un contrat territorial d'exploitation (CTE) ou d'autres engagements environnementaux.
(2) Des moyens budgétaires à mobiliser
Au niveau national, des moyens budgétaires importants sont mobilisés pour accompagner la montée en puissance des documents d'objectifs et des contrats Natura 2000 :
- dans le projet de loi de finances pour 2003, le budget du ministère de l'environnement et du développement durable consacre, au sein du Fonds de gestion des milieux naturels créé en 1999, 19,8 millions d'euros pour la mise en oeuvre du réseau Natura 2000, soit une progression de + 4,8 % par rapport à 2002 ;
- les mesures agro-environnementales (dans ou hors CTE) pourront être également financées sur le budget du ministère chargé de l'agriculture.
Au niveau communautaire, sont également prévus des cofinancements spécifiques à Natura 2000 :
- au titre du FEOGA-Garantie dans le cadre du Plan de développement rural national (PDRN) ;
- au titre de l'instrument financier d'appui à la politique européenne de l'environnement LIFE, des projets exemplaires peuvent être financés sur des sites Natura 2000. Entre 1992 et 1999, 350 millions d'euros ont été attribués à près de 500 projets et 300 millions d'euros sont à nouveau disponibles d'ici à 2004.
* 9 Natura 2000 : de la difficulté de mettre en oeuvre une directive européenne (n°309 - 1996-1997).
* 10 Transposition par ordonnances de directives communautaires - Avis n° 31 (2000-2001)
* 11 JO Débats Sénat - Séance du 29 juin 1998, p. 3581 à 3604.