Quels métiers pour quelle justice ?
COINTAT (Christian)
RAPPORT D'INFORMATION 345 (2001-2002) - commission des lois
Rapport au format Acrobat ( 1682 Ko )Table des matières
- RAPPORT D'INFORMATION
-
CALENDRIER DES TRAVAUX
DE LA MISSION D'INFORMATION - LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
- LES 40 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
- INTRODUCTION
-
PREMIÈRE PARTIE
LA DIFFICILE MUTATION
DE LA COMMUNAUTÉ JUDICIAIRE -
CHAPITRE PREMIER
DES INTERROGATIONS FORTES
AU SEIN DE L'INSTITUTION JUDICIAIRE-
I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE
D'IDENTITÉ
- A. UNE MUTATION PROFONDE DU CORPS DES MAGISTRATS
-
B. DES INQUIÉTUDES À L'ÉGARD DU MODE
DE RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION DES MAGISTRATS
- 1. Un corps peu diversifié
- 2. L'absorption du nombre, principal défi lancé à la formation
- 3. Des améliorations souhaitables en faveur de la formation initiale des auditeurs de justice
- 4. La formation continue, un droit reconnu par les textes mais peu effectif
- 5. L'ouverture de la formation à l'environnement international
- C. DES MAGISTRATS PARFOIS DÉSORIENTÉS PAR LA NÉCESSAIRE OUVERTURE AU DROIT EUROPÉEN
-
D. UN NÉCESSAIRE RECENTRAGE DU JUGE SUR SES
MISSIONS NATURELLES
- 1. Un juge aux figures multiples
-
2. Un éparpillement des missions dévolues
aux magistrats du siège qui fragilise leur place au sein de
l'institution judiciaire
- a) La juxtaposition des missions
- b) Les efforts en vue d'un recentrage du juge
- c) La suppression pure et simple de certaines tâches et procédures constitue une première proposition intéressante
- d) Le transfert de certaines tâches de caractère quasi juridictionnel vers d'autres acteurs de la justice (greffiers en chef, officiers publics et ministériels) pourrait également être envisagé
- e) Des interrogations sur la poursuite du mouvement de déjudiciarisation pourtant fréquemment suggérée par les interlocuteurs de la mission
- f) Des réserves quant au développement de l'arbitrage
- 3. La participation controversée des magistrats aux commissions administratives
- 4. La participation des magistrats aux politiques publiques
- E. LES INTERROGATIONS ACTUELLES SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DU PARQUET
-
II. DES FONCTIONNAIRES DES GREFFES
DÉCOURAGÉS
- A. UN SERVICE PUBLIC RÉCENT
- B. UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES ATTRIBUTIONS DE CHACUN
- C. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION PERFECTIBLES
-
III. DE NOUVEAUX MODES DE FONCTIONNEMENT DES
JURIDICTIONS
- A. DES RELATIONS PARFOIS CONFLICTUELLES
- B. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL INDUISANT DE NOUVEAUX MÉTIERS
- C. LA GESTION DÉCONCENTRÉE DES JURIDICTIONS
-
I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE
D'IDENTITÉ
-
CHAPITRE II
DES AUXILIAIRES DE JUSTICE
CONFRONTÉS À DES DIFFICULTÉS MULTIPLES-
I. LE MALAISE DES AVOCATS
- A. UNE PROFESSION DÉSORMAIS PLURIELLE
- B. L'ÉMERGENCE D'UN BARREAU À DEUX VITESSES
- C. LES DÉFIS DE L'OUVERTURE SUR L'INTERNATIONAL
- D. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION À PARFAIRE
- E. DES RELATIONS ENTRE LES MAGISTRATS ET LES AVOCATS OSCILLANT ENTRE L'INDIFFÉRENCE ET LE CONFLIT
-
II. LES ATTENTES D'AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE
- A. DES AVOUÉS DE COUR D'APPEL ET DES AVOCATS AU CONSEIL D'ÉTAT ET À LA COUR DE CASSATION AU RÔLE APPRÉCIÉ
- B. DES NOTAIRES DÉSIREUX DE SE VOIR CONFIER DE NOUVELLES TÂCHES
- C. DES HUISSIERS DE JUSTICE EN MAL DE RECONNAISSANCE
- D. DES EXPERTS JUDICIAIRES EN QUÊTE DE TRANSPARENCE
-
I. LE MALAISE DES AVOCATS
-
DEUXIÈME PARTIE
DES EXIGENCES ACCRUES DE PROXIMITÉ
ET DE SPÉCIALISATION -
CHAPITRE PREMIER
VERS UNE JUSTICE PLUS PROCHE DES CITOYENS-
I. L'APPARITION D'UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ
- A. L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX LIEUX JUDICIAIRES DE PROXIMITÉ
- B. L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DE LA JUSTICE
- C. UNE ADAPTATION PARFOIS DIFFICILE DES MÉTIERS TRADITIONNELS
-
II. UNE PROXIMITÉ À RENFORCER
- A. CONFORTER LES JUGES D'INSTANCE COMME JUGES DE PROXIMITÉ
- B. FAVORISER UNE PARTICIPATION PLUS IMPORTANTE DES CITOYENS
-
I. L'APPARITION D'UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ
-
CHAPITRE II
UNE SPÉCIALISATION RENDUE NÉCESSAIRE
PAR UN CONTENTIEUX DE PLUS EN PLUS COMPLEXE-
I. UNE SPÉCIALISATION DES MAGISTRATS
DÉJÀ ANCIENNE
- A. LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DOIT FAIRE FACE À UN CONTENTIEUX DE MASSE
- B. LE JUGE DES ENFANTS A UN CHAMP D'INTERVENTION TRÈS LARGE
- C. LE JUGE DE L'APPLICATION DES PEINES DEVRAIT VOIR SON RÔLE PRÉCISÉ ET RENFORCÉ
- D. LE JUGE DE L'EXÉCUTION S'EST IMPOSÉ COMME UN JUGE DE PROXIMITÉ, RAPIDE ET EFFICACE
- E. L'ÉVOLUTION DU MÉTIER DE JUGE D'INSTRUCTION SOULÈVE DES INTERROGATIONS
- II. UNE SPÉCIALISATION INÉGALE DES AVOCATS
-
III. UNE SPÉCIALISATION CROISSANTE DES
JURIDICTIONS
- A. DE NOMBREUSES JURIDICTIONS SPÉCIALISÉES À LA COMPÉTENCE EXCLUSIVE ET À L'ORGANISATION ORIGINALE
- B. LE DÉVELOPPEMENT DE FORMES DE SPÉCIALISATION PLUS SOUPLES AUTOUR DE LA NOTION DE PÔLES DE COMPÉTENCES
- C. UN MOUVEMENT À POURSUIVRE
-
I. UNE SPÉCIALISATION DES MAGISTRATS
DÉJÀ ANCIENNE
- ANNEXES
-
ANNEXE 1
COURRIER ADRESSÉ AUX JURIDICTIONS -
ANNEXE 2
PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION -
CONTRÔLE DE L'APPLICATION DES
LOIS
EXAMINÉES PAR LA COMMISSION DES LOIS -
ANNEXE 3
LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES ET COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS
EFFECTUÉES PAR LA MISSION D'INFORMATION-
Audition de
M. Jean-Paul COLLOMP,
inspecteur général des services judiciaires,
responsable du comité de coordination des « entretiens de Vendôme »
(27 mars 2002) -
Audition de
Mme Evelyne SIRE-MARIN,
présidente du Syndicat de la Magistrature
(27 mars 2002) -
Audition de
M. Dominique MATAGRIN,
président de l'Association professionnelle des magistrats
(27 mars 2002) -
Audition de
M. Dominique BARELLA,
secrétaire général,
et de Mme Carole MAUDUIT,
membre du bureau de l'Union syndicale des magistrats
(27 mars 2002) -
Audition de Mme Marylise LEBRANCHU,
garde des Sceaux, ministre de la justice
(28 mars 2002) -
Audition de
Mme Laurence PÉCAUT-RIVOLIER,
juge au tribunal d'instance du 10ème arrondissement de Paris,
présidente de l'Association nationale des juges d'instance
(10 avril 2002) -
Audition de
M. André RIDE,
procureur général près la cour d'appel de Limoges,
président de la Conférence nationale des procureurs généraux
(10 avril 2002) -
Audition de MM. Pierre VITTAZ, premier
président de la cour d'appel de Colmar,
président de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel,
Olivier AIMOT, premier président de la cour d'appel de Rennes,
membre de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel,
et Hervé GRANGE, premier président de la cour d'appel de Pau,
membre de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
(10 avril 2002) -
Audition de
M. Laurent MARCADIER,
substitut du procureur du tribunal de grande instance de Créteil,
secrétaire général,
et de Mme Sonya DJEMNY-WAGNER,
secrétaire général adjoint de l'association des magistrats du parquet
(10 avril 2002) -
Audition de
Mme Martine de MAXIMY,
juge des enfants au tribunal de grande instance de Paris,
vice-présidente de l'Association des magistrats
de la jeunesse et de la famille
(24 avril 2002) -
Audition de
Mmes Christine MOUTON-MICHAL,
juge de l'application des peines au tribunal de grande instance de Bobigny,
secrétaire générale de l'Association des juges de l'application des peines,
et Anne-Marie MORICE-VIGOR,
juge de l'application des peines au tribunal de grande instance d'Evreux,
membre du Bureau de l'Association des juges de l'application des peines
(24 avril 2002) -
Audition de
M. Tony MOUSSA,
président de chambre à la cour d'appel de Lyon,
ancien juge de l'exécution
(24 avril 2002) -
Audition de
Mme Marie-Antoinette HOUYVET,
premier juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris,
présidente de l'Association française des magistrats instructeurs,
et de M. Jean-Baptiste PARLOS,
juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris,
membre du Bureau de l'Association française des magistrats instructeurs
(24 avril 2002) -
Table ronde sur l'évolution des
métiers
de greffier en chef et de greffier
(14 mai 2002) -
Table ronde sur l'évolution des
métiers
des personnels de catégorie C des services judiciaires
(14 mai 2002) -
Audition de Mme Anne WYVEKENS,
chercheur au CNRS,
directeur du département recherche,
de l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité intérieure (IHESI)
(15 mai 2002) -
Audition de
M. Jean-Marie GONDRÉ,
administrateur de l'Association nationale des conciliateurs de justice
(15 mai 2002) -
Audition de MM. Denis L'HOUR, directeur
général,
et Francis BAHANS, directeur général adjoint,
de la Fédération des associations socio-judiciaires « Citoyens et Justice »
(15 mai 2002) -
Audition de Mmes Olivia MONS, responsable de
la communication,
et Fadila DJARAÏ, responsable de la formation,
à l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM)
(15 mai 2002) -
Audition de
Me Elisabeth BARADUC,
présidente de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
et de Me Emmanuel PIWNIKA, président délégué
(29 mai 2002)
-
Audition de Me Jean-Pierre GARNERIE,
président,
et d'une délégation de la Chambre nationale des avoués
près les cours d'appel
(29 mai 2002) -
Audition de M. Paul BOUCHET,
conseiller d'Etat honoraire,
ancien président de la Commission de réforme de l'accès au droit
et à la justice
(29 mai 2002) -
Table ronde sur « Les avocats et
l'évolution des métiers de la
justice »
(29 mai 2002) -
Audition de
Mmes Lucille GRASSET,
vice-présidente du tribunal de grande instance d'Evry, juge aux affaires familiales,
et Catherine BRETAGNE,
juge aux affaires familiales au tribunal de grande instance d'Evry
(30 mai 2002) -
Audition de
Mme Catherine TROCHAIN,
première présidente de la cour d'appel de Caen,
présidente de la Commission de l'informatique, des réseaux
et de la communication électronique (Comirce),
et de M. Jean-Pierre POUSSIN,
délégué de la Comirce
(30 mai 2002) -
Audition de M. Guy CANIVET,
premier président de la Cour de cassation
(18 juin 2002) -
Audition de
M. Jean-François BURGELIN,
procureur général près la Cour de cassation
(18 juin 2002) -
Audition de Me Armand ROTH,
vice-président,
et de Me Catherine VARVENNE-LITAIZE,
secrétaire du Bureau chargée de la formation,
du Conseil supérieur du notariat
(18 juin 2002) -
Audition de
Me Yves MARTIN,
vice-président de la Chambre nationale des huissiers de justice
(18 juin 2002) -
Audition de M. Jean-Bruno KERISEL,
premier vice-président de la Fédération nationale
des compagnies d'expert près les cours d'appel
et les tribunaux administratifs
(18 juin 2002)
-
Audition de
M. Jean-Paul COLLOMP,
N° 345
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 3 juillet 2002
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par la mission d'information (2) sur l'évolution des métiers de la justice ,
Par M.
Christian COINTAT,
Sénateur.
(1)
Cette commission est composée de :
M.
René
Garrec,
président
; M. Patrice Gélard,
Mme Michèle André, MM. Pierre Fauchon, José
Balarello, Robert Bret, Georges Othily,
vice-présidents
;
MM. Jean-Pierre Schosteck, Laurent Béteille, Jacques Mahéas,
Jean-Jacques Hyest,
secrétaires
; MM. Jean-Paul
Amoudry, Robert Badinter, Mme Nicole Borvo, MM. Charles
Ceccaldi-Raynaud, Christian Cointat, Raymond Courrière, Jean-Patrick
Courtois, Marcel Debarge, Michel Dreyfus-Schmidt, Gaston Flosse, Jean-Claude
Frécon, Bernard Frimat, Jean-Claude Gaudin, Charles Gautier, Paul Girod,
Daniel Hoeffel, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Jacques Larché,
Jean-René Lecerf, Gérard Longuet, Mme Josiane Mathon, MM.
Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Josselin
de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Sueur, Simon Sutour, Alex Türk,
Maurice Ulrich, Jean-Paul Virapoullé, François Zocchetto.
(2) Cette mission d'information est composée de :
M.
Jean-Jacques Hyest,
président
; M. Christian Cointat,
rapporteur ;
MM. Jean-Pierre Sueur, José Balarello, Mme
Josiane Mathon, MM. Paul Girod, Alex Türk,
vice
-
présidents
; M. Lucien Lanier, Mme
Michèle André,
secrétaires
; MM. Laurent
Béteille, Bernard Frimat, Charles Gautier, Patrice Gélard,
Bernard Saugey, François Zocchetto.
Justice |
CALENDRIER DES TRAVAUX
DE LA MISSION D'INFORMATION
Mardi 12
mars 2002 Constitution du Bureau
Mercredi 27 mars 2002 Organisation des travaux
Auditions
Jeudi 28 mars 2002 Audition du garde des Sceaux
Mercredi 10 avril 2002 Auditions
Mercredi 24 avril 2002 Auditions
Mardi 14 mai 2002 Auditions
Mercredi 15 mai 2002 Auditions
Mardi 28 mai 2002 Déplacement d'une délégation de la
mission
au pôle économique et financier du tribunal
de
grande instance de Paris
Mercredi 29 mai 2002 Auditions
Jeudi 30 mai 2002 Auditions
Du mardi 4 juin Déplacement d'une délégation de la
mission
au jeudi 6 juin 2002 à Bordeaux
Mercredi 12 juin Déplacement d'une délégation de la
mission
et jeudi 13 juin 2002 à Dijon
Mardi 18 juin 2002 Auditions
Mercredi 19 juin 2002 Déplacement d'une délégation de la
mission
à Marseille
Mardi 2 juillet 2002 Adoption du rapport d'information par la
mission
Mercredi 3 juillet 2002 Présentation du rapport à la commission
des Lois
LES CONCLUSIONS DE LA MISSION D'INFORMATION
Réunie, le 2 juillet 2002, sous la
présidence de
M. Jean-Jacques Hyest, président, la mission d'information sur
l'évolution des métiers de la justice a adopté le
rapport de M. Christian Cointat.
Au delà de la question cruciale des moyens, la mission,
constituée à l'initiative du président de la commission
des Lois, M. René Garrec, a passé au crible les
différents métiers de la justice afin de déceler les
évolutions intervenues et de proposer des pistes permettant
d'améliorer le fonctionnement quotidien de la justice au service des
citoyens.
A ce titre, la mission a étudié aussi bien l'évolution des
métiers de magistrat, de fonctionnaire des greffes et d'auxiliaire de
justice que l'émergence de nouveaux métiers tels ceux d'assistant
de justice, de conciliateur, de médiateur ou de
délégué du procureur.
Elle s'est penchée sur les orientations apparemment contradictoires que
constituent, d'une part, la spécialisation des juridictions, avec
l'instauration de pôles spécialisés, d'autre part, la mise
en place d'une justice de proximité, notamment à travers le
développement des maisons de justice et du droit.
Elle s'est particulièrement interrogée, dans ce cadre, sur les
moyens d'accroître la participation des citoyens à la bonne marche
de la justice.
Elle s'est également intéressée aux incidences croissantes
de la construction européenne et de l'ouverture à l'international
sur l'exercice des métiers de la justice.
La mission a considéré que l'évolution des métiers
de justice devait tendre vers une justice à la fois plus simple, plus
rapide, plus lisible et plus proche des citoyens.
Ses 40 recommandations reposent sur cinq axes principaux.
? Désengorger la justice
- en concentrant l'action des juges du siège sur leurs missions de
nature juridictionnelle ;
- en favorisant le règlement des conflits en amont des
procédures, de manière à ce que le juge soit le dernier
recours quand tous les autres moyens permettant une conciliation ont
échoué.
? Améliorer l'organisation du travail des juridictions
- en favorisant l'aide à la décision du magistrat par des
assistants de justice au statut rénové ou par des greffiers qui
le souhaiteraient ;
- en professionnalisant la gestion des juridictions grâce au recours
à des professionnels compétents, greffiers ou personnes
extérieures, sur lesquels les chefs de juridiction pourraient se reposer.
? Instaurer une véritable justice de proximité associant les
citoyens
- en améliorant l'accueil et l'information du public, notamment par
la poursuite du développement des guichets uniques des greffes.
- en confortant le juge d'instance dans un rôle de
juge de
proximité
chargé d'animer, avec le concours de citoyens, une
politique active de règlement alternatif des conflits, au civil comme au
pénal.
- en instituant au civil des «
juges de paix
délégués
», juges non professionnels de
carrière, correctement rémunérés et formés,
dotés de larges pouvoirs en matière de règlement des
conflits en amont de la procédure judiciaire ;
- en confortant, au pénal, les actuels
délégués du procureur ;
- en expérimentant
l'échevinage
dans les juridictions
civiles et pénales de droit commun, des assesseurs non professionnels au
profil ciblé pouvant intervenir pour garantir une
collégialité aux côtés d'un juge professionnel
unique.
? Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions
La création de nouveaux pôles de compétences
spécialisés devrait pour garantir la qualité des jugements
dans les matières complexes.
? Favoriser l'émergence d'une véritable communauté
judiciaire
Une grande partie des incompréhensions actuelles entre les
différents acteurs de la justice pourrait être levée si ces
professionnels apprenaient à mieux se comprendre, notamment par le biais
de formations croisées.
La mission a souligné que ces orientations n'impliquaient pas de
bouleversement mais qu'elles supposaient
une volonté politique
affirmée de réforme et d'action, assortie de l'engagement formel
de mettre à la disposition de la justice les moyens humains,
matériels et financiers appropriés
, faute de quoi l'exercice
ne pourrait rester qu'au stade des bonnes intentions.
LES 40 RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
I. LES MAGISTRATS
Recommandation n° 1
: Favoriser la diversification du
recrutement des magistrats.
- développer l'intégration directe des magistrats ;
- instituer une indemnité spécifique au profit des candidats
à l'intégration directe issus du secteur privé ayant
accompli leur stage et attendant la décision définitive de la
commission d'avancement ;
- utiliser pleinement la possibilité de recrutement de magistrats
exerçant à tire temporaire.
Recommandation n° 2
: Calibrer les futurs
recrutements de magistrats en fonction des capacités de formation.
Recommandation n° 3 :
Prendre en compte les
aptitudes des auditeurs de justice avant une première affectation.
Recommandation n° 4 :
Recentrer le juge du
siège sur ses missions juridictionnelles :
- supprimer l'ensemble des tâches du juge faisant double emploi ou
s'avérant inefficaces (paraphes de registres, injonction de faire,
affirmation des procès verbaux) ;
- poursuivre le mouvement amorcé en 1995 en faveur d'un transfert
de tâches du juge vers le greffier en chef, sous réserve
d'associer pleinement les personnels des greffes et de les former en
conséquence ;
- engager une réflexion sur l'opportunité de maintenir
le traitement du contentieux de masse lié aux infractions
routières dans les attributions du juge ;
- réduire la présence des magistrats aux seules commissions
administratives dont les activités mettent en cause les libertés
publiques ou relèvent par nature de la sphère judiciaire.
Recommandation n° 5 :
Conserver la qualité de
magistrat aux membres du parquet.
Recommandation n° 6 :
Veiller au maintien du
contrôle de l'instruction par un magistrat.
Recommandation n° 7 :
Rationaliser le
rôle du juge de l'application des peines :
- donner au juge des enfants compétence en matière
d'exécution des peines d'incarcération des mineurs.
- simplifier les règles de répartition des
compétences entre les différentes juridictions afin
d'éviter de multiplier les transfèrements de détenus qui
sont dangereux et mobilisent inutilement les forces de l'ordre.
- permettre au juge de l'application des peines de donner des commissions
rogatoires.
II. LES FONCTIONNAIRES DES GREFFES
Recommandation n° 8 :
Favoriser une
spécialisation progressive des greffiers au moyen de la formation
continue, tout en préservant la polyvalence des corps grâce
à des passerelles entre les différentes fonctions.
Recommandation n° 9 :
Élever à bac + 2
le niveau de diplôme requis pour pouvoir se présenter au concours
de greffier.
Recommandation n° 10 :
Lisser davantage les
recrutements des personnels des greffes.
Recommandation n° 11 :
Améliorer la
formation :
- allonger la durée de la formation initiale des greffiers en chef
et des greffiers ;
- valoriser les fonctions d'enseignant à l'École nationale
des greffes ;
- accroître les liens entre l'École nationale des greffes et
l'École nationale de la magistrature en vue de formations
croisées ;
- tenir davantage compte des aptitudes des stagiaires aux
différents postes proposés pour les affectations à la
sortie de l'École nationale des greffes ;
- développer des formations obligatoires d'adaptation aux postes
pour l'ensemble des catégories de personnels.
III. L'AIDE À LA DÉCISION DES MAGISTRATS
Recommandation n° 12 :
Doter les assistants de justice
d'un statut plus attractif :
- allonger le nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions
d'assistants de justice ;
- revaloriser le montant des vacations horaires ;
- créer des passerelles vers la magistrature.
Recommandation n° 13
:
Permettre aux
greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des fonctions d'aide à la
décision des magistrats, actuellement dévolues aux assistants de
justice.
Recommandation n° 14 :
Créer de nouvelles
fonctions d'assistants du parquet, pouvant être exercées soit par
des assistants de justice, soit par des greffiers, notamment afin d'aider les
magistrats du parquet à participer aux politiques publiques.
IV. LA GESTION DES JURIDICTIONS
Recommandation n° 15
:
Améliorer le
dialogue social au sein des juridictions :
- mieux former les chefs de juridiction et les chefs de greffe au
management ;
- développer les sessions de formation commune aux magistrats et
aux fonctionnaires afin de favoriser une même culture de gestion.
Recommandation n° 16
:
Rénover
l'administration des juridictions :
- doter les juridictions d'un véritable service gestionnaire
spécialisé en renforçant notablement les équipes
des actuelles cellules de gestion ;
- doter les chefs de juridiction d'une «
équipe de
cabinet
» animée par un secrétaire
général institutionnalisé et professionnalisé.
Recommandation n°17 :
Renforcer les services
administratifs régionaux (SAR) :
- renforcer les effectifs des services administratifs régionaux
pour leur permettre de faire face à la poursuite de la
déconcentration des crédits ;
- doter les services administratifs régionaux d'un véritable
statut, en inscrivant leur existence dans le code de l'organisation judiciaire
et en définissant plus précisément leur rôle et
leurs compétences par rapport aux greffes des juridictions ;
- créer un statut de secrétaire général de
service administratif régional auquel pourraient postuler les greffiers
en chef ou des fonctionnaires d'autres administrations.
Recommandation n° 18 :
Clarifier les relations
hiérarchiques entre les chefs de juridiction et les chefs de
greffe :
- donner aux chefs de juridiction autorité sur le fonctionnement
des services de leur juridiction ;
- reconnaître au chef de greffe, par délégation et
sous le contrôle des chefs de juridiction, un pouvoir de direction et de
gestion de l'ensemble des services administratifs.
Recommandation n° 19 :
Réexaminer le choix du
préfet comme ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions
qui, sans susciter de difficultés dans la pratique, paraît peu
compatible avec le principe de l'indépendance de la justice.
Recommandation n° 20 :
Doter chaque cour d'appel
d'un service de communication, placé sous la responsabilité d'un
magistrat et composé d'une équipe qualifiée.
V. LES AVOCATS
Recommandation n° 21 :
Remettre à plat le
système d'aide juridictionnelle mis en place en 1991, afin
d'allouer aux avocats une rémunération équitable et
décente en concertation étroite avec les instances
représentatives de la profession.
Recommandation n° 22 :
Engager une discussion avec
les États membres de l'Union européenne sur la question d'une
réduction du taux de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux
prestations fournies par les avocats.
Recommandation n° 23 :
Poursuivre, en concertation
avec l'ensemble des professionnels concernés, et pas seulement les
avocats, la réflexion en vue de favoriser le développement des
réseaux interdisciplinaires.
Recommandation n° 24 :
Réformer la formation
des avocats :
- diversifier les profils en réformant l'examen d'entrée aux
centres régionaux de formation professionnelle des avocats ;
- transformer la formation initiale en formation en alternance ;
- regrouper les centres régionaux de formation professionnelle des
avocats.
VI. LES RELATIONS ENTRE MAGISTRATS ET AVOCATS
Recommandation n° 25 :
Aménager les formations
des magistrats et des avocats afin de favoriser une meilleure connaissance
réciproque :
- mettre en place un tronc commun de formation entre les
élèves avocats et les auditeurs de justice,
- allonger les stages pratiques effectués tant par les avocats dans
les juridictions que par les auditeurs dans les cabinets d'avocats. En
contrepartie, supprimer le stage extérieur de dix semaines actuellement
inclus dans la scolarité de l'École nationale de la
magistrature ;
- renforcer les formations continues croisées entre les avocats et
les magistrats.
Recommandation n° 26 :
Institutionnaliser une
concertation entre les chefs de juridiction et le bâtonnier.
Recommandation n° 27 :
Mieux associer les avocats
à l'organisation des juridictions et au bon déroulement des
procédures par le biais d'une simplification et d'une rationalisation du
déroulement des audiences tant civiles que pénales.
VII. LES AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE
Recommandation n° 28 :
Étendre les
compétences des notaires, notamment en déjudiciarisant certaines
procédures à leur profit (envoi en possession des successions,
changements de régimes matrimoniaux, partages impliquant des mineurs).
Recommandation n° 29 :
Rechercher les voies
permettant de donner aux huissiers des moyens supplémentaires,
compatibles avec le nécessaire respect des libertés
individuelles, pour assurer une exécution plus efficace des
décisions de justice.
Recommandation n° 30 :
Mieux garantir la
compétence des experts :
- rendre plus transparente la procédure d'établissement des
listes d'experts ;
- renouveler l'inscription des experts tous les cinq ans ;
- donner une formation juridique aux experts.
VIII. LA JUSTICE DE PROXIMITÉ ET LA PARTICIPATION DES CITOYENS
Recommandation n° 31 :
Améliorer l'accueil du
public, notamment par le développement des guichets uniques des greffes.
Recommandation n° 32 :
Conforter le juge d'instance
comme
juge de proximité chargé d'animer une politique de
règlement alternatif des conflits mise en oeuvre, sous son
contrôle, grâce à une participation accrue des citoyens.
Recommandation n° 33 :
Instituer des
«
juges de paix délégués
»,
magistrats non professionnels de carrière, mais correctement
rémunérés et formés, dotés de pouvoir
élargis en matière de règlement des conflits en amont
d'une procédure judiciaire.
Recommandation n° 34 :
Conforter les
délégués du procureur qui deviendraient des magistrats non
professionnels de carrière, désignés à titre
individuel par le procureur de la République, correctement
rémunérés et formés de manière à
être susceptibles d'accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux
poursuites.
Recommandation n° 35 :
Maintenir les associations
dans un rôle d'accompagnement et de soutien de la politique pénale
d'alternatives aux poursuites.
Recommandation n° 36 :
Expérimenter dans
certaines juridictions le recours à des assesseurs non professionnels
aux compétences bien définies avec des profils de recrutement
parfaitement ciblés - ils ne seraient donc pas tirés au sort -,
auxquels serait délivrée une formation adéquate.
IX. LA SPÉCIALISATION DES JURIDICTIONS
Recommandation n° 37 :
Poursuivre le mouvement de
spécialisation des juridictions dans des matières complexes
(propriété intellectuelle, droit de la concurrence, droit des
sociétés, droit bancaire).
Recommandation n° 38 :
Mettre en relation les
compétences des magistrats et les profils de postes
spécialisés.
Recommandation n° 39 :
Rendre la formation
obligatoire avant l'entrée en fonction d'un magistrat d'un pôle
spécialisé.
Recommandation n° 40 :
Rendre plus attractif le
statut des assistants spécialisés :
- améliorer leur rémunération ;
- étendre leur champ d'intervention ;
- valoriser, lors de leur retour dans leur corps d'origine,
l'expérience acquise au sein de l'institution judiciaire.
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Asphyxiée par un manque de moyens, la justice n'est pas en état
de répondre aux attentes croissantes de nos concitoyens.
Améliorer son efficacité exigera de lui allouer des moyens
supplémentaires, humains, matériels et financiers. De nouveaux
effectifs devront venir au secours des 7.000 magistrats, des 8.000 greffiers et
des 11.000 autres agents des greffes. On ne pourra pas, en outre, faire
l'économie d'une rationalisation de l'organisation judiciaire à
travers la redéfinition, maintes fois envisagée mais toujours
différée, de la carte judiciaire.
Mais, au-delà des ces questions cruciales, d'ailleurs
régulièrement soulevées par la commission des
Lois
1(
*
)
, se profile celle, tout aussi
fondamentale, de la définition des métiers de la justice,
à savoir des missions revenant aux différents acteurs de la
communauté judiciaire et des conditions d'exercice de leurs fonctions.
La fin de l'année 2000 et le début de l'année 2001 ont
été marqués par de profonds mouvements revendicatifs
traversant les différentes professions de la justice : magistrats,
personnels des greffes, avocats
2(
*
)
.
Dépassant les questions purement matérielles, votre commission
des Lois a souhaité analyser les causes profondes du malaise ayant
touché ces professions.
Elle a également souhaité faire le point sur l'émergence
des nouvelles fonctions ayant accompagné le développement des
mesures alternatives de règlement des conflits :
délégués ou médiateurs du procureur, en
matière pénale, conciliateurs de justice et médiateurs, en
matière civile. Ces fonctions sont souvent exercées à
titre bénévole dans de nouveaux types d'implantations judiciaires
de proximité, telles les maisons de justice et du droit ou les antennes
de justice.
A cette fin, à l'initiative de son président, M. René
Garrec, la commission des Lois a désigné en son sein une mission
d'information sur l'évolution des métiers de la justice.
Cette mission a décidé de centrer son étude sur les
juridictions de droit commun de l'ordre judiciaire.
Elle n'a donc inclus dans le champ de ses travaux ni les juridictions
consulaires ni les administrateurs et mandataires judiciaires, qui ont fait
l'objet de trois projets de loi examinés par le Sénat en
février dernier
3(
*
)
. En outre, ne
souhaitant pas interférer avec les travaux respectifs des commissions
d'enquête sénatoriales sur les prisons
4(
*
)
et la délinquance des mineurs
5(
*
)
, elle n'a traité ni des personnels de
l'administration pénitentiaire ni de ceux de la protection judiciaire de
la jeunesse.
La mission a particulièrement centré sa réflexion sur la
manière dont les métiers de la justice devraient évoluer
pour répondre à deux exigences contradictoires en
apparence : la proximité, d'une part, la spécialisation des
contentieux, d'autre part.
Les citoyens sont en effet demandeurs d'une justice plus proche d'eux. Cette
notion de proximité recouvre bien entendu une dimension
géographique. Elle s'entend également en termes de
facilité d'accès à la justice, de simplicité des
procédures et de rapidité. Elle intègre, enfin, un besoin
croissant d'écoute du justiciable, à l'heure où les
contentieux de masse conduisent le juge à raisonner de plus en plus en
termes de productivité et de rendement.
Inversement, la complexité croissante des contentieux exige une
spécialisation de plus en plus poussée par matières,
conduisant à des regroupements de juridictions en pôles de
compétence, donc à un éloignement géographique du
justiciable.
Enfin, la mission n'a pas manqué de se pencher sur les incidences
croissantes de la construction européenne et de l'ouverture à
l'international sur l'exercice des métiers de la justice.
Dans ce cadre, la mission a procédé à de nombreuses
auditions au Sénat. Outre Mme Marylise Lebranchu,
précédent garde des Sceaux, elle a entendu MM. Guy Canivet
et Jean-François Burgelin, respectivement premier président et
procureur général de la Cour de cassation, ainsi que trente-six
personnalités représentant, pour la plupart, les
différentes organisations professionnelles de magistrats, fonctionnaires
des greffes et auxiliaires de justice
6(
*
)
.
Elle s'est, en outre, déplacée à plusieurs reprises sur le
terrain à la rencontre des magistrats, des personnels des greffes, des
agents des structures de justice de proximité et des auxiliaires de
justice. Elle s'est ainsi rendue au pôle économique et financier
de Paris, à Bordeaux, siège de l'École nationale de la
magistrature, à Dijon, siège de l'École nationale des
greffes, et à Marseille, notamment au pôle économique et
financier.
Au cours de ces déplacements, les membres de la mission ont
rencontré des magistrats et des personnels des greffes qui,
malgré les conditions très difficiles d'exercice de leurs
fonctions, dues au
déséquilibre flagrant entre l'ampleur de la
mission confiée à la justice et les moyens mis à sa
disposition
, gardaient une
foi profonde en leur mission au service du
justiciable
. Il est urgent de mettre à profit ces énergies
menacées par l'amertume et le découragement.
La France
dispose en matière de justice d'un « outil »
remarquable. Elle n'a pas le droit de le laisser s'étioler.
La mission a également consulté l'ensemble des juridictions en
envoyant un courrier à la Cour de cassation, aux cours d'appel et aux
tribunaux de grande instance
7(
*
)
. Le taux de
réponse s'est révélé relativement peu
élevé (un cinquième) mais les contributions reçues
recèlent de nombreuses pistes de réflexion. Que les magistrats et
personnels y ayant participé soient remerciés.
Après avoir initialement programmé la fin de ses travaux pour le
mois d'octobre, la mission a considéré qu'il serait utile de
livrer ses observations avant que n'intervienne la discussion annoncée
d'un projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice.
Au cours de ses travaux, la mission d'information - dont l'action se situe dans
le prolongement des rapports Haenel-Arthuis
8(
*
)
et Jolibois-Fauchon
9(
*
)
- a pu mettre en
lumière des points de convergence
et ouvrir quelques pistes de
réflexion permettant d'avoir une vision plus précise des mesures
à prendre pour aboutir à une
justice rénovée,
responsable, plus citoyenne et donc plus efficace
.
La justice est en effet mal perçue par les citoyens. Elle leur
apparaît trop compliquée, trop rigide, trop lourde, trop lente et
surtout trop éloignée de leurs préoccupations.
L'évolution des métiers de justice doit donc conduire vers une
justice à la fois plus simple, plus rapide, plus lisible et plus proche
des citoyens
. Il importe de rapprocher la justice du citoyen mais
également le citoyen de la justice.
À cet effet, la mission a dégagé cinq axes principaux.
• Désengorger la justice
Il importe, en premier lieu, de dégager les magistrats des tâches
non indispensables, notamment !
- en concentrant l'action des juges du siège sur leurs missions
de nature juridictionnelle.
Un certain nombre de tâches accomplies par le juge pourraient être
purement et simplement supprimées. D'autres pourraient être
transférées soit aux greffiers, dans la ligne du mouvement
amorcé en 1995, soit à des auxiliaires de justice, notaires ou
huissiers en particulier, soit à l'administration. Enfin, la
participation des magistrats à de trop nombreuses commissions doit
être revue, notamment par le législateur pour celles dont la
composition est fixée par la loi.
- en favorisant le règlement des conflits en amont des
procédures.
Pour reprendre un thème fort des entretiens de
Vendôme : «
le tout judiciaire n'a pas de
sens
».
Le juge doit être, en effet, le dernier
recours
, quand tous les autres moyens permettant une conciliation ont
échoué. Par ailleurs, il conviendra de s'interroger sur le moyen
de limiter les recours abusifs, notamment certaines plaintes avec constitution
de partie civile, qui représentent la grande majorité des
affaires ouvertes dans les cabinets d'instruction et dont 80 % aboutissent
à un non-lieu.
• Améliorer l'organisation du travail des juridictions
- en favorisant l'aide à la décision du magistrat.
Le statut des assistants de justice, dont l'utilité n'est plus mise en
doute par les magistrats, doit être conforté. Leur situation est
en effet trop précaire. La durée de leur service est trop courte,
ce qui demande du temps aux magistrats pour former leurs assistants successifs.
Par ailleurs, il convient de proposer aux greffiers d'accomplir
également cette mission d'aide à la décision.
- en professionnalisant la gestion des juridictions.
La gestion des juridictions doit être effectuée sous
l'autorité des chefs de juridiction, cette condition étant
essentielle à l'indépendance de la justice. Mais elle doit
être confiée à des professionnels compétents sur
lesquels les chefs de juridiction peuvent se reposer.
Les greffiers en chef et les greffiers devraient être en mesure
d'acquérir une véritable spécialisation dans les
tâches de gestion. Les corps doivent cependant rester polyvalents, des
passerelles devant être instituées entre les différentes
filières.
En outre, les juridictions ne doivent pas écarter la possibilité
de recourir à des spécialistes de la gestion extérieurs
aux corps des greffes ou de la magistrature. Les moyens des services
administratifs régionaux (SAR) devraient être renforcés et
leurs relations avec les greffiers en chefs des juridictions devraient
être précisées.
• Instaurer une véritable justice de proximité associant
les citoyens
Une justice plus proche des citoyens doit avant tout permettre un meilleur
accueil et une meilleure information du public ainsi qu'une participation
accrue des citoyens à la bonne marche de la justice.
La poursuite de la mise en place de guichets uniques des greffes, point unique
d'accès à la justice, permettrait d'assurer une interface de
proximité entre le citoyen et la justice en lui rendant plus
transparentes les arcanes de cette dernière.
L'institution de services de communication au niveau des cours d'appel
permettrait à la justice de transmettre des informations vers la
cité tout en libérant les juges d'une pression médiatique
parfois insupportable.
La nécessité de rendre la justice plus proche des citoyens
implique de conforter le juge d'instance dans un rôle de
juge de
proximité
chargé d'animer, avec le concours de citoyens, une
politique active de règlement alternatif des conflits, au civil comme au
pénal. Son action s'appuierait sur les implantations de justice de
proximité que sont les maisons de justice et du droit et les actuels
tribunaux d'instance.
Au civil, pourraient être institués des «
juges de
paix délégués
», juges non
professionnels de carrière, correctement rémunérés
et formés, dotés de larges pouvoirs en matière de
règlement des conflits en amont de la procédure judiciaire. Sous
le regard du juge de proximité et agissant essentiellement en
équité, ils seraient l'expression d'une justice « hors
du Palais », facilement accessible et à l'écoute de
chacun.
Au pénal, seraient confortés les actuels
délégués du procureur, qui deviendraient des magistrats
non professionnels de carrière, désignés à titre
individuel par le procureur de la République, correctement
rémunérés et formés de manière à
pouvoir accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux poursuites.
Les associations seraient maintenues, sous le contrôle du parquet, dans
leur rôle essentiel d'accompagnement et de soutien de la politique
pénale d'alternatives aux poursuites.
Afin d'ouvrir davantage la justice vers l'extérieur et de constituer un
relais vers la société civile, il pourrait être
envisagé de
développer l'échevinage
dans les
juridictions civiles et pénales de droit commun. Pourrait être
expérimenté, dans certaines juridictions, le recours à des
assesseurs non professionnels, aux compétences bien définies,
avec des profils de recrutement parfaitement ciblés et auxquels serait
délivrée une formation adéquate. Ces assesseurs
pourraient intervenir pour garantir une collégialité aux
côtés d'un juge professionnel unique.
D'une manière générale, il convient d'ailleurs d'ouvrir
aux juridictions des possibilités d'expérimentation.
• Poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions
Il convient de favoriser un équilibre entre généralistes
et spécialistes. Le juge ne peut pas être spécialiste en
tout car le droit devient de plus en plus compliqué. Cette
évolution suppose le développement, par
spécialités, de nouveaux pôles de compétences.
Cette orientation n'est pas incompatible avec une justice plus proche du
citoyen et plus compréhensible par celui-ci. Elle lui offre en effet
« clarification » et « expertise ».
Des filières de formation appropriées devraient être mises
en place et la spécialisation devrait être prise en compte,
s'agissant de la mobilité des magistrats afin que l'expérience et
la formation acquises ne soient pas « perdues » par suite
des obligations découlant d'un plan de carrière.
Le statut des assistants de justice spécialisés doit, enfin,
être rendu plus attractif.
• Favoriser l'émergence d'une véritable communauté
judiciaire
Il convient de diversifier le recrutement des magistrats en l'ouvrant davantage
sur l'extérieur, notamment en éliminant certains freins actuels
à l'intégration directe de personnes qualifiées.
Le profil des futurs avocats doit également être diversifié
pour répondre aux exigences nouvelles de spécialisation, en
particulier dans le domaine économique et financier.
L'amélioration des relations entre les différents acteurs de la
communauté judiciaire constitue une condition essentielle au bon
fonctionnement de la justice. Une grande partie des incompréhensions
actuelles entre magistrats et avocats pourrait être levée si ces
professionnels apprenaient à mieux se connaître, notamment par le
biais de formations croisées.
Au sein des juridictions, le dialogue social doit être
amélioré entre les magistrats et les personnels des greffes.
*
Ces orientations n'impliquent pas de bouleversement de l'existant. Elles supposent, cependant, une volonté politique affirmée de réforme et d'action assortie de l'engagement formel de mettre à la disposition de la justice les moyens humains, matériels et financiers appropriés , faute de quoi l'exercice ne pourrait rester qu'au stade des bonnes intentions. Comme le résumait un magistrat : « les besoins montent par l'ascenseur alors que les moyens sont acheminés par l'escalier, pour autant qu'ils suivent ». Or, on sait ce qu'il advient quand l'intendance ne suit pas.
PREMIÈRE PARTIE
LA DIFFICILE MUTATION
DE LA COMMUNAUTÉ
JUDICIAIRE
La
communauté judiciaire n'a cessé de s'enrichir de nouveaux
métiers. Elle ne saurait désormais se réduire à la
seule image, encore présente dans certains esprits, des
«
gens de justice
» caricaturés par
Honoré Daumier au XIXème siècle, qui n'englobait que
les magistrats et les avocats.
Les métiers de la justice regroupent un ensemble beaucoup plus vaste
composé, d'une part, de professionnels exerçant des
métiers très diversifiés au sein d'une même
juridiction (magistrats, greffiers en chef, greffiers, agents de
Catégorie C, assistants de justice et agents de justice) et, d'autre
part, d'auxiliaires de justice, partenaires indispensables au bon
fonctionnement de l'institution judiciaire (avocats, avoués près
les cours d'appel, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
huissiers de justice, notaires, experts judiciaires).
CHAPITRE PREMIER
DES INTERROGATIONS FORTES
AU SEIN DE L'INSTITUTION
JUDICIAIRE
I. DES MAGISTRATS EN PROIE À UNE CRISE D'IDENTITÉ
Les
magistrats occupent une place essentielle au sein du service public de la
justice.
Une récente enquête de satisfaction réalisée
auprès des usagers de la justice et publiée en
mai 2001
10(
*
)
a fait ressortir que les
justiciables portaient une appréciation favorable sur ces
professionnels. La grande majorité des personnes interrogées a
estimé que les juges auxquels ils avaient eu affaire s'étaient
montrés
honnêtes
(pour 81 % des interrogés),
avaient compris le problème posé
(pour 76 % d'entre
eux ) et
avaient fait preuve de qualités humaines
(selon 73% des
sondés).
Pourtant, les récents mouvements de protestation de magistrats de
l'année 2001 ont révélé une crise profonde.
Au-delà des inquiétudes exprimées liées à
l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-516 du
15 juin 2000 relative à la protection de la présomption
d'innocence et aux droits des victimes et au manque de moyens asphyxiant le
fonctionnement quotidien des juridictions, la mission a constaté, au
cours de ses auditions, et à l'occasion de ses déplacements, que
les magistrats étaient en proie à
une crise d'identité
profonde
,
liée tant à la mutation profonde du corps
des magistrats, à leur mode de recrutement et à leur formation,
qu'à la dispersion de leurs missions et aux exigences nouvelles
imposées par l'ouverture sur l'international et l'intégration au
sein de l'Union européenne.
A. UNE MUTATION PROFONDE DU CORPS DES MAGISTRATS
Au
1
er
juillet 2001, le nombre de magistrats professionnels
s'élevait à
7.027
11(
*
)
,
parmi lesquels on distinguait
6.846 magistrats
exerçant leurs
fonctions dans les juridictions et 181 magistrats affectés
auprès de l'administration centrale.
L'affirmation selon laquelle ces effectifs demeurent très proches de
ceux du milieu du XIXème siècle paraît erronée.
En effet, à l'époque, le nombre de magistrats incluait
également les juges non professionnels (juges consulaires, juges
coloniaux, juges de paix suppléants), qu'on oublie souvent de
déduire pour établir cette comparaison.
Avec 13 magistrats pour 100.000 habitants, la
France
12(
*
)
, comme l'Italie et l'Espagne, se situe dans
la
moyenne de l'Union européenne
. Elle se place après
l'Allemagne (32 magistrats) et la Belgique (16 magistrats), mais
devant le Royaume-Uni situé en fin de classement avec
5,5 magistrats.
Il convient toutefois d'utiliser avec prudence ces comparaisons compte tenu de
la diversité de l'organisation judiciaire en Europe. Ainsi, le
système judiciaire allemand repose exclusivement sur des magistrats
professionnels, tandis que le Royaume-Uni recourt largement à des
magistrats non-professionnels (33.945 sur 37.213).
1. Un juge professionnalisé contraint à la mobilité
Le
magistrat du XXIème siècle
diffère radicalement
des anciens juges de paix
supprimés en 1958, qui jouissaient d'une
autorité morale et d'une situation sociale établies. Elus puis
nommés à partir du Consulat, ces derniers étaient
désignés parmi les notables locaux et faiblement
rémunérés.
Recrutés majoritairement par concours, les magistrats judiciaires sont
des
agents publics de l'Etat
et exercent leur
activité
à titre professionnel
. Comme l'a souligné M. Claude Hanoteau,
directeur de l'Ecole nationale de la magistrature à la mission
d'information, «
on ne s'improvise pas juge
». Les
magistrats sont devenus des
techniciens du droit très
compétents,
chargés de l'application et de
l'interprétation des textes en vigueur. La magistrature nécessite
un niveau de technicité croissant du fait de la complexité des
procédures et de l'entrée en vigueur des lois nouvelles.
En outre, l'enracinement local des anciens juges de paix a cédé
le pas aux
exigences
toujours renforcées
de
mobilité
s'imposant aux magistrats.
Avant la réforme issue de la loi organique n° 2001-539 du
25 juin 2001 relative au statut de la magistrature et au Conseil
supérieur de la magistrature (CSM), peu d'obligations de mobilité
statutaires s'imposaient aux magistrats
13(
*
)
.
Toutefois, la pratique du Conseil supérieur de la magistrature a
toujours consisté à encourager la mobilité. Ainsi le CSM a
conduit à instituer deux règles de principe relatives à la
durée d'exercice : la règle des deux ans, destinée
à faire en sorte qu'un magistrat demeure dans un même poste au
moins deux ans, avant d'obtenir une mutation ou un avancement, et la
règle des dix ans, tendant à éviter qu'un magistrat
n'exerce ses fonctions plus de dix ans dans la même juridiction.
La loi organique du 25 juin 2001 précitée a donc renforcé
les exigences de mobilité statutaires en instituant de nouvelles
règles en matière d'avancement, et en imposant une
mobilité géographique non seulement aux
chefs de
juridiction
après sept ans d'exercice au sein d'une même
juridiction, mais aussi aux
juges spécialisés
à
l'issue de dix années d'exercice dans le même tribunal
14(
*
)
.
La volonté du législateur était justifiée par le
double souci
d'enrichir l'exercice des fonctions juridictionnelle
s et de
se prémunir contre les dérives possibles d'une trop grande
implication dans la vie locale
.
Elément important de leur positionnement social,
la situation
matérielle des magistrats
, dont le déroulement de
carrière n'était pas aligné sur celui des magistrats de
l'ordre administratif ni sur celui des magistrats de l'ordre financier, a
été substantiellement revalorisée depuis la loi organique
du 25 juin 2001 précitée.
L'amélioration des rémunérations n'a toutefois
bénéficié qu'aux seuls magistrats situés en haut de
la hiérarchie
15(
*
)
, excluant ainsi les
magistrats débutant leur carrière
16(
*
)
sur lesquels pèsent pourtant des
responsabilités et des sujétions souvent lourdes.
Ces derniers n'ont bénéficié d'aucune valorisation
spécifique de leur traitement, qui demeure strictement rattaché
à la grille indiciaire de la fonction publique, à l'instar des
fonctionnaires de catégorie A.
La situation des jeunes magistrats français s'avère cependant
plus favorable que celle de la plupart de leurs homologues de l'Union
européenne, le traitement perçu en début de
carrière étant en effet légèrement supérieur
à celui des magistrats allemands, espagnols et belges. L'Italie se
distingue par la faiblesse des rémunérations allouées
à ses magistrats tandis qu'au Royaume-Uni, le niveau de
rémunération est très élevé.
2. Un corps fortement féminisé
En
quelques années, le corps de la magistrature s'est
largement
féminisé
, la proportion de femmes magistrats passant de 28,5
% en 1982 à 50,5 % en 2001.
Cette évolution a tendance à s'amplifier, comme en
témoigne le graphique ci-dessous :
Nombre
de femmes
admises au concours d'entrée à l'ENM depuis
1989
(en pourcentage)
Source : Ecole nationale de la magistrature
M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole nationale
de la
magistrature a indiqué à la mission au cours de son
déplacement à Bordeaux, que le profil type de l'auditeur de
justice était en réalité celui d'
une jeune auditrice
dont les caractéristiques sont les suivantes :
- elle est issue du premier concours, après avoir suivi une
préparation à l'Institut d'études judiciaires (IEJ) de
Paris II ;
- elle est titulaire d'un diplôme d'études approfondies ;
- elle est originaire de la région parisienne ;
- elle est âgée de 23 ans.
Comme le soulignait M. Dominique Matagrin, président de
l'Association professionnelle des magistrats, «
en ce qui concerne
le métier en tant que tel, la considération du sexe doit
être tenue pour indifférente pour des raisons de principe
évidentes, et parce qu'il ne semble pas que la féminisation,
sinon en des temps très anciens, [...] ait jamais soulevé de
difficultés notables.
»
Toutefois, cette évolution n'est pas sans conséquences pratiques
sur la gestion du corps en raison des congés maternité et des
vacances de poste temporaires pouvant en résulter.
Ainsi que l'a regretté la Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel : «
la féminisation
est malheureusement insuffisamment prise en compte par la création de
postes de juges placés qui permettent d'assurer des remplacements en
particulier lors des congés maternité
».
On observe d'ailleurs une augmentation des demandes d'aménagement du
temps de travail ces dernières années
17(
*
)
. La fonction de juge d'instruction est la moins
féminisée (49,4 % de femmes), celle de juge des enfants la
plus féminisée (67,6 % de femmes).
3. Des interrogations liées au jeune âge des auditeurs de justice
L'âge moyen des auditeurs de justice
de la
promotion
2002 s'élève à
23 ans
(tous concours
confondus)
18(
*
)
.
Dans leur grande majorité, les magistrats qui débutent leur
carrière sont donc âgés de moins de trente ans. Au
vieillissement du corps, observé jusqu'en 1970, a donc
succédé un rajeunissement très net, qui se poursuit.
Une telle évolution du corps, composé d'une large base
constituée par les moins de 50 ans et d'un sommet en pointe, a
engendré une situation de blocage dans l'avancement des
carrières, la part des emplois du premier grade et hors
hiérarchie étant restée faible.
La loi organique du 25 juin 2001 précitée, en
restructurant le corps par le biais d'une augmentation substantielle du nombre
d'emplois situés au premier grade et hors hiérarchie, a
tenté de remédier à cette situation.
Il est cependant encore prématuré de dresser un bilan de cette
réforme.
En revanche, il est permis de s'interroger sur le jeune âge des
magistrats qui débutent leur carrière, et plus
particulièrement sur
leur aptitude à assumer, à peine
sortis de l'Ecole nationale de la magistrature, de lourdes
responsabilités
. M. Claude Hanoteau, directeur de l'ENM, a
estimé que l'âge ne semblait pas constituer un handicap pour
l'exercice des fonctions juridictionnelles, la solennité de la justice
tendant à conférer une certaine autorité au jeune
magistrat.
Il s'est toutefois inquiété d'un changement des mentalités
au sein du corps et de la disparition du tutorat dans l'institution judiciaire,
en partie liée à la suppression de la collégialité
au sein des formations de jugement : «
les occasions de
poursuivre la formation au cours des premières années
d'affectation semblent devenir de plus en plus rares
».
L'attention de la mission d'information a été appelée sur
la nécessité d'engager une réflexion sur la question de
l'accession graduelle aux responsabilités
en fonction de
l'âge, qui pourrait se nourrir de l'exemple des Pays-Bas. Les magistrats
néerlandais accèdent aux responsabilités par paliers et
n'exercent la plénitude de leurs fonctions juridictionnelles qu'à
l'issue d'une période de maturation correspondant à dix
années d'exercice.
Certains magistrats ont également fait part à la mission du
sentiment de
solitude
et d'
isolement
que pouvaient
éprouver les jeunes magistrats au cours de leurs premières
années d'exercice.
L'Association française des magistrats instructeurs s'est en particulier
inquiété du grand nombre de postes de juge d'instruction
situés dans de très petites juridictions (un tribunal de grande
instance à une seule chambre par exemple) offerts à la sortie de
l'Ecole.
Cette observation concerne d'ailleurs l'ensemble des fonctions de magistrats et
tout particulièrement celles exercées à juge unique.
Les magistrats se trouvent donc actuellement confrontés à une
série de mutations auxquelles ils doivent s'adapter et qui affectent
parfois leur place au sein de la société, elle aussi
marquée par des évolutions importantes.
La mission a également souhaité s'intéresser au mode de
recrutement et à la formation qui déterminent et façonnent
les futurs magistrats.
B. DES INQUIÉTUDES À L'ÉGARD DU MODE DE RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION DES MAGISTRATS
La magistrature semble marquée par un recrutement peu diversifié et une formation s'adaptant difficilement à l'augmentation des effectifs.
1. Un corps peu diversifié
L'ensemble des magistrats rencontrés ou
auditionnés
par la mission a reconnu l'importance de la
diversification du
recrutement
, présentée comme une richesse pour le corps, et
comme un moyen de libérer la magistrature de l'esprit de caste dont elle
est parfois prisonnière.
L'arrivée de magistrats ayant déjà acquis une
expérience professionnelle et des compétences techniques
spécialisées paraît unanimement acceptée par le
corps judiciaire, à condition qu'ils soient soumis à
une
formation probatoire et de qualité
, ce qui suppose l'accomplissement
d'un stage en juridiction et d'une formation théorique à l'ENM
suffisamment longs.
A cet égard, un certain nombre de magistrats s'est élevé
contre l'institution des
concours complémentaires
19(
*
)
issus de la loi organique du 25 juin 2001
précitée
20(
*
)
.
En effet, contrairement aux autres modes de recrutement, les candidats
reçus reçoivent une formation à l'ENM (d'une durée
limitée à six mois) à l'issue de laquelle ils sont
automatiquement nommés dans leur fonction sans aucun contrôle de
leurs aptitudes professionnelles, ce qui signifie qu'une fois admis au
concours, les candidats sont certains d'intégrer la magistrature.
Une telle situation est apparue choquante aux yeux d'un grand nombre de
magistrats rencontrés par la mission, qui ont suggéré de
rendre cette formation obligatoire.
Force est de constater qu'en dépit d'une volonté affichée
d'ouverture, le corps
des magistrats éprouve des difficultés
à
intégrer des magistrats
provenant d'
horizons
différents
et ayant antérieurement exercé une
activité professionnelle, notamment dans le secteur privé.
a) La prégnance des concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature
Ainsi, la grande majorité des magistrats demeure recrutée par les concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature ainsi que le montre le tableau ci-après :
Origine du recrutement des magistrats depuis 1991
|
Nomination de magistrats issus de l'ENM |
Concours exceptionnels |
Conseillers de cour d'appel
|
Détachement judiciaire |
Recrutement latéral intégration directe |
Total |
1991 |
196 |
|
|
|
51 |
247 |
1992 |
169 |
90 |
|
|
57 |
316 |
1993 |
179 |
|
|
|
26 |
205 |
1994 |
167 |
|
|
|
15 |
182 |
1995 |
155 |
|
|
|
10 |
165 |
1996 |
114 |
|
|
|
14 |
128 |
1997 |
106 |
|
3 |
|
14 |
123 |
1998 |
147 |
|
2 |
3 |
24 |
176 |
1999 |
154 |
99 |
14 |
4 |
26 |
297 |
2000 |
161 |
90 |
|
10 |
35 |
296 |
2001 |
196 |
|
|
10* |
35* |
241* |
2002 |
208* |
125 |
|
10* |
35* |
378* |
*
prévisions
Source : Chancellerie
La plupart des postes offerts au concours d'entrée à l'ENM sont
attribués aux
candidats issus du premier concours
21(
*
)
(77 % des postes de magistrats ont
été pourvus par le premier concours depuis 1991).
La grande majorité des candidats admis, le plus souvent issus de la
filière universitaire classique (titulaires d'une maîtrise de
droit, d'un DEA ou du diplôme d'un Institut d'études politiques),
ne possède aucune expérience professionnelle. Le recrutement des
magistrats demeure donc très homogène.
Les candidats admis par la voie des deuxième et troisième
concours, qui s'adressent respectivement à des fonctionnaires ayant une
expérience professionnelle de quatre années et à des
personnes qui, durant huit ans, ont exercé une ou plusieurs
activités professionnelles, ou un ou plusieurs mandats politiques,
représentent une
part marginale des promotions d'auditeurs de
justice
(22 % sur la période 1991 à 2001).
En outre, les
tentatives de recrutement parallèle
destinées à faire entrer dans la magistrature des personnes
dotées de profils différents
n'ont pas rencontré le
succès escompté
, en dépit de la volonté
affichée par le législateur et tout particulièrement de la
commission des Lois du Sénat.
b) La perte de vitesse de l'intégration directe
La voie
de
l'intégration directe
, instituée en 1992
22(
*
)
et ouverte par les articles 22, 23 et 40 de
l'ordonnance organique n° 58-1270 relative au statut de la
magistrature, autorise la nomination aux fonctions de magistrat d'une personne
titulaire d'une maîtrise et justifiant d'une activité
professionnelle d'au minimum 7 ans la qualifiant particulièrement
pour les fonctions judiciaires.
Cette voie d'accès apporte ainsi au corps
une
respiration
précieuse et permet un élargissement
de ses bases de recrutement. Elle présente en outre l'avantage
substantiel de faire face aux besoins en personnel exigés par
l'augmentation des flux du contentieux. Les avantages de l'intégration
par cette voie latérale de recrutement semblent faire l'objet d'un
consensus de la part de l'ensemble des magistrats entendus par la mission.
Au cours de son déplacement au pôle économique et financier
du tribunal de grande instance de Paris, la mission a rencontré une
magistrate du parquet recrutée par intégration directe, ayant
exercé les fonctions de directrice juridique au sein d'une grande
entreprise, qui semblait en effet apporter une compétence
spécialisée très utile au fonctionnement du pôle.
Bien qu'elle permette le recrutement de juristes expérimentés,
d'avocats inscrits au barreau, de fonctionnaires de l'administration en
activité (administration préfectorale notamment), et même
de personnalités du secteur privé, cette voie d'accès
à la magistrature paraît en
perte de vitesse
, compte tenu
de la
baisse du nombre de candidats admis accusée ces
dernières années
(35 en 2002 contre 57 en 1992).
Face à un tel constat, il est permis de s'interroger sur
l'
attractivité réelle de ce mode de recrutement
.
En effet, plusieurs magistrats recrutés par cette voie ont
souligné les
difficultés matérielles
auxquelles les
candidats à l'intégration directe étaient
confrontés.
La
lourdeur
du mécanisme de sélection, conjuguée
à la complexité des procédures de nomination
23(
*
)
,
peut conduire le candidat à
l'intégration directe à attendre près d'une année
entre la présentation de sa candidature et sa nomination effective dans
les fonctions de magistrat.
Durant tout ce temps, à l'exception de la période de
stage
24(
*
)
, les candidats ne perçoivent
aucun traitement puisqu'ils n'ont pas encore intégré la
magistrature. Cette situation paraît particulièrement
préjudiciable
aux cadres du secteur privé et aux avocats
qui, pour accomplir leur stage, quittent leur emploi, et ne perçoivent
plus aucune source de revenus à l'issue du stage.
Afin d'améliorer l'attractivité du recrutement par la voie de
l'intégration directe et de ne pas décourager les candidats issus
du secteur privé, la mission d'information propose donc l'institution
d'une indemnité spécifique allouée aux candidats ayant
accompli leur stage et attendant la décision définitive de la
commission d'avancement.
En outre, la magistrate du parquet rencontrée au pôle
économique et financier du tribunal de grande instance de Paris a fait
observer qu'«
aucune perspective d'avancement n'[était]
offerte aux candidats intégrant la magistrature au second
grade »
, leurs carrières étant strictement
alignées sur celles des jeunes magistrats débutants
affectés en premier poste, sans que leur âge ou leur
expérience professionnelle soient pris en compte.
c) L'échec du recrutement des magistrats à titre temporaire
En
outre, le recrutement de
magistrats exerçant à titre
temporaire
, institué en 1995
25(
*
)
,
«
a été un échec
», comme l'a
souligné la Conférence nationale des premiers présidents
de cour d'appel.
Cette voie d'accès pourtant originale avait été
instaurée pour permettre l'exercice de certaines fonctions par des
magistrats non professionnels, afin de rapprocher la justice du citoyen, ce
dernier participant ainsi au fonctionnement de l'institution judiciaire.
Ces magistrats, qui peuvent exercer les fonctions de juge d'instance ou
d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux de grande
instance pour une durée de sept ans non renouvelable, présentent
la particularité de pouvoir exercer concomitamment une activité
professionnelle compatible avec les fonctions judiciaires. Ce dispositif
offrait de nombreux avantages liés à sa souplesse, à son
faible coût
26(
*
)
et à la garantie
d'obtenir des candidatures émanant de personnes dotées d'une
solide expérience.
Pourtant, la Chancellerie n'a fait qu'un
usage parcimonieux
et
décevant
de cette voie d'accès : 6 magistrats
à titre temporaire ont ainsi été recrutés en 1998,
4 en 1999, 2 en 2000, aucun en 2001 et 1 en 2002
27(
*
)
. Ces recrutements sont restés limités
au cadre expérimental déterminé par la loi de programme de
1995 et concernent donc uniquement 4 cours d'appel. La Chancellerie semble
avoir très modérément apprécié ce dispositif
qu'elle jugeait « trop éloigné de la culture
française ».
La mission, convaincue de l'intérêt du recours à des
magistrats exerçant à titre temporaire, invite la Chancellerie
à utiliser pleinement cette voie de recrutement.
La mission a pu constater que la plupart des chefs de juridiction approuvait ce
dispositif. Tout en soulignant que, «
contrôlé
étroitement par la commission d'avancement
28(
*
)
, leur recrutement ne fait plus l'objet de
récriminations
», un président de tribunal de
grande instance a toutefois indiqué que «
si les
avocats
ayant réussi dans leur profession [faisaient]
d'excellents magistrats, l'acclimatation des cadres issus du secteur
privé [était] plus aléatoire.
»
Ce même chef de juridiction s'est néanmoins interrogé sur
les modalités retenues, et plus particulièrement sur les risques
d'affecter immédiatement ces magistrats dans les juridictions de
première instance, compte tenu de la généralisation des
formations à juge unique : «
ils devront
d'emblée travailler seuls et souvent sans aide de leurs collègues
sur-occupés dans leurs propres fonctions. Reste à savoir s'il ne
faudrait pas plutôt les affecter en priorité au sein des cours
d'appel, où ils seront épaulés par des magistrats
expérimentés dans le cadre des formations
collégiales
».
Sans remettre en cause la vocation première de ces magistrats à
titre temporaire, avant tout juges de proximité, il semble
légitime de poser la question de leur formation effective afin qu'ils
puissent être en mesure d'exercer leurs fonctions de manière
satisfaisante.
2. L'absorption du nombre, principal défi lancé à la formation
a) Des effectifs toujours plus nombreux pour des capacités d'accueil ayant atteint leurs limites
Si les
effectifs de magistrats paraissent notoirement insuffisants compte tenu de
l'encombrement des juridictions et de l'entrée en vigueur des lois
nouvelles, il convient de souligner les efforts de créations de postes
menés depuis 1995 par la Chancellerie.
Depuis quelques années, on observe un
accroissement très net
du nombre des postes offerts aux concours d'entrée à l'ENM
,
qui est passé de 110 en 1994, à 145 en 1995 et 250 en
2002
29(
*
)
.
Pour faire face à cette augmentation, l'Ecole a
bénéficié d'un
renforcement substantiel
de ses
moyens
, avec un budget en nette
progression (+17,21 %)
30(
*
)
. La
mission, au cours de son déplacement à Bordeaux, a pu constater
que les capacités d'accueil de cet établissement avait atteint
leurs limites.
Son directeur a toutefois indiqué que l'affectation de moyens nouveaux
permettrait à son établissement
« d'absorber » de nouveaux élèves, par
exemple en louant des locaux à l'extérieur de l'ENM.
Il s'est davantage inquiété des
capacités d'accueil des
juridictions
31(
*
)
, qui ne peuvent recevoir
en stage qu'un ou deux élèves à la fois et semblent avoir
atteint leurs limites.
Par conséquent, l'arrivée prochaine des futurs candidats admis,
issus du concours complémentaire organisé récemment,
soulève de fortes interrogations. L'ENM, après avoir lancé
des appels à candidature, se trouve en effet confrontée à
une pénurie de stages proposés par les juridictions.
Sans remettre en cause la nécessité d'un renforcement des
moyens de la justice et, partant, d'accroître les effectifs, la mission
d'information invite la Chancellerie à « calibrer »
les futurs recrutements de magistrats annoncés dans la loi de programme
en cours de préparation en fonction des capacités de
formation.
Il convient en effet d'éviter de porter atteinte à la
qualité actuelle de la formation initiale des magistrats, reconnue par
tous les interlocuteurs rencontrés par la mission.
Pour le directeur de l'ENM, «
la difficulté des
années à venir est de faire face au nombre
».
b) Des interrogations sur le niveau des candidats reçus aux concours
Face
à l'augmentation des recrutements observée ces dernières
années, la mission d'information s'est interrogée sur
le
niveau des candidats admis
. Certains magistrats ont regretté que la
note d'admissibilité aux concours soit inférieure à la
moyenne. En 1999, le dernier admissible issu du premier concours avait obtenu
une moyenne de 9 sur 20 et ceux issus des deuxième et troisième
concours une moyenne respective de 8,19 et 8,13 sur 20.
La Chancellerie s'efforce néanmoins de préserver la
qualité du recrutement en maintenant une certaine
homogénéité du niveau entre les trois concours. C'est ce
qui l'a conduite, ces dernières années, à reporter sur le
premier concours un certain nombre de postes prévus pour les
deuxième et troisième concours et rarement pourvus dans leur
intégralité (21 postes en 1999, 19 en 2000).
Les inquiétudes de la mission n'ont pas pour autant été
dissipées. En effet, lors de son audition, le syndicat de la
magistrature a indiqué que 214 auditeurs de justice seulement
avaient été sélectionnés en 2001 alors que
250 postes avaient été offerts aux concours, la Chancellerie
ayant expliqué cette situation par le niveau trop faible des
candidats.
3. Des améliorations souhaitables en faveur de la formation initiale des auditeurs de justice
La
mission d'information a choisi de s'intéresser plus
spécifiquement à la
formation initiale
des auditeurs de
justice, ciment du devenir du magistrat.
Sa qualité
est unanimement
reconnue, et l'ENM est
présentée
comme un
instrument incontournable
. Elle
permet aux auditeurs de justice affectés à leur premier poste
d'être immédiatement opérationnels.
La durée de la formation
, passée de 24 à
31 mois en dix ans, est jugée satisfaisante et ne paraît pas
devoir être allongée. En outre, l'option contraire
présenterait l'inconvénient de retarder la prise de fonction des
futurs magistrats, alors même que la justice se caractérise
actuellement par son asphyxie et son manque de moyens.
a) Une formation théorique et pratique globalement satisfaisante
La formation se déroule en plusieurs phases :
Phase
généraliste
Phase spécialisée
Source : Ecole nationale de la magistrature
La formation théorique
dispensée à l'ENM (7 mois) a
vocation à développer une réflexion sur les fonctions
judiciaires et à transmettre l'ensemble des savoir-faire
professionnels
32(
*
)
. Une partie de
l'enseignement est consacrée à la découverte des
fondamentaux de l'existence des magistrats à travers des études
de cas concrets et des mises en situation basées sur des exercices de
simulation d'audiences.
Une autre partie de la scolarité est dédiée à la
pratique du métier (écoute des témoins, interrogatoires
d'une personne mise en examen) et à la découverte du contexte
dans lequel les magistrats évoluent (découverte du monde
syndical, rencontre avec les élus locaux).
La pédagogie repose sur des
méthodes dynamiques
originales
: un travail en petits groupes d'une quinzaine de
personnes, ces groupes étant formés pour toute la durée de
la scolarité
33(
*
)
.
La place prépondérante des enseignements consacrés au
droit pénal doit être soulignée et a pu surprendre la
mission d'information, compte tenu des compétences techniques exigeantes
que requièrent les fonctions du siège. Cette
«
hypertrophie du pénal
» a surpris notre
collègue José Balarello, qui a fait remarquer que
l'activité des tribunaux était consacrée à
80 % aux affaires civiles contre 20 % seulement aux affaires
pénales. Toutefois, il est apparu que la place importante occupée
par le droit pénal dans la formation initiale se justifiait par un
double souci. Il s'agit, d'une part, de contrebalancer l'enseignement
dispensé à l'université, principalement centré sur
le droit civil, et donc de renforcer des compétences parfois lacunaires
en droit pénal. D'autre part, l'ENM, guidée par un souci
d'efficacité, s'est efforcé d'adapter la scolarité aux
profils des postes offerts à l'issue de la formation, les auditeurs de
justice étant affectés en grand nombre aux fonctions du parquet
(40 % des auditeurs de la promotion 2000).
La formation pratique
s'effectue
durant le stage en juridiction
(14 mois), pendant lequel les auditeurs accomplissent les actes
judiciaires des fonctions du siège et du parquet.
Pour l'encadrement de ces stages, l'ENM s'appuie sur des
magistrats
délégués à la formation
placés
auprès de chaque cour d'appel et sur des directeurs de centre de stage
situés dans chacun des tribunaux accueillant des auditeurs. Ainsi que
l'a indiqué M. Eric Maillaud, sous-directeur des stages à
l'ENM, «
en juridiction, les auditeurs de justice ne sont pas
utilisés à vider les tiroirs
». La mission
d'information, lors de sa rencontre avec les délégués des
élèves des promotions 2000, 2001, 2002, a d'ailleurs pu constater
que ces derniers étaient satisfaits de leur expérience en
juridiction.
Toutefois, il est permis de s'inquiéter de l'avenir de l'encadrement de
la formation initiale par les magistrats placés auprès des
juridictions, qui repose essentiellement sur le
volontariat
. Compte tenu
de la surcharge de travail qui affecte les magistrats et de l'absence
d'obligation d'exercer des responsabilités en matière de
formation, ces derniers se révèlent de
moins en moins enclins
à jouer ce rôle de relais et d'encadrement pourtant essentiel
.
Ainsi que l'a souligné le responsable de la formation de la cour d'appel
de Dijon, les candidatures se font rares.
b) Des interrogations
Au-delà de l'appréciation satisfaisante
portée
par l'ensemble du corps des magistrats sur la formation initiale, quelques
interrogations se sont fait jour .
En premier lieu, la pertinence du
stage extérieur
34(
*
)
accompli en début de scolarité
n'apparaît pas évidente, comme l'a indiqué à la
mission l'ensemble des délégués des auditeurs de justice
des trois dernières promotions. Un auditeur de la promotion 2002 s'est
réjoui d'un stage accompli en Turquie, tandis qu'une auditrice (de la
promotion 2000), issue du concours interne, a jugé son stage en
administration décevant. Il est apparu que ce stage extérieur
dépendait fortement de l'organisme d'accueil et n'était pas
forcément adapté au profil du stagiaire. Le jugeant soit trop
court, soit trop long, certains délégués ont fait valoir
qu'il serait préférable d'accomplir plusieurs stages de courte
durée au sein de chaque type d'organisme d'accueil afin d'éviter
des expériences stériles, d'une part, et de confronter l'auditeur
à une plus grande diversité d'interlocuteurs, d'autre part.
En second lieu, les conditions d'attribution des postes offerts à la
sortie de l'école peuvent également surprendre.
La mission
d'information attache une grande importance à cette question
fondamentale pour l'avenir des futurs magistrats
, susceptibles d'être
fortement marqués par leur première affectation.
Elle regrette ainsi que la liste des postes fournie par la Chancellerie ne
tienne pas compte des aptitudes et compétences des auditeurs de justice.
C'est ainsi que la désaffectation pour les fonctions de magistrat du
parquet a conduit mécaniquement à l'augmentation du nombre de
postes de parquetier à la sortie de l'école (un tiers environ en
moyenne ces dernières années).
Plus encore que l'absence d'implication de la Chancellerie dans
l'élaboration de la liste des postes proposés, la mission s'est
inquiété des
modalités de choix des postes
,
essentiellement guidées par des
critères
géographiques
.
Il convient en effet de souligner le décalage entre le droit et la
pratique en ce domaine. La formation à l'ENM revêt un
caractère probatoire et donne lieu à un classement par ordre de
mérite permettant aux auditeurs de justice de choisir sur la liste
proposée par le ministère de la justice. Toutefois, en pratique,
force est de constater que la première affectation est
librement
choisie par les auditeurs de justice
. Chaque promotion négocie
en
son sein l'attribution des postes
, le critère du classement
n'intervenant que très marginalement.
L'adéquation du profil et des aptitudes des futurs candidats à
leur première affectation ne constitue donc pas un élément
déterminant. La priorité accordée au choix
géographique a d'ailleurs été confirmée par la
plupart des délégués des auditeurs rencontrés par
la mission.
La mission juge regrettable que l'aptitude pour l'exercice de certaines
fonctions ne soit pas davantage prise en compte dans le choix de la
première affectation des auditeurs de justice
.
A cet égard, M. Claude Hanoteau, directeur de l'Ecole, a
dénoncé l'absence d'implication de la Chancellerie sur cette
question, estimant qu'il n'appartenait pas à l'ENM, dont le rôle
se limite à accorder des brevets d'aptitude à une fonction
particulière, d'intervenir dans le processus de nomination, au risque
«
d'un mélange des genres fâcheux pour le bon
fonctionnement de l'institution judiciaire.
»
Actuellement, la gestion des premières affectations s'effectue donc a
minima et consiste à éviter les affectations les plus
problématiques.
Depuis 1996, le jury de classement, sur la base des notes d'études et de
stages, dispose d'un pouvoir de recommandation
35(
*
)
quant à l'aptitude de l'auditeur à
certaines fonctions. Il en a toutefois fait un usage parcimonieux
(1 recommandation en 1996, 5 en 1997, 4 en 1998 et 1999 et 3 en 2000).
En outre, ces recommandations sont d'une portée limitée, le
Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 93-336 DC du
27 janvier 1994, ayant relevé qu'elles ne devaient être
mentionnées qu'à l'occasion de la première affectation et
«
ne sauraient lier le Conseil supérieur de la
magistrature à qui il appartient d'émettre en toute
indépendance un avis sur la nomination des auditeurs de
justice ».
En effet, le Conseil supérieur de la magistrature peut émettre un
avis défavorable pour la nomination d'un auditeur de justice, en
fonction des éléments d'évaluation contenus dans le
dossier
36(
*
)
.
De manière générale, le CSM a tendance à
émettre des avis favorables, sauf lorsque le caractère innoportun
de la nomination paraît manifeste. Ainsi qu'il l'a lui-même
indiqué, «
sur les deux promotions de 1999 et 2000, ont
été émis trois avis défavorables pour des postes du
siège et deux pour des postes du parquet
37(
*
)
».
S'il paraît opportun d'éviter la nomination d'un auditeur à
un poste qui ne correspond pas à ses aptitudes, il semble indispensable
d'assurer une
étroite correspondance
entre
le profil du poste
choisi
et
les compétences effectives du futur magistrat
. Une
telle exigence ne paraît pas de nature à fragiliser
l'indépendance des magistrats mais apparaît plutôt comme la
meilleure garantie de leur efficacité
au sein de l'institution
judiciaire.
4. La formation continue, un droit reconnu par les textes mais peu effectif
La
formation continue des magistrats a été instaurée par le
décret n° 72-355 du 4 mai 1972 et confiée à
l'Ecole nationale de la magistrature.
Il convient de noter qu'il appartient à l'établissement public de
Paris de l'ENM de concevoir et d'organiser les actions de formation
destinées aux magistrats.
En outre, un nombre important de sessions et de séminaires se
déroule dans ses locaux.
a) Les stages proposés par l'Ecole nationale de la magistrature
Aucune
obligation ne s'impose aux magistrats
38(
*
)
, mais
ils disposent statutairement d'un droit à la formation de
cinq
jours
par an
. L'éventail des stages et séminaires
offert par l'ENM est très vaste
39(
*
)
.
Le nombre de magistrats inscrits est en
augmentation constante
.
4.000
magistrats
ont suivi une action de formation en 2000,
soit près de 60 % des effectifs de magistrats, contre 3.500 en
1999, soit une hausse de près d'un septième de la
fréquentation.
De nombreux interlocuteurs de la mission ont néanmoins regretté
la relativité de l'effectivité de ce droit à la formation
continue, souvent limité en raison de la surcharge de travail
pesant sur les magistrats et du manque de moyens des juridictions.
Conscients qu'ils ne seront pas remplacés et soucieux d'éviter un
amoncellement de leurs dossiers, ces derniers hésitent à quitter
leur juridiction. Ainsi, la totalité des places offertes par l'ENM pour
l'année 2000 (27.071 jours) n'a pas été
utilisée. Près de 3.000 jours de formation ont été
annulés en raison de l'insuffisance des candidats ayant postulé
pour ces actions.
b) La mise en place de la formation continue déconcentrée
Parallèlement, a été créée
en
1990 et officialisée par un décret du 25 septembre 1995
la
formation continue déconcentrée
. Organisée au
niveau des cours d'appel, elle est destinée à
compléter
le dispositif national
et vise à répondre « aux
besoins locaux » des magistrats afin, notamment, d'approfondir les
particularités locales et d'étudier les questions
d'actualité.
Elle rencontre un certain succès puisqu'elle connaît une
nette
progression
s'agissant tant du nombre des actions menées (250 en
1999 contre 360 en 2000), que de la participation des magistrats (passant de
3.000 à plus de 4.500).
Elle s'appuie, dans chaque cour d'appel, sur un magistrat
délégué à la formation
40(
*
)
qui propose un programme annuel de formation
destiné aux magistrats du ressort, et dont les priorités ont
été préalablement déterminées par les chefs
de cour.
Un rapport de janvier 2000 relatif à la situation de ces
magistrats
41(
*
)
a fait ressortir que l'essor de
la formation déconcentrée dépendait étroitement de
leur degré d'implantation et de leur disponibilité.
Il est apparu que leur disponibilité en ce domaine était
étroitement conditionnée par leur charge de travail,
elle-même étroitement liée aux priorités du chef de
juridiction. Ainsi, certains chefs de cour ont su développer de
véritables plans de formation en donnant des moyens aux magistrats
délégués à la formation et en le déchargeant
de certaines obligations pour disposer du temps nécessaire.
Cependant, cette situation est loin d'être homogène puisque la
moyenne des actions réalisées en 2000 (10 actions par cour
d'appel) masque un
écart important entre cours
d'appel
(entre 3 et 19 actions en fonction de la cour concernée). Bien que ces
disparités aient tendance à s'estomper,
des efforts restent
à accomplir pour encourager l'engagement des chefs de cour en faveur du
développement de la formation continue
.
5. L'ouverture de la formation à l'environnement international
Les
formations initiale et continue se sont efforcées de
prendre en
compte la dimension européenne et, plus largement, internationale
.
La venue de nombreuses délégations étrangères
à l'ENM favorise la découverte par les magistrats du
fonctionnement des systèmes judiciaires étrangers.
Le droit communautaire est abordé (dans le cadre de la formation
initiale) par le biais de conférences et de groupes de travail
fonctionnant en ateliers co-animés par des magistrats
spécialistes en droit communautaire ou international (membre du service
juridique de la Commission, référendaires de la Cour de justice
des Communautés européennes) et des maîtres de
conférence. L'accent a également été mis sur les
stages à l'étranger, notamment par le biais du stage
extérieur (60 stages à l'étranger ont été
accomplis par les auditeurs de justice de la promotion 2002).
Afin de mieux répondre aux enjeux européens, l'ENM a
initié la création d'un
réseau européen de
formation judiciaire
qui rassemble les écoles de formation des
magistrats de l'ensemble des pays de l'Union européenne depuis la fin de
l'année 2001.
La mission se félicite du positionnement de l'ENM en la matière
et estime, à l'instar de M. Guy Canivet, premier président de la
Cour de cassation, que la
constitution d'un tel réseau
mériterait d'être institutionnalisée
car
«
la création d'un espace européen de justice
suppose, au premier chef, que les juges des différents Etats de l'Europe
reçoivent une formation appropriée qui leur permette non
seulement de connaître le droit communautaire et la convention
européenne des droits de l'homme, mais aussi les systèmes
juridiques et judiciaires des pays de l'Union avec lesquels ils auront à
entretenir des relations de coopération. L'acquisition de ces
connaissances théoriques et pratiques suppose des échanges et une
formation partiellement commune des juges européens
».
Grâce à l'appui des programmes de financement européens
destinés à la formation des juristes (Falcone, Grotius...), l'ENM
a intensifié les échanges entre magistrats. Des échanges
d'auditeurs sont organisés et permettent une mise en commun des
techniques juridiques et des procédures.
Depuis deux ans, une action de formation commune aux auditeurs de justice
français et aux élèves magistrats espagnols est
co-organisée par les deux écoles sur le thème de
l'entraide judiciaire. Ainsi ont-ils pu rédiger ensemble une commission
rogatoire. Un accord de coopération a été également
conclu avec les Pays-Bas et un autre est actuellement en cours avec le Portugal.
En outre, chaque maître de conférence doit, en complément
de la formation qu'il dispense à l'ENM, accomplir une mission
internationale.
Si les efforts de l'ENM paraissent indéniables, il convient
néanmoins de relever en parallèle les insuffisances des
enseignements dispensés en amont aux magistrats par l'Université,
qui ne consacre qu'un temps très limité et, par
conséquent, insuffisant, au droit communautaire (35 heures) et au
droit international (36 heures). Des développements
complémentaires ne sont qu'optionnels.
A la différence de l'ENM, le programme universitaire ne semble pas avoir
pleinement intégré l'influence des droits européen et
international sur l'évolution des métiers de la justice.
Pourtant, l'Europe et le droit international ont profondément
bouleversé le métier de magistrat, qui s'exerce désormais
bien au-delà du cadre franco-français.
C. DES MAGISTRATS PARFOIS DÉSORIENTÉS PAR LA NÉCESSAIRE OUVERTURE AU DROIT EUROPÉEN
L'Europe est venue modifier profondément le paysage judiciaire français. Autrefois subordonné aux seules règles nationales, le juge est désormais conduit non seulement à appliquer directement le droit européen, mais à adapter ses modes de raisonnement ainsi que ses méthodes de travail à des exigences nouvelles.
1. Un droit européen devenu désormais incontournable
a) Le juge français, promoteur du droit européen
La
primauté des normes européennes et internationales sur les lois
nationales a conduit le magistrat à enrichir, interpréter, voire
écarter la loi nationale.
La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg mais aussi le droit
communautaire et la jurisprudence de la Cour de justice des communautés
européennes s'imposent désormais aux juges français.
Ainsi,
l'absence de transposition par la France d'une directive
communautaire
, une fois le délai de mise en oeuvre expiré,
ne saurait empêcher les justiciables de s'en prévaloir en justice,
de même qu'une telle situation ne saurait conduire les juridictions
nationales à l'écarter. Toutefois, pour produire des effets
directs dans les relations juridiques entre les Etats membres et les
justiciables, la directive doit créer des obligations claires,
précises et inconditionnelles
42(
*
)
.
Chaque juge national, pour trancher un litige qui lui est soumis, peut donc
être appelé à interpréter un texte de droit
communautaire et s'il le faut à écarter l'application de la loi
nationale.
La Cour de cassation a d'ailleurs reconnu ce principe de longue date dans un
arrêt du 24 mars 1975 (Société des cafés
Jacques Vabre). Ainsi que l'a souligné M. André Ride,
président de la Conférence nationale des procureurs
généraux, «
nous sommes, juges nationaux, les
premiers juges du droit européen
».
En outre, un juge national confronté à un délicat
problème d'interprétation de la norme communautaire peut
consulter la Cour de justice des communautés européennes par la
technique du
renvoi préjudiciel
43(
*
)
.
b) Les méthodes du juge français contraintes par le droit communautaire
Le juge
est désormais contraint de s'ouvrir à des
concepts
et
à des
critères nouveaux
, étrangers au droit
français. Sa logique traditionnelle et ses mécanismes de
raisonnement en sont profondément affectés.
Des notions nouvelles d'inspiration essentiellement anglo-saxonne telles que la
proportionnalité, l'effectivité, le délai raisonnable ou
encore l'impartialité imposent aux magistrats des exigences nouvelles,
qui ont d'ailleurs déjà inspiré des modifications
législatives importantes (par exemple la présence d'un avocat
dès la première heure de garde à vue introduite par la loi
du 15 juin 2000). Une telle évolution laisse présager une
profonde transformation de la procédure pénale et, partant, du
mode d'exercice du métier.
L'Association française des magistrats instructeurs a fait état
des
difficultés d'adaptation
des juges face au
formalisme
procédural accru
ayant résulté de
l'imprégnation du droit français par le droit anglo-saxon, alors
même que les juridictions sont asphyxiées par l'insuffisance de
moyens.
A cet égard, un certain nombre de magistrats n'a pas manqué de
relever les inévitables paradoxes de la situation actuelle. Ainsi,
l'instauration d'un appel devant les cours d'assises a entraîné un
encombrement des juridictions
44(
*
)
et
indirectement contribué à allonger les délais de jugement.
De même, l'impact de la gratuité de la délivrance de la
première reproduction de chaque acte à l'ensemble des avocats
(décret du 31 juillet 2001), qui s'inscrivait initialement
dans le mouvement de la protection de la présomption d'innocence et du
renforcement des droits de la défense, suscite de fortes
inquiétudes au sein des juridictions. Cette mesure, destinée
à l'origine à améliorer la situation des justiciables
semble au contraire avoir aggravé, voire même
désorganisé considérablement le travail de l'ensemble des
personnels, et donc nui indirectement au justiciable.
Plus encore que les conditions d'exercice du métier, la perception
même du métier de magistrat est affectée par la
perméabilité
du
droit français
aux
concepts anglo-saxons,
l'introduction de concepts empiriques se heurtant
au système juridique français qui repose encore sur des
catégories juridiques très rigides.
Corseté par le code de procédure pénale ou le nouveau code
de procédure civile, le magistrat est, dans le même temps,
sommé de s'adapter à des catégories juridiques
évolutives. Force est de constater que les repères du magistrat
paraissent désormais brouillés.
c) Un juge fragilisé, voire menacé, s'il ne s'adapte pas à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
Alors
que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, au
même titre que celle de la Cour de justice des communautés
européennes, s'impose désormais aux magistrats, des
décisions peuvent être interprétées comme de
véritables menaces pour l'avenir de certaines fonctions.
M. Jean-François Burgelin, procureur général
près la Cour de cassation, s'est inquiété de la
«
crise actuelle
» vécue par le parquet
général à la suite d'un arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme (arrêt Reinhardt et Slimane
Kaïd contre France du 31 mars 1998).
Cet arrêt, vivement contesté par l'ensemble des membres du parquet
général, a en effet remis en cause une pratique instaurée
par une coutume centenaire selon laquelle les avocats ne prenaient leurs
conclusions qu'après avoir reçu communication du rapport, de la
note et du projet d'arrêt élaborés par le
conseiller-rapporteur.
Or, la cour a jugé que le secret du délibéré
s'étendait aux travaux du rapporteur, empêchant ainsi sa
communication aux parties ainsi qu'à l'avocat général.
Depuis janvier 2002, les avocats généraux n'ont donc plus
accès ni à la conférence préparatoire ni aux
délibérés de la Cour de cassation.
M. Jean-François Burgelin a dénoncé la position de la
Cour européenne, expliquant qu'elle avait entraîné un
regrettable affaiblissement du parquet général
qui, compte
tenu de ses effectifs insuffisants, n'était plus désormais en
mesure de requérir dans toutes les affaires comme la loi l'y obligeait
pourtant
45(
*
)
.
On ne saurait nier qu'une telle évolution, qui va dans le sens d'une
meilleure prise en compte des droits des justiciables et procède donc de
valeurs incontestables, contient peut-être en germe une remise en cause
de l'existence même du parquet général de la Cour de
cassation, voire sa nécessaire redéfinition.
2. Le développement de la coopération judiciaire internationale : une impérieuse nécessité
a) La multiplication des mécanismes institutionnels
L'entraide judiciaire internationale (tant pénale que
civile)
conditionne l'exécution des décisions et l'efficacité de
la justice au-delà des frontières nationales.
Comme l'a fort justement fait remarquer M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires, au cours de son audition, les
effets de la coopération judiciaire communautaire sont plus perceptibles
en matière pénale, où l'entraide judiciaire se
développe, qu'en matière civile, pour laquelle «
il
est ici possible de comparer le droit européen à
l'Arlésienne
».
La mise en place du troisième pilier du traité de l'Union
européenne consacré à la justice et aux affaires
intérieures a permis des
avancées
dans le
domaine
pénal
. Ce troisième pilier s'appuie essentiellement sur deux
instruments :
Europol
(instance de coopération
policière) et
Eurojust
46(
*
)
, qui a
vocation à coordonner dans certains domaines (criminalité
organisée, terrorisme) l'action des autorités judiciaires des
Etats parties.
Depuis mars 2001, chaque Etat membre a détaché à
Bruxelles un procureur, ou l'équivalent, afin de faciliter la
coordination des enquêtes judiciaires en matière pénale et
l'exécution des commissions rogatoires.
Les négociations entre les Etats de l'Union européenne sur
Eurojust n'ont toutefois pas abouti à la création d'un parquet
européen, mais cette idée progresse. Certains juges, lors de
l'appel de Genève de 1996, avaient souhaité l'institution d'un
parquet européen.
Le Sénat s'est d'ailleurs prononcé en faveur de l'institution
d'un procureur européen le 28 mars 2001 et la commission des
Lois a récemment adopté une résolution
47(
*
)
, approuvant dans ses grandes lignes le dispositif
proposé par la Commission européenne tendant à
réviser les traités afin de créer un procureur
européen chargé de la protection des intérêts
financiers de la Communauté
48(
*
)
.
En
matière civile
, des progrès sont perceptibles depuis
l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le 1
er
mai
1999.
Cette nouvelle étape vers une Europe judiciaire a permis la
communautarisation des domaines civil et commercial. Au cours de
l'année 2000, deux règlements communautaires ont
été adoptés sur
la compétence, la reconnaissance
et l'exécution des décisions en matière civile et
commerciale
(Bruxelles I) et en matière matrimoniale et de
responsabilité parentale des enfants communs (Bruxelles II).
Plus récemment, une décision du 18 mai 2001 a prévu la
mise en place d'un réseau judiciaire européen dans tous ces
domaines à compter du 1
er
décembre 2002.
La constitution d'un véritable espace européen, au sein duquel
les magistrats devront trouver leur place, est donc en marche.
b) La création des magistrats de liaison
L'avènement d'une véritable culture judiciaire
européenne et internationale a enrichi l'éventail des fonctions
juridictionnelles, susceptibles d'être exercées par les
magistrats.
L'échange de
magistrats de liaison
entre les pays de l'Union
européenne a permis l'
instauration de relations de confiance
et
une meilleure connaissance des systèmes judiciaires européens.
En France, la création de tels postes date de 1993
49(
*
)
.
Sept magistrats
occupent actuellement les
fonctions de magistrats de liaison et sont installés en Allemagne, aux
Etats-Unis, en Italie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en République
tchèque.
Nommés par arrêté du ministre de la Justice, ces magistrats
sont mis à la disposition du ministère des affaires
étrangères et sont placés sous l'autorité de
l'ambassadeur de France du pays d'accueil. Ils sont en général
installés dans les locaux du ministère de la justice de ce pays.
S'agissant de la gestion de ces magistrats, un
effort de transparence
mériterait d'être accompli par la Chancellerie. En effet, les
postes budgétaires sont localisés dans des juridictions et donc
prélevés sur leurs effectifs, alors qu'ils s'apparentent à
de véritables mises à disposition.
Les magistrats de liaison exercent des
missions non juridictionnelles
très diversifiées, consistant essentiellement à
favoriser :
- l'entraide judiciaire (s'agissant du suivi des commissions rogatoires
internationales, des procédures d'extradition...) ;
- la coopération judiciaire en matière de formation ;
- la communication au pays d'accueil (universités,
administrations...) des informations sur le droit et les institutions
juridiques et judiciaires françaises.
D'une manière générale, leur
présence
est
très appréciée
et permet des
échanges
fructueux
, notamment entre les Etats de l'Union européenne.
3. Un statut désormais protégé et encadré par le droit européen
Désormais, le statut du juge français ne
relève
plus du seul Etat national, mais dépend également des normes
internationales.
Une
charte européenne sur le statut du juge
a en effet
été élaborée en juillet 1998, elle
prévoit que ce statut tend «
à assurer
la
compétence, l'indépendance et l'impartialité que toute
personne attend légitimement des juridictions et de chacun et chacune
des juges auxquels est confiée la protection [des]
droits
».
Elle énonce une série de principes généraux
relatifs au recrutement, à la formation initiale, aux règles de
nomination et au droit de constituer des organisations professionnelles.
Comme l'a souligné M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires :
«
pratiquement tous les magistrats en possèdent un
exemplaire et le consultent régulièrement. Cette charte constitue
un repère
».
En outre, le statut et le rôle des professionnels de la justice ont
été abordés dans le cadre d'une réflexion
récente sur l'efficacité de la justice menée par un
comité d'experts
du Conseil de l'Europe (réuni à
Bayonne du 27 février au 1
er
mars 2002). Les
axes de travail dégagés devraient permettre au Conseil de
l'Europe de préparer «
un projet d'instrument permettant
l'évaluation du fonctionnement de la justice
»
50(
*
)
.
En moins d'un demi-siècle, le magistrat français est donc devenu
à la fois
acteur
de la
construction européenne
,
promoteur du droit international
,
bénéficiaire
mais
parfois aussi
victime
de cette
internationalisation du droit
.
Cette évolution l'a donc conduit, souvent de bon gré, parfois
à reculons, à s'extraire des schémas traditionnels.
D. UN NÉCESSAIRE RECENTRAGE DU JUGE SUR SES MISSIONS NATURELLES
1. Un juge aux figures multiples
Le
rôle du juge dans la société française est apparu
comme une question centrale tout au long des auditions et au cours des
déplacements organisés par la mission.
Avant même d'aborder la réalité concrète du
périmètre d'intervention du magistrat judiciaire, il ne
paraît pas inutile de réfléchir aux
figures de
représentation théorique du juge
découlant de
l'évolution du droit et des attentes des citoyens.
M. François Ost, universitaire belge, a distingué trois
modèles de juge : le
juge Jupiter
avec son imperium, qui dit
le droit, le
juge Hercule
qui, selon la propre expression de l'auteur,
«
s'astreint à d'épuisants travaux
de
justicier
51(
*
)
», et le
juge
Hermès
, qui contribue à établir le dialogue entre tous
les acteurs de la société. M. François Ost a par ailleurs
complété son analyse en proposant une autre classification, qui
fait apparaître la figure du
juge pacificateur
, celui qui apaise,
celle du
juge arbitre
, qui s'éteint avec sa décision, et
enfin celle du
juge entraîneur
, qui s'implique dans
«
le jugement pré-sentenciel et
post-sentenciel
».
Actuellement, la figure du juge Hercule semble prédominante, tant en ce
qui concerne les juges du siège que ceux du parquet.
Le champ
d'intervention du juge n'a en effet cessé de s'élargir.
2. Un éparpillement des missions dévolues aux magistrats du siège qui fragilise leur place au sein de l'institution judiciaire
La
dispersion et la multiplication des tâches
des juges du
siège ont fait l'objet de vives critiques de la part de l'ensemble des
magistrats entendus par la mission d'information.
En effet, ces magistrats cumulent actuellement de nombreuses missions parmi
lesquelles on distingue des tâches purement juridictionnelles ayant pour
principal objet de « dire le droit » et de trancher des
litiges, auxquelles s'ajoutent des tâches situées à
mi-chemin entre le juridictionnel et l'administratif, et enfin des missions
essentiellement administratives.
a) La juxtaposition des missions
Cette
juxtaposition de missions
est depuis quelques années de moins en
moins bien acceptée en raison de la conjugaison de plusieurs
facteurs :
L'explosion de la demande de droit a conduit les magistrats à intervenir
dans tous les domaines, tant en matière civile que pénale.
Ainsi que l'a récemment écrit M. Jean-François
Burgelin, procureur général près la Cour de cassation,
«
chaque homme veut trouver dans la justice un moyen
d'atténuer les douleurs de la vie
, quelle qu'en soit l'origine.
Depuis le handicap de la naissance jusqu'à l'accident de montagne, en
passant par des difficultés d'emploi ou de logement,
toutes les
misères
que l'on rencontre dans l'existence
doivent trouver
réparation
grâce à l'intervention du juge
52(
*
)
».
Le juge est désormais devenu «
le gardien de toutes les
promesses
», pour reprendre le titre d'un ouvrage publié
il y a quelques années par M. Antoine Garapon, magistrat.
Cette judiciarisation croissante de la société trouve son origine
dans
l'effritement des structures traditionnelles de régulation
sociale
, lié notamment à l'éclatement de la famille,
à l'affaiblissement de l'école, à la montée de la
précarisation et au recul de la religion.
Le manque de moyens, caractérisé par l'insuffisance des effectifs
de magistrats et de fonctionnaires, constitue une deuxième clef
d'explication. Cette situation a entraîné un certain
découragement chez les magistrats et les empêche d'accomplir avec
la sérénité et avec le recul nécessaires les
tâches qui leur sont dévolues.
L'entrée en vigueur des réformes nouvelles a également
contribué à alimenter l'activité juridictionnelle. La loi
du 15 juin 2000 relative à la protection de la présomption
d'innocence a, par exemple, institué un juge des libertés et de
la détention qui a engendré une charge de travail
supplémentaire ayant conduit à la suppression ou au report de
nombreuses audiences.
Il est donc patent que
les juges du siège ne parviennent plus
à assurer la totalité de leurs tâches
.
Ce constat n'est pas nouveau. Ainsi, la commission de contrôle
Haenel-Arthuis
53(
*
)
en 1991 et la mission
d'information Jolibois-Fauchon
54(
*
)
en 1996
avaient déjà, en leur temps, souligné la
nécessité d'un recentrage du juge du siège sur ses
missions essentielles.
b) Les efforts en vue d'un recentrage du juge
Des
efforts ont été accomplis en faveur d'un tel mouvement.
La
déjudiciarisation de certains contentieux de masse
, pour
lesquels la saisine du juge n'intervient plus qu'en cas de contentieux
déclaré, a constitué le premier axe de réforme.
Elle a notamment concerné les contentieux relatifs aux chèques
sans provision, aux accidents de la route (loi dite Badinter n° 85-677 du
5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation terrestre), plus
récemment encore aux dossiers de surendettement
(transférés à des commissions de surendettement en vertu
de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à
l'organisation des juridictions, à la procédure civile,
pénale et administrative). De nombreux interlocuteurs rencontrés
par la mission ont d'ailleurs relevé que la réforme du
surendettement avait donné satisfaction en permettant de
désengorger efficacement les juridictions
55(
*
)
.
Le
transfert
aux
greffiers en chef
de certaines
compétences de nature quasi-juridictionnelles normalement
dévolues au juge
a constitué le second volet de la
réforme. Ce transfert a concerné l'établissement des
certificats de nationalité, la réception du consentement à
l'adoption et les déclarations conjointes de changement de nom d'un
enfant, ou encore la vérification des comptes de tutelle (visas et
contrôle des comptes)
56(
*
)
.
En dépit de ces avancées,
le nécessaire recentrage
demeure toujours d'actualité
. En effet, de nombreux exemples ont
été cités de manière récurrente pour
illustrer la dispersion des missions confiées aux juges du siège,
parmi lesquels le suivi des mesures de tutelle (gestion des biens des mineurs
et des majeurs incapables), d'assistance éducative, ou encore la
procédure de saisie-arrêt des
rémunérations
57(
*
)
.
Plusieurs
pistes
tendant à
réduire le champ
d'intervention des juges du siège
ont été
évoquées devant la mission d'information.
c) La suppression pure et simple de certaines tâches et procédures constitue une première proposition intéressante
Ainsi
que l'a suggéré l'Association nationale des juges d'instance, la
suppression de la cotation et des paraphes obligatoires de certains registres
(livres, registres et répertoire des officiers de l'état civil,
des conservateurs des hypothèques, des notaires....) pourrait être
envisagée, dans le prolongement de la suppression des paraphes des
livres de paie opérée par un décret
du 28 janvier 2000 au titre de la simplification administrative.
La procédure d'affirmation des procès-verbaux, par ailleurs
déjà dressés par des agents assermentés (en
matière de balisage des ports maritimes, d'infractions à la
distribution d'énergie par EDF-GDF ou encore d'infractions
douanières), paraît également inutile.
Les entretiens de Vendôme mentionnent d'autres tâches indues,
d'ailleurs déjà effectuées par d'autres organismes ou
administrations, comme notamment la conservation des doubles des registres de
l'état civil (disponibles à la mairie), les visites semestrielles
dans les hôpitaux psychiatriques
58(
*
)
,
déjà effectuées tous les trimestres par le parquet.
Il est également permis de s'interroger sur l'opportunité de
maintenir la procédure de l'injonction de faire (près de 6.000
requêtes par an), qui ne revêt aucun caractère
exécutoire, et ne dispense donc pas le demandeur de saisir le juge au
fond pour obtenir un titre exécutoire en cas de refus.
La mission d'information préconise la suppression de l'ensemble des
tâches du juge faisant double emploi ou s'avérant inefficaces.
d) Le transfert de certaines tâches de caractère quasi juridictionnel vers d'autres acteurs de la justice (greffiers en chef, officiers publics et ministériels) pourrait également être envisagé
Les
homologations de changement de régime matrimonial, l'adoption, la
réception des déclarations de nationalité
59(
*
)
, la procédure d'injonction de payer
60(
*
)
pourraient aisément être retirées
au juge pour être confiés à d'autres.
En revanche, la mission d'information demeure plus réservée sur
la question d'un éventuel transfert des missions du juge en
matière de tutelle.
Plusieurs acteurs se sont déclarés prêts à assumer
de nouvelles tâches afin d'enrichir l'exercice de leur métier et
de permettre une rationalisation du fonctionnement de la justice.
Néanmoins, les
greffiers en chef
rencontrés par la mission
d'information lors de son déplacement à Dijon, tout en approuvant
le principe d'un éventuel transfert de compétences, se sont fait
l'écho des
difficultés éprouvées
en 1995,
lors du transfert de la vérification des comptes de tutelle. Ils ont
souligné la surcharge de travail qui en avait résulté et
l'absence de formation en matière comptable et financière.
La mission d'information juge souhaitable la poursuite du mouvement
amorcé en 1995 en faveur d'un transfert de tâches du juge aux
greffiers en chef. Elle tient cependant à souligner la
nécessité d'associer pleinement les personnels des greffes
à une telle réforme.
En outre, la mission tient à souligner qu'un tel transfert ne
saurait
s'effectuer à moyens constants
et sans que soient prévus des
délais d'entrée en vigueur suffisamment longs pour permettre aux
intéressés
d'acquérir les compétences
requises
.
Par ailleurs, les
notaires
se sont déclarés très
favorables à un transfert de certaines tâches, notamment en
matière d'homologation des changements de régime matrimonial,
d'envoi en possession des successions ou de partage impliquant un mineur sans
homologation judiciaire. Leur qualité d'officier public et
ministériel et d'auxiliaire de justice constitue une garantie suffisante
pour qu'ils puissent se voir confier certaines tâches actuellement
dévolues au juge, le cas échéant avec le contreseing d'un
deuxième notaire.
e) Des interrogations sur la poursuite du mouvement de déjudiciarisation pourtant fréquemment suggérée par les interlocuteurs de la mission
Il
s'agit, une fois encore d'alléger le travail du
juge en
évitant son intervention en première ligne au profit d'un
rôle de recours
.
La
déjudiciarisation de la procédure de divorce par
consentement mutuel
a été fréquemment mise en avant.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
a, en particulier, préconisé de permettre aux époux de
décider de leur divorce par une convention sans intervention du juge,
chacun étant assisté d'un avocat différent
61(
*
)
.
Toutefois, il semble que le législateur, à l'occasion de l'examen
de la réforme du divorce présentée en février 2002
par Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, n'ait pas
souhaité s'engager dans cette voie, estimant que la vérification
de l'accord entre les parties devait être
garantie par un juge
.
C'est pourquoi la mission n'a pas jugé opportun de retenir une telle
orientation.
La limitation du périmètre d'intervention du juge, s'agissant de
certaines
infractions au code de la route
, a également
été souhaitée par un grand nombre d'interlocuteurs.
M. Olivier Aimot, premier président de la cour d'appel de
Rennes, membre de la Conférence nationale des premiers présidents
de cour d'appel, a indiqué qu'en Bretagne, «
la
moitié de l'activité pénale des tribunaux correctionnels
est relative à la délinquance routière, due notamment
à des problèmes d'alcoolémie
», afin de
mettre en exergue la nécessité de décharger le juge du
traitement de ce contentieux de masse.
L'Union syndicale de la magistrature est allée dans le même sens
s'agissant des excès de vitesse : «
La gestion des
excès de vitesse doit être modifiée. En effet, un
même radar peut, sous un tunnel en Savoie, identifier près de
3.000 personnes en infraction en une seule journée. La
capacité de traitement d'un tribunal de police dans une juridiction
moyenne est de 2.000 affaires par an. Nous voyons donc qu'un tunnel peut
à lui tout seul générer une fois et demie la
capacité annuelle d'absorption d'un tribunal de police
».
Or, le transfert de ce contentieux de masse au profit d'une autorité
administrative paraît possible compte tenu du caractère
automatique des sanctions résultant de telles infractions.
Les inconvénients d'une telle réforme n'ont toutefois pas
échappé à la mission d'information. Il existe un effet un
risque de « déshumanisation » du traitement de ces
affaires, la sanction pré-déterminée devenant automatique
et le justiciable n'ayant plus d'interlocuteur à qui s'adresser sauf en
cas d'appel de la décision.
S'il est toujours possible de faire valoir des difficultés
financières devant le juge pour le paiement d'une amende, il ne
paraît pas certain que l'administration fasse preuve de la même
capacité d'écoute...
La mission d'information souhaite qu'une réflexion s'engage sur
l'opportunité de maintenir le traitement du contentieux de masse
lié aux infractions routières dans les attributions du juge afin
qu'une telle réforme, si elle s'avérait opportune, puisse
être conduite dans l'intérêt du justiciable.
En outre, si certains contentieux étaient retirés au juge, il
conviendrait de déterminer avec précision quelles
autorités seraient désormais chargées de prendre en charge
ces affaires.
Une
solution originale
proposée au cours des entretiens de
Vendôme a retenu l'attention de la mission. Elle consisterait à
transférer certains contentieux particuliers
(fiscaux, douaniers,
vols dans les grands magasins)
à des organismes autorisés
à prononcer des sanctions mineures et composés paritairement de
représentants des administrations concernées et de citoyens.
Cette nouvelle voie de traitement des affaires présente de nombreux
avantages, en permettant notamment de désengorger les tribunaux,
d'associer les citoyens à certaines décisions intéressant
la société, d'encadrer le pouvoir de l'administration et, enfin,
de créer une nouvelle forme de justice plus rapide, mais
également plus humaine. Elle demande évidemment la mise en place
des garde-fous nécessaires à la garantie des droits des
justiciables.
f) Des réserves quant au développement de l'arbitrage
L'Association professionnelle des magistrats a pour sa part
préconisé d'encourager l'arbitrage, dont le champ d'application
est actuellement limité aux contrats conclus à raison d'une
activité professionnelle
62(
*
)
.
Toutefois, si un effort en faveur du recours à la clause compromissoire
s'avère utile dans les contrats entre professionnels, un consensus s'est
dégagé contre l'élargissement de la clause compromissoire
dans les relations non professionnelles. En effet, l'arbitrage apparaît
comme une
justice très onéreuse
. Il soulève
également une question de principe liée à la remise en
cause des fonctions régaliennes de l'Etat.
La plupart des avocats entendus par la mission ont fait part
d'expériences d'arbitrage mitigées. Ainsi que l'a indiqué
la Conférence des bâtonniers, la chambre d'arbitrage
créée en 1994 dans la région Rhône-Alpes
(réunissant des avocats, des notaires et des huissiers) n'a connu que
deux affaires.
Si l'arbitrage apparaît incontournable pour certains professionnels, il
ne paraît pas souhaitable de développer cette voie dans le domaine
du droit judiciaire privé.
3. La participation controversée des magistrats aux commissions administratives
La
multiplication des participations aux commissions administratives,
qualifiées par un chef de tribunal de grande instance de
«
commissions parasites
» a été
unanimement
dénoncée.
Elle concerne tant les magistrats du siège que ceux du parquet. Cette
activité s'avère très chronophage et est de moins en moins
bien acceptée par les magistrats, soucieux de traiter leurs dossiers
dans des délais acceptables.
La liste des commissions administratives et organismes divers dans lesquels les
magistrats sont susceptibles d'être présents a été
établie à l'occasion des entretiens de Vendôme.
On en dénombre 135 au total qui recouvrent des domaines très
variés, notamment électoral (commission de propagande pour
l'élection des députés, commission locale de
contrôle de la campagne électorale pour l'élection du
président de la République), social (commission d'admission
à l'aide sociale, commission départementale de la médaille
de la famille française...), économique et fiscal (commission de
protection des obtentions végétales, commission d'autorisation de
transport de débit de boissons), ou encore en matière
d'aménagement foncier et rural (commission consultative paritaire
nationale des baux ruraux).
L'exigence d'une présence de magistrats au sein de ces commissions est
devenue purement formelle et principalement destinée à
«
faire preuve de courtoisie
à l'égard de la
Chancellerie
», ainsi que l'a indiqué Mme Marylise
Lebranchu, ancien garde des Sceaux, lors de son audition.
Force est de constater que, dans de nombreux cas, leur présence
s'avère
inutile
. Ainsi que l'a fait observer M. Jean-Paul
Collomp lors de son audition, le législateur porte en grande partie la
responsabilité de cette dérive puisque la plupart de ces
commissions sont de création législative et que
«
lorsqu'elles sont de créations réglementaires, il
s'agit de décrets d'application
».
La mission d'information estime donc indispensable que le législateur se
saisisse de cette question afin, d'une part, de dresser
un inventaire des
commissions dans lesquelles la présence d'un juge ne paraît pas
nécessaire
et de supprimer cette participation, d'autre part, de
se montrer plus vigilant à l'avenir
et de limiter cette
participation à des hypothèses limitativement
énumérées.
Deux critères suggérés par un certain nombre de magistrats
auditionnés apparaissent
pertinents
et semblent susceptibles de
légitimer leur présence au sein des commissions
extra-juridictionnelles :
- lorsque les décisions rendues mettent en cause les
libertés publiques ;
- lorsque ces décisions intéressent l'institution judiciaire
en général (y compris la protection judiciaire de la
jeunesse et l'administration pénitentiaire).
La mission propose de réduire la présence des magistrats aux
seules commissions administratives dont les activités mettent en cause
les libertés publiques ou relèvent par nature de la sphère
judiciaire.
4. La participation des magistrats aux politiques publiques
La
nécessité de recentrer les magistrats sur leurs tâches
essentielles, accrue par le manque de moyens de la justice, a conduit la
mission à s'interroger sur le bien-fondé de leur participation
aux politiques publiques.
Depuis une vingtaine d'années, notamment dans le cadre de la politique
de la ville, les juges sont sortis des palais de justice pour se rendre sur le
terrain. L'ouverture du magistrat sur la cité et son association aux
politiques partenariales apparaissent désormais inévitables. Le
juge ne peut plus s'isoler dans sa tour d'ivoire au risque de se couper des
réalités.
a) Une vocation nouvelle des magistrats du parquet bien acceptée
Les
magistrats du parquet sont très sollicités à cet
égard et ont bien intégré cette évolution.
Au cours de son audition, l'Association des magistrats du parquet s'en est
d'ailleurs fait l'écho : «
le rôle du magistrat
était autrefois de traiter les affaires et requérir à
l'audience. Les magistrats restaient dans leur cabinet [...]. Aujourd'hui,
les motifs de déplacement sur le terrain deviennent de plus en plus
nombreux
».
Depuis 1983, le parquet s'est vu confier la charge d'
impulser
et de
coordonner
des
politiques publiques
en
relation
étroite
avec les
élus
et les
représentants
de l'Etat
.
Cette initiative a été le
fruit d'une volonté de
l'Etat
de développer des politiques partenariales dans le double
souci de
prévenir la délinquance
, d'une part, et de
favoriser la réinsertion
, d'autre part.
Cette démarche s'est concrétisée par la mise en place de
nombreux outils dont le
parquet
est devenu un
acteur essentiel
.
La mise en oeuvre de contrats locaux de sécurité (CLS),
créés par voie de circulaire en octobre 1997
63(
*
)
, qui fonctionnent en partenariat entre la justice et
les élus locaux, a constitué une des pierres angulaires de cette
évolution.
On recense actuellement près de 550 contrats locaux de
sécurité. Deux circulaires du 5 janvier et du 9 mars 1998
ont contribué à impliquer de façon très importante
l'autorité judiciaire.
Les
conseils communaux de prévention de la délinquance
(CCPD) et les
groupes locaux de traitement de la délinquance
(GLTD) offrent
d'autres exemples de ces relations partenariales
entre
les autorités régaliennes de l'Etat et les acteurs de la
démocratie locale.
L'importance du temps consacré aux activités non
juridictionnelles s'impose désormais comme une évidence
. Une
étude réalisée de juin à novembre 1999 pour
analyser les charges de travail des parquets généraux a fait
ressortir que
la répartition du temps de travail entre les
activités juridictionnelles et non juridictionnelles
oscillait entre
45 % et 50 %
pour les petites et moyennes juridictions
(comprenant en moyenne entre 3 et 9 magistrats) et 40 % pour les plus
importantes
64(
*
)
. Ainsi plus la taille du
parquet augmente, plus le temps consacré aux activités
juridictionnelles décroît.
Le temps dont disposent les magistrats pour travailler sur les
procédures et les dossiers s'en trouve donc nécessairement
limité.
En dépit d'une
dégradation manifeste des conditions de travail
du parquet liées à la pénurie des moyens
et à
l'entrée en vigueur de la loi du 15 juin 2000
relative
à la protection de la présomption d'innocence, tous les
magistrats du parquet ont approuvé cette mission nouvelle et n'ont pas
manifesté la volonté d'en être déchargés.
Leur participation aux politiques publiques permet aux magistrats du parquet de
recevoir des informations mais également d'en donner.
M. André Ride, président de la Conférence
nationale des procureurs généraux confirme ainsi
«
qu'il n'est pas imaginable que les magistrats, qui sont seuls
légitimes à prononcer des mesures de répression, se
désintéressent tant de l'amont que de l'aval
. »
De plus, l'engagement du parquet dans les politiques publiques a
également
modifié leur positionnement au sein de l'institution
judiciaire.
Ainsi, ils sont devenus
l'interface entre les magistrats du
siège et les décideurs extérieurs
(autorité
préfectorale, élus locaux).
Sans remettre en cause leur participation à cette mission nouvelle, tous
les interlocuteurs du parquet rencontrés par la mission ont fait
état des difficultés à
assumer ce rôle en raison
d'un manque de moyens.
M. André Ride a en effet
indiqué que «
lorsque vous êtes procureur de la
République avec un seul substitut et que vous êtes engagé
dans toutes les actions de la politique de la ville, vous avez dans le
même temps à assurer votre tâche première,
c'est-à-dire faire appliquer la loi dans votre ressort. Des choix
doivent être faits. Ce choix est malheureusement vite fait lorsque vous
n'avez pas les moyens d'assumer vos deux missions.
».
La mission partage pleinement ces préoccupations. Consciente de la
nécessité d'associer l'autorité judiciaire à la
conduite des politiques publiques, elle juge indispensable de renforcer les
moyens du parquet pour lui permettre d'exercer correctement cette mission.
Il est apparu choquant que les procureurs ne disposent ni d'une équipe,
ni d'un secrétaire général (dans les juridictions les plus
importantes) pour leur apporter un soutien. Actuellement, les magistrats du
parquet participent seuls aux réunions et établissent leurs
statistiques et leurs rapports sans aucune aide particulière et souvent
sans moyens matériels conséquents.
La mission suggère la création de nouvelles fonctions
d'assistants du parquet, qui pourraient être exercées soit par des
assistants de justice, soit par des greffiers, afin de lui permettre de
participer aux politiques publiques.
b) Une mission difficilement compatible avec celles des magistrats du siège
Contrairement à leurs collègues du parquet, les
magistrats du siège ne souhaitent
pas participer aux politiques
publiques.
La Conférence nationale des premiers présidents, au cours de son
audition, a expliqué avoir débattu particulièrement sur
cette question pour en conclure que «
l'action du juge ne doit pas
faire l'objet d'une contractualisation qui pourrait faire douter de son
impartialité dans les litiges dont il serait saisi [...]
».
Cette différence de position entre le siège et le parquet
résulte de la distinction qui existe entre ces deux fonctions. Alors que
les magistrats du parquet ont pour vocation naturelle de défendre
l'intérêt général et d'appliquer la politique
pénale du Gouvernement, les magistrats du siège quant à
eux ont à juger des situations individuelles. L'association de ces
derniers à la définition des politiques publiques les expose
inévitablement à engager la juridiction à laquelle ils
appartiennent ou à renier leur « liberté
juridictionnelle ».
La mission d'information, tout en comprenant les réserves
émises par les magistrats du siège
65(
*
)
, tient toutefois à souligner que certaines
fonctions, en particulier celles de juge des enfants et de juge de
l'application des peines qui sont largement ouvertes sur l'extérieur, ne
sauraient faire l'économie d'un engagement minimal avec leurs
partenaires, le parquet étant amené à jouer un rôle
d'interface. Ces magistrats ont en effet un besoin impérieux de se
déplacer sur le terrain, de travailler en équipe et de visiter
les établissements avec lesquels ils travaillent.
E. LES INTERROGATIONS ACTUELLES SUR LE STATUT DES MAGISTRATS DU PARQUET
1. Conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet, un sentiment unanimement partagé au sein de la magistrature
Une
réflexion sur le
champ d'intervention du juge
ne
saurait
faire
l'économie de la question du statut du parquet
et
d'une éventuelle séparation des carrières entre le
siège et le parquet
.
On rappellera brièvement que le système judiciaire
français permet à l'ensemble des magistrats de
bénéficier d'une
formation commune
et de prêter un
serment identique
lors de leur entrée en fonction.
Néanmoins, le rôle, le mode de nomination et les relations avec la
Chancellerie diffèrent selon que le magistrat relève du
siège ou du parquet.
Ainsi que le souligne M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires, «
le métier
de poursuivre n'est pas le même métier que celui de dire le
droit
».
La mission du ministère public consiste en effet à exercer
l'action publique, à diriger les enquêtes, à
contrôler la police judiciaire en matière pénale et
à agir pour la défense de l'ordre public en matière civile.
Les rôles dévolus au siège et au parquet sont donc
très différents
. Les magistrats du siège et ceux du
parquet exercent donc
deux métiers nettement distincts
.
M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des
premiers présidents de cour d'appel s'est d'ailleurs fait l'écho
de cette différence lors de son audition : «
le juge
est un arbitre entre des positions antagonistes qui opposent la
société à des particuliers ou des particuliers entre eux
[...]. Le procureur n'est pas un juge, mais un
magistrat
[...]
».
Contrairement aux magistrats du siège qui sont inamovibles, les
magistrats du parquet sont placés
sous la direction et le
contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques
et sous
l'autorité du garde des Sceaux
dont ils dépendent et qui
peut, en outre, adresser des instructions aux procureurs généraux.
En dépit des divergences fonctionnelles et statutaires qui
caractérisent ces deux métiers, la mission, au cours de ses
auditions et lors de ses déplacements, a pu constater que le
principe
selon lequel
les fonctions dévolues au parquet devaient
être exercées par des magistrats, garants des libertés
publiques et de l'intérêt général
,
n'était pas contesté au sein de la magistrature.
Tous les magistrats rencontrés par la mission ont estimé que le
ministère public était détenteur d'un
véritable
pouvoir juridictionnel
, notamment s'agissant de l'opportunité des
poursuites, ce qui
justifie pleinement qu'il ne soit pas assimilé
à un corps de fonctionnaires
.
L'Association des magistrats du parquet a, lors de son audition, indiqué
que le ministère public ne pouvait être réduit à
une simple partie poursuivante
alors que certaines de ses missions
naturelles, au demeurant renforcées par la loi du 15 juin 2000
précitée, les portaient
vers la protection des libertés
individuelles
, notamment à travers le contrôle des gardes
à vue, la visite des locaux de garde à vue et l'aide aux victimes.
Une décision du Conseil constitutionnel n° 93-326 DC du
11 août 1993 est allée dans ce sens en affirmant que
«
l'autorité judiciaire qui, en vertu de l'article 66
de la Constitution assure le respect de la liberté individuelle comprend
à la fois les magistrats du siège et du parquet
. »
M. Pierre Truche, président de la Commission de
réflexion sur la justice mise en place en 1997, s'est clairement
prononcé en faveur du maintien de la qualité de magistrat aux
membres du ministère public
66(
*
)
.
La plupart des magistrats du parquet ont, en outre, fait valoir devant la
mission que leur rôle ne pouvait se résumer à celui de
simple accusateur public mais s'étendait au contraire à la
défense de l'intérêt général
.
«
Il n'est pas rare que des magistrats du parquet qui ne sont pas
convaincus de la solidité d'un dossier refusent de requérir une
peine.
»
67(
*
)
Ils ont
également indiqué devoir
enquêter à charge et
à décharge
.
M. André Ride, président de la Conférence nationale
des procureurs généraux, a également pointé le
risque qu'une séparation des carrières ne conduise à
un
affaiblissement de l'autorité et de la légitimité
du
magistrat du parquet non seulement vis à vis de ses interlocuteurs
naturels (gendarmerie et police), mais également à l'égard
de ses autres interlocuteurs extérieurs (préfet, élus
locaux).
En revanche, d'autres acteurs extérieurs à l'institution
judiciaire même, en particulier certains officiers de police judiciaire
(commissaires de police) et certains avocats, souhaiteraient faire
prévaloir un système à l'anglo-saxonne dans lequel, d'une
part, les avocats ont un poids déterminant dans
l'enquête
68(
*
)
et, d'autre part, les
membres du parquet sont des fonctionnaires.
Un tel schéma conduirait les membres du ministère public à
perdre leur qualité de magistrat pour devenir des fonctionnaires de
l'Etat dotés d'un nouveau statut particulier.
La mission d'information tient à souligner la nécessité
de conserver la qualité de magistrat aux membres du parquet.
La question plus spécifique des liens du parquet avec la Chancellerie
n'a pas été évoquée devant la mission
d'information, mais mériterait à elle toute seule un long
développement
69(
*
)
.
2. Des interrogations sur la séparation des carrières
Dans le
prolongement de ce débat, la
question du maintien de l'unité
de corps au sein de la magistrature
a été
évoquée à de nombreuses reprises devant la mission et il
est apparu que
les avis étaient partagés
.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
s'est déclarée favorable à
une séparation des
fonctions du siège et du parquet
au motif qu'«
un
même corps réunit les juges et les procureurs, ce qui entretient
leur soupçon d'inféodation des juges au pouvoir exécutif,
ainsi qu'un certain déséquilibre dans le procès du fait de
la proximité du juge et du représentant de
l'accusation
».
La relation spécifique qu'entretient le parquet avec le pouvoir
politique, conjuguée avec l'appartenance à un même corps,
apparaît en effet, selon la Conférence des premiers
présidents de cour d'appel, de nature à laisser perdurer
une
confusion des rôles
dans l'esprit des justiciables et plus
généralement dans l'opinion publique et elle serait nuisible,
voire incompatible avec l'exigence d'impartialité qui s'impose aux juges
du siège. Depuis 1996, la Conférence souhaite qu'une
clarification soit opérée afin que deux corps soient
créés.
S'il ne lui paraît pas indispensable de remettre en cause le principe
d'une même formation pour chacun des corps, elle suggère en
revanche que les serments soient différents.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
propose toutefois de conserver une certaine souplesse en réservant la
possibilité de passer d'un corps à l'autre, au moins durant les
cinq premières années de la vie professionnelle.
Cette position est cependant apparue très
isolée au sein de la
magistrature
. En effet, l'ensemble des magistrats rencontrés par la
mission a marqué son
attachement à l'unité du
corps
. L'unité des carrières du siège et du parquet a
été présentée unanimement comme
un
enrichissement réciproque de fonctions qui partagent
une
même éthique et une même culture.
Les représentants des promotions des auditeurs de justice
rencontrés par la mission au cours de son déplacement ont
pleinement partagé cette analyse, soulignant que le choix des postes au
cours de la première affectation n'était pas
figé
,
ce qui rendait le métier de magistrat
très
intéressant
. M. André Ride, président de la
Conférence nationale des procureurs généraux, a en outre
mis en avant le risque qu'une séparation des carrières conduise
à un affaiblissement du ministère public et à une
«
fonctionnarisation rampante
», selon sa propre
expression.
Il apparaît donc que le débat reste ouvert.
3. Les difficultés actuelles des magistrats du parquet
La
mission ne saurait conclure sur la question du parquet sans évoquer les
difficultés actuelles, maintes fois mentionnées par les
intéressés tout au long de ses travaux, et plus
particulièrement
:
- les pouvoirs de direction de la police judiciaire dévolus au
parquet résultant du code de procédure pénale (articles 12
et 42) qui se heurtent au nombre insuffisant des officiers de police
judiciaire, à un déficit de formation, à des
problèmes d'organisation et à une certaine contestation de la
part des commissaires de police. La police de proximité, devenue une
priorité a pris le pas sur la police d'investigation aujourd'hui
sacrifiée ;
- les conditions de travail qui ne cessent de se dégrader en raison
des contraintes particulières du métier de
« parquetier ». Le service doit être assuré
vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nombre de magistrats travaillent parfois
sept jours et sept nuits de suite. Dans les plus petites juridictions, ces
longues permanences ont une fréquence très
régulière (une semaine sur deux). Le travail des magistrats du
parquet est parfois comparable à celui des internes des hôpitaux.
Cette situation
préoccupante
s'est traduite par une crise des
recrutements
, voire des vocations. D'après l'Association des
magistrats du parquet, pour un magistrat du siège souhaitant être
appelé au parquet, il existerait huit magistrats désireux
d'opérer le mouvement inverse.
Cette information n'a pas été confirmée par la
Chancellerie
70(
*
)
, qui reconnaît
néanmoins l'existence d'une certaine désaffection des magistrats
pour les fonctions du parquet.
Le Conseil supérieur de la magistrature, dans son rapport
d'activité pour 1999, avait déjà signalé
ces
départs massifs du parquet vers des fonctions du siège
:
«
on observe qu'un nombre croissant de magistrats du second grade
se porte candidats à des fonctions du même niveau
hiérarchique au siège alors que l'inverse ne se vérifie
pas. Le très faible nombre de candidats à des postes de
substitut, fort convoités naguère, voire ici ou là, une
absence totale de candidature, conduit aux mêmes conclusions
71(
*
)
». Ce constat ne cesse de se confirmer
depuis lors et paraît inquiétant.
Les magistrats du parquet se trouvent donc actuellement à la
croisée des chemins, et il paraît très difficile de
définir précisément quels seront les futurs contours de ce
métier s'il ne dispose pas rapidement des moyens suffisants pour remplir
sa mission
.
II. DES FONCTIONNAIRES DES GREFFES DÉCOURAGÉS
Trop
souvent, l'institution judiciaire est assimilée aux magistrats, comme
l'école est réduite à ses professeurs. Pourtant, les
personnels des greffes constituent un maillon essentiel de la chaîne
judiciaire dont la solidité doit être affermie.
L'évolution des métiers de ces fonctionnaires de l'Etat met en
lumière un décalage croissant, source de tensions, entre la
hausse de leur niveau de recrutement et la nature des tâches qui leur
sont assignées. Clarification et spécialisation constituent
aujourd'hui les maître-mots d'une nécessaire modernisation.
A. UN SERVICE PUBLIC RÉCENT
1. Une fonctionnarisation progressive
Les
personnels des greffes sont des fonctionnaires de l'Etat depuis moins de trente
ans.
La loi n° 65-1002 du 30 novembre 1965 portant réforme des
greffes des juridictions civiles et pénales et supprimant la
vénalité des charges est entrée en vigueur le
1
er
décembre 1967, assortie d'une période transitoire
de dix ans au cours de laquelle ont coexisté, dans les juridictions, des
fonctionnaires des greffes et des officiers publics et ministériels.
La loi n° 79-44 du 18 janvier 1979 a fait des greffiers en chef et
des greffiers des conseils de prud'hommes, fonctionnaires départementaux
depuis 1946, des fonctionnaires de l'Etat.
Plus tard, en 1988, la décentralisation et le transfert des charges de
la justice à l'Etat ont entraîné l'intégration d'une
partie des personnels départementaux mis à la disposition des
juridictions dans un corps des agents des cours et tribunaux.
Enfin, trois décrets du 30 avril 1992
72(
*
)
ont opéré la fusion entre les agents
des cours, des tribunaux et des conseils de prud'hommes, en créant un
corps unique de greffiers en chef, un corps unique de greffiers et des corps de
fonctionnaires des catégories C et D des services judiciaires et en les
dotant d'un statut, actualisé à plusieurs reprises
depuis
73(
*
)
.
La fonctionnarisation des services judiciaires s'est donc effectuée
progressivement, ce qui explique en partie certaines disparités
actuelles dans la composition et la structure des différents corps
dont il a été fait état, à Bordeaux, devant une
délégation de la mission.
2. Des effectifs en forte croissance mais encore insuffisants
Au 30
mai 2002, les effectifs budgétaires des services judiciaires
s'élevaient à
1.690 greffiers en chef, 7.480 greffiers, 11.209
agents de catégorie C
, dont 9.495 agents de bureau et 1.714
agents des services techniques
74(
*
)
.
Ces effectifs se sont considérablement accrus depuis trente ans
,
puisque le nombre des greffiers en chef et des greffiers a été
multiplié par 1,9 et celui des fonctionnaires de
catégorie C par 2,3.
En 2002, conformément au plan pluriannuel de recrutement prévu
par le protocole d'accord signé le 1
er
décembre 2000
entre la garde des Sceaux, Mme Marylise Lebranchu, et quatre organisations
syndicales de fonctionnaires à la suite de mouvements de
mécontentement, 10 postes de greffiers en chef et 500 postes de
greffiers ont été créés. Ils doivent être
pourvus par un concours exceptionnel de recrutement, s'ajoutant au recrutement
de 500 greffiers déjà intervenu en 2001.
Pour autant,
le ratio magistrats/fonctionnaires ne cesse de baisser
,
comme le déplorait notre regrettée collègue Dinah Derycke
dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2002 présenté
au nom de la commission des Lois
75(
*
)
.
Il est passé de 2,82 en 1999 à 2,61 en 2002.
3. Un personnel jeune et féminisé
Les
fonctionnaires des greffes, en particulier les greffiers et les agents de
catégorie C, constituent une
population jeune et fortement
féminisée
.
Les moins de 40 ans représentent 29 % des personnels de
bureau, 33 % des greffiers et 26 % des greffiers en chef.
La proportion des femmes est de 71 % parmi les greffiers en chef,
de 81 % parmi les greffiers et de 87 % parmi les personnels de
bureau.
Comme il l'a été indiqué à la mission lors de son
déplacement à Dijon, cette situation emporte des
conséquences non négligeables sur le fonctionnement des greffes
en raison du taux élevé d'agents à temps partiel
76(
*
)
et des absences pour congé de maternité
ou de garde d'enfant malade.
4. Des professionnels appréciés
L'enquête de satisfaction auprès des usagers de la
justice réalisée en mai 2001 par l'Institut Louis Harris pour le
compte de la mission de recherche droit et justice a fait état d'un
jugement positif à l'égard des personnels des greffes
.
87 % des interviewés estimaient que les fonctionnaires du tribunal
avaient été courtois, 86 % respectueux, 78 %
compétents, 77 % humains, 74 % clairs dans leurs
explications. Par ailleurs, 70 % déclaraient que les fonctionnaires
les avaient bien compris et 67 % qu'ils avaient été
disponibles.
Toutefois, cette satisfaction générale masque des
appréciations plus nuancées selon la juridiction ou la situation
de l'usager.
Tous contentieux confondus, les usagers considéraient que les
fonctionnaires pourraient faire preuve d'une plus grande empathie.
30 % estimaient ainsi avoir été mal compris et mal
écoutés par leurs interlocuteurs et 44 % ne pas avoir
été bien soutenus.
Les interviewés dont l'affaire relevait d'une juridiction pénale
se montraient plus critiques : 37 % des usagers du tribunal de police
et 40 % des usagers du tribunal correctionnel estimaient avoir
été mal compris.
Enfin, la satisfaction de ceux qui avaient perdu leur procès (devant les
juridictions civiles) était encore plus faible : 43 %
déclaraient avoir été compris, 42 %
écoutés et 31 % soutenus.
L'institution judiciaire dispose aujourd'hui d'une génération
entière de fonctionnaires des greffes fortement imprégnée
des valeurs du service public de la justice sur laquelle elle peut compter.
Pourtant, la multiplication des tâches, jointe au manque d'effectifs, a
entraîné une confusion dans les responsabilités de chacun
et un sentiment généralisé de lassitude et de
découragement.
B. UNE NÉCESSAIRE CLARIFICATION DES ATTRIBUTIONS DE CHACUN
1. La double mission juridictionnelle et d'administration des personnels des greffes
La
spécificité des greffes tient à leur double mission
juridictionnelle et d'administration.
Leur mission traditionnelle est
en effet
l'assistance du juge et
l'authentification des actes judiciaires
77(
*
)
. En outre, à la différence d'autres
administrations, les services judiciaires ne disposent
pas de corps des
services déconcentrés à vocation d'administration
générale
.
Comme le soulignait la commission de réflexion sur l'évolution
des métiers des greffes : «
Depuis la
fonctionnarisation, l'institution évolue dans une logique fonctionnelle
dans laquelle les fonctions de gestion et les fonctions d'assistance du juge
sont assurées par les mêmes acteurs. L'alternative d'une logique
organisationnelle séparant strictement la fonction de gestion de la
fonction judiciaire a été écartée, afin
d'éviter les pratiques antérieures à la fonctionnarisation
et le risque d'atteinte à l'indépendance de l'institution
judiciaire.
78(
*
)
»
C'est ainsi que s'est développée une
culture de la
polyvalence
au sein des greffes. Elle a permis aux fonctionnaires de faire
face à l'alourdissement progressif de leurs tâches, au prix d'une
confusion des rôles et d'un malaise croissants.
2. Un sentiment de lassitude face à l'alourdissement des tâches et à la confusion des rôles
a) Les greffiers en chef : des administrateurs à temps plein
Fonctionnaire de catégorie A, le greffier en chef a
vocation
à exercer des fonctions d'administration, d'encadrement, de gestion,
d'enseignement et d'assistance du juge dans les actes de sa
juridiction
79(
*
)
.
Il prépare le budget de la juridiction et en assure l'exécution.
Il veille à la bonne
gestion
des moyens matériels, des
locaux et équipements dont il a la charge. Il assume également
une mission d'animation et de direction d'une équipe de collaborateurs
dont il coordonne l'activité.
Depuis la création des services administratifs régionaux en 1996,
les greffiers en chef peuvent également exercer les fonctions de
coordonnateur d'un service administratif régional dans une cour d'appel.
Praticien du droit, le greffier en chef doit par ailleurs être
à même d'exercer toutes les fonctions du greffe
. Il
organise l'assistance des juges lors des audiences et au cours des
procédures dont le greffe doit garantir le respect et
l'authenticité.
Conservateur des actes, registres et archives
de la juridiction, le
greffier en chef en constitue la « mémoire ».
Il dispose également d'
attributions propres
qui, comme il l'a
été indiqué précédemment, se sont accrues
depuis quelques années dans le but d'alléger le fardeau du
juge :
- au tribunal d'instance, en matière de cession et de saisie de
rémunération, de procuration de vote, de consentement à
l'adoption, de certificat de nationalité, de scellés et de
tutelles ;
- au tribunal de grande instance, en matière de pièces
à conviction, d'aide juridictionnelle ainsi qu'à l'occasion de
différentes déclarations dans le domaine familial.
Comme on l'a vu de nouvelles tâches pourraient encore lui être
confiées
80(
*
)
.
L'appellation de greffier en chef reflète donc mal la
diversité et l'importance des missions qu'il lui faut remplir
. Elle
prête à confusion et n'est guère valorisante, puisqu'elle
laisse à penser qu'il s'agit d'une fonction exercée par un
greffier et non d'un corps de catégorie A.
Les
missions
des greffiers en chef
diffèrent selon les
juridictions
. Dans les plus importantes, le chef de greffe est
assisté d'un ou de plusieurs greffiers en chef adjoints ou chefs de
service, qui assurent sa suppléance en cas d'absence ou
d'empêchement.
D'une manière générale, le poids de leurs tâches
administratives les empêche souvent, en pratique, de jouer tout
rôle d'assistance du magistrat et, parfois, d'exercer eux-mêmes les
compétences autrefois dévolues aux juges. Telle est la raison
pour laquelle, l'Union syndicale autonome justice et le Syndicat des greffiers
de France ont souhaité devant la mission que
certaines
des
attributions
des greffiers en chef, par exemple les certificats de
propriété et de notoriété, puissent être
transférées ou, à tout le moins,
déléguées aux
greffiers
, ce qui permettrait
au droit de rejoindre la pratique et d'assurer la continuité du service
public
81(
*
)
.
Mais les greffiers sont eux aussi astreints à de lourdes tâches.
b) Les greffiers : les « notaires des juridictions »
Fonctionnaire de catégorie B placé sous
l'autorité du greffier en chef
82(
*
)
, le
greffier a pour
missions principales l'assistance du magistrat et
l'authentification des actes juridictionnels
.
Au-delà de la transcription fidèle des débats à
l'audience, il est responsable du respect et de l'authenticité de la
procédure tout au long de son déroulement. Aussi est-il souvent
qualifié, comme il l'a été rappelé devant des
membres de la mission à Dijon, de «
technicien de la
procédure
», de «
notaire de la
juridiction
».
Le greffier enregistre les affaires, prévient les parties des dates
d'audience et de clôture, dresse les procès-verbaux, rédige
des actes et met en forme les décisions. Il assiste le juge à
l'audience.
Son rôle est essentiel :
toute formalité, tout acte
accompli en son absence pourraient être frappés de
nullité
.
Dès l'introduction de la demande et tout au long de la procédure,
il est
l'intermédiaire entre les parties et le juge
. Il est
également
l'interlocuteur privilégié des auxiliaires de
justice
.
Le greffier est également un
agent d'encadrement
chargé de
coordonner les activités des agents d'exécution. Selon
l'importance des juridictions et leur organisation, il peut être investi
de responsabilités de gestion et diriger un des services du greffe. Il
peut également exercer les fonctions de chef de greffe.
Enfin, le greffier a également vocation à exercer des
fonctions d'accueil et d'information du public
. En pratique, il n'en a
pas le temps, au grand regret de nombreux greffiers rencontrés par la
mission.
En effet, les auditions et les déplacements de la mission, les
contributions écrites qu'elle a reçues ont montré qu'en
raison du manque d'effectifs et de l'alourdissement des tâches
83(
*
)
, les greffiers étaient
amenés, de
plus en plus, à remplir des fonctions incombant aux greffiers en chef,
au détriment de leur mission première d'authentification des
procédures et des actes.
Un chef de cour a ainsi indiqué à la mission, dans une
contribution écrite, que «
Dans la pratique, cette mission
d'authentification des actes juridictionnels a tendance à se vider de
son sens et à n'avoir plus qu'un contenu formel.
(...)
L'assistance des greffiers aux audiences devient très
aléatoire et l'authentification se limite de leur part à la
relecture des jugements et arrêts avant leur signature et à
l'apposition de la formule exécutoire accompagnée du
sceau
. »
Cette dérive, contraire aux dispositions du code de l'organisation
judiciaire, est d'autant plus regrettable que l'assistance du greffier
s'avère essentielle dans les procédures orales sans
représentation obligatoire, de surcroît lorsque le justiciable
saisit le juge par simple déclaration.
Parallèlement, les greffiers accomplissent des tâches qu'ils
considèrent comme subalternes
. La frustration est d'autant plus
grande que leur niveau d'études est de plus en plus
élevé
84(
*
)
et que leur
rémunération reste faible. «
On fait tout et
n'importe quoi
» a indiqué une greffière du
tribunal de grande instance de Bordeaux.
Dans ces conditions, et selon les termes employés par un procureur de la
République dans une contribution écrite aux travaux de la
mission, le choix de la carrière de greffier risque de devenir
«
un choix négatif, à défaut d'avoir
réussi le concours de la magistrature ou de greffier en
chef
. »
Certains greffiers regrettent de ne pouvoir exercer des tâches
jugées valorisantes
. Par exemple, d'aucuns aimeraient pouvoir jouer
un rôle d'
aide à la décision du magistrat
, qu'il
s'agisse de la recherche de jurisprudence, de la rédaction de notes de
synthèse ou de l'élaboration de projets de décision. Les
organisations syndicales, en particulier le Syndicat des greffiers de France,
souhaiteraient même les voir pratiquer des
conciliations
et des
médiations
.
Le recours aux
agents placés
pour faire face aux vacances de
postes, s'il peut être encouragé, ne constitue qu'un palliatif
insuffisant.
Souvent, les missions des greffiers sont remplies par des agents de
catégorie C qui acceptent, pour un salaire inchangé, ces
responsabilités nouvelles, lourdes mais intéressantes. Il s'agit
toutefois d'un cautère sur une jambe de bois, qui contribue à la
confusion généralisée des tâches et à la
propagation d'un sentiment de malaise.
c) Les fonctionnaires de catégorie C : un nombre élevé de « faisant fonction de »
Placés également sous l'autorité du
greffier en
chef de la juridiction
85(
*
)
, les fonctionnaires
de catégorie C appartiennent à
différents corps
interministériels, répartis entre une filière
administrative
(les agents administratifs et les adjoints administratifs)
et une filière technique
(les agents des services techniques, les
ouvriers professionnels, les conducteurs d'automobiles). Ils concourent au
fonctionnement des différents services du greffe : parquet, service
correctionnel, service civil, fonctions administratives...
Les agents de la filière administrative, appelés personnels de
bureau, sont chargés de l'exécution des tâches
administratives et travaillent en étroite collaboration avec les
greffiers chargés de les encadrer.
A titre exceptionnel et temporaire, ils peuvent, après avoir
prêté serment, être chargés des
fonctions
dévolues aux greffiers
, en particulier l'assistance aux audiences et
l'authentification des actes.
Comme on l'a vu, le manque d'effectifs rend cette
pratique courante
,
même si aucune estimation fiable n'a pu être fournie
86(
*
)
.
Les agents des services techniques et les ouvriers professionnels sont
chargés de l'exécution du service intérieur et de
tâches de maintenance. Ils peuvent contribuer à
l'exécution de tâches administratives.
Les conducteurs d'automobiles sont chargés de la conduite des
véhicules de fonction (dont bénéficient les chefs de cour
et les chefs de juridiction) ou des véhicules de service des
juridictions.
Il est actuellement question de regrouper les agents administratifs et les
adjoints administratifs en un seul corps
87(
*
)
.
Certaines organisations syndicales souhaiteraient également que les
personnels de bureau soient assimilés à des agents de
catégorie B. La représentante de la CGT entendue par la
mission a toutefois fait valoir la nécessité de préserver
le recrutement de personnes n'ayant pas le baccalauréat.
d) Un sentiment généralisé de malaise
Le
constat d'un «
malaise des greffes
», dressé
dès 1990 par M. Dominique Le Vert
88(
*
)
, conseiller d'Etat, s'avère donc plus que
jamais d'actualité.
Lors de ses auditions et de ses déplacements, la mission a pu mesurer le
sentiment de frustration et de désabusement
qui affectait les
personnels des greffes.
La
multiplication des «
faisant fonction de
»
qui caractérise actuellement l'institution judiciaire -greffiers faisant
fonction de greffiers en chef, agents de catégorie C faisant fonction de
greffiers- engendre une
confusion des rôles et une crise
d'identité préjudiciables au bon fonctionnement des
juridictions
.
Les inquiétudes des fonctionnaires sont avivées par la
concurrence que représentent les assistants de justice et les agents
de justice
, personnels au statut précaire chargés d'accomplir
des tâches d'aide à la décision et d'accueil dont ils
considèrent qu'elles relèvent de leur compétence mais
qu'ils sont dans l'impossibilité d'assumer.
Les agents des greffes attendent actuellement, avec impatience et amertume, une
reconnaissance aussi bien salariale que statutaire de la réalité
des missions accomplies. «
Nous n'avons plus que notre conscience
professionnelle, c'est tout ce qui nous reste
», indiquait une
greffière du tribunal de grande instance de Dijon aux membres de la
mission.
L'une des organisations syndicales reçues par la mission souhaiterait
même l'élaboration d'un nouveau statut, dérogatoire du
statut général de la fonction publique, au profit des greffiers
en chef et des greffiers, sur le modèle de celui des magistrats. Ils en
attendent une reconnaissance de la spécificité de leurs
tâches et des possibilités accrues de revalorisation salariale.
Au-delà du nécessaire renforcement des effectifs et de la
revalorisation de la grille indiciaire, il apparaît souhaitable de
favoriser une adaptation des personnels à des fonctions de plus en
plus spécialisées
.
3. L'exigence d'une spécialisation accrue des agents
En 1998,
la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des
greffes avait préconisé la
création de deux grandes
filières, l'une administrative et technique, l'autre consacrée au
droit et à la procédure
. Cette proposition a
été reprise devant la mission par le Syndicat des greffiers de
France mais a suscité l'opposition de l'Union syndicale autonome
justice, attachée à la polyvalence des agents
89(
*
)
.
La direction des services judiciaires a élaboré un
référentiel des métiers de greffe
, destiné
à favoriser une gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences.
Ce document volumineux, qui sera prochainement diffusé sur le
réseau intranet-justice, recense pour chaque fonction-type les
activités, le niveau d'autonomie, le degré de technicité
et les compétences exigés de l'agent.
La mise en place de filières aurait pour avantages d'assurer un
réel professionnalisme, la continuité dans l'accomplissement des
tâches, une répartition plus claire des rôles au sein de
l'institution judiciaire et une meilleure formation. Elle offrirait aux
greffiers en chef et aux greffiers la possibilité d'être mieux
reconnus et valorisés dans les domaines juridique et administratif.
Une filiarisation intégrale semble toutefois difficile à mettre
en oeuvre en raison non seulement du manque de moyens de l'institution
judiciaire mais également de la faible mobilité des personnels,
du risque d'un cloisonnement des métiers et «
d'un certain
élitisme dans le corps des greffiers en chef, les fonctions de gestion
et d'administration étant considérées par certains comme
des fonctions nobles permettant de faire carrière
», selon
la commission de réflexion sur l'évolution des métiers des
greffes.
La mission considère que, tout en favorisant une
spécialisation progressive des agents au moyen de la formation continue,
il convient de préserver la polyvalence des corps des greffes,
grâce à des passerelles entre les différentes fonctions.
La polyvalence favorise en effet une mobilité professionnelle entre
juridictions et services et un enrichissement des tâches
. Comme le
rappelait un procureur de la République dans sa contribution
écrite aux travaux de la mission : «
Une
évolution des métiers de la justice ne peut s'envisager que si
l'on considère que ces métiers ne sont pas autant de cadres
rigides. Une approche par métiers serait un contresens si elle revenait
à accentuer la spécialisation et à isoler des
filières hermétiques les unes par rapport aux autres, sans
reconnaître le fond commun qui unit les différents corps de
personnels
. »
C. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION PERFECTIBLES
Au cours
de sa visite de l'Ecole nationale des greffes de Dijon
90(
*
)
, la mission a pu mesurer la compétence, le
dynamisme et le dévouement des enseignants et de l'équipe de
direction, leur volonté de dispenser une formation initiale et continue
de qualité aux personnels des greffes.
Malheureusement, le cadre réglementaire dans lequel ils inscrivent leur
action ne leur permet pas de contribuer de manière totalement
satisfaisante à la professionnalisation des métiers.
1. Un recrutement déséquilibré
Le recrutement des fonctionnaires des greffes souffre d'un double défaut : le niveau des candidats est désormais bien supérieur à celui des postes proposés, ce qui est source de déceptions ; les concours sont organisés par à-coups, ce qui nuit à une bonne gestion des effectifs et des carrières.
a) Un niveau d'études de plus en plus élevé
Le
concours externe de recrutement des
greffiers en chef
est ouvert aux
titulaires d'une
licence
ou d'un diplôme équivalent,
âgés de 35 ans au plus tard au 1
er
janvier de
l'année du concours -des reports d'âge sont possibles dans
certains cas. Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires justifiant de 4
ans de services publics au 1
er
janvier de l'année du concours.
Le concours externe de recrutement des
greffiers
est ouvert aux
titulaires du
baccalauréat
ou d'une capacité en droit ou
d'un titre équivalent. Le concours interne est ouvert aux fonctionnaires
justifiant de 4 ans de services publics au 1
er
janvier de
l'année du concours.
Selon les statistiques fournies par l'Ecole nationale des greffes,
8,9 % des 493 greffiers stagiaires en 2001 étaient titulaires
d'un diplôme équivalent à bac + 5 ou plus, 49,09 %
d'un diplôme à bac + 4, et 11,36 % d'un diplôme
à bac + 3.
En 2002, 90 % des 350 candidats admis aux concours externes
avaient un niveau d'études supérieur ou égal à
bac + 3.
Un projet de réforme de la formation initiale des greffiers en chef et
des greffiers est en cours d'élaboration, prévoyant notamment le
relèvement du niveau de recrutement des greffiers en chef à bac +
4 et des greffiers à bac + 2. Mais l'entrée en vigueur de ce
texte achoppe en raison des conséquences indiciaires d'une telle mesure.
Le relèvement du niveau de recrutement ne ferait que mettre le droit en
adéquation avec les faits et valoriser des métiers d'une grande
technicité. S'agissant des greffiers en chef, il ne semble cependant pas
opportun de porter à bac + 4 ce niveau, dans la mesure où il
dépasserait alors le niveau exigé pour l'entrée à
l'Ecole nationale d'administration et à l'Ecole nationale de la
magistrature (bac + 3).
La mission préconise de rehausser à bac + 2 le niveau de
diplôme requis pour pouvoir se présenter au concours de
greffier.
b) La nécessité de lisser davantage les recrutements
Par
ailleurs, la mission a pu constater que l'Ecole nationale des greffes
éprouvait des difficultés pour dispenser dans de bonnes
conditions une formation de qualité aux stagiaires recrutés par
la voie de concours exceptionnels.
En effet, la dimension des locaux et le nombre d'enseignants ont
été fixés pour accueillir des promotions de 250 stagiaires
au maximum. Or, 500 greffiers ont été recrutés
en 2001, puis à nouveau 500 en 2002, par la voie de concours
exceptionnels.
Si elle juge nécessaire d'augmenter sensiblement les effectifs des
greffes, la mission ne peut que regretter les
pratiques
de la
Chancellerie
qui voient se succéder des périodes de
recrutement massifs à des périodes d'absence de recrutement
empêchant une bonne gestion des effectifs et des carrières
.
Cette insuffisante maîtrise de la gestion des effectifs, qui ne permet
pas de faire coïncider les départs et les arrivées, engendre
également une désorganisation des services et accroît la
confusion des rôles au sein des juridictions, obligées de pallier
les absences indifféremment par des agents de catégorie B ou C.
La mission rappelle donc la nécessité de lisser davantage les
recrutements des personnels des greffes.
2. Une formation initiale trop courte
En
application de leurs statuts, les greffiers en chef et les greffiers stagiaires
issus des concours externes ou internes reçoivent une formation initiale
à l'Ecole nationale des greffes.
Celle dispensée aux greffiers en chef et aux greffiers recrutés
par concours est actuellement d'une durée de
12 mois
: 4
mois de scolarité à l'Ecole nationale des greffes pour les
greffiers en chef (2 mois pour les greffiers), 7 mois environ de stages
pratiques en juridiction (9 mois pour les greffiers), et 5 semaines de
stage de pré-affectation.
Depuis un arrêté du 5 mars 2001,
les agents et les adjoints
administratifs issus des concours externes bénéficient
également d'une formation initiale
. La durée de cette
formation est de
8 semaines
dont 1 semaine d'enseignement à
l'Ecole nationale des greffes et 7 semaines d'enseignement professionnel et de
stages en juridiction ou services.
La
durée
de la formation initiale dispensée aux personnels
des greffes est manifestement
insuffisante
pour leur permettre
d'acquérir les compétences requises par la diversification et
l'alourdissement de leurs tâches. Les
carences
de
l'enseignement sont particulièrement évidentes
en
matière de gestion et d'informatique
, en dépit des efforts
fournis par l'Ecole, car les stagiaires sont généralement issus
des facultés de droit.
Le projet de réforme de la formation initiale des greffiers en chef et
des greffiers précité prévoit, outre le relèvement
du niveau de recrutement,
l'allongement de la
formation initiale
à 18 mois
.
La mission insiste sur la nécessité de réaliser cette
réforme dans les plus brefs délais et d'y associer davantage
l'Ecole nationale des greffes, qui dispose d'une capacité d'expertise
indéniable.
L'allongement de la durée de la formation initiale permettra de
professionnaliser davantage les personnels, notamment dans les techniques
d'organisation et de gestion.
Il importe également de
valoriser les fonctions de maître de
conférence et de formateur à l'Ecole nationale des greffes
en
favorisant la carrière de ceux qui y consacrent une partie de leur vie
professionnelle et en reconnaissant la vocation des greffiers à exercer
des fonctions d'enseignement, reconnaissance qui leur est sans doute
refusée en raison de ses conséquences indiciaires. De plus, la
scolarité doit être relayée sur le terrain par des
maîtres de stage choisis et formés par l'Ecole nationale des
greffes.
Enfin, comme l'a suggéré M. Jacques Fayen, directeur de
l'Ecole, il conviendrait d'instituer un examen de sortie ou un tableau
d'aptitude afin que les affectations tiennent davantage compte des aptitudes de
l'agent à occuper tel ou tel poste, plutôt que de son rang de
classement, et ne reposent plus sur des critères essentiellement
géographiques.
La mission préconise d'allonger la durée de la formation
initiale, de valoriser les fonctions d'enseignant à l'École
nationale des greffes dans la gestion des carrières et de tenir
davantage compte des aptitudes des stagiaires aux différents postes
proposés pour les affectations à la sortie de l'Ecole.
Elle recommande également un accroissement des liens entre
l'École nationale des greffes et l'École nationale de la
magistrature en vue de formations croisées.
3. La nécessité de développer des formations continues obligatoires
La
formation continue des personnels des greffes repose depuis trop longtemps sur
le volontariat.
Durant leur carrière les greffiers en chef et les greffiers peuvent,
s'ils le souhaitent, participer à des sessions de formation permanente
organisées à l'échelon national par l'Ecole nationale des
greffes ou à l'échelon régional par les greffiers en chef
formateurs régionaux.
Toutefois, en début de carrière, la formation permanente
revêt un caractère obligatoire. En effet, en application d'un
arrêté du 16 mars 1993 et conformément à leur statut
particulier, les greffiers en chef et les greffiers doivent recevoir dans les
deux ans qui suivent leur titularisation une formation d'une durée de
deux mois (un mois pour les greffiers) dans l'une des quatre
spécialités suivantes :
« direction-administration », « droit et
procédures », « communication et
technologies » ou « enseignement professionnel »
(« acte de la juridiction »,
« encadrement-gestion », « accueil » ou
« informatique » pour les greffiers).
Selon l'équipe de direction de l'Ecole nationale des greffes, ces
spécialités n'ont pas véritablement répondu au
double objectif qui leur était assigné : obtenir un
allongement de la formation initiale et accroître la professionnalisation
des agents, sans pour autant remettre en cause leur polyvalence. En effet, les
greffiers en chef et les greffiers recherchent une formation de
pré-affectation et choisissent leur spécialité en
l'absence de toute perspective de carrière.
Le projet de réforme du statut des greffiers en chef et des greffiers
précité comporte la
suppression des
spécialités
au profit d'une formation continue obligatoire de
10 jours par an pendant 5 ans.
Enfin,
les greffiers en chef et les greffiers peuvent être astreints
à une obligation de formation, notamment en cas de changement
d'affectation
91(
*
)
. Cette disposition
reçoit une application pour les nominations dans certaines fonctions, en
particulier dans les services administratifs régionaux.
Dans la perspective d'une professionnalisation accrue des greffes,
la
mission préconise de développer les formations obligatoires
d'adaptation aux postes pour l'ensemble des catégories de personnels
.
Le mal-être des magistrats et des fonctionnaires des greffes ainsi
analysé est d'autant plus grand qu'ils doivent désormais
s'adapter à un nouveau mode de fonctionnement des juridictions, à
de nouvelles méthodes de travail, destinés à
répondre à un contentieux croissant et complexe ainsi qu'à
la demande pressante des usagers de la justice d'un meilleur accès au
droit.
III. DE NOUVEAUX MODES DE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS
A. DES RELATIONS PARFOIS CONFLICTUELLES
La
question de la dégradation des relations au sein des juridictions
apparaît à bien des égards comme un poncif : quelle
communauté n'est pas en proie à des tensions, des frustrations,
des rancunes ?
Elle semble pourtant incontournable tant les auditions et les
déplacements réalisés par la mission et les enquêtes
diligentées par la Chancellerie se rejoignent pour mettre en
lumière un manque de dialogue social, une faible implication des
magistrats et une association insuffisante des agents des greffes au
fonctionnement des juridictions.
1. Le manque de dialogue social : un lieu-commun
Si des
dissensions existent entre les différentes catégories de
fonctionnaires, elles s'estompent généralement dans des
revendications communes face aux magistrats.
Les fonctionnaires des greffes souffrent d'un manque de considération
alors qu'ils éprouvent le sentiment, comme l'indiquait l'Union syndicale
autonome justice de «
faire la carrière des
magistrats
». Une greffière rencontrée par la
mission lors de l'un de ses déplacements dénonçait ainsi
le mépris dans lequel les magistrats tenaient «
le
personnel
» de la juridiction.
Le syndicat C-Justice a toutefois fait observer que les magistrats apportaient
une aide aux agents de catégorie C dans leurs relations parfois tendues
avec leur encadrement, c'est-à-dire les greffiers en chef et les
greffiers.
Le rapport de l'inspection générale des services judiciaires sur
la communication et le dialogue social remis à la garde des Sceaux en
juin 2001 confirme ces impressions.
Il relève en outre que «
le double rattachement fonctionnel
et hiérarchique des fonctionnaires des greffes est de plus en plus
ressenti comme une difficulté. Les agents expriment leur embarras
à être tiraillés entre la loyauté qu'ils doivent
à leur supérieur hiérarchique, le greffier en chef, et les
exigences d'un magistrat avec lequel ils travaillent
quotidiennement
».
A la différence des fonctionnaires des greffes, les
magistrats
semblent
peu impliqués dans la vie de leur juridiction
et ne
pas souhaiter être davantage associés aux décisions
concernant son fonctionnement.
Beaucoup considèrent ainsi que leur
métier se limite au traitement des affaires dont ils ont la charge
.
Cette faible implication, relevée par l'inspection
générale des services judiciaires, a été vivement
regrettée par l'un des magistrats du pôle économique et
financier du tribunal de grande instance de Marseille dans lequel s'est rendue
une délégation de la mission.
Ce malaise indéniable puise ses racines dans les méthodes
traditionnelles de travail des magistrats, solitaires mais fortement
dépendantes des greffes, dans le cloisonnement des corps de
fonctionnaires des services judiciaires, dans le rapprochement des niveaux de
formation et de diplôme qui rend moins légitime la
différence de statut, de rémunération et de pouvoirs,
enfin dans l'alourdissement des tâches dû à la montée
des contentieux et à la complication des procédures.
La difficile mise en oeuvre de l'aménagement et de la réduction
du temps de travail dans les juridictions a contribué à aviver
ces tensions.
2. La difficile mise en oeuvre des trente-cinq heures
L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) ont été mis en place dans la fonction publique, et donc dans les juridictions, à partir du 1 er janvier 2002 selon les conditions fixées par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000.
a) Des jours de repos supplémentaires en contrepartie d'un élargissement des horaires d'ouverture des juridictions aux usagers
Depuis
le 1
er
janvier 2002, tous les
personnels des greffes
bénéficient d'une
durée annuelle de travail de 1.600
heures
pour un agent à temps complet. Cinq jours de repos annuels
ont été accordés en contrepartie d'un élargissement
des horaires d'ouverture des juridictions aux usagers et d'une organisation du
temps de travail en cycles hebdomadaires.
De leur côté, les
magistrats
de l'ordre judiciaire
exerçant leurs fonctions en juridiction et à l'Ecole nationale
des greffes sont soumis à un
régime forfaitaire de temps de
travail
. Ils bénéficient chaque année de 45 jours
de repos dont 25 jours de congés annuels réglementaires, non
compris les 2 jours de fractionnement, et de 20 jours de réduction
du temps de travail
92(
*
)
.
Comme le soulignait notre regrettée collègue Dinah Derycke dans
son avis sur le projet de loi de finances pour 2002 présenté au
nom de la commission des Lois
93(
*
)
, les
organisations syndicales de fonctionnaires et de magistrats ont estimé
insuffisantes les mesures d'accompagnement prévues
94(
*
)
et déploré tant les modalités
d'application des trente-cinq heures proposées par la Chancellerie, que
la méthode de consultation retenue
95(
*
)
,
soulignant le manque de dialogue social.
La mission a pu constater
au cours de chacun de ses déplacements
que
la mise en oeuvre des trente-cinq heures perturbait le
fonctionnement des juridictions
.
b) Un fonctionnement des juridictions perturbé
Des
chefs de cour et des magistrats ont déploré une
moins grande
disponibilité, un changement d'état d'esprit
des
fonctionnaires dont les yeux seraient désormais rivés sur
l'horloge.
Un premier président de cour d'appel a fait état, dans une
contribution écrite remise à la mission, «
du
décalage qui tend à se créer entre le rythme de travail
respectif des magistrats et des greffiers qui a été encore accru
par la mise en oeuvre de l'ARTT
. »
Les personnels des greffes, quant à eux, se sont plaints des
charges
de travail supplémentaires
induites par l'allongement des heures
d'ouverture des juridictions en contrepartie de congés
supplémentaires.
Dans une contribution écrite aux travaux de la mission,
M. Dominique Matagrin, président de l'Association professionnelle
des magistrats (APM) a relevé que «
l'expérience
dira ce qu'il en est vraiment mais, en dehors de complications liées non
à l'organisation du travail des magistrats mais à celle de leurs
collaborateurs - ce qui n'est pas indifférent pour le service dans son
ensemble, évidemment ! -, les trente-cinq heures ne changent pas
grand chose pour nos collègues qui, à juste titre, ont
été considérés comme relevant des fonctions de
conception et d'encadrement bénéficiant d'une compensation
forfaitaire et qui, de toutes façons, sont bien au-delà des
trente-cinq heures (....).
«
Pour l'immense majorité, l'attribution de jours de
congés supplémentaires ne fait que consacrer des pratiques
anciennes qui permettaient aux magistrats, outre les congés auxquels ils
ont droit comme tout un chacun, de se mettre à jour dans leur travail en
profitant de périodes de service dit allégé
(...)
».
Si elle ne doit pas être dramatisée, la
dégradation des
relations
entre les magistrats et les fonctionnaires au sein des
juridictions semble bien
réelle
et
appelle des réponses
rapides
.
3. Renouer les fils du dialogue
Face
à un tel constat, la Chancellerie a engagé une réflexion
en proposant, notamment, la création d'organismes régionaux de
participation communs aux magistrats et aux fonctionnaires des services
judiciaires.
Elle a également créé récemment, au sein du
ministère, un poste de directeur de projet chargé de promouvoir
le dialogue social et d'améliorer la gestion des ressources humaines,
qu'elle a confié à Mme Marie-Dominique Soumet,
administrateur civil
96(
*
)
.
Cependant, comme l'a relevé l'inspection générale des
services judiciaires, les instances de dialogue, assemblées
générales
97(
*
)
et
commissions
98(
*
)
, existent déjà au
sein des juridictions même si elles demeurent
«
sous-employées
».
Entre les juridictions, les organes de dialogue social
déconcentré restent méconnus, les comités
techniques paritaires des services judiciaires et les comités
d'hygiène et de sécurité départementaux
apparaissant comme le «
seul espace de dialogue
social
». Selon l'inspection, rares seraient les réunions
conjointes entre magistrats ou entre chefs de greffe des cours d'appel et des
tribunaux de grande instance.
Il semble donc inutile de créer de nouvelles structures qui seraient
vouées à un sort identique en l'absence d'évolution des
mentalités.
La mission considère que l'amélioration du dialogue social
implique de mieux former les chefs de juridiction et les chefs de greffe au
management et de développer les sessions de formation communes aux
magistrats et aux fonctionnaires afin de favoriser une même culture de
gestion
.
De telles formations permettent en effet aux uns et aux autres de mieux
connaître leurs exigences et leurs contraintes respectives. Elles doivent
contribuer à l'adoption d'une nouvelle organisation du travail.
B. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TRAVAIL INDUISANT DE NOUVEAUX MÉTIERS
Au cours
de ses déplacements et de ses auditions, la mission a pu constater
l'apparition de nouveaux modes de fonctionnement des juridictions tendant
à promouvoir le travail en équipe et l'aide à la
décision des magistrats, à améliorer l'information de
l'usager et à développer le recours à l'informatique et
aux nouvelles technologies.
De nouveaux métiers se dessinent pour répondre à des
besoins émergents ou mal satisfaits, avec les assistants de justice, les
agents de justice ou encore les techniciens informatiques. Leur statut reste
toutefois extrêmement précaire et doit être revu afin qu'ils
jouent un rôle complémentaire et non concurrent de celui des
fonctionnaires des greffes.
1. Constituer autour du magistrat une équipe chargée de l'assister
Le cloisonnement des services et l'isolement des individus doivent céder la place au travail en équipes chargées d'apporter une véritable aide à la décision des magistrats.
a) Un trop grand cloisonnement
L'organisation actuelle des juridictions et les méthodes
traditionnelles de travail des magistrats ne sont plus adaptées pour
répondre à un contentieux croissant et complexe, aux exigences
des justiciables de décisions rapides et de qualité, au
défi lancé par des auxiliaires de justice regroupés en
cabinets performants.
Un
hiatus
s'est formé
entre la façon de travailler,
artisanale et solitaire du magistrat
, enfermé dans son cabinet,
plongé dans ses dossiers et préoccupé par le seul souci
d'évacuer ses affaires,
et la nécessité de
répondre à un contentieux
qui revêt aujourd'hui un
caractère
« industriel ».
La réduction progressive des décisions collégiales et le
développement de l'informatique risquent de favoriser cette tendance
à l'isolement, au repliement sur soi qui caractérise encore
certains comportements.
L'organisation actuelle des juridictions ne permet pas toujours aux
fonctionnaires de s'impliquer dans leur travail et de suivre une
procédure depuis son enregistrement jusqu'à sa clôture.
Le cloisonnement des services conduit à une perte
d'intérêt pour le métier et à la routine
.
Indépendamment du nécessaire renforcement des moyens de
l'institution judiciaire, il convient donc de conduire une
réflexion
sur la notion de services et sur le découpage des juridictions en
chambres afin de favoriser la constitution d'équipes autour des
magistrats
, sans pour autant provoquer une balkanisation de
l'organisation.
b) La nécessité d'apporter aux magistrats une aide à la décision
Les
magistrats entendus par la mission ont unanimement fait part de leur
besoin
de disposer
, en sus de greffiers et de secrétaires,
de
collaborateurs de haut niveau
capables d'effectuer des recherches
documentaires, des analyses juridiques, de rédiger des notes de
jurisprudence et des notes de synthèse des dossiers ainsi que, parfois,
des projets de décision.
Ils seraient ainsi à même d'endiguer les flux d'affaires
nouvelles, de résorber les stocks, de rendre des décisions de
meilleure qualité et d'être mieux préparés face aux
cabinets d'avocats.
Comme le relevait M. Jean-Louis Castagnède, président de
chambre à la cour d'appel de Bordeaux, la nécessité de
traiter rapidement les dossiers ne doit pas se traduire par une moindre
écoute des justiciables et une motivation insuffisante des jugements. En
effet,
les citoyens sont prêts à accepter une décision
défavorable à la condition d'en comprendre les raisons et d'avoir
le sentiment d'avoir été entendus
.
c) La création des assistants de justice
A
l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon, la loi
n° 95-125 du 8 février 1995, relative à
l'organisation des juridictions et à la procédure civile,
pénale et administrative, a autorisé le recrutement d'assistants
de justice auprès des tribunaux d'instance, des tribunaux de grande
instance et des cours d'appel
99(
*
)
.
La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des
magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a étendu
cette faculté à la Cour de cassation.
Recrutés pour une période de
deux ans
,
renouvelable une
fois
, parmi les titulaires d'un diplôme sanctionnant quatre
années d'études supérieures en matière juridique,
ces assistants sont chargés, sous réserve de certaines
incompatibilités, d'
apporter leur concours aux magistrats du
siège et du parquet
, d'effectuer des recherches documentaires, des
analyses juridiques, de rédiger des notes de jurisprudence et des notes
de synthèse des dossiers ainsi que, parfois, des projets de
décision sur les instructions et les indications des magistrats.
Leur recrutement et leur gestion sont déconcentrés au niveau des
cours d'appel. Ils perçoivent des vacations horaires
100(
*
)
dont le nombre ne peut excéder 80 par mois et
720 par an. Ils étaient
1.232
au 1
er
janvier 2002.
Le
profil type
d'un assistant de justice est celui d'un étudiant,
ou plutôt d'une
étudiante
, titulaire le plus souvent d'un
diplôme de troisième cycle universitaire
en fin de parcours
ou venant de quitter l'université.
Les magistrats rencontrés par la mission ont exprimé leur
satisfaction
d'avoir à leurs côtés des
collaborateurs de valeur qui leur apportent un
soutien précieux dans
la préparation des décisions
.
De leur côté, les assistants de justice rencontrés à
Bordeaux apprécient la diversité des tâches qui leur sont
confiées, le rapport de confiance qu'ils nouent avec le magistrat et
l'expérience qu'ils acquièrent. Ils éprouvent le
sentiment de contribuer à l'accélération du traitement des
dossiers.
L'utilité de la fonction est désormais reconnue de tous
.
En revanche, les magistrats déplorent le
fort taux de rotation des
assistants de justice
, qui mettent rapidement un terme à leur
contrat soit parce qu'ils ont été reçus à un
concours de la fonction publique soit parce qu'ils ont trouvé un emploi
durable dans le secteur privé. Ils jugent regrettable de devoir sans
cesse consacrer du temps et des efforts à la formation d'assistants
éphémères.
Une vice-présidente de tribunal de grande instance chargée d'un
tribunal d'instance indiquait ainsi dans une contribution écrite
adressée à la mission : «
Le système
actuel d'assistance du juge n'est pas satisfaisant. L'assistant de justice est
recruté et affecté sans transparence suffisante. Son
utilité reste limitée et précaire. Le juge doit passer
beaucoup de temps à le former s'il souhaite le rendre apte à
rédiger des projets de décision et cette formation n'est pas
rentabilisée eu égard à la brièveté du
contrat de l'assistant dont le terme est fréquemment anticipé
pour des raisons liées à la modification de son parcours
universitaire ou professionnel
. »
De leur côté, les assistants de justice, du moins ceux
rencontrés à Bordeaux, s'inquiètent de la
précarité de leur statut, en particulier de
l'
impossibilité de prolonger leur contrat au-delà de quatre
ans
, et de la
faiblesse de leur rémunération
;
ils souffrent parfois d'un manque de reconnaissance au sein de la juridiction
et aspirent à pouvoir se présenter aux concours internes de la
fonction publique
101(
*
)
.
Enfin, les organisations représentatives des personnels des greffes
s'inquiètent de voir exercer par d'autres des fonctions dont elles
considèrent qu'elles relèvent de la compétence des
greffiers en chef ou même des greffiers.
d) Les pistes de réforme
La
mission s'est donc interrogée sur les pistes de réforme
susceptibles d'être envisagées pour
pérenniser cette
fonction
indispensable d'aide à la décision du
magistrat
102(
*
)
.
Une première piste pourrait consister dans la
création d'un
nouveau corps de fonctionnaires
, intermédiaire entre les magistrats
et les greffiers en chef, inspiré du
Rechtspfleger
allemand
103(
*
)
. M. Marc Moinard,
procureur général près la cour d'appel de Bordeaux, a
toutefois rappelé à une délégation de la mission
qu'un tel corps avait été créé en 1977 mais que sa
constitution fut rapidement interrompue.
En effet, la création d'un nouveau corps n'irait pas sans
difficultés, confusions et tensions : opposition des greffiers en
chef et des greffiers, risque de perte de compétence des assistants de
justice, qui sont actuellement des étudiants de haut niveau, risque
d'une magistrature à deux vitesses composée, d'un
côté, d'étudiants ayant réussi les concours
externes, de l'autre, d'anciens assistants de justice ayant
échoué au concours de l'Ecole nationale de la magistrature mais
bénéficiant d'une intégration directe. M. Marc
Moinard a ainsi précisé qu'actuellement la commission
d'avancement
104(
*
)
était très
réticente à accorder le bénéfice de
l'intégration directe à des assistants de justice.
Plutôt que de créer un nouveau corps de fonctionnaires, la
mission estime qu'il convient de doter les assistants de justice d'un statut
plus attractif, pour les étudiants et les magistrats, en allongeant le
nombre d'heures et d'années d'exercice des fonctions, en revalorisant le
montant des vacations horaires et en créant des passerelles vers la
magistrature. Ainsi les magistrats français pourraient-ils
bénéficier de collaborateurs de qualité, à
plein-temps ou à mi-temps s'il s'agit d'étudiants, sur le
modèle des référendaires à la Cour de justice des
Communautés européennes.
Cette proposition se trouve confortée par les propos qu'a tenus
M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, devant
la mission : «
il conviendrait de reprendre à
notre compte ce que connaissent les juridictions de common law avec ce qu'on
appelle les clerks. Ainsi, à la Cour suprême du Canada, chaque
juge dispose d'un groupe de cinq ou six clerks qu'il recrute lui-même
directement. Ces clerks restent auprès de ce juge pendant quatre ans, et
au bout de ces quatre ans, ils parviennent très facilement à
trouver un emploi valorisé dans un contentieux qu'ils auront
pratiqué
.
«
Si l'on veut donner de bons collaborateurs aux juges, il faut,
me semble-t-il, aller dans ce sens, car ces jeunes juristes connaissent bien la
jurisprudence : ils sont formés au nouveau droit, ils ont envie de
travailler et de valoriser leurs fonctions, ils sont très actifs.
D'ailleurs, à ce sujet, certaines expériences sont très
positives, je pense aux référendaires à la Cour de justice
des Communautés européennes, notamment
. »
Pour autant,
la mission considère que l'amélioration du
statut des assistants de justice ne doit pas conduire à écarter
les greffiers en chef et les greffiers des fonctions d'aide à la
décision des magistrats
.
Certes, les greffiers en chef s'étaient opposés, au milieu des
années 1980, à la création de deux filières au sein
de leur corps, l'une administrative, l'autre juridictionnelle,
«
ratant peut-être le coche
» selon
l'expression de M. Marc Moinard.
Le premier président de la cour d'appel de Lyon portait un jugement
encore plus sévère en indiquant à la mission :
«
avec l'introduction de l'informatique dans les juridictions, les
greffiers sont de plus en plus déchargés de la dactylographie des
jugements et arrêts, mission qu'ils acceptent d'ailleurs avec
réticences et qui a tendance à être remplie par les
magistrats. Cette mutation est de nature à compromettre l'avenir de la
profession de greffier qui, à terme, risque de devenir inutile. Pour
autant, on constate trop d'hésitation de la part des greffiers à
s'investir, aux côtés des magistrats et sous leur contrôle,
dans une mission d'aide à la décision qui aurait pu correspondre
à celle qui a finalement été dévolue aux assistants
de justice
. »
Toutefois, comme il l'a été indiqué, leur niveau s'est
élevé depuis plusieurs années, un grand nombre d'entre eux
détenant des diplômes du troisième cycle universitaire, et
beaucoup préfèreraient se consacrer à ces tâches
juridiques plutôt qu'à la gestion.
Telle est la raison pour laquelle, la mission approuve la proposition de la
commission de réflexion sur l'évolution des métiers des
greffes de créer des fonctions de greffier en chef
référendaire et de greffier rédacteur,
complémentaire des assistants de justice.
Il s'agit de permettre aux greffiers en chef et aux greffiers d'occuper des
fonctions d'aide à la décision des magistrats, actuellement
dévolues aux assistants de justice.
2. Améliorer l'information du justiciable
Organisées en services trop cloisonnés, les juridictions semblent également encore insuffisamment ouvertes sur les justiciables. Essentielles, les fonctions d'accueil sont actuellement occupées par les agents de justice, emplois-jeunes au statut précaire, et non par des greffiers. Par ailleurs, des services de communication devraient être créés pour donner des informations sur les procédures en cours.
a) L'exercice des fonctions d'accueil par des agents de justice : un pis-aller
Dans le
cadre de la mission « emplois-jeunes », la direction des
services judiciaires s'est engagée, en 1999, à recruter sous
contrat de droit public 1.050 agents de justice, âgés de 18
à 26 ans, pour une durée de 5 ans.
Ces agents assurent des fonctions d'accueil dans les juridictions, dans les
maisons de justice et du droit et au sein des conseils départementaux
d'accès au droit. Souvent, ils se voient également confier des
tâches de correspondant informatique local ou remplissent l'ensemble des
fonctions dévolues aux personnels de bureau. Ils
bénéficient du tutorat d'un fonctionnaire
expérimenté et d'une formation.
Le plan de recrutement de ces agents est presque achevé
105(
*
)
. Il ressort d'une enquête portant sur 279
personnes, effectuée fin septembre 2000, que 58,73 % de ces agents
déclaraient un niveau de formation égal ou supérieur
à bac + 2. La délégation de la mission qui s'est rendue
à Bordeaux a pu constater que cette proportion était comparable
parmi les agents de justice qu'elle a rencontrés.
Cette situation révèle les
insuffisances des structures
d'accueil des usagers de la justice dans nos juridictions
.
La notion même de service public impose aux administrations la mise en
oeuvre d'une politique d'accueil performante. Cette exigence est encore plus
forte pour le service public de la justice en raison de la complexité
des procédures, de la multiplicité des contentieux et du contexte
économique et social.
Telle est la raison pour laquelle, le décret n° 92-414 du 30
avril 1992 précité consacre la vocation des greffiers à
exercer des fonctions d'accueil, et la circulaire n° 83-70 du 2
août 1983 confie la mission d'accueil du public, sous le contrôle
des chefs de juridiction et des greffiers en chef, aux greffiers
possédant une grande connaissance de la juridiction et une culture
juridique de bon niveau.
Le
recrutement d'agents de justice
pour exercer des fonctions d'accueil
apparaît à bien des égards comme un
palliatif devant
l'insuffisance des effectifs de greffiers
et soulève donc des
interrogations de principe. En tout état de cause, il convient de
leur dispenser une formation solide.
Enfin, à l'instar des autres emplois-jeunes, les agents de justice se
trouvent dans une situation de grande précarité puisque leur sort
à l'issue de leur contrat de 5 ans reste incertain.
Les juridictions s'en inquiètent, comme en témoigne la
contribution d'un procureur de la République : «
une
préoccupation particulière concerne les agents de justice dont le
contrat viendra à expiration prochainement (pour les premiers au
printemps 2003) : qu'adviendra-t-il de ces personnes qui, localement, ont
acquis une expérience, une connaissance et un réseau de
correspondants ? Qu'adviendra-t-il également des contrats en
cause : seront-ils reconduits ou repris et par qui ? Il y a lieu
d'être très inquiet sur le devenir de ces jeunes et des contrats
correspondants. En effet, les communes qui les prenaient financièrement
en charge refusent de pourvoir les postes vacants (lorsqu'un agent
démissionne après avoir réussi à un concours) pour
ne pas avoir à supporter la charge ultérieure de l'indemnisation
chômage des agents en fin de contrat
. »
b) Les guichets uniques des greffes : une expérience à développer
La
mission juge également indispensable de développer
l'expérimentation réussie
d'un guichet unique des greffes
(GUG) lancée en 1998. Elle a concerné
cinq sites
pilotes
: Angoulême, Compiègne, Limoges, Nîmes et
Rennes, et vise à simplifier les démarches du justiciable. Elle
consiste à offrir un
point d'accueil centralisé et un point
d'entrée procédural
pour l'ensemble des juridictions
situées sur un même site.
Ce guichet unique permet à tout citoyen de recevoir des informations
précises, d'avoir la possibilité de recourir à des modes
diversifiés de règlement des différends, d'être
orienté vers des professionnels spécialisés et des
instances de conciliation et de médiation, d'introduire une
requête à l'occasion d'une affaire dispensée de
ministère d'avocat, d'être renseigné sur le
déroulement de la procédure et de former un recours.
Une enquête de satisfaction fait état de la réussite de
cette expérimentation tant du point de vue du justiciable que des
magistrats et fonctionnaires. Ces GUG ont permis des gains de
productivité en raison des tâches transférées
à l'accueil. D'autres cours d'appel ont donc mis en place des services
analogues (Agen, Douai, Toulouse, Versailles...). De nouvelles
expérimentations sont prévues en 2002, notamment à
Aix-en-Provence, Bordeaux, Dijon et Fort de France.
c) La communication externe
L'information des citoyens
est actuellement
rendue
difficile par la multiplicité des réformes
, la
désinformation liée aux affaires pénales
médiatisées,
le silence dans lequel les magistrats doivent se
cantonner
alors que les parties utilisent tous les moyens de communication
pour n'exprimer que des points de vue au procès.
Cette information est d'autant plus nécessaire que nos concitoyens
éprouvent un
sentiment d'incompréhension
devant la
complexité
des institutions judiciaires et la
technicité
du langage juridique.
Telle est la raison pour laquelle, outre l'amélioration des fonctions
d'accueil,
la mission juge indispensable de doter chaque cour d'appel d'un
service de la communication, placé sous la responsabilité d'un
magistrat et composé d'une équipe qualifiée
.
M. Pierre Vittaz, président de la Conférence nationale des
premiers présidents de cour d'appel, a indiqué que les cours
d'appel de Paris et de Rennes avaient déjà institué des
chargés de communication. Il s'est déclaré favorable
à ces initiatives et a prôné leur
généralisation.
L'informatique et les nouvelles technologies de l'information constituent
également des supports de communication performants appelés
à se développer.
3. Développer l'informatique et les nouvelles technologies de l'information
L'informatisation et le recours aux nouvelles technologies de
l'information constituent un enjeu majeur pour la modernisation du
ministère de la justice. Ils devraient modifier en profondeur l'exercice
des métiers, le micro-ordinateur reléguant dans le musée
de l'histoire la plume d'oie illustrée par Honoré Daumier.
Pour l'instant leur impact reste limité en raison des disparités
importantes suivant les cours et les juridictions et du manque de techniciens
qualifiés.
Il convient de veiller à ce que les nouvelles technologies deviennent un
instrument de décloisonnement entre les services, d'ouverture des
juridictions sur l'extérieur et non d'isolement des magistrats et des
fonctionnaires.
a) Les conséquences de l'informatisation sur le fonctionnement interne des juridictions
En
octobre 1998 a été engagée la mise en place d'un
réseau intranet ministériel
, le réseau privé
virtuel justice (RPVJ). Elle se poursuit aujourd'hui avec la création de
sites documentaires et d'application partagés entre l'administration
centrale et les services déconcentrés.
Mme Catherine Trochain, première présidente de la cour
d'appel de Caen, présidente de la Commission de l'informatique, des
réseaux et de la communication électronique (COMIRCE) a
indiqué à la mission que 25.000 agents du ministère
étaient actuellement connectés à l'intranet-justice,
l'objectif étant de permettre à l'ensemble des personnels d'y
accéder.
Les nouvelles technologies de l'information permettent de décloisonner
le fonctionnement des services, de
favoriser l'échange
et
d'ouvrir la voie au
travail en équipe
. Elles induisent un
changement des méthodes de travail
des magistrats et des
personnels des greffes et deviennent un
instrument du dialogue social
au
sein des juridictions : frappe de leurs jugements par les magistrats et
simple mise en forme par les greffes, forums de discussion, gestion de
courriers commune à plusieurs services, gestion de la liste des experts
judiciaires...
M. Joël Rech, représentant du syndicat des greffiers de
France, a indiqué à la mission que le
télétravail «
permettrait aux agents de demeurer
dans leur juridiction, tout en apportant un secours ponctuel aux agents
d'autres juridictions, ne serait-ce que pour effectuer des tâches
purement administratives comme la frappe des décisions
. »
Peut-être les nouvelles technologies de l'information affecteront-elles
également les
relations hiérarchiques
au sein des
juridictions
? En effet, avec la mise en ligne des circulaires et
de la documentation, les chefs de cour et de juridiction verront s'affaiblir
leur rôle d'intermédiaire entre la Chancellerie et les services
judiciaires.
Ces modifications sont parfois mal vécues, tant par les magistrats qui
se refusent à utiliser eux-mêmes l'ordinateur, que par les
fonctionnaires des greffes qui se sentent menacés.
L'informatique doit également permettre d'établir des indicateurs
permettant de contribuer à une meilleure allocation des ressources des
juridictions et d'offrir une meilleure qualité du service public de la
justice
Enfin, une réflexion est en cours en vue d'assurer
l'interopérabilité des systèmes informatiques des
différents ministères afin que ce décloisonnement des
structures concerne l'ensemble de l'administration. A titre d'exemple, la
police et la gendarmerie, qui devront bientôt modifier leurs
équipements, ont constaté que leurs systèmes informatiques
n'étaient pas compatibles. Cette question est essentielle pour les
magistrats, en particulier ceux du parquet, qui entretiennent des relations
permanentes avec les officiers de police judiciaire.
b) Un support performant pour la communication externe
Les
nouvelles technologies devraient favoriser l'accès au droit des citoyens.
Le site web du ministère de la justice constitue un outil de
communication essentiel. Des sites régionaux sont en cours de
développement afin de permettre aux usagers d'obtenir des informations
sur leurs juridictions : cinq cours d'appel et trois tribunaux de grande
instance ont créé leurs propres sites. Des formulaires justice
sont mis en ligne pour faciliter leurs démarches.
Un guichet unique des greffes dématérialisé
dénommé « visio-greffe
106(
*
)
» a été mis en place en mai
2001 dans l'arrondissement du tribunal de grande instance de Limoges,
permettant aux usagers de la justice situés dans des communes
très éloignées du siège du tribunal de grande
instance d'accomplir des actes de greffe, de recevoir des informations sur
l'état d'avancement de leur procédure, de retirer des documents
« officiels » en temps réel, sans se déplacer
et sous le contrôle de fonctionnaires de justice. Une extension de cette
expérimentation doit être entreprise en 2002 dans des zones
rurales de métropole et d'outre mer.
Les nouvelles technologies sont également un
facteur de modernisation
des relations de l'institution judiciaire avec les auxiliaires de justice et
les collectivités locales
.
Il s'agit, dans les domaines civil et pénal, de
réduire les
charges liées à la saisie des données
mais aussi
d'
accélérer le processus d'ensemble du traitement des
affaires
, de garantir la qualité de la transmission entre les
juridictions et leurs partenaires : avocats, huissiers, avoués,
donneurs d'ordre.
Une convention a été signée le 6 décembre 2000 par
le directeur des services judiciaires et le président de la Chambre
nationale des avoués pour relier les réseaux intranets du
ministère et de la profession. L'objectif est d'accélérer
le rythme du procès civil, de réduire les délais de
transmission des actes, de supprimer les déplacements inutiles et les
échanges de courrier superflus.
Une expérimentation doit également être conduite par le
tribunal de grande instance et le barreau de Paris.
Le développement des nouvelles technologiques impose d'assurer la
confidentialité des échanges de données souvent
sensibles ; le ministère de la justice, gardien des libertés
individuelles, ne doit pas perdre de vue cette exigence.
c) La gestion des ressources informatiques
La
réussite de la politique informatique suppose d'y consacrer des
effectifs importants et de qualité. De ce point de vue
des efforts
restent à accomplir
.
De nouveaux métiers sont en germe. Actuellement,
les correspondants
locaux informatiques
sont des greffiers des services administratifs
régionaux et même, fréquemment, des agents de justice.
Dans les juridictions, les greffiers en chef font appel à des
contractuels ou recourent à la sous-traitance pour assurer la
maintenance des équipements.
L'opportunité de créer ou non une filière informatique au
sein des métiers du ministère de la justice fait l'objet d'un
débat. L'externalisation entraîne un abandon des savoir-faire et
pose un problème de confidentialité des données. Le
recrutement de fonctionnaires peut toutefois s'avérer lourd et suppose
la mise en place d'une formation continue de haut niveau.
d) Le « tribunal du futur »
En avril
2000, la Commission de l'informatique, des réseaux et de la
communication électronique a lancé puis piloté une
étude de faisabilité sur « le tribunal du
futur », juridiction intégrant pleinement les nouvelles
technologies. Financée par le Fonds interministériel de
modernisation, l'étude a été confiée à la
société EGL.
Une proposition d'expérimentation a été validée le
27 mars 2002, autour de deux axes : le développement de la
visioconférence et l'installation de bornes interactives.
Le droit européen, largement, et le droit français,
spécifiquement
107(
*
)
, admettent en
l'encadrant le recours à la visioconférence.
Des expérimentations sont actuellement conduites en Grande-Bretagne, en
Suède, en Italie et en Espagne. La Grande-Bretagne a déjà
équipé 125 tribunaux et 75 établissements
pénitentiaires. Un «
criminal justice Act »
de 1988 accordait valeur légale aux témoignages par
visioconférence ; un «
crime and discorder
Act
» de 1998 a imposé au juge, lorsque les moyens sont
disponibles, de justifier la non utilisation de la visioconférence pour
la comparution des détenus portant sur la détention provisoire.
En France, l'expérimentation sera conduite par la cour d'appel de Caen
et le tribunal de grande instance de Lisieux dans le cadre :
- des débats devant les juges des libertés et de la
détention et les juges de l'application des peines ;
- des débats devant les tribunaux correctionnels dans les affaires
portant sur des intérêts civils, c'est-à-dire le
contentieux de l'indemnisation.
Le ministère de la justice a déjà mis en ligne 17
formulaires pour les particuliers et 7 pour les professionnels. Les plus connus
sont ceux qui permettent d'obtenir un extrait du casier judiciaire.
Une expérimentation est en cours consistant à mettre une borne
à la disposition du public dans les commissariats, comportant des
formulaires d'aide au dépôt de plainte pour des infractions
simples et courantes. Les informations saisies par le particulier seront
ensuite reprises par un officier de police judiciaire en vue de la mise en
forme définitive de l'imprimé.
Par ailleurs, la dématérialisation des actes et l'utilisation des
moyens informatiques (présentation par powerpoint) lors des audiences
doivent être encouragées.
Il faudra prendre garde toutefois à ne pas déshumaniser la
justice
.
C. LA GESTION DÉCONCENTRÉE DES JURIDICTIONS
La cour d'appel est aujourd'hui l'échelon déconcentré de gestion des juridictions. Depuis 1996, les chefs de cour bénéficient du concours des services administratifs régionaux. Leur intervention ne va pas toutefois sans susciter des réticences de la part des juridictions. Au sein de ces dernières, la question de la gestion tripartite entre le président, le procureur et le chef de greffe demeure lancinante.
1. Le choix de la cour d'appel comme échelon déconcentré de gestion des juridictions
Dès 1986, le transfert à l'Etat des
compétences
exercées par les collectivités locales pour le fonctionnement et
l'équipement des juridictions du premier degré s'est
accompagné d'une recherche de déconcentration, en ces domaines,
de la préparation budgétaire et de l'exécution de la
dépense.
Ce n'est finalement qu'en 1995, après l'élaboration et l'abandon
de plusieurs schémas d'organisation, que la
cour d'appel
a
définitivement été identifiée comme le
pôle régional de déconcentration pertinent
et que
diverses dispositions ont été prises afin de faciliter son
rôle de synthèse et d'arbitrage.
L'absence d'administration départementale de la justice soulève
de réelles
difficultés de coordination avec les autres
services de l'Etat
, voire avec les autres services du ministère de
la justice, ceux de la protection judiciaire de la jeunesse et de
l'administration pénitentiaire. Mme Hélène Magliano,
procureur général près la cour d'appel de Dijon, a ainsi
observé que le ressort de sa cour d'appel s'étendait sur trois
départements (Côte d'Or, Saône-et-Loire et Haute-Marne) et
deux régions (Bourgogne et Champagne-Ardenne), ce qui compliquait le
recours aux nouveaux groupements d'intervention régionaux (GIR).
A l'heure actuelle, à l'exception des crédits de
rémunération, la totalité des crédits
nécessaires au fonctionnement des juridictions est
déconcentrée, principalement au niveau des cours d'appel.
Responsables du fonctionnement des juridictions de leur ressort, les chefs de
cour assurent la programmation et la répartition des crédits
délégués dans les domaines de l'équipement
immobilier, du fonctionnement courant, de l'informatique
déconcentrée, des frais de déplacement, de l'entretien
immobilier, de la formation des personnels. Ils sont en outre chargés du
contrôle de gestion des juridictions de leur ressort.
On rappellera que c'est également à l'échelon de la cour
d'appel que sont assurées les gestions administrative et
financière des magistrats et des fonctionnaires des services
judiciaires, organisés les concours de recrutement
régionalisé des fonctionnaires de catégorie B et C des
services judiciaires, recrutés les agents non titulaires (vacataires,
assistants de justice, agents de justice), développées les
relations professionnelles et le dialogue social dans le cadre des
comités techniques paritaires régionaux.
Pour accomplir ces tâches, les chefs de cour peuvent s'appuyer sur des
services administratifs régionaux (SAR).
2. L'affirmation progressive des services administratifs régionaux
Créés par une circulaire du 8 juillet 1996, les
services administratifs régionaux sont placés, dans chaque cour
d'appel, sous l'autorité directe des chefs de cour et dirigés par
un coordonnateur. Ils ont pour fonction de préparer, mettre en oeuvre et
contrôler les actes et décisions de nature administrative
nécessaires à la bonne administration du ressort.
Outre leurs missions traditionnelles dans les domaines de l'
administration
des moyens
et de la
gestion des personnels
, les services
administratifs régionaux sont désormais chargés de la
gestion du
parc informatique
et du
parc immobilier
.
Par ailleurs, depuis 1998, ils se sont vus confier de nouvelles missions de
contrôle des dépenses publiques, en matière de frais de
justice et de gestion des subventions aux associations intervenant dans les
activités pré-sentencielles, d'aide aux victimes et de
médiation civile. Depuis cette date en effet, les chefs de cour
arbitrent les montants des subventions allouées à chacune des
associations de leur ressort intervenant dans ces secteurs.
Les
fonctions de coordonnateur
du service administratif régional
sont partout
exercées par des greffiers en chef
, sauf à la
cour d'appel de Paris et à la cour d'appel de Rennes où elles
sont confiées à des magistrats.
En qualité de responsable du fonctionnement du SAR, le coordonnateur
fédère l'activité d'une équipe composée
principalement de greffiers en chef mais aussi de greffiers dont les fonctions
sont très spécialisées et bien définies : le
responsable de la gestion budgétaire, le responsable de la gestion des
ressources humaines, le responsable de la gestion informatique, assisté
généralement d'un adjoint, le responsable de la gestion de la
formation. Le recrutement de techniciens informatiques
spécialisés a permis la constitution au sein des cours d'appel
d'un relais des centres de prestations régionaux en matière de
maintenance de premier niveau des matériels et des applications
informatiques.
Les juridictions d'un même
arrondissement judiciaire
(ressort d'un
tribunal de grande instance) sont coordonnées au sein d'une
cellule
de gestion
qui, tout en respectant l'autonomie budgétaire de chacune
d'elles, est censée apporter la compétence et le soutien de
personnels compétents. La cellule tient une comptabilité
d'engagement pour chaque juridiction et constitue l'unique interlocuteur du SAR.
Comme le soulignait Mme Danielle Raingeard de la Blétière,
première présidente de la cour d'appel de Dijon dans une
contribution écrite aux travaux de la mission, il convient aujourd'hui
de conduire plus avant la déconcentration de la gestion des
juridictions, en direction de «
l'arrondissement judiciaire qui
est le bon niveau d'émergence des innovations et d'adaptation des
réponses de l'institution au niveau local.
»
Les chefs des tribunaux devraient disposer d'un véritable service
gestionnaire spécialisé renforçant notablement les
équipes des actuelles cellules de gestion
.
Les services administratifs régionaux sont, quant à eux, les
interlocuteurs uniques des préfets des départements, ordonnateurs
secondaires, pour les engagements comptables et mandatements des
dépenses d'intérêt régional, d'intérêt
commun et locales.
La mission observe que le choix du préfet comme ordonnateur
secondaire des dépenses des juridictions, s'il ne semble pas susciter de
difficulté dans la pratique, paraît difficilement compatible avec
le principe d'indépendance de la justice et mériterait
d'être réexaminé
.
Ainsi, la mise en place des services administratifs régionaux
a entraîné une modification de la manière de
gérer les moyens des juridictions. Comme le soulignaient MM. Michel
Vigneron, premier président de la cour d'appel de Bordeaux, et Marc
Moinard, procureur général, elle a contribué à sa
professionnalisation.
La mutualisation
, par exemple en matière de
passation des marchés publics, est
source d'économies et
d'efficacité
tant le droit est complexe.
Toutefois,
cette mutation ne va pas toujours sans difficulté ni
heurt
. La greffière en chef de la cour d'appel de Dijon a ainsi fait
part à la mission de certaines tensions dans ses relations avec le SAR
et de son regret de perdre en autonomie de gestion et en
réactivité. Il est vrai que les moyens du service administratif
régional de la cour d'appel de Dijon semblaient insuffisants pour
répondre à toutes les demandes.
La mission juge donc indispensable de poursuivre le renforcement des
effectifs des services administratifs régionaux pour leur permettre de
faire face à la poursuite de la déconcentration des
crédits.
Elle estime également que le moment est venu de doter les services
administratifs régionaux d'un véritable statut, en inscrivant
leur existence dans le code de l'organisation judiciaire et en
définissant plus précisément leur rôle et leurs
compétences par rapport aux greffes des juridictions
.
La création d'un statut d'emploi des chefs de SAR semble
également nécessaire pour valoriser cette fonction occupée
par des greffiers en chef de qualité mais également l'ouvrir
à des fonctionnaires d'autres administrations, susceptibles de les faire
bénéficier de leur expérience et de leur
compétence, à l'instar de la nomination récente d'une
sous-préfète au poste de secrétaire général
de l'Ecole nationale de la magistrature.
D'après les renseignements fournis par la Chancellerie, un projet de
décret serait en préparation tendant à créer un
poste de secrétaire général de service administratif
régional afin de permettre une ouverture et un choix plus larges de
professionnels de la gestion.
La mission propose, afin de professionnaliser la gestion des juridictions,
de créer un statut de secrétaire général de service
administratif régional auquel pourraient postuler les greffiers en chef
mais qui serait également ouvert à des fonctionnaires d'autres
administrations.
M. Guy Canivet, premier président de la Cour de Cassation est
allé plus loin en déclarant à la mission que :
«
Donner des pouvoirs de gestion aux greffiers ne me paraît
pas une bonne solution. En effet, sans aller jusqu'à parler
d'opposition, il y a de la méfiance dans les relations de pouvoir entre
les juges et les greffiers. Les juges craignent que les greffiers ne prennent
trop d'importance dans les juridictions et qu'eux ne soient privés non
pas des pouvoirs de gestion mais des pouvoirs d'administration.
Néanmoins, autant il appartient notamment au juge d'affecter les
magistrats dans les chambres, d'administrer la juridiction en réglant
les flux de contentieux, autant il ne devrait pas lui appartenir - et c'est
même un peu contre nature - de faire de la gestion budgétaire
.
«
Il faut donc dégager un corps d'administrateurs des
juridictions indépendant des greffes et des magistrats. Ses membres
devraient avoir la culture et la déontologie des gestionnaires des
juridictions d'Amérique du Nord, qui, eux, sont des magistrats, ou des
administrateurs des juridictions supranationales, c'est-à-dire savoir
gérer une juridiction, mais sur les instructions et sous les ordres d'un
magistrat
. »
Ces remarques, qui portent sur la gestion des juridictions et non sur les seuls
services administratifs régionaux, renvoient à la question
lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs
de greffe.
3. La question lancinante des relations entre les chefs de cour ou de juridiction et les chefs de greffe
Aux tensions résultant de l'existence des services administratifs régionaux s'ajoutent en effet les habituelles difficultés liées à la gestion tripartite des juridictions par le premier président de la cour d'appel (ou le président du tribunal de grande instance), le procureur général (ou le procureur de la République) et le chef de greffe.
a) Les ambiguïtés de la gestion tripartite
Les
termes des articles R. 812-1 et R. 812-2 du code de l'organisation
judiciaire qui définissent les responsabilités de chacun sont, il
est vrai, pour le moins ambigus puisque
le greffier en chef exerce ses
attributions
pour partie sous l'autorité et pour partie sous le
contrôle des chefs de juridiction, sans que ces derniers puissent se
substituer à lui
.
Cette ambiguïté subsiste malgré une circulaire du 6 juin
1979 qui analyse la relation hiérarchique entre les chefs de juridiction
et les chefs de greffe : l'autorité constitue le pouvoir d'ordonner
et donc d'établir des orientations et des directives ; l'initiative
des fonctions sous le contrôle des chefs de cour ou de juridiction
revient au greffier en chef, chef de greffe.
Une clarification de ce texte à caractère réglementaire
semble nécessaire. A l'instar des conférences des premiers
présidents de cour d'appel et des procureurs généraux, la
mission considère que les chefs de juridiction devraient conserver
in
fine
le pouvoir de décision, dans la mesure où la
façon de rendre la justice est étroitement dépendante des
moyens accordés.
M. André Ride, président de la Conférence des
procureurs généraux déclarait ainsi devant elle :
«
parce que la mise à disposition des moyens,
forcément limités, d'une juridiction, tant en personnels qu'en
crédits, a une incidence très directe sur la fonction judiciaire
elle-même, dans la poursuite comme dans le jugement, il importe que ces
décisions continuent à être prises dans le cadre de ce
dialogue, et que la décision revienne aux deux chefs de juridiction,
comme le veut la dyarchie qui préside au mode de fonctionnement des
cours et tribunaux et qui garantit que les deux principes qui conditionnent
l'exercice de la justice, la poursuite et le jugement, soient également
pris en considération
. »
En revanche, les chefs de cour ou de juridiction ne devraient pas s'impliquer
dans la gestion au quotidien. Comme le faisait justement observer
Mme Véronique Rodero, présidente de l'Association des
greffiers en chef des tribunaux d'instance, «
les hôpitaux
ne sont pas gérés par les médecins
. »
La mission propose, reprenant en cela les conclusions du rapport de notre
collègue Jean Arthuis au nom de la commission sénatoriale de
contrôle chargée d'examiner les modalités d'organisation et
les conditions de fonctionnement des services relevant de l'autorité
judiciaire, présidée par notre collègue Hubert
Haenel
108(
*
)
, que les chefs de juridiction
aient autorité sur le fonctionnement des services de leur juridiction et
que, par délégation et sous leur contrôle, le greffier en
chef dirige et gère l'ensemble des services administratifs
.
Pour autant, il est évident qu'indépendamment de toute
clarification textuelle,
la qualité des relations entre chefs de
juridiction et chef de greffe restera la clef d'un bon fonctionnement
.
Comme le rappelait à juste titre M. André Ride :
«
Premier président, procureur général et
greffiers en chef des cours, président, procureur de la
République et greffiers en chef des tribunaux de grande instance se
réunissent de façon constante, que ce soit de manière
informelle ou, de plus en plus souvent, institutionnelle, pour régler
les questions relatives au fonctionnement de la juridiction. »
b) La mise en cause récurrente de la dyarchie
La
dyarchie entre les magistrats du siège et ceux du parquet qui
préside au fonctionnement des cours et des juridictions est
régulièrement dénoncée par les premiers et
revendiquée par les seconds.
La Conférence des premiers présidents de cour d'appel, favorable
à la séparation du siège et du parquet, considère
qu'au nom de l'indépendance de la justice et compte tenu du fait que le
parquet constitue l'une des parties au procès, il ne devrait pas
détenir de pouvoir de décision dans l'allocation des moyens de la
juridiction.
Inversement, les magistrats du parquet sont attachés à conserver
la maîtrise des moyens humains, matériels et financiers
nécessaires à la conduite de leur action.
A la Cour de cassation, comme l'indiquait M. Jean-François
Burgelin, son procureur général, le premier président a
acquis au fil des ans la primauté par rapport au procureur
général : «
Lors des décennies
antérieures, dans le cursus des magistrats responsables de la Cour de
cassation, les premiers présidents étaient traditionnellement
recrutés parmi les procureurs généraux. Tel fut le cas de
nombre de mes prédécesseurs. Quittant leurs fonctions de
procureur général pour devenir premier président, ceux-ci
avaient tendance à « emporter » avec eux les
responsabilités qui leur étaient propres. C'est ainsi que le
centre de documentation de la Cour de cassation, qui ressortissait à
l'autorité du procureur général, dépend maintenant
de la première présidence. Il en est de même du budget de
la Cour de cassation. Ainsi, historiquement s'explique un affaiblissement de
l'autorité administrative du procureur général au profit
de la première présidence. La dyarchie est
déséquilibrée au sein de la cour
. »
Selon le procureur général de la Cour de cassation, sous la
pression de l'Europe, la tendance actuelle irait dans le sens d'une
primauté accrue des premier présidents et présidents
sur les procureurs généraux et procureurs de la
République
.
Après en avoir longtemps débattu, la commission
sénatoriale de contrôle chargée d'examiner les
modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des
services relevant de l'autorité judiciaire avait estimé
«
qu'il convenait de doter chaque juridiction d'un chef unique
- le premier président pour la cour d'appel, le président
pour le tribunal de grande instance - afin d'en faciliter la gestion et de
simplifier les rapports administratifs avec l'extérieur
. »
En contrepartie, elle avait souligné la nécessité de
«
garantir le plus efficacement possible l'indépendance du
parquet en donnant au procureur général et au procureur la pleine
maîtrise des moyens matériels nécessaires à son
activité, c'est-à-dire des locaux, des personnels, une enveloppe
budgétaire autonome, les quelques services en commun faisant l'objet
d'un accord entre le président et le procureur
109(
*
)
. »
La mission n'a pas pris parti sur la question compte tenu de son lien
étroit avec celle du
statut du parquet
.
Dans l'immédiat et en tout état de cause, elle juge
nécessaire de doter les chefs de cour et les chefs de juridiction d'une
«
équipe de cabinet
» animée par un
secrétaire général institutionnalisé et
professionnalisé
.
*
En
quelques années,
les juridictions ont donc vécu
d'indéniables bouleversements
dans leurs modes de fonctionnement.
Cette
mue
, qui n'est pas encore terminée, exige des efforts
d'adaptation importants de la part des magistrats et des fonctionnaires des
greffes. Ceux-ci sont tout à fait capables de les accomplir et
disposés à le faire
pour peu qu'on leur accorde la
considération qu'ils mériten
t. Les lourdeurs imputées
au fonctionnement des services judiciaires sont inhérentes à la
fonction publique dans son ensemble.
Plus généralement, c'est l'ensemble de la communauté
judiciaire qui doit s'adapter aux attentes des citoyens d'une justice plus
simple, plus rapide et plus claire, à l'accroissement et à la
complication des contentieux, à la concurrence européenne et
internationale et à l'évolution des technologies de l'information
et de la communication.
Pour prendre toute la mesure des mutations de la communauté judiciaire,
la mission s'est donc également intéressée à
l'évolution des métiers des auxiliaires de justice qui jouent un
rôle non moins essentiel que les magistrats et les fonctionnaires.
CHAPITRE II
DES AUXILIAIRES DE JUSTICE
CONFRONTÉS À DES
DIFFICULTÉS MULTIPLES
La
justice ne se réduit aux seuls membres des juridictions. D'autres
acteurs concourent, à l'extérieur de l'institution judiciaire,
à son bon fonctionnement.
Les avocats, les avoués de cour d'appel, les avocats au Conseil d'Etat
et à la Cour de cassation ainsi que les notaires, les huissiers de
justice et les experts judiciaires s'avèrent des partenaires
indispensables à la bonne marche du service public de la justice.
Sensible aux difficultés rencontrées par les magistrats et les
personnels des greffes, la mission d'information n'est pas non plus
restée sourde aux attentes de ces collaborateurs habituels ou
occasionnels des juridictions sur le devenir de leurs professions.
I. LE MALAISE DES AVOCATS
Les
avocats constituent la profession réglementée la plus connue.
Les mouvements de protestation de décembre 2000 et
janvier 2001, principalement liés à l'insuffisance de leur
rétribution au titre de l'aide juridictionnelle, ont
révélé un malaise certain.
Au-delà de ces événements, la mission d'information a pu
constater que cette profession, plus de dix ans après la profonde
réforme du 31 décembre 1990
110(
*
)
, éprouvait des difficultés
d'adaptation, qu'il s'agisse de son évolution sociologique, des
contraintes liées à l'ouverture internationale, de la formation
ou encore des disparités observées dans l'exercice du
métier d'avocat.
A. UNE PROFESSION DÉSORMAIS PLURIELLE
Il paraît aujourd'hui difficile, tant les profils sont multiples, de déterminer le portrait type de l'homme ou de la femme exerçant le métier d'avocat.
1. Une population en augmentation constante et fortement féminisée
D'après les informations fournies par la Chancellerie,
on
recensait au 2 janvier 2001
38.140 avocats
sur l'ensemble
du territoire, dont 32.076 inscrits au tableau
111(
*
)
(84 %) et 6.064 inscrits sur la liste de stage
(16 %). La population des avocats a connu
une forte croissance depuis
dix ans
(ils n'étaient que 29.696 en 1992, soit + 28,4 %).
L'année 2000-2001
marque
l'augmentation la plus sensible
depuis 1996 avec 1.695 avocats supplémentaires, le barreau de Paris
ayant largement contribué à cette évolution
(875 inscrits supplémentaires, soit + 51 %).
Ce nombre est
cependant moins élevé
que dans
la plupart
des pays de l'Union européenne
,
puisqu'on recense plus de
104.000 avocats au Royaume-Uni, plus de 110.000 en Allemagne, l'Italie
détenant le record avec 135.000 avocats
112(
*
)
.
La profession d'avocat, à l'instar de celle de magistrat,
majoritairement exercée par des hommes il y a vingt ans
113(
*
)
, s'est largement
féminisée
, les
femmes représentant 46 % de l'ensemble (17.534).
Cette tendance masque toutefois
des disparités d'un barreau à
l'autre
, le barreau de Versailles se caractérisant par une forte
présence des femmes contrairement à celui de Nantes
(40,9 %). La taille des barreaux ne semble pas constituer un
critère pertinent pour déterminer la proportion de femmes au sein
de la profession
114(
*
)
.
Une accélération de ce mouvement de féminisation
paraît prévisible
,
les femmes représentant
actuellement près de 61 % des avocats stagiaires. Les femmes
inscrites sur la liste de stage ont contribué à la hausse du
nombre d'avocats constatée entre les années 2000 et 2001 à
hauteur de 25 % contre 7 % pour les hommes.
Le tableau ci-dessous résume l'ensemble de ces évolutions :
Evolution du nombre d'avocats inscrits au tableau
et sur
la
liste de stage selon le sexte entre 2000 et 2001
Sexe et catégorie |
2 janvier 2000 |
2 janvier 2001 |
Variation
|
TOTAL
|
36
445
|
38
140
|
4,7
|
HOMMES
|
20
039
|
20
606
|
2,8
|
FEMMES
|
16
406
|
17
534
|
6,9
|
Source : Ministère de la Justice, DACS, Cellule Etudes, « Statistiques sur la profession d'avocat - situation au 2 janvier 2001 ».
2. Les paradoxes de la perception des avocats par les citoyens
Selon Me
Jean-François Dacharry, président du centre régional de
formation professionnelle des avocats (CRFPA) de Bordeaux, l'image de l'avocat
souffrirait d'un
paradoxe
et d'un
décalage
par rapport
à la réalité.
Cette profession ne semble pas bénéficier d'une image très
positive auprès de l'opinion publique. En revanche, les justiciables qui
ont eu affaire à la justice se déclarent
individuellement
satisfaits de leur avocat
.
La récente enquête de
satisfaction effectuée par la Chancellerie auprès des usagers de
la justice le confirme d'ailleurs : «
la grande majorité
des interviewés [...] défendus par un avocat estime que ce
dernier a été honnête (86 %), indispensable
(80 %), que c'est un bon avocat (79 %) qui les a bien
conseillés (76 %) et qui a bien défendu leurs
intérêts (74 %)
115(
*
)
».
L'enquête fait cependant ressortir
une nuance importante.
Selon
que leur avocat a été choisi ou désigné,
rémunéré intégralement par l'usager, le
degré de satisfaction, qui reste néanmoins élevé,
varie. En effet, les usagers bénéficiaires de l'aide
juridictionnelle portent une appréciation plus sévère
à son égard.
Un second paradoxe a été mis en exergue par Me Philippe
Duprat, secrétaire général du CRFPA, selon lequel les
avocats seraient «
les médecins du corps
social
» compte tenu des missions essentielles qui leur sont
confiées depuis toujours :
écouter le client
,
le
comprendre
,
lui proposer une solution technique
. A l'instar du juge,
l'avocat est un artisan, mais aussi un technicien. Cette
réalité
demeure souvent
méconnue
des citoyens,
qui réduisent l'ensemble des professionnels à quelques avocats
médiatiques, minoritaires et peu représentatifs de leurs
confrères.
3. Les voix plurielles d'une même profession
En
France, la profession d'avocat a toujours été structurée
de manière corporative en barreaux autonomes.
En principe, tous les avocats établis près d'un tribunal de
grande instance sont inscrits à un barreau ou ordre, administré
par un Conseil de l'ordre présidé par un bâtonnier
élu pour deux ans, et dont les membres sont élus pour trois ans.
Les principales attributions du barreau sont de nature administrative
(inscription des avocats au barreau, gestion du Conseil de l'ordre),
disciplinaire et réglementaire
116(
*
)
.
Deux organismes représentent la profession d'avocat de longue
date :
le Barreau de Paris
, d'une part, et
la Conférence
des bâtonniers
117(
*
)
,
d'autre
part, qui regroupe les 180 ordres des avocats de province et d'outre-mer.
Comme l'ont souligné Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier de l'ordre
des avocats de Paris, et Me Michel Bénichou, ancien président de
la Conférence des bâtonniers, lors de leur audition, il existe
un lien fort entre ces deux instances
représentatives, qui
partagent le souci d'avoir en commun la gestion des ordres.
Les rivalités qui ont pu exister parfois ont donc cédé le
pas à une réflexion commune et une
concertation
étroite
.
Une troisième instance,
le Conseil national des barreaux
118(
*
)
,
a vu le jour à la suite de
l'entrée en vigueur de la loi n° 90-1259 du
31 décembre 1990 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques (ayant inséré un article
21-1 dans la loi du 31 décembre 1971).
La création de cet organisme s'explique par la volonté
d'instituer
une représentation nationale
de l'ensemble de la
nouvelle profession issue de la fusion des avocats, hiérarchisés
en ordres, et des conseils juridiques, dotés d'une organisation plus
pyramidale.
Le Conseil national des barreaux joue un rôle
fédérateur
de représentant de la profession
auprès des pouvoirs publics et s'est vu confier des
missions
particulières
en matière
d'harmonisation des règles
et des usages
professionnels, ou encore de
formation
.
Contestée pendant les premières années de son existence
à la fois par le Barreau de Paris et la Conférence des
bâtonniers, cette institution a peu à peu réussi à
trouver sa place dans un système très ancien. D'ailleurs, son
rôle moteur dans le domaine de la formation est reconnu par l'ensemble
des barreaux.
Aujourd'hui
coexistent donc trois instances représentatives
différentes
que la Chancellerie consulte
régulièrement. Des
mécanismes de concertation
se
sont mis en place. Si des positions divergentes se font jour sur certaines
questions sensibles telles que la formation ou encore la représentation
de la profession au plan international, la mission, au cours de l'audition
commune de trois représentants de ces instances, a pu constater
l'entente cordiale
qui régnait dorénavant entre eux.
4. La question des structures d'exercice
a) Une diversification croissante des modes d'exercice
L'exercice individuel a longtemps constitué
le seul
mode
d'exercice autorisé
.
Mais, depuis 1971, de
multiples structures d'exercice en groupe
ont
été organisées par le législateur afin de permettre
aux cabinets d'avocats de se développer et de se moderniser.
Le métier d'avocat peut donc désormais s'exercer de
multiples
façons
. On distingue en effet :
- la collaboration
, réglementée par la loi du
31 décembre 1971
119(
*
)
, qui,
dans la pratique, présente des différences ténues par
rapport au salariat
120(
*
)
. 16 % des
avocats inscrits au tableau exercent leur profession en cette qualité.
Devant le Barreau de Paris, ainsi que devant les autres barreaux, ce mode
d'exercice a connu la plus forte augmentation avec respectivement
+ 10,4 % et + 5,4 %.
La collaboration concerne essentiellement les avocats stagiaires
121(
*
)
qui ont recours à cette forme d'exercice
pendant l'accomplissement de leur stage et donc pour une période
transitoire. Ainsi, les jeunes avocats, qui ne disposent pas des
capacités d'investissement suffisantes, peuvent s'intégrer
à un cabinet d'avocats déjà constitué ;
-
le salariat
122(
*
)
,
introduit par la loi du 31 décembre 1990, qui n'a
rencontré qu'un modeste succès. Compte tenu de la contradiction
évidente entre le statut même de l'avocat,
«
profession libérale et
indépendante
» (article 1
er
de la loi du
31 décembre 1971) et celui du salarié défini
essentiellement par le lien de subordination qui le lie à l'employeur,
le salariat s'est peu développé, puisqu'il concernait seulement
7 % des avocats inscrits au tableau en 2001.
Bien que ce mode d'exercice soit le moins fréquent, il a cependant
marqué la plus forte augmentation devant l'ensemble des barreaux (soit
+ 5,4 %), à l'exception de celui de Paris (+ 1,9 %
seulement) ;
- l'exercice en groupe
sous la forme d'associations d'avocats, la
constitution de sociétés civiles professionnelles, de
sociétés civiles de moyens ou de simples cabinets groupés,
consacré par la loi du 31 décembre 1971.
La loi du 31 décembre 1990 précitée est venue
enrichir ces modes d'exercice en ouvrant la profession d'avocat au droit des
sociétés commerciales. Elle peut désormais être
exercée sous la forme de sociétés civiles professionnelles
d'avocats (SCPA). Une autre loi du 31 décembre 1990
123(
*
)
a également autorisé la
création de sociétés d'exercice libéral.
Parmi les avocats inscrits au tableau, 34 % exercent en qualité
d'associés (11.000 avocats). Cette forme d'exercice est peu
fréquente chez les avocats stagiaires, qui représentent moins de
1 % de l'ensemble des associés, cette proportion ayant
enregistré une forte diminution entre 2000 et 2001.
A l'exception des grands cabinets spécialisés, la
société civile professionnelle constitue la forme majoritaire
d'exercice, comme le montre le graphique ci-dessous :
Cette
répartition s'est peu modifiée depuis 1998. Le
nombre moyen de
groupements
par barreau s'élève à 23.
Le métier d'avocat s'est donc enrichi d'une multiplicité de
structures très variées. Toutefois, cette diversification
des modes d'exercice demeure très théorique compte tenu de la
prégnance de l'exercice à titre individuel, qui reste le
modèle dominant.
b) La prégnance de l'exercice à titre individuel et l'étroitesse des structures d'exercice
La
majorité des avocats inscrits au tableau -soit 42 % de l'ensemble-
exerce à titre individuel
124(
*
)
,
l'exercice en qualité d'associé ne concernant que 34 % de
ces professionnels
125(
*
)
. On observe donc un
net décalage
entre la
diversité des structures
d'exercice consacrée par le législateur
et la
très
grande uniformité des pratiques professionnelles
ancrées dans
un schéma traditionnel.
La Conférence des bâtonniers et le Barreau de Paris ont
regretté cette situation, soulignant que l'étroitesse des
structures d'exercice des cabinets d'avocats ne leur permettait pas d'affronter
efficacement la concurrence.
Cette situation résulte de deux facteurs :
- le
poids des mentalités
explique qu'un grand nombre
d'avocats n'ait pas envisagé de réformer ses structures
d'exercice. Ainsi que l'a indiqué Me Paul-Albert Iweins,
« l
e fonctionnement d'un cabinet d'avocats classique a peu
évolué et repose toujours sur la configuration classique un
avocat - une secrétaire »
;
- les
rigidités statutaires
caractérisant ces
groupements d'exercice
constituent également un
obstacle
à la modernisation de la profession
.
Le caractère transitoire de certaines mesures d'accompagnement fiscal
destinées à favoriser les regroupements ainsi que le
régime fiscal des sociétés civiles professionnelles est
présenté par certains avocats comme une barrière au libre
choix des structures d'exercice.
Les instances représentatives de la profession ont également
pointé le manque de souplesse du statut des sociétés
civiles professionnelles, qui ne permet pas de faire des provisions. La
société d'exercice libéral, qui impose que plus de la
moitié du capital et des droits de vote soit détenue directement
par les professionnels en exercice au sein de la société, n'est
pas non plus à l'abri des critiques.
Ainsi que le souligne la Conférence des bâtonniers,
«
la législation actuelle n'offre pas aux avocats les
instruments nécessaires au développement de leur
cabinet
».
Les avocats rencontrés par la mission se sont néanmoins
réjouis de la possibilité qui leur a été offerte
récemment de créer des
sociétés de holding
par le biais de sociétés de participation financière de
professions libérales. En effet, l'institution par la loi
n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures
urgentes à caractère économique et financier (dite
MURCEF)
126(
*
)
de ce nouveau mode d'exercice
était très attendue par la profession. Il devrait favoriser les
regroupements de capitaux et permettre la déduction fiscale des
intérêts d'emprunt.
Toutefois, cette innovation n'échappe pas aux
critiques
récurrentes liées aux rigidités statutaires
. La
Conférence des bâtonniers et le Conseil national des barreaux ont
en effet regretté l'impossibilité pour la holding de prendre des
participations dans des cabinets étrangers.
La profession d'avocat, en perpétuelle évolution, est devenue
plus difficile à cerner. Au-delà de sa diversité
manifeste, ce métier paraît affecté par
des
disparités susceptibles de fragiliser sa place au sein de la
communauté judiciaire
,
et plus généralement de
la société
.
B. L'ÉMERGENCE D'UN BARREAU À DEUX VITESSES
Le barreau français connaît actuellement une triple fracture : géographique, économique et financière, fonctionnelle.
1. Une répartition du nombre d'avocats sur le territoire très inégale : l'hypertrophie parisienne face à l'atrophie de la province
La
répartition du nombre d'avocats, très inégale, fait
apparaître une hypertrophie de la région parisienne
qui
mérite d'être soulignée.
Ainsi que l'a relevé Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier du Conseil
de l'ordre de Paris, le barreau de Paris a connu
une croissance
fulgurante
et concentre un
très grand nombre d'avocats
(
14.905
avocats, soit près de
40 %
)
127(
*
)
.
L'écart avec les autres barreaux
est particulièrement
remarquable
, puisque les deuxième et troisième barreaux de
France, respectivement Lyon et Nanterre, concentrent
des effectifs
très inférieurs
avec 1.599 et 1.522 avocats en exercice.
Plusieurs facteurs expliquent l'attractivité de la capitale :
- la formation de haut niveau dispensée à Paris jouit d'une
très bonne réputation et attire de nombreux candidats à la
profession d'avocat. En outre, contrairement à la plupart des Instituts
d'études judiciaires, rattachés à
l'Université
128(
*
)
, celui de
Paris II affiche un très bon taux de réussite à
l'examen d'entrée au centre régional de formation professionnelle
des avocats (CRFPA) ;
- les plus grands cabinets sont souvent implantés à Paris, qui
offre ainsi de nombreux débouchés aux avocats-stagiaires,
certains d'obtenir un stage à l'issue de l'obtention du certificat
d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA).
Le taux d'avocats par habitant
129(
*
)
reflète ce
déséquilibre
. Derrière un taux
moyen de 64 avocats pour 100.000 habitants se cachent en effet
d'importants écarts d'un barreau à l'autre
, ce taux
s'élevant à 701 pour le barreau de Paris et à 8 pour celui
de Montbrison. Le barreau de Nice se place en deuxième position avec un
bon taux de couverture (145,1 avocats pour 100.000 habitants).
Ainsi que l'a relevé Me Paul-Albert Iweins, une telle situation
paraît inquiétante et risque d'aboutir à la constitution
«
d'un barreau à deux vitesses
» avec,
d'une part,
un barreau de Paris d'excellence
, en croissance constante,
captant les affaires les plus prestigieuses et les plus intéressantes
et, d'autre part,
des barreaux de province
financés
essentiellement par l'aide juridictionnelle et éprouvant des
difficultés à survivre
.
La mission partage ces préoccupations et regrette l'hypertrophie
parisienne.
2. Des écarts de rémunération inquiétants
Comme
l'a fort justement relevé devant la mission M. Paul Bouchet,
président de la commission de réforme de l'accès au droit
à la justice (mise en place en 2001), «
si le chiffre
d'affaire des avocats a considérablement augmenté, les
inégalités se sont creusées entre les barreaux et en leur
sein
». Plus de 25 % des avocats parisiens disposent d'un
revenu inférieur à 1.500 euros par mois.
Une grande partie des ressources de certains barreaux provient essentiellement
du revenu perçu au titre de l'aide juridictionnelle. Par exemple, le
nombre d'admissions à l'aide juridictionnelle à Bobigny (79 par
avocat) s'avère très élevé par rapport à la
moyenne nationale (23 par avocat).
Au sein de chaque barreau, il peut également exister de
fortes
disparités entre les avocats
. Ainsi que le mentionne le rapport de
la commission de réforme de l'accès au droit et à la
justice
130(
*
)
, «
une étude
effectuée par le barreau de Lille (1999) a mis en évidence
l'inégale répartition des dossiers d'aide
juridictionnelle
. » Il ressort de cette étude que si
45 % des avocats inscrits au barreau n'avaient pas effectué de
mission à ce titre, 42 % avaient perçu une
rétribution supérieure à 1.525 euros (10.000 francs)
à ce titre.
En outre, des données rassemblées par l'Union nationale des
caisses d'avocats à partir de 102 barreaux montraient que la grande
majorité des missions d'aide juridictionnelle était
effectuée soit par des avocats exerçant à titre
individuel, soit par des collaborateurs. Il semble donc que certains avocats se
financent essentiellement sur cette rétribution. 41 structures dont
12 cabinets ont en effet perçu plus de 76.225 euros (500.000
francs) à ce titre en 2000, le montant maximal ayant été
enregistré par un cabinet individuel (167.695 euros, soit 1.100.000
francs).
Face à l'enrichissement des grands cabinets d'affaires et des cabinets
spécialisés a donc émergé une
catégorie
d'avocats
en proie à
des difficultés
financières et qui se
paupérise
.
a) La nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle
Face
à cette évolution, on comprend dès lors l'acuité du
débat désormais
incontournable
sur la
revalorisation de
l'aide juridictionnelle
, d'autant plus que son faible niveau a un effet
pervers en incitant des avocats essentiellement rétribués par
celle-ci à scinder les dossiers et à multiplier les affaires.
S'il entre traditionnellement dans la vocation naturelle de l'avocat de prendre
en charge gratuitement la défense des plus démunis, il
paraît désormais indispensable de rémunérer les
avocats qui remplissent cette mission, compte tenu de la
généralisation de l'aide juridictionnelle
.
Destinée à permettre aux personnes aux revenus modestes
d'accéder à un avocat sans avoir à supporter totalement ou
partiellement les frais occasionnés par la mise en oeuvre d'une
procédure, l'aide juridictionnelle, depuis la réforme de
1991
131(
*
)
, s'est étendue à un
nombre croissant de bénéficiaires
(passant de 348.587 en
1991 à 698.779 en 2000, soit un accroissement de plus de 100 %).
L'insuffisance de la rétribution allouée aux avocats qui
s'apparente davantage à une indemnité qu'à une
véritable rémunération a révélé les
limites du dispositif mis en place par la loi du 10 juillet
1991
132(
*
)
.
Des statistiques récentes établies par la Conférence des
bâtonniers ont fait ressortir qu'un cabinet individuel, avant de gagner
le premier franc, devait dégager environ 92 euros par heure (600 francs)
hors taxe pour couvrir l'ensemble de ses frais. Or, il s'avère que dans
certains dossiers, les barèmes fixés au titre de l'aide
juridictionnelle se situent à des niveaux inférieurs. Ainsi
certains avocats sont-ils inévitablement amenés à
travailler à perte
.
Mécontents de cette situation, les avocats ont engagé des
mouvements de protestation
à la fin de l'année 2000 et au
début de l'année 2001. Face à ces inquiétudes, la
Chancellerie a conclu
un protocole d'accord le 18 décembre 2000
avec les principales instances représentatives de la profession afin de
prévoir des mesures d'urgence destinées à revaloriser la
rémunération accordée aux avocats
133(
*
)
au titre de l'aide juridictionnelle
134(
*
)
.
En parallèle, Mme Marylise Lebranchu, alors garde des Sceaux, a mis en
place en janvier 2001
une commission de réforme pour l'accès
au droit et à la justice
, chargée de formuler des
propositions d'amélioration
du dispositif existant.
Ainsi que l'a rappelé devant la mission son président,
M. Paul Bouchet, cette commission préconise de nombreuses
pistes de réforme et notamment la suppression de l'aide partielle, ainsi
que la fixation de nouvelles modalités de calcul pour la
rétribution allouée aux avocats
135(
*
)
.
M. Paul Bouchet a précisé que la commission de réforme
avait écarté de ses propositions une piste
intéressante : l'élargissement de
l'assurance de
protection juridique
136(
*
)
,
dont le
rôle méritait pourtant d'être souligné.
De plus en plus de compagnies d'assurance et de mutuelles proposent des
contrats de protection juridique permettant la
prise en charge des frais de
procédures
juridictionnelles dans certains domaines tels que la
consommation
, l'
habitat
ou le
droit du travail
.
Leur
développement
, bien que rapide, demeure encore
modeste
.
Néanmoins, si une telle piste était explorée, il faudrait
s'assurer que les compagnies d'assurance
versent une
rémunération suffisante, ce qui est loin d'être le cas
aujourd'hui et contribue à accroître les difficultés de la
profession
.
En tout état de cause, la mission demeure consciente des limites de ce
dispositif, qui
ne saurait constituer une alternative au mécanisme
actuel d'aide juridictionnelle
. En effet, certains domaines, notamment
pénal ou familial, se prêtent difficilement à la
souscription d'une assurance de protection juridique, pour des raisons à
la fois morales et juridiques.
Le Gouvernement de M. Lionel Jospin avait déposé sur le bureau du
Sénat, à la fin de la législature
précédente, le 20 février 2002, un projet de loi n°
257 (2000-2001) tendant à proposer une refonte globale du dispositif
d'aide juridictionnelle. Ce texte prévoit notamment l'augmentation de
50 % du nombre de foyers fiscaux bénéficiaires de l'aide
juridictionnelle, la simplification des procédures, ainsi que la
rénovation des institutions de l'accès au droit. Les conseils
départementaux de l'accès au droit (CDAD) seraient
généralisés dans tous les départements, un Conseil
national de l'accès au droit et à la justice étant
placé auprès du Premier ministre pour évaluer les
politiques d'accès au droit et faire des propositions.
Les grandes lignes de ce dispositif ne semblent pas avoir recueilli
l'approbation des instances représentatives des avocats.
La question d'une
réforme globale demeure donc toujours
d'actualité
. M. Dominique Perben, garde des Sceaux, a
d'ailleurs annoncé que l'aide juridictionnelle compterait parmi ses
actions prioritaires.
La mission d'information juge nécessaire et urgente une remise
à plat du système d'aide juridictionnelle mis en place en 1991,
afin d'allouer aux avocats une rémunération équitable et
décente. Elle tient à souligner qu'une telle réforme ne
saurait s'effectuer sans l'association étroite et l'assentiment des
instances représentatives de la profession d'avocat.
Cependant, force est de constater que l'augmentation du barème actuel
destinée à assurer une rémunération allouée
par l'Etat à certains avocats semble constituer d'une certaine
manière une
remise en cause de la conception traditionnelle d'un
exercice libéral de la profession d'avocat.
b) Les autres pistes de réforme
Au-delà de la question de l'aide juridictionnelle,
l'indépendance économique a été
évoquée au cours des travaux de la mission et a fait surgir
plusieurs interrogations :
- la mission s'est interrogée sur l'opportunité de
réguler l'accès à la profession d'avocat en limitant les
recrutements
afin d'éviter de susciter un sentiment de frustration
parmi les jeunes avocats les plus exposés à la
précarité. Les instances représentatives de la profession
ont unanimement marqué leur désaccord à l'égard
d'une telle proposition.
La Conférence des bâtonniers a fait valoir que la
résolution d'un tel problème «
ne réside
pas dans le nombre d'avocats mais dans l'adéquation de ceux-ci et de
leur formation à la réalité sociale et
économique
» ;
-
l'instauration d'un tarif
137(
*
)
a été évoquée par
certains interlocuteurs rencontrés par la mission. Le bâtonnier de
l'ordre des avocats de Bordeaux, Me Yves Delavalade, s'est prononcé,
à l'instar de ses collègues de la « Conférence
des cents »
138(
*
)
, en faveur de
l'institution d'une tarification qui pourrait s'inspirer du modèle
allemand. Outre une amélioration de la transparence à
l'égard du justiciable, cette solution présenterait l'avantage de
garantir un certain niveau de revenus à l'ensemble des avocats.
La
Conférence des bâtonniers
s'est déclarée
ouverte au débat
, tout en soulignant qu'un tel système
devrait nécessairement s'efforcer de
combiner une tarification
minimale avec le maintien de la liberté de convention entre l'avocat et
son client
.
Le
Barreau de Paris
s'est montré plus
sceptique
, estimant
qu' «
une tarification ne serait viable que là
où les loyers, les charges sociales etc. seraient moindres [qu'à
Paris]
. »
139(
*
)
L'introduction d'une tarification reste donc largement controversée,
mais apparaît néanmoins comme
une question essentielle
qui ne saurait être éludée
.
La
Cour de Justice des Communautés européennes a, dans un
arrêt récent
(Arduino du 19 février 2002), jugé
qu'un Etat membre pouvait
autoriser
un ordre professionnel d'avocats
à déterminer une tarification, sans que cela porte atteinte au
droit communautaire de la concurrence à la double condition, d'une part,
que les Etats puissent conserver le pouvoir de déterminer directement ou
indirectement le contenu des tarifs d'honoraires et, d'autre part, que ces
tarifs demeurent soumis au contrôle des Etats.
Un travail de réflexion doit donc s'engager entre les instances
représentatives et la Chancellerie, auquel le Parlement devrait sans
aucun doute être associé ;
- la réduction du
taux de taxe sur la valeur ajoutée
fixé à 19,6 % depuis le 1
er
avril 1991
constitue une revendication de l'ensemble des représentants de la
profession. Au cours de la table ronde avec les avocats, la Conférence
des bâtonniers a jugé que ce taux constituait «
un
frein à l'activité des avocats
».
La mission partage pleinement les inquiétudes exprimées et
tient à inviter le Gouvernement à engager une discussion sur la
question d'une réduction du taux de taxe sur la valeur ajoutée
sur les prestations fournies par les avocats avec les États membres de
l'Union européenne
140(
*
)
.
3. La prépondérance de l'activité judiciaire sur l'activité de conseil juridique
a) Du juridictionnel au juridique
Les
missions
de l'avocat se sont considérablement
enrichies
.
Les avocats forment une profession ancienne née au
XIIème siècle ayant pour mission essentielle d'assurer
l'assistance en justice
et ayant «
le pouvoir et le
devoir de conseiller la partie
et
présenter sa
défense
sans l'obliger
» (article 412 du nouveau
code de procédure civile).
La loi du 31 décembre 1971 a marqué une première
étape dans l'évolution des missions de l'avocat en fusionnant les
professions d'avocat et d'avoué de première instance
141(
*
)
.
La loi du 31 décembre 1990 a franchi une deuxième
étape en
fusionnant
les professions d'
avocat
et de
conseil juridique
. Une
nouvelle profession
a donc
émergé au sein de laquelle coexistent deux métiers
différents, d'une part, la défense en justice, d'autre part, le
conseil (qui comprend la consultation en matière juridique et la
rédaction des actes sous seing privé).
Depuis lors, l'avocat a donc vocation à remplir des fonctions
extra-juridictionnelles et n'est plus engagé sur le seul terrain
judiciaire. Il est devenu plus qu'un «
aristocrate de la
barre
»
142(
*
)
, pour reprendre une
expression de Me Michel Bénichou, ancien président de la
Conférence des bâtonniers, pour s'ériger en
technicien
procédant à l'audit d'une entreprise, voire en
véritable chef d'entreprise
constituant des
sociétés.
Cette évolution a d'ailleurs consacré, à côté
du barreau traditionnel, l'avènement d'un
barreau d'affaires
,
porteur d'une image très
valorisante
de la profession et dont le
chiffre d'affaires ne cesse de croître.
Néanmoins, compte tenu de la spécificité de ces deux
métiers au demeurant très différents, il semble que les
particularismes des anciennes fonctions d'avocat (avocat de souche) et de
conseil juridique aient tendance à perdurer. Des relations
étroites se sont néanmoins nouées et la place des
fonctions de conseil au sein de la profession paraît unanimement reconnue.
La mission d'information a d'ailleurs pu en juger à l'occasion de sa
visite du CRFPA de Bordeaux au cours de laquelle le président du centre
a jugé que les fonctions de conseil contribuaient favorablement à
améliorer l'image
de l'avocat et à
renforcer sa
respectabilité
.
b) Une crise des vocations qui fragilise la place du conseil au sein de la profession
La
nouvelle profession issue de la réforme de 1990 est confrontée au
défi de la
pérennisation de ses différentes
composantes
et plus particulièrement des
fonctions de conseil
.
L'ensemble des avocats rencontrés par la mission s'est en effet
inquiété d'une
perte de vitesse
des fonctions de
conseil
au sein de la profession d'avocat
faute d'une relève
suffisante
.
De nombreux signes avant-coureurs laissent craindre une
fragilisation de la
place du conseil
.
Le Conseil national des barreaux a fait observer lors de son audition qu'il
existait une
inadéquation
entre les
nombreuses offres de
stage
émanant
des cabinets d'avocats
pratiquant le
conseil
et les
trop rares
demandes des élèves
avocats stagiaires
, qui préféraient rechercher un stage dans
les cabinets traditionnels exerçant des activités principalement
juridictionnelles.
En outre, le président du CRFPA de Bordeaux a indiqué que lors de
la formation optionnelle dispensée pendant la formation initiale d'un
an, le
choix des matières
s'effectuait
en faveur du
judiciaire
plutôt que du juridique (droit des sociétés,
droit des procédures collectives).
De plus, il semble que les cabinets d'avocats conseil soient confrontés
à la
concurrence des cabinets de conseil
sur lesquels
pèsent des contraintes moins lourdes en matière de formation et
qui recrutent les jeunes diplômés en droit des affaires, en droit
social et fiscal et les « détournent » de la
profession d'avocat.
Les difficultés de recrutement des cabinets d'avocats conseil
s'expliquent principalement par le
poids de la culture judiciaire
dans
l'évaluation des candidats à l'examen d'entrée au CRFPA,
puis dans le cursus de formation initiale.
En effet,
l'examen d'entrée au CRFPA
, principalement
centré
sur les
matières juridictionnelles et
classiques
, favorise les étudiants ayant suivi une formation en
droit judiciaire privé. Les épreuves actuelles de l'examen
d'entrée découragent donc les futurs spécialistes en droit
des affaires et ne s'adressent qu'aux futurs praticiens du prétoire.
Les
enseignements dispensés
par les CRFPA souffrent d'un
déséquilibre
au détriment du conseil aux
entreprises et de la rédaction d'actes. Le président du CRFPA de
Bordeaux a d'ailleurs reconnu cette
faiblesse
de la formation initiale
des avocats, qui a tendance à
«
cloner
» la profession, et éprouve
des difficultés à s'extirper de la conception traditionnelle du
métier d'avocat.
Ainsi que l'a indiqué le Conseil national des barreaux, les instances
représentatives travaillent actuellement avec la Chancellerie sur la
modification du programme de l'examen d'entrée
143(
*
)
et la création de filières de
pré-spécialisation.
Soucieuse d'éviter
une pénurie des avocats
exerçant
les fonctions de conseil juridique, susceptible d'affaiblir une profession
fortement exposée à une vive concurrence internationale, la
mission estime qu'une
réforme de l'examen d'entrée au CRFPA
et de
la formation dispensée
dans ces centres s'avère
urgente
et
indispensable
pour assurer l'avenir d'une partie de la
profession.
Il convient donc d'adapter le recrutement et la formation initiale des
avocats aux besoins des cabinets d'avocat-conseil
.
La profession d'avocat est devenue
multiple
et
plurielle
. Dix ans
après l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1990,
la question de ses contours
demeure
d'actualité
.
c) Une profession aux contours incertains
Le
débat actuel sur l'intégration des
juristes d'entreprise
au sein de la profession démontre que les contours actuels de la
profession ne sont pas figés et sont appelés à
évoluer.
En l'absence de réglementation professionnelle précise, la
jurisprudence a permis aux juristes d'entreprise d'accéder directement
à la profession d'avocat en étant dispensés des
obligations de formation initiale et du certificat d'aptitude à la
profession d'avocat
144(
*
)
(CAPA). La Cour de
cassation a défini le juriste d'entreprise comme «
celui
qui exerce des fonctions dans un département chargé, au sein
d'une entreprise privée ou publique, de connaître des
problèmes juridiques ou fiscaux se posant à celle-ci, d'y assurer
des fonctions de responsabilité dans l'organisation et le fonctionnement
de l'entreprise
».
Les deux professions se sont donc étroitement rapprochées depuis
quelques années, mais des réticences subsistent chez les avocats.
Les défenseurs de cette intégration font valoir les atouts d'une
telle intégration susceptible d'enrichir le barreau de
compétences supplémentaires dans des domaines
spécialisés tels que la chimie, l'énergie,
l'agroalimentaire ou encore le bâtiment et de moderniser une image
forgée depuis plusieurs siècles.
Une telle question mériterait donc d'être tranchée au sein
des instances représentatives des avocats et en étroite
concertation avec la Chancellerie.
d) La concurrence des professionnels du chiffre
On
rappellera brièvement qu'à côté de l'exercice du
droit « extrajudiciaire » réservé, à
titre principal, à certaines professions juridiques
réglementées
145(
*
)
, parmi
lesquelles figurent les avocats ou des professionnels du droit
spécialisés (commissaires priseurs, administrateurs judiciaires),
la réforme de 1990 a également reconnu, à titre
accessoire, sous certaines conditions, à certains professionnels
n'appartenant pas aux professions judiciaires ou juridiques
réglementées le droit de donner des consultations ou de
rédiger des actes à des personnes.
La réglementation posée par la loi de 1990 repose donc sur la
distinction entre l'exercice du droit extrajudiciaire à titre
principal
146(
*
)
et à titre accessoire.
Ces deux notions ont cependant parfois tendance à se chevaucher.
Les
relations tendues
entre
les avocats et les experts-comptables
constituent le
point le plus aigu de cette crise
, ainsi que l'ont
indiqué les avocats rencontrés par la mission.
La concurrence
avec les professionnels du chiffre est devenue
particulièrement
vive
ces dernières années.
Certains cabinets d'experts-comptables, par une interprétation extensive
de la notion d'accessoire, ont eu tendance à
«
envahir
»
le périmètre du droit
réservé aux avocats à titre principal
. De leur
côté, les avocats se montrent très vigilants quant à
la défense de leurs prérogatives.
Comme l'a fait remarquer un président de chambre de la cour d'appel de
Bordeaux, on observe actuellement une multiplication des actions en
responsabilité contre certains professionnels du chiffre concernant des
conseils dispensés dans le domaine social.
Il semble que les
avocats
demeurent les mieux armés en
matière de conseil et les
experts-comptables
ne respectent pas
rigoureusement
la volonté initiale du législateur et ne
limitent pas leur activité de conseil juridique
au
périmètre qui leur avait été imparti par la loi de
1971 (domaines fiscal et comptable).
e) La nécessité de l'interdisciplinarité
L'interprofessionnalité et le
développement de
réseaux interdisciplinaires
constituent actuellement un des enjeux
principaux de l'évolution des contours de la profession.
La Conférence des bâtonniers, au cours de son audition, a mis en
exergue l'intérêt de la constitution de réseaux
interdisciplinaires (avec des notaires, des experts-comptables...) afin
d'enrichir l'activité de conseil aux entreprises et de rechercher une
plus grande compétitivité.
Le rapport Nallet
147(
*
)
, publié en 1998,
soulignait
l'importance des réseaux interdisciplinaires
. Ce
rapport a pointé les avantages de l'interdisciplinarité qui offre
une
mutualisation
des compétences et des
spécialités susceptible d'améliorer la qualité de
la prestation juridique et permet aux cabinets «
de
lutter
à armes égales
avec leurs véritables
compétiteurs que sont les cabinets anglo-saxons plus encore que les
grands réseaux
».
Ce rapport a néanmoins fait état des
difficultés de
positionnement
de la
profession
face à cet impératif
et a invité en conséquence la Chancellerie et les
ministères concernés à mettre en oeuvre les
réformes permettant une
modernisation
de la profession.
Force est de constater que plusieurs années se sont
écoulées et qu'aucune proposition concrète ne s'est fait
jour, ce que la mission d'information regrette, d'autant plus que
la
concurrence de grands cabinets s'appuyant sur leurs réseaux
internationaux est de plus en plus vive et préoccupante
.
Ce sujet demeure pourtant d'actualité. En effet, la question des
réseaux pluridisciplinaires a conduit la profession d'avocat à
s'interroger sur
le mariage éventuel de professions
réglementées
avec
d'autres
qui ne le sont pas et ne
partagent pas toutes la même déontologie.
En 1998, le
Conseil national des barreaux
, en adoptant l'article 16
du Règlement intérieur harmonisé des barreaux, a
adopté une
position très claire
à ce sujet, en se
prononçant pour
l'incompatibilité
au sein d'un même
réseau disciplinaire
entre les missions de conseil et de
contrôle légal des comptes.
Le
Barreau de Paris
a d'ailleurs
approuvé
cette ligne de
conduite, jugeant souhaitable la séparation des activités d'audit
et de conseil et arguant de la nécessité d'informer les
justiciables ayant recours aux services d'un cabinet membre d'un réseau
des potentiels conflits d'intérêt entre les fonctions de
contrôle et de conseil.
Deux autres organisations professionnelles d'avocats d'affaires (avocats
Conseil en entreprise et Juri-Avenir) ont adopté
une position plus
souple
en signant en décembre 2001 un accord sur l'exercice de la
profession d'avocat au sein des réseaux interdisciplinaires, dans lequel
les professionnels du réseau s'engagent à prévenir leurs
clients de leur appartenance à un réseau, à ne pas
récupérer un client qui aurait été attiré
par un commissaire aux comptes, non plus qu'à évincer l'avocat de
ce client pendant deux ans.
Le règlement intérieur harmonisé a été
contesté devant près de vingt cours d'appel par certains
réseaux (la SELAFA Landwell et Associés, la société
d'avocats Landwell et Partners notamment).
Ce contentieux a donné lieu à
des décisions parfois
contradictoires.
La Cour de cassation, saisie de cette question, doit
rendre une décision dans les jours prochains.
Dans l'attente de cette décision, le Conseil national des barreaux et le
Barreau de Paris se sont réjoui de la récente décision de
la Cour de justice des Communautés européennes du
19 février 2002 (Wouters, Savelbergh, Price Waterhouse
Belastingadviseurs) qui a jugé conforme au traité la
réglementation néerlandaise
interdisant la collaboration
intégrée entre avocats et experts-comptables
148(
*
)
.
Tout en reconnaissant la complémentarité potentielle des
métiers d'avocat et d'expert-comptable, elle a néanmoins
relevé que ce dernier n'était pas soumis à un secret
professionnel comparable à celui de l'avocat et que l'ordre
néerlandais des avocats avait pu considérer que
l'indépendance et le strict secret professionnel de l'avocat pouvaient
être remis en cause.
Il semble donc que la collaboration avec d'autres professions au sein d'un
réseau pluridisciplinaire pose un
vrai risque déontologique
qui ne saurait être sous-estimé.
La mission d'information, soucieuse de favoriser le développement des
réseaux interdisciplinaires, souhaite que la Chancellerie poursuive sa
réflexion en la matière, tout en soulignant la
nécessité d'engager une concertation élargie à
l'ensemble des professionnels concernés, et non pas réduite aux
seuls avocats. La définition de règles pratiques destinées
à garantir l'indépendance de chacun s'avère indispensable.
De même, la question du degré d'incompatibilité entre
professions mérite d'être débattue.
Les contours de la profession sont donc appelés à évoluer
au cours des prochaines années. L'avocat exerce désormais de
multiples activités nouvelles. Face à cette évolution, on
notera avec intérêt la récente initiative conjointe du
Barreau de Paris et de la Conférence des bâtonniers tendant
à mettre en place
une carte d'identité commune à tous
les barreaux
,
destinée à préserver le sentiment
d'appartenance à une même profession.
C. LES DÉFIS DE L'OUVERTURE SUR L'INTERNATIONAL
Le métier d'avocat connaît actuellement de nombreuses transformations sous l'effet de l'intégration de la France dans l'Union européenne et de la mondialisation des échanges, qui imposent un bouleversement de ses règles d'organisation, de son statut et de ses usages.
1. L'ouverture de la profession d'avocat aux ressortissants communautaires
Le droit
communautaire a permis un
élargissement de l'accès à la
profession
d'avocat en France aux ressortissants communautaires, et
partant, un
bouleversement des règles de recrutement
.
En parallèle, les règles communautaires offrent également
de
nouvelles perspectives aux avocats français
qui peuvent
exercer leur profession dans d'autres pays de l'Union européenne.
L'exercice de la profession d'avocat, en France, est donc appelé
à sortir du cadre franco-français, ce qui constitue une
évolution notable, compte tenu du faible nombre d'avocats
français inscrits à un barreau étranger.
L'ouverture de la profession d'avocat aux ressortissants communautaires s'est
effectuée en
trois étapes
:
-
une directive CEE n° 77-249 du 22 mars 1977
tendant
à faciliter l'exercice effectif de la
libre prestation de services
par les avocats
a autorisé ces derniers à donner des
consultations dans tout Etat membre, tant dans le droit de leur pays d'origine,
que dans celui du pays d'accueil.
Cette directive a posé le principe de la
reconnaissance mutuelle des
autorisations d'exercer
. Toutefois, son application a soulevé des
difficultés et n'a pas permis l'exercice permanent de la profession
d'avocat dans un Etat membre autre que celui où la qualification a
été acquise, compte tenu du caractère
occasionnel
conféré à la notion de prestation de services ;
-
une directive CE n° 89-48 du 21 décembre 1988
instituant un
système général de reconnaissance des
diplômes d'enseignement supérieur
sanctionnant des formations
professionnelles postérieures au baccalauréat d'une durée
minimale de trois ans a ouvert aux avocats ressortissants de l'Union
européenne l'accès au barreau d'un Etat membre autre que celui
dans lequel ils sont inscrits.
Cette directive précise qu'en raison de la spécificité des
droits internes, l'Etat d'accueil peut soumettre l'avocat communautaire
à une épreuve d'aptitude ou à l'accomplissement d'un stage
d'adaptation. La plupart des Etats membres, dont la France, ont opté
pour l'épreuve d'aptitude qui s'est apparentée à un
véritable examen, comparable à celui auquel était soumis
l'avocat local. Cette épreuve est devenue un véritable instrument
de
protectionnisme
, et peu d'avocats ont bénéficié
des dispositions de cette directive ;
-
une directive CE n° 98-5 du 16 février 1998
visant à faciliter
l'exercice permanent
de la profession d'avocat
dans un Etat de la Communauté européenne
autre que celui
où la qualification professionnelle a été acquise
a
parachevé cette évolution.
Les avocats se voient désormais offrir la possibilité d'obtenir
leur
inscription au barreau de l'Etat membre
d'accueil sur la seule
justification de leur inscription à un barreau dans leur Etat d'origine.
En l'absence de transposition par la France de cette directive, la cour d'appel
de Pau a, dans un arrêt du 21 mai 2001, fait droit à la demande
d'inscription d'un avocat belge au barreau de Bayonne, observant que la
directive était d'effet direct et applicable depuis le 15 mars 2000,
date d'expiration du délai de transposition.
Un projet de loi a été déposé le 6 mars 2002 sur le
bureau du Sénat
149(
*
)
par Mme Marylise
Lebranchu, alors garde des Sceaux, qui reprend dans ses grandes lignes le
contenu de la directive communautaire.
Ainsi que le souligne l'exposé des motifs de ce texte,
«
pour les 520.000 avocats que compte la Communauté,
cette directive ouvre de nouvelles perspectives qui vont bien au-delà de
la situation qui prévaut aujourd'hui
».
On ne dénombre en effet que 761 avocats inscrits à la fois dans
un barreau français et dans un barreau étranger, soit 2 %
seulement des avocats français. Les avocats communautaires
exerçant en France représentent quant à eux près de
3 % de l'ensemble (475 au total).
Ce texte semble faire l'objet d'un
consensus
de la part des instances
représentatives des avocats, conscientes de la nécessité
d'adapter la profession aux exigences communautaires.
Parallèlement à cette intégration, il convient de
souligner les efforts accomplis par le Barreau de Paris
150(
*
)
pour aider les cabinets d'origine française
à se développer hors de nos frontières.
Me Paul-Albert Iweins a souligné la nécessité de
sensibiliser
le ministère des finances et le ministère
des affaires étrangères aux impératifs de l'expansion
internationale des professionnels du droit, afin d'assurer le rayonnement du
droit français dans l'Union européenne
.
2. L'influence du droit communautaire sur le secret professionnel de l'avocat
Si le
droit communautaire est susceptible d'enrichir l'exercice de la profession
d'avocat, il peut en revanche affecter certaines règles essentielles de
la profession parmi lesquelles figurent le
secret
professionnel
151(
*
)
et la
confidentialité
s'imposant à l'avocat tant en
matière judiciaire que dans le domaine du conseil.
Ce
principe ancien
apparaît fragilisé par les nouvelles
dispositions de la directive contre le blanchiment CE n° 2001-97 du
4 décembre 2001 modifiant la directive CEE n° 91-308
relative à la prévention de l'utilisation du système
financier aux fins de blanchiment de capitaux.
Cette directive donne aux Etats membres la possibilité d'imposer aux
avocats une
obligation d'information
en matière de blanchiment.
Ils pourraient être désormais assujettis à une
déclaration des soupçons qu'ils auraient à l'égard
de leurs clients. Ce dispositif a suscité de vives inquiétudes au
sein de la profession, qui craint une perte d'indépendance de l'avocat
à l'égard de l'Etat et au préjudice de son client.
La directive permet également aux Etats membres, pour certaines
professions réglementées, de créer «
un
organe d'autorégulation approprié à la profession
concernée
» susceptible de recevoir des informations sur
d'éventuelles affaires de blanchiment.
Le Conseil national des barreaux a jugé inutile la création d'un
tel organisme en l'état actuel de la législation
française, estimant qu'«
une déontologie exigeante
sanctionnée par les ordres et le contrôle exercé par les
caisses de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) sur le
maniement de fonds des avocats français permettent l'absence
d'engagement des avocats dans des opérations de blanchiment et plaident
en faveur de la
préservation du caractère
absolu de
leur secret professionnel
».
Il semble donc que la majorité des membres de la profession soit
attachée au
maintien du secret professionnel
et juge le
système de contrôle des fonds par l'intermédiaire des CARPA
suffisamment rigoureux et efficace pour lutter contre le blanchiment
152(
*
)
.
Ainsi, les avocats ne peuvent se tenir à l'écart des influences
du droit communautaire et sont contraints de s'adapter à des exigences
nouvelles dont ils peuvent à la fois tirer les bénéfices
et subir les contraintes.
D. UN RECRUTEMENT ET UNE FORMATION À PARFAIRE
La
mission a souhaité porter une attention particulière à la
question du
recrutement
et de la
formation
qui lui est apparue
déterminante pour le devenir des futurs avocats.
En outre, l'institution récente du Conseil national des barreaux, qui
dispose d'un véritable
rôle de direction
en matière
de formation professionnelle
153(
*
)
et dont
l'autorité est reconnue par tous en ce domaine, a permis de donner un
nouvel élan à ce sujet crucial.
Celui-ci a en effet accompli un travail important pour
l'harmonisation des
programmes et les
modalités de la formation dispensée dans
les Centres régionaux de formation professionnelle des avocats (CRFPA)
et durant le stage
. Le Conseil national des barreaux a également
activement participé à l'élaboration des programmes et des
modalités de l'examen d'entrée aux CRFPA et au CAPA.
En dépit des efforts accomplis, force est de constater que le
système actuel de recrutement et de formation révèle
quelques
faiblesses
auxquelles il conviendrait de remédier.
1. Les critiques adressées au mode de recrutement et à la formation initiale
A titre
liminaire et avant même d'aborder les critiques qui ont été
exprimées, il convient de rappeler brièvement le mécanisme
actuel de recrutement des avocats et les grandes étapes de leur
formation initiale.
L'accès aux CRFPA
est conditionné à l'obtention
d'un
diplôme du niveau de la maîtrise en droit
ou d'un
diplôme équivalent, et à
la réussite à un
examen d'entrée
organisé par l'Université
154(
*
)
.
Cet examen permet de sélectionner les candidats qui entrent ensuite au
CRFPA, celui-ci assurant leur formation pendant une période de
douze
mois
, en alternant des périodes d'enseignement et de stages
pratiques préparatoires
155(
*
)
.
L'élève avocat, à l'issue de cette année de
formation, doit subir un examen, le certificat d'aptitude à la
profession d'avocat (CAPA), organisé par le CRFPA
156(
*
)
.
Après sa réussite au CAPA, l'élève avocat doit,
préalablement à son inscription à un barreau, accomplir
un stage d'une durée de deux ans
, pendant lequel il sera inscrit
sur la liste de stage. A l'issue de ce stage, le CRFPA délivre un
certificat de fin de stage.
a) Une nécessaire réflexion à mener en amont de la formation initiale des avocats sur le rôle de l'Université et des Instituts d'études judiciaires
L'Université dispense essentiellement un enseignement
théorique.
Le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers
se sont déclarés satisfaits du partenariat avec
l'Université. Toutefois, comme cela a déjà pu être
souligné à propos des magistrats (
voir supra
), la place
des droits international et communautaire au sein des programmes d'enseignement
nationaux paraît
insuffisante
et mériterait d'être
développée, surtout au cours des premières années
passées à l'Université.
Il paraît d'ailleurs d'autant plus indispensable de renforcer les
enseignements que les CRFPA ne dispensent pas de formation théorique
générale en droit communautaire
157(
*
)
.
Au cours de sa visite du CRFPA de Bordeaux, magistrats et avocats ont
signalé les difficultés actuelles auxquelles devaient faire face
les Instituts d'études judiciaires, à l'exception notable de
celui Paris, qui «
ne remplissent plus leur office
»
et ne paraissent pas en mesure de remplir la double mission qui leur a
été assignée, d'une part, préparer les futurs
auditeurs de justice et avocats au concours d'entrée dans la
magistrature et à l'examen d'entrée au CRFPA et, d'autre part,
assurer leur formation.
La fuite des étudiants vers les préparations privées
observée depuis quelques années révèle que les
Instituts d'études judiciaires ne sont désormais plus en mesure
d'assurer pleinement la préparation aux concours.
Une réflexion doit donc être menée afin de
revaloriser
leur rôle
en matière de préparation aux concours, afin
qu'ils puissent trouver toute leur place
au sein du cursus de formation des
avocats
.
b) L'inadaptation de la formation initiale aux besoins des professionnels
Sans
revenir sur la nécessité de diversifier l'examen d'entrée
au CRFPA aux différents cursus universitaires afin d'élargir le
mode de recrutement et le profil de candidats retenus
158(
*
)
,
le principal reproche
adressé
à la formation dispensée par les CRFPA réside dans son
insuffisante démarcation à l'égard de l'enseignement de
l'Université.
Ainsi que l'a souligné le Conseil national des
barreaux, «
la formation reste
trop
théorique
». Une place plus grande devrait
être donnée à la pratique.
De plus, le
taux d'absorption
par le barreau des
élèves-stagiaires semble avoir
atteint ses limites
, comme
l'a signalé un certain nombre d'avocats rencontrés par la
mission. Le président du CRFPA de Bordeaux a d'ailleurs illustré
cette situation en indiquant que 7 élèves sur 143
n'étaient toujours pas parvenus à obtenir leur stage de deux ans
en cabinet d'avocats compte tenu des capacités d'accueil limitées
offertes par ce barreau.
Un décret du 17 octobre 1995 avait pourtant cherché à
remédier à cette difficulté en assouplissant les
modalités d'accomplissement du stage, qui peut désormais
être effectué à mi-temps moyennant un doublement de sa
durée. Toutefois, la disponibilité des maîtres de stage ne
semble pas s'améliorer en raison de la
croissance continue du nombre
d'élèves avocats-stagiaires
(en augmentation de près
de 10 % entre 2000 et 2001)
159(
*
)
.
Afin de répondre à l'ensemble de ces critiques,
récurrentes et émanant de l'ensemble de la profession, le Conseil
national des barreaux a, depuis 1995, mené un
travail de
réflexion
qui devrait «
permettre d'engager une
réforme en profondeur
»
160(
*
)
, selon sa propre expression.
Ses propositions s'articulent autour de deux axes principaux :
- un
allongement de douze à dix-huit mois
de la formation
initiale dispensée par les CRFPA, qui deviendrait une
formation en
alternance
ponctuée de stages d'insertion professionnelle en
cabinets d'avocats et d'enseignements théoriques. Il s'agit comme l'a
fait remarquer le Conseil national des barreaux de
« professionnaliser la formation » ;
- la
suppression du stage de deux ans en cabinet d'avocats
qui
constitue une charge lourde pour la profession qui considère qu'à
l'instar de la plupart des programmes de formation professionnelle, l'Etat
devrait prendre en charge financièrement ce stage, au moins
partiellement.
La mission partage la préoccupation des avocats de
professionnalisation de leur formation initiale par le biais de sa
transformation en formation en alternance.
Les CRFPA ont pour mission principale d'assurer la formation des futurs avocats
en le préparant au CAPA
161(
*
)
. Le
président du CRFPA a expliqué que le fonctionnement des centres
de formation reposait sur la collaboration des avocats, des magistrats et des
enseignants provenant de l'Université.
En principe, il existe un CRFPA au sein de chaque cour d'appel mais des
regroupements sont possibles par décision du conseil d'administration.
Actuellement, la formation est éclatée en
22 CRFPA
.
L'ensemble des avocats entendus par la mission a fait état de
disparités dans la qualité de l'enseignement dispensé
par les CRFPA
.
Un
consensus
s'est dégagé au sein de la profession sur la
nécessité de regrouper ces centres sous l'égide du
Conseil national des barreaux.
Certains regroupements sont d'ores et déjà programmés,
notamment entre les centres de Bordeaux, Toulouse et Pau entre ceux de Lyon,
Grenoble et Chambéry et ceux de Rennes et Caen, ainsi qu'en Alsace.
L'objectif de ces regroupements est de
réduire de 22 à 10
le nombre total de centres, ce qui libérerait les barreaux d'une charge
financière.
Le président du CRFPA de Bordeaux a cependant souligné qu'il
s'agissait moins de parvenir à des économies d'échelle par
une diminution des coûts que
d'améliorer la qualité de
la formation
en regroupant les meilleurs enseignants.
En outre, il a fait valoir que si le CRFPA de Bordeaux tenait une
comptabilité rigoureuse, tel n'était pas le cas d'autres CRFPA,
où «
la gestion des comptes s'avère plus
aléatoire »
.
L'exemple du regroupement entre Bordeaux, Toulouse et Pau illustre ces
difficultés.
Actuellement, le centre de Pau, qui compte 15 élèves, ne
dispose pas des moyens pédagogiques et humains des CRFPA de Bordeaux et
de Toulouse, qui forment chacun une cinquantaine d'élèves.
Une
commission mixte
entre les trois CRFPA et les trois ordres de chaque
barreau a été créée afin de faciliter ce
regroupement.
La mission d'information se félicite d'une telle démarche
initiée par le Conseil national des barreaux et l'ensemble des barreaux
et
note avec satisfaction les efforts entrepris par la profession
pour
offrir aux futurs avocats une formation de
haut niveau
leur permettant
d'affronter la concurrence internationale.
2. Une réforme souhaitée de la formation continue
La
formation continue, régie par l'article 85 du décret
n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession
d'avocat, est assurée par les CRFPA qui organisent chaque année
une ou plusieurs sessions de formation destinées aux avocats inscrits au
tableau des barreaux de leur ressort.
La
fréquentation
comme la
qualité
de ces sessions
s'avèrent très
inégales
.
L'entrée en vigueur des lois nouvelles, et plus
généralement l'évolution constante de la
législation et de la jurisprudence imposent aux avocats d'accomplir un
travail de veille permanent
.
Cet impératif paraît d'autant plus fort face à la
concurrence accrue et à l'ouverture internationale. Dans un tel
contexte, la
formation permanente
constitue
un élément
désormais incontournable du métier d'avocat
.
Chacun pressent en effet qu'une vie professionnelle ne saurait se limiter
à suivre un
parcours linéaire
dans une pratique
routinière. L'ensemble des avocats entendus par la mission s'est donc
prononcé en faveur de l'institution d'une
formation continue
obligatoire
.
Le président du CRFPA de Bordeaux a émis l'idée qu'elle
puisse être sanctionnée par un examen.
Soucieuse de permettre l'adaptation de l'avocat aux exigences modernes de
compétitivité et de diversification de ses activités, la
mission souhaite qu'une
réforme de la formation continue
aboutisse le plus rapidement possible.
S'agissant d'une compétence relevant du domaine réglementaire,
elle ne peut qu'inviter la Chancellerie à agir en concertation avec les
professionnels concernés.
En outre, comme l'a fort justement relevé le Conseil national des
barreaux, une telle réforme ne saurait faire l'économie des
moyens qu'il conviendrait d'allouer aux CRFPA, «
qui ne sauraient
reposer intégralement sur la profession »
.
3. Le désengagement progressif de l'Etat du financement de la formation professionnelle initiale et continue
Jusqu'en
1991, le financement de la formation professionnelle des avocats était
assuré par deux ressources principales suffisantes pour couvrir les
besoins de financement des centres : une contribution de la profession,
une autre de l'Etat.
La réforme du 30 décembre 1991 précitée
fusionnant la profession d'avocat et de conseil juridique au sein de la
nouvelle profession d'avocat a entraîné une augmentation des
effectifs, qui n'a pas été suivie d'une augmentation
proportionnelle de la dotation de l'Etat, en dépit de l'alourdissement
des charges pesant sur les CRFPA.
Ces derniers ont donc été conduits à
diversifier leurs
sources de financement
, notamment par la perception de droits mis à
la charge des élèves.
Actuellement, la part respective de ces trois principales sources de
financement s'élève à :
- 15 % s'agissant de la dotation budgétaire de l'Etat ;
- 20 % pour la contribution mise à la charge des
élèves
162(
*
)
;
- 60 % en ce qui concerne la contribution des avocats.
Pour le Conseil national des barreaux, le principe de parité qui
prévalait à l'origine est en pratique désormais
«
bafoué
». En effet, le coût global de
la formation s'élève environ à 60 millions de francs
et l'Etat ne verse actuellement que 1,9 million d'euros
163(
*
)
(12,7 millions de francs).
La loi de finances pour 2002 a pérennisé ces modalités de
financement en leur attribuant un cadre légal
164(
*
)
, sans pour autant que l'Etat s'engage à
accroître sa participation financière.
Un décret n° 2002-534 du 6 mars 2002 a
précisé le régime de la contribution des
avocats
165(
*
)
.
Notons que ce décret a été élaboré par la
Chancellerie en étroite concertation avec le Conseil national des
barreaux.
Il n'en demeure pas moins qu'en dépit de la clarification des modes de
financement ayant résulté de la loi de finances pour 2002, la
profession,
contributeur essentiel de la formation professionnelle
,
supporte
une lourde charge qu'elle juge difficilement acceptable
.
La cotisation moyenne par avocat pour la formation (285 euros par an, soit
1.871 francs) est élevée. Le Conseil national des barreaux a
vivement
regretté
le désengagement progressif de l'Etat
dans ce dossier et souhaité une plus grande
implication
financière des pouvoirs publics
dans un domaine aussi crucial.
Depuis la réforme du 31 décembre 1990, nombreux sont donc
les défis que doit relever la nouvelle profession d'avocat.
Force est de constater que si certaines évolutions ont été
subies et inquiètent les avocats, d'autres sont néanmoins
vécues comme autant de
chances de modernisation
.
E. DES RELATIONS ENTRE LES MAGISTRATS ET LES AVOCATS OSCILLANT ENTRE L'INDIFFÉRENCE ET LE CONFLIT
La
mission n'a pas souhaité aborder le thème de l'évolution
des métiers de la justice en limitant son champ d'investigation aux
seules difficultés éprouvées par chaque catégorie
de professionnels. En effet, les acteurs qui gravitent autour et au sein de
l'institution judiciaire n'exercent pas leur métier
indépendamment les uns des autres
.
La mission s'est donc intéressée aux
interactions
et
à la nature des relations que tissent ces professionnels entre eux.
A cette occasion, il est apparu que le malaise et le découragement
observés au sein de chaque catégorie de professionnels
étaient également perceptibles à travers leurs relations.
Les magistrats et les auxiliaires de justice se sont toujours efforcés
de collaborer et d'entretenir des rapports cordiaux. Cette situation a
perduré dans de nombreuses juridictions, ainsi qu'a pu le confirmer Mme
Entiope, présidente du tribunal de grande instance de Marseille. Pour
autant, la mission n'a pu ignorer le constat dressé par un grand nombre
de magistrats et d'avocats d'une certaine dégradation du climat
liée à une méconnaissance réciproque et à
des antagonismes marqués.
1. Une méconnaissance réciproque des professionnels du droit
a) L'absence de culture commune
Au
Royaume-Uni, il existe des liens forts entre les avocats et les magistrats, ces
derniers étant principalement recrutés parmi des juristes
expérimentés. Ces métiers se chevauchent et sont souvent
exercés par les mêmes personnes.
Tel n'est pas le cas en France où il existe peu de passerelles entre les
fonctions de magistrat et d'avocat
166(
*
)
. De
même, le recrutement et la formation relèvent de filières
distinctes et étanches.
Il est toutefois à noter qu'avant la réforme de 1958 ayant
créé l'ENM, la situation était différente puisque
magistrats et avocats bénéficiaient d'un enseignement commun
avant d'intégrer leurs fonctions.
Le magistrat délégué à la formation entendu par la
mission au cours de son déplacement à Bordeaux a regretté
la
brièveté du stage en juridiction
effectué par
les élèves avocats
167(
*
)
, qui ne
permettait pas à ces derniers de comprendre le milieu des magistrats.
En parallèle, un délégué de la promotion des
auditeurs de justice 2000 a jugé
trop court
le
stage
avocat
168(
*
)
accompli durant la
scolarité à l'Ecole nationale de la magistrature. Il a
expliqué qu'une telle durée ne permettait pas de suivre le
véritable cheminement d'un dossier, non plus que d'aborder l'ensemble du
contentieux traité par le cabinet d'avocats.
Comme l'a confié un magistrat entendu par la mission, ce stage, qui
intervient en fin de parcours et juste avant l'examen de sortie, est parfois
« négligé » ou du moins parfois accompli par
les auditeurs de justice avec une rigueur moins grande que le stage en
juridiction.
Plusieurs interlocuteurs rencontrés par la mission ont souligné
que les jeunes générations de magistrats et d'avocats
«
ne se connaissaient plus, ce qui ne facilitait pas le dialogue
entre eux
». L'augmentation du nombre d'avocats au sein d'un
même barreau a d'ailleurs souvent été avancée comme
le principal facteur d'explication de ce phénomène.
Il semble donc que les professionnels exercent leur métier de
manière cloisonnée
sans chercher à nouer des liens
ni à connaître les métiers qui les entourent. L'opinion
d'un autre délégué de la même promotion d'auditeurs
est à cet égard significative, ce dernier ayant, contrairement
à son collègue, jugé ce stage trop long après avoir
considéré qu'un mois était suffisant pour
appréhender le fonctionnement d'un cabinet d'avocats dans ses grandes
lignes.
Un magistrat délégué à la formation a mis en garde
contre le danger que les formations séparées dispensées
à l'Ecole nationale de la magistrature, d'un côté, et dans
les CRFPA, de l'autre, favorisent
l'émergence de deux cultures
spécifiques qui s'ignorent
, voire qui se désignent
mutuellement comme ennemies.
Il s'est d'ailleurs inquiété du regard de certains auditeurs de
justice sur la profession d'avocat, principalement considérée
comme «
un obstacle à la
vérité
».
Comme l'a confirmé la Conférence des bâtonniers,
«
en dehors des cas personnels, les avocats et les magistrats ne
se parlent pas
. »
Le président du CRFPA de Bordeaux a illustré
la
méconnaissance par les magistrats des réalités de la
profession d'avocat
en citant l'exemple de l'interprétation de
l'article 700 du nouveau code de procédure civile permettant de
mettre à la charge de la partie adverse tout ou partie des frais
exposés, et non compris dans les dépens. Le montant des frais
fixés par le juge est souvent très inférieur au montant
réel des honoraires, ce qui témoigne de la difficulté des
magistrats à appréhender les impératifs économiques
imposés aux avocats.
Afin de remédier à cette situation, de nombreux interlocuteurs,
à l'exception notable du Barreau de Paris, se sont prononcés en
faveur de l'instauration d'
un tronc commun de formation
.
La mission, soucieuse de favoriser une meilleure connaissance
réciproque des différents milieux professionnels, a donc
jugé souhaitable la mise en place d'un tronc commun de formation entre
les élèves avocats et les auditeurs de justice au cours de leur
scolarité, ainsi que l'allongement des stages pratiques effectués
tant par les avocats dans les juridictions que par les auditeurs dans les
cabinets d'avocats.
Afin d'éviter un allongement de la scolarité à l'Ecole
nationale de la magistrature, il pourrait être envisagé de
supprimer le stage extérieur de dix semaines. De plus, la mission tient
également à inviter les instances représentatives
d'avocats et la Chancellerie à intégrer ce tronc commun de
formation au nouveau dispositif de formation des avocats actuellement en cours
d'élaboration.
En outre, la mission estime qu'un renforcement des formations continues
croisées entre les avocats et les magistrats s'avère
également indispensable.
Un rapprochement des CRFPA avec l'Ecole nationale de la magistrature devrait
également permettre de renforcer ce mouvement en faveur d'une culture
commune. Il convient également de relever une intéressante
proposition du Conseil national des barreaux qui suggère que le
magistrat délégué à la formation placé
auprès de la cour d'appel soit désigné
systématiquement comme membre du conseil d'administration du CRFPA.
Il convient donc avant tout de renforcer le dialogue entre ces deux
professions.
b) La nécessité d'institutionnaliser les relations entre les magistrats et les avocats
La
mission a, au cours de ses déplacements, pu constater que lorsque des
commissions tripartites réunissant régulièrement les chefs
de juridiction ou de cour et le bâtonnier de l'ordre des avocats
étaient mises en place, rares étaient les tensions entre ces deux
professions. Les interlocuteurs rencontrés par la mission ont d'ailleurs
relevé l'intérêt d'établir des relations
régulières souvent suffisantes pour dénouer certains
problèmes.
M. André Ride, président de la Conférence
nationale des procureurs généraux, a cité le cas de Lille
où une réunion tripartite réunissait chaque semaine le
président, le procureur et le bâtonnier, et avait permis de
remédier aux tensions entre ces deux professions.
Force est de constater que dans la pratique, de nombreuses juridictions s'en
remettent aux simples rapports de confiance et d'estime qui les unissent aux
bâtonniers, ce qui ne permet pas toujours un suivi adéquat des
relations entre professionnels au sein de la communauté judiciaire.
M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services
judiciaires, a fait état de cette situation devant la mission en
relevant qu'il n'y avait «
peut-être pas suffisamment de
contacts institutionnels, c'est-à-dire de rencontres de travail entre le
palais et le barreau
».
L'institutionnalisation d'une concertation systématique entre les
chefs de juridiction et le bâtonnier pourrait favoriser la
résolution de difficultés mineures entre les deux professions et
éviter qu'elles ne deviennent des sources de tension
préjudiciables au bon fonctionnement des juridictions.
2. Des antagonismes marqués
Au-delà de la simple indifférence qui semble s'installer entre ces deux professions, la mission a pu constater l'existence d'antagonismes marqués.
a) Les critiques des magistrats à l'égard du comportement de certains avocats
Certains
magistrats entendus par la mission ont fait état d'un
changement
d'état d'esprit
chez les
avocats les plus jeunes
.
Ainsi un chef de juridiction écrit-il : «
l'on avait
coutume de dire qu'aucune procédure ne pourrait prospérer sans
respect des usages du palais, de la courtoisie entre gens de robe, de la
confraternité entre avocats, du respect mutuel des fonctions de chacun.
Si tel est toujours le cas avec les représentants de l'ordre des
avocats, dans les prétoires, les dernières évolutions
mettent parfois à mal cette conception
».
De même, M. André Ride, président de la Conférence
nationale des procureurs généraux, a confirmé à la
mission cette
détérioration des relations entre les magistrats
et les avocats
: «
nous, procureurs
généraux, constatons qu'il existe un réel problème.
Nous sommes en effet chargés de la discipline des avocats et des
auxiliaires de justice d'une manière générale. Nous
recevons des juridictions des informations selon lesquelles des tensions sont
nées entre magistrats et avocats. Elles ont toujours existé, mais
étaient autrefois atténuées par une courtoisie naturelle
[...]. On peut en effet observer deux types de comportements : des
comportements agressifs
-je n'hésite pas à employer le
terme- à l'audience à l'égard du ministère public
et des comportements
moins loyaux
que ce à quoi l'on pourrait
s'attendre de la part des avocats vis à vis des magistrats du
siège
».
Cette situation s'explique en partie par la précarité
économique et financière qui frappe certains avocats et qui les
conduit ainsi à radicaliser leur attitude à l'égard des
magistrats et à perdre la distance que l'on pourrait attendre de la part
d'un avocat à l'égard de son client.
De nombreux magistrats reprochent également aux avocats certains
manquements déontologiques
, qui s'illustrent à travers la
multiplicité des actes de procédure parfois inutiles
.
Là encore, les difficultés économiques
éprouvées par certains avocats qui, pour survivre,
«
poussent à l'acte
» constituent le
principal facteur d'explication. « Faire de la procédure pour
faire de la procédure » tend à devenir une
pratique
de plus en plus répandue
. La défense est devenue un
marché très concurrentiel
compte tenu de l'augmentation de
la demande de droit et du nombre des avocats.
Ainsi que le souligne un chef de juridiction, «
les incidents de
procédure provoqués à dessein, les prises à partie
personnelles, dans la presse ou à l'audience, sont de plus en plus mal
vécus par les magistrats visés.
»
Un tel constat a amené la mission à se poser une nouvelle fois la
question d'une éventuelle limitation du nombre des avocats et de
l'opportunité d'instaurer un tarif afin de remédier à des
dérives qui trouvent leurs sources dans des difficultés
économiques.
Une autre critique adressée aux avocats par les magistrats a
également porté sur
leur manque de fiabilité
. Ainsi
que l'a regretté M. André Ride, «
lorsqu'un avocat
cite un arrêt, nous ne devrions pas à avoir à envisager de
vérifier la réalité de cet arrêt. Si un avocat l'a
inscrit, mentionné dans son dossier, c'est qu'il doit être
vrai.
»
Une telle description ne saurait laisser indifférent. Le raidissement
des relations magistrat-avocat est une réalité. Il paraît
donc indispensable que les principaux responsables de chaque profession
à l'échelon local ou national
veillent à restaurer un
climat de confiance réciproque
afin d'éviter une dislocation
de la communauté judiciaire préjudiciable au bon fonctionnement
de la justice.
b) Des avocats en proie à l'indifférence des magistrats
En
écho aux appréciations sévères adressées aux
avocats, les magistrats ont eux-même été sous les feux de
critiques.
Un certain nombre d'avocats a en effet imputé aux magistrats certaines
des difficultés rencontrées dans l'exercice de leur profession.
La Conférence des bâtonniers estime que «
de trop
nombreux magistrats considèrent les avocats avec hostilité et
développent à leur encontre une attitude
discourtoise
».
En outre, les avocats se plaignent d'être
insuffisamment
associés à la vie de la juridiction
. L'organisation des
audiences fait figure de principale accusée et nuit à la
qualité du travail de l'avocat : tous les justiciables sont
convoqués à la même heure et sont condamnés à
attendre leur tour en compagnie de leur avocat qui ne peut dès lors
assister à d'autre audiences ou même travailler ses dossiers.
La Conférence des bâtonniers a mis en lumière la
difficulté
d'évaluer le travail de l'avocat
dans le cadre
de
son activité judiciaire
compte tenu des principes
séculaires d'organisation prévalant dans les juridictions.
Cette situation a abouti à la multiplication des demandes de renvoi, un
tiers des renvois étant imputable aux barreaux d'après la
Chancellerie.
Quelques pistes intéressantes ont été
suggérées et la mission souhaiterait les voir
généralisées à l'ensemble des juridictions,
notamment :
- la mise en place de contrats de procédure entre les barreaux et
la juridiction afin de raccourcir les délais de traitement ;
- le remplacement de la plaidoirie en matière civile au profit
d'une
procédure plus interactive, plus sobre et moins longue
. Un
magistrat de la cour d'appel de Bordeaux a jugé très positif le
déroulement de certaines audiences civiles sous forme de
questions-réponses.
Une simplification du déroulement des audiences civiles s'avère
indispensable pour renforcer la qualité de la justice. Pourrait
être envisagée l'instauration d'une
procédure nouvelle
prévoyant la
remise d'observations écrites
par
l'avocat quelques jours avant l'audience, d'une part, et une
limitation du
temps de parole de l'avocat
169(
*
)
, d'autre
part.
A l'audience, ne seraient évoqués que les points essentiels du
dossier accompagnés d'explications techniques. Cette réforme a
été instituée en Allemagne, de même qu'elle a
été mise en place au tribunal de commerce de Paris. Elle semble
produire des résultats satisfaisants.
Les avocats entendus par la mission se sont déclarés prêts
à se livrer à cet exercice tout en soulignant qu'il impliquerait
des efforts tant de la part des magistrats, placés dans l'obligation de
connaître préalablement le contenu du dossier, que de la part des
avocats, assujettis à des exigences nouvelles
;
- un renouvellement de la procédure de la mise en état en
matière civile, qui reste actuellement cantonnée à des
questions purement administratives et pourrait être l'occasion d'un
échange sur le fond entre les auxiliaires de justice et les
magistrats ;
- l'institution d'une mise en état sommaire en matière
pénale
170(
*
)
, qui permettrait
d'améliorer l'audiencement des affaires et d'officialiser les
conférences d'audiencement pénal informelles réunissant
à la fois les magistrats (du siège et du parquet), les greffiers,
les avocats, et destinées à organiser les temps d'audience, les
heures de citation et la durée prévisible des audiences.
L'ensemble de ces suggestions a conduit la mission à
préconiser une meilleure association des avocats à l'organisation
de la juridiction et au bon déroulement des procédures par le
biais d'une simplification et d'une rationalisation du déroulement des
audiences tant civiles que pénales.
Le constat d'une évidente dégradation des relations, accrue sans
doute par le manque de moyens affectant les juridictions, n'est toutefois pas
majoritaire.
Il apparaît néanmoins
urgent
d'éviter une
aggravation de la situation
et d'initier les réformes
nécessaires à la
restauration d'un esprit de courtoisie
et
plus encore, d'un
climat de confiance,
qui doivent prévaloir dans
les relations entre les différents acteurs de la justice.
II. LES ATTENTES D'AUTRES AUXILIAIRES DE JUSTICE
La
mission d'information a également souhaité prendre la mesure de
l'évolution des métiers de diverses professions qui, à
l'instar des avocats, apportent un concours essentiel au bon fonctionnement de
la justice.
Elle a ainsi rencontré, au Sénat et lors de ses
déplacements à Bordeaux et Dijon, des représentants des
avoués près les cours d'appel, des avocats au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation, des notaires, des huissiers de justice et des
experts judiciaires.
Les difficultés et les défis auxquels sont confrontés ces
professions se rejoignent, qu'ils concernent le montant de leur
rémunération, souvent tarifé, les mutations
imposées par la construction européenne et la concurrence
internationale ou encore le recours aux nouvelles technologies de
l'information.
A. DES AVOUÉS DE COUR D'APPEL ET DES AVOCATS AU CONSEIL D'ÉTAT ET À LA COUR DE CASSATION AU RÔLE APPRÉCIÉ
Les
avoués près les cours d'appel et les avocats au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation forment des ordres distincts de ceux des avocats
des barreaux en raison des spécificités des techniques
applicables devant leurs juridictions.
Peu nombreux, ils sont bien connus des magistrats qui apprécient leur
disponibilité et leur compétence. Telles sont les raisons pour
lesquelles ils ne nourrissent pas d'inquiétude particulière, si
ce n'est à l'égard des conditions de mise en oeuvre de l'aide
juridictionnelle.
1. Les avoués près les cours d'appel : une profession reconnue
Les
avoués près les cours d'appel sont des officiers
ministériels dont le statut est fixé par l'ordonnance
n° 45-2591 du 2 novembre 1945, complétée par un
décret n° 45-118 du 19 décembre 1945.
Au nombre de
415
, ils sont regroupés en 235 charges employant
environ 2.400 salariés. Comme les avocats, ils peuvent créer des
sociétés civiles professionnelles, constituer des
sociétés d'exercice libéral ou encore former entre eux des
sociétés d'avoués
171(
*
)
.
Chaque office compte en moyenne deux collaborateurs. Ainsi, le nombre des
juristes au sein des offices d'avoués est sensiblement égal
à celui des magistrats des cours d'appel.
La compagnie des avoués est organisée en
chambres
régionales
, chargées essentiellement de la discipline de
leurs membres au niveau de chaque cour d'appel. Une
chambre nationale
,
composée de délégués des chambres
régionales, a pour fonction essentielle d'être le porte-parole de
la profession auprès des pouvoirs publics.
a) Une profession ancienne
La
scission entre les professions d'avocat et d'avoué remonte
au XVème siècle. Les premiers se chargèrent
d'assurer la défense orale de leurs clients, tandis que les seconds,
appelés
procureurs
, se virent confier le soin de les
représenter dans l'accomplissement des actes écrits de la
procédure
172(
*
)
, ou postulation.
Les avoués furent eux-mêmes longtemps divisés en deux
catégories : les avoués de première instance et les
avoués d'appel. La loi n° 71-1130 du 31 décembre
1971 a provoqué la
fusion des professions d'avocat et d'avoué
près les tribunaux de grande instance
.
Devant les cours d'appel
, la
dualité subsiste
:
l'avocat peut assister son client par ses conseils et la plaidoirie mais, en
principe, il ne peut accomplir les actes de la procédure au nom de
celui-ci. En règle générale, la représentation est
le monopole exclusif de l'avoué à la cour mais la
représentation n'est pas toujours obligatoire, en particulier dans le
domaine social.
L'avoué accomplit les actes nécessaires à la conduite du
procès, au nom et pour le compte de son client.
Sa
compétence
est
limitée au ressort de la cour
d'appel
auprès de laquelle il a été institué
pour exercer son ministère
173(
*
)
.
Au fil des ans, la profession est parvenue à affirmer son existence. Les
avoués près les cours d'appel ont su se rendre essentiels aux
yeux des premiers présidents, des procureurs généraux et
des magistrats par leur
disponibilité
et leur
compétence
.
En premier lieu, la procédure impose des contacts fréquents entre
les magistrats et les mandataires. Si la profession d'avoué venait
à être supprimée, l'éloignement géographique
de la cour d'appel contraindrait un avocat exerçant ses fonctions
auprès d'un tribunal éloigné d'avoir sur place un
correspondant qui tiendrait lieu d'avoué. Quant aux magistrats, ils
semblent satisfaits de disposer d'un nombre restreint d'interlocuteurs avec
lesquels ils peuvent établir des relations de confiance.
En second lieu, l'idée s'est répandue d'une nécessaire
spécialisation dans la technique de l'appel, comparable à celle
qui justifie l'existence des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de
cassation.
Les premiers présidents de cour d'appel préconisent d'ailleurs de
rendre obligatoire la représentation devant la chambre sociale de la
cour. En effet, faute de mise en état, les dossiers ne peuvent
être rapidement examinés par les magistrats et sont la plupart du
temps rejetés. Selon Me Jean-Pierre Garnerie, président de
la Chambre nationale des avoués près les cours d'appel, seuls
quatre dossiers sur trente seraient, en moyenne, retenus par les chambres
sociales.
b) Le développement de la formation
La
Chambre nationale des avoués s'efforce d'améliorer la
formation
de ses membres et de leurs collaborateurs.
Pour accéder à la profession d'avoué, il faut être
français ou ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne,
être titulaire d'une maîtrise en droit, avoir accompli un stage de
formation professionnelle de deux ans et avoir subi avec succès un
examen d'aptitude professionnelle. Il faut en outre
«
être admis par l'assemblée générale
des magistrats du siège de la cour d'appel ou par le premier
président de la cour d'appel après consultation des magistrats du
siège
174(
*
)
. »
Jugeant ces conditions insuffisantes, les avoués ont
décidé, il y a vingt-cinq ans, la création d'un
centre
de formation
et ont noué un
partenariat
avec
l'Université Paris II
. Ils ont ainsi obtenu la création
d'un diplôme de DSUP, puis d'un DESS «
droit et pratique du
procès en appel
», permettant à leurs
collaborateurs juristes de suivre une formation professionnelle dans le cadre
de l'apprentissage ou d'un contrat de qualification.
Le centre de formation, qui assure également la formation continue des
avoués et de leurs collaborateurs (langues étrangères,
informatique, droit social, négociation notamment) absorbe
désormais 25 % du budget de la chambre nationale.
c) Le recours aux nouvelles technologies
Le
recours aux nouvelles technologies s'est généralisé. Les
études d'avoués ont rajeuni, la moyenne d'âge étant
actuellement de 42 ans.
Ainsi qu'il l'a déjà été indiqué
175(
*
)
, la Chambre nationale et la Chancellerie ont
signé un protocole d'accord en 2000 afin de procéder à des
échanges de données informatiques
sécurisés
; six sites pilotes ont d'ores et
déjà été retenus.
Enfin, les avoués sont partie prenante à la réflexion sur
la signature électronique.
d) L'internationalisation
La
postulation existe à peu près partout en Europe, même si
elle n'est exercée par une profession spécialisée que dans
un nombre limité de pays. Le plus souvent, les avocats peuvent postuler
à condition de justifier d'une certaine ancienneté et d'un
agrément.
Depuis douze ans, les avoués français se sont rapprochés
de leurs homologues espagnols, les
procuradores
, et portugais, les
solicitadores
, avec lesquels ils ont créé un
Comité des Postulants Européens
. Ce comité a
formulé diverses propositions à M. Antonio Vitorino, commissaire
européen chargé de la justice, parmi lesquelles la
rédaction d'une
charte européenne de déontologie
.
Sous l'égide du Sénat, les avoués ont accompli une mission
d'aide technique à la Géorgie dans le cadre de sa
réorganisation judiciaire.
e) Les attentes de la profession
La
Chambre nationale des avoués près les cours d'appel se plaint de
la longueur des
délais de jugement
, insupportable pour les
justiciables comme pour la profession, soulignant l'engorgement de certaines
cours d'appel qui se trouvent dans l'incapacité de juger dans un
délai inférieur à deux ou trois ans des dossiers peu
complexes.
Elle considère également que le
tarif des avoués
devrait être revalorisé, le décret n° 80-608 du
30 juillet 1980 prévoyant d'ailleurs sa révision
périodique. Selon elle, l'augmentation des frais généraux
a longtemps pu être absorbée par la croissance du contentieux mais
la tendance s'est inversée car les avoués ont à coeur de
décourager les recours en appel inutiles. La Chambre nationale a
d'ailleurs engagé un contentieux administratif contre le refus de l'Etat
d'augmenter le tarif.
A l'instar des avocats, les avoués souhaitent vivement une
réforme des conditions de mise en oeuvre de
l'aide
juridictionnelle
. Ils estiment subir une
perte nette
dans la mesure
où le coût d'ouverture d'un dossier serait actuellement compris
entre 400 et 600 euros, alors que la rétribution qui leur est
versée par l'Etat, récemment réévaluée,
s'élève à 310 euros
176(
*
)
.
Selon Me Jean-Pierre Garnerie, la situation était supportable, et
acceptée au nom de l'exigence de solidarité envers les plus
démunis, lorsque les affaires bénéficiant de l'aide
juridictionnelle représentaient entre 5 % et 10 % des dossiers
traités et pouvaient être absorbées dans les frais
généraux. Elle est devenue plus délicate lorsque ce taux a
atteint 30 % ou 40 % dans certaines cours d'appel. La proposition de
la Commission de réforme de l'accès au droit et à la
justice présidée par M. Paul Bouchet
177(
*
)
de rendre éligible 40 % de la population
à l'aide juridictionnelle, soit 70 % des justiciables dans le ressort de
certaines cours d'appel, pourrait entraîner des difficultés
considérables si les tarifs n'étaient pas revalorisés. Le
transfert de charges de l'Etat vers les avoués s'apparenterait alors,
selon lui, à «
un rétablissement de la
corvée
. »
2. Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation : des spécialistes de la technique de cassation
Les
avocats aux conseils
178(
*
)
sont des officiers
ministériels nommés par arrêté du garde des Sceaux.
Ils exercent leur profession à titre individuel (29 cabinets) ou en
société civile professionnelle (31 cabinets)
179(
*
)
.
Ils jouissent d'une
compétence exclusive pour les pourvois devant la
Cour de cassation et le Conseil d'Etat, où ils exercent tout à la
fois les fonctions d'avoué et d'avocat
. Comme les avoués
à la cour, ils ont la charge de postuler et de conclure en tant que
mandataire
ad litem
. Ils s'apparentent aux avocats dans la mesure
où, devant ces deux juridictions, ils sont libres de plaider comme ils
l'entendent sans être liés par les instructions de leur client.
Enfin, toujours comme les avocats, leurs honoraires ne sont soumis à
aucune tarification. Contrepartie de leur monopole, ils sont tenus de
prêter leur ministère lorsqu'ils en sont requis.
Les avocats aux conseils peuvent également
plaider devant les
tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel
.
a) Un petit nombre de professionnels
Depuis
l'ordonnance du 10 septembre 1817 relative aux avocats aux Conseils et à
la Cour de cassation,
le nombre des charges est limité à
60
. Aux termes de l'article 4 du décret n° 78-380 du
15 mars 1978,
le nombre des associés
au sein de chaque office
ne peut être supérieur à trois
. Les avocats aux
conseils ne peuvent donc, en théorie, être plus de 180 mais, en
pratique, leur effectif oscille entre 89 et
91
,
chiffre actuel
.
Me Elisabeth Baraduc, présidente de l'ordre, a déclaré
à la mission que la profession n'était
pas favorable
à une
augmentation
de ses effectifs, même pour faire face
à un surcroît de contentieux, car
«
l'expérience montre l'existence d'une corrélation
entre la croissance du nombre d'avocats et celle du nombre de
recours
. »
En cas de besoin urgent, les collaborateurs des associés, dont un petit
nombre est salarié, sont extrêmement compétents et
pourraient rapidement devenir avocats aux conseils en dépit de la
difficulté des examens.
Aux termes du décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991,
l'accession à la profession requiert en effet, sous réserve de
certaines dispenses, d'être français ou ressortissant d'un Etat
membre de l'Union européenne, de détenir une maîtrise en
droit, d'avoir été inscrit pendant un an au moins sur la liste du
stage ou au tableau d'un barreau, d'avoir suivi une formation de trois ans,
dispensée sous l'autorité du conseil de l'ordre, et d'avoir subi
avec succès un examen d'aptitude professionnelle.
L'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est
attaché au maintien de cette
sélectivité
,
justifiée par la spécificité de la technique de
cassation
.
Un décret n° 2002-76 du 11 janvier 2002 a
réformé le régime disciplinaire de la profession, afin de
le mettre en conformité avec les exigences posées de l'article
6-1 de la convention européenne de sauvegarde des libertés
fondamentales et des droits de l'homme, ainsi que la procédure
applicable en cas d'action en responsabilité civile professionnelle.
b) De bonnes relations avec leurs juridictions
A la
différence de leurs collègues des barreaux, les avocats aux
conseils entretiennent de
bonnes relations
avec
leurs
juridictions
.
L'entente avec le Conseil d'Etat est parfaite. Selon Me Elisabeth Baraduc,
présidente de l'ordre, la réforme des procédures
d'urgence
180(
*
)
, entrée en vigueur le
1
er
janvier 2001, a été conduite «
en
douceur
» et dans la concertation.
La loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des
magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature a prévu la
mise en place, à compter du 1
er
janvier 2002, d'une
procédure de filtrage des pourvois devant la Cour de
cassation
181(
*
)
. Cette mise en place s'est
avérée difficile et parfois conflictuelle. Mais, avec le temps et
le dialogue, cette situation devrait évoluer favorablement.
c) La nécessaire réforme de l'aide juridictionnelle
Selon Me
Elisabeth Baraduc, le dispositif d'aide juridictionnelle mis en place en 1991
serait inadapté à la Cour de cassation. Les conditions de sa mise
en oeuvre en matière pénale auraient d'ailleurs été
aménagées, de façon quelque peu prétorienne, par le
premier président en accord avec le président de l'ordre.
Le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la
justice, déposé par le Gouvernement de M. Lionel Jospin sur
le bureau du Sénat, prévoit la suppression des
bureaux d'aide
juridictionnelle
dans toutes les juridictions, à l'exception de la
Cour de cassation et du Conseil d'Etat, ainsi que de la commission du recours
des réfugiés
182(
*
)
. Ils y jouent
en effet un
rôle important de filtre des pourvois
,
complémentaire de la procédure de non-admission, auquel l'ordre
est très attaché. Ils permettent ainsi d'éviter, par
exemple, qu'une personne n'ayant pas comparu en appel puisse demander à
se pourvoir en cassation.
L'ordre souhaite également que le montant de l'indemnité
versée aux avocats aux conseils au titre de l'aide juridictionnelle soit
revalorisé afin de tenir compte, au moins, de l'évolution de
l'indice des prix depuis 1992.
B. DES NOTAIRES DÉSIREUX DE SE VOIR CONFIER DE NOUVELLES TÂCHES
1. Des officiers publics titulaires de charge
Les
notaires sont des officiers publics titulaires d'un office ministériel.
La profession est très ancienne. Elle est actuellement régie par
la loi du 25 ventôse an XI et par l'ordonnance n° 45-2590 du
2 novembre 1945 et son décret d'application du
19 décembre 1945 modifié plusieurs fois.
L'âge moyen des notaires est de 49 ans. Les femmes représentent
15,2 % de la profession.
Leur effectif s'établit à 7.800, ce chiffre étant en
augmentation constante depuis 1980 alors que le nombre d'offices, qui
s'établit à 4.540, est en diminution depuis la même date,
malgré le programme d'implantation de nouveaux offices mené
depuis 1989 dans les agglomérations importantes.
La profession peut être exercée à titre individuel ou sous
forme de société : société civile
professionnelle, alors titulaire de la charge, régie par la loi
n° 66-879 du 29 novembre 1966 ; société de
notaires, dans laquelle chaque associé reste titulaire de son propre
office ; société d'exercice libéral, régie par
la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990.
Elle peut également être exercée à titre de
salarié, 188 notaires salariés étant comptabilisés
en avril 2002.
Evolution du nombre de notaires
|
Offices |
Notaires |
Notaires associés en SCP (1) |
Nombre de sociétés (2) |
Clercs et employés |
1980 |
5.134 |
6.686 |
2.749 |
1.184 |
42.264 |
1985 |
5.114 |
7.262 |
3.803 |
1.638 |
37.477 |
1990 |
4.941 |
7.456 |
4.481 |
1.955 |
40.351 |
1995 |
4.653 |
7.557 |
5.168 |
2.289 |
38.024 |
2002 |
4.540 |
7.864 |
5.558 |
2.462 |
44.247 |
Source : Conseil supérieur du notariat
(1)
Sociétés civiles professionnelles
(2) Sociétés
civiles professionnelles et société d'exercice libéral
À cet égard, Me Armand Roth, vice président du Conseil
supérieur du notariat, s'est inquiété devant la mission
des dispositions résultant de l'article 32 de la loi
n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de
réforme à caractère économique et financier
(MURCEF) permettant la constitution de sociétés de participation
financière de professions libérales. Il a souhaité que ces
sociétés ne soient pas l'occasion d'une
interprofessionnalité
entre les notaires et les autres
professions juridiques, estimant que pour des raisons déontologiques
liées à la qualité d'officier public des notaires, le
capital de leurs sociétés ne devrait pas pouvoir être
détenu par d'autres professions.
La profession est organisée en chambres départementales,
chargées essentiellement de la discipline, et en conseils
régionaux qui émettent des avis et assurent le fonctionnement des
écoles de formation. Elle est représentée au niveau
national par le Conseil supérieur du notariat.
Le notariat consacre un effort important à la
formation des notaires
et de leurs collaborateurs
(21 milliards d'euros).
Il est possible d'accéder à la profession par plusieurs
voies :
- la filière principale exige d'être titulaire d'une
maîtrise de droit et de suivre soit un enseignement universitaire (DESS
de droit notarial), soit un an d'enseignement professionnel dans un centre de
formation professionnelle notariale. Dans les deux cas, les étudiants
doivent accomplir deux années de stage avant d'obtenir le diplôme
de notaire ;
- la voie interne, réservée aux clercs ayant au minimum
9 ans d'activité dans un office, dont 6 ans en tant que premier
clerc ;
- la voie d'équivalence réservée aux juristes
expérimentés.
A cet égard, Me Catherine Varvenne-Litaize, membre du Conseil
supérieur du notariat, s'est émue devant la mission des
dispositions des décrets n° 2002-615 et n° 2002-616
du 26 avril 2002, qui pourraient laisser envisager une possibilité
d'accès à la profession de notaire par la voie de la validation
des acquis professionnels, solution à laquelle elle s'est
déclarée résolument opposée.
Elle a en outre regretté le fait que le décret
n° 2002-482 du 8 avril 2002 ait fait, sans aucune
concertation, disparaître la maîtrise alors que la formation de
l'ensemble des professions juridiques était fondée sur ce
diplôme.
2. Une activité orientée plus vers le juridique que vers le judiciaire
La
fonction première des notaires est de dresser des
actes
authentiques
ayant force exécutoire et de les conserver. Ils en
délivrent des copie exécutoires (les grosses) ou de simples
copies (les expéditions).
Mais à cette fonction, s'ajoute une importante
activité de
conseil en matière de rédaction d'actes et de gestion de
patrimoine.
Dans ce cadre, les notaires insistent sur leur rôle de
conciliation
. Me Armand Roth a souligné que
l'activité des notaires s'exerçait principalement dans le domaine
juridique, contrairement à celle d'autres professions plus
portées sur les activités judiciaires. Considérant qu'un
procès est toujours un échec, les notaires ont en effet à
coeur de prévenir les conflits et de favoriser les règlements
amiables, particulièrement dans le cadre des divorces par consentement
mutuel ou des successions. Ils se forment d'ailleurs à la
médiation familiale, sans toutefois perdre de vue la
nécessité du respect de la règle de droit. Ils jouent un
rôle actif dans les conseils départementaux d'accès au
droit.
Les notaires ont par ailleurs soutenu l'extension récente de la clause
compromissoire aux contrats civils entre professionnels (article 2061 du
code civil résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001).
Les notaires sont enfin des
auxiliaires de justice
. Ils peuvent
être commis par le tribunal en tant que mandataires pour effectuer des
projets de liquidation de régimes matrimoniaux ou de successions.
Indépendants des parties, ils établissent alors un état
liquidatif, soumis à l'homologation du tribunal.
En application de l'article 1116 du code de procédure civile, ils
peuvent être appelés à effectuer des projets de
règlement des pensions et prestations dans le cadre du divorce.
Mme Catherine Varvenne-Litaize a regretté devant la mission qu'il ne
soit pas clairement établi, dans cette dernière hypothèse,
si la rémunération du notaire devait être
réclamée par le notaire directement aux parties ou bien
être fixée par le juge, ce qui selon elle devrait être le
cas comme en matière d'expertise.
Les notaires reçoivent annuellement 20 millions de personnes. Ils
établissent 4,5 millions d'actes authentiques et réalisent
un chiffre d'affaires de 4,3 milliards d'euros. Ils perçoivent et
reversent au Trésor public plus de 11 milliards d'euros.
Ils réalisent la plus grande part de leur chiffre d'affaires dans le
domaine des ventes et de la construction immobilière (41,6 %) et
dans celui des actes de famille et des successions (27,2 %).
Répartition de l'activité notariale suivant le chiffre d'affaires
Immobilier
|
Actes liés au crédit |
Actes
de famille
|
Négociation
|
Droit
de l'entreprise
|
41,6 % |
16 % |
27,3 % |
4,5 % |
10,6 % |
Source : Conseil supérieur du notariat
Pour l'ensemble de leurs activités, les notaires engagent leur
responsabilité personnelle, laquelle est couverte par des caisses de
garantie.
3. L'extension souhaitée de leur domaine de compétence
Les
notaires souhaiteraient
assurer eux-mêmes entièrement certaines
procédures qui exigent actuellement une intervention du juge
:
les changements de régimes matrimoniaux, les envois en possession des
successions et les partages impliquant des mineurs. Ils estiment en effet que,
dans ces matières, l'intervention du juge n'apporte pas plus de
garanties que leur propre intervention tout en retardant les opérations
de manière parfois très pénalisante pour leurs clients.
Ils appellent en outre de leurs voeux une réforme de la saisie-vente
immobilière, donnant l'exemple de l'Alsace-Moselle où elle est
pratiquée de manière satisfaisante par leur profession, alors
que, devant le tribunal les saisies aboutissent à une adjudication pour
un montant très inférieur à la valeur des biens.
En outre, ils souhaiteraient que certains actes revêtent obligatoirement
la forme authentique : actes de caution et actes de construction d'une
maison individuelle qui suscitent de nombreux conflits, ou actes de
constitution de sociétés civiles à
prépondérance immobilière, afin de permettre un meilleur
contrôle de l'origine des capitaux. Ils considèrent enfin que les
notaires devraient intervenir dans la conclusion et la conservation des pactes
civils de solidarité.
S'agissant, d'une manière générale, de l'incidence des
réformes législatives intervenues récemment,
Me Armand Roth a souligné devant la mission que la fréquence
des changements législatifs était source d'instabilité,
d'autant plus que la jurisprudence était longue à
s'établir. Il a insisté sur l'important effort d'information
accompli par le notariat sur les différentes réformes. Il a
regretté que la loi n° 2000-1208 du
13 décembre 2000 sur la solidarité et le renouvellement
urbains permette la rétractation d'un acte authentique par un
acquéreur. Il a, enfin, souligné que la disposition de la loi
n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 sur le conjoint survivant
autorisant un conjoint à priver du droit au logement viager son conjoint
par acte authentique, exigerait que tous les testaments existants soient revus
à la lumière de ces nouvelles dispositions.
La mission estime que la déjudiciarisation de certaines
matières souhaitée par les notaires s'avère non seulement
justifiée, mais également de nature à alléger les
tâches des magistrats. Elle ne peut donc que recommander d'aller dans ce
sens.
C. DES HUISSIERS DE JUSTICE EN MAL DE RECONNAISSANCE
Officiers publics et ministériels, nommés dans
leurs
fonctions par arrêté du garde des Sceaux, les huissiers de justice
ont une longue histoire.
Sous l'Ancien régime, ils étaient divisés en deux
professions distinctes : les
sergents
, qui signifiaient et
faisaient exécuter les actes judiciaires et extrajudiciaires, et les
huissiers
proprement dits qui avaient pour fonction d'assurer le service
des tribunaux et des audiences
183(
*
)
.
Ces deux professions traversèrent la Révolution française
sans être supprimées, avant d'être fusionnées. Les
quelque
3.000
huissiers de justice
184(
*
)
sont aujourd'hui soumis à un statut régi par une ordonnance
n° 45-2592 du 2 novembre 1945.
La profession est organisée en
chambres départementales
et
régionales dans chaque ressort de cour d'appel. Elle est
représentée auprès des pouvoirs publics par une
chambre
nationale
chargée également de régler les
différends entre les chambres et, dans certains cas, entre les huissiers
de justice.
En cas de manquement aux règles professionnelles, l'huissier peut
être poursuivi disciplinairement devant ses pairs (chambre
départementale) ou devant le tribunal de grande instance.
1. Des attributions variées
Pour
exercer leur profession, les huissiers de justice peuvent constituer une
société d'exercice libéral, une société
civile professionnelle, qui devient titulaire de l'office, ou former simplement
une société d'huissiers de justice, au sein de laquelle chacun
reste titulaire de sa charge
185(
*
)
.
Les huissiers de justice sont investis d'attributions nombreuses et
variées, exercées les unes à titre exclusif, les autres en
dehors de tout monopole, en principe toujours dans le
ressort du tribunal
d'instance
de leur résidence. Certains de leurs actes revêtent
tantôt un caractère judiciaire tantôt un caractère
extrajudiciaire.
a) Des fonctions exercées à titre de monopole
Aux
termes de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945, les huissiers
de justice ont seuls qualité pour
signifier les actes de
procédure
et
ramener à exécution les
décisions de justice
ainsi que les
actes ou titres en forme
exécutoire
, par exemple procéder aux opérations de
saisie.
Certains huissiers, appelés «
huissiers
audienciers
» sont chargés d'assurer le service
intérieur près les cours et tribunaux, c'est-à-dire
d'assister aux audiences solennelles ou aux audiences publiques, de faire
l'appel des causes et de maintenir l'ordre sous l'autorité du
président.
Dans toutes ces fonctions exercées à titre de monopole, les
huissiers sont tenus de prêter leur ministère lorsqu'ils en sont
requis.
b) Des activités exercées en dehors de tout monopole
Les
huissiers de justice peuvent, en outre, soit sur commission des tribunaux, soit
à la demande de particuliers, procéder à des
constats
(ces constatations purement matérielles, exclusives
de tout avis de fait ou de droit, pouvant ensuite être invoquées
à titre de preuve devant les tribunaux) et au
recouvrement de toutes
créances
.
Ils sont également autorisés à exercer certaines
fonctions ou activités accessoires
dont la liste et les
conditions sont
déterminées par décret
.
Actuellement, seules sont autorisées les fonctions d'administrateur
d'immeubles et d'agent d'assurance
186(
*
)
.
Encore faut-il obtenir l'aval du garde des Sceaux.
En raison de leurs compétences, les huissiers de justice peuvent
être simplement requis, comme professionnels du droit, à titre de
rédacteurs, de négociateurs d'actes sous seing privé ou
bien à titre de conseil.
C'est dans cette direction, que la profession cherche à évoluer,
mais son image reste difficile à changer.
2. Une image difficile à changer
a) Le développement d'un rôle de conseil
Les
huissiers de justice aiment à se présenter comme des
«
juristes de proximité
».
De fait, ils jouent souvent, particulièrement dans les petites communes,
un rôle de conseil
auprès des particuliers
et accomplissent
pour eux un nombre important d'actes : dresser des états des lieux,
prendre des inscriptions d'hypothèques, déposer des injonctions
de payer, prendre des mesures conservatoires, présenter des
requêtes pour obtenir des ordonnances, procéder au recouvrement de
créances et de pensions, rédiger des actes sous seing
privé, plus généralement fournir une assistance juridique.
La profession souhaite
développer son activité de conseil en
direction des entreprises et des autorités publiques passant des
marchés
.
Me Yves Martin, vice-président de la Chambre nationale des
huissiers de justice, déclarait ainsi à la mission :
«
Aujourd'hui, on essaie de donner une nouvelle image de
l'huissier de justice, que l'on tente d'intégrer au monde de
l'entreprise. De nombreuses mesures conservatoires sont en effet à
prendre dans l'entreprise (...). Nous pensons que l'huissier de justice a sa
place dans la procédure de passation des marchés publics.
Certaines affaires assez scabreuses ont dernièrement fait la une de
l'actualité. Pourquoi ne pas confier à l'huissier de justice
l'anonymat, le port et la réception de plis ainsi que la prise en note
de ce qui est ensuite dit et décidé, non pas pour surveiller
les maires mais pour appuyer la commission de contrôle des marchés
publics
? »
b) Une formation équivalente à celle des autres auxiliaires de justice
Depuis
le 1
er
janvier 1996
187(
*
)
, les
huissiers de justice doivent être titulaires d'une maîtrise en
droit ou d'un diplôme équivalent et avoir accompli un stage de
deux ans sanctionné par un examen professionnel.
Me Yves Martin déclarait ainsi à la mission :
«
Notre profession a suivi une évolution importante.
Heureusement, car nous partions de bien bas !
Dans les années
soixante
, il
suffisait de savoir lire, écrire et d'être
français pour être huissier de justice
.
«
Maintenant
, la maîtrise en droit, qui est
obligatoire, ne suffit pas. Il faut suivre deux - bientôt trois -
années de stage. Elles sont sanctionnées par un examen
professionnel que nous avons le droit de passer quatre fois. Au bout de quatre
échecs, ou bien nous restons employé principal, ou bien nous
changeons de voie.
«
L'évolution est donc flagrante. Depuis quelques
années, nous avons la même formation que les notaires. Nous avons
le
même cursus que les avocats et les
magistrats
. »
c) Une ouverture croissante sur l'Europe et les nouvelles technologies
La
profession est
jeune
, puisque la moyenne d'âge est de 40 ans selon
la Chambre nationale, et l'usage des nouvelles technologies de l'information
est très répandu. Elle fut d'ailleurs l'une des premières,
dans les années 1970, à s'informatiser.
Par ailleurs, les huissiers de justice sont attentifs à
l'évolution du droit européen
.
Le règlement CE n° 1348/2000 du 29 mai 2000 relatif
à la signification et à la notification dans les Etats membres
des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et
commerciale est entré en vigueur le 31 mai 2001. Les
autorités françaises ont décidé de confier aux
huissiers de justice, naturellement compétents en matière de
notification d'actes, la mise en oeuvre de ce texte. Un projet de décret
est en cours d'élaboration pour introduire ce dispositif dans le nouveau
code de procédure civile.
Le Conseil européen a rappelé le 15 janvier 2001 qu'il souhaitait
parvenir, à terme, à la
suppression de
l'
exequatur
188(
*
)
pour tous les
domaines couverts par le règlement.
L'Union internationale des huissiers de justice, qui est présidée
par les huissiers français, compte actuellement cinquante-sept pays
adhérents. Elle essaie d'harmoniser les voies d'exécution tout en
permettant à chaque pays de conserver ses règles et ses
habitudes.
d) Une image qui reste négative
Pour
autant, l'huissier de justice reste entouré d'une
image
ambivalente
, pour ne pas dire négative. Il apparaît
tantôt comme le
dernier recours
, tantôt comme la
première menace
. Le caractère coercitif de ses
attributions en est la cause.
Me Yves Martin reconnaissait ainsi que «
l'exécution est
attachée au titre d'huissier, même si cela nous vaut, non
d'être rejetés mais d'être catalogués comme des
spécialistes des constats d'adultères, des expulsions et des
saisies immobilières
. En fait, l'exécution et le
métier d'huissier évoluent. Il n'y a en effet plus grand chose
à saisir chez les gens : même s'ils possèdent un
patrimoine, ils le cachent par des biais au demeurant tout à fait
légaux, par exemple des sociétés civiles
immobilières.
«
Dans certains cas, on sait pertinemment que les gens sont
solvables mais l'on ne parvient pas à déterminer les biens qu'ils
possèdent. Il faudrait faire quelque chose dans ce domaine. Le constat
d'adultère est un acte désuet, et c'est tant mieux (...)
« Ils
(les gens)
sont
doublement mécontents
. Ils
le sont à la fois
de la décision de justice
et
de
l'huissier
, qui est
en première ligne
. Les gens ne vont
jamais voir le juge. Ils s'en prennent toujours à l'huissier. Toutefois,
même si l'on a du mal à changer l'image des huissiers, on y arrive
petit à petit.
Il faudra toujours quelqu'un pour exécuter
les décisions de justice
, qui sont nombreuses. Les huissiers
pourraient les exécuter si on leur en donnait les moyens. »
Ce manque de moyens pour exécuter les décisions de justice et les
contraintes imposées par le service des audiences constituent les
principaux sujets de préoccupations de la profession.
3. Les attentes de la profession
La profession a ainsi exprimé devant la mission son souhait de voir réviser son tarif et rénover le droit de l'exécution.
a) La révision du tarif
Les
huissiers de justice perçoivent, pour les actes de leur ministère
en matière civile et commerciale, des émoluments tarifés
prévus au décret n° 96-1080 du 12 décembre 1996.
En matière pénale, leur sont alloués différents
émoluments prévus aux articles R. 92, R. 181 et
suivants du code de procédure pénale. Aux yeux de tous, ce tarif
est
trop complexe
. Pour la profession, il nécessite d'être
revalorisé
,
en particulier en matière pénale
.
Aux termes de l'article 11 du décret n° 56-222 du 29
février 1956, les huissiers audienciers ont pour fonctions d'assister
aux audiences solennelles ou aux audiences publiques, de faire l'appel des
causes et de maintenir l'ordre sous l'autorité du président.
Chaque huissier audiencier reçoit une indemnité de 15 euros pour
le service d'une audience de cour d'assises et de la Cour de cassation, de
10 euros pour le service d'une audience du tribunal correctionnel ou du
tribunal pour enfants, et de 7,5 euros pour le service d'une audience du
tribunal de police
189(
*
)
.
Il perçoit une somme forfaitaire de 2,74 euros (18 francs) pour
toutes citations en matière criminelle, correctionnelle et de police,
pour les significations des mandats de comparution, pour toutes significations
d'ordonnances, jugements et arrêts et tous autres actes ou pièces
en matière criminelle, correctionnelle et de police
190(
*
)
.
Selon la profession, ce tarif est tellement insignifiant qu'il ne permet
même pas de couvrir les frais supportés par l'huissier.
Me Yves Martin déclarait ainsi à la mission :
«
Les audiences sont une servitude que nous acceptons mais on nous
verse une
aumône
. Nous sommes présents à ces
audiences quatorze ou quinze heures d'affilée pour 50 francs. Cela
me paraît tellement vexant que je ne me fais même pas indemniser.
L'aumône, très peu pour moi ! J'en fait une question de
principe. Il en est de même pour mes confrères
. »
D'après ses indications, le tarif fixé pour la délivrance
d'un acte pénal devrait être augmenté de 60 %
prochainement : un projet de décret prévoit en effet de
fixer à 4,50 euros la rémunération des citations et
significations prévue à l'article R. 181 du code de
procédure pénale.
b) La réforme des procédures civiles d'exécution
La
crédibilité de la justice suppose que les décisions prises
par les juges soient exécutées de manière rapide et
sûre. La Cour européenne des droits de l'homme a d'ailleurs
érigé le
droit à l'exécution
en
droit
fondamental
du justiciable en décidant que
«
l'exécution d'un jugement ou d'un arrêt, de quelque
juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant
partie intégrante du procès
191(
*
)
. »
Les huissiers de justice estiment ne pas disposer de moyens suffisants pour
remplir leurs fonctions. Ils regrettent, en premier lieu, d'avoir un
accès limité aux informations
.
La loi n° 73-5 du 2 janvier 1973 relative au paiement direct de la
pension alimentaire permet aux créanciers d'aliments d'obtenir des
administrations de l'Etat et des collectivités publiques ainsi que des
organismes de sécurité sociale les renseignements
nécessaires à la mise en oeuvre de poursuites contre le
débiteur.
S'agissant des autres créances et pourvu qu'il soit porteur d'un titre
exécutoire, la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant
réforme des procédures civiles d'exécution a
autorisé l'huissier de justice à demander au procureur de la
République d'entreprendre les diligences nécessaires pour
connaître l'adresse des organismes auprès desquels un compte est
ouvert au nom du débiteur, ainsi que l'adresse du débiteur et
l'adresse de son employeur, à l'exclusion de tout autre renseignement.
Cependant, faute de moyens, le parquet ne peut répondre rapidement et,
à l'issue d'un délai de trois mois, fixé par décret
en Conseil d'Etat, l'absence de réponse du procureur de la
République vaut réquisition infructueuse.
Me Yves Martin déclarait ainsi à la mission :
«
Lorsque nous devons exécuter un jugement contre une
personne, nous ignorons si celle-ci a un compte en banque, à quel
endroit elle travaille et si elle possède des biens. Pour obtenir ces
renseignements, nous sommes obligés, malgré notre qualité
d'officier ministériel, de faire appel aux procureurs de la
République. Or ils n'ont plus le temps d'enregistrer nos demandes !
« Nous avons ce pouvoir en matière de recouvrement de pensions
alimentaires. Par exemple, si une créancière fait appel à
moi pour recouvrer la pension alimentaire que son mari lui doit, j'ai
qualité pour interroger tous les fichiers nécessaires. Depuis
environ trente ans qu'existe cette procédure de recouvrement des
pensions alimentaires, aucun confrère n'a été poursuivi
pour avoir usé et abusé de ce droit
« exorbitant ».
« En revanche, si une créancière se présente
avec un jugement exécutoire, si elle a obtenu un jugement au
pénal et des dommages et intérêts parce que son mari ne lui
verse pas de pension alimentaire, elle risque d'attendre six mois avant que je
puisse exécuter le jugement parce que M. le procureur de la
République - avec qui nous avons de bonnes relations - souhaite que nous
ne lui demandions plus de renseignements ! Il ne peut nous répondre
parce qu'il n'a pas de personnel. C'est discriminatoire. »
Le risque évoqué par la profession face à ces
difficultés est de voir se développer le recours à des
sociétés spécialisées dans la recherche
d'informations et à des «
exécutions
sauvages
», c'est-à-dire la résurgence d'une
justice privée.
Pour autant, il convient également de veiller au
respect des
libertés individuelles
.
M. Tony Moussa, président de chambre à la cour d'appel de
Lyon, ancien juge de l'exécution, relevait devant la mission que des
saisies étaient actuellement pratiquées contre des
débiteurs ne disposant que d'une somme égale au revenu minimum
d'insertion, donc insaisissable, ce qui entraînait des contestations
devant le juge de l'exécution et des frais d'actes importants venant
s'ajouter à la dette.
Une réflexion est actuellement en cours à la Chancellerie pour
permettre aux huissiers de justice d'interroger directement les fichiers des
comptes bancaires (FICOBA), ce qui suppose une modification de la loi de 1991.
La mission
ne peut donc qu'inviter la Chancellerie à conduire
une réflexion avec la Chambre nationale des huissiers de justice et avec
la Commission nationale de l'informatique et des libertés pour
rechercher les voies d'une meilleure exécution des décisions de
justice compatible avec le nécessaire respect des libertés
individuelles, au premier rang desquelles le droit au secret
.
D'une manière générale, elle estime nécessaire,
afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leurs activités
juridictionnelles, de les décharger des tâches pour lesquelles
leur intervention n'est pas indispensable en confiant celles-ci à des
professionnels mieux à même de les accomplir.
En second lieu, les huissiers de justice souhaitent que soit
créée, aux côtés des clercs assermentés
à la signification des actes et de ceux habilités au constat, une
troisième catégorie de
clercs spécialisés dans
des mesures d'exécution
telles que la saisie-attribution.
Cette revendication soulève toutefois une question de principe, celle
d'une
véritable sous-délégation de prérogatives
de puissance publique
. Les missions délicates des huissiers, le
rôle social dont ils se prévalent à juste titre plaident en
faveur d'une intervention personnelle. Faut-il rappeler, signe de l'importance
du contact
intuitu personae
, que les
sergents
, ancêtres des
huissiers, portaient une baguette ronde en ébène garnie de cuivre
ou d'ivoire, avec laquelle ils devaient toucher ce dont ils avaient la charge
de faire exploit ?
Sur cette question également, la réflexion mérite
d'être approfondie.
Une solution alternative conciliant les objectifs
d'intégration des jeunes diplômés et la préservation
des prérogatives personnelles de l'huissier pourrait consister dans la
création d'un statut d'huissier salarié comme cela a
été fait pour les professions de notaire et d'avocat, mais la
Chambre nationale des huissiers de justice n'y semble guère favorable.
D. DES EXPERTS JUDICIAIRES EN QUÊTE DE TRANSPARENCE
L'expert
judiciaire est un technicien à qui le juge demande de donner son avis
sur des faits nécessitant des connaissances techniques et des
investigations complexes. Ses conclusions ont pour rôle d'éclairer
le tribunal ou la cour.
Comme le faisait observer M. Jean-Bruno Kerisel, vice-président de
la Fédération nationale des compagnies d'experts près les
cours d'appel et les tribunaux administratifs, «
l'expertise
judiciaire n'est
pas une profession
, c'est une fonction
»
qu'exercent de façon périodique des professionnels de la
matière concernée (médecins, architectes...).
«
L'expert est un
auxiliaire du juge
, ce n'est
pas
un auxiliaire de justice
comme l'avocat, qui exerce une profession vraiment
judiciaire
. »
Aucune condition particulière de diplôme (à l'exception de
celle requise pour la spécialité dans laquelle il exerce et
souhaite être inscrit) ou de nationalité n'est exigée pour
devenir expert judiciaire.
Les experts inscrits se regroupent en
compagnies auprès des cours
d'appel
. Ainsi, on trouve dix-sept compagnies d'experts près la cour
d'appel de Paris. En province, sauf à Aix-en-Provence, deuxième
cour d'appel de France où sont regroupées plusieurs compagnies,
il en existe une par cour d'appel. Ces compagnies fonctionnent en associations
régies par la loi de 1901 et sont rassemblées au sein d'une
fédération nationale.
Il existe actuellement un peu plus de
16.000 experts
192(
*
)
soumis à un statut fixé par une loi
n° 71-498 du 29 juin 1971 et un décret n° 74-1184
du 31 décembre 1974.
De l'avis de tous, ces textes ont
vieilli
et une réflexion est en
cours à la Chancellerie pour actualiser leurs dispositions sur la base
des propositions formulées par Fédération nationale des
compagnies d'experts près les cours d'appel et les tribunaux
administratifs.
1. Une procédure d'établissement des listes d'experts peu satisfaisante
En
application de la loi du 29 juin 1971, chaque année les cours d'appel
établissent des
listes régionales
et la Cour de cassation
une
liste nationale
d'experts judiciaires.
M. Jean-Bruno Kerisel a précisé que «
la liste
nationale des experts agréés par la Cour de cassation qui, elle,
ne désigne pas d'expert (...) a été créée
pour permettre, dans des litiges complexes, la délocalisation d'experts,
un expert de Paris pouvant ainsi être nommé dans une ville de
province
. »
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et
à la qualité du système de santé a récemment
créé une
liste nationale de médecins-experts
spécialisés dans les accidents de santé
. Cette liste
risque toutefois de faire double emploi avec la liste établie par le
Bureau de la Cour de cassation.
a) La procédure d'établissement des listes régionales
Les
demandes d'inscription sur la liste dressée par la cour d'appel sont
adressées chaque année, avant le 1
er
mars, au
procureur de la République près le tribunal de grande instance
dans lequel le candidat exerce son activité professionnelle ou
possède sa résidence. Celui-ci instruit la demande, recueille
l'avis de l'assemblée générale
193(
*
)
des juridictions du ressort du tribunal de grande
instance, puis transmet le dossier et les avis au procureur
général près la cour d'appel.
Le premier président de la cour d'appel, saisi par le procureur
général, désigne un ou plusieurs magistrats pour exercer
les fonctions de rapporteur. La liste est ensuite dressée par
l'assemblée générale de la cour, dans les quinze premiers
jours du mois de novembre, après audition du rapporteur et du
ministère public.
b) La procédure d'établissement de la liste nationale
Nul ne
peut figurer sur la liste nationale des experts s'il ne justifie de son
inscription depuis au moins trois années consécutives sur une des
listes dressées par les cours d'appel
194(
*
)
.
Toute personne désirant être inscrite sur la liste nationale des
experts doit en faire la demande au procureur général près
la Cour de cassation.
Ce magistrat instruit la demande, recueille l'avis du premier président
et du procureur général de la cour d'appel ayant établi la
liste sur laquelle figure l'expert et se fait communiquer le dossier de cet
expert. Si le candidat n'est pas inscrit sur une liste de cour d'appel, l'avis
du procureur général près la cour d'appel du lieu
d'activité ou de la résidence du candidat est recueilli.
Le Bureau de la Cour de cassation dresse la liste nationale des experts au
cours de la première quinzaine du mois de décembre. Il se
prononce sur le rapport d'un de ses membres, le procureur général
entendu.
c) Une réforme nécessaire
Cette
procédure fait l'objet de vives critiques de la part de la
Fédération nationale des compagnies d'experts près les
cours d'appel.
M. Jean-Bruno Kerisel a ainsi déclaré :
«
Les experts sont désignés au travers d'une
assemblée générale de cour d'appel, qui est d'ailleurs
assez opaque. Nous souhaiterions, là aussi, plus de transparence et que
les personnes soient désignées en fonction de leurs
capacités à répondre aux problèmes
(...)
«
Aujourd'hui, à Paris, on compte mille candidats pour
quarante postes. Or les juges ne connaissent pas ces futurs experts. En tant
que président de l'ensemble des compagnies parisiennes d'experts, j'ai
assisté durant six ans aux prestations de serment des experts. En de
telles occasions, on se pose des questions sur la qualité des personnes
destinées à représenter le juge dans les réunions
d'expertise ! Le juge devrait rencontrer les experts stagiaires afin de
pouvoir, ensuite, constituer un corps d'expertise de
qualité
. »
La Fédération préconise la création d'une
commission pour chaque cour d'appel ainsi que pour la Cour de cassation,
susceptible de filtrer les candidatures
. Cette commission serait
composée d'un magistrat du siège de la cour d'appel qui en serait
le président, d'un magistrat du parquet général de la cour
d'appel qui en serait le rapporteur, d'un magistrat du tribunal de grande
instance du ressort, d'un magistrat du tribunal de commerce et d'experts.
Elle souhaite également que les cours d'appel n'établissent plus
une liste d'experts immédiatement inscrits mais «
qu'il
puisse y avoir des experts stagiaires
, comme il y a des avocats
stagiaires, qui deviendraient experts à l'issue d'une ou de deux
années probatoires
. »
La mission d'information juge intéressantes ces pistes de
réforme de l'établissement des listes d'experts et invite la
Chancellerie à soumettre rapidement un texte au Parlement dans la mesure
où elles nécessitent une modification de la loi de 1971.
2. La nécessité de soumettre les experts à une formation juridique et à un contrôle
Il semble également que la formation juridique des experts et le contrôle de leur activité soient insuffisants.
a) Un contrôle insuffisant
Chaque
année, sans que les intéressés aient à renouveler
leur demande initiale, les assemblées générales des cours
d'appel et le Bureau de la Cour de cassation examinent la situation de chaque
expert précédemment inscrit, pour s'assurer qu'il continue
à remplir les conditions requises, respecte les obligations qui lui sont
imposées et s'en acquitte avec ponctualité.
La réinscription sur une liste est décidée sous les
mêmes conditions et dans les mêmes formes que l'inscription.
Les experts font connaître tous les ans, avant le 1
er
septembre au premier président de la cour d'appel ou, pour ceux qui ne
sont inscrits que sur la liste nationale, au premier président de la
Cour de cassation, le nombre des rapports qu'ils ont déposés au
cours de l'année judiciaire ainsi que, pour chacune des expertises en
cours, la date de la décision qui a commis l'expert, la
désignation de la juridiction qui a rendu cette décision et le
délai imparti pour le dépôt du rapport.
Le
contrôle
des experts est
exercé à la fois par
le premier président et par le procureur général
.
Chacun de ces magistrats reçoit les plaintes et fait procéder
à tout moment aux enquêtes utiles pour vérifier que
l'expert satisfait à ses obligations légales et s'en acquitte
avec ponctualité.
S'il apparaît au premier président ou au procureur
général qu'il existe des présomptions contre un expert
inscrit d'avoir manqué à ses obligations, il fait recueillir ses
explications. Le cas échéant, il saisit l'assemblée
générale de la cour d'appel ou le Bureau de la Cour de cassation
en vue de la radiation de l'expert.
M. Jean-Bruno Kerisel a en effet laissé entendre à la
mission qu'une fois inscrits les experts ne faisaient plus l'objet que d'un
contrôle
assez lâche
: «
Certains experts
n'ont plus les compétence requises. Celles-ci devraient donc être
validées tous les cinq ans. La certification des professions n'est
malheureusement pas aussi répandue en France qu'à
l'étranger : en général, elle est donnée pour une
période de trois ou cinq ans. Désormais, un médecin
hospitalier expert doit renouveler sa certification professionnelle
auprès de la cour d'appel tous les cinq ans. Il devrait en être de
même pour les ingénieurs, les architectes, les comptables, etc
.
«
Tous ces professionnels devraient également recevoir une
certification d'aptitude juridique. Ils doivent en effet se tenir au courant de
l'évolution non pas du droit - ils n'ont pas à dire le droit -
mais de la procédure
. »
Telle est la raison pour laquelle, la mission souscrit à la
proposition de la Fédération nationale des compagnies d'experts
près les cours d'appel et les tribunaux administratifs de
prévoir, tous les cinq ans, un renouvellement des experts inscrits.
b) La nécessité de prévoir une formation juridique à l'attention des experts
Enfin, à l'instar de la Fédération
nationale
des compagnies d'experts près les cours d'appel et les tribunaux
administratifs, la mission estime nécessaire que des formations
juridiques soient organisées dans chaque cour d'appel.
M. Jean-Bruno Kerisel a en effet souligné que «
bien
souvent, on s'aperçoit que les rapports d'expertise judiciaire ne
respectent pas certaines des règles qui figurent dans le nouveau code de
procédure pénale ou dans le code pénal. Je pense, par
exemple, à la règle du contradictoire. Certains médecins
des hôpitaux chargés d'une mission d'expertise convoquent le
malade, c'est-à-dire le demandeur, mais ne convoquent pas le
défendeur. Le contradictoire n'étant pas respecté, le
rapport va évidemment au panier. La Chancellerie considère comme
tout à fait utile cette formation juridique des experts dans chaque cour
d'appel
. »
3. Les relations entre les experts et les magistrats
Les relations entre les magistrats et les experts suscitent une double interrogation. Il peut être tentant, pour un juge, de se décharger de sa mission et de trancher les conflits en s'en remettant à l'avis de l'expert. De leur côté, les experts estiment que les magistrats fixent leurs honoraires de façon discrétionnaire, sans prendre la mesure des charges supportées.
a) Un recours parfois abusif aux experts
Au cours
de ses déplacements et de ses auditions, la mission a parfois eu
l'impression que,
dans certains cas
, l'expert apparaissait comme la
caution du juge, une
solution de facilité
permettant à ce
dernier, à la fois de moins s'impliquer dans une affaire et de se
retrancher derrière un avis technique.
Sans doute l'expertise est-elle parfois nécessaire, car le juge n'est
pas un technicien, mais elle enchérit les coûts du procès
et allonge les délais
.
M. Jean-Bruno Kerisel a reconnu l'existence d'un «
risque
très clair de dérive. Une enquête effectuée au
tribunal de commerce de Paris, voilà deux ans, a montré que 90 %
des décisions de justice, lorsqu'une expertise judiciaire avait
été ordonnée, reprenait les conclusions du rapport de
l'expert. Les juges font-ils suffisamment bien leur travail ? Ce n'est pas
à moi de le dire. Nous pensons que le coeur du procès, c'est
l'expertise. C'est là que les parties font valoir les
éléments de preuve et, si le rapport est bien fait, la
tâche du juge en est grandement facilitée
(...)
« Chaque année, au seul tribunal de grande instance de
Paris, 8.000 expertises judiciaires sont ordonnées. M. Magendie,
président du tribunal de grande instance de Paris, a demandé aux
juges de désigner moins d'experts et d'essayer de résoudre les
problèmes eux-mêmes. Mais le juge n'a pas toujours la
capacité de le faire et il est obligé de s'appuyer sur l'adjoint
technique qu'est l'expert
. »
Il appartient au magistrat de trouver un équilibre entre les
délais nécessaires à une justice équitable et le
renvoi perpétuel des décisions, entre les rapports d'experts et
les arguments des parties.
b) Des conditions de rémunération des experts peu satisfaisantes
Les
experts se plaignent de
l'insuffisance des rémunérations
qui, en
l'absence de barème
, «
sont
déterminées au pifomètre
» par des
magistrats peu au fait des charges engendrées par une expertise.
Ils déplorent également l'obligation qui leur est imposée
d'avancer des sommes parfois considérables : «
Si
l'expertise dure deux ans, il
(l'expert)
n'est
rémunéré qu'au bout de cette période, sur
décision du juge, qui prononce une ordonnance de taxe. Ensuite, il lui
faut attendre que les parties paient
. »
Il convient de veiller à assurer une
rémunération
équitable
afin de ne pas détourner de la fonction nombre de
professionnels qualifiés.
L'exemple des experts constitue ainsi, avec celui des avocats, une illustration
des relations parfois difficiles qu'entretiennent les magistrats et les
auxiliaires de justice.
DEUXIÈME PARTIE
DES EXIGENCES ACCRUES DE PROXIMITÉ
ET DE
SPÉCIALISATION
La
justice est mal perçue par les citoyens. Elle leur apparaît comme
trop compliquée, trop rigide, trop lourde, trop lente et surtout trop
éloignée de leurs préoccupations. Pourtant, elle est
rendue en leur nom et joue un rôle essentiel à l'équilibre
de la société.
Le mouvement de rapprochement de la justice et des citoyens, qui s'est
amorcé, dans la ligne notamment du rapport de nos collègues
Hubert Haenel et Jean Arthuis publié en 1994
195(
*
)
, doit être aujourd'hui poursuivi. La
«
nostalgie du juge de paix
» relevée
à l'époque par nos deux collègues n'a en effet pas
cédé le pas, et il convient de s'interroger à nouveau sur
le concours que les citoyens pourraient apporter à la bonne marche de
leur justice.
Dans le même temps, la complexité croissante des contentieux
induit une exigence poussée de spécialisation. La poursuite de la
mise en place de pôles de compétence spécialisés
semble inéluctable pour garantir une justice de qualité.
CHAPITRE PREMIER
VERS UNE JUSTICE PLUS PROCHE DES CITOYENS
Les
citoyens aspirent à une justice qui soit plus proche d'eux.
Le terme de « proximité » a cependant de
multiples connotations. Il a un sens à la fois géographique
(présence dans les quartiers), temporel (rapidité des
décisions), humain (écoute et compréhension),
pratique (facilité d'accès). Il revêt également
une dimension sociologique en permettant aux corps sociaux de retrouver leur
autorité et leur rôle naturel de régulation de la
société.
Ainsi que l'ont souligné plusieurs magistrats devant la mission,
les parties à un procès ont besoin de comprendre ce qui se
passe, de pouvoir
s'exprimer
et d'être l'objet d'une
écoute qui ne leur est que rarement accordée par le juge,
faute de temps.
La partie qui succombe acceptera d'autant mieux sa
condamnation que celle-ci lui sera expliquée. Or, c'est de moins en
moins possible.
Les délais de jugement sont trop longs car la justice arrive
difficilement à absorber les effets d'une société de plus
en plus procédurière. L'encombrement dont elle souffre
l'étouffe sous le poids de dossiers et de procédures toujours
plus complexes au fil du temps.
Une véritable justice de proximité doit avant tout permettre
cette écoute du justiciable.
I. L'APPARITION D'UNE JUSTICE DE PROXIMITÉ
De
nouveaux lieux judiciaires de proximité, tels les maisons de justice et
du droit, les antennes de justice ou les antennes juridiques et de
médiation, sont apparus dans les dernières années pour
rapprocher la justice des citoyens et l'ouvrir sur la cité. Ces nouveaux
lieux sont devenus le cadre privilégié de procédures
alternatives aux procès : alternatives aux poursuites dans le
domaine pénal et procédures de règlement amiable des
conflits en matière civile.
Ces procédures alternatives sont fréquemment mises en oeuvre par
de nouveaux acteurs : délégués et médiateurs
du procureur, conciliateurs de justice, médiateurs civils ou familiaux
qui mériteraient d'obtenir une meilleure reconnaissance et d'être
davantage professionnalisés.
A. L'ÉMERGENCE DE NOUVEAUX LIEUX JUDICIAIRES DE PROXIMITÉ
Les maisons de justice et du droit (MJD) sont nées dans un cadre expérimental à l'initiative des parquets dans les années 1990, d'abord à Cergy-Pontoise, puis dans d'autres communes du Val-d'Oise, dans la région lyonnaise, à la Réunion et à Toulouse.
1. Des missions qui ont évolué dans le champ du droit civil et de l'accès au droit
Ces
structures répondaient au
départ à un objectif de
sécurité publique
. Leur création constituait ainsi
une tentative de réponse à la situation
d'insécurité dans les quartiers difficiles et, plus
généralement, à l'inadaptation de la justice,
particulièrement de la carte judiciaire. Elles sont devenues le cadre
privilégié de la mise en place de la « troisième
voie », permettant de donner à des faits de petite et de
moyenne délinquance une réponse pénale
présentée comme une alternative à la fois aux poursuites
et aux classements sans suite.
Les MJD sont des lieux de mise en oeuvre de politiques partenariales avec les
collectivités locales et les associations, définies notamment
dans le cadre des conseils communaux de prévention de la
délinquance (CCPD) et des contrats locaux de sécurité
(CLS).
Par la suite,
les MJD ont évolué dans le champ du droit civil
et de l'accès au droit
et leur localisation n'a plus
été cantonnée dans les quartiers sensibles. Les
conciliations et les médiations civiles se sont
développées. L'accès au droit, à travers
l'information, l'orientation et la multiplication des consultations juridiques
gratuites constitue désormais une part croissante de leur
activité. La « troisième voie », quant
à elle, est de plus en plus pratiquée dans les palais de justice.
Certains préconisent d'ailleurs de la réintégrer
complètement dans les tribunaux, estimant que seuls ces derniers
présentent la solennité nécessaire au traitement
pénal des infractions.
Les MJD sont devenues en quelque sorte le pendant des maisons des services
publics créées dans le cadre de la politique de modernisation et
de rapprochement des services publics des usagers.
2. Une institutionnalisation progressive des maisons de justice et du droit
Après une période d'expérimentation, la
loi
n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à
l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits
et le décret n° 2001-1009 du 29 octobre 2001 ont
consacré les maisons de justice et du droit dans le code de
l'organisation judiciaire.
Aux termes de l'article L. 7-12-1-1 du code de l'organisation judiciaire,
les MJD assurent une
présence judiciaire de proximité
et
concourent à
la prévention de la délinquance, à
l'aide aux victimes et à l'accès au droit.
Il est en outre
précisé que
les mesures alternatives de traitement
pénal et les actions tendant à la résolution amiable des
litiges
peuvent y prendre place.
Les MJD, dont la création reste facultative
196(
*
)
, sont placées sous l'autorité des
chefs du tribunal de grande instance dans le ressort duquel elles sont
situées. Le siège est donc autant impliqué que le parquet
dans le fonctionnement de la MJD, traduisant dans les textes le glissement
opéré vers le règlement des conflits civils et
l'accès au droit.
Aux termes des articles R. 7-12-1-1 et suivants du code de l'organisation
judiciaire, la création d'une MJD doit relever d'une
démarche
partenariale
. L'arrêté du garde des sceaux instituant une MJD
ne peut intervenir qu'après la signature d'une convention constitutive
entre différents partenaires, à savoir, non limitativement, le
préfet, le président du tribunal de grande instance dans le
ressort duquel est située la MJD, le maire de la commune ou le
président de l'établissement public de coopération
intercommunale concerné, le bâtonnier de l'ordre des avocats, une
ou plusieurs associations oeuvrant dans le domaine de la prévention de
la délinquance, de l'aide aux victimes ou de l'accès au droit et,
le cas échéant, le président du conseil
départemental de l'accès au droit.
La permanence du fonctionnement de la MJD est assurée par
un greffier
pris parmi l'effectif du greffe du tribunal de grande
instance. Un
magistrat
est désigné par les chefs de
la juridiction afin de coordonner les actions conduites au sein de
l'établissement.
En janvier 2002, il existait
84 maisons de justice et du droit
réparties dans 44 départements sur le ressort de 27 cours
d'appel. Une soixantaine de nouveaux projets étaient à
l'étude.
Un sondage réalisé début 2001 à la demande du
ministère de la justice montrait que les MJD restaient
relativement
peu connues
de la population de leur zone de compétence (72 %
des personnes interrogées ignoraient leur existence) mais que les
utilisateurs de ces établissements présentaient un
fort taux
de satisfaction
(89 %).
3. L'existence de structures plus légères
En
novembre 2001, il existait en outre
62
antennes de justice
,
réparties dans 9 cours d'appel, localisées dans 12
départements, dans le ressort de 13 tribunaux de grande instance.
Structures plus légères que les maisons de justice et du droit,
ces antennes remplissent en général les mêmes missions mais
elles ne sont pas soumises au même encadrement normatif. La justice est
moins directement impliquée dans leur fonctionnement et leur
contrôle.
A la même date existaient en outre
14 antennes juridiques et de
médiation
, dont 13 dans le ressort du tribunal de grande instance de
Marseille où la mission s'est rendue, et une dans le ressort du tribunal
de grande instance de Béthune. Ces antennes exercent des missions
d'accès au droit et de médiation civile ou pénale.
B. L'APPARITION DE NOUVEAUX ACTEURS DE LA JUSTICE
Le développement des procédures alternatives au procès, aussi bien en matière civile que pénale a induit l'apparition de nouveaux acteurs de la justice.
1. En matière civile : les conciliateurs de justice et les médiateurs
a) Les conciliateurs de justice : des bénévoles saisis d'un nombre d'affaires croissant
• Des bénévoles saisis d'un conflit en
amont
ou au cours d'une instance
Les conciliateurs ont été institués par le décret
n° 78-381 du 20 mars 1978, modifié en dernier lieu par le
décret n° 96-1091 du 13 décembre 1996 qui leur a
donné l'appellation de « conciliateurs de justice ».
Ils exercent leurs fonctions à
titre bénévole
dans
le cadre territorial du canton. On dénombre en France environ
1.800
conciliateurs de justice
exerçant dans 4.000 cantons. Leur nombre a
progressé de 35 % depuis 1995.
Ils ont pour mission de
faciliter le règlement amiable des
conflits
portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition.
Les matières intéressant l'ordre public telles que l'état
des personnes, le divorce, le droit pénal et les rapports entre les
particuliers et l'administration sont donc exclues de leur champ de
compétence.
En pratique, ils connaissent essentiellement
des petits conflits
individuels
: troubles de voisinage, litiges fonciers,
malfaçons, problèmes locatifs ou de consommation,
exécution des contrats.
Leur intervention est entièrement
gratuite pour les parties
.
Ils sont saisis de manière très simple :
- soit
directement par le justiciable
, par tout moyen (visite,
lettre, téléphone),
en dehors de toute procédure
judiciaire
;
- soit par
délégation du juge d'instance dans le cadre
d'une procédure devant le tribunal d'instance.
Les conciliateurs peuvent en effet être
désignés par le
juge afin d'exercer le pouvoir de conciliation que les textes reconnaissent
à ce dernier
:
- en application des articles 21 et suivants de la loi n° 95-125 du
8 février 1995 et du décret n° 96-1091 du 13
décembre 1996, ils peuvent être désignés pour
procéder à une
tentative préalable de conciliation
avant une instance, sauf en matière de divorce et de séparation
de corps
(articles 831 à 835 du nouveau code de procédure
civile). La mission du conciliateur ne peut excéder un mois,
renouvelable à la demande du conciliateur. Le juge peut y mettre fin
à tout moment, d'office ou à l'initiative d'une partie ou du
conciliateur ;
- en application du décret n° 98-1231 du 28 décembre
1998, ils peuvent, depuis le 1
er
mars 1999, être directement
désignés en cours d'instance par le juge d'instance, sans
formalité particulière,
quel que soit le mode de saisine du
tribunal (articles 840, 847 et 847-3 du nouveau code de procédure
civile). Dans certains tribunaux
197(
*
)
, des
conciliateurs sont ainsi présents à l'audience et interviennent
si les parties acceptent la conciliation proposée par le juge. Cette
nouvelle procédure tend à être utilisée plus
fréquemment ces dernières années.
Les conciliateurs assurent ainsi le plus souvent des permanences :
- dans le local de la mairie du chef-lieu de canton ;
- dans les locaux d'une maison de justice et du droit ;
- dans l'enceinte du tribunal d'instance lors d'une audience.
La
présence des parties
est obligatoire lors de la conciliation.
Le débat est contradictoire et les parties ont la faculté de
se faire assister d'un
avocat
.
En cas de réussite totale ou partielle de la conciliation, le
conciliateur établit un
constat d'accord
qui peut être
homologué par le juge pour recevoir force exécutoire
.
Cette homologation n'est toutefois pas obligatoire.
Les
conditions de recrutement
des conciliateurs sont les
suivantes :
- être majeur ;
- jouir de ses droits civils et politiques ;
- n'être investi d'aucun mandat électif dans le ressort de la
cour d'appel où le conciliateur exerce ses missions ;
- ne pas exercer d'activité judiciaire se rattachant au service
public de la justice, ni être officier public ou ministériel ;
- justifier d'une expérience d'au moins trois ans en matière
juridique et attester d'une compétence et d'une activité
qualifiantes pour l'exercice de cette fonction.
Les conciliateurs font l'objet d'une
gestion déconcentrée au
niveau des cours d'appel
, s'agissant de leur recrutement ou du
remboursement de leurs frais.
Ils sont nommés par ordonnance du premier président de la cour
d'appel sur proposition du procureur général pour une
première période d'un an. Ils peuvent être reconduits dans
leurs fonctions pour une période renouvelable de deux ans. Ils
prêtent serment devant la cour d'appel.
En application d'un arrêté du 15 mai 1997, ils peuvent être
indemnisés
de leurs frais de déplacement dans les
mêmes conditions que celles prévues pour les personnels civils de
l'État. En outre, ils peuvent se voir rembourser leurs menues
dépenses (frais de secrétariat, poste), dans la limite de
3.000 F par an (460 €) fixée par une circulaire du 30 janvier
1996, sur productions de justificatifs, et après accord des chefs de
cour d'appel.
Le
conciliateur-type est souvent un
retraité
compte tenu
de l'absence de rémunération et du temps qu'il faut
dégager. Il s'agit, pour la plupart, de personnes possédant une
bonne connaissance du droit ayant exercé les fonctions de notaire,
d'avocat ou de cadre de la fonction publique ou du secteur privé,
souvent dans le domaine des ressources humaines.
Conformément aux directives de la Chancellerie, l'École nationale
de la magistrature a mis en place, en liaison avec l'Association nationale des
juges d'instance et l'Association nationale des conciliateurs de France, un
plan de
formation des conciliateurs de justice
. Un guide
méthodologique a en outre été envoyé à tous
les conciliateurs. Cet effort de formation mériterait d'être
renforcé et systématisé.
• Un nombre d'affaires croissant mais encore insuffisant
En 2000, les conciliateurs ont été saisis de 106.891 affaires. Le
nombre d'affaires conciliées s'est élevé à 50.116
(soit un taux de 47 %). Ces chiffres sont en augmentation continue depuis
1995. Si l'on excepte les saisines qui, soit ne rentrent pas dans le champ de
la conciliation, soit s'apparentent davantage à des demandes de
renseignement juridique, il semblerait que le taux réel de
réussite s'élève environ aux trois quart des conciliations
réellement tentées, les conciliations ayant échoué
parmi ces dernières ne donnant pas toutes lieu par la suite à une
instance judiciaire.
A titre de comparaison, les tribunaux d'instance ont traité la
même année 489 048 affaires dont 389 942 dans des
domaines qui auraient pu entrer dans le champ de compétence du
conciliateur. En rapprochant ces deux chiffres, on peut s'apercevoir que les
conciliateurs ont été saisis d'un nombre de dossiers
représentant
un peu plus du quart des dossiers de même nature
traités par les tribunaux d'instance
(et représentant
80 % de l'activité des tribunaux d'instance).
La potentialité de croissance du nombre d'affaires soumises à
la conciliation reste donc élevée.
Encore faudrait-il que les justiciables soient systématiquement
orientés vers cette possibilité et que les conciliateurs soient
en nombre suffisant pour répondre à la demande.
Sur le premier point, la conciliation a fait l'objet d'un sondage de l'Institut
CSA, en octobre 1999, à la demande du ministère de la justice,
duquel sont ressortis les éléments suivants :
- 66 % des personnes interrogées n'avaient jamais entendu
parler de l'existence de la conciliation ;
- parmi les 34 % qui connaissaient cette procédure, 26 %
ignoraient en quoi elle consistait.
L'institution judiciaire devrait s'efforcer de faire connaître davantage
cette procédure qui demeure encore ignorée par les justiciables
mais donne généralement satisfaction à ceux qui y
recourent.
Selon les conciliateurs, les réserves des professionnels, en particulier
des avocats, demeureraient vives.
S'agissant du recrutement des conciliateurs, la mission a observé qu'il
n'était pas facile de
disposer d'un nombre suffisant de personnes
qualifiées
: la maison de justice et du droit que la mission a
visitée à Lormont ne proposait qu'une seule demi-journée
par semaine de conciliation, faute de conciliateur disponible.
Peut-être faut-il voir dans cette situation la limite du
bénévolat dans notre pays.
b) Les médiateurs : des personnes rémunérées sans statut véritable en quête d'organisation de leur profession
• La médiation en général
La médiation judiciaire a fait son apparition dans le code de
procédure civile à travers le décret n° 96-652
du 22 juillet 1996 pris en application de la loi n° 95-125 du 8
février 1995. Elle fait l'objet des articles 131-1 à 131-15 dudit
code.
Le médiateur est une tierce personne, personne physique ou association,
désignée par le juge avec l'accord des parties afin d'entendre
ces dernières et de confronter leurs points de vue pour leur permettre
de trouver elles-mêmes une solution au conflit qui les oppose.
Le médiateur ne propose pas lui-même de solution au litige. Il est
en cela moins directif que le conciliateur dans la conduite des
négociations entre les parties.
Si la personne désignée est une association, son
représentant légal soumet à l'agrément du juge le
nom de la ou des personnes physiques qui assureront l'exécution de la
mesure.
La médiation constitue une parenthèse dans la procédure
judiciaire. Sa durée initiale ne peut excéder trois mois,
renouvelable une fois à la demande du médiateur.
En cas de réussite de la médiation, les parties peuvent soumettre
l'accord auquel elles sont parvenues à l'homologation du juge, pour
qu'il lui donne ainsi force exécutoire.
Les médiateurs n'ont
pas de statut professionnel organisé
.
Les personnes physiques doivent remplir les conditions prévues à
l'article 131-5 du nouveau code de procédure civile :
- ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou
d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du
casier judiciaire ;
- ne pas avoir été l'auteur de faits contraires à
l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ayant donné
lieu à certaines sanctions disciplinaires ou administratives ;
- posséder par l'exercice présent ou passé d'une
activité, la qualification nécessaire eu égard à la
nature du litige ;
- justifier d'une formation ou d'une expérience adaptée
à la pratique de la médiation ;
- présenter des garanties d'indépendance nécessaires
à l'exercice de la médiation.
La rémunération du médiateur est fixée par le juge
et supportée par les parties qui doivent consigner les sommes
nécessaires.
Toutefois les frais incombant à la partie bénéficiaire de
l'aide juridictionnelle
sont à la charge de l'État en
application de l'article 22 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995.
Pour l'année 2000, le coût pour l'État de cette mesure
s'est élevé à près de 600.000 F (91.000 euros).
• La médiation familiale
La médiation a connu un essor particulier dans le domaine familial.
La
médiation familiale
vient d'ailleurs de connaître une
consécration spécifique dans le code civil, à travers la
loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à
l'autorité parentale.
Cette loi favorise le recours aux accords parentaux homologués et
à la médiation judiciaire. Cette dernière reste soumise
à l'accord des parties mais le juge peut imposer à celles-ci de
rencontrer un médiateur familial pour suivre une séance
d'information sur la médiation.
La proposition de loi relative au divorce adoptée par le Sénat en
première lecture au mois de février dernier comprend des
dispositions analogues.
La médiation familiale peut également être exercée
à titre préventif en dehors de toute action judiciaire.
Appelée alors médiation conventionnelle, elle se rapproche du
conseil conjugal et n'est pas éligible à l'aide juridictionnelle.
Les acteurs de la médiation familiale sont très divers
.
Cette médiation s'est en effet développée de
manière empirique. Il existerait à l'heure actuelle, en France,
environ 230 services de médiation familiale, dont 150 ont
adhéré au Comité national des associations et services de
médiation familiale créé en 1991 (C.N.A.S.M.F.).
Les caisses d'allocations familiales, les associations familiales, les mairies,
les conseils généraux sont des intervenants importants.
Les barreaux ont créé quant à eux, en juillet 2001, une
Fédération nationale des centres de médiation qui a
vocation à intervenir, notamment, dans le domaine de la médiation
familiale.
Selon une étude effectuée en mars 2000 par le C.N.A.S.M.F., les
médiateurs familiaux sont des femmes à plus de 78 % et sont
âgés de 40 à 60 ans à 81 %. Ils sont
majoritairement issus des professions sociales.
Si des associations ont mis au point des chartes de formation et de
déontologie de leurs membres, la formation des médiateurs n'est
pas organisée au niveau national.
A la suite d'un rapport rendu en juin 2001 par Mme Monique Sassier
1(
*
)
,
un Comité national consultatif de la
médiation familiale
a été créé par
arrêté du 8 octobre 2001 et installé sous la
présidence de cette dernière. Il est notamment chargé de
faire des propositions sur la formation des médiateurs familiaux, sur
l'agrément des centres de médiation et sur le financement de la
médiation.
S'agissant de la
formation des médiateurs familiaux
, il est
envisagé que la médiation familiale soit pratiquée par des
personnes ayant des expériences professionnelles dans des domaines
variés, aussi bien juridiques que sociaux, après une formation
d'environ 400 heures se partageant entre théorie et pratique, sachant
que la formation serait susceptible d'être adaptée en fonction de
l'expérience professionnelle déjà acquise. Les avocats,
par exemple, pourraient mettre leurs connaissances juridiques au profit de la
médiation, à condition de recevoir une formation aux techniques
même de médiation.
La question de la création d'une profession de médiateurs
familiaux à part entière, au vu de la spécificité
des affaires, ou de l'exercice de l'activité de médiation en
complément d'autres activités reste posée.
S'agissant du
financement de la médiation familiale
, le prix de
revient moyen pour les centres de médiation d'une séance d'une
heure et demie serait de 230 € (1500 F). Hors participation des
collectivités locales, les pouvoirs publics, à savoir les caisses
d'allocations familiales et les ministères de la justice et des affaires
sociales, consacrent à l'heure actuelle 4,2 millions d'euros à la
médiation familiale (28 millions de francs).
Une médiation familiale comprend en moyenne six séances d'une
heure et demie. Dans le cadre judiciaire, les parties consignent chacune
environ 230 € (1500 F) avant d'entreprendre la
médiation, chaque séance supplémentaire étant
facturée au couple environ 120 € (700 ou 800 F), sachant
que ces dépenses sont éligibles à l'aide juridictionnelle
au contraire des dépenses exposées dans le cadre de la
médiation dite conventionnelle.
Les associations subventionnées facturent les heures de médiation
conventionnelle selon un barème prenant en compte les ressources des
couples et pouvant démarrer à 3 euros pour les plus
démunis.
2. En matière pénale : les délégués et les médiateurs du procureur : des « bénévoles indemnisés » ou des salariés d'association
a) L'apparition des procédures alternatives aux poursuites
Le
procureur de la République décide de l'opportunité des
poursuites.
Parmi les options qui s'offrent à lui, il peut, lorsque les faits ont
été reconnus par leur auteur, recourir à l'une des
mesures alternatives aux poursuites
prévues aux articles 41-1,
41-2 et 41-3 du code de procédure pénale.
L'article 41-1 lui permet ainsi de procéder préalablement
à sa décision sur l'action publique, directement ou par
délégation, à l'une des mesures suivantes :
-
rappel
, auprès de l'auteur de l'infraction,
des
obligations qui résultent de la loi
;
- orientation vers une structure sanitaire, sociale ou
professionnelle ;
-régularisation au regard de la loi ou des règlements ;
-
réparation des dommages
résultant de
l'infraction ;
- avec l'accord de la victime,
médiation
entre l'auteur de
l'infraction et la victime afin de parvenir à un accord sur un mode de
réparation.
Les articles 41-1 et 41-2 lui permettent de recourir, soit directement, soit
par l'intermédiaire d'une personne habilitée, à une mesure
de
composition pénale
. Une telle mesure permet au parquet, tant
que l'action publique n'a pas été mise en mouvement, de proposer
à l'auteur de certains délits énumérés par
la loi, ou de certaines contraventions, des sanctions
déterminées, assorties de la réparation du dommage
à la victime. La proposition de sanction doit être acceptée
par l'auteur de l'infraction et validée par le président du
tribunal. Les sanctions susceptibles d'être prononcées sont :
une amende, dite amende de composition pénale, l'abandon au profit de
l'État de l'objet ayant servi à commettre l'infraction, la remise
du permis de conduire ou l'accomplissement d'un travail d'intérêt
général. Après exécution de la mesure, l'action
publique est éteinte.
Par ailleurs, l'article 12-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2
février 1945 relative à l'enfance délinquante
prévoit que le procureur de la République, la juridiction
chargée de l'instruction, et celle chargée du jugement ont la
faculté de proposer au
mineur
une
mesure ou une
activité d'aide ou de réparation à l'égard de la
victime
.
Ces mesures alternatives aux poursuites sont récentes au plan
législatif. La mesure de réparation pour les mineurs et la mesure
de médiation pour les majeurs ont été prévues par
la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la
procédure pénale. Les autres mesures résultent de la loi
n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de
procédure pénale.
En fait, ces textes législatifs sont venus consacrer, préciser et
étendre des pratiques qui s'étaient instaurées de
manière prétorienne sous l'égide des parquets dans les
années 1980.
Ces mesures permettent de
développer des réponses
pénales rapides et diversifiées aux actes de petite et de moyenne
délinquance élucidés
et donc de
réduire de
façon substantielle les classements sans suite de pure
opportunité
, tout en respectant les droits de la victime et ceux de
la défense. Une mesure comme la médiation, en permettant à
la victime et à l'auteur de l'infraction de se côtoyer, peut en
outre être un
facteur de rétablissement de la paix sociale
.
Le nombre de mesures alternatives mises en oeuvre est en augmentation sensible
ces dernières années. Elles se sont élevées
à
250.051 en l'an 2000
, soit un chiffre représentant plus
du triple de celui de l'année 1995, à comparer avec les 628.065
affaires ayant donné lieu à poursuite. Ont été
ainsi enregistrées : 116.694 rappels à la loi, 33.491
classements après médiation, 37.424 mesures conduisant au
désintéressement du plaignant ou à la
régularisation de la situation de l'auteur de l'infraction ainsi que
4.772 classements après réparation par un mineur.
La composition pénale a commencé à être mise en
application par certaines juridictions après l'intervention du
décret n° 2001-71 du 29 janvier 2001. L'ensemble des
interlocuteurs de la mission a cependant jugé que sa procédure
était beaucoup trop lourde à mettre en oeuvre.
b) Les délégués et les médiateurs du procureur
L'ensemble des mesures alternatives aux poursuites peut
être
mis en oeuvre, par délégation du procureur de la
République, par des personnes habilitées :
délégués du procureur
ou
médiateurs du
procureur
.
Les délégués du procureur, dont l'existence a
été consacrée par le décret n° 2001-71 du
29 janvier 2001, ne peuvent cependant pas procéder à
l'exécution d'une mesure de médiation pénale.
Les médiateurs du procureur peuvent, quant à eux, mettre en
oeuvre toute la gamme des mesures alternatives.
• Les conditions d'habilitation des personnes physiques et des
associations
Les articles R. 15-33-30 à R. 15-33-37 du code de
procédure pénale fixent les
conditions d'habilitation
des
délégués et des médiateurs du procureur.
L'habilitation couvre le ressort du tribunal de grande instance ou de la cour
d'appel. Dans le premier cas, la demande est instruite par le procureur de la
République, dans le second cas, par le procureur général.
Elle est ensuite soumise soit à l'assemblée
générale des magistrats du siège et du parquet du tribunal
soit à celle de la cour d'appel.
Il existe deux types d'habilitation : celle des
associations
et celle
des
personnes physiques
.
Les associations souhaitant obtenir l'habilitation doivent fournir leurs
statuts, la liste de leurs établissements, un exposé indiquant
leurs conditions de fonctionnement, les informations relatives aux membres de
leur conseil d'administration et à leurs représentants locaux
ainsi que des pièces de gestion comptable.
Le médiateur ou le délégué du procureur doivent
satisfaire aux conditions suivantes :
- ne pas exercer d'activités judiciaires à titre
professionnel ;
- ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, d'une incapacité ou
d'une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du
casier judiciaire ;
- présenter des garanties de compétence,
d'indépendance et d'impartialité.
Le délégué ou le médiateur du procureur
appelé à se voir confier des missions concernant les mineurs doit
en outre s'être signalé par l'intérêt qu'il porte aux
questions de l'enfance.
Seraient habilités à l'heure actuelle environ
700
délégués du procureurs et 800 médiateurs personnes
physiques
.
• La nécessité de contrôler davantage des
associations ayant un rôle important
Jusqu'à l'intervention du décret n° 2002-801 du
3 mai 2002, les associations devaient soumettre à
agrément individuel les personnes à qui elles désiraient
confier l'exécution de mesures alternatives aux poursuites.
Désormais, l'agrément de l'association sera suffisant.
Celle-ci devra néanmoins faire connaître au procureur de la
République les personnes à qui elle est susceptible de confier
des missions, le procureur de la République pouvant refuser celles
d'entre elles qui ne répondraient pas aux conditions posées par
les textes.
Cet assouplissement est dans la ligne de la politique de partenariat avec les
associations retracée dans la circulaire du ministère de la
justice sur la politique associative en date du 22 février 2002.
La mission regrette cependant la disparition de l'habilitation individuelle des
délégués et des médiateurs du procureur, estimant
que si l'action des associations est indispensable et doit être reconnue,
il importe que l'État continue à exercer au plus près
un contrôle sur les personnes apportant leur concours à une
activité régalienne par excellence
.
En l'an 2000, la chancellerie a dénombré 142 associations
ayant pris en charge des mesures alternatives aux poursuites.
Ces associations ont traité un petit nombre des rappels à la loi
(9.333 sur 116.694) et peu de mesures de classement sous condition de
réparation ou de régularisation (2.650 sur 37.424). La grande
majorité des 700 délégués du procureur actuellement
habilités sont en effet des personnes physiques, souvent
retraités de la gendarmerie et de la police nationales, et non des
salariés d'association.
En revanche, les associations ont traité plus de la moitié des
médiations pénales ayant réussi (19.382 sur 33.391, soit
58 %), leur taux de succès en la matière étant de
56 %.
Deux principales fédérations d'associations interviennent dans le
domaine de la médiation pénale : la Fédération des
associations socio-judiciaires « Citoyens et justice », et
l'Institut national aide aux victimes (INAVEM).
Les associations de la Fédération « citoyens et
justice » intervenant dans le champ de la médiation
pénale font de moins en moins appel à des bénévoles
et emploient une majorité de salariés, en raison des exigences de
professionnalisation liées à la technicité croissante des
interventions. Elles ont recruté quelque 150 emplois jeunes, juristes le
plus souvent.
En revanche, l'INAVEM fédère un réseau d'associations
proposant majoritairement des bénévoles comme médiateurs
pénaux.
• Une formation et des rémunérations insuffisantes
Si les textes font référence aux garanties de compétence
devant être présentés par les délégués
ou les médiateurs, ils n'exigent aucune
formation
spécifique
.
L'École nationale de la magistrature a mis en place, à l'automne
2001, une formation de formateurs destinés à intervenir sur 16
sites à l'attention des délégués du procureur.
La formation à la médiation est assuré principalement par
les deux principales fédérations d'associations
précitées pratiquant la médiation pénale,
auxquelles renvoie d'ailleurs la chancellerie dans ses brochures d'information
sur la médiation pénale.
L'article R. 121-2 du code de procédure pénale fixe les
conditions de rémunération
des
délégués et des médiateurs du procureur. Ces
derniers sont rémunérés à l'acte, sur frais de
justice. Les tarifs sont fonction de la nature de l'acte effectué, de sa
durée s'agissant de la médiation ainsi que de la qualité
de l'intervenant selon qu'il s'agit d'un particulier ou d'une association qui a
passé convention avec le premier président et le procureur
général. Ainsi, par exemple :
- pour un rappel à la loi : 7,5 € (11 €
pour une association conventionnée) ;
- pour un classement sous condition : 15 € (30 €
pour une association conventionnée)
- pour une mission de médiation : 39 € (pour une
association conventionnée : 75 € si la durée
de la mission est inférieure à un mois, 150 € si la
durée est comprise entre 1 mois et trois mois et 300 € au
delà de trois mois).
- pour une mission de composition pénale :
15 € pour la notification des mesures proposées et
7,5 € ou 15 €, en fonction des mesures, pour le suivi de
celles-ci (pour une association, respectivement : 30 €,
15 € et 30 €).
Ces tarifs sont augmentés de 7,5 € pour les mesures touchant
les mineurs afin de procéder à l'audition des responsables
légaux du mineur.
Le ministère de la justice recourt ainsi largement aux particuliers,
« bénévoles indemnisés », qui ne sont
pas déclarés en dépit d'un arrêt de la Cour de
cassation de 1994 censurant cette pratique.
Les associations regrettent que leur action soient marquées du sceau de
la précarité en raison du caractère aléatoire de la
commande judiciaire dû au fait que le recours à la
médiation pénale résulte de décisions individuelles
des magistrats. Elles déplorent également la faiblesse de la
rémunération qui leur est versée.
Les fonctions de délégué du procureur et de
médiateur
n'apparaissent donc pas à l'heure actuelle comme de
véritables métiers
. Leur compétence n'est pas garantie
par un niveau de formation minimum et leur rémunération est une
simple indemnisation. Cette situation conduit à recruter presque
exclusivement des retraités comme délégués du
procureur. Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souhaité qu'une
véritable rémunération soit versée à ces
derniers afin de pouvoir mobiliser plus facilement des citoyens encore actifs
et mieux formés.
C. UNE ADAPTATION PARFOIS DIFFICILE DES MÉTIERS TRADITIONNELS
Les métiers traditionnels s'adaptent, parfois avec quelques difficultés, aux nouvelles exigences de la proximité et aux procédures alternatives.
1. Les magistrats : des réticences tendant à s'estomper
La majorité des magistrats s'est montrée au départ très réticente à la mise en place de la justice de proximité et des mesures alternatives. Ces réticences commencent à s'estomper.
a) Trouver la bonne mesure entre proximité géographique, connivence et sécurité
Une
bonne connaissance de la population est considérée comme un gage
d'efficacité, principalement en matière pénale.
Le code de l'organisation judiciaire permet en tout état de cause de
rapprocher géographiquement la justice du justiciable,
indépendamment de l'implantation des tribunaux résultant de la
carte judiciaire, grâce à la tenue d'audiences foraines
décidées en fonction des nécessités locales par
ordonnance du premier président après avis du procureur
général (article L. 7-10-1-1 du code de l'organisation
judiciaire) ou à la mise en place de chambres détachées.
Des parquetiers et des juges des enfants ont obtenu des résultats
très positifs en matière de délinquance en s'immergeant
dans les quartiers.
Mais de nombreux interlocuteurs de la mission, notamment la Conférence
nationale des procureurs généraux, ont insisté sur la
nécessaire distanciation qui doit exister entre le magistrat,
principalement le magistrat du siège, et le justiciable
«
afin que ne puisse naître le soupçon de la
connivence que ne peut que faire surgir une trop grande
proximité
».
En outre, il semble que la Chancellerie n'encourage pas outre-mesure les juges
à exercer dans les quartiers défavorisés en raison des
risques d'agression induits.
b) Une méfiance persistante de certains à l'égard des procédures alternatives
De plus
en plus de magistrats sont de fervents partisans des procédures
alternatives.
Mais nombre de ceux rencontrés par la mission persistent à
regarder ces procédures avec méfiance, les considérant
comme l'apanage d'une justice au rabais mise en oeuvre dans une logique
d'écoulement des flux de contentieux, au mépris des droits des
parties que seul le juge pourrait réellement garantir.
En matière civile, les mairies et les gendarmes sont les principaux
pourvoyeurs de la conciliation. En revanche, il est encore assez rare que les
tribunaux encouragent systématiquement à la conciliation à
l'exception notable de Paris où, au niveau de l'accueil au greffe, un
document est systématiquement remis aux parties dans lequel il leur est
conseillé de rencontrer un conciliateur préalablement à
toute saisine du tribunal.
c) Une implication variable dans les maisons de justice et du droit
Enfin, les magistrats s'impliquent diversement dans le fonctionnement des maisons de justice et du droit. Celles-ci sont placées sous l'autorité des chefs des tribunaux de grande instance dans le ressort duquel elles sont situées. Un magistrat, du siège ou du parquet, est désigné par ces chefs de juridiction pour coordonner les activités de la maison de justice. L'implication de ces magistrats est cependant très variable, dans la mesure où ceux qui sont désignés ne bénéficient pas de décharge dans leurs fonctions au tribunal de grande instance.
2. Les greffes : une interface de proximité entre la justice et le citoyen
Les
greffes sont responsables de l'accueil et de l'orientation du public.
L'amélioration de l'accès des citoyens à la justice, dans
le cadre d'une politique de proximité les concerne donc au premier chef.
Afin d'améliorer l'accès à la justice et de simplifier les
démarches, la chancellerie a mis en place une expérience
réussie de
guichet unique des greffes, qui doit être
étendue
198(
*
)
.
Le guichet unique des greffes, point unique d'accès à la justice
pour le justiciable, serait ainsi
l'interface entre la justice et le
citoyen
de manière à rendre
l'organisation interne de la
justice transparente
pour
ceux qui désirent y avoir
accès.
D'autre part, les greffiers recueillent d'importantes responsabilités
dans le cadre des nouvelles implantations judiciaires de proximité que
représentent les maisons de justice et du droit.
Le décret n° 2001-1009 du 29 octobre 2001 précise
que le greffier en chef du tribunal de grande instance dans le ressort duquel
la maison de justice et du droit est situé veille au bon fonctionnement
administratif de celle-ci et qu'il y affecte des greffiers de ce tribunal.
Les greffiers affectés dans les maisons de justice et du droit ont pour
mission d'assurer l'accueil et l'information du public, la réception, la
préparation et le suivi des mesures alternatives aux poursuites. Ils
doivent en outre prêter leur concours au bon déroulement des
actions tendant à la résolution amiable des litiges. Ils sont,
enfin, chargés d'assister le juge responsable de la coordination des
actions de la maison de justice.
A l'heure actuelle, toutes les maisons de justice et du droit ne sont cependant
pas encore dotées d'un greffier.
3. Les avocats : vers un changement radical de culture
Les
avocats ont incontestablement un rôle prépondérant à
jouer dans la mise en place de la justice de proximité.
En dépit de leur culture traditionnelle qui les pousserait au
procès, les avocats intègrent les modes alternatifs de
résolution des conflits dans leurs comportements et participent à
la mise en place d'une politique d'accès au droit.
a) Les avocats, accompagnateurs parfois contestés des parties dans les procédures alternatives
La
présence d'un avocat aux côtés des justiciables dans les
modes alternatifs aux poursuites ou de règlement des conflits
peut-être essentielle pour les éclairer sur leurs droits sur
lesquels ils peuvent être amenés à transiger.
Les textes prévoient cette possibilité d'accompagnement. La
présence d'un avocat n'est certes pas expressément prévue
en cas de rappel à la loi ou de classement sous condition, mais elle
l'est en matière de conciliation civile, de médiation
pénale et de composition pénale. Le décret
n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 a d'ailleurs rendu
l'intervention de l'avocat en matière de médiation pénale
et de composition pénale éligible à l'aide
juridictionnelle.
Mais ils semblerait que, sur le terrain, certains avocats se plaignent
d'être systématiquement exclus des procédures telles la
médiation pénale ou la conciliation civile.
Le représentant de l'Association des conciliateurs de France, pour sa
part, a entretenu la mission de la difficulté qu'il y aurait à
aboutir à une conciliation dès qu'un avocat intervient dans la
procédure. Selon lui, deux aspects du métier d'avocat entreraient
en contradiction avec l'esprit même de cette procédure :
d'une part, une question financière, la conciliation ne pouvant pas
justifier la facturation d'honoraires conséquents, d'autre part, un
phénomène culturel, l'avocat très attaché à
la plaidoirie, étant conduit à tenter de « vaincre
l'adversaire » et de faire « gagner le client »
plutôt qu'à rechercher un accord.
Cette affirmation a été récusée par les avocats qui
ont estimé qu'il s'agissait là d'un propos réducteur,
souvent colporté insidieusement par certaines personnes voyant dans les
modes alternatifs un marché dont il conviendrait d'exclure les avocats.
Ces derniers considèrent que l'évolution de leur profession, et
notamment la fusion avec les conseils juridiques, les amène à
privilégier la transaction, le compromis et la recherche de solutions
amiables. Ils affirment qu'il est souvent plus facile d'arriver à une
solution d'apaisement et de compromis lorsque les parties sont assistées
de leurs conseils.
En tout état de cause, ils estiment que les dispositions
législatives prises en 1998 pour encourager les avocats à la
transaction sont insuffisantes.
La loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 et son décret
d'application n° 2001-512 du 14 juin 2001 ont en effet prévu
qu'en cas de transaction menée par l'avocat avant l'instance, ce dernier
bénéficierait d'une rémunération au titre de l'aide
juridictionnelle égale à celle qui lui aurait été
allouée s'il avait plaidé une affaire de même nature.
(article 39 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative
à l'aide juridique).
Mais il est précisé que lorsque les pourparlers ont
échoué, la rétribution accordée à l'avocat
au titre de l'aide juridictionnelle pour lesdits pourparlers sera
déduite de celle qui lui sera allouée postérieurement pour
l'instance introduite devant la juridiction en raison du même
différend.
Ainsi les avocats déplorent que l'un des leurs puisse travailler
à la recherche d'une transaction sans que ce travail soit
rétribué en cas d'échec de la conciliation.
b) L'avocat acteur même de la médiation
Les
dispositions légales, et notamment l'article 115 du décret
n° 91-1197 du 27 novembre 1991 régissant la
profession d'avocat, prévoient expressément que les avocats
peuvent être arbitres, médiateurs ou conciliateurs.
Indépendamment de leur présence dans les tribunaux arbitraux qui
se pratique depuis longtemps, les avocats, dans le cadre des dispositions de la
loi n° 95-125 du 8 février 1995, ont envisagé, comme
cela se fait dans de nombreux pays anglo-saxons, d'être eux-mêmes
médiateurs.
Une cinquantaine de barreaux ont ainsi créé des centres de
médiation qui désignent des avocats pour effectuer des
médiations tant en matière familiale qu'en toute autre
matière civile ou commerciale. Ces avocats suivent des formations
spécifiques à la médiation.
Une Fédération des Centres de Médiation coordonne les
actions et élabore des programmes de formation.
Par ailleurs, à Marseille, la mission a pu voir fonctionner de
très intéressantes séances de médiation
animées par l'Association de Soutien à la Médiation et aux
Antennes Juridiques (ASMAJ). Sur désignation du bâtonnier, un
avocat intervient systématiquement lors des médiations
en soutien d'un médiateur
et d'un permanent de l'association.
Rémunéré par le barreau, il n'est pas le conseil de l'une
ou l'autre partie, mais apporte sa caution à l'accord intervenu du point
de vue de sa validité juridique.
Cette collaboration a semblé
très pertinente à la mission
.
c) L'avocat acteur quelquefois ambigu de la politique d'accès au droit
Les
avocats participent à la politique d'accès au droit en dispensant
plusieurs milliers de consultations juridiques gratuites, notamment dans les
maisons de justice et du droit.
Certains barreaux participent d'ailleurs activement aux conseils
départementaux d'accès au droit (CDAD) qui déterminent et
financent la politique d'accès au droit dans les départements. De
nombreux avocats regrettent que la présidence de ces conseils, dont la
moitié des départements n'est d'ailleurs pas encore dotée,
soit dévolue aux présidents des tribunaux de grande instance,
estimant que la motivation de ceux-ci est souvent insuffisante. Certains
interlocuteurs de la mission ont cependant fait état d'obstacles mis par
certains barreaux à la mise en place de CDAD.
II. UNE PROXIMITÉ À RENFORCER
Le mouvement amorcé vers la proximité doit être amplifié par l'institution de véritables juges de proximité et une participation accrue des citoyens à la bonne marche de la justice.
A. CONFORTER LES JUGES D'INSTANCE COMME JUGES DE PROXIMITÉ
1. Successeur du juge de paix, le juge d'instance reste un juge de proximité
Les
juges de paix
avaient été créés par les lois
des 16 et 24 août 1790. D'abord élus au suffrage
universel, ils furent nommés par le pouvoir exécutif dès
le consulat. Proches du justiciable, puisqu'ils étaient implantés
dans chaque canton, ils apparaissaient comme des arbitres pacificateurs de la
France rurale.
Notables disposant d'une autorité morale, ils
statuaient à juge unique
(au départ, étaient
prévus deux assesseurs),
en équité, sans frais ni
écritures
. Il ne sera exigé d'eux qu'ils aient des
connaissances juridiques qu'en 1926
199(
*
)
. Ils
pouvaient apparaître en quelque sorte comme la survivance de la justice
seigneuriale.
L'urbanisation croissante a réduit l'activité de la justice de
paix. Par suite de regroupements opérés par le
législateur, il n'existait plus, en 1958, que 700 juges de paix sur
2.092 au départ.
L'ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958, adoptée
dans le cadre de l'article 92 de la Constitution, a supprimé les juges
de paix et créé les tribunaux d'instance.
Il existe à l'heure actuelle 473 tribunaux d'instance regroupant environ
775 juges d'instance sur un effectif total de 6 500 magistrats.
Ces tribunaux d'instance dépendent administrativement des tribunaux de
grande instance. Leurs magistrats et leurs personnels des greffes sont
rattachés au tribunal de grande instance de leur ressort. Dotés
d'un magistrat directeur et d'un greffier en chef, ils jouissent cependant
d'une certaine autonomie de gestion.
Les tribunaux d'instance ont gardé des points communs avec les juges
de paix, qui en font de véritables juridictions de
proximité
:
- ils sont proches géographiquement des justiciables, même si
la carte des implantations des tribunaux d'instance est désormais en
décalage manifeste avec la répartition actuelle de la population.
Le ressort géographique du tribunal est en principe l'arrondissement. Il
est en outre possible de tenir des audiences foraines en fonction des
nécessités locales ;
- la conciliation reste leur objectif primordial (article 829 du code
de l'organisation judiciaire) ;
- ils sont d'accès simple :
- le recours à l'assignation n'est pas obligatoire pour les
litiges d'un montant inférieur à 3 800 €, le tribunal
pouvant être saisi par la voie de la déclaration au greffe ;
- la représentation par avocat n'est pas obligatoire, ce qui
représente une facilité certaine pour le justiciable tout en
ayant l'inconvénient de le priver de l'assistance d'un technicien et de
ne pas établir de filtre aux recours ;
- la procédure est orale et le justiciable peut formuler ses
prétentions de manière verbale à l'audience.
Contrairement aux juges de paix, les juges d'instance sont des magistrats
professionnels. Leurs attributions sont plus étendues et ils doivent
faire face à un véritable contentieux de masse.
2. Une fusion envisagée des tribunaux d'instance et de grande instance
a) La complexité de la répartition des compétences entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance
La répartition des compétences entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance est d'une complexité extrême, comme l'atteste le tableau reproduit ci-dessous issu de la brochure diffusée au public par la Chancellerie.
Répartition des compétences entre le tribunal
d'instance
et le tribunal de grande instance
Nature du litige |
Tribunal
|
Tribunal
|
Famille - Etat civil |
|
|
- Adoption |
|
X |
- Consentement à adoption |
X |
|
- Autorité parentale |
|
X |
- Contribution aux charges du mariage |
|
X |
- Divorce |
|
X |
- Droit de visite |
|
X |
- Émancipation des mineurs |
X |
|
- État civil/Rectification des actes de l'état civil |
|
X |
- Filiation |
|
X |
- Nationalité (contestation, revendication) |
|
X |
- Déclaration d'acquisition de la nationalité
|
X |
|
- Pension alimentaire après divorce |
|
X |
- Pension alimentaire : main levée
|
X |
|
- Régimes matrimoniaux |
|
X |
- Successions |
|
X |
- Séparation de corps ou de biens |
|
X |
- Tutelles, curatelles :
|
X |
|
Consommation et contrats |
|
|
- Crédit à la consommation |
jusqu'à 21.500 € |
au-delà de 21.500 € |
- Livraison non conforme |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Travaux mal effectués, inachevés,
|
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Contrats d'assurances |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Crédit immobilier : |
|
|
- délais de grâce |
X |
X |
- autres litiges |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Dettes impayées |
jusqu'à 7.600 €
|
au-delà de 7.600 € |
- Démarchage à domicile,
|
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Location logement (loyers, charges...) |
X |
|
- Bail commercial |
|
X |
Saisies |
|
|
- Saisies |
|
X |
- Saisies-arrêt des rémunérations |
X |
|
- Saisies immobilières |
|
X |
Propriété immeuble voisinage |
|
|
- Copropriété (statut) |
|
X |
- Copropriété (charges impayées) |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Expropriation (indemnisation) |
|
X |
- Indivision |
|
X |
- Propriété immobilière (revendication du droit) |
|
X |
- Mitoyenneté et actions en bornage |
X |
|
- Plantation d'arbres ou de haies |
X |
|
- Servitudes |
X |
|
Autres |
|
|
- Accident de la route |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Responsabilité civile |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Propriété d'un bien meuble |
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
- Jouissance d'un bien meuble ou immeuble
|
jusqu'à 7.600 € |
au-delà de 7.600 € |
Source : Ministère de la justice.
Le tribunal d'instance a une
compétence propre d'attribution dans
certains domaines
(tutelles, injonction de payer, paiement direct des
pensions alimentaires, saisie-arrêt des rémunérations, baux
d'habitation, contentieux électoral politique et professionnel, bornage
et mitoyenneté, servitudes, consentement à l'adoption,
déclaration de nationalité, émancipation des mineurs). Il
a une
compétence partagée avec le tribunal de grande
instance
dans d'autres domaines jusqu'à un
certain seuil de
prétention des parties (7.600 €)
.
Cette répartition de compétences n'est
pas toujours
logique
, la complexité juridique d'une affaire ne dépendant
pas du seuil de prétention des parties. Les actions pétitoires
tendant à la réclamation d'un droit de propriété
relèvent du tribunal de grande instance, alors que les actions
possessoires qui tendent à la sauvegarde d'un droit sur les mêmes
biens relèvent du tribunal d'instance. En outre, le contentieux
familial, souvent considéré comme un contentieux de
proximité, échappe presque entièrement au tribunal
d'instance, étant dévolu au juge aux affaires familiales qui
exerce au sein du tribunal de grande instance.
En
matière civile
, le tribunal d'instance est le juge des petits
litiges quotidiens, souvent des contentieux de masse, dont l'importance
peut-être considérable pour les parties en cause. Ces tribunaux
ont jugé 491 527 affaires civiles en 2000 (contre 593 462 pour
les tribunaux de grande instance). Les contentieux les plus fréquents
concernent les baux, le crédit, le surendettement (compétence du
juge de l'exécution souvent dévolue au tribunal d'instance) et
l'injonction de payer.
En
matière pénale
, le tribunal d'instance constitue le
tribunal de police appelé à juger des contraventions. Cet
important contentieux de masse est en fait souvent traité par le biais
de l'amende forfaitaire majorée mise en oeuvre par le seul
ministère public ou par celui de l'ordonnance pénale qui
évite le passage de l'affaire à l'instance en permettant au juge
de valider l'amende proposée par le ministère public.
b) Un projet de création d'un tribunal de première instance suscitant des réticences
A la
suite des entretiens de Vendôme,
il a été
envisagé de fusionner le tribunal de grande instance et le tribunal
d'instance dans un tribunal de première instance
, de manière
à mettre fin à une répartition des compétences
complexe et à permettre la mutualisation des moyens matériels et
humains des tribunaux d'instance et de grande instance. Indépendamment
de la réforme de la carte judiciaire, l'ensemble des implantations
judiciaires existantes pourrait être ainsi mis au service de la nouvelle
juridiction, par exemple en tant que chambres détachées.
Cette proposition se heurte à la
vive opposition
des associations
de juges et de greffiers en chef exerçant dans les
tribunaux
d'instance
, qui réclament au contraire une véritable
autonomie des tribunaux d'instance par rapport aux tribunaux de grande
instance. En outre, plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné
que, grâce à leur souplesse de fonctionnement et à leur
taille humaine, les tribunaux d'instance étaient les juridictions qui
fonctionnaient le « moins mal » en France et ils ont craint
que cet outil ne soit cassé s'il devait être fondu dans de trop
grandes structures.
Lors de sa visite au tribunal d'Arcachon, la mission a ainsi pu constater
l'efficacité de ce tribunal attestée par le fait que les parties,
préférant que leurs affaires soient jugées par le tribunal
d'instance, acceptaient de rabattre leurs prétentions pour que leur
demande reste en deçà du seuil de compétence du tribunal
de grande instance.
D'une manière générale, les délais de jugement du
tribunal d'instance sont en effet plus réduits que ceux des tribunaux de
grande instance. En 2000, ils se sont élevés en moyenne à
5,1 mois (contre 8,9 mois pour les tribunaux de grande instance)
sachant que la moitié des affaires ont été jugées
en 3,3 mois (contre 5,1 mois pour les tribunaux de grande instance).
Tout en considérant qu'un effort de rationalisation et de
clarification doit être entrepris, la mission ne souhaite pas prendre
partie sur la création d'un tribunal de première instance en tant
que tel
.
Elle estime qu'une bonne organisation doit en tout état de cause
permettre :
- au justiciable de
saisir la justice de manière
transparente
quelle que soit la juridiction compétente, cet
impératif pouvant parfaitement être rempli par la mise en place
d'un guichet unique des greffes ;
- à un
juge de proximité de suivre une population
donnée.
Peu importe alors
de savoir si ce juge dépend
d'un tribunal d'instance ou de première instance.
Elle estime qu'il convient avant tout de
conforter le rôle de
proximité tenu actuellement par le juge d'instance
que ce soit dans
une structure ou une autre, ce qui suppose le maintien, voire le
développement, du parc immobilier actuellement affecté aux
tribunaux.
Ce juge de proximité n'aurait pas pour seule fonction de juger mais
il animerait une politique de règlement alternatif des conflits mise en
oeuvre, sous son contrôle, grâce à une participation accrue
des citoyens.
B. FAVORISER UNE PARTICIPATION PLUS IMPORTANTE DES CITOYENS
1. En encourageant le développement des procédures alternatives au procès conduites par des magistrats non professionnels
S'agissant du petit contentieux, il convient de poursuivre le mouvement amorcé vers une justice de proximité plus simple, plus souple, plus rapide, plus réactive et gratuite en promouvant sous une forme nouvelle des mesures alternatives de règlement des conflits en amont du procès. Cette justice de proximité pourrait s'appuyer en particulier sur les tribunaux d'instance et sur le développement du réseau des maisons de justice et du droit (MJD), voire d'antennes de justice.
a) En matière civile : instaurer des « juges de paix délégués » dotés de prérogatives importantes pour régler les conflits à l'amiable.
Afin de
favoriser le développement des procédures alternatives au
conflit, pourrait être envisagée en matière civile la mise
en place d'un «
juge de paix
délégué
».
Ce magistrat non professionnel de carrière aurait, comme les
conciliateurs et les médiateurs actuels, vocation à agir pour
rapprocher les parties et leur proposer les solutions qu'il juge
équitables, en amont d'une procédure judiciaire.
Il aurait suivi une formation appropriée et serait correctement
indemnisé.
Il serait assisté d'un greffier.
Il serait nommé par le président du tribunal de grande instance,
sur proposition du juge de proximité, et
disposerait, par
délégation de celui-ci, de pouvoirs propres,
moindres
cependant que ceux des magistrats professionnels mais nettement
supérieurs à ceux des conciliateurs et des médiateurs
actuels.
Les accords intervenus par son entremise auraient ainsi
automatiquement
force exécutoire.
En cas de désaccord, et dans l'hypothèse où les parties
envisageraient de poursuivre la procédure, le juge de paix
délégué transmettrait au juge de proximité le
constat de désaccord
, accompagné de sa
proposition de
règlement du conflit
. Le juge de proximité aurait la
possibilité d'avaliser directement cette proposition sans appeler les
parties à l'audience.
Les
juges d'instance
- en tant que «
juges de
proximité
» - seraient appelés à jouer
un
rôle d'animation
- voire de contrôle ou de supervision si
nécessaire - de l'ensemble de ce dispositif.
Le juge de paix délégué ne pourrait donc pas imposer une
solution aux parties sans l'aval du juge de proximité. Son
autorité serait d'autant plus reconnue que ses propositions de
règlement seraient fréquemment validées par le juge de
proximité.
Le juge de paix délégué jouerait, en quelque sorte, le
rôle d'un arbitre à l'autorité morale incontestée -
à l' «
autorité morale de
conviction
» selon la formule du premier président de la
Cour de cassation - et aux compétences juridiques reconnues. Il serait
proche des citoyens et connaîtrait leurs problèmes au quotidien.
Sous le regard du juge de proximité et agissant essentiellement en
équité, il serait l'expression d'une justice « hors du
Palais », facilement accessible et à l'écoute de
chacun. Ce magistrat issu de la société civile traiterait les
affaires dont il serait saisi
« avec peut être moins de
science juridique mais à coup sûr plus de connaissance du terrain
et des hommes
» pour reprendre la formule de notre
collègue Pierre Fauchon.
Le recours à ces juges de paix délégués ne serait
pas rendu obligatoire
. Les expériences passées et
actuelles de conciliation préalable obligatoire se sont en effet
révélées être des échecs.
De manière à favoriser le passage devant ces juges de paix,
l'accès
direct à la justice traditionnelle « dans le
Palais » serait cependant rendu plus contraignant
.
L'assignation deviendrait ainsi la règle
pour toute saisine du
tribunal non précédée d'une tentative de conciliation dans
les domaines où elle aurait été possible.
Il pourrait également être envisagé d'aller plus
loin
, en confiant au juge de paix délégué le
pouvoir de trancher lui-même les conflits
actuellement
jugés en dernier ressort par le juge d'instance (actuellement, selon
l'article R. 321-1 du code de l'organisation judiciaire, affaires d'un
montant n'excédant pas 3.800 €). Dans ces conditions, le juge
de proximité jouerait un rôle d'appel et le passage par la justice
de paix serait alors obligatoire pour ces affaires.
Dans cette approche centrée sur le citoyen, le développement
du « guichet unique » trouve également toute sa
place.
L'accès à la justice doit être simple, facile et
compréhensible. Le justiciable n'a pas à connaître les
arcanes de l'organisation de la justice ni la complexité des
règles de compétence pour être à même de s'y
retrouver
.
La réussite d'un tel dispositif exige donc trois conditions
essentielles :
- Les juges de paix délégués devraient avant tout
être
correctement formés
aussi bien sur le plan juridique
que sur le plan des techniques de conciliation et de médiation. Faute de
connaissances juridiques suffisantes, les nouveaux magistrats ne pourraient pas
affirmer leur autorité. Les parties devront en effet avoir la certitude
qu'une décision, même prise en équité, ne l'aura pas
été en méconnaissance totale des règles de droit
applicables ;
- ils devraient en conséquence bénéficier
d'une
réelle rémunération
. A l'opposé de ce qui
existe en Grande-Bretagne avec les « magistrates », il
semble que la non-rémunération serait dans notre pays, un
obstacle au recours à des magistrats non professionnels. La mission a pu
constater, lors de sa visite à la maison de justice et du droit de
Lormont, qu'il était en effet difficile, à l'heure actuelle, de
trouver en nombre suffisant des conciliateurs qualifiés ;
- ils agiraient sous le
contrôle du juge de proximité
avec lequel ils devraient avoir
une certaine communauté de vue
.
Un juge de paix délégué dont les propositions de
règlement seraient fréquemment désavouées par le
juge de proximité perdrait en effet tout crédit vis à vis
des justiciables.
La mission propose donc, en matière civile, d'instituer des juges de
paix délégués, magistrats non professionnels de
carrière, correctement rémunérés et formés,
dotés de pouvoir élargis en matière de règlement
des conflits en amont d'une procédure judiciaire.
b) En matière pénale : conforter le rôle des délégués du procureur
Par
analogie avec ce qui est proposé pour le civil, il pourrait être
envisagé
d'élargir les dispositions relatives au
délégué du procureur.
Seraient regroupées sous cette appellation unique les fonctions
actuellement dévolues aux délégués et aux
médiateurs du procureur. Ce représentant du parquet serait en
quelque sorte « un procureur délégué »
sur le terrain dans le cadre de la politique de proximité.
Il deviendrait un
magistrat non professionnel de carrière,
rémunéré, nommé par le procureur de la
République et disposant des délégations requises.
Il pourrait remplir, sur saisine du procureur - qui continuerait à jouer
le rôle de filtre -
l'ensemble des missions alternatives au classement
sans suite
allant du rappel à la loi jusqu'à la composition
pénale en passant par la médiation pénale.
Il
importe, en effet, que l'ensemble des actions relevant de cette justice de
proximité, « hors du Palais », soient conduites par
des « magistrats » - même si, en tant que non
professionnels, ils n'en auraient pas tous les pouvoirs.
C'est la raison pour laquelle il semble
préférable de replacer
les associations dans leur rôle indispensable d'accompagnement et de
soutien
, mais non de conduite de la politique pénale de
médiation ou de composition. Leur rôle doit s'arrêter
là où s'exerce et doit s'exercer celui des pouvoirs publics.
En ce qui concerne le « rappel à la loi », le fait
qu'il relève de la justice de proximité « hors du
palais » ne s'oppose pas à ce qu'il ait lieu au tribunal
même pour lui conférer davantage de solennité et d'effet.
Il doit, cependant, être bien clair que le recours à une
procédure alternative au classement sans suite doit
systématiquement déboucher sur une poursuite en cas
d'échec
.
En tout état de cause, la mise en place de manière
institutionnalisée et plus solennelle des modes alternatifs au
règlement des conflits sous la forme d'une « justice de
proximité hors du Palais » ne doit pas se traduire par un
abandon par l'État de son pouvoir régalien de justice, ni
apparaître comme un palliatif à un manque de moyens. Elle doit, au
contraire, être une réponse utile et adaptée à des
besoins réels.
La mission propose donc, en matière pénale, de conforter les
délégués du procureur qui deviendraient des magistrats non
professionnels de carrière, désignés à titre
individuel par le procureur de la République, correctement
rémunérés et formés de manière à
être susceptibles d'accomplir l'ensemble des mesures alternatives aux
poursuites.
2. En associant les citoyens au jugement
L'accroissement de la place du citoyen dans le fonctionnement de la justice peut passer par une participation accrue aux jugements eux-mêmes.
a) Le recours aux magistrats non professionnels existe déjà en France
La
justice est déjà exercée en France par de nombreux
magistrats non professionnels.
Cette participation des citoyens a pour objet soit de donner une plus grande
légitimité démocratique à la décision, soit
de bénéficier de l'expérience de personnes issues d'un
milieu professionnel déterminé.
A côté des juridictions composées uniquement de magistrats
professionnels, existent des juridictions composées uniquement de juges
non professionnels :
- les 3.300
juges des tribunaux de commerce,
dits juges
consulaires, sont élus par les chefs d'entreprise et les
commerçants sur des listes établies par les chambres de commerce
et de l'industrie et composent dans leur intégralité les 191
tribunaux de commerce ;
- les 14.000
conseillers de prud'hommes
sont pour moitié des
juges élus par les salariés et pour l'autre moitié
élus par les employeurs. La composition des 271 conseils de prud'homme
est paritaire et en cas de partage des voix, il est fait appel au juge
d'instance en tant que juge départiteur.
Plusieurs autres juridictions associent, selon le principe de
l'échevinage, des magistrats professionnels et des juges non
professionnels élus ou désignés, les magistrats
professionnels présidant la juridiction :
- la
cour d'assises
est une juridiction départementale non
permanente compétente pour juger les crimes. Elle comprend trois
magistrats professionnels, dont un président et deux assesseurs, et un
jury de neufs citoyens désignés par tirage au sort. Certains
crimes, notamment en matière de trafic de stupéfiants ou de
terrorisme sont jugés par une cour d'assises composée uniquement
de sept magistrats professionnels. La cour d'assise d'appel, instituée
par la loi du 15 juin 2000, comprend quant à elle 12
jurés citoyens ;
- le
tribunal pour enfants
est composée du juge des enfants,
qui le préside, et de deux assesseurs désignés par le
garde des Sceaux parmi des personnes particulièrement compétentes
à l'égard des mineurs, sur des listes préétablies
par les chefs de cour d'appel. Ces assesseurs sont souvent des enseignants, des
représentants d'associations diverses oeuvrant dans le domaine de
l'enfance, ou même des pères ou mères de famille ;
- le
tribunal paritaire des baux ruraux
est composé de deux
représentants des propriétaires-fermiers et de deux
représentants des métayers-fermiers ; il est
présidé par le juge d'instance ;
- le
tribunal des affaires de sécurité sociale
est
composé paritairement d'un représentant des caisses de
sécurité sociale et d'un représentant des ayants droit
à la sécurité sociale, désignés par les
caisses de sécurité sociale et les organisations syndicales
représentatives. Il est présidé par un magistrat du
tribunal de grande instance ou un magistrat honoraire ;
- en
Nouvelle-Calédonie
, l'échevinage a
été institué par la loi n° 89-378 du
13 juin 1989 en matière correctionnelle pour associer la
société coutumière à la justice. Le tribunal de
première instance est complété par deux assesseurs ayant
voix délibérative, choisis pour une durée de deux ans
parmi des personnes présentant des garanties de compétence et
d'impartialité.
b) L'échevinage pourrait être étendu dans les juridictions civiles et pénales de droit commun
La
question peut se poser de savoir s'il ne conviendrait pas d'adjoindre des
citoyens aux magistrats des tribunaux de droit commun de l'ordre judiciaire.
Cette question n'a pas fait l'unanimité parmi les interlocuteurs de la
mission. De nombreux magistrats ont fait ressortir les difficultés de
fonctionnement des cours d'assises et ont craint que le recours à des
magistrats non professionnels ne soit qu'un pis aller pour pallier l'absence de
moyens de la justice.
Certains ont considéré que l'échevinage conférerait
un surcroît de légitimité à la décision
judiciaire et qu'il permettrait, en faisant mieux connaître la justice
aux citoyens, de constituer un relais d'information vers la
société civile. D'autres ont cependant récusé
l'idée selon laquelle les décisions des magistrats professionnels
manqueraient de légitimité.
L'idée d'un échevinage dans le domaine pénal semble
généralement mieux acceptée que dans le domaine civil,
même si le risque existe que les échevins soient l'objet de
mesures de rétorsion de la part des délinquants qu'ils seraient
amenés à juger.
Les partisans de l'échevinage sont néanmoins conscients de la
difficulté de la détermination du mode de sélection des
échevins et des matières dans lesquelles ces derniers pourraient
intervenir.
La mission a constaté que l'échevinage avait apporté des
réponses satisfaisantes dans différents secteurs comme la justice
des enfants ou en Nouvelle-Calédonie. Elle considère qu'il
pourrait offrir aux magistrats une ouverture sur l'extérieur avec une
vision différente.
Celle-ci permettrait au juge, par une comparaison des points de vue, de sortir
des contraintes d'un environnement qui peut, à la longue, par trop peser
sur sa décision. Serait ainsi rétabli un humanisme qui semble
parfois faire défaut à la justice.
D'une manière générale, l'échevinage
pourrait
avoir l'avantage de rétablir la collégialité là
où le juge unique a été institué
. Il pourrait
ensuite être étendu à des matières jugées
collégialement à l'heure actuelle.
Il pourrait en outre permettre, dans certains contentieux très
techniques, d'associer au jugement des
experts
de la matière, tel
que cela se pratique couramment en Norvège.
La mission a estimé que pourrait être utilement
envisagée dans certains tribunaux une expérimentation permettant
de recourir à des assesseurs non professionnels aux compétences
bien définies avec des profils de recrutement parfaitement ciblés
- ils ne seraient donc pas tirés au sort -, auxquels serait
délivrée une formation adéquate.
CHAPITRE II
UNE SPÉCIALISATION RENDUE NÉCESSAIRE
PAR UN
CONTENTIEUX DE PLUS EN PLUS COMPLEXE
La
complexité croissante du droit et des procédures, l'augmentation
des contentieux imposent une spécialisation des juridictions, des
magistrats mais également des auxiliaires de justice, en particulier des
avocats.
Comme on l'a vu, cette exigence n'est qu'en apparence contradictoire avec la
demande de justice de proximité ; au contraire, elle en constitue
le complément indispensable : la proximité n'implique pas de
multiplier les juridictions mais de faciliter leur accès,
d'accélérer les procédures et de garantir la
qualité des décisions rendues. En fonction de leur nature et de
leur degré de complexité, certains contentieux peuvent être
jugés rapidement et simplement, d'autres requièrent des
connaissances juridiques particulières et des expertises. En tout
état de cause, la spécialisation est un facteur de
rapidité de la prise de décision.
La spécialisation des magistrats, déjà ancienne, se
poursuit, celle des avocats reste inégale, tandis que celle des
juridictions se développe progressivement.
I. UNE SPÉCIALISATION DES MAGISTRATS DÉJÀ ANCIENNE
Ancienne
et courante dans les juridictions les plus importantes, la
spécialisation des magistrats
s'avère plus factice dans les
petites juridictions
car, en l'absence d'effectifs suffisants, les
juges
sont appelés à exercer indifféremment toutes les
fonctions
.
Comme le relevait la Conférence nationale des premiers présidents
de cour d'appel, «
la spécialisation des magistrats
constitue un gage d'efficacité et de sécurité juridique
mais, pour ne pas conduire à la sclérose, elle doit rester
temporaire
».
Considérant que la mobilité géographique et la
mobilité fonctionnelle s'avéraient indispensables, le
Sénat a fait inscrire dans la loi organique n° 2001-539 du 25
juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de
la magistrature la limitation à sept ans de la durée d'exercice
des fonctions de chef de juridiction dans une même juridiction, et
à dix ans de celle de certaines fonctions
spécialisées
200(
*
)
, tout en
l'entourant de garanties afin de respecter le principe de
l'inamovibilité des magistrats.
Les magistrats pourront ainsi acquérir une spécialisation dans
certaines matières et y faire carrière, tout en satisfaisant
à une saine obligation de mobilité géographique.
Cette évolution du métier de magistrat vers une plus grande
spécialisation commence à être prise en compte par
l'institution judiciaire : désormais, avant son affectation dans
une juridiction, l'auditeur de justice suit une préparation à
l'exercice de son premier emploi, répartie en un complément de
formation théorique d'un mois à Bordeaux, et un stage de cinq
mois.
La mission a tenu à faire le point sur chacune des fonctions
spécialisées occupées par les magistrats en organisant
l'audition de leurs représentants.
A. LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DOIT FAIRE FACE À UN CONTENTIEUX DE MASSE
Le
contentieux familial est un contentieux de masse, puisqu'il représente
près de la
moitié du contentieux civil
201(
*
)
.
Il s'est longtemps caractérisé par un fractionnement de
compétences selon les questions à trancher, entre le tribunal de
grande instance, le juge aux affaires matrimoniales, le tribunal d'instance, le
juge des tutelles et le juge des référés. Cette
dispersion
était source de confusions pour le justiciable et de
lenteur de la justice.
Le juge aux affaires familiales a donc été créé par
la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 relative à
l'état civil, à la famille et aux droits de l'enfant et
« instituant le juge aux affaires familiales » pour traiter
la plupart des questions relatives à la vie familiale rencontrées
par les couples, mariés ou non, et leurs enfants.
Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'organisation judiciaire, il
s'agit d'un juge du tribunal de grande instance délégué
aux affaires familiales. En raison de nombreuses attributions, la plupart des
juges aux affaires familiales exercent leurs fonctions à 80 % et ne
participent que marginalement aux autres audiences du tribunal.
Le métier de juge aux affaires familiales exige de grandes
capacités d'écoute
et de solides connaissances juridiques.
Les conflits de compétences avec d'autres magistrats demeurent mais sont
généralement résolus de manière informelle.
1. « Un métier qui exige de grandes capacités d'écoute »
Le juge
aux affaires familiales détient des compétences nombreuses qui
ont trait au divorce et à la séparation de corps, à
l'autorité parentale, à l'obligation alimentaire, à
l'état civil ou encore aux intérêts de la famille.
Il ne peut toutefois intervenir dans les domaines suivants :
- protection des mineurs et des majeurs (tutelles, curatelles),
consentement à l'adoption, émancipation des mineurs de 16 ans,
qui relèvent du tribunal d'instance ;
- successions, actions relatives à la filiation et à fin de
subsides, retrait total ou partiel de l'autorité parentale, qui
relèvent du tribunal de grande instance, et régimes matrimoniaux,
qui relèvent également du tribunal de grande instance (sauf pour
la liquidation du régime matrimonial lié à un divorce sur
requête conjointe) ;
- assistance éducative pour les mineurs en danger et
délinquance des mineurs, qui relèvent du juge des enfants.
En principe, il statue à juge unique sur les affaires. Toutefois, il
peut renvoyer d'office toute affaire de sa compétence devant la
formation collégiale du tribunal de grande instance qui regroupe trois
magistrats, au sein de laquelle il siège. Ce renvoi peut intervenir
à tout moment de la procédure. En matière de divorce, l'un
des époux (ou les deux) peut demander que le divorce soit
prononcé par la formation collégiale. Le renvoi est alors de
droit.
La procédure pour saisir le juge aux affaires familiales varie selon la
nature de l'affaire. Selon les cas, la représentation par un avocat est
obligatoire ou facultative
202(
*
)
.
Selon Mmes Catherine Grasset, vice-présidente du tribunal de grande
instance d'Evry, et Lucille Bretagne, magistrate de ce tribunal, toutes deux
juges aux affaires familiales, «
il
(le juge aux affaires
familiales)
présente la particularité d'être à la
fois un juge spécialisé et
généraliste
. »
Le métier exige de la célérité, des contacts
personnels avec les justiciables, de l'écoute, de la diplomatie et de la
fermeté. La plupart des affaires soumises au juge aux affaires
familiales ne présentent aucune difficulté particulière.
Toutefois, le magistrat doit maîtriser certains aspects très
techniques afin de ne pas être bloqué par un problème
juridique.
Mme Lucille Grasset déclarait ainsi à la mission
qu'«
une part importante du travail du juge aux affaires
familiales consiste à s'entretenir avec les gens. Plutôt que d'une
spécialisation, il s'agit, à mon avis, d'une capacité
d'écoute. Il faut bien sûr de solides bases juridiques pour
traiter la masse des dossiers de ce contentieux. Sans cela, le juge risque de
se heurter sur chaque dossier à un problème juridique particulier
et de perdre du temps à vérifier constamment tel ou tel point de
droit
.
«
Il est important aussi de savoir poser les bonnes questions pour
bien cadrer le débat. Même si les avocats se plaignent que les
audiences sont parfois trop longues, il est important de permettre aux gens de
s'exprimer pour qu'ils ressortent en ayant le sentiment d'avoir
été écoutés. Il faut trouver un juste
équilibre. L'avocat développera l'aspect juridique, tandis que
les personnes concernées aborderont l'aspect concret. Il est important
qu'elles puissent s'exprimer.
»
2. Des conflits de compétences avec d'autres magistrats
La loi
du 8 janvier 1993 précitée n'a pu totalement unifier le
contentieux des affaires familiales.
Ainsi les compétences des juges aux affaires familiales sont-elles
parfois concurrentes de celles des juges de l'application des peines.
Mme Catherine Bretagne a exposé devant la mission l'une des
difficultés auxquelles elle se trouvait souvent confrontée :
«
Pour un dossier de divorce, je suis en relation avec le juge
d'application des peines. L'épouse refuse à son mari l'exercice
de son droit de visite et d'hébergement. L'affaire s'est
envenimée au point qu'à la dernière condamnation,
l'épouse a été condamnée à de la prison
ferme. Je m'occupe, à mon niveau, du divorce. Face à moi,
l'avocat estime que la situation est insupportable et qu'il faut mettre la
résidence de l'enfant chez l'époux. La condamnation de
l'épouse date d'octobre 2001, or elle n'est toujours pas en prison. Mon
rôle est d'aller voir le juge d'application des peines et de discuter du
dossier pour comprendre la situation. Cela ne peut se faire que de
manière informelle
. »
Les
chevauchements de compétences
avec le juge des enfants sont
encore plus
fréquents
. Comme le relevait, Mme Martine de Maximy,
juge des enfants au tribunal de grande instance Paris, vice-présidente
de l'association des magistrats de la jeunesse et de la famille, très
souvent, les justiciables saisissent le juge aux affaires familiales en
même temps que le juge des enfants pour statuer sur la garde.
A Marseille, les membres d'une délégation de la mission, ont pu
mesurer, en assistant à une médiation, combien la subtile
répartition
des compétences entre magistrats était
source d'
incompréhension et de désarroi pour les
justiciables
.
Les juges aux affaires familiales consultent leurs collègues de
manière
informelle
, de même qu'ils développent des
liens avec le parquet pour éviter que les parties portent plainte en cas
de non-présentation d'enfants ou de non-paiement de pensions
alimentaires.
On dénombre cependant peu de cas de réels conflits, et la plupart
des difficultés actuelles liées aux conflits de
compétences peuvent se résoudre par le
dialogue
entre
magistrats.
Aussi ne paraît-il pas souhaitable de réunir les deux fonctions de
juge aux affaires familiales et juge des enfants.
Chaque fonction doit
garder
sa spécificité
. Celle du juge des enfants,
compétent en matière civile et en matière pénale,
est elle aussi très marquée.
B. LE JUGE DES ENFANTS A UN CHAMP D'INTERVENTION TRÈS LARGE
Spécialiste des problèmes de l'enfance, au civil comme au pénal, le juge des enfants 203( * ) occupe une place singulière au sein de l'organisation judiciaire : juge répressif d'un côté, chargé de sanctionner tout manquement à la loi pénale, juge protecteur de l'autre, aussi bien à l'égard des délinquants eux-mêmes, qu'il doit essayer de resocialiser, que des mineurs victimes, en danger.
1. Un « privilège de juridiction »
Aux
termes de l'article L. 532-1 du code de l'organisation judiciaire, le juge
des enfants est choisi compte tenu de l'intérêt qu'il porte aux
questions de l'enfance et de ses aptitudes, parmi les juges du tribunal de
grande instance dans le ressort duquel le tribunal pour enfant a son
siège.
Magistrat inamovible, il est nommé dans les mêmes conditions que
les magistrats du siège, c'est-à-dire par décret du
président de la République sur avis conforme du Conseil
supérieur de la magistrature.
Il prend des mesures de sauvegarde, d'éducation et de
rééducation à l'égard des jeunes jusqu'à 18
ans et préside le tribunal pour enfants qui juge les mineurs
délinquants.
Le juge des enfants intervient lorsque la santé, la
sécurité ou la moralité d'un enfant sont en danger ou
quand les conditions de son éducation sont compromises. Il peut
placer provisoirement le mineur en danger dans un établissement
spécialisé.
Lorsqu'un mineur a commis une infraction, le juge des enfants peut le mettre en
examen, instruire et juger l'affaire. Comme le tribunal qu'il préside,
il est compétent pour juger les contraventions de cinquième
classe et les délits. Lors de la première comparution du mineur,
il doit s'assurer que celui-ci bénéficie de l'assistance d'un
avocat. Sinon, un avocat est commis d'office.
Le juge des enfants examine les faits et apprécie si des investigations
supplémentaires sont nécessaires. Il peut ordonner des
investigations approfondies sur la personnalité et l'environnement
familial et social de l'enfant et, éventuellement, des examens
médicaux ou psychologiques. Il travaille en étroite
collaboration avec les services sociaux et éducatifs.
Pendant l'instruction, il peut placer l'enfant sous le régime de la
liberté surveillée préjudicielle, ordonner à son
égard un placement provisoire ou une mesure de réparation
pénale. Il peut également placer le mineur sous contrôle
judiciaire ou en détention provisoire s'il a plus de 16 ans.
A l'issue de l'instruction, il oriente la procédure vers une audience en
chambre du conseil ou vers le tribunal pour enfants, afin que l'affaire soit
jugée.
Comme le soulignait Mme Martine de Maximy, juge des enfants au tribunal de
grande instance de Paris, vice-présidente de l'Association des
magistrats de la jeunesse et de la famille, «
on peut parler d'un
privilège de juridiction au bénéfice des mineurs tant en
matière pénale qu'en matière civile
. »
2. Une spécialisation nécessaire, une formation perfectible
A
l'instar de l'association des magistrats de la jeunesse et de la famille, la
mission est convaincue de l'
utilité
du juge des enfants.
Cette spécialisation rend le fonctionnement de la justice
plus
lisible pour le justiciable
. Elle permet «
d'unifier les
méthodes de travail avec les mineurs
». Elle exige du
magistrat qu'il prenne en compte la situation du mineur, son environnement
familial et le contexte social. En cela, elle constitue un facteur
d'
ouverture
et
non d'isolement
.
Telle est la raison pour laquelle
le développement du nombre des
magistrats du parquet spécialisés à l'égard des
mineurs s'impose
alors qu'en raison d'un manque de moyens, il semble
actuellement régresser.
Face à cette exigence de spécialisation, la formation des juges
des enfants dispensée à l'Ecole nationale de la magistrature
semble satisfaisante.
L'Association des magistrats de la jeunesse et de la famille suggère
simplement d'organiser, à l'issue de la première année
d'exercice, un séminaire rassemblant les magistrats par fonction afin de
faire le point sur l'exercice du métier et avoir des compléments
d'information sur les différentes pratiques.
Il lui semble également nécessaire d'organiser
régulièrement des rencontres avec des professionnels de
l'enfance, éducateurs, travailleurs sociaux, médecins,
pédopsychiatres, associations, mais également des policiers et
des gendarmes.
3. Des interrogations sur la participation du juge des enfants à la politique de la ville
Au sein
d'un même tribunal, les juges des enfants exercent
généralement leurs fonctions sur des territoires
délimités : chaque juge est responsable d'un quartier ou de
plusieurs communes. La territorialisation s'est ainsi ajoutée à
la spécialisation.
Cette organisation permet au juge des enfants de multiplier les contacts sur le
terrain et de rencontrer les services sociaux et les responsables scolaires,
d'acquérir une bonne connaissance du tissu social local.
Il est donc tentant de le considérer comme un partenaire essentiel de la
politique de la ville. Mais cette participation soulève de vives
réticences et des difficultés réelles.
L'Association des magistrats de la jeunesse et de la famille fait ainsi valoir
que les juges des enfants n'ont pas un rôle d'animateur et doivent garder
une
certaine distance
à l'égard tant des justiciables que
des collectivités publiques. Gardiens des libertés individuelles,
ils sont toujours confrontés à des cas particuliers et ne peuvent
prendre des engagements globaux en matière de lutte contre la
délinquance.
La mission considère qu'il appartient davantage aux magistrats du
parquet de participer à la politique de la ville et de jouer un
rôle d'interface avec les juges des enfants
.
C. LE JUGE DE L'APPLICATION DES PEINES DEVRAIT VOIR SON RÔLE PRÉCISÉ ET RENFORCÉ
Le juge
de l'application des peines est un juge à compétence
spécialisée du tribunal de grande instance, chargé de
suivre la vie des condamnés à l'intérieur et à
l'extérieur de la prison. Il a pour mission l'encadrement et la
réinsertion sociale des personnes condamnées.
Aux termes de l'article 709-1 du code de procédure pénale, un ou
plusieurs magistrats du siège sont, dans chaque tribunal de grande
instance, chargés des fonctions de juge de l'application des peines. Ils
sont normalement désignés par décret du président
de la République pris après avis conforme du Conseil
supérieur de la magistrature. Toutefois, dans 71 tribunaux de grande
instance, le juge de l'application des peines n'a pas été
désigné par décret.
Au 1
er
juillet 2001, il existait 205 emplois budgétaires de
juge de l'application des peines, dont 28 de vice-président et de
premier juge. 63,5 % des juges de l'application des peines étaient
des femmes.
1. Des compétences étendues
Les
attributions du juge de l'application des peines sont définies par les
articles 722 et suivants du code de procédure pénale.
L'évolution de ce métier constitue, en quelque sorte, le pendant
du renforcement des droits des victimes.
En milieu carcéral, le juge de l'application des peines décide
des principales modalités du traitement pénitentiaire en
utilisant l'ensemble des mesures d'individualisation prévues par le code
de procédure pénale : remises de peine, permissions de
sortir, placements à l'extérieur et en semi-liberté,
libérations conditionnelles.
Il doit s'efforcer de trouver un juste équilibre entre l'objectif de
réinsertion sociale du condamné, la sécurité
interne de l'établissement, les nécessités de l'ordre
public ainsi que l'intérêt des victimes. Garant des
libertés individuelles, il exerce une mission de surveillance sur les
établissements pénitentiaires relevant de sa compétence.
En milieu libre, le juge de l'application des peines contrôle et suit les
condamnés qui lui sont confiés par une décision judiciaire
dans le cadre d'un emprisonnement avec sursis et mise à
l'épreuve, d'un ajournement du prononcé de la peine, d'un travail
d'intérêt général, d'une liberté
conditionnelle ou d'un suivi socio-judiciaire.
Préalablement à la mise à exécution de toutes les
peines d'emprisonnement égales ou inférieures à 12 mois,
le procureur de la République le saisit afin qu'il détermine les
modalités d'exécution de la peine en considération de la
situation du condamné
Pendant la période d'épreuve, il vérifie que le
condamné observe les obligations fixées : activité
professionnelle, réparation du préjudice des victimes, traitement
médical... Il dispose de pouvoirs contraignants pouvant aller
jusqu'à l'incarcération du condamné.
Le juge de l'application des peines est assisté dans sa mission par le
service pénitentiaire d'insertion et de probation, composé de
travailleurs sociaux relevant de l'administration pénitentiaire.
On relèvera simplement qu'il dispose d'attributions particulières
à l'égard des associations et des services de l'Etat pour la mise
en oeuvre de la mission de réinsertion des condamnés.
La compétence des juges de l'application des peines s'exerce à
l'égard des établissements pénitentiaires situés
dans le ressort du tribunal de grande instance et n'est pas exclusive, en
fonction de leur charge de travail, d'autres activités juridictionnelles.
Selon la localisation des établissements pénitentiaires, certains
juges de l'application des peines interviennent en milieu ouvert et en milieu
fermé, d'autres seulement en milieu ouvert.
2. Une fonction plus attractive depuis sa juridictionnalisation
Depuis
la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption
d'innocence et les droits des victimes, complétée par le
décret n° 2000-1215 du 12 décembre 2000 modifiant le
code de procédure pénale et relatif à l'application des
peines, les décisions d'octroi, d'ajournement, de refus, de retrait ou
de révocation concernant les mesures de placement à
l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des
peines, de placement sous surveillance électronique et de
libération conditionnelle sont
« juridictionnalisées » : elles font
désormais l'objet d'un débat contradictoire et de
décisions motivées susceptibles d'appel
204(
*
)
.
D'autres décisions, comme les réductions de peine, les
autorisations de sortie sous escorte et les permissions de sortir demeurent des
mesures d'administration judiciaire non juridictionnalisées. Les
ordonnances du juge de l'application des peines sont prises au sein d'un organe
consultatif, la commission de l'application des peines, qui réunit le
procureur de la République et le chef de l'établissement
pénitentiaire ainsi que les personnels de surveillance,
socio-éducatif et médical. Le détenu, qui ne dispose pas
de voie de recours, peut cependant être entendu par le juge de
l'application des peines, soit en audience privée, soit au sein de la
commission avant que celle-ci ne donne son avis au magistrat.
Selon Mmes Christine Mouton-Michal, juge de l'application des peines au
tribunal de grande instance de Bobigny, secrétaire
générale, et Anne-Marie Morice-Vigor, juge de l'application des
peines au tribunal de grande instance d'Evreux, membre du Bureau de
l'association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP), le
métier est devenu plus
attractif
pour les jeunes auditeurs. La
loi du 15 juin 2000 aurait
«
crédibilisé
» la fonction alors
qu'auparavant elle n'était pas considérée comme un
tremplin pour faire carrière.
Magistrat à la fonction parfois méconnue, le juge de
l'application des peines constitue ainsi un axe essentiel pour la
réinsertion des condamnés. En revanche, les moyens mis à
la disposition des magistrats sont insuffisants et le droit de
l'exécution des peines devrait faire l'objet d'une refonte globale.
3. Des inquiétudes et des incohérences
a) Un juge démuni ?
En
raison du manque d'effectifs et de moyens des tribunaux, la plupart des juges
de l'application des peines exercent d'autres fonctions au sein de leur
juridiction.
La nature de leurs fonctions exige pourtant une
grande
disponibilité
face aux situations d'urgence. Les très
nombreuses mesures restrictives de liberté (130.000 actuellement)
requièrent un suivi permanent car elles doivent pouvoir être
révoquées en cas d'incident.
Le juge de l'application des peines se sent démuni face aux
établissements pénitentiaires. Souvent, des transfèrements
de détenus sont décidés sans qu'il en soit averti,
provoquant son dessaisissement. Dans bien des cas, il est dépendant de
l'offre et de la politique de l'administration pénitentiaire (places
disponibles, horaires d'ouverture...) pour la prescription de certaines mesures
telles que la semi-liberté.
De la même façon, le juge de l'application des peines entretient
des relations parfois difficiles avec la police et la gendarmerie, aux yeux
desquelles il incarne «
celui qui n'exécute pas les
peines
». Ne pouvant délivrer de commission rogatoire, il
éprouve des difficultés à obtenir leur concours. Cette
carence devrait être réparée.
La mission préconise de permettre au juge de l'application des peines
de délivrer des commissions rogatoires.
b) De trop nombreux conflits de compétences
Les
règles de répartition des compétences entre le juge de
l'application des peines et le juge des enfants mériteraient
d'être clarifiées.
Actuellement, la compétence du juge de l'application des peines
s'étend à toutes les mesures relatives à
l'incarcération d'un mineur. Il doit cependant recueillir l'avis du juge
des enfants. En revanche, il revient au juge des enfants de décider des
mesures en milieu ouvert, telles que le sursis avec mise à
l'épreuve.
L'association nationale des juges de l'application des peines a fait valoir
qu'il serait plus cohérent de confier au juge des enfants une
compétence exclusive, y compris en matière de détention
des mineurs. Le juge de l'application des peines se trouve en effet
confronté à un problème de culture car, bien souvent,
contrairement au juge des enfants, il n'a jamais de contact avec
l'éducateur.
La mission considère que la proposition de donner au juge des enfants
compétence en matière d'exécution des peines
d'incarcération mérite d'être examinée.
Elle invite également la Chancellerie à conduire une
réflexion en vue d'une simplification des règles de
répartition des compétences entre les différentes
juridictions qui conduisent à multiplier les transfèrements de
détenus qui sont dangereux et mobilisent inutilement les forces de
l'ordre.
D. LE JUGE DE L'EXÉCUTION S'EST IMPOSÉ COMME UN JUGE DE PROXIMITÉ, RAPIDE ET EFFICACE
Institué par la loi n° 91-650 du 9 juillet
1991
portant réforme des procédures civiles d'exécution, le
juge de l'exécution est saisi de tout le contentieux relatif aux
problèmes d'exécution des jugements et autres titres
exécutoires.
C'est le président du tribunal de grande instance ou un juge
délégué du tribunal dans le ressort duquel le
débiteur est domicilié
205(
*
)
. La
délégation peut être effectuée selon des
critères géographiques (une ville ou un arrondissement) ou
matériels
206(
*
)
.
Aussi les pratiques de délégation diffèrent-elles selon
les juridictions. La plupart des juges délégués sont des
juges du tribunal du grande instance mais il n'est pas rare que les juges
d'instance se voient confier le contentieux du surendettement, qu'ils
traitaient en nom propre avant l'entrée en vigueur de la réforme.
L'unification du contentieux et la simplicité de la procédure
devant le juge de l'exécution en font un juge de
proximité
rapide
et
efficace
.
1. Une unification du contentieux
Le juge
de l'exécution est compétent pour trancher les difficultés
survenues à l'occasion d'une saisie (contestation de la forme de l'acte
juridique, des biens saisissables, du montants des intérêts...) ou
lors de l'exécution d'une décision de justice.
Il est le seul à pouvoir autoriser un créancier à prendre
des mesures conservatoires lorsqu'il estime que sa créance est
menacée, par exemple bloquer sur un compte bancaire les sommes
correspondant aux loyers impayés.
Enfin, il est juge du surendettement des particuliers.
La saisie des rémunérations du travail relève de la
compétence du juge d'instance, la saisie immobilière de celle du
tribunal de grande instance.
Le juge de l'exécution peut prononcer des astreintes et jouit d'une
compétence quasi-exclusive pour les liquider. Après signification
d'un commandement ou d'un acte de saisie, le juge de l'exécution a
compétence pour accorder au débiteur des délais de
grâce.
Il peut au besoin, utiliser la force publique pour faire exécuter une
décision de justice, ainsi que certains actes notariés ou
administratifs revêtus de la formule exécutoire.
2. Une procédure simple et rapide
Le juge
de l'exécution statue à
juge unique
mais peut renvoyer
à la collégialité. Cette possibilité n'est que
rarement exercée. Sa compétence est d'ordre public et, souvent,
exclusive : tout juge autre que le juge de l'exécution doit relever
d'office son incompétence.
Depuis un décret n° 96-1130 du 18 décembre
1996
207(
*
)
, le juge de l'exécution doit
être saisi par voie d'
assignation en justice
. Les demandes
d'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire et celles concernant
l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion
peuvent toutefois faire l'objet d'une simple requête.
Auparavant, la saisine pouvait résulter d'une déclaration orale
du justiciable au greffe. Cette simplicité et cette facilité de
saisine, qui contribuaient à la mise en oeuvre d'une justice de
proximité, avaient favorisé la multiplication des demandes,
parfois dilatoires, et provoqué l'engorgement des juridictions.
La procédure devant le juge de l'exécution est
simple
et
rapide
: elle est
orale
(il n'y a pas de mise en
état
208(
*
)
) ; la
représentation n'est pas
obligatoire
; les parties peuvent
ne pas se présenter à l'audience si elles ont informé leur
adversaire des moyens invoqués auprès du juge (mais le juge peut
ordonner leur comparution personnelle) ; les audiences d'heure à
heure sont possibles, même les jours fériés ou
chômés.
La décision, outre qu'elle est généralement prise
rapidement, revêt l'autorité de la chose jugée au
principal, sauf décision contraire en appel, et est exécutoire de
plein droit. Le délai d'appel (15 jours à compter de la
notification) et l'appel ne sont pas suspensifs. Toutefois, en cas d'appel, un
sursis à exécution des mesures ordonnées peut être
demandé en référé au premier président de la
cour d'appel.
«
Très connu de sa clientèle
», selon
l'expression de M. Tony Moussa, président de chambre à la
cour d'appel de Lyon, ancien juge de l'exécution, le
juge de
l'exécution s'est imposé comme un juge de proximité
.
3. Un bilan largement positif en dépit de quelques difficultés ponctuelles
La
création du juge de l'exécution a permis d'assurer un
meilleur
équilibre
entre les
droits des créanciers
et
ceux
des débiteurs
.
Elle a
remédié
à l'
éparpillement des
compétences
et permis aux justiciables d'
identifier facilement
leur juge
. Elle a favorisé une spécialisation de ce dernier
et une homogénéisation des jurisprudences locales.
En lui conférant le pouvoir de trancher les contestations, même si
elles portent sur le fond du droit, alors qu'auparavant l'affaire devait
être renvoyée à la juridiction compétente
après sursis à statuer, la loi a permis au juge de rendre des
décisions
rapides
.
D'autre part, du fait de ses attributions, le juge de l'exécution assure
une surveillance générale des agents chargés de
l'exécution (les huissiers de justice en particulier) et peut signaler
au parquet, le cas échéant, les agissements non conformes
à la loi.
E. L'ÉVOLUTION DU MÉTIER DE JUGE D'INSTRUCTION SOULÈVE DES INTERROGATIONS
Souvent
qualifié de « personnage le plus puissant de
France », le juge d'instruction occupe une fonction ancienne et
controversée.
Descendant du
lieutenant criminel
, créé en 1522 et
chargé d'instruire le procès selon une procédure
inquisitoire, il a été institué par le code d'instruction
criminelle de 1808. En dépit d'un encadrement progressif de ses
pouvoirs, son existence est régulièrement mise en cause.
L'institution du juge d'instruction en France n'est pas comparable avec la
pratique de la plupart des autres pays de l'Union européenne.
Par exemple, le système britannique, de type accusatoire, laisse
à la police le soin de mener l'instruction préparatoire et confie
à une juridiction le pouvoir de maintenir en détention.
1. Juge et enquêteur
Le juge
d'instruction est saisi des
affaires pénales
les
plus
complexes
. C'est un juge du tribunal de grande instance nommé par
décret du président de la République après avis
conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Selon l'article
L. 611-1 du code de l'organisation judiciaire, il y a dans chaque tribunal
de grande instance un ou plusieurs juges d'instruction
209(
*
)
. Le président du tribunal désigne pour
chaque affaire le juge compétent.
Juge du siège
210(
*
)
,
indépendant, inamovible, il ne peut jamais se saisir lui-même des
affaires qu'il va instruire. Cette saisine appartient au ministère
public (parquet) et n'est obligatoire qu'en matière criminelle.
En matière délictuelle, le parquet apprécie
l'opportunité d'ouvrir une information, en fonction de la
complexité de l'affaire, des investigations nécessaires pour la
mettre en état, ou des mesures provisoires utiles avant
le jugement. De fait, à peine 10 % des affaires jugées
sont portées devant le magistrat instructeur.
L'ouverture de l'information peut être aussi le fait de la victime :
c'est la constitution de partie civile.
Le juge d'instruction doit donc informer sur les faits qui lui sont
déférés : il dirige l'enquête qui lui est
confiée mais prend également certaines décisions
juridictionnelles. C'est là l'originalité de son statut.
Enquêteur
, il a pour mission d'instruire à charge et
à décharge. Il recherche les éléments
d'information utiles à la manifestation de la vérité,
qu'ils soient favorables ou défavorables au suspect, il notifie les
charges réunies contre lui, il conduit des interrogatoires et
mène des confrontations.
Il dirige les services de police ou de gendarmerie en déléguant
certains de ses pouvoirs par commission rogatoire ; il peut ordonner des
expertises et des enquêtes de personnalité.
Juge
, il statue sur les demandes des parties et du ministère
public. Il décide de l'opportunité de délivrer un
mandat d'arrêt, et envisage le placement en détention provisoire
ou sous contrôle judiciaire. Il doit apprécier les charges et
renvoyer l'affaire devant la juridiction de jugement ou, au contraire,
prendre une ordonnance de non lieu.
De cette
ambivalence
naissent des exigences qu'il lui faut
concilier : efficacité et implication de l'enquêteur,
impartialité et indépendance du juge.
On peut s'interroger, à l'instar de M. Jean-Paul Collomp, inspecteur
général des services judiciaires, responsable du comité de
coordination des entretiens de Vendôme, sur le point de savoir s'il faut
véritablement maintenir un juge d'instruction par arrondissement
judiciaire : «
Ne peut-on pas imaginer de regrouper, autour
de la notion de pôles de compétences, l'instruction pour les
affaires qui le méritent ? Un juge d'instruction à
Hazebrouck gère un cabinet qui contient trente dossiers. Il est donc
juge d'instruction à temps partiel et participe à toutes les
autres activités de la juridiction. Il en va de même en
matière de crimes de droit commun : un juge d'instruction qui se
rend sur les lieux d'un crime doit avoir quelques réflexes. Pour en
avoir, il est nécessaire que ce juge pratique
suffisamment
. »
La responsabilité du juge d'instruction est telle que son action est
désormais placée
sous le regard d'un autre magistrat : le
juge des libertés et de la détention
.
2. Un juge désormais placé sous le regard du juge des libertés et de la détention
Jusqu'à la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les
droits des victimes, le juge d'instruction avait le pouvoir de placer en
détention provisoire les personnes mises en examen lorsqu'il estimait
cette mesure indispensable pour la suite de son instruction.
Désormais, la loi a
séparé le pouvoir d'instruire et
celui d'ordonner la détention
, confiant ce dernier à un
magistrat de rang plus élevé, appelé juge des
libertés et de la détention, seul habilité à placer
les personnes sous mandat de dépôt dans les cas prévus par
la loi.
Lorsque le procureur de la République a requis cette mesure et que le
juge d'instruction l'estime nécessaire, le juge des libertés et
de la détention statue après un débat contradictoire qui,
si la personne mise en examen le demande, peut être public. Il peut
estimer inutile toute mesure restrictive de liberté, auquel cas la
personne reste libre ; il peut la placer sous contrôle judiciaire et
lui imposer des interdictions ou des obligations particulières ; il
peut, enfin, ordonner son placement en détention provisoire. De telles
ordonnances sont susceptibles d'appel devant la chambre de
l'instruction
211(
*
)
.
Ce magistrat peut encore intervenir dans le cours des enquêtes lorsque la
personne qui en fait l'objet (pourvu qu'elle ait été
placée en garde à vue) demande au procureur de la
République d'y mettre un terme. Si ce dernier estime que les
investigations doivent encore se poursuivre sous la forme d'une enquête
de police judiciaire, il doit en demander l'autorisation au juge des
libertés et de la détention qui apprécie au terme d'un
débat contradictoire.
Le juge peut alors soit refuser la poursuite de l'enquête ce qui impose
au procureur de la République ou bien de classer l'affaire ou bien de
saisir une juridiction de jugement, voire le juge d'instruction, soit de
l'accorder mais pour une durée qui ne peut excéder six mois.
On notera que le juge des libertés et de la détention a
également compétence pour trancher toute contestation susceptible
de survenir si le bâtonnier s'oppose à la saisie et à la
mise sous scellés de documents découverts lors d'une perquisition
dans le cabinet d'un avocat. Et c'est à lui que les agents des
administrations (services fiscaux, douanes, par exemple) doivent demander
l'autorisation de pratiquer des visites domiciliaires. Enfin, en matière
de terrorisme ou de trafic de stupéfiant, ce magistrat peut autoriser
des perquisitions dans tout domicile en dehors des heures légales.
La création du juge des libertés et de la détention
n'a
pas entraîné de diminution significative de la détention
provisoire puisqu'il semblerait que la quasi-totalité des demandes
des juges d'instruction soient acceptées.
Certes, le seul fait de l'existence d'un « double regard »
a certainement contribué à réduire en amont le nombre de
demandes de mise en détention présentées les juges
d'instruction, au moins dans les premiers mois d'application de la loi.
Toutefois il semble que cet effet induit ne soit plus désormais
très significatif, tout en alourdissant et allongeant les
procédures. Ce constat incite à s'interroger sur l'avenir du juge
d'instruction.
3. Un équilibre difficile à trouver
C'est,
en définitive, moins au niveau de la théorie - qui semble
bonne - qu'à celui de la pratique que se posent les
problèmes. Le juge d'instruction apparaît souvent, à tort
ou à raison, comme instruisant à charge et non pas
«
à charge et à décharge avec pour seul
objectif la recherche de la vérité
».
L'élément fondamental reste le caractère objectif de la
recherche de la preuve.
Il convient donc, sur le plan pratique, de trouver les voies et moyens qui
permettent d'arriver réellement à l'
équilibre
qu'a
voulu le législateur entre le siège et le parquet, d'une part, et
entre le juge d'instruction et le juge des libertés et de la
détention, d'autre part.
La généralisation du principe de la co-désignation de
juges d'instruction pour les affaires importantes ou sensibles pourrait
constituer une piste dans ce sens. Comme l'a déclaré un juge
d'instruction devant la mission, «
la véritable question
est celle de l'enquête indépendante de l'organe de poursuite
qu'est le parquet.
»
Certains magistrats estiment qu'il serait finalement plus cohérent que
les investigations ne relèvent que du parquet, ce qui ne pourrait que
renforcer la neutralité des magistrats du siège, mais les avis
sont partagés. En revanche, l'approche anglo-saxonne en matière
d'investigation, d'accusation et de défense, n'apparaît pas
transposable en France compte tenu de nos traditions en matière de
libertés publiques.
Aussi, quelle que soit l'évolution, même radicale, du rôle
joué par l'actuel juge d'instruction,
il semble nécessaire de
maintenir la supervision du pouvoir d'investigation par un magistrat. En
d'autres termes, la soumission de l'autorité policière à
l'autorité judiciaire est une garantie fondamentale que toute
réforme devrait respecter
.
II. UNE SPÉCIALISATION INÉGALE DES AVOCATS
Le modèle de l'avocat généraliste a prédominé jusqu'à la réforme de 1990, la notion de spécialisation restant largement ignorée. Les conseils juridiques pouvaient, en revanche, faire mention d'une spécialisation. Leur exemple a donc été suivi par les avocats « de souche » au moment de la fusion des deux professions.
A. LA DIVERSITÉ DES SPÉCIALISATIONS
Aux
termes de l'article 12-1 de la loi du 31 décembre 1971, la
spécialisation
est acquise au terme d'une
pratique
professionnelle continue
, d'une durée de
quatre ans
, suivie
d'un un contrôle des connaissances du domaine de spécialisation
organisé par le CRFPA.
La pratique professionnelle peut résulter de l'exercice de la
spécialité à titre individuel ou en société.
La liste des mentions de spécialisation est déterminée par
un arrêté du 8 juin 1993, près des
deux tiers
ont
trait aux activités de
conseil aux entreprises
.
En 2001,
13.325 mentions de spécialisation
ont été
recensées au niveau national. Par rapport à 2000, ce nombre est
resté
stable
. On constate néanmoins des variations selon
les barreaux, le barreau de Nice ayant par exemple enregistré la plus
forte augmentation (+10 %)
212(
*
)
.
Selon les renseignements donnés par la Chancellerie, le droit
fiscal
(15,5 % des mentions), le droit
des
sociétés
(14,6 %) et le droit
social
(14,5 %) sont les trois mentions de spécialisation les plus
fréquentes
. Les avocats se spécialisent donc plutôt
dans le secteur du droit intéressant la vie économique et
sociale. Dans les matières où l'activité
contentieuse
prédomine, la spécialisation est plus
marginale
, le
droit des personnes et le droit pénal représentant une part
importante des affaires traitées par les juridictions.
Un avocat peut être titulaire de plusieurs mentions de
spécialisation
, mais cette statistique n'est pas connue. Le tableau
ci-dessous indique simplement le nombre et la proportion d'avocats titulaires
d'au moins une mention de spécialisation au 2 janvier 2001 :
Nombre
et proportion d'avocats titulaires d'au moins
une mention de
spécialisation
Nature de la mention de spécialisation |
Avocats titulaires d'une mention |
|
Nombre |
% |
|
Droit fiscal |
2.049 |
6,4 |
Droit des sociétés |
1.926 |
6,0 |
Droit social |
1.916 |
6,0 |
Droit des personnes |
1.546 |
4,8 |
Droit commercial |
1.509 |
4,7 |
Droit immobilier |
1.226 |
3,8 |
Droit économique |
718 |
2,2 |
Droit pénal |
653 |
2,0 |
Droit des mesures d'exécution |
568 |
1,8 |
Droit public |
370 |
1,2 |
Droit de la propriété intellectuelle |
234 |
0,7 |
Droit des relations internationales |
214 |
0,7 |
Droit rural |
151 |
0,5 |
Droit communautaire |
91 |
0,3 |
Droit de l'environnement |
64 |
0,2 |
Source : Ministère de la justice, D.A.C.S. cellule études, « Statistiques sur la profession d'avocat - situation au 2 janvier 2001 ».
B. UNE SPÉCIALISATION À DEUX VITESSES : UNE INÉGALE RÉPARTITION DE LA SPÉCIALISATION SUR LE TERRITOIRE
Les avocats ont fait part devant la mission de leurs inquiétudes à l'égard de l'inégale répartition des spécialisations sur le territoire .
1. Une concentration des mentions de spécialisation dans certains barreaux, en particulier celui de Paris
A
l'exception du droit des personnes et du droit commercial pour lesquels le
barreau de Marseille occupe la première position, et du droit rural
où les barreaux de Toulouse et de Rennes arrivent en tête, on
observe, à nouveau, une
hypertrophie de la région
parisienne
(Paris et Nanterre), qui concentre un grand nombre d'avocats
spécialisés.
Onze barreaux
rassemblent
la moitié
des mentions de
spécialisation comme le montre le graphique ci-dessous :
Nombre de mentions de spécialisation
2. L'absence de spécialisation des avocats de province et le décalage observé par rapport aux besoins des justiciables
Ainsi
que l'a souligné Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier de Paris,
devant la mission, les compétences des avocats de province demeurent
trop
limitées
au droit classique (droit de la famille, accidents
de la route...) et ne sont plus vraiment adaptées aux
véritables besoins des justiciables
.
Certains domaines comme le droit fiscal, le droit administratif, le droit des
nouvelles technologies sont un «
désert
juridique
»
inexploité
et restent
ignorés
de la plupart des avocats de province qui
éprouvent des difficultés à s'adapter à la demande
et à renoncer aux matières classiques.
En premier lieu, cette situation s'expliquerait par le
poids des
mentalités
, les avocats conservant une conception de leur profession
très
datée
remontant aux années cinquante
(limitée au droit civil et au droit pénal purs).
La situation du barreau de Bordeaux en constitue une illustration, comme l'a
confirmé Me Jean-François Dacharry, président du
CRFPA. Actuellement sur 100 avocats titulaires d'une mention de
spécialisation, on ne recense que 5 cabinets
spécialisés en droit administratif. Le droit de l'urbanisme ne
compte aucun spécialiste.
En second lieu, comme il l'a déjà été
souligné précédemment
213(
*
)
, l'accès à la profession par
l'examen d'entrée au CRFPA
est
insuffisamment
diversifié
. Selon l'expression du président du CRFPA, il
«
stérilise le recrutement
», les
matières sanctionnées à l'examen, principalement
centrées sur le droit général civil (droit de la famille
et droit de la responsabilité) dissuadant les professionnels les plus
compétents en droit public et en droit des affaires.
Enfin, l'enseignement dispensé à l'Université,
dominé par le droit civil contribue également à renforcer
cette tendance.
La mission s'est déjà prononcée en faveur d'une
diversification du mode de recrutement des avocats et tient une nouvelle fois
à souligner l'acuité d'une telle question, qui peut
apparaître au premier abord mineure, mais qui pèse lourdement sur
l'avenir de la profession d'avocat en ce qu'elle conditionne son devenir.
III. UNE SPÉCIALISATION CROISSANTE DES JURIDICTIONS
Il
existe depuis fort longtemps en France des
juridictions
spécialisées
, en matière civile comme en
matière pénale, à la compétence exclusive et
à l'organisation originale.
Le mouvement de spécialisation prend aujourd'hui des
formes
nouvelles
, caractérisées par leur souplesse. Sont
privilégiés, d'une part, le recours à des
commissions
à caractère juridictionnel
, présidées par des
magistrats de l'ordre judiciaire ou administratif, en activité ou
honoraires, et composées de professionnels, telles les commissions
régionales dites de l'aléa thérapeutique ou le fonds
d'indemnisation des victimes de l'amiante, d'autre part, la
spécialisation de quelques tribunaux de grande instance dans
certaines matières
, économique et financière notamment
mais également sanitaire, permettant une meilleure expertise.
Des
pôles spécialisés
se constituent qui, à
l'image de la « galerie Saint Eloi » en matière
terroriste ou du « boulevard des Italiens » en
matière économique et financière, contribuent à
moderniser le fonctionnement du service public de la justice et à
renforcer son efficacité.
La notion de pôle spécialisé ne figure dans aucun texte.
Pourtant, cette évolution apporte sa pierre à l'édifice de
la modernisation de la
carte judiciaire
dans la mesure où elle
contribue à une meilleure rationalisation des structures judiciaires en
confiant à une seule juridiction hautement spécialisée un
contentieux particulier et complexe.
La mission a dès lors souhaité prendre toute la mesure de cette
avancée
en visitant deux pôles économiques et
financiers, celui de Paris et celui de Marseille, en s'intéressant
à la mise en place de pôles de plus en plus nombreux dans des
domaines variés, ainsi qu'à l'impact d'une telle évolution
sur les métiers de la justice.
A. DE NOMBREUSES JURIDICTIONS SPÉCIALISÉES À LA COMPÉTENCE EXCLUSIVE ET À L'ORGANISATION ORIGINALE
La carte judiciaire française est couverte de juridictions spécialisées à la compétence exclusive et à l'organisation originale. Elles se sont créées peu à peu pour traiter des contentieux particuliers , aussi bien en droit commercial et en droit du travail qu'en matière pénale ou encore dans le domaine social.
1. Les tribunaux de commerce
Les
juridictions consulaires
ont été instituées en
1563, par un édit royal rédigé par Michel de l'Hospital,
au nom d'une conception d'une «
justice des marchands rendue
par les marchands
» héritée des foires du
Moyen-Age.
Consacrés par la loi des 16-14 août 1790, puis par le code de
commerce de 1807, les tribunaux de commerce sont des juridictions du premier
degré compétentes pour connaître : des contestations
relatives aux engagements entre commerçants, entre établissements
de crédit ou entre eux ; des contestations relatives aux
sociétés commerciales ; de celles relatives aux actes de
commerce entre toutes personnes
214(
*
)
. Ces
juridictions sont au nombre de
191
.
Le tribunal siège en collégialité mais certaines de ses
formations statuent à juge unique, par exemple le juge des
référés et le juge-commissaire.
Les formations de jugement sont composées de
juges
consulaires
élus
, au nombre de
3.152
, commerçants et cadres
d'entreprise pour la plupart, qui participent
bénévolement
au fonctionnement du service public de la justice.
En l'absence de parquet spécifique dans les tribunaux de commerce, le
ministère public
y est assuré par le
parquet du
tribunal de grande instance
du ressort.
Le greffe est dirigé par un officier public ministériel ayant
acquis sa charge et composé de personnels ayant un statut de droit
privé.
Dans les circonscriptions où il n'est pas établi de tribunal de
commerce, les affaires sont examinées par le tribunal de grande
instance
215(
*
)
. Actuellement,
23 tribunaux
de grande instance statuent en matière commerciale
.
Par ailleurs, pour des raisons d'ordre géographique ou historique, il
existe 7 chambres commerciales de tribunaux de grande instance
composées de magistrats professionnels et de juges élus en
Alsace-Moselle
, 7 tribunaux mixtes de commerce dans les
départements et territoires d'
outre-mer
et 3 tribunaux de
première instance compétents en matière commerciale dans
les collectivités d'outre-mer et composés exclusivement de
magistrats professionnels.
En 2000, les juridictions consulaires ont rendu 37.231 jugements d'ouverture de
procédure de redressement et de liquidation judiciaire,
35.411 décisions de référé et terminé
197.200 affaires contentieuses
.
Un
projet de réforme
, déposé par le Gouvernement de
M. Lionel Jospin et examiné par le Sénat au mois de
février 2002, prévoyait notamment d'instituer la
mixité
au sein de leurs formations de jugement appelées
à statuer en matière de procédures collectives
216(
*
)
.
Façonné par l'histoire, le paysage judiciaire de la France en
matière commerciale se caractérise donc par une grande
diversité
.
2. Les conseils de prud'hommes
Créés au début du
Xxème siècle, les conseils de prud'hommes sont des
juridictions électives et paritaires
chargées de
régler les
différends
qui peuvent s'élever à
l'occasion de tout contrat de travail (soumis au code du travail)
entre
employeurs et salariés
217(
*
)
.
Il existe
271
conseils de prud'hommes (au moins un dans le ressort de
chaque tribunal de grande instance), dont 7 dans les départements
d'outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et 6 tribunaux du travail
dans les territoires d'outre-mer et à Mayotte.
Comme on l'a vu, ils sont composés d'un nombre égal de
conseillers appartenant au collège employeur et de conseillers
appartenant au collège salarié, élus par leurs pairs tous
les cinq ans. Les prochaines élections générales se
dérouleront le 11 décembre 2002. Le décret
n° 2002-279 du 2 mai 2002 modifiant la composition des
conseils de prud'hommes qui entrera en vigueur à cette occasion
maintient le nombre global de conseillers à son niveau actuel, soit
14.610
.
Depuis la loi du 18 janvier 1979, les personnels des
greffes
, au nombre
de 1590, sont des
fonctionnaires
de l'Etat.
En cas d'échec d'une phase préalable de conciliation, l'affaire
est jugée par les conseillers et, si ceux-ni ne parviennent à se
départager, il est fait appel à un
juge départiteur,
juge du tribunal d'instance
. Leurs décisions sont susceptibles
d'appel lorsque la demande dépasse un montant de 3.720 euros.
En 2000, les conseils de prud'hommes ont enregistré 164.039 affaires
nouvelles, rendu
160.747 décisions
, le délai moyen de
traitement d'une affaire étant de 10,2 mois (9,6 mois sans
départition, 20 mois avec départition).
3. Les tribunaux paritaires des baux ruraux
Lors de
leur création par un décret n° 58-1293 du 22
décembre 1958, abrogé et codifié aux articles
L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire, il existait
autant de tribunaux paritaires des baux ruraux que de tribunaux d'instance au
sein desquels ils ont leur siège.
Ils sont actuellement au nombre de
411
, 65 tribunaux ayant
été supprimés entre 1960 et 1988 pour tenir compte de
l'évolution du monde rural.
Les tribunaux paritaires des baux ruraux connaissent des
contestations entre
bailleurs et preneurs de baux ruraux
. Leurs décisions peuvent faire
l'objet d'un appel devant la cour d'appel.
Ils sont
présidés par le juge d'instance et se composent de
deux bailleurs non preneurs et de deux preneurs non bailleurs
, juges
élus par leurs pairs
pour six ans. Les dernières
élections se sont déroulées le 31 janvier 2002.
Lorsque le tribunal ne peut se réunir au complet, pour quelque cause que
ce soit, le juge d'instance statue seul.
La Chancellerie et le ministère de l'agriculture envisagent de supprimer
les tribunaux dans lesquels aucun candidat ou des candidats en nombre
insuffisant ont été élus et de réaliser une
réforme des opérations électorales.
En 2000, les tribunaux paritaires des baux ruraux ont rendu
3.538 décisions.
4. Les juridictions sociales
a) Le tribunal des affaires de sécurité sociale
Créé par la loi n° 85-10 du 3 janvier
1985,
les
116
tribunaux des affaires de sécurité sociale ont
remplacé les commissions de sécurité sociale.
Ce sont des juridictions spécialisées dans les
litiges
d'ordre administratif
entre les organismes de sécurité sociale
et les usagers
(maladies, retraites, etc.). Leurs jugements sont
susceptibles d'appel devant la cour d'appel.
Ils se trouvent, en principe, au siège du tribunal de grande instance.
Leur secrétariat est assuré par les agents de la direction
régionale des affaires sanitaires et sociales.
Les litiges portent essentiellement sur l'affiliation (inscription à une
caisse de la sécurité sociale) et le calcul et le recouvrement
des cotisations et prestations.
Leur
composition
est
échevinale
: ils sont
présidés par un magistrat de l'ordre judiciaire, honoraire ou
en activité
, désigné pour trois ans par le premier
président de la cour d'appel et de
deux assesseurs
également nommés pour trois ans par le premier président
de la cour d'appel sur présentation des organisations syndicales des
professions agricoles et non agricoles représentatives
218(
*
)
.
Ils ont rendu
102.270
décisions en 2000.
b) Le tribunal du contentieux de l'incapacité
Créés par la loi n° 94-43 du 18 janvier
1994, les
26
tribunaux du contentieux de l'incapacité ont
remplacé les commissions régionales de l'incapacité. Leur
ressort correspond à celui d'une direction régionale des affaires
sanitaires et sociales.
Ils connaissent en première instance des
litiges relevant du
contentieux de l'incapacité
: état d'invalidité
ou d'incapacité à la suite d'accidents ou de maladies,
professionnels ou non. Leurs jugements sont portés devant une cour
nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des
accidents du travail.
Leur
composition
a été modifiée par la loi
n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation
sociale
219(
*
)
. Elle est
échevinale
. Les tribunaux comprennent cinq membres : un
président
,
magistrat honoraire
de l'ordre administratif ou
judiciaire désigné pour trois ans renouvelables par
arrêté du garde des sceaux,
deux assesseurs représentant
les travailleurs salariés
et
deux assesseurs représentant
les employeurs ou travailleurs indépendants
désignés
pour une durée de trois ans renouvelable par le premier président
de la cour d'appel dans le ressort de laquelle le tribunal a son siège
sur des listes dressées sur proposition des organisations
professionnelles les plus représentatives intéressées.
Leur secrétariat est assuré par le personnel de la direction
régionale des affaires sanitaires et sociales.
Ils avaient rendu
73.194 décisions en 1996
, chiffre le plus
récent.
c) Les tribunaux départementaux des pensions
Créés par un décret n° 51-469
du 24
avril 1951, codifié à l'article L. 79 du code des
pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, les
tribunaux départementaux des pensions siègent au tribunal de
grande instance.
Ils connaissent des
contestations
auxquelles donnent lieu les
dispositions
relatives à la fixation des pensions d'invalidité
des militaires et victimes de la guerre
. Leurs décisions peuvent
faire l'objet d'un appel devant une cour régionale des pensions et d'un
pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.
Ils sont
présidés par un magistrat
de l'ordre judiciaire
ou administratif, en activité ou honoraire, désigné chaque
année par le premier président de la cour d'appel. Dans la
majorité des cas, le président est un magistrat de l'ordre
judiciaire.
Ils se composent :
- d'
un médecin assesseur
, désigné chaque
année par le premier président de la cour d'appel sur la liste
départementale des médecins experts près les tribunaux du
département et une liste de dix membres présentée par les
syndicats ou associations de médecins du département, transmises
par le président du tribunal de grande instance,
- et d'
un assesseur représentant les mutilés ou
réformés
, désigné sur une liste
présentée par les associations de mutilés ou de
réformés.
En l'an 2000, ces tribunaux ont rendu
2.282 décisions
.
5. Les tribunaux pour enfants
Conformément à l'article 1
er
de
l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, il y a
dans le ressort de chaque cour d'appel une ou plusieurs juridictions de
première instance dénommées tribunaux pour
enfants
220(
*
)
.
Composé du
juge des enfants
, président, et de
deux
assesseurs
non professionnels choisis parmi les personnes
âgées de plus de trente ans, de nationalité
française et «
qui se sont signalées par
l'intérêt
qu'elles portent
aux questions de
l'enfance et par leurs compétences
221(
*
)
», le tribunal pour enfants juge les
délits les plus graves
et les
crimes
commis par les
mineurs de moins de 16 ans
.
Il peut prononcer : des mesures éducatives ; une peine de
travail d'intérêt général ; une amende dans la
limite de 7.500 euros (50.000 francs) ; pour un mineur de plus de 13 ans,
une peine d'emprisonnement.
Les débats au tribunal pour enfants ne sont pas publics. Leur
compte-rendu dans la presse est interdit. Le jugement peut être
publié, mais sans que le nom du mineur y figure. La présence d'un
avocat est obligatoire. Les éducateurs qui ont suivi l'enfant
peuvent être entendus.
Le tribunal pour enfants peut être saisi par le juge des enfants et par
le juge d'instruction des mineurs.
L'
appel
des décisions du juge des enfants et du tribunal pour
enfants est
jugé par la cour d'appel dans une audience
spéciale dans les mêmes conditions qu'en première
instance
. Une chambre spéciale est formée à cette fin
dans les cours d'appel où il existe plusieurs chambres
222(
*
)
.
Un décret n° 2002-576 du 23 avril 2002 a créé
15 nouveaux tribunaux
pour enfants.
6. Les tribunaux maritimes commerciaux
Créés par un décret-loi du 20 juillet
1939, les
tribunaux maritimes commerciaux sont installés dans les chefs lieux de
quartier de l'inscription maritime désignés par décret.
Au nombre de
14
, ils n'existent qu'en
métropole
, notamment
dans les grands ports : Dunkerque, le Havre, Boulogne et Marseille.
Outre-mer
, leur compétence appartient aux
tribunaux
correctionnels
.
Ils connaissent des
contraventions
et des
délits
prévus et réprimés par le code disciplinaire et
pénal de la marine marchande, relatifs à la
vie à
bord
, à la
conduite du navire
ou à la
police de la
navigation
. Leurs décisions peuvent faire l'objet d'un recours
devant la Cour de cassation.
Depuis la réforme opérée par loi n° 93-1013 du
24 août 1993, ils ne sont plus
présidés
par un
administrateur des affaires maritimes mais par un
magistrat du siège
du tribunal de grande instance
dans le ressort duquel ils sont
situés. Ils se composent de
quatre juges, professionnels de la
navigation maritime
.
Les fonctions de l'instruction et du ministère public sont remplies par
un commissaire rapporteur appartenant au corps des officiers de marine ;
celles de greffier par un contrôleur des affaires maritimes.
B. LE DÉVELOPPEMENT DE FORMES DE SPÉCIALISATION PLUS SOUPLES AUTOUR DE LA NOTION DE PÔLES DE COMPÉTENCES
Le
mouvement de spécialisation prend aujourd'hui des formes nouvelles,
caractérisées par leur souplesse et une
logique de
concentration des moyens
.
A la création de nouvelles juridictions sur l'ensemble du territoire est
préféré un
regroupement des contentieux sur un petit
nombre de tribunaux de grande instance
.
La réussite de cette politique suppose de bien apprécier la
taille critique des juridictions et de leur donner des moyens
conséquents.
1. Le pôle antiterroriste
La
France s'est dotée en 1986 d'un arsenal juridique spécifique pour
lutter contre le terrorisme à la suite de la vague d'attentats commis
sur son sol par des terroristes du Moyen-Orient. Treize actions criminelles
revendiquées par un certain « comité de
solidarité avec les prisonniers arabes » avaient
provoqué la mort de onze personnes et en avaient blessé 275.
La loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 définissait pour la
première fois la notion d'acte de terrorisme et surtout y attachait des
règles de
procédure spéciales
en vue de renforcer
les prérogatives des enquêteurs.
Ce dispositif a été modifié à plusieurs reprises,
en mars 1994 avec l'entrée en application du nouveau code pénal,
en janvier 1995 pour allonger les délais de prescription de l'action
publique et des peines, en juillet 1996 pour étendre le champ des
infractions, et en décembre 1996 pour autoriser, sous de strictes
conditions, les perquisitions de nuit.
A la suite des attentats commis le 11 septembre 2001 aux Etats-Unis,
la
loi
n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la
sécurité quotidienne
a renforcé l'arsenal
juridique français
pour combattre avec pleine efficacité le
terrorisme en :
- permettant la fouille des véhicules par des officiers et agents
de police judiciaire sur réquisitions du procureur de la
République ;
- autorisant sous certaines conditions des perquisitions au cours
d'enquêtes préliminaires ;
- prévoyant la possibilité pour les agents d'entreprises de
sécurité de procéder à des fouilles de bagages et
à des palpations de sécurité ;
- réglementant la conservation des données de communication
avec l'obligation pour les opérateurs de télécommunication
de conserver certaines données pour la recherche et la constatation
d'infractions pénales ;
- autorisant les auditions, interrogatoires et confrontations à
distance par l'utilisation de moyens de télécommunication
adaptés.
En raison de l'avancement de la date de remise de son rapport, la mission
d'information n'a pas pu se rendre au pôle antiterroriste de Paris. Aussi
ne seront ici rappelés que les principaux éléments de son
fonctionnement.
a) La compétence concurrente des juridictions locales et des juridictions parisiennes
Les
articles 706-16 à 706-22 du code de procédure pénale
prévoient la centralisation à Paris des affaires de terrorisme. A
cet effet, le procureur de la République, les juges d'instruction et les
juridictions de jugement parisiens se sont vus attribuer une
compétence concurrente
de celle qui résulte des
règles de droit commun (lieu de commission de l'infraction,
résidence de l'une des personnes soupçonnées d'avoir
participé à l'infraction ou lieu d'arrestation de l'une de ces
personnes).
L'objectif n'était pas de
« déposséder » les juridictions
territorialement compétentes mais de créer une compétence
supplémentaire. La loi du 9 septembre 1986 n'a donc
conféré aucune prééminence aux juridictions
parisiennes.
En pratique, la saisine de la juridiction parisienne est réalisée
selon des modalités différentes en fonction du moment où
elle intervient. Il convient en effet de distinguer la
saisine initiale
de la procédure de dessaisissement après l'ouverture d'une
information judiciaire.
Dans le premier cas, le parquet de Paris fait jouer auprès du parquet
local sa compétence nationale concurrente. Cette saisine s'opère
selon une procédure informelle avec l'accord du procureur de la
République et, en cas de problème, du procureur
général. Elle est confirmée et formalisée à
la suite des échanges téléphoniques nécessaires par
la transmission d'une note écrite de saisine du parquet de Paris au
parquet local qui accepte de se dessaisir. Cette modalité de saisine
s'applique lorsque le parquet de Paris évoque des faits de terrorisme
immédiatement ou presque immédiatement après leur
commission mais aussi en cas de saisine différée tant que le
parquet initialement compétent n'a pas procédé à
l'ouverture d'une information.
Lorsqu'une information a déjà été
ouverte
223(
*
)
, une
procédure de
dessaisissement
du juge d'instruction doit alors être
envisagée, mais son initiative est réservée au procureur
de la République local. Conformément à l'article 706-18 du
code de procédure pénale, celui-ci va requérir le juge
d'instruction de se dessaisir au profit de la juridiction d'instruction de
Paris. La présentation de cette requête suppose évidemment
que le parquet de Paris ait donné son accord.
Avant de statuer, le juge d'instruction avise la personne mise en examen ainsi
que la partie civile et les invite à faire connaître leurs
observations. L'ordonnance ne peut être rendue par le juge que huit jours
au plus tôt après cet avis.
Une seule voie de recours est ouverte contre une telle ordonnance : dans
un délai de cinq jours, le ministère public, la personne mise en
examen ou la partie civile peuvent la déférer à la chambre
criminelle de la Cour de cassation. Celle-ci doit alors désigner dans un
délai de huit jours à compter de la réception du dossier
le juge chargé de continuer l'information. Si le dessaisissement est
ordonné au profit du juge d'instruction de Paris, le parquet localement
compétent adresse le dossier au procureur de la République de
Paris.
Inversement,
lorsque
le juge d'instruction de Paris se rend compte que
les faits ne constituent pas un acte de terrorisme
et ne relèvent
pas de sa compétence à un autre titre, il doit alors se
déclarer incompétent, soit de son propre chef, soit sur
requête du procureur de la République ou des parties
224(
*
)
.
La décision du juge est susceptible d'être
déférée à la chambre criminelle de la Cour de
cassation selon les mêmes modalités que celles
précisées plus haut. Si elle décide que le juge
d'instruction n'est pas compétent, la Cour de cassation peut soit
désigner un autre juge d'instruction, soit estimer «
dans
l'intérêt d'une bonne administration de la justice que
l'instruction sera poursuivie au tribunal de Paris
». Mais, dans
les deux cas, les dispositions procédurales spécifiques de la loi
du 9 décembre 1986 cesseront de s'appliquer. Dès que l'ordonnance
est devenue définitive, le procureur de la République de Paris
adresse le dossier de la procédure à son homologue
territorialement compétent.
Qu'il y ait ordonnance de dessaisissement ou ordonnance d'incompétence,
le juge initialement saisi garde sa pleine compétence jusqu'à
l'expiration du délai de cinq jours prévu pour le recours ou
jusqu'à la date où l'arrêt de la chambre criminelle a
été porté à sa connaissance. Dans les deux cas, les
mandats de dépôt ou d'arrêt conservent leur force
exécutoire et les actes de procédure intervenus toute leur valeur.
Comme l'a montré le rapport de la commission d'enquête du
Sénat sur la conduite de la politique de sécurité
menée par l'Etat en Corse l'application des règles de
dessaisissement n'est pas sans susciter des
difficultés
225(
*
)
.
b) Des structures spécialisées
La
centralisation des poursuites a entraîné la création de
structures spécialisées dans la lutte contre le terrorisme au
sein du tribunal de grande instance de Paris, de la direction centrale de la
police judiciaire et de la direction centrale des renseignements
généraux du ministère de l'intérieur.
En effet, la spécificité des infractions pénales requiert
une
connaissance
approfondie
des milieux
dans lesquels les
terroristes
opèrent et des moyens qu'ils utilisent. En outre, les
investigations, tant policières que judiciaires, exigent de
nombreux
rapprochements
entre les éléments matériels, les
personnes et les groupes clandestins.
S'agissant des seules structures judiciaires, la mission rappelle que,
contrairement à la formule fréquemment employée, il
n'existe pas « une section antiterroriste » au tribunal de
grande instance de Paris regroupant juges d'instruction et magistrats du
parquet, mais
deux sections distinctes
.
Au sein du
parquet
, c'est la
section «
terrorisme et
atteintes à la sûreté de l'Etat
» dite
14
ème
section
ou section A6, composée de quatre
magistrats, à laquelle incombent l'engagement de l'action publique, le
suivi des instructions et les poursuites en matière de terrorisme.
Du côté de l'
instruction
, les affaires de terrorisme
relèvent de la
4
ème
section
, elle aussi
composée de quatre magistrats.
Si la poursuite et l'instruction des dossiers de terrorisme sont confiés
à des magistrats spécialisés, le
jugement
de ces
affaires relève d'une
juridiction de droit commun pour les
délits
.
Cependant, comme on l'a vu, la juridiction appelée à
connaître des
crimes
de terrorisme est une
cour d'assises
composée uniquement
de
magistrats professionnels
, afin
de limiter l'effet des pressions ou des menaces pouvant peser sur les
jurés.
2. Les pôles économiques et financiers
Depuis
la loi n° 94-89 du 1
er
février 1994, les
dispositions des articles 704 et 705 du code de procédure pénale
établissent la
compétence d'un ou de plusieurs tribunaux de
grande instance par cour d'appel
aux fins de poursuivre, instruire et
éventuellement juger un certain nombre d'infractions limitativement
énumérées ressortissant à la matière
économique et financière.
Cette
compétence
n'est pas obligatoire mais
concurrente
à celle des juridictions non spécialisées situées
dans le ressort de la cour d'appel. Elle est limitée aux affaires
complexes. Une telle compétence concurrente est
indispensable pour
éviter des nullités
dans l'hypothèse où une
affaire ne serait pas renvoyée à une juridiction
spécialisée.
M. Jean-Pierre Dintilhac, procureur de la République au tribunal de
grande instance de Paris, a d'ailleurs indiqué à la mission que,
malgré cette dualité de compétences, la saisine du
pôle s'effectuait la plupart du temps de manière consensuelle,
après une concertation entre les procureurs, sous l'autorité du
procureur général, quelquefois de la Chancellerie. Les avocats
forment
peu de recours
contre ces saisines.
a) Une logique de concentration des moyens
Cette
spécialisation n'est toutefois
guère effective
.
En effet, les juridictions spécialisées ne
bénéficient
pas de moyens humains et matériels
supplémentaires
de nature à faciliter le traitement des
procédures, tant au siège qu'au parquet.
Situées pour la plupart au siège des cours d'appel, dans les
zones où la délinquance est généralement
importante, ces
juridictions
étaient
déjà
très
souvent
chargées
au titre de leurs
compétences propres.
La complexité d'un dossier n'apparaît pas toujours dans les
premiers temps d'une enquête et il est toujours
délicat de
dessaisir une juridiction lorsque l'examen du dossier est très
avancé
; en particulier quand un juge d'instruction non
spécialisé est saisi, il convient d'ouvrir une seconde
information pour les mêmes faits devant le juge spécialisé,
puis de provoquer le dessaisissement du premier, ce qui est assez dissuasif.
Les
magistrats
des tribunaux spécialisés en matière
économique et financière ne sont
pas chargés
exclusivement de ces fonctions
et doivent répartir leur temps, comme
la plupart des magistrats de l'ordre judiciaire, entre plusieurs tâches.
Pour remédier à cette situation, il a été
décidé de concentrer les moyens, humains, matériels et
financiers, sur un petit nombre de juridictions spécialisées en
créant des pôles économiques et financiers
.
b) La création de quelques pôles de compétences
Les
tribunaux de grande instance de
Paris
,
Marseille
,
Lyon
et
Bastia
ont été retenus en raison du nombre et de la
complexité des procédures qu'ils ont à traiter.
Opérationnels depuis le 1
er
juin 1999, les pôles
économiques et financiers ont bénéficié, en sus de
l'affectation de magistrats, de fonctionnaires des greffes et d'assistants de
justice, du
concours d'assistants spécialisés
,
c'est-à-dire de fonctionnaires de catégorie A ou B mis à
disposition par leur administration ou de personnes issues du secteur
privé chargés d'assister les magistrats dans le
déroulement de la procédure, en leur faisant
bénéficier de leurs compétences en matière
économique et financière
226(
*
)
.
Les effectifs des pôles économiques et financiers
|
Magistrats |
Fonctionnaires |
Assistants spécialisés 1 |
Assistants de justice |
Total |
||
Parquet |
Instruction |
Parquet |
Instruction |
||||
Paris |
31 |
27 |
34 |
60 |
9 |
19 |
180 |
Marseille 2 |
4 |
3 |
6 |
3 |
2 |
5 |
23 |
Lyon 2 |
4 |
3 |
13 |
2 |
4 |
26 |
|
Bastia |
1 |
2 |
|
2 |
3 |
1 |
9 |
TOTAL |
75 |
118 |
16 |
29 |
238 |
||
Source : Chancellerie
|
Toutefois, la mission a pu constater à Paris comme
à
Marseille que les pôles spécialisés souffraient d'un
manque d'effectifs
aussi bien en magistrats qu'en assistants
spécialisés, les postes budgétaires n'étant pas
pourvus. M. Marc Cimamonti, vice-procureur de la République,
responsable de la section financière du parquet au pôle
économique et financier du tribunal de grande instance de Marseille, a
ainsi regretté que la création du pôle ait
été réalisée «
à moyens
constants
. »
Les pôles ont également bénéficié de nouveaux
équipements informatiques
, avec la diffusion du logiciel IAO
(instruction assistée par ordinateurs) et l'expérimentation, au
parquet financier de Paris, d'un dispositif de gestion électronique des
données.
Enfin, des
opérations immobilières
ont été
réalisées pour permettre l'installation des services du parquet
et de l'instruction dans de nouveaux locaux plus vastes et plus adaptés.
Le pôle économique et financier du tribunal de grande instance de
Paris
est ainsi installé dans de superbes locaux situés
boulevard des Italiens dans le IX
ème
arrondissement, qui ont
pour
seul inconvénient d'être éloignés du palais
de justice
. Les magistrats regrettent en effet de ne pouvoir entretenir
avec leurs collègues des contacts aussi réguliers qu'auparavant,
qui leur permettaient d'échanger utilement informations et conseils.
L'importance de ces contacts informels a également été
soulignée par leurs homologues marseillais qui se félicitent,
quant à eux, de pouvoir travailler dans les locaux du tribunal de grande
instance.
On notera que les juridictions spécialisées de Bordeaux, Nanterre
et Fort-de-France, bien que ne constituant pas des pôles financiers, ont
été dotées de moyens supplémentaires par
l'affectation d'assistants spécialisés. Toutefois, la mission a
pu constater que le tribunal de grande instance de Bordeaux ne
bénéficiait du concours que d'un seul assistant
spécialisé !
c) Le fonctionnement du pôle économique et financier de Paris
Le
pôle économique et financier de Paris, qui est le plus important,
compte
27 juges d'instruction
alors que l'effectif théorique
s'élève à 30 magistrats. Les magistrats sont
regroupés en
deux sections
, l'une chargée respectivement
de la
délinquance astucieuse
, l'autre de la
délinquance
financière
.
Chaque juge
du pôle est constamment en charge, en moyenne, de
60 dossiers
. Les affaires sont réparties par Mme Edith
Boizette, doyenne, par délégation du président du tribunal
de grande instance.
La division économique et financière du
parquet
du
tribunal de grande instance de Paris est divisée en
plusieurs
sections
:
- la section de la lutte contre la
délinquance astucieuse
(F1), qui traite les affaires de faux et d'escroquerie et enregistre
600
à 700 affaires nouvelles par mois
;
- la
section financière
(F2), qui s'occupe des dossiers de
droit pénal des sociétés, de droit pénal boursier,
de droit pénal fiscal et de lutte contre le blanchiment, et enregistre
60 à 70 affaires nouvelles par mois
,
bien
plus
complexes que celles de la section F1 ;
- la
section économique et sociale
(F3), qui est
chargée des dossiers liés au droit du travail, au droit de
l'environnement, au droit de l'urbanisme et de la construction, au droit de la
consommation (contrefaçons notamment) et à la pollution maritime
(affaire de l'Erika notamment), et qui est saisie d'environ
400 dossiers par
mois
;
- ainsi que la
section commerciale
(F4)
installée au
tribunal de commerce
.
Outre le procureur adjoint, elle comprend en théorie 30 magistrats
(12 dans la section F1, 10 dans la section F2, 5 dans la section F3 et 4
dans la section F4). Les personnels des greffes sont au nombre de 54.
Chaque année, le parquet du pôle économique et financier de
Paris traite 17.000 affaires nouvelles, établit 1.100
réquisitoires introductifs (80 % des réquisitoires
introductifs sont établis à la suite de plaintes avec
constitution de partie civile), 2.200 citations directes et 150 convocations
par officier de police judiciaire ou procès verbal.
Il est actuellement question de mettre en place de nouveaux pôles
économiques et financiers dans le Nord, à Lille, et aux Antilles,
à Fort-de-France.
La mission observe que la logique de concentration de moyens qui est celle
des pôles spécialisés exclut leur trop grande
multiplication. Il conviendrait donc, avant toute nouvelle
création, de renforcer les pôles existants, non seulement par
l'affectation de magistrats et de fonctionnaires mais également
d'assistants spécialisés supplémentaires. Toutefois que le
maillage des pôles devrait progressivement concerner l'ensemble du
territoire national.
3. Les pôles « santé »
La loi
n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à
la qualité du système de santé a autorisé la
création de « pôles santé » sur le
modèle des pôles économiques et financiers
.
Elle a inséré dans le code de procédure pénale un
article 706-2 autorisant l'extension de la compétence territoriale d'un
tribunal de grande instance au ressort d'une ou de plusieurs cours d'appel pour
la poursuite, l'instruction et, s'il s'agit de délits, le jugement de
certaines
infractions
227(
*
)
dans les
affaires
relatives à un produit de santé
228(
*
)
ou un
produit destiné à
l'alimentation de l'homme ou de l'animal
qui sont ou apparaîtraient
d'une
grande complexité
.
Le décret du 22 avril 2002 a prévu la mise en place de
deux
pôles
santé
à compétence
interrégionale
: l'un à
Paris
, couvrant les
trois-quarts de la France, l'autre à
Marseille
, couvrant le sud
du pays et la région Rhône-Alpes. L'idée d'un pôle
à compétence nationale, un temps envisagée, a donc
été abandonnée.
La
compétence
de ces juridictions spécialisées en
matière d'enquête, d'instruction et de jugement est
concurrente
à celles des juridictions territorialement
compétentes.
Les pôles santé ont été habilités à
recruter des
assistants spécialisés
, fonctionnaires de
catégorie A ou B relevant des ministères chargés
de la santé, de la recherche ou de l'agriculture, et personnes issues du
secteur privé justifiant, d'une part, d'une qualification
professionnelle définie par décret, d'autre part, d'une
expérience professionnelle minimale de quatre
années :
pharmaciens, médecins inspecteurs de
santé publique, vétérinaires inspecteurs
.
Ces assistants exerceront les mêmes missions que celles dévolues
aux assistants spécialisés dans les juridictions
économiques et financières.
La Chancellerie sollicite actuellement la mise à disposition de quatre
fonctionnaires relevant du ministère de la santé et d'un ou deux
fonctionnaires du ministère de l'agriculture.
La mission approuve cette réforme. Comme le soulignait notre
collègue Pierre Fauchon dans son avis présenté au nom de
la commission des Lois : «
pour certaines infractions
complexes, il apparaît indispensable en effet que des magistrats puissent
acquérir une spécialisation poussée sans laquelle le
travail d'investigation pourrait s'avérer vain. En pratique aujourd'hui,
les affaires pénales de santé publique de grande ampleur sont
déjà renvoyées au tribunal de grande instance de Paris,
les règles normales de compétence des juridictions aboutissant
à ce résultat
229(
*
)
. »
4. Les juridictions spécialisées en matière de pollution des eaux de mer par rejets des navires
La loi
n° 2001-380 du 3 mai 2001 relative à la répression des
rejets polluants par les navires, complétée par le décret
n° 2002-196 du 11 février 2002, a créé
des juridictions spécialisées en matière de rejets
polluants des navires et de pollution des eaux de mer par
hydrocarbures
230(
*
)
.
Il existe désormais une
juridiction pénale de jugement
spécialisée par espace maritime
: le
tribunal de
grande instance
du
Havre
pour la zone Manche-Nord, celui de
Brest
pour la zone Atlantique, celui de
Marseille
pour la zone
Méditerranée, ceux de
Fort-de-France,
Saint-Denis-de-la-Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon
pour
l'outre-mer.
Le tribunal de grande instance de
Paris
détient une
compétence exclusive de jugement s'agissant des infractions commises
dans la zone économique exclusive et en haute mer
(pour les seuls
navires français dans ce dernier cas).
La
compétence
de ces juridictions est
concurrente
avec
celle des tribunaux de grande instance territorialement compétents
pour l'enquête et l'instruction
.
L'objectif est d'améliorer la
coordination
entre les
autorités judiciaires et les autorités administratives et surtout
d'aboutir à une
harmonisation de la jurisprudence
. Comme le
soulignait notre collègue Lucien Lanier, rapporteur de ce texte au nom
de la commission des Lois du Sénat
231(
*
)
: «
Il importe que ce soient les
mêmes juridictions qui traitent de ces questions, afin de mieux
appréhender ce sujet, de développer de réels pôles
de compétence parmi les magistrats et d'aboutir à une
harmonisation de la jurisprudenc
e. »
Auparavant ces infractions étaient jugées soit par le tribunal
compétent du lieu de l'infraction ; soit par celui dans le ressort
duquel le bâtiment était attaché en douanes ou
immatriculé s'il était français ; soit par celui dans
le ressort duquel pouvait être trouvé le bâtiment s'il
était étranger. Le tribunal de grande instance de Paris
était compétent à défaut d'autre tribunal.
L'éclatement des juridictions saisies, conjugué à la
relative faiblesse du nombre des poursuites judiciaires (en 1999, sur les 239
rejets volontaires répertoriés, 30 navires avaient
été identifiés et 27 procédures judiciaires
transmises au Parquet), rendait aléatoire la condamnation effective des
responsables de pollutions volontaires.
5. Les tribunaux des marques communautaires
Le
règlement
(CE) n° 40/94 du Conseil du 20
décembre 1993 relatif à la marque communautaire impose aux Etats
membres de désigner sur leurs territoires un «
nombre aussi
limité que possible de juridictions nationales de première et de
deuxième instance
», dénommées
«
tribunaux des marques communautaires
» et
dotées de compétences exclusives :
a) pour toutes les actions en contrefaçon et - si la loi nationale
les admet - en menace de contrefaçon d'une marque communautaire ;
b) pour les actions en constatation de non-contrefaçon, si la loi
nationale les admet ;
c) pour toutes les actions intentées à la suite de faits
postérieurs à la publication d'une demande de marque
communautaire qui, après la publication de l'enregistrement de la
marque, seraient interdits ;
d) pour les demandes reconventionnelles en déchéance ou en
nullité de la marque communautaire
232(
*
)
.
Les articles L. 717-4 du code de la propriété
intellectuelle
233(
*
)
et R. 312-10 du code
de l'organisation judiciaire
234(
*
)
confient
donc une compétence exclusive au
tribunal de grande instance de
Paris
pour les actions et demandes en matière de marque
communautaire, y compris lorsque ces actions portent à la fois sur une
question de marque et sur une question connexe de dessin et modèle ou de
concurrence déloyale.
6. Les juridictions spécialisées en matière d'enlèvement d'enfant
La loi
n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité
parentale a inséré dans le code de l'organisation judiciaire
un article L. 312-1-1 prévoyant la spécialisation d'un
tribunal de grande instance dans le ressort de chaque cour d'appel pour
connaître des actions relatives au déplacement illicite d'enfants,
engagées notamment sur le fondement de la convention internationale de
La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement
international d'enfants
235(
*
)
.
S'agissant de la Communauté européenne, le règlement (CE)
n° 1347/2000 du Conseil relatif à la compétence, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière
matrimoniale et en matière de responsabilité parentale des
enfants communs est entré en vigueur
le 1
er
mars 2001. La Commission a
élaboré une nouvelle proposition de règlement en septembre
2001 pour en étendre son champ d'application en dehors des unions
matrimoniales. Cette proposition se réfère expressément
à la convention de la Haye en prévoyant que les juridictions des
États membres exerceraient en grande partie leurs compétences
conformément à cette convention.
Le nombre de tribunaux compétents sera donc limité à
35
.
Aux termes de l'article L. 226-1 du code de l'organisation judiciaire,
un conseiller et un magistrat du parquet général seront
également spécialisés dans chaque cour d'appel dans les
actions relatives au déplacement illicite d'enfants.
Une telle spécialisation a été effectuée en
Allemagne où 28 tribunaux compétents ont été
désignés. En Écosse, ces affaires sont regroupées
sur un seul tribunal de même qu'en Angleterre.
Comme le faisait remarquer notre collègue Laurent
Béteille
236(
*
)
, la spécialisation
devrait permettre de «
gagner du temps
. Les
magistrats connaissent mal la convention de la Haye
en raison du peu
d'affaires actuellement traitées annuellement par les tribunaux. Une
telle mesure devrait permettre de mieux cibler les magistrats à former.
Elle favoriserait l'émergence d'une
jurisprudence
européenne
par la création d'un
réseau de
magistrats spécialisés
en Europe
. »
C. UN MOUVEMENT À POURSUIVRE
1. Un bilan globalement positif
a) Une justice plus efficace et plus rapide
Le
succès des pôles économiques et financiers amène une
note d'espoir face au contexte de malaise généralisé qui
caractérise actuellement la justice.
L'intervention des pôles a eu un
impact très positif
sur la
qualité
et la
rapidité
du traitement des affaires
économiques et financières complexes.
A Paris, les
stocks s'amenuisent
. Le bilan de la première
année d'activité (2000) révélait un excédent
de 5 % des affaires nouvelles. Un an après, à la même
époque, cette tendance s'est
inversée
avec un
excédent de 8 % des affaires terminées par rapport aux
saisines.
Le pôle économique et financier de Paris a permis le
règlement d'affaires particulièrement complexes : MNEF,
Société générale, Lagon vert, qui sont
désormais en instance d'être jugées.
Le pôle a donc pu engager quelques
actions particulières
dans des domaines ciblés très complexes tels que :
- le blanchiment (103 procédures ouvertes étaient en cours
au 1
er
décembre 2000) ;
- le travail clandestin ;
- la corruption, le trafic d'influence et le favoritisme, ce contentieux
connaissant une très nette augmentation dans le domaine des
marchés publics ;
- la délinquance liée aux nouvelles technologies ; les
affaires résolues concernent généralement de jeunes
« hackers » (pirates informatiques).
Mme Claude Nocquet, vice-procureur au tribunal de grande instance de
Paris, a illustré, dans son bilan d'activité, la
complexité de ce contentieux qui concerne souvent des jeunes gens
évoluant dans un monde de spécialistes avides de connaissance.
Les saisines du pôle économique de Marseille s'accroissent, avec
18 saisines sur le fondement de l'article 704 du code de procédure
pénale dont 9 en accord avec le parquet de Nice, 6 en accord avec le
parquet de Toulon et 3 en accord avec le parquet de Grasse.
M. Yves Lebaut, vice-procureur au tribunal de grande instance de
Marseille, s'est déclaré satisfait des délais de
traitement des affaires.
Les tribunaux de grande instance situés dans le ressort de la cour
d'appel d'Aix-en-provence ne lui
contestent plus
sa compétence et
font parfois
appel à ses services
, une procédure ayant en
effet donné lieu à une consultation juridique informelle du
pôle de Marseille par le parquet de Grasse.
b) Des avantages reconnus
Le rayonnement du droit français dans le
monde
Outre son impact très positif sur le fonctionnement de l'institution
judiciaire, la création de pôles spécialisés permet
également de renforcer
l'image de la France
auprès de ses
voisins européens et, plus généralement, des autres pays
internationaux.
En effet, comme l'a expliqué devant la mission M. Guy Canivet,
premier président de la Cour de cassation, «
une
amélioration de la qualité entraînerait, selon moi, une
amélioration du crédit international de la justice
française et, par contrecoup, de la place économique de la
France, si l'on veut bien considérer que le service judiciaire est un
élément de qualité d'une place économique et
boursière.
»
Une activité économique dynamisée
L'institution de pôles dans un domaine spécialisé
(notamment dans des domaines commerciaux ou industriels) peut conduire à
un
développement économique des régions
dans
laquelle ils se situent.
Par exemple, la spécialisation d'une juridiction dans le domaine du
droit des affaires ou encore dans certains grands contentieux commerciaux
pourrait permettre à la France de valoriser son activité
judiciaire par rapport à d'autres systèmes judiciaires
étrangers, ce qui permettrait de favoriser l'installation de certains
grands opérateurs nationaux, confiants dans une justice d'excellence et
hautement spécialisée.
M. Guy Canivet a d'ailleurs illustré cette dynamique très
positive en citant l'exemple des Pays-Bas. «
Ainsi, si l'on prend
l'exemple des Pays-Bas, les Hollandais ont bien compris qu'en matière de
brevets en créant une juridiction très spécialisée,
très performante, toute une partie de
l'activité
économique
, grâce à des avocats et à des experts
spécialisés, pouvait se
développer
autour de la
juridiction.
»
Des juges parfois démunis face à la
spécialisation parfois très poussée des avocats
Nombre de magistrats et d'avocats ont fait part devant la mission des
difficultés éprouvées
par certains
juges
,
qui n'ont pas toujours l'habitude de trancher des litiges liés à
des domaines très pointus, et qui doivent faire face à des
avocats hautement spécialisés
dominant parfaitement le
domaine concerné.
Me Georges-Michel Lecomte, bâtonnier de Marseille, et certains magistrats
ont à cet égard mis en exergue la nécessité de
spécialiser les contentieux les plus complexes afin, d'une part,
d'éviter que certains juges se sentent démunis et, d'autre part,
de leur permettre de faire face à l'avocat
«
à armes égales
».
c) Les pistes d'avenir
Compte
tenu de l'ensemble de ces observations, une
extension
de la
spécialisation dans les
matières les plus complexes
paraît désormais non seulement
indispensable
mais
également
inéluctable
.
Plusieurs pistes pourraient être envisagées, notamment la
spécialisation des juridictions dans des domaines tels que la
propriété intellectuelle
, le
droit de la concurrence
,
le
droit des sociétés
, le
droit bancaire
ou
les
grandes opérations de restructuration des entreprises
.
Il conviendrait, en outre, de déterminer l'échelle de la
spécialisation aux fins de savoir, selon la matière, s'il
convient d'attribuer ce contentieux à
quelques juridictions
spécialisées en petit nombre
ou plutôt à
une
juridiction unique
pour l'ensemble du territoire français.
Afin de renforcer l'efficacité et la crédibilité du
service public de la justice et de permettre aux magistrats de rendre une
justice de qualité, la mission souhaite donc la création de
nouveaux pôles et la poursuite du mouvement actuel de
spécialisation dans des matières très complexes. Une telle
évolution constitue en effet une clef d'avenir cruciale pour la justice
française
.
2. Des difficultés à surmonter
L'impact
positif de ces pôles repose essentiellement sur les
hommes
et les
femmes -magistrats agents des greffes et assistants
spécialisés-
qui participent
à
leur
fonctionnement quotidien
.
La mission, au cours de ses visites des pôles économiques et
financiers de Paris et de Marseille, a pu relever un certain nombre de
difficultés auxquelles il paraît indispensable de remédier.
Le constat qu'elle a dressé et les interrogations qui lui sont apparues
peuvent plus généralement s'étendre à l'ensemble
des pôles spécialisés.
a) L'adaptation du métier de magistrat au développement des pôles économiques et financiers
Comme
l'a relevé une fonctionnaire des greffes rencontrée lors du
déplacement de la mission, «
la création du
pôle économique et financier de Marseille n'a pas
profondément modifié l'exercice concret du métier de
greffier qui accomplit des tâches identiques à celles qui lui sont
dévolues au sein de la juridiction
.
»
Tel n'est pas le cas des magistrats, désormais contraints
d'acquérir une
compétence très spécifique
dans les matières à l'égard desquelles ils sont
-censés être- compétents.
L'ensemble des magistrats entendus par la mission lors de ses
déplacements à Paris et à Marseille a souligné
l'absence d'implication de la Chancellerie
dans
leur affectation au
pôle économique
et
les insuffisances de la formation.
L'absence d'implication de la Chancellerie dans l'affectation des
magistrats au sein des pôles spécialisés
-
Des nominations, fruits du hasard
Ainsi que l'a souligné Mme Danielle Entiope, présidente du
tribunal de grande instance de Marseille, la nomination des magistrats dans les
pôles économiques et financiers résulte souvent
«
des fruits du hasard
», alors même que ces
derniers sont appelés à exercer des fonctions hautement
spécialisées exigeant une compétence et un savoir
ciblés.
M. Marc Cimamonti, vice-procureur au parquet de Marseille,
responsable de la section financière du parquet au pôle
économique et financier, a parfaitement résumé ce paradoxe
en expliquant qu'«
on n'affecte pas un magistrat
spécialisé mais [que] c'est l'affectation à un service
spécialisé qui forge la spécialisation du
magistrat
».
Il apparaît donc qu'à l'heure actuelle, il n'existe
aucune
gestion spécifique
des ressources humaines affectées aux
pôles économiques et financiers et qu'il est tout à fait
possible qu'un jeune magistrat sorti de l'Ecole nationale de la magistrature,
sans aucune expérience, puisse être affecté en premier
poste au sein d'un de ces pôles.
Plusieurs magistrats ont
mis en avant
la nécessité
d'affecter au sein des pôles spécialisés des magistrats
présentant
un profil adapté
aux fonctions proposées
afin de valoriser l'expérience professionnelle qu'ils ont pu
acquérir antérieurement.
Comme l'a regretté, M. Yves Lebaut, vice-procureur au tribunal de grande
instance de Marseille, seuls les postes de magistrat de l'administration
centrale du ministère de la justice donnent lieu à
l'établissement de profils de poste. Cette gestion individualisée
des ressources humaines ne s'étend pas aux juridictions.
Comme le souligne un chef de tribunal de grande instance «
rien,
dans l'organisation du corps des magistrats ou dans leur carrière ne
permet de savoir si un magistrat possède une authentique
spécialisation
».
La mission partage ces préoccupations et souhaite attirer l'attention
de la Chancellerie sur la nécessité de mettre en place une
gestion adaptée des compétences aux besoins spécifiques
des pôles spécialisés, notamment en dressant des fiches de
postes précises permettant de sélectionner les candidats
adéquats, une telle proposition ne paraissant pas de nature à
remettre en cause l'indépendance des magistrats.
-
Un taux de roulement des magistrats trop élevé qui
fragilise les pôles spécialisés
Un grand nombre d'interlocuteurs ont souligné que les
règles
statutaires de mobilité en vigueur
ne permettaient pas aux
magistrats spécialisés de valoriser leur expérience.
Plusieurs magistrats du pôle économique et financier de Paris ont
fait remarquer qu'ils se trouvaient en effet confrontés à une
double exigence contradictoire
à laquelle leur statut ne
permettait pas de répondre : l'
avancement
est soumis
à des conditions de
mobilité géographique
tandis
que la spécialisation, rendue nécessaire par la complexité
croissante du droit, exige au contraire un exercice des fonctions dans la
durée
et l'acquisition d'une certaine
expérience
.
Ainsi, afin de ne pas subir de retard dans leur
avancement
, sept juges
d'instruction (soit un quart des effectifs) ont quitté le pôle
économique et financier de Paris en moins de trois ans.
Mme Claude Nocquet, vice-présidente au tribunal de grande instance de
Paris, indiquait récemment que «
comme pour l'instruction,
il convient de déplorer la rotation trop importante et surtout
simultanée des effectifs, notamment en ce qui concerne la section
financière. En effet, entre septembre et décembre 2001, ce sont
50 % des effectifs de ce service qui ont quitté le parquet de Paris
pour rejoindre des juridictions ou des services extérieurs
237(
*
)
.
»
Une telle situation
perturbe
le bon fonctionnement du pôle.
En effet, les dossiers lourds dont le magistrat était saisi doivent
être redistribués soit aux collègues encore en poste, soit
au nouveau titulaire du poste, ce qui entraîne une regrettable
déperdition d'énergie
.
Nombre d'interlocuteurs ont d'ailleurs fait part de leurs
vives
réserves
à l'égard de l'obligation de mobilité
nouvelle instaurée par la loi organique du 25 juin 2001
précitée et souhaiteraient une plus grande stabilité des
effectifs au sein des pôles.
Certains magistrats ont même suggéré l'institution de
règles de mobilité dérogatoires pour les magistrats
spécialisés.
La mission, n'a pas jugé opportun de remettre en cause la
volonté du législateur un an après l'entrée en
vigueur de la loi organique du 25 juin 2001. En outre, il est à
souligner que rien n'empêche un juge spécialisé d'exercer
durablement la même fonction dès lors qu'il ne reste pas
durablement dans une même juridiction
.
Une formation insuffisante des magistrats affectés dans les
pôles spécialisés
Mme Danielle Entiope, présidente du tribunal de grande instance de
Marseille, a mis en exergue que l'effort de spécialisation des
magistrats affectés au pôle avait été
«
personnel
» et
«
entrepris
sur le tas
».
Le responsable du parquet financier du pôle économique et
financier a d'ailleurs fait part à la mission de son expérience
personnelle en expliquant qu'en 1996, il avait été nommé
au parquet financier de Versailles alors même que la loi du 25 janvier
1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des
entreprises lui était pratiquement inconnue. Les magistrats instructeurs
ont souligné qu'ils étaient arrivés au pôle sans
avoir bénéficié d'aucune formation spécifique.
S'agissant de la formation initale, M. Guy Canivet a suggéré
devant la mission «
la création et l'entretien de
filières de formation spécialisées de
magistrats
».
Une telle proposition ne semble pas faire l'objet d'un consensus, de nombreux
magistrats ayant marqué leur attachement à la vocation
généraliste de leur profession. Ainsi un chef de tribunal de
grande instance a fait part de ses inquiétudes et des craintes :
«
une approche par métiers serait un contresens si elle
revenait à accentuer la spécialisation et à isoler des
filières, hermétiques les unes aux autres, sans connaître
le fond commun qui unit les différents corps de
personnels.
»
La
formation continue
des magistrats spécialisés a
été jugée
décevante
par la plupart des
interlocuteurs rencontrés par la mission qui ont souligné la
nécessité d'instituer une
formation obligatoire
préalable à l'entrée en fonction
238(
*
)
.
De plus, il semble que la
formation régionale
déconcentrée
destinée à répondre aux
besoins locaux des juridictions ait un véritable rôle à
jouer auprès des pôles spécialisés.
La mission souhaite attirer l'attention de la Chancellerie sur la
nécessité de rendre obligatoire une formation avant
l'entrée en fonction d'un magistrat spécialisé et de
développer la formation continue déconcentrée comme
support de formation des pôles spécialisés.
Le développement du travail en équipe
Comme l'a souligné M. Marc Cimamonti, vice-procureur au
pôle économique et financier de Marseille, les magistrats font
généralement preuve d'une «
absence de culture de
l'organisation au sein de l'institution judiciaire
. Ils sont le plus
souvent formés et dédiés à gérer des
procédures et
se désintéressent de l'organisation
et du fonctionnement de la juridiction.
»
Cette logique apparaît fortement
remise en cause
par les principes
d'organisation qui régissent les pôles puisque désormais le
magistrat exerce son métier en
collaboration étroite
au
sein des pôles avec ses collègues du siège et du parquet.
Les magistrats spécialisés, plutôt enclins à exercer
leur métier de façon solitaire, ont donc été peu
à peu contraints à s'adapter à de
nouvelles
méthodes de travail
plus
modernes
.
Le législateur a d'ailleurs consacré cette évolution en
permettant aux magistrats instructeurs de développer
le travail en
équipe
et en permettant « d'adjoindre »
au juge d'instruction chargé de l'information judiciaire un ou plusieurs
juges d'instruction.
Comme le relève Mme Claude Nocquet, vice-présidente au tribunal
de grande instance de Paris, «
c'est sans doute une des
réformes les plus importantes de cette dernière
décennie : dans les affaires complexes, sophistiquées ou
médiatisées, l'homme seul, la femme seule sont remplacés
par un
binôme
parfois un
trinôme
, l'un apportant son
expérience, l'autre sa connaissance particulière d'un secteur, le
troisième son aptitude en informatique
239(
*
)
.
»
Les magistrats instructeurs se sont félicités de cette
avancée. Un juge d'instruction du pôle économique et
financier de Marseille, chargé de l'affaire de l'Olympique de Marseille,
s'est déclarée très satisfait de collaborer, depuis une
période récente, avec un autre magistrat instructeur soulignant
que la procédure de co-saisine avait permis «
un gain de
temps et une plus grande sérénité
». Il est
à noter que les juges d'instruction du pôle antiterroriste
utilisent également la procédure de co-saisine dans les affaires
complexes.
De plus, le juge est appelé à travailler en
coopération
étroite
avec d'autres partenaires. Ainsi que l'a indiqué un
magistrat entendu par la mission, lorsque le parquet détient une
information d'escroquerie à la taxe sur la valeur ajoutée, il
convient de la transmettre aux autres services de l'Etat. Un magistrat
affecté au pôle économique et financier se situe à
l'intérieur d'un circuit d'information et doit, en accord avec ses
partenaires (notamment l'administration fiscale, les douanes, l'organisme
Tracfin...), définir les grandes lignes de conduite à tenir.
De nombreux magistrats ont d'ailleurs fait valoir devant la mission la
nécessité de disposer d'
interlocuteurs extérieurs
eux-même spécialisés
. En amont de l'activité du
pôle, l'absence de spécialisation financière des
unités de police, dont les effectifs ne cessent de diminuer, a conduit
à allonger les durées de traitement des affaires et des
commissions rogatoires et à ralentir l'activité du pôle
économique et financier de Paris. Une spécialisation accrue de la
police judiciaire dans ce domaine serait donc souhaitable
240(
*
)
.
En outre, la création récente des
assistants de
justice
241(
*
)
et des
assistants
spécialisés
a
induit
une modification des
méthodes de travail des magistrats. Le travail en équipe, qui
avait suscité des réticences au moment de l'arrivée des
assistants spécialisés, notamment au pôle économique
et financier de Paris, est aujourd'hui banalisé et
reconnu comme
essentiel
par tous les acteurs judiciaires.
Sur quelques
dossiers très importants
(affaires Elf,
Crédit Lyonnais par exemple) ont été constituées
des
équipes pluridisciplinaires
composées de magistrats,
d'assistants spécialisés et d'assistants de justice.
Le groupe de suivi des pôles économiques et financiers soulignait
d'ailleurs en mai 2001 que «
le magistrat confronté
à des contentieux de plus en plus lourds et complexes, ne peut plus
demeurer un
artisan isolé
mais doit au contraire devenir un
véritable coordinateur d'une équipe
pluridisciplinaire
242(
*
)
.
»
La création des pôles économiques et financiers a donc
contraint le magistrat à s'adapter à une nouvelle forme
d'organisation de la justice.
b) La difficile affirmation des assistants spécialisés au sein des pôles économiques et financiers
Le statut des assistants spécialisés,
l'émergence d'un nouveau métier
Un
dispositif novateur
a permis, en
1998
, de doter les
pôles économiques et financiers d'assistants
spécialisés et, partant, d'enrichir la communauté
judiciaire d'un
nouveau métier
.
Inspirés du modèle des assistants de vérification
placés auprès des chambres régionales des comptes, ils ont
été créés par la loi n° 98-546 du
2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier
243(
*
)
afin
d'assister le juge
spécialisé
dans l'analyse des informations contenues dans le
dossier et de le
conseiller
dans des
domaines
demeurés
en marge du droit pénal
. Ils sont soumis au secret professionnel
et prêtent un serment.
En avril 2001, on recensait 14 assistants spécialisés. Ils sont
recrutés pour une durée de trois ans renouvelable
244(
*
)
parmi des personnes ayant acquis des
compétences en matière économique et financière au
cours de leur parcours professionnel, il peut s'agir :
- soit de
fonctionnaires
de catégorie A ou B, sans aucune
condition d'ancienneté, qui peuvent être mis à disposition
ou détaché de leur administration d'origine ;
- soit de personnes issues du
secteur privé
245(
*
)
qui doivent justifier d'une double condition de
diplôme
246(
*
)
, d'une part, et
d'expérience professionnelle (quatre ans), d'autre part.
Il semble que les assistants spécialisés aient tous
été recrutés parmi des agents des services publics :
4 sont originaires de la direction générale des impôts,
4 autres proviennent de la direction générale des douanes et
des droits indirects, 2 de la banque de France, 1 de la direction
générale de la concurrence et des fraudes et 1 de la Commission
des opérations de Bourse.
Force est de constater qu'
aucun assistant spécialisé n'est
actuellement issu du secteur privé, aucune ligne budgétaire
spécifique destinée à recruter ces contractuels n'ayant
été créée.
La mission ne peut que
déplorer une telle situation
dans la mesure où de nombreux
magistrats spécialisés du pôle économique et
financier de Marseille ont fait part devant la mission de la
nécessité de disposer de l'expertise très pointue d'un
analyste financier dans certains dossiers.
A l'exception de Paris et en raison des moyens limités dont disposent
les pôles économiques et financiers, le travail des assistants
spécialisés est co-géré par le parquet et
l'instruction. Ils peuvent donc être amenés, dans des affaires
différentes, à apporter leur concours à la fois au parquet
et à l'instruction.
Ils ne disposent
d'aucun pouvoir juridictionnel
et ne peuvent se
substituer aux magistrats auprès desquels ils effectuent leurs travaux,
ni se voir déléguer aucun pouvoir de signature. Aux termes de
l'article 706 du code de procédure pénale :
«
les assistants spécialisés assistent, dans le
déroulement de la procédure les magistrats sous la direction
desquels ils sont placés, sans pouvoir procéder par
eux-même à aucun acte.
»
Les travaux qui peuvent leur être confiés se classent en quatre
catégories :
- audit de dossiers (mise en évidence des flux financiers,
analyse thématique de certaines relations de groupes ou d'un ensemble
d'opérations de même nature par un même acteur), dans la
plupart des cas cet audit se concrétise par un rapport ou une note de
synthèse ;
- étude technique sur un aspect précis (recherches dans des
ouvrages techniques) ;
- compléments antérieurs ou postérieurs à la
saisine des services d'enquête qui visent le plus souvent à faire
le point sur l'environnement économique et financier des personnes
physiques ou morales visées dans les procédures ;
- interrogations ponctuelles sur des points très techniques.
Les travaux des assistants ne sont pas versés au dossier.
Un statut à améliorer
Le bilan établi en avril 2001 par le groupe de suivi met en exergue que
«
tous les avis recueillis auprès des magistrats
s'accordent sur l'excellente qualité des travaux des assistants
spécialisés et le très grand intérêt de leurs
apports techniques dans les procédures économiques et
financières notamment au stade du ciblage des investigations à
entreprendre.»
Leur place au sein des pôles
économiques et financiers est désormais bien
acceptée
247(
*
)
et l'ensemble des
magistrats, loin de ressentir l'aide à la décision
apportée par ces assistants spécialisés comme une atteinte
à leurs prérogatives, a unanimement souhaité un
renforcement de leur statut.
Il n'était pas dans l'intention du législateur d'ériger
les assistants spécialisés en véritables
acteurs de la
procédure pénale
.
Toutefois, victimes de leur succès
, ils sont intervenus de
manière
croissante
à
tous les stades de la
procédure
, agissant ainsi bien au-delà du cadre légal.
Leur présence aux interrogatoires, ainsi que lors des perquisitions a
été parfois jugée utile.
Le silence et le caractère flou de leur intervention qui ressort des
textes a ainsi conduit à
une occultation
de leur rôle alors
même qu'il prenait
une importance croissante dans les
procédures
.
Si les assistants spécialisés sont
globalement satisfaits
de leur expérience au sein des pôles, ils ont néanmoins
soulevé devant la mission un grand nombre d'interrogations,
évoquant plus particulièrement :
-
Leur
rémunération
Les assistants spécialisés ont tous été
affectés aux pôles économiques et financiers sous le statut
de la mise à disposition par leur administration d'origine,
évitant ainsi au ministère de la justice de prendre en charge
financièrement leur traitement. Il s'est avéré que dans la
plupart des cas, ces derniers subissaient un
préjudice financier
en raison d'une perte de rémunération liée au
régime indemnitaire spécifique ou aux primes liées
à la fonction occupée antérieurement.
Toutefois la mission a pu mesurer le
dévouement
de ces assistants
spécialisés à l'occasion de sa visite aux pôles
économiques et financiers de Paris et de Marseille, les quatre
assistantes spécialisées du pôle de Paris ayant
expliqué qu'elles avaient choisi cette affectation en dépit de la
perte de revenu car, ayant été en relation avec l'institution
judiciaire dans leurs précédentes fonctions, elles souhaitaient
la «
découvrir de l'intérieur
» et
«
la faire progresser en mettant leurs compétences à
son service
».
-
La question du mode d'affectation au pôle
La formule du
détachement
n'a connu aucun succès pour des
raisons financières. Il a été signalé devant la
mission qu'elle permettrait pourtant à l'assistant de rompre ses liens
avec son administration d'origine et, peut-être, de conforter sa position
lorsqu'il est confronté à elle dans ses nouvelles fonctions.
- L
'insuffisante prise en compte par leur
administration
d'origine
de l'expérience acquise au sein de l'institution
judiciaire et la difficulté de leur réintégration
Les assistants spécialisés ont indiqué que le
retour
dans leur
corps d'origine
s'avérerait
difficile
car les administrations ont souvent coupé tout contact
avec eux.
-
Une certaine
frustration
Les assistants spécialisés souhaitent exercer davantage de
responsabilités, à l'instar de leurs précédentes
fonctions. Une assistante spécialisée rencontrée au
pôle de Marseille a expliqué qu'elle disposait de pouvoirs plus
étendus dans son administration d'origine citant l'exemple des
déclarations FICOBA qu'elle avait l'habitude de signer
elle-même alors que depuis son affectation au pôle, elle se
trouvait dans l'obligation d'attendre la signature du procureur pour accomplir
des actes identiques.
Le responsable du pôle économique et financier, avec humour et
tout en reconnaissant et appréciant leur compétence, a
qualifié les assistants spécialisés
d'«
ectoplasmes judiciaires
», ajoutant
qu'«
ils sont bien souvent au milieu du gué
».
-
Une
formation insuffisante
Toutes les assistantes spécialisées ont fait valoir devant la
mission la nécessité de suivre
une formation obligatoire avant
leur entrée en fonction
.
Face à un tel constat, le groupe de suivi des pôles
économiques et financiers a formulé des propositions qui
paraissent faire l'unanimité.
La création d'un
véritable statut
de l'assistant
spécialisé, qui serait rebaptisé conseiller technique, a
été proposée. Ce changement de dénomination
permettrait de valoriser davantage cette fonction. Une extension et une
clarification de leurs attributions seraient également
opérées afin d'aligner le droit sur la pratique et de leur
permettre de participer aux perquisitions, saisies et interrogatoires,
d'établir des notes écrites et versées au dossier.
Un amendement avait été déposé dans ce sens
lors de l'examen au Sénat les 5 et 6 juin 2001de la loi
n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de
réformes à caractère économique et financier
(MURCEF), mais avait été rejeté en raison de son
dépôt tardif et de l'absence de lien avec le texte en discussion.
La mission estime qu'un renforcement du statut des assistants
spécialisés destiné à étendre leur champ
d'intervention s'avère indispensable pour garantir un fonctionnement
efficient des pôles
.
L'
amélioration
du
traitement des assistants
spécialisés
afin d'éviter des pertes de revenus a
également été envisagée par le groupe de suivi.
Soucieuse de rendre cette nouvelle fonction attractive, la mission partage
cette préoccupation
et souhaite que des solutions soient rapidement
proposées par la Chancellerie pour éviter que l'affectation d'un
assistant spécialisé dans un pôle ne lui porte
préjudice financièrement.
Enfin, il est apparu indispensable à la mission qu'une
réflexion soit menée en concertation avec la Chancellerie et les
administrations intéressées pour gérer les
carrières des assistants spécialisés désireux de
réintégrer leurs corps d'origine et valoriser leur
expérience acquise au sein de l'institution judiciaire.
ANNEXES
ANNEXE 1
COURRIER ADRESSÉ AUX
JURIDICTIONS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
COMMISSION
DES
LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE
LÉGISLATION,
DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET
D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
MISSION D'INFORMATION
SUR L'ÉVOLUTION DES MÉTIERS
DE LA
JUSTICE
Paris, le 27 mars 2002
M...
La commission des Lois du Sénat, présidée par
M. René Garrec, a désigné en son sein une mission
d'information sur l'évolution des métiers de la justice.
Pour mener à bien cette tâche, la mission d'information souhaite
prendre connaissance de l'état de la réflexion des professionnels
de justice sur le sujet et se tenir à l'écoute de l'ensemble des
responsables judiciaires. Elle ne pourra cependant pas rencontrer chacun
à l'occasion de ses auditions ou de ses déplacements.
Elle souhaiterait donc recueillir, aussi rapidement que possible, vos
observations et vos propositions sur les missions des différentes
catégories de personnels de votre juridiction et sur les relations
qu'elles entretiennent entre elles et avec les auxiliaires de justice. Elle
serait notamment intéressée le cas échéant par vos
réactions sur la place dans votre juridiction des agents de justice, des
assistants de justice et des magistrats exerçant à titre
temporaire.
Le développement d'une justice de proximité, la
spécialisation des juridictions face à la complexité
croissante du contentieux, l'exigence d'une participation accrue des
justiciables aux décisions, la contribution des personnels des
juridictions à la mise en oeuvre des politiques publiques ainsi que les
conséquences de l'intégration de la France dans l'Union
européenne constituent autant de sujets de réflexion en lien avec
l'évolution des métiers de la justice sur lesquels la mission
souhaiterait connaître votre sentiment.
Dans la mesure où vous l'estimeriez possible, la mission souhaiterait
également être destinataire de votre dernier rapport annuel,
établi à l'occasion de l'audience solennelle de rentrée,
ainsi que d'un organigramme de votre juridiction.
La contribution que vous êtes susceptible d'apporter à nos travaux
fera l'objet d'une synthèse respectant sa confidentialité. Elle
sera très précieuse au Sénat.
Nous avons informé Madame la garde des Sceaux de cette démarche.
Vous trouverez également ci-joint, pour votre information, la liste des
membres de la mission, la composition de son Bureau ainsi que les
coordonnées de son secrétariat qui se tient à votre
disposition pour toute précision complémentaire.
Ce courrier est adressé à M. le Premier Président de
la Cour de cassation, M. le Procureur général près la
Cour de cassation, aux premiers présidents et procureurs
généraux des cours d'appels, ainsi qu'aux présidents et
procureurs de la République des tribunaux de grande instance.
Nous vous prions d'inclure dans votre réponse les observations
émanant des tribunaux d'instance situés dans votre ressort.
Nous nous permettons de vous indiquer que le calendrier des travaux de la
mission ne lui permettra pas de prendre en compte les réponses parvenues
après le 1
er
juin prochain.
En vous remerciant d'avance pour votre concours, nous vous prions de croire,
M..., à l'assurance de notre considération distinguée.
Le rapporteur, Le président,
M. Christian COINTAT M. Jean-Jacques HYEST
ANNEXE 2
PROGRAMME DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION
CONTRÔLE DE L'APPLICATION DES LOIS
EXAMINÉES PAR LA COMMISSION
DES LOIS
* Lois
adoptées au cours de la session 2001-20002
- Loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à
Mayotte
- Loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la
résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du
recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la
fonction publique territoriale
- Loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000
d'orientation pour l'outre-mer
- Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à
l'accueil et à l'habitat des gens du voyage
- Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au
référé devant les juridictions administratives
- Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la
protection de la présomption d'innocence
- Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits
des citoyens dans leurs relations avec les administrations
- Loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation
du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la
signature électronique
- Loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant
l'efficacité de la procédure pénale
- Loi n° 99-291 du 15 avril 1999 relative aux polices
municipales
- Loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relative à la
Nouvelle-Calédonie
- Loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la
Nouvelle-Calédonie
- Loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative
à l'accès au droit et à la résolution amiable des
conflits
- Loi n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des
magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature
- Loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la
reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre
l'humanité
- Loi n° 2001-111 du 6 décembre 2001 relative à
l'adoption internationale
- Loi n° 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une
journée nationale à la mémoire des victimes des crimes
racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux
« Justes » de France
- Loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000 relative à
l'élection des sénateurs
- Loi n° 2000-196 du 6 mars 2000 instituant un défenseur
des enfants
- Loi n° 98-566 du 8 juillet 1998 portant
transposition de la directive 94/47/CE du Parlement européen et du
Conseil du 26 octobre 1994 concernant la protection des acquéreurs
pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un droit
d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers
- Loi n° 97-1270 portant ratification de
l'ordonnance n° 96-782 du 5 septembre 1996 prise en
application de la loi n° 96-87 du 5 février 1996
d'habilitation relative au statut général des fonctionnaires de
la collectivité territoriale, des communes et des établissements
publics de Mayotte
- Loi n° 97-1159 du 19 décembre 1997 consacrant
le placement sous surveillance électronique comme modalité
d'exécution des peines privatives de liberté
ANNEXE 3
LISTE DES PERSONNALITÉS AUDITIONNÉES ET
COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS
EFFECTUÉES PAR LA MISSION
D'INFORMATION
Audition de M. Jean-Paul COLLOMP,
inspecteur
général des services judiciaires,
responsable du comité
de coordination des « entretiens de
Vendôme »
(27 mars
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Monsieur l'inspecteur
général, nous sommes très heureux de vous recevoir. Les
membres de la commission des Lois du Sénat ont souhaité se
pencher sur l'évolution des métiers de la justice. Vous avez
été responsable du comité de coordination des
« entretiens de Vendôme », qui a déjà
travaillé sur ces sujets. Vous êtes donc la première
personne que nous avons souhaité entendre sur l'évolution du
métier de magistrat.
M. Jean-Paul Collomp -
Monsieur le Président, je vous
remercie de m'accueillir.
Comme vous le savez, les entretiens de Vendôme ont été mis
en place par la ministre de la justice, Madame Marylise Lebranchu, après
un certain nombre de mouvements que je qualifierai de sociaux, qui ont
marqué la fin de l'année 2000. C'est ainsi que nous avions vu des
magistrats, mais aussi des fonctionnaires et des avocats, manifester sur la
place Vendôme. A l'occasion de ces mouvements, et par la suite, de
nombreuses demandes ont été formulées en termes
d'états généraux de la justice et de mise à plat de
l'institution judiciaire. C'est afin de répondre à cette
préoccupation que Madame Marylise Lebranchu a instauré ces
entretiens de Vendôme.
Je ne dirai que deux mots du dispositif, afin de rappeler que deux
éléments importants ont été mis en place.
Le premier élément était ce que la ministre avait
appelé « l'Instance nationale », à laquelle
participaient des représentants de toutes les organisations
professionnelles de fonctionnaires et de magistrats, ainsi que des
représentants des professions juridiques ou judiciaires comme le barreau
mais aussi les avoués ou d'autres professions. Le politique était
également représenté puisque votre assemblée avait
désigné un de ses membres ainsi que l'Assemblée nationale.
Les entretiens de Vendôme ont fait l'objet d'une consultation large,
puisque beaucoup de juridictions ont répondu, ce qui ne signifie pas que
toutes aient contribué. L'initiative a en effet été
diversement ressentie, dans la mesure où vous connaissez l'adage
suivant :
« quand vous avez un problème, créez
une commission ».
Certaines juridictions ont
considéré les entretiens de Vendôme comme un rideau de
fumée. D'autre part, il est vrai que ces entretiens se sont
situés à un moment du calendrier politique et des
échéances qui permettait à certains de penser que la
Ministre ne pourrait pas donner immédiatement une suite aux diverses
propositions.
Un « comité de coordination » a également
été mis en place, second élément du dispositif,
dont on m'a confié la présidence. Ce comité avait pour
mission de dresser la synthèse de l'ensemble des contributions. Nous
avons pu remettre un rapport provisoire puis le rapport définitif. Le
rapport provisoire a été soumis à l'Instance nationale. Il
y a donc eu un regard porté sur notre travail. La Ministre a pris un
certain nombre de décisions à la suite des propositions
formulées, certaines d'entre elles étant d'application
immédiate ou rapide et d'autres nécessitant une réflexion
et une expertise.
Enfin, il me paraît important de souligner, sur le plan des idées
générales, que le rapport, la plaquette présentant les
décisions de la ministre et une lettre personnelle ont été
adressés à chaque magistrat, à chaque fonctionnaire,
à l'ensemble des barreaux de notre pays ainsi qu'aux auxiliaires de
justice, aux avoués et aux huissiers. Ainsi, le retour sur
investissement a été réalisé de manière
complète. Cela correspondait tout à fait à un voeu de la
ministre.
Je souhaite situer quelques idées générales, parce que je
pense qu'elles constituent le fond de la réflexion. Même s'il y a
eu du déchet, je le disais, dans la consultation des juridictions, il me
semble que ce type de consultation, dès lors que les professionnels s'y
sont impliqués, peut tracer la route pour les années à
venir quant aux orientations les plus importantes.
Dans une première partie, j'évoquerai le problème du
concept d'accès au droit. On constate qu'apparaît nettement une
ligne de partage entre deux tendances. Une première tendance consiste en
ce que le judiciaire soit totalement et spontanément accessible, quel
que soit le problème que puissent connaître nos concitoyens et
quel que soit le niveau de difficulté, et en ce que chacun
bénéficie d'un accès immédiat, gratuit et complet
à la justice. La seconde tendance, en revanche, soutient la thèse
selon laquelle il est nécessaire que le judiciaire reste normalement et
relativement exceptionnel. Selon cette thèse, le tout judiciaire n'est
pas une bonne manière de réguler les difficultés sociales.
Il est nécessaire de donner l'information et de faciliter l'accès
pour les classes défavorisées, mais aussi de placer des limites,
proches du ticket modérateur en matière de santé. Ainsi,
une juridiction propose d'imposer un droit fixe de 600 francs. La
Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
propose qu'avant toute assignation, c'est-à-dire l'acte qui noue le
procès, le demandeur puisse justifier qu'il a tenté une
négociation ou une médiation avec son futur adversaire. Le but de
cette politique est que le réflexe ne soit pas d'aller vers le juge mais
vers les autres types de solution des conflits. Je pense que cette idée
est importante.
Dans un second temps, j'insisterai sur la nécessité d'une pause
législative et d'une simplification de l'appareil juridique. Les
juridictions ont le sentiment que le droit se complique et que le
législateur ne fait pas le travail de
« toilettage ». Cette expression est revenue à
plusieurs reprises. Il est fréquent qu'un nouveau texte apparaisse et
que l'on ne reprenne pas pour autant l'existant antérieur. La
mosaïque ainsi créée est difficile à aborder.
Le troisième aspect de mon propos sera d'évoquer la recherche
faite autour des nouvelles implantations judiciaires. Il y a là un
facteur extrêmement important. Je vous dirai tout à l'heure qu'il
ne faut peut-être pas aborder le problème aujourd'hui en parlant
de réforme de la carte judiciaire, car cette formulation est bloquante.
Cependant, la recherche de nouvelles implantations judiciaires est un sujet sur
lequel nous reviendrons.
Le quatrième axe de réflexion que je vous propose, aujourd'hui,
est la notion d'efficacité. Les juridictions expriment le sentiment de
travailler beaucoup pour un résultat qui est, parfois, quasiment
inexistant. Cela n'est pas satisfaisant, et m'amène à parler de
la nécessité de fixer des priorités. Les juridictions se
tournent vers le politique et le législateur pour cela. Elles demandent
qu'on leur fixe des voies afin de déterminer les axes principaux et ce
qui est à la marge. Le but de cette politique est de ne pas traiter l'un
et l'autre de la même manière.
Lié à la notion d'efficacité, nous retrouvons un discours,
qui n'est pas nouveau mais qui prend de plus en plus de force, sur la
qualité de la justice. Les juridictions disent souvent, à tort ou
à raison, que ces dernières années l'accent a
été mis sur la productivité judiciaire, sur l'aspect
quantitatif des choses. Elles souhaitent que cette première
démarche soit accompagnée par celle de la qualité et de
l'évaluation, voire de l'auto-évaluation, des juridictions.
Vous devez avoir noté qu'une discussion extrêmement profonde est
en cours concernant le statut des magistrats du parquet. Vous noterez que j'ai
pris soin, dans le rapport, de ne pas interpréter, mais de restituer un
certain nombre de contributions qui me semblent faire apparaître un
certain nombre de questions de fond. Je pense que si vous entendez la
Conférence générale des procureurs généraux
ou celle des premiers présidents, des discours très importants
vous seront tenus, qui ne font pas l'unanimité, mais qui permettent de
dégager des axes importants de réflexion. La question du statut
du parquet est donc fondamentale. Je pense qu'il sera nécessaire d'y
apporter des réponses.
Enfin, et cela nous renvoie à la question générale des
métiers, je souhaite aborder la notion de travail d'équipe. Sur
ce point, nous voyons apparaître des idées nouvelles dans la
mesure où, jusque-là, il était difficile de raisonner en
termes d'équipes et de services. Des concepts nouveaux sont donc en
train d'apparaître. Parmi les idées qui se situent autour du
travail d'équipe, une première question se pose sur la notion
même de service. Comme je vous le disais, la réalité est
très différente selon les juridictions. Il est possible d'aborder
une juridiction dans son ensemble, en tant qu'unité indivisible. Vous
savez que nous travaillons sous forme de chambres. Pour autant, ces concepts ne
semblent pas satisfaisants aujourd'hui. Nous sentons que les juridictions sont
en recherche. Le contenu de la notion de service demeure flou. Nous voyons, par
exemple, apparaître la notion de service pénal. La question du
service pénal intéresse ce qui se passe entre la réception
d'une procédure et la fin de l'exécution de la peine qui a pu
être prononcée. Vous voyez donc apparaître cette notion de
continuum et de responsabilité commune quels que soient les moments dans
lesquels on se situe dans cet ensemble.
Il est également possible de parler d'une sorte d'unité de base
de production. Certaines juridictions utilisent ce terme et définissent
un service comme une équipe composée d'un magistrat, d'un
greffier et d'une secrétaire. Je pense que ces idées, ou les
questions qu'elles sous-tendent, devraient servir de prisme pour
l'appréciation de la pertinence de notre organisation actuelle. Je cite
la cour d'appel de Colmar :
« Il convient de penser autrement
les relations de travail au sein des juridictions et de mettre en application
les notions de travail d'équipe à l'instar du secteur
privé. »
Ce message me semble fort et clair. Au plan
interne, cela signifie une meilleure organisation, une meilleure
efficacité et la notion d'équipe responsable.
Il me faut évoquer les trois thèmes importants qui ont
émergé de notre réflexion sur le travail
d'équipe : les différentes catégories de
fonctionnaires, la notion d'animation d'équipe et enfin le rôle de
l'assistant du juge.
Concernant les fonctionnaires, on voit également apparaître un
autre aspect. Il existe, en juridiction, une sorte de clivage, un partage,
entre les magistrats et les fonctionnaires. Pour le fonctionnement de la
juridiction, nous retrouvons un peu trop souvent, selon les juridictions
elles-mêmes, d'un côté les magistrats qui définissent
un certain nombre de choses en termes de politique judiciaire et de partenariat
avec les instances extérieures, et, de l'autre coté, les
fonctionnaires, qui se sentent trop souvent exclus de cette réflexion.
Les fonctionnaires demandent à être intégrés, voire
réintégrés, dans ces notions de service et de travail
d'équipe, et ce même pour ce qui concerne la réflexion et
les actions à mener avec les partenaires habituels, comme la police, la
gendarmerie, mais aussi la préfecture, les auxiliaires de justice, la
trésorerie etc. Nous avons ressenti cela de manière
extrêmement forte. Peut-être aurez-vous l'occasion de le constater
lors de vos déplacements, ou si les juridictions vous adressent les
contributions qu'elles nous ont fait parvenir. Vous verrez que, parfois, dans
les tribunaux, ce qui nous a été apporté est bien le
résultat d'un travail d'ensemble, alors que, dans d'autres juridictions,
les fonctionnaires, et parfois les magistrats du siège et du parquet,
sont à part. Je pense que le travail d'équipe constitue une piste
de réflexion importante.
Je pense aussi, et cela a été évoqué, que lorsque
l'on parle d'équipe, comme lorsque l'on parle de chambre ou de service,
se pose toujours le problème de l'animation de cette équipe ou de
cette direction. Il ne semble pas qu'il y ait d'équivoque sur le fait
que le magistrat soit en quelque sorte le leader de cette équipe, en
soit le responsable et l'animateur, mais encore faut-il que le magistrat soit
suffisamment préparé et formé à cette tâche
et à ces fonctions d'encadrement. Vous avez noté que, de ce point
de vue, je m'étais permis d'appeler l'attention de l'Ecole Nationale de
la Magistrature sur la nécessité de veiller, dans la formation
initiale, à fournir un effort.
Je fais une parenthèse : il y a quelques années, au
ministère et avec l'Ecole nationale de la magistrature, nous
réfléchissions sur les dispositifs à mettre en place
concernant la formation des cadres. Lorsque nous parlions de l'administration
pénitentiaire ou de la protection judiciaire de la jeunesse, il
apparaissait clairement que le cadre était le chef de service. En
revanche, nous ne savions pas trop que penser concernant le magistrat, sauf
à considérer, par exemple, qu'un jeune magistrat quittant l'Ecole
Nationale de la Magistrature et étant nommé juge d'instance dans
son premier poste, aurait des fonctions de responsabilité et
d'encadrement. Il est donc nécessaire d'intégrer cela dans la
formation initiale du jeune magistrat.
Dans le concept d'équipe, il est apparu un besoin très fort de ce
que j'appelle l'assistant du juge. Vous avez noté que beaucoup de
juridictions se plaignent du manque d'un statut intermédiaire entre
celui de magistrat et celui de fonctionnaire du greffe, en termes de
tâches d'exécution. Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est que
cette remarque est exprimée par de très nombreuses juridictions,
souvent sous des formes différentes, mais relativement proches les unes
des autres. De plus, cette idée est exprimée aussi bien par les
magistrats que par les fonctionnaires, même si chacun ne voit pas la
même entrée. Pour les fonctionnaires, cela constitue un facteur de
valorisation de leur statut et de leur rémunération. Pour les
magistrats, cela intéresse davantage la participation et le partage des
tâches. Si le besoin s'exprime de cette manière, c'est que nous
bénéficions aujourd'hui d'une sorte d'exemple qui est l'assistant
de justice. Je vous rappelle que l'assistant de justice a été
créé par voie réglementaire. Il s'agit de personnes
recrutées pour deux ans renouvelables une fois seulement, qui ne peuvent
pas avoir un emploi, en termes de nombre d'heures, supérieur à un
équivalent mi-temps. Les contraintes sont donc dans le temps de
présence en juridiction et dans le temps consacré à la
formation.
Le but poursuivi à l'époque de la création de ce poste
était d'accélérer le traitement des contentieux et de
favoriser une expérience professionnelle pour de jeunes universitaires.
Nous nous rendons compte aujourd'hui que l'utilisation des assistants de
justice est allée beaucoup plus loin, puisqu'ils participent souvent
à l'aide à la décision. En effet, on leur demande
fréquemment de rédiger l'exposé des faits, qui est une
partie de la décision de justice, ainsi que le rapport fait à
l'audience par le magistrat qui a le dossier en charge, et, dans certaines
juridictions, on va jusqu'à la rédaction de projets de jugements
ou d'arrêts. Nous voyons également que ces assistants de justice
font très souvent des recherches documentaires et jurisprudentielles. Il
s'agit bien, là aussi, de participer au travail du juge. Certains de ces
assistants sont utilisés dans les centres de documentation. Enfin,
d'autres assistants aident le magistrat en matière de politique de la
ville et de la politique associative.
Le gros reproche que l'on fait à l'institution, c'est que ce sont des
personnes que l'on emploie à titre temporaire et que les juridictions
sont chaque fois obligées de refaire, et parfois tous les trois ou six
mois, un investissement considérable en termes de formation. Autant le
besoin est apparu, autant la réponse apportée aujourd'hui n'est
pas satisfaisante pour l'ensemble de ces raisons. L'idée a donc
émergé d'arriver à un fonctionnement
pérennisé de ce point de vue et d'avoir, dans ces équipes,
une personne qui occuperait le champ que je viens de définir. Ainsi, un
certain nombre de références sont faites explicitement au
système allemand, assez proche bien que différent, du
Rechtspfleger
.
En page 62 de mon rapport, apparaît la place que
l'assistant du juge peut occuper. Il s'agit bien de la situation d'une personne
qui n'est pas dans un statut de fonctionnaire au sens de fonctionnaire du
greffe, mais qui est bien chargée d'un certain nombre de fonctions
à titre juridictionnel. Les juridictions pensent qu'il y a une recherche
importante à mener sur cette question. Madame la Ministre a
demandé à la direction des services judiciaires de
réfléchir à ces questions. Il est certain que nous
rencontrerons des réticences, aussi bien de la part de certains
magistrats que de certains fonctionnaires, mais je pense qu'il y a la place
pour une recherche importante. J'ajoute, d'ailleurs, que nous avons
actuellement, dans nos juridictions, un certain nombre de jeunes greffiers en
chef qui sont des fonctionnaires ayant les mêmes diplômes que les
magistrats. Tous ceux qui sont greffiers en chef dans une juridiction n'ont pas
nécessairement des tâches d'encadrement de chef de service ou de
chefs de greffe. Il est nécessaire de savoir utiliser les
compétences des personnes en matière d'aide à la
décision. Cela a d'ores et déjà été mis en
place dans quelques juridictions, avec les greffiers en chef qui ont
bénéficié de cette bonne formation sur le plan du droit,
et les résultats sont excellents.
M. le Président -
Je vous remercie, Monsieur l'Inspecteur
général. Certains d'entre nous sont également membres
d'une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs. J'ai
visité hier le tribunal de grande instance de Paris, et j'estime que le
travail d'équipe constitue un thème de réflexion
très important pour l'avenir.
M. Jean-Paul Collomp -
Je pense que les juridictions pour mineurs
sont précurseurs de ce point de vue.
M. Christian Cointat, rapporteur -
La première question qui
nous préoccupe, évoquée dans les entretiens de
Vendôme, est celle de savoir si les magistrats doivent se concentrer sur
leurs activités juridictionnelles ou s'ils doivent également
avoir d'autres tâches, comme c'est le cas à l'heure actuelle. J'ai
cru comprendre, en lisant le compte rendu de ces entretiens, que les magistrats
souhaiteraient se focaliser sur leurs activités juridictionnelles, en
abandonnant, le cas échéant, au greffier en chef ou à des
assistants du juge, un certain nombre de tâches qu'ils exercent
actuellement. Je souhaite savoir si vous pensez que nous devons aller dans
cette direction, étant entendu que tout le monde a reconnu la
nécessité pour le magistrat d'être le chef d'équipe.
Si nous allons dans cette direction, pensez-vous que les autres tâches
seront dévolues aux greffiers ou bien est-ce que vous pensez davantage
aux assistants du juge ? Ne pensez-vous pas que ces assistants risquent
d'apparaître, à terme, comme des succédanés de
magistrat ? N'existe-t-il pas un risque de complication
supplémentaire du dispositif ? Ne serait-il pas
préférable d'augmenter le nombre de magistrats et de
répartir de manière plus équilibrée les
tâches entre les jeunes qui débutent et les autres ?
Par ailleurs, j'aimerais savoir si vous considérez que, en tout cas en
ce qui concerne les juridictions les plus importantes, il ne serait pas
nécessaire qu'un corps de fonctionnaires spécialisés dans
la gestion administrative soit mis en place. Il s'agirait de créer un
poste de secrétaire général du tribunal responsable de
l'intendance, alors que les magistrats et les greffiers se chargeraient de la
justice proprement dite.
M. Jean-Paul Collomp -
Il s'agit d'une question centrale.
Concernant le rôle du juge, mon premier élément de
réponse porte sur l'existant. Qu'en est-il aujourd'hui ? Nous
venons d'être destinataires d'une note de notre administration centrale,
la direction des services judiciaires, rendant compte d'une étude des
charges de travail des magistrats des parquets généraux dans les
cours d'appel. Cette étude a été réalisée en
1999. Elle nous permet de nous rendre compte que, dans les petites et moyennes
cours d'appel, les activités non juridictionnelles représentent
50 % de la charge de travail. Cela est parfaitement significatif. Nous
prenons également conscience qu'en première instance, et
notamment dans les parquets, la participation aux activités non
juridictionnelles est également très importante.
J'évoquais tout à l'heure la politique de la ville, le
partenariat et les contrats locaux de sécurité. Cela prend
beaucoup de temps. Le temps dont les magistrats bénéficient pour
travailler sur les procédures et les dossiers s'en trouve limité.
En ce qui concerne le siège, la réalité est
différente. Cette pression est moindre. Cependant, les juges des enfants
sont des personnes qui passent beaucoup de temps à l'extérieur de
leur cabinet. Il en va de même pour les juges de l'application des
peines, qui ont besoin de se déplacer sur le terrain, de travailler avec
les équipes et de visiter les établissements. La question est
donc pertinente. Voilà pour le premier point sur le plan concret.
Je pense que si nous voulons réfléchir à ce que peut
être le magistrat, il est nécessaire de s'arrêter sur une
question théorique. Cela ne figure pas dans les entretiens de
Vendôme. Un universitaire belge, Monsieur François Ost, a
fait plusieurs études sur l'image des magistrats, et propose deux types
de classification faisant apparaître l'évolution du droit et donc
l'évolution de ce que l'on attend du juge. Voici les trois types de
juges qu'il a mis en avant : le juge « Jupiter », le
juge « Hercule » et le juge
« Hermès ».
Le juge « Jupiter », c'est le juge qui se trouve au sommet
du Sinaï dont émane la Loi. C'est le juge qui est au service du
droit, et au service du pouvoir dans la mesure où le droit provient du
pouvoir dans ce qu'il a de transcendantal. C'est dans cette catégorie
que l'on trouve le juge avec son imperium, celui qui juge drapé dans sa
robe et dans sa dignité.
Le juge « Hercule », c'est le juge qui est chargé de
tous les travaux. Je me demande si nous ne sommes pas aujourd'hui dans cette
situation. Je cite François OST :
« Ce juge Hercule
s'astreint à d'épuisants travaux. »
Cela signifie
aussi une chose importante pour vous, législateurs, que le juge devient
la source du seul droit valide, car il est présent sur tous les secteurs.
Le juge « Hermès », c'est le juge du dialogue, le
messager. Cela revient à dire que le droit est une mise en
réseau, une infinité d'informations et de structures, et que ce
que l'on attend du juge, c'est de mettre les parties en présence.
Cela présente l'intérêt de donner quelques idées. Le
même auteur propose une autre classification, moins mythologique, mais
tout aussi parlante.
- Le juge pacificateur. Nous retrouvons le juge vêtu de la robe,
celui qui procède du pouvoir royal, dont l'auteur dit :
«
C'est celui qui fait la paix, qui apaise.
»
- Le juge arbitre. C'est celui qui va être le décideur,
l'homme de la juridiction, pas au sens de pouvoir de droit divin. Ce juge meurt
aussitôt sa décision rendue. Son travail s'achève par le
jugement qui est rendu.
Le juge entraîneur, c'est celui qui participe à la
réalisation d'un certain nombre de politiques déterminées
et celui qui interviendra avant le procès, dans ce qu'on appelle en
droit pénal le pré-sentenciel, c'est-à-dire toutes les
mesures qui accompagnent le délinquant, telles que le contrôle
judiciaire. Il interviendra également après le jugement dans le
post-sentenciel.
Le voeu le plus généralement exprimé dans les entretiens
de Vendôme concerne la nécessité de recentrer le magistrat
sur ses tâches judiciaires. Cela suppose néanmoins deux
réserves. La première est que la participation du magistrat
à d'autres activités apparaît comme incontournable et
nécessaire lorsqu'il s'agit de la politique de la ville, de la politique
associative, de la prévention et dans les interventions que j'indiquais
tout à l'heure en termes de pré et de post-sentenciel. Je pense
que des acquis sont ici importants et qu'il est difficile de revenir dessus,
sachant que les contraintes ne sont pas les mêmes selon que l'on parle
des magistrats du parquet ou du siège. Il existe une autre division au
sein des magistrats du siège entre les juges non
spécialisés et les juges spécialisés comme les
juges des enfants et les juges de l'application des peines.
La seconde observation est que l'activité juridictionnelle ne cesse
d'augmenter. Nous en avons un certain nombre d'exemples ces derniers temps, ne
serait-ce qu'avec la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence.
Je vous rappelle que cette loi a créé un nouveau juge, le juge
des libertés et de la détention, la juridiction régionale
de la libération conditionnelle ainsi que la juridiciarisation du juge
de l'application des peines. Cette loi a également créé
l'appel des décisions des cours d'assises. Je vous parlais tout à
l'heure de stratification. Vous voyez que la part du juridictionnel demeure
extrêmement importante.
En ce qui concerne les tâches administratives au sein de la juridiction,
la première observation est que nous assistons, depuis plusieurs
années, à un mouvement de déconcentration très fort
dans le domaine de l'administration des juridictions, depuis notre
administration centrale vers les cours d'appel. Il s'agit d'un mouvement
historique, qui était incontournable et auquel nous adhérons dans
la mesure où il rapproche le décideur de ceux qui en ont besoin.
Ce mouvement de déconcentration a eu pour conséquence une
augmentation des tâches de gestion. Ce qui était
géré autrefois à l'échelon de l'administration se
trouve géré localement.
Ma seconde observation sur ce point est que cette gestion des juridictions fait
l'objet de débats très importants. Elle fait notamment
apparaître une différence de point de vue très nette entre
les magistrats et les fonctionnaires du ministère. Il ne faut pas se
leurrer sur ce point. Nous entendons régulièrement :
« que les juges jugent, que les greffiers
gèrent. »
De ce point de vue, un partage des tâches
devrait donc intervenir, qui déchargerait les magistrats de cette
fonction d'administration, celle-ci étant assurée par les actuels
greffiers en chef.
Rien n'émerge quant à l'intervention d'un tiers, appelé
secrétaire général ou secrétaire administratif. Ce
sujet n'intervient pas réellement dans le débat. Je pense que
nous manquons de maturité sur ce point. Je ne puis donc pas vous en dire
plus.
Ma troisième observation, très importante et à laquelle
les magistrats, pour ne parler que d'eux, sont très attachés est
la suivante. Quand nous parlons de gestion administrative, nous parlons de
moyens et de résultats, et donc de politique. Les chefs de cour et les
chefs de juridiction sont responsables de la politique judiciaire locale et,
à ce titre, ils considèrent que la fonction de gestion leur
revient. Ils ajoutent d'ailleurs que cela constitue un gage
d'indépendance de l'institution judiciaire. Cet élément du
débat me paraît important. Nous pouvons sentir ici que, dans le
débat avec les fonctionnaires, il est nécessaire que les juges
rappellent qu'ils ont été désignés de
manière normale comme responsables de la gestion et de la production de
nos juridictions.
En restant toujours sur le terrain de l'activité judiciaire et extra
judiciaire, vous l'avez noté à travers les entretiens de
Vendôme, se pose le problème récurrent de la participation
des magistrats, du siège comme du parquet, à quantité de
commissions administratives. Il s'agit encore de stratification due à la
nécessité de la présence d'un magistrat du fait de son
indépendance ou de son pouvoir de contrôle de la
légalité. En annexe du rapport figure une liste à peu
près exhaustive des commissions. Nous sommes arrivés à une
double constatation sur ce point. Premièrement, la plupart de ces
commissions sont de création législative. Deuxièmement,
lorsqu'elles sont de création réglementaire, il s'agit de
décrets d'application. Il est donc difficile de modifier le
décret sans menacer l'équilibre de la loi.
J'avais suggéré de renvoyer le problème au
législateur. Il s'agirait de lui soumettre la liste des commissions
auxquelles participent les magistrats et de lui demander de supprimer ou de
maintenir ce qui paraît utile. Il conviendrait que le législateur
adopte une vue d'ensemble du problème et un certain nombre de
critères.
Il ne s'agit que d'une perspective, mais nous sommes devant un réel
problème. La participation à ces commissions prend beaucoup de
temps, et les magistrats n'ont pas toujours l'impression d'être d'une
grande efficacité.
M. le Président -
Je puis donner un exemple qui illustre
votre propos : naguère, les magistrats de l'ordre judiciaire
présidaient les commissions de discipline des agents locaux. Je m'en
suis étonné en disant que le droit de la fonction publique
territoriale appartient à la justice administrative. Si la
présence d'un juge avait été indispensable, ce qui ne me
semblait pas être le cas, il eût été
préférable de placer un juge administratif. Il s'agissait d'un
paradoxe puisque, par définition, le juge judiciaire ne connaît
pas le droit de la fonction publique.
J'ai vécu un autre exemple : les juges judiciaires président
les commissions de propagande pour les élections locales. J'étais
l'année dernière candidat au conseil général, et
j'ai rencontré un jeune juge. J'ai dû lui présenter le
droit électoral : il ne savait strictement rien sur ce point. Nous
pouvons nous demander alors où est l'utilité de la
présence du juge. Il en va de même lors de la remise de la
médaille de la famille française.
M. Jean-Paul Collomp -
L'inventaire à la Prévert est
redoutable dans ce domaine.
M. le Président -
Je pense que, dans ces exemples, le
législateur aurait intérêt à accomplir un travail de
tri.
M. Jean-Paul Collomp -
Vous venez de citer la commission de
discipline des agents municipaux. Il est intéressant de savoir que les
juges administratifs, à qui la tâche a été
confiée, ont refusé de siéger sans indemnisation pour leur
participation. Il y a eu une période transitoire avant que
l'indemnisation ne soit acquise durant laquelle on demandait au juge judiciaire
de remplacer le juge administratif.
M. le Rapporteur -
Vous avez écrit, dans votre rapport sur les
entretiens de Vendôme, que les magistrats n'étaient pas
prêts à accepter une gestion administrative par un
secrétaire général dans certaines juridictions
importantes. Les magistrats craignent que cela porte atteinte à leur
indépendance. Je crois que les parlementaires sont, eux aussi, jaloux de
leur indépendance, et pourtant ils sont contents de
bénéficier d'un, voire de deux secrétaires
généraux. Ces fonctionnaires exercent leurs activités sous
l'autorité du président et du Bureau. J'aimerais connaître
votre sentiment sur ce point.
M. Jean-Paul Collomp -
J'ai eu à travailler dans des
juridictions où il était nécessaire, compte tenu de leur
taille, de bénéficier d'une personne assurant ces fonctions de
secrétaire général. Bien évidemment, je me suis
tourné à chaque fois vers des magistrats. Il m'est apparu que,
pour un certain nombre de tâches qui relèvent de la gestion, la
qualité de magistrat ne constituait pas une plus-value. En revanche,
cette notion d'animation ne recouvre pas que le fait de gérer un budget.
Il s'agit également d'assurer la mise en relation de certaines
personnes, et de prérégler certains conflits. En l'occurrence, je
ne vois pas très bien jusqu'où peut aller la ligne de partage.
Voilà ma réponse et ma réserve de ce point de vue.
L'inspection générale des services judiciaires va essayer de
procéder à une évaluation des services administratifs
régionaux (SAR). Ce dispositif est en place depuis 1996. Il a
été créé par voie de circulaire. Je pense qu'il est
temps de l'évaluer, d'autant plus que les échos que nous en
recueillons sont assez variés. Il est possible de
bénéficier ainsi d'un exécutif utile et
intéressant. Cependant, j'ai toujours dit que tout doit passer par les
chefs de cour, qui constituent notre exécutif.
M. le Rapporteur -
Ma deuxième question porte sur l'accentuation
d'une spécialisation des professionnels de justice. Sur ce point aussi,
les entretiens de Vendôme, laissant entrevoir une vision globale de la
justice et de son organisation. Il est entendu que nous ne pourrons pas traiter
de la même manière une juridiction importante en nombre d'affaires
par rapport à une autre plus petite, notamment en fonction des
départements qui sont plus ou moins peuplés. J'ai cependant cru
comprendre qu'il y avait une sorte de consensus, ou du moins de sentiment
très majoritaire, favorable à ce que l'on mette en place des
tribunaux de première instance, qui remplaceraient le tribunal de grande
instance et le tribunal de grande instance. Cela signifierait-il que, selon les
départements, ces tribunaux de première instance pourraient
être autonomes dans leur gestion ou non ?
Il serait également possible de prévoir une répartition en
pôles de compétences en fonction du nombre d'affaires. Ce dernier
aspect est au centre de la question. Je souhaite savoir comment vous voyez
cette évolution vers les pôles de compétence, qui permet
d'être plus efficace sans donner l'impression à certaines
juridictions d'être dessaisies et d'éloigner la justice du
justiciable.
M. Jean-Paul Collomp -
L'idée générale qui
sous-tend cette réflexion est celle qui considère que le droit
est de plus en plus complexe. Il est de plus en plus difficile pour un
magistrat, mais cela est vrai aussi pour les auxiliaires de justice,
d'être généraliste. Il y a quelques décennies de
cela, c'était possible, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il ne
faut pas que cette complexité du droit se trouve aggravée par des
aléas géographiques. Il ne faut pas que le simple hasard, comme
l'emplacement du siège social d'une société ; mette
en péril le traitement d'une difficulté de cette
société parce que nous ne disposerions pas, localement, du
spécialiste capable de traiter cette affaire. Nous retrouvons donc
à la fois le problème des implantations judiciaires et celui de
l'efficacité. C'est autour de ces éléments de question
qu'apparaît l'idée de la constitution de pôles de
compétences. Il y aurait ainsi des juridictions ayant compétence
en matière de droit maritime, de pollution ou de marque.
Nous voyons également émerger une demande en termes de
développement des pôles spécialisés tels qu'ils
existent déjà, comme le montre le pôle économique et
financier situé à Paris. La création d'un pôle de
compétences suppose la mise en place d'une compétence
rationae
materiae
, alors que les pôles spécialisés supposent,
dans leur définition actuelle, la nomination d'assistants
spécialisés non-magistrats. Je prends l'exemple du
département du Nord qui compte 7 tribunaux de grande instance pour
2 500 000 habitants. Ce département présente un niveau
de peuplement très varié, selon que l'on se trouve dans le
ressort du tribunal de grande instance de Lille ou dans celui du tribunal de
grande instance d'Hazebrouck. Si le siège social d'une
société se trouve à Hazebrouck, je ne suis pas certain que
la juridiction ne risque pas de se trouver en difficulté selon la nature
des problèmes.
M. le Rapporteur -
Il s'agit donc d'une évolution souhaitable...
M. Jean-Paul Collomp -
Une autre question est posée, que
nous trouvons dans la loi modifiant le statut de la magistrature : faut-il
véritablement maintenir un juge d'instruction par arrondissement
judiciaire ? Ne peut-on pas imaginer de regrouper, autour de la notion de
pôles de compétences, l'instruction pour les affaires qui le
méritent ? Un juge d'instruction à Hazebrouck gère un
cabinet qui contient trente dossiers. Il est donc juge d'instruction à
temps partiel et participe à toutes les autres activités de la
juridiction. Il en va de même en matière de crimes de droit
commun : un juge d'instruction qui se rend sur les lieux d'un crime doit
avoir quelques réflexes. Pour en avoir, il est nécessaire que ce
juge pratique suffisamment.
M. le Rapporteur -
Les questions suivantes sont importantes parce
qu'elles touchent à la justice de proximité. Je souhaite que vous
expliquiez à notre mission d'information comment vous ressentez
l'évolution qui va avoir lieu, puisque tout le monde est d'accord sur la
nécessité de rapprocher le juge du citoyen. J'ai vu dans les
entretiens de Vendôme que les avis étaient partagés
à ce sujet. Les uns sont favorables à l'échevinage. Les
autres estiment qu'il peut être dangereux, même s'il est
pratiqué en matière correctionnelle dans les territoires
d'outre-mer. Je souhaite donc que vous nous disiez comment vous voyez cette
proximité de manière efficace pour la justice.
Deuxièmement, je voudrais savoir comment tirer le meilleur parti des
maisons de justice et du droit.
Troisièmement, comment pensez-vous articuler cette justice de
proximité, qui relèverait de la responsabilité
générale du tribunal de première instance s'il
était créé, avec les autorités locales ?
Enfin, les professionnels du droit sont-ils suffisamment impliqués dans
la justice de proximité ? Beaucoup de fonctions nouvelles ont
été créées, n'y en a-t-il pas un trop grand
nombre ? Quelles sont les voies porteuses d'avenir et
d'efficacité ?
M. Jean-Paul Collomp -
Vous avez bien vu qu'il y a, dans les
entretiens de Vendôme, un partage sur ce sujet. Il me semble -et
c'est à la fois une opinion personnelle et quelque chose que j'ai
ressenti en tant que coordinateur- que la notion de proximité
mériterait d'être définie. Je ne suis pas convaincu que
l'on parle toujours de la même chose. Si la proximité doit
signifier l'éclatement des structures judiciaires, alors il n'en est pas
question. Si la proximité signifie la facilité de l'accès
au droit et la recherche d'une meilleure répartition sur le plan
national, alors la réponse est oui. Je suis souvent tenté de
comparer les besoins de la justice à ceux de la santé. On nous
dit, et cela est vrai, qu'il n'est pas nécessaire d'implanter une
maternité dans chaque village. Cependant, un médecin est
indispensable dans chaque village. En matière de justice, faut-il un
juge dans chaque bourg ? Non. Ce qui fera que la justice pourra être
de proximité, c'est qu'il y aura un avocat dans chaque bourg, mais pas
nécessairement un juge. Ce sont donc des concepts qu'il nous faut
manipuler avec quelques précautions. Je puis vous dire qu'au sein de nos
professions, nous ne mettons pas les mêmes choses sous les mêmes
mots.
M. le Président -
Il serait possible d'imaginer un juge qui
se déplace.
M. Jean-Paul Collomp -
Absolument. Ma deuxième observation
est que nous avons beaucoup parlé, ces dernières années,
de la réforme de la carte judiciaire. Je crois que, sur ce point, se
trouve un consensus qui consiste à ne plus parler de réforme de
la carte judiciaire mais de modification des implantations judiciaires. Le fait
de parler de modification de la carte judiciaire est trop souvent ressenti
comme une mise en oeuvre de suppressions. Aujourd'hui, au contraire, dans un
certain nombre de propositions, comme c'est le cas pour le tribunal de
première instance, on ne supprime pas, on gère
différemment. L'un des avantages que nous pouvons trouver à
l'idée du tribunal de première instance, est que nous aurions
réuni, au siège actuel des tribunaux de grande instance, un
certain nombre de prestations, et que les juridictions d'instance seraient
autant de lieux dans lesquels pourraient se déplacer les magistrats pour
tenir leurs audiences foraines dans ce qui relève réellement de
la proximité. Un critère utile pour définir la justice de
proximité est celui de la nécessité d'un contact entre le
juge et le justiciable. Cela est le cas du juge des enfants, du juge des
tutelles et du juge de l'application des peines. Pour un procès normal,
et notamment pour celui où la représentation est obligatoire, si
le justiciable souhaite assister à son procès, cela ne concerne
que lui, et pas l'institution.
La justice de proximité, c'est aussi le guichet unique des greffes. Vous
l'avez vu, ce point reçoit l'unanimité. Cependant, il est
nécessaire que, dans ce domaine-là aussi, nous placions les
mêmes idées sous les mêmes mots. Le guichet unique des
greffes représente la possibilité pour un habitant d'un petit
village des Alpes-de-Haute-Provence, s'il y a une structure, de formuler un
pourvoi en cassation. Une modification législative est nécessaire
de ce point de vue. Il convient de modifier un certain nombre de règles
de procédure pour que, en tout lieu du territoire, les personnes
puissent pratiquer des actes qui ne sont aujourd'hui réalisables que
dans des endroits limités.
Un mouvement extrêmement important se développe au sujet des
maisons de justice et du droit. Il est vrai que cela appartient au domaine de
la justice de proximité. Il est pourtant nécessaire
d'étudier les compétences de la maison de justice et du droit.
Deux étages sont traditionnellement distingués. Le premier est
l'accès au droit : le renseignement, l'information, les dossiers
d'aide juridictionnelle et les imprimés. Cela fonctionne très
bien. Le second étage correspond à ce que l'on appelle la
« troisième voie », c'est-à-dire le rappel
à la loi, la médiation pénale, le
délégué du procureur, les permanences tenues par les
travailleurs sociaux de la protection judiciaire de la jeunesse ou de
l'administration pénitentiaire et les conciliateurs de justice. Cet
étage regroupe donc tout ce qui correspond au travail judiciaire, sans
constituer des tâches juridictionnelles.
Il faut veiller à ce que les maisons de justice et du droit ne
deviennent pas des micro-juridictions. La juridiction représente
à la fois un lieu réel et symbolique et implique la
présence du greffier et des avocats. Si les avocats doivent se
déplacer sur vingt lieux à la fois, cela ne fonctionne plus. Je
pense que, ici aussi, il faut être précis.
M. le Président -
Je pense que le
délégué du procureur, lorsqu'il procède à un
rappel à la loi, notamment pour les mineurs, doit se trouver au
tribunal. Le symbolisme et la solennité de la décision de justice
sont indispensables, même lors de procédures alternatives. Nous
nous souvenons des débats relatifs au port de la robe par le magistrat.
Hier, j'ai été frappé de constater que les familles
vivaient le fait de venir au tribunal de manière différente que
s'il s'était agi d'un lieu banalisé. Il est donc
nécessaire de se montrer prudent, parce que les alternatives peuvent ne
pas avoir de sens pour les justiciables, surtout en matière de justice
pénale.
M. Jean-Paul Collomp -
En dehors de mon sentiment personnel, je
puis vous dire que nous sommes divisés sur ce point. Pour un certain
nombre d'entre nous, la justice doit se tenir dans un lieu symbolique pour
toutes les raisons que vous venez d'évoquer. Pour d'autres, en revanche,
il est important que la justice soit rendue dans un lieu plus neutre, ce qui
n'empêche pas le travail en profondeur, mais constitue une approche
différente.
M. le Président -
Les fonctions émergentes de la
justice de proximité (délégués du procureur,
médiateurs, conciliateurs) traduisent-elles l'apparition de nouveaux
métiers ?
M. Jean-Paul Collomp -
A mon avis, ce ne sont pas de nouveaux
métiers. Il s'agit davantage d'une aide citoyenne. Ce ne sont d'ailleurs
pas des professions organisées, et vous connaissez leur mode de
rémunération. Ce ne sont donc pas des métiers. La seule
particularité concerne les médiateurs. Je me demande si la
médiation, notamment la médiation familiale et la
médiation en matière civile, demain, ne pourra pas
déboucher sur une nouvelle profession. Pour le reste, non, ce ne sont
pas des professions.
M. le Rapporteur -
Qu'en est-il du déficit de communication et du
cloisonnement entre les différentes professions dont vous faites
état dans votre rapport ?
M. Jean-Paul Collomp -
Un rapport de l'inspection
générale sur la communication interne dans les juridictions a
été rendu public il y a quelques mois. Nous n'avons pas à
être fiers de nos savoir-faire dans ce domaine. Un certain nombre de
propositions ont été avancées. Par exemple, j'ai pu
constater que les juridictions qui ont été les plus
fécondes lors des entretiens de Vendôme sont celles qui avaient
des habitudes de dialogue. A l'occasion de nos déplacements, nous avons
pu rencontrer, par exemple sur le dialogue entre magistrats et avocats, des
bâtonniers qui nous disaient que, grâce aux entretiens de
Vendôme, ils avaient pu entrer en contact avec les magistrats. A mon
avis, cela ne provient pas d'un problème de textes, mais d'un
problème de mentalité et de formation de nos cadres.
M. le Président -
Un président de tribunal est aussi
un « manager ».
M. Jean-Paul Collomp -
Absolument !
M. le Rapporteur -
Je souhaiterais évoquer à nouveau le
problème de l'échevinage. Pour associer plus activement le
citoyen à la justice, faut-il favoriser l'échevinage ou bien une
autre formule ? Si vous n'êtes pas favorable à une
association plus active du citoyen, comment, selon vous, est-il possible de
redonner son sens à la justice rendue au nom du peuple
français ?
M. Jean-Paul Collomp -
Aucune unanimité sur ce point n'est
apparue dans les entretiens de Vendôme. La tendance très
majoritaire est un rejet massif. Les entretiens de Vendôme ont
néanmoins ouvert la voie à une piste de réflexion. Nous
pouvons suivre l'évolution des idées lors des différentes
réunions. Le non massif laisse progressivement place à
l'intérêt. Il est possible de considérer que le chantier
sur ce sujet est en friche. Notre réflexion devra aller plus loin dans
cette voie. Je suis frappé de constater que beaucoup de collègues
et de fonctionnaires ignorent que l'échevinage appartient
déjà au droit positif, notamment en matière
correctionnelle en Nouvelle-Calédonie, par exemple. Nous constatons
qu'une réflexion est également nécessaire sur les
jurés d'assises. Les assesseurs des tribunaux pour enfants constituent
eux aussi une source d'expérience que nous n'avons pas suffisamment
explorée. Je pense qu'il est trop tôt, aujourd'hui, pour mettre en
place l'échevinage. Cela reviendrait à violer l'institution et le
citoyen. Cependant, nous devons réfléchir et nous doter
d'instruments d'analyse. Une idée est apparue dans les entretiens de
Vendôme et me paraît très intéressante. Elle revient
à faire siéger des citoyens en correctionnelle, par
nécessairement avec voie délibérative, cette
activité constituant un temps de formation pour les préparer aux
nouvelles fonctions de délégué de procureur ou de
médiateur pénal.
M. le Rapporteur -
Cette idée est très intéressante.
M. Jean-Paul Collomp -
Cette idée est intéressante et
elle permettrait de concrétiser la notion de juridiction à cinq.
M. le Rapporteur -
Sur le fonctionnement des juridictions : quel
est l'impact des nouvelles technologies ? Vous n'abordez ce point que
très brièvement dans les entretiens de Vendôme.
Pourquoi ? Que faire ?
M. Jean-Paul Collomp -
Rien ne s'est dégagé de
très net sur les nouvelles technologies, sinon les plaintes ou les
observations habituelles concernant les logiciels qui ne sont pas compatibles
entre eux. Nous bénéficions d'un équipement globalement
satisfaisant, et nous travaillons avec, malgré toutes les
difficultés liées à l'informatique. Il y a en revanche un
fossé entre quelques pionniers sur le plan des idées qui parlent
du procès de demain, virtuel, sans salle d'audience, sans juge et sans
écrits, et les autres. Nous sommes très loin de cela, et cela n'a
pas été une des préoccupations majeures exprimées
dans le cadre des entretiens de Vendôme, ce qui signifie que nous sommes
globalement satisfaits.
M. le Rapporteur -
Pensez-vous qu'à terme, puisque nous
évoquons l'évolution des métiers de justice, il y aura des
implications non négligeables des nouvelles technologies sur les
métiers de justice ?
M. Jean-Paul Collomp -
C'est déjà le cas, et
nous sommes relativement bien préparés. Nous
bénéficions, sur le plan de l'initiative locale, d'un certain
nombre de possibilités. Dans chaque cour d'appel, outre les produits
nationaux créés par le ministère, nous
bénéficions de crédits et d'un schéma informatique.
Nous disposons, dans chaque service administratif régional, d'un ou de
plusieurs responsables de la gestion informatique. Nous
bénéficions de techniciens informatiques que nous pouvons
recruter à de bons niveaux. Nous formons des correspondants locaux
informatiques dans les juridictions pour les premières interventions.
M. le Rapporteur -
Les entretiens de Vendôme se concentrent
essentiellement sur les magistrats et les fonctionnaires des greffes et
n'abordent pratiquement pas ni le rôle ni la place des avocats et plus
généralement des auxiliaires de justice ? Est-ce un choix
délibéré de la Chancellerie ? Ces professionnels
n'ont-ils pas manifesté le souhait de s'associer à cette
démarche ?
M. Jean-Paul Collomp -
Cela a constitué une des
difficultés. Vous avez noté que la ministre avait, dès le
départ, clairement fait connaître son souhait de voir
associés les auxiliaires de justice en général et les
avocats en particulier. Cela faisait partie des consignes figurant dans le
guide méthodologique que nous avons envoyé. Le résultat
n'a pas été à la hauteur des espérances, parce que
je pense que, dans beaucoup de juridictions, il y a des contacts entre avocats
et magistrats, mais il n'y a peut-être pas suffisamment de contacts
institutionnels, c'est-à-dire de rencontres de travail entre le Palais
et le Barreau. Nous devons sûrement fournir un gros travail. Je pense, et
je l'ai dit à la ministre, que les entretiens de Vendôme ne sont
pas finis. Il faudrait utiliser la dynamique créée par cette
consultation pour continuer et, continuant, il faut que nous partagions
beaucoup plus nos réflexions avec les auxiliaires de justice.
Les membres des juridictions ont rencontré une seconde difficulté
quand nous leur avons demandé de parler avec les citoyens. Il n'est pas
évident, pour une juridiction, de rencontrer le citoyen. Là
aussi, il sera nécessaire de trouver une solution dans la poursuite de
nos réflexions. Nous devons trouver des supports, nous poser des
questions : est-ce que nous pouvons utiliser la vie associative ? Si
oui, quel type de vie associative ? Est-ce qu'il faut se tourner vers les
municipalités comme porte-parole des citoyens ? Il s'agit donc
d'une autre lacune, qui ne correspondait pas à une volonté
politique.
M. le Président -
Certains procureurs ont écrit aux
parlementaires. J'ai été bien gêné pour
répondre. Je leur ai dit gentiment que je ne voulais pas trop troubler
les débats. Il y a peut-être un autre problème avec les
avocats : certains barreaux ont pu éventuellement hésiter en
se demandant si leurs propos correspondraient à la position de la
Conférence des bâtonniers. Il y a, sur ce point, un certain jeu de
centralisation et de réactions diverses des barreaux.
M. Jean-Paul Collomp -
Souvenez vous du fait qu'à
l'époque, le « rapport Bouchet » venait juste
d'être déposé.
M. le Président -
La période n'était donc pas
favorable. Il y a un conflit qui n'est pas terminé, ce qui a
peut-être incité un certain nombre de barreaux à ne pas
participer. Cela est conjoncturel, je pense que vous avez raison de dire qu'il
faut continuer. Les auxiliaires sont indispensables.
M. le Rapporteur -
La question suivante concerne l'Union
européenne. En effet, dans les entretiens de Vendôme, cet aspect
de la question n'est pas abordé. Il est pourtant important, d'autant
plus que des discussions sont en cours sur l'évolution de l'Europe et
l'élaboration d'une convention. La Cour de Justice des
Communautés Européennes existe déjà, de même
que le tribunal de première instance. Ils occupent une place très
importante dans l'évolution de la jurisprudence. Le Traité de
Nice prévoit la création de chambres juridictionelles. Les
discussions en cours en vue de l'élaboration d'une Constitution de
l'Europe leur donneraient une place encore plus importante. Etes-vous
préparés à cela ? Est-ce qu'une évolution des
procédures sera nécessaire pour adapter le fonctionnement des
juridictions françaises par rapport à la CJCE et au tribunal de
première instance mais également par rapport aux autres
juridictions nationales des Etats membres, puisque nous allons de plus en plus
vers une reconnaissance des jugements rendus par celles-ci ? Cette
reconnaissance suppose, à terme, ce qui n'est pas encore le cas dans
certaines circonstances, que les critères sur lesquels se fondent les
tribunaux pour rendre leurs jugements soient identiques et compatibles avec les
principes fondamentaux qui régissent l'Union européenne. Que
pensez-vous de cela ?
M. Jean-Paul Collomp -
Vous posez une question difficile. Je puis
dire que nous connaissons une présence très forte de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Nous avons également une présence très forte en
matière de droit pénal en général, notamment pour
les juridictions frontalières, pour les commissions rogatoires
internationales, pour l'espace Schengen, pour « Eurojust »,
et pour le mandat d'arrêt international. Cela émerge. En revanche,
le droit communautaire lui-même et ses conséquences en
matière civile et en matière commerciale sont
réservés à quelques juridictions
spécialisées. Il est ici possible de comparer le droit
européen à l'Arlésienne. Nous en parlons, mais nous ne le
voyons pas beaucoup. Il y a un domaine dans lequel il est beaucoup plus
présent, c'est en matière familiale, notamment avec les
conventions bilatérales, par exemple en matière
d'enlèvement d'enfants. Ceci est à la fois européen et
extra-européen, puisque nous avons passé des conventions avec les
pays du Maghreb.
Tout cela explique que le droit européen ne soit pas apparu à
l'occasion des entretiens de Vendôme. Deux éléments
importants sont à prendre en compte dans votre réflexion :
- la Charte européenne sur le statut du juge, de juillet 1998.
Pratiquement tous les magistrats français en possèdent un
exemplaire et le consultent régulièrement. Cette charte constitue
un repère ;
- la création d'un comité d'expert sur l'efficacité
de la justice par le Conseil de l'Europe. Ce comité s'est réuni
à Bayonne du 27 février au 1
er
mars 2002. Les axes de
travail sont l'accès à la justice, l'efficacité des
procédures judiciaires, le statut et le rôle des professionnels de
la justice, l'administration de la justice et la gestion des tribunaux. Il y a
donc une conjonction de préoccupation.
M. le Rapporteur -
Je voudrais poser une dernière question.
Même si cela déborde de notre problématique, je souhaite
connaître la position de Monsieur Collomp sur un point, la
séparation du parquet et du siège, qui a été
soulevé lors des entretiens de Vendôme. Je voudrais savoir
pourquoi cela a été évoqué.
M. Jean-Paul Collomp -
C'est une question qui est dans l'air.
L'étude du statut du parquet est une tâche à laquelle il va
falloir s'atteler. Autour de ce statut se trouve tout le débat relatif
à l'unité de la magistrature ou à une moins grande
unité. Les magistrats du siège et du parquet
bénéficient aujourd'hui du même statut, de la même
formation et il est possible de passer de l'un à l'autre. La
Conférence des premiers présidents, il y a quelques
années, avait proposé de mettre un terme à cette situation
du fait d'une confusion des images. Le métier de poursuivre n'est pas le
même métier que celui de juger. La proposition a été
formulée de maintenir une formation commune, de laisser la
possibilité de passer de l'un à l'autre durant les cinq
premières années de la vie professionnelle, mais de créer
deux conseils supérieurs de la magistrature différents. L'un
gérerait les magistrats du parquet, et l'autre ceux du siège. Ce
sont des pistes de travail. Ce débat est très actuel au sein de
l'institution judiciaire.
M. le Président -
Ce sujet a rencontré les
débats que nous avons connus sur un certain nombre de réformes.
Je pense qu'il s'agit d'une vraie question.
M. Lucien Lanier -
Monsieur mon ancien Président, si vous me
permettez cette appellation qui n'a rien d'impertinent, ma question rejoint
celle que pose Monsieur le Rapporteur. Il s'agit de ces assistants du juge que
vous avez présentés comme ayant une position précaire,
subalterne et faiblement rémunérée. J'ai toujours
été partisan de la promotion sociale dans l'entreprise. Ne
serait-il pas possible d'envisager que les meilleurs de ces assistants,
étant donné que nous pourrions les juger sur un temps un peu plus
long, puissent faire l'objet d'un tour extérieur pour entrer dans la
magistrature sans avoir à passer les concours traditionnels. Il me
semble que cela susciterait un espoir à ceux qui n'ont pas eu la fortune
de passer les concours, et que cela donnerait une émulation à
l'intérieur du corps des assistants de justice. De plus, cela
permettrait peut-être de recruter au tour extérieur des gens de
talent. Je voudrais savoir si vous envisagez cela vous semble possible ou pas.
M. Jean-Paul Collomp -
Cette proposition ne ressort pas des
entretiens de Vendôme. Nous savons qu'il existe une association des
assistants de justice, qui notamment souhaite ce mode de recrutement quasiment
automatique.
M. Lucien Lanier -
Je m'intéresse à une prise en
compte du talent et du mérite.
M. Jean-Paul Collomp -
Ceci est le souhait de l'association. C'est
un pas que les deux derniers ministres n'ont pas souhaité franchir. Ce
n'est pas un mode de recrutement pour l'Ecole Nationale de la Magistrature. En
revanche, nous voyons apparaître de temps en temps des
intégrations comme auditeurs de justice ordonnées par la
commission d'avancement. Nous voyons autant de dossiers rejetés que de
dossiers admis pour le moment.
M. Lucien Lanier -
Cette situation est normale, le tour
extérieur ne représente qu'une faible partie des
intégrations. Il peut d'ailleurs être
réglementé : un tour extérieur pour trois nominations.
M. Jean-Paul Collomp -
Vous avez noté que la loi organique
du 25 juin 2001 réformant le statut de la magistrature a
considérablement modifié les modes de recrutement, dans la mesure
où, jusqu'à présent, il y avait la voie
privilégiée de l'Ecole Nationale de la Magistrature et les
intégrations. Nous avons maintenant comme voie normale de recrutement
les concours exceptionnels. Ce point est extrêmement important, parce que
nous intégrons une autre génération. De plus, ce
système permet d'intégrer des personnes qui ont eu une ou
plusieurs activités professionnelles, parfois relativement
éloignées des métiers du droit. Cela constitue un
enrichissement. Nous avons reçu, dans la cour d'appel de Douai, des
personnes issues de ce concours exceptionnel, et nous avons
bénéficié d'un recrutement de grande qualité.
M. le Rapporteur -
Quand nous avons parlé des nouvelles fonctions
émergeantes, vous nous avez dit que le médiateur pouvait
constituer un nouveau métier, mais pas les autres. Quelles sont les
raisons de cette différence ?
M. Jean-Paul Collomp -
La médiation joue déjà
un rôle en matière pénale, mais il n'est pas impossible
qu'elle prenne une place importante en matière civile. La
rémunération des interventions extérieures en
matière civile n'a rien à voir avec celle qui est valable en
matière pénale. Si demain le juge des affaires familiales fixe
à 2 000 ou 3 000 francs le coût d'une médiation
familiale, sans doute des personnes pourront-elles vivre à temps complet
de leur activité. Tant que la rémunération de la
médiation pénale sera maintenue aux alentours de 300 francs, ce
ne sera pas possible.
M. le Rapporteur -
Qu'en est-il des relations avec les autorités
locales pour les actions de justice de proximité ?
M. Jean-Paul Collomp -
Cela est déjà en place
dans le cadre des contrats locaux de sécurité. En dehors de ce
qui existe, il faut penser que l'institution judiciaire a créé ou
entretenu ces partenariats. Cependant, ces partenariats ne vont pas sans poser
certaines difficultés. Je l'ai connu. Quand on travaille avec un
élu local et que celui-ci se trouve mis en examen, la situation n'est
pas facile. Il faut être concret. C'est une des limites qui met
déjà en difficulté les collègues du parquet. Cela
est encore plus difficile pour les magistrats du siège. En dehors de cet
aspect-là, la vocation des magistrats du siège est de
régler les situations individuelles, donc il n'est pas possible de
prendre d'engagements globaux. Un juge des enfants ne peut pas s'engager
auprès d'une instance partenariale à mettre en prison ou à
ne pas mettre en prison les enfants qui ont commis tel ou tel délit.
Cette question est une des limites de ce travail partenarial.
M. le Président -
Nous tenons beaucoup à vous
remercier pour votre participation à nos travaux.
Audition de Mme Evelyne SIRE-MARIN,
présidente du Syndicat
de la Magistrature
(27 mars
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Je vous remercie d'être
présente aujourd'hui. Sur l'initiative de la commission des Lois du
Sénat, nous avons pensé qu'il était important de
réfléchir à l'évolution des métiers de la
justice. Nous nous intéressons tout particulièrement aux
métiers de la justice judiciaire. Plusieurs questions nous
intéressent, notamment le recrutement, la formation, la carrière
et l'organisation du travail des magistrats et les relations entre les
magistrats et les professionnels du droit. Il serait souhaitable que vous
exprimiez votre sentiment général sur tous ces sujets, et que
Monsieur le rapporteur vous pose ensuite quelques questions
.
Mme Evelyne Sire-Marin -
Monsieur le Président, concernant le
thème de votre mission d'information, il nous est apparu que nous
devions évoquer un certain nombre de pistes de réflexion. Il
s'agit non seulement de l'état actuel de l'appareil judiciaire, les
métiers, la formation, les conséquences du décret du 31
décembre 2001, mais encore de l'idée de fusion entre les
tribunaux d'instance et de grande instance, et surtout de la notion de justice
de proximité.
Sur les questions générales relatives à la mission des
magistrats, le syndicat a toujours expliqué que les magistrats
étaient gardiens des libertés. Nous sommes très soucieux
de cette mission qui nous est dévolue par l'article 66 de la
Constitution. Nous avons actuellement le sentiment d'exercer de moins en moins
cette mission, notamment du fait de ce que l'on appelle au pénal le
traitement en temps réel. La plupart des dossiers au pénal se
retrouvent soit en comparution immédiate soit en audience
correctionnelle, traités de manière souvent expéditive, ce
qui a pour conséquence que le métier de magistrat au pénal
devient relativement machinal. Le magistrat ne dispose pas toujours du temps
nécessaire pour se pencher sur les questions de fond et produire des
décisions motivées. La situation est à peu près
identique au civil, tous nos collègues juges d'instance nous expliquent
que dans beaucoup d'audiences du Tribunal d'Instance et du tribunal de grande
instance en matière familiale, les personnes sont entendues de
manière extrêmement rapide, soit deux ou trois minutes pour chaque
dossier. J'ai moi-même été juge d'instance, et je puis vous
le confirmer. Nous souhaitons une justice plus humaine, qui donnerait aux
personnes le temps d'être entendues avant d'être jugées.
Nous avons peur du traitement en temps réel parce que nous nous
apercevons que les magistrats du parquet sont extrêmement
instrumentalisés par la police. Ce mode de traitement des affaires
pénales détermine l'orientation de la procédure, la
plupart du temps sans instruction et en procédure rapide,
c'est-à-dire en comparution immédiate. C'est aussi la police qui
décide implicitement du type d'infractions poursuivi devant les
tribunaux ; ainsi les mineurs sont poursuivis à 80 % et les
outrages et rébellions le sont systématiquement.
De même, le fait de prolonger une garde à vue en prenant la
décision par téléphone sans voir la procédure n'est
pas toujours évident. Dans ces cas-là, le contrôle des
magistrats sur la garde à vue est illusoire, car l'avis du parquetier de
permanence est induit par les seules informations données par les
policiers. La conséquence est que la tendance est plutôt de
maintenir la garde à vue, plutôt que d'ordonner la
main-levée, surtout depuis les manifestations de policiers de l'automne
2001 et l'exploitation médiatique de l'idéologie
sécuritaire.
M. le Président -
Autrefois, les personnes étaient
placées en garde à vue avant que le parquet ne soit
prévenu.
Mme Evelyne Sire-Marin -
Maintenant, le parquet est prévenu
à peu près en même temps. C'est le magistrat qui prend la
décision, mais il ne dispose pas souvent des éléments
suffisants. Il faut rappeler que la Convention européenne de sauvegarde
des libertés et des droits de l'homme va beaucoup plus loin que la
législation française, puisqu'elle dispose que toute personne
retenue doit être présentée à un magistrat. En
France, nous n'en sommes pas à ce point, nous nous contentons d'un appel
téléphonique ou d'un fax émis la nuit. Voilà pour
expliquer l'état de notre justice et ce en quoi il n'est pas
satisfaisant.
La création de 1.200 emplois en cinq ans nous a été
promise. Nous ne sommes pas totalement satisfaits, parce qu'il s'agit d'emplois
de magistrat qui ne nous semblent pas suffisamment formés. Ces
magistrats sont recrutés grâce au quatrième concours,
c'est-à-dire sur titre et par intégration directe. Le
problème est qu'il n'est pas possible de former un magistrat en quelques
mois. Je pense que la Chancellerie devrait envisager une formation plus
spécifique et longue, parce que même quand on a déjà
été juriste, rédiger des jugements civils ou pénaux
et présider des audiences pénales nécessite une
réelle formation.
Je voulais également attirer votre attention sur la multiplication des
emplois précaires dans la justice. Les assistants de justice
exécutent, malheureusement, de plus en plus des tâches de
magistrats. Il suffit de se rendre à la bibliothèque de la cour
d'appel de Paris pour constater qu'ils rédigent en grande partie ces
arrêts. Les conseillers de la cour d'appel signent, mais, compte tenu de
la charge de travail, l'assistant de justice fait l'essentiel, ce qui nous
semble regrettable. De même que nous semble regrettable, à titre
d'exemple, ce qui s'est produit au parquet de Lyon très
récemment : une avocate a contesté une décision de
prolongation de garde à vue parce que le magistrat du parquet
normalement compétent était remplacé par une personne qui
n'en avait pas le pouvoir. Le fait que des auditeurs ou des assistants de
justice prennent des décisions à la place des magistrats du
parquet est habituel au parquet de Lyon. Ces décisions concernent les
libertés et ne devraient être prises que par des substituts.
Il est également nécessaire de souligner le fait que la
protection judiciaire de la jeunesse comprend beaucoup d'aides
éducateurs, qui parfois remplissent les tâches des
éducateurs. Nous avons eu, par exemple, le cas d'un aide
éducateur qui s'est trouvé seul en charge d'un groupe de huit
à dix mineurs. Il y a eu un accident, et cette situation est absolument
illégale.
Je souhaite également aborder le problème des agents de justice.
Dans mon tribunal, je puis vous témoigner que lorsqu'il y a des agents
de justice, ils exercent pratiquement les tâches des greffiers. Les
agents de justice sont normalement là pour organiser l'accueil du
tribunal, mais les faits sont différents. Les agents de justice ont
généralement les mêmes diplômes que les greffiers.
Ils comprennent rapidement en quoi consiste le travail, et fournissent des
renseignements aux personnes qui en ont besoin. Vous devez savoir que l'accueil
est essentiel dans un tribunal. Le fonctionnaire qui tient ce rôle
reçoit les personnes et doit faire preuve de psychologie et de
connaissances juridiques.
Nous sommes inquiets face à cette atmosphère de
dé-professionnalisation de la justice et de la police, avec les adjoints
de sécurité. Nous n'allons pas déborder sur cette
question, mais vous savez que les policiers sont touchés par le
même phénomène. Les adjoints de sécurité ne
sont pas très bien formés, et nous devons faire face à une
augmentation des procédures de rébellion.
M. le Président -
Il y a peut-être également
des jeunes qui se rebellent plus facilement.
Mme Evelyne Sire-Marin -
En effet, il faut considérer que ces
populations sont loin d'être faciles. Le fait d'avoir des adjoints de
sécurité mal formés donne des résultats
catastrophiques. J'ai été juge des enfants et je prétends
que les brigades des mineurs arrivaient à un travail très correct
et que nous ne connaissions pas les mêmes problèmes.
Je voulais également vous parler du problème du
développement du nombre d'emplois de magistrats placés. A l'Ecole
nationale de la magistrature, au moins 30 % des postes d'une promotion
sont affectés à des postes de magistrats placés. Leur
situation pose un problème du point de vue de l'inamovibilité,
puisque ces personnes sont nommées à disposition du premier
président, par exemple pour remplacer les magistrats absents, mais il
est difficile de fonctionner ainsi. En ce qui concerne les magistrats
eux-mêmes, ils sont à la totale disposition du premier
président, et il est très facile de les écarter s'ils ne
rendent pas les décisions qui conviennent.
Nous sommes également inquiets de constater que, sur 250 postes
d'auditeurs dans la promotion de l'année 2000, seules 214 personnes ont
été nommées. Nous nous demandons pourquoi il n'est pas
possible de recruter parmi les étudiants en droit les effectifs nous
avons besoin. Les critères retenus par le jury du concours pour admettre
les candidats restent opaques.
Concernant la formation initiale des magistrats, nous disons depuis longtemps
qu'il serait possible d'améliorer cette formation, extrêmement
technique, ce qui est nécessaire. Le problème est
l'omniprésence de l'évaluation. Un concours de sortie a
été institué, il y a plusieurs années. Autrefois,
il existait des conventions, ce qui nous permettait de ne pas être trop
inquiets quant au poste que nous obtiendrions et de nous consacrer à la
réflexion et à l'interrogation sur nos futures fonctions.
Maintenant, et cela est tout à fait visible en ce qui concerne les
nouveaux auditeurs, les étudiants sont extrêmement soucieux de
l'opinion que l'on porte sur eux du début à la fin de leur stage
en juridiction. Ils ont tellement peur d'être en désaccord avec le
magistrat qui les forme, et qui les note, qu'ils perdent tout esprit critique.
Il est fréquent que les auditeurs de justice n'osent pas poser de
questions à leur maître de stage de peur de passer pour inaptes
à la fonction. Quand ces auditeurs arrivent en juridiction, ils n'ont
pas reçu toutes les réponses nécessaires du fait de la
concurrence encouragée par l'Ecole nationale de la magistrature entre
les auditeurs, en raison de l'importance finale pour eux du rang de classement
qui détermine leur première affectation. Je trouve qu'il est
dommage de ne pas se donner la possibilité de former l'esprit critique
des futurs magistrats. Malheureusement, en juridiction ils n'auront plus le
temps de se poser les questions de fond.
Nous avons un autre problème avec les auditeurs :
l'évaluation n'est ni transparente ni contradictoire. Il arrive souvent
que les auditeurs en juridiction s'aperçoivent à la fin de leur
stage que leur note est mauvaise. Le redoublement constitue un drame pour ces
étudiants. Je trouve qu'il est dommage que les notations se passent
ainsi. Il serait préférable de se montrer plus francs avec les
auditeurs afin de leur permettre de s'améliorer. Nous en avons souvent
fait part à l'Ecole nationale de la magistrature.
M. le Président
- Il est possible que l'on s'aperçoive
pendant le stage qu'une personne qui a réussi le concours n'est pas apte
à exercer la profession de magistrat. L'utilité de l'école
et du stage est de vérifier que les personnes sont aptes à
remplir ces fonctions.
Mme Evelyne Sire-Marin -
Nous sommes parfaitement d'accord, mais il
est préférable de le dire à cette personne dès que
nous nous en apercevons.
M. le Président -
Cette question relève peut-être de
la formation des formateurs.
Mme Evelyne Sire-Marin -
Absolument. C'est également le
problème des réunions d'évaluation. Souvent, le magistrat
qui a été désigné n'a pas choisi cette fonction, et
il doit la remplir en plus de ses tâches habituelles. Ce problème
se posera tant que la formation ne fera pas l'objet d'une fonction à
part entière.
S'agissant de la carrière des magistrats, le décret du 31
décembre 2001 procède à un reclassement des magistrats.
Ainsi, les juges du second grade
seront de moins en moins nombreux et
représenteront 21 % du corps, et le nombre de juges de premier
grade augmentera. Cela aura pour effet d'augmenter les salaires. Cependant,
pour passer du second grade au premier grade, il est nécessaire de
solliciter un tableau d'avancement, et certaines personnes souhaitent demeurer
dans des fonctions du second grade. Ces personnes vont rapidement être
bloquées dans leur carrière, à un indice assez bas.
De plus, nous observons que ce décret aboutit à un renforcement
de la petite hiérarchie. Par exemple, dans pratiquement tous les
tribunaux d'instance, un vice-président est nommé au lieu d'un
juge directeur. Autrefois, cette fonction de juge directeur revenait au membre
le plus ancien du tribunal. Maintenant, cette personne sera
nécessairement un vice-président. Autrefois, pour prendre une
décision concernant tout le tribunal d'instance d'un ressort, par
exemple le contrôle des élections ou l'établissement de la
liste des associations et gérants de tutelles, un groupe de travail
était réuni et tous les juges d'instance concernés se
réunissaient en assemblée générale. Maintenant, les
réunions de travail ne rassemblent plus que les vice-présidents,
et nous assistons à une sorte d'exclusion des juges d'instance de la
prise de décision, d'autant plus que les assemblées
générales sont contournées au profit de ces
réunions.
Cela est d'autant plus dommageable que les vice-présidents sont en
relation avec la hiérarchie, mais n'ont pas de mission d'information ni
d'animation dans les pratiques juridictionnelles. Le vice-président a un
rôle purement fonctionnel d'organisation du service, mais n'a en aucun
cas un rôle hiérarchique. Il serait préférable de
rassembler tous les juges d'instance afin de les convaincre d'appliquer tous la
même pratique. Je suis partisane de la cohérence vis-à-vis
des justiciables. Le fait que l'ensemble des juges concernés ne
participe pas à ces réunions donne lieu à des pratiques
incohérentes.
Il semble que la ministre ait pris la décision, à la fin des
entretiens de Vendôme, de fusionner les tribunaux d'instance et les
tribunaux de grande instance. Le Syndicat de la magistrature est en total
désaccord avec cette position. La ministre a annoncé cette
décision dans une sorte de bilan des entretiens de Vendôme. Je
cite :
« simplifier l'organisation judiciaire, fusion des
tribunaux d'instance et des tribunaux de grande instance. »
Nous
pensons que les tribunaux d'instance doivent continuer à exister parce
qu'ils remplissent une fonction de justice de proximité, contrairement
au tribunal de grande instance.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Vous êtes donc contre le
tribunal de première instance.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Nous sommes tout à fait contre, d'autant
plus que cela ne repose absolument pas sur une concertation des juridictions.
Nous ne savons pas comment cette idée est arrivée dans le bilan
des entretiens de Vendôme. Nous doutons que beaucoup de juridictions
aient demandé cette fusion. Ce qui est vrai, c'est qu'il faut trouver un
allègement à la complexité des contentieux, comme cela a
été fait en matière de baux commerciaux. Nous pensons
qu'il faut suivre cet exemple, en développant l'accès aux
tribunaux, par l'aide juridictionnelle et un meilleur accueil dans les
juridictions par exemple. Il ne faut surtout pas fusionner le tribunal de
grande instance et le tribunal de grande instance, car le tribunal de grande
instance est la juridiction qui fonctionne le mieux en France (5 mois en
moyenne pour traiter une procédure, contre 9 mois pour les
tribunaux de grande instance). Casser un outil qui marche serait la pire des
décisions de la Chancellerie. Nous demandons au contraire la
création de tribunaux d'instance sur les territoires où la
population a fortement augmenté depuis les années 1960, comme les
banlieues, et le renforcement des effectifs réels des tribunaux
d'instance, tant en magistrats qu'en greffiers.
Par exemple, dans les grandes juridictions telles que celle de Paris, certains
juges sont mis à disposition d'autres administrations mais sont
considérés comme étant toujours en poste et figurent dans
l'effectif de la juridiction. En réalité, ils ne sont pas
présents au sein de la juridiction. Il faut cesser cette pratique de
prélèvement des effectifs d'une juridiction en créant des
postes de magistrats détachés, qui permettent de combler les
postes vacants.
M. le Président -
Auprès de quelles personnes ces
magistrats sont-ils mis à disposition ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Ils sont mis à disposition auprès
de commissions, par exemple. Je sais que cela concerne environ cinquante
magistrats de la juridiction de Paris. Le président du tribunal de
grande instance de Paris pourrait vous répondre.
M. le Président
- Ils ne sont pas mis à disposition
auprès de la Chancellerie.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Des magistrats ont été mis
à disposition à la mairie de Paris. Ils sont essentiellement mis
à disposition auprès d'autres administrations que celle de la
justice. Je ne sais pas comment la Chancellerie gère ses emplois, et
j'espère qu'il n'y a pas de mis à disposition auprès de
cette administration. Nous observons en tout cas que lorsque la Chancellerie
souhaite obtenir un magistrat, elle le prélève
immédiatement sur l'effectif d'une juridiction sans que le magistrat ait
le temps de présenter ses dossiers à ses collègues. Au
contraire, quand une juridiction a besoin d'un magistrat, elle peut facilement
attendre un à deux ans. Il suffit de consulter la Chancellerie pour se
le faire confirmer.
S'agissant de la notion de « justice de proximité »,
nous sommes inquiets face aux déclarations avancées, lors de la
campagne électorale, quant à la nécessité de
créer des juges de proximité. Nous nous demandons ce que cela
signifie. Le Premier ministre candidat a déclaré que ces juges
seraient recrutés parmi les retraités de la police et de la
gendarmerie. Nous pensons que les juges d'instance remplissent ce rôle et
qu'il serait préférable de combler tous les postes de juges
d'instance. Il est nécessaire de cesser de dé-professionnaliser
la justice. Nous avons l'habitude de travailler avec les gendarmes et les
policiers, et ces personnes n'ont pas toujours le sens de l'application de la
loi comme l'ont les magistrats, ce qui est compréhensible, dans la
mesure où ce ne sont pas des professionnels de la justice. Nous sommes
donc absolument contre la création de juges de proximité.
M. le Président -
Les tribunaux pour enfants travaillent
avec des assesseurs. Est-ce que votre organisation envisagerait une
possibilité d'associer mieux les citoyens à la justice ?
Mme Evelyne Sire-Marin -
Nous envisageons l'échevinage. Il faut
voir comment cela sera présenté, mais nous ne sommes pas hostiles
à cette idée. Cette solution ne fonctionne pas mal dans les
tribunaux pour enfants. Je suis pour un recrutement de magistrats
non-professionnels large et ouvert sur la société, mais toujours
en collégialité et avec la présence de magistrats
professionnels dans la formation. Les cours d'assises fonctionnent parfaitement
avec les jurés. Nous avons regretté la professionnalisation des
cours d'assises en matière de terrorisme. Si l'échevinage est
réservé à une petite catégorie de la population,
tels que les retraités, ou à certaines professions (tels les
anciens policiers ou gendarmes), nous y sommes opposés
.
M. le Président -
Votre position dépend du mode de
recrutement des assesseurs.
Mme Evelyne Sire-Marin -
Tout à fait. Il faut que cela
représente tout le monde, et pas que des policiers et des gendarmes,
parce qu'il y en a déjà beaucoup dans la justice (conciliateurs,
délégués du procureur, intégrations directes comme
magistrats), et que ce n'est pas sans effet sur la nature des décisions
prises par ces instances. Nous trouvons qu'il est tout à fait
intéressant de recruter dans d'autres professions plutôt que dans
la police et dans la gendarmerie.
M. le Rapporteur -
Je vais vous poser quelques questions très
brèves. Vous avez parlé des difficultés de recrutement.
Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ces difficultés ?
Sont-elles récentes, anciennes, ou s'accentuent-elles ?
Mme Evelyne Sire-Marin -
Je suis incapable de vous donner des
statistiques sur ce point. Nous entendons, depuis dix ou quinze ans, parler du
fait que tous les postes du concours ne sont pas comblés. Le jury a
toujours fonctionné en ne comblant pas tous les postes. On nous dit que
ce problème vient d'une question de niveau. Nous avons du mal à
le croire, compte tenu du nombre de candidats au concours. Il est difficile de
croire que, parmi tous les étudiants en droit, il n'y en ait pas 200 par
an qui soient capables d'être magistrats. Cela provient peut-être
d'un problème de fonctionnement du jury. Je ne peux pas répondre
davantage à votre question.
M. le Rapporteur
-
Vous avez également
évoqué l'inquiétude que crée, au sein de votre
syndicat le statut précaire et particulier des assistants de justice.
Seriez-vous favorable à une solution qui consisterait à
créer, comme cela se fait en Allemagne, un véritable statut de
l'assistant du juge ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Nous pensons qu'il serait nécessaire que
les assistants de justice aient un statut. Cependant, nous savons que les bons
assistants de justice se destinent à devenir magistrats. L'idée
serait peut-être de les aider afin de vérifier s'ils sont vraiment
motivés par cette fonction et de les préparer au concours. Ils ne
doivent pas rédiger les jugements à la place des magistrats, or,
il est possible d'observer cela dans les fonctions de juge des affaires
familiales. Il est facile de faire rédiger aux assistants de justice
tout ce qui a trait aux questions de personnalité et d'histoire du
divorce. Nous pensons que cela est dangereux et qu'il est
préférable de recruter des magistrats.
M. le Président
- Il semble tout de même utile aux
magistrats que les assistants de justice exécutent les travaux de
recherche. Lorsque les postes d'assistants de justice ont été
créés, aucune juridiction ne souhaitait en
bénéficier. Cela me paraissait étrange. Je pensais que ces
assistants pouvaient être utiles. Il est vrai que ce poste a
prouvé ses qualités à condition d'être bien
utilisé. Je suis d'accord avec vous sur le fait que les dérives
que vous exposez ne devraient pas exister.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Un assistant de justice est très
utile pour exécuter les travaux de recherche. Cependant, dans certains
tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance, les besoins sont
très faibles, alors qu'ils sont énormes en nombre de magistrats
et de greffiers. Parfois, les juridictions ne savent pas à quelle
tâche affecter les assistants de justice. On leur demande donc de
rédiger, par exemple, les injonctions de payer ou des jugements simples,
ou de tenir des permanences au parquet ; dans ce dernier cas, les
décisions qui sont alors prises, en dehors de la présence des
magistrats, sont parfaitement illégales.
M. le Rapporteur -
Beaucoup de magistrats se plaignent d'avoir trop de
tâches administratives à exécuter. Seriez-vous favorables
à un recentrage de leur fonction sur les activités
juridictionnelles, ce, qui suppose que ce soit les fonctionnaires qui
reprennent les tâches administratives.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Tout dépend de ce que vous entendez
par tâches administratives. Par exemple, le fait de siéger dans
différentes commissions, comme la commission d'expulsion des
étrangers ou la commission des clauses abusives, nous semble très
important pour les magistrats. Nous avons assisté au retrait d'une
grande partie du droit de la nationalité de la compétence des
magistrats. Nous observons que, depuis que les greffiers en chef sont
chargés de cette tâche, la situation n'est guère
satisfaisante. En effet, le délai de délivrance des certificats
de nationalité est très long parce que, dès qu'un petit
problème se pose, le greffier en chef interroge la Chancellerie et
attend son avis. Autrefois, le magistrat prenait une décision, et il
était possible de bénéficier d'un recours contre celle-ci.
Tout dépend de ce que vous entendez par la notion de tâches
administrative.
M. le Rapporteur
- Quelles sont les tâches administratives qui
vous semblent ne pas devoir nécessairement relever de la
compétence des magistrats ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Je ne vois pas quelle tâche il
serait possible d'ôter au magistrat, parce que nous pensons qu'il doit
être ouvert sur la cité.
M. le Rapporteur
- Qu'en est-il des pôles de compétence,
c'est-à-dire d'essayer de spécialiser les juridictions dans
différents domaines ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Il est possible d'imaginer que, dans les
grandes villes, par exemple, tous les tribunaux d'instance ne comprennent pas
un service de nationalité ou un service de saisie des
rémunérations. Je pense cependant qu'il ne faut pas trop
centraliser les services. Par exemple, il ne faut pas créer de grand
pôle compétent en matière de nationalité. Cette
juridiction se transformerait en une seconde préfecture de police. Le
justiciable ne bénéficierait plus de l'accueil humain qu'il
reçoit auprès des petits tribunaux. Il est certain qu'il serait
en revanche possible de regrouper plus intelligemment les compétences.
Cela pose le problème de la carte judiciaire.
M. le Rapporteur
- Vous parlez de la proximité. Que
pensez-vous des maisons de la justice et du droit et des relations avec les
autorités locales ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Je crois que la justice n'a pas suffisamment de
liens de contrôle et de concertation avec les maisons de la justice et du
droit. Les conseils fournis dans les maisons de la justice et du droit ne
correspondent pas parfois aux jugements effectivement rendus par les tribunaux.
Je pense qu'il existe également un réel problème de
concertation entre les autorités locales et les tribunaux, sans qu'il
soit, bien sûr, question d'empiéter sur les décisions
juridictionnelles.
Je souhaitais également vous parler de la carte judiciaire. Nous
déplorons qu'aucun gouvernement n'ait le courage de la réformer.
Nous pensons qu'elle est totalement inadaptée, et tout le monde le
pense. La réforme de la carte judiciaire ne consiste pas seulement en la
suppression de tribunaux comme le craignent les élus. Cette
réforme peut également avoir pour conséquence la
création de tribunaux. Nous pensons qu'il serait nécessaire de
créer des tribunaux dans les zones urbanisées ou
péri-urbaines.
M. le Président -
Je crois qu'il n'y a eu aucune
création de tribunaux en France depuis la création des nouveaux
départements de la région parisienne.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas répondu à ma
question sur les relations avec les autorités locales pour la justice de
proximité.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Nous craignons la municipalisation de la
justice dans le cadre des contrats locaux de sécurité. Nous ne
voulons pas que le maire ait un quelconque pouvoir de poursuite ni de sanction
en matière de délinquance locale. Nous y sommes absolument
opposés.
M. le Rapporteur
- Les procédures deviennent de plus en plus
lourdes et complexes. Certains métiers de justice sont
développés dans le cadre de la justice de proximité et de
rapprochement du citoyen. Que pensez-vous de cette évolution ?
Croyez-vous que la justice risque d'étouffer sous autant de
mutations ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Je vous ai apporté le numéro de
notre revue relatif à la composition pénale. La composition
pénale nous pose problème parce que nous pensons que la justice
concerne un juge, un parquet, un avocat et les parties. Nous nous apercevons
que la médiation pénale et les autres solutions de
médiation mettent en place une justice à deux vitesses, où
des sanctions sont prononcées par un délégué du
procureur, souvent sous la pression de la victime. Nous sommes inquiets face
à toutes ces manières de contourner la justice. Assez souvent,
les faits ne sont pas suffisamment prouvés lorsque les personnes sont
face à un médiateur. Il est nécessaire de
s'intéresser davantage à la culpabilité de la personne
avant de prononcer la sanction.
M. le Rapporteur
- Etes-vous favorables à la séparation du
parquet et du siège ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Nous pensons que nous devons demeurer dans
un corps unique.
M. le Rapporteur
- Vous trouvez normal le fait que la poursuite,
l'accusation et la sanction puissent relever d'un corps unique alors que
l'avocat, qui défend, en est séparé.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Nous pensons que tout magistrat doit passer du
siège au parquet. Si le parquet devient un corps spécial, il
deviendra de plus en plus dépendant de l'exécutif, alors qu'il
l'est déjà beaucoup. Le nouveau système de composition
pénale limite grandement le nombre de classements sans suite. De plus,
le corps unique de magistrats du parquet sera, à mon avis, beaucoup trop
centré sur la poursuite.
M. le Président
- Vous déplorez que le parquet remplisse
une fonction juridictionnelle.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Je ne le déplore pas, je constate que le
principe de l'opportunité des poursuites est de moins en moins
appliqué.
M. le Président
- La composition pénale est
quasi-juridictionnelle.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Oui, il s'agit d'un
démembrement des fonctions du parquet.
M. le Président
- Le parquet devient juge.
Mme Evelyne Sire-Marin
- En quelque sorte, il prend la place du juge, en
effet.
M. le Président
- Je considère que ce sont deux fonctions
différentes, même si les étudiants suivent la même
formation.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Oui, mais je crois que ce n'est pas bien que le
parquet devienne juge.
M. le Rapporteur
- Par le passage du siège au parquet, un juge
qui a été procureur ne me paraît pas tout à fait
impartial.
Mme Evelyne Sire-Marin
- Si, ce n'est pas impossible.
M. le Rapporteur
- J'ai constaté à la lecture des
entretiens de Vendôme que certains juges étaient
découragés par l'inapplication de certaines sanctions et a fait
que la partie défaillante puisse, par le biais de nombreuses voies de
recours, échapper dans de nombreux cas à la sanction. Qu'en
pensez-vous ?
Mme Evelyne Sire-Marin
- Nous ignorons les chiffres réels.
L'autre organisation syndicale, l'Union syndicale de la magistrature (USM),
avait publié un chiffre important d'inexécution des
décisions pénales. Je pense que cette information est à
vérifier d'une part parce qu'elle n'a pas été
confirmée par les services statistiques de la Chancellerie, d'autre part
parce qu'elle repose sur une malhonnêteté dans l'exploitation des
chiffres : en effet, l'USM a inclus dans les peines
non-exécutées les peines autres que les peines d'emprisonnement
fermes, telles les semi-libertés, les chantiers extérieurs ou les
travaux d'intérêt général. Nous constatons en
revanche dans les juridictions une volonté du parquet de faire
exécuter les peines courtes par les juges l'application des peines dans
un délai très rapide, mais qu'il y a d'inadmissibles manques de
moyens pour toutes les alternatives à l'incarcération, alors que
les prisons sont « archi-pleines » depuis fin 2001. Par
exemple, des mesures pénales de milieux ouverts sont en liste d'attente
depuis plusieurs mois. Cela est dû à un manque
d'éducateurs. Il manque partout des places de travaux
d'intérêt général et des places en centres de
semi-liberté (59 places seulement pour les juridictions de Meaux,
Paris et Bobigny !). Les services de contrôle judiciaire (mesure qui
évite la détention provisoire) sont exsangues et le nombre de
libérations conditionnelles a baissé de moitié depuis
1990, faute de possibilité de suivi des mesures d'individualisation des
peines.
M. le Président
- Je vous remercie, Madame la Présidente.
Audition de M. Dominique MATAGRIN,
président de
l'Association professionnelle des magistrats
(27 mars
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Monsieur le Président,
merci d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information
constituée par la commission des Lois sur l'évolution des
métiers de la justice. Notre mission d'information concerne la
profession de magistrat de l'ordre judiciaire ainsi que tous les métiers
qui l'entourent. Elle comporte également l'examen des nouvelles
fonctions telles que celles de conciliateur et de médiateur. Nous nous
intéressons particulièrement aux missions des magistrats. Les
entretiens de Vendôme ont contribué à enrichir la
réflexion. Nous nous intéressons également à la
justice de proximité ainsi qu'à tout ce qui concerne le
recrutement, la formation et la carrière. Enfin, nous souhaitons
recueillir votre sentiment sur les relations entre les magistrats et les autres
professionnels du droit, bien que cette question soit un peu secondaire
aujourd'hui.
M. Dominique Matagrin -
C'est un menu assez copieux auquel je
vais essayer de donner quelques réponses. Je vous remercie de cette
invitation.
M. le Président -
Un exposé des positions prises
par votre organisation professionnelle sur les sujets que j'ai
évoqués conviendra parfaitement. Je pense que notre rapporteur
pourra ensuite vous poser des questions.
M. Dominique Matagrin -
Il est nécessaire de se
demander quel service les Français peuvent attendre d'une institution
qui s'appelle la justice et dont les missions se sont brouillées au fil
du temps. Nous sommes confrontés à une perte du sens, aussi bien
à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'institution.
Les magistrats et leurs collaborateurs ne savent pas toujours très bien
ce que l'on attend d'eux. Le problème des moyens se pose
également ici, cependant, je pense que la course entre les besoins et
les moyens est toujours perdue d'avance. Il est nécessaire de se
demander tout d'abord ce qu'est la fonction judiciaire, ici et maintenant. Au
fil du temps, la mission s'est brouillée, avec des missions parasites
dont on a chargé l'institution au prix d'une perte de cohérence
et d'unité, sans que l'on ait jamais mis les choses à plat. Je
rends d'ailleurs hommage au travail effectué dans cette assemblée
à plusieurs reprises à travers des rapports faisant écho
à nos préoccupations. A cet égard, le thème du
recentrage du juge sur ses missions essentielles était nouveau à
une époque et est devenu banal aujourd'hui. Tout le monde se contente de
constater qu'il est nécessaire de recentrer le juge sur ses missions,
mais personne ne va plus loin. Il est temps maintenant de combler cette lacune.
D'autant que ces pratiques perdurent, malgré toutes les mises en garde
effectuées par votre assemblée.
Un garde des Sceaux, Monsieur Jacques Toubon, dont j'étais le
collaborateur, a souhaité aller plus loin, et avait confié
à deux personnalités successivement la confection d'un rapport
sur ce sujet. Cette mission a joué de malchance, puisque son premier
titulaire a été nommé au Conseil Constitutionnel avant
d'avoir eu le temps d'approfondir le sujet. Le second, M. Casanova, aurait
pu aller plus loin, mais il a refusé de continuer son travail lors du
changement de garde des Sceaux. Je trouve cela dommage, parce que ce sujet
n'était pas lié à un parti pris et que cette mission
constituait une innovation pour le ministère de la justice.
Vous avez entendu Monsieur Jean-Paul Collomp à ce sujet. Il y a fait
allusion dans son rapport, mais de manière extrêmement
« minimaliste ». Cette problématique
se réduit à la question de la participation des magistrats
aux commissions administratives. Ce sujet mérite un débat, mais
il est également démagogique : il consiste à faire
miroiter aux magistrats qu'ils auront moins à siéger à
l'extérieur de leurs juridictions. La composition de ces commissions
doit faire l'objet d'un regard critique. La liste en est impressionnante, et
elle a dû enfler depuis.
M. le Président -
La Commission Nationale de Dispense
du service militaire n'est plus active, mais elle doit toujours exister...
M. Dominique Matagrin -
Ce n'est que le petit bout de la
lorgnette. De ce point de vue, il n'y a pas eu de vrai débat sur ce
sujet dans le cadre des entretiens de Vendôme.
M. le Président -
Ces commissions demandent beaucoup de
temps. Cependant, parfois, cela tient de l'anecdote. Ainsi, les commissions
électorales pour les élections sénatoriales ont lieu une
fois tous les 9 ans, et nous nous apercevons que les magistrats ne connaissent
pas le droit électoral. Il serait préférable de ne pas
leur confier ces tâches. Une telle participation ne relève pas de
leur métier.
M. Dominique Matagrin -
C'est un hommage rendu au corps, ce qui est
positif, mais nous serions aussi sensibles à d'autres formes d'hommage.
M. le Président -
La préfecture organiserait cela
très bien !
M. Christian Cointat, rapporteur -
Cela poserait un problème
de respect de la démocratie.
M. le Président -
La mairie organise les élections,
et personne ne s'en plaint. Il est toujours possible de faire appel au juge en
cas de problème. En revanche, le parquet est très
sollicité pour la politique de la ville et d'autres commissions de ce
type.
M. Dominique Matagrin -
Leur participation aux politiques publiques
présente des aspects positifs, elle semble nécessaire. Un travail
critique mérite toutefois d'être effectué au cas par cas.
Il est facile de solliciter les magistrats. Il faudrait mettre en place une
ligne logique. Cela dit, je ne récuse pas leur participation à
des organismes extérieurs, car elle peut répondre à un
véritable besoin et apporter une réelle plus-value. Dans certains
cas, la situation donne l'impression que les personnes ont souhaité
utiliser un « magistrat alibi » qui donne une garantie. Il
est possible de trouver ces garanties par d'autres moyens.
Ce sujet est marginal par rapport à la problématique des
missions. Les entretiens de Vendôme, -ou plutôt le rapport de
Monsieur Jean-Paul Collomp, parce qu'il est abusif de parler d'entretiens
dans ce cas-, est décevant sur le sujet des missions. Il serait
souhaitable de reprendre le travail engagé par Monsieur Jacques
Toubon afin d'aller plus loin. Il faut s'intéresser à la
problématique des modes de traitements dits
« non contentieux », en élargissant cette
problématique afin de ne pas exclure le plus efficace d'entre eux,
l'arbitrage. L'arbitrage est contentieux, mais il ne relève pas du
contentieux judiciaire : il appartient au contentieux extra-judiciaire.
Nous croyons beaucoup à ce mode de règlement des conflits et nous
essayons de le promouvoir. La médiation et la conciliation sont utiles,
mais lorsqu'un conflit est déjà suffisamment cristallisé,
il est difficile de revenir en arrière. L'intérêt de
l'arbitrage est d'être sentenciel et d'aboutir à une
décision qui peut être revêtue de la force exécutoire
comme un jugement. L'arbitrage peut ainsi être utile à certaines
affaires qui ne nécessitent pas d'être portées devant le
juge. La fonction du juge consiste d'abord à dire le droit lorsqu'un
vrai problème juridique se pose. Actuellement, les fonctions
« nouvelles », d'une justice qui ne serait plus
« verticale », sont exaltées. Cette vision est
souvent artificielle et constitue un « virus » à
l'origine du brouillage de la mission du juge. Afin de retrouver une
cohérence, il est essentiel de partir de l'idée que le rôle
de l'institution judiciaire est de trancher les conflits irréductibles
et d'essayer d'apporter un élément à la connaissance du
droit quand son sens et son interprétation donnent lieu à
discussion. Beaucoup de litiges sont des drames de l'incivilité, dus
à des personnes qui refusent de respecter une norme qu'ils connaissent
parfaitement. Dans ces cas, il est possible de faire intervenir un juge, mais
il est préférable de trouver une autre solution, et l'arbitrage
peut offrir une solution intéressante. Les grandes entreprises l'ont
bien compris.
M. le Président -
A l'initiative du Sénat,
l'interdiction de la clause compromissoire en matière civile a
été levée.
M. Dominique Matagrin -
Cela constitue une avancée
importante, que nous avions souhaité. Nous bénéficions,
pour l'instant, de solutions de luxe, coûteuses mais rendant de grands
services aux personnes qui peuvent se les offrir, comme c'est le cas des
entreprises. Par parenthèse, nous avons prôné
l'interdiction pour les magistrats en activité de procéder
à de l'arbitrage, parce que cette situation n'était pas saine. Il
faudrait mettre en place des structures plus légères pour de
petits litiges ou destinées à des personnes qui ne peuvent pas
s'offrir un recours à l'arbitrage. Je pense que cette réflexion
doit avoir lieu au niveau des collectivités locales et des mairies, et
doit être reliée à celle menée actuellement sur les
conciliateurs. Le conciliateur pourrait être un arbitre. Cette
réflexion peut également être liée à la
réflexion en cours sur le notariat. Nous y croyons : cette
profession bénéficie d'un gros potentiel, elle quadrille bien le
territoire, elle jouit d'un crédit de confiance important et, depuis les
réformes intervenues dans les années 1970, elle fait l'objet de
garanties de compétence indiscutables. Je pense qu'il y aurait un
marché pour elle. Enfin, la réflexion sur l'arbitrage doit
être reliée à celle sur l'acte authentique. Nous
bénéficions d'un instrument juridique qui a l'avantage de
revêtir la force exécutoire et qui peut ainsi dispenser d'un
jugement. La force exécutoire s'attache aux obligations de sommes
d'argent. Il est possible d'imaginer de l'étendre dans certaines
conditions et de faire exécuter directement une obligation de faire.
Cela apporterait un réel service dans certaines situations.
Il serait également souhaitable d'encourager, dans les actes
notariés, le recours à l'acte authentique. Il est possible
d'inclure une clause compromissoire qui précise les conditions dans
lesquelles, en cas de litige, la partie la plus diligente saisira un arbitre.
Cela éviterait de se rendre devant la justice pour des litiges courants
qui ne supposent pas de discussion sur la règle de droit. Ainsi, il est
possible d'organiser une dérivation d'une partie du contentieux qui ne
pose pas de problèmes juridiques. L'institution de la justice
retrouverait alors son véritable rôle. Il faut donc trouver, au
cas par cas, et contentieux par contentieux, d'autres modes de règlement
des litiges. Cela n'est pas toujours facile. Il faut respecter des
intérêts, et notamment ceux de la profession d'avocat. Par
exemple, il y a eu un débat sur le divorce, qui a forcé le
Gouvernement à reculer. Pourtant, nous n'étions pas hostiles
à ce que, dans certaines hypothèses, le juge n'intervienne pas ou
de manière facultative en tant que contrôle. Une simple
information du juge serait parfois suffisante. Il aurait été
possible d'alléger sensiblement la procédure. Cette
réflexion est à reprendre. Je parlais de l'arbitrage, et je dois
préciser que, s'agissant du divorce, l'intervention d'un juge est
parfois légitime, ce qui n'est pas le cas dans des litiges très
courants.
L'intérêt de l'arbitrage est de se situer sur une base volontaire.
Dans la conciliation et la médiation, il manque parfois le petit
élément de contrainte qu'exigent les justiciables. Sans
contrainte, les personnes ont l'impression d'abdiquer face à la partie
adverse. Ainsi, il est à noter que, lorsqu'il n'y a que de faibles
sommes d'argent en jeu, le taux d'appel est beaucoup plus faible, et ce,
même dans des contentieux très passionnels. Dans beaucoup de cas,
une fois qu'une décision intervient, les parties acceptent d'en rester
là. Je pense que l'arbitrage satisfait le besoin d'une décision
contraignante sans pour autant faire appel à un juge.
M. le Président -
Je suis interrogatif sur le rôle du
juge des tutelles. Les juges ne bénéficient pas du temps
nécessaire pour exercer convenablement ses fonctions. Ne serait-il pas
préférable de trouver une autre solution qui présenterait
toutes les garanties ?
M. Dominique Matagrin -
Il y a, d'une part, le problème des
gérants de tutelle proprement dits. Des scandales commencent à
avoir lieu. Une réflexion est engagée sur ce point depuis
plusieurs années, et je trouve qu'il est important que l'on s'en
préoccupe. En ce qui concerne le juge des tutelles d'autre part, nous
sommes encore une fois au coeur du brouillage de la fonction judiciaire. Bien
entendu, le fait d'imposer à une personne une mesure contraignante qui
restreint sa capacité relève de la décision d'un juge. En
revanche, lorsqu'il s'agit de surveiller, de contrôler et de jouer le
rôle de gestionnaire de fortune, le juge sort du champ de son
métier. Il pourrait y avoir, entre le juge et les gérants, afin
d'assurer un réel contrôle, une structure intermédiaire
privée ou publique. Le juge pourrait se situer davantage en seconde
ligne pour prendre les décisions fondamentales. Je pense que le juge
devrait être moins impliqué dans le suivi de sa décision,
ce qui n'est pas le cas actuellement, et ce qui oblige à faire des
choix. Beaucoup de juges d'instance vous diront qu'ils procèdent
à des choix, parce qu'ils ne peuvent pas assumer de front toutes leurs
obligations. La fonction de suivie, qui est fortement liée à la
gestion, pourrait être assurée par d'autres structures. La
population française vieillit, les problèmes du quatrième
âge, physiques ou mentaux, se multiplient et il est nécessaire que
la collectivité puisse assumer cela sans demander à la justice de
le cautionner.
M. le Président -
Que pensez-vous de la séparation
des magistrats du siège et des magistrats du parquet ?
M. Dominique Matagrin -
Pour ce qui nous concerne, nous sommes
favorables à l'unité de la fonction et aux passerelles de l'un
à l'autre. Je sais que des personnes y sont farouchement hostiles. Il y
a une unité de la fonction de magistrat, et je pense que le fait de
dévaloriser les fonctions du parquet est mauvais. En effet, cette
réflexion aboutit à considérer que les magistrats du
parquet ne sont pas aussi importants que les autres, alors que, pour nous,
l'intérêt du ministère public à la française
est de confier cet acte particulièrement grave, qui met en branle le
processus judiciaire et qui peut avoir des conséquences
irréparables, à un magistrat plutôt qu'à un simple
instrument du pouvoir exécutif. Le fait de dissocier, même en
conservant un statut de magistrat au parquet, revient à mettre le doigt
dans l'engrenage qui peut aboutir à la fonctionnarisation du parquet.
Certains pensent que ce serait revaloriser le juge en tant que tel, mais cela
me semble très artificiel. Les passages ne sont pas très
fréquents, mais leur existence offre une possibilité de
diversité du parcours professionnel. Il est également bien que
les accusateurs puissent connaître le travail des juges. L'accusateur est
le « juge de la poursuite ». J'utilise le terme de
« juge », parce que le magistrat doit apprécier les
éléments de l'affaire, au début du processus, à la
manière d'un juge. Le fait d'accuser signifie la mise en branle du
processus de jugement. Cela suppose d'anticiper le futur, et d'avoir
suffisamment d'objectivité pour apprécier les
éléments à charge. Les membres du parquet apprennent
à l'Ecole nationale de la magistrature qu'abandonner une accusation si
elle ne tient pas est parfois nécessaire. Pour cela, il faut
connaître le fonctionnement du siège, et la meilleure école
est d'en avoir été membre. De la même façon, le
fait, pour un juge du siège, d'avoir été dans la peau de
l'accusateur, ne peut pas nuire à son travail. Cela permet de savoir
comment travaillent les policiers et les gendarmes concrètement. Ces
passerelles offrent donc une possibilité d'enrichissement pour les
magistrats du siège comme pour ceux du parquet. Je pense que nous
perdrions à supprimer cette possibilité, et je ne vois pas ce que
nous y gagnerions. Il est également proposé d'intégrer
d'anciens policiers et gendarmes parmi les membres du parquet, une fois
celui-ci séparé du siège. Personnellement, je ne suis pas
opposé à l'intégration d'anciens membres de la police ou
de la gendarmerie.
M. le Président -
Tout le monde ne partage pas votre opinion
sur ce point. En revanche, vous êtes tous d'accord quant au refus de voir
le siège et le parquet séparés.
M. Dominique Matagrin -
La situation est peut-être
ambiguë, mais nous sentons la volonté d'intégrer des
policiers et des gendarmes, de détacher les magistrats du parquet et,
pourquoi pas, à terme de les remplacer définitivement. Cela nous
ferait perdre ce qui fait l'intérêt du ministère public
à la française. Je n'ai pas envie d'un ministère public
à l'anglo-saxonne. Je suis très heureux et fier du
ministère public que l'histoire a donné à mon pays.
M. le Rapporteur -
Je souhaite vous poser une première question
concernant les assistants de justice. Quelle est votre appréciation sur
ces assistants ? Que pensez-vous des assistants de justice à
l'allemande, qui bénéficient d'un statut particulier de juges
assistants ?
Ma seconde question porte sur l'échevinage. Qu'en pensez-vous ?
M. Dominique Matagrin -
La situation actuelle des assistants n'est
qu'un début, nous devons continuer le combat. L'avantage de ce qui
existe est d'introduire le mot et la chose comme nous le réclamions.
Cette fonction ne constitue qu'« un petit boulot » pour
étudiants, dépourvus d'un véritable statut, sans aucune
perspective et qui doivent partir à peine formés. Cette situation
n'est pas satisfaisante. Il faut passer à la vitesse supérieure,
c'est-à-dire à la création d'un véritable statut,
et, peut-être, d'un véritable corps ou bien une diversification
des carrières à l'intérieur des greffes. Une
identification de cette fonction est nécessaire, comme semble
nécessaire celle de collaborateurs de magistrats à part
entière, de catégorie A. Nous nous rapprocherions du
« Rechtspfleger » allemand et peut-être même le
dépasserions-nous. Je pense que cela constitue un des principaux axes de
modernisation de l'institution. Plutôt que de recruter des magistrats qui
coûtent très cher, recrutons-leur des collaborateurs. Plus on
recrute de magistrats, plus on court le risque de dévaluer le corps et
d'aller au-devant de problèmes.
Nous sommes également très favorables à
l'échevinage. Cela existe et fonctionne bien en Allemagne. Je crois que
la réforme des cours d'assises a été mal engagée et
que la meilleure formule se trouvait dans l'« avant avant-projet
Toubon ». Ce texte proposait la création d'un
« super tribunal correctionnel » comportant des
échevins et réservant le jury à l'appel, parce que cela
représente la souveraineté et l'expression de la volonté
populaire. Le taux d'appel estimé est de 20 %, ce qui signifie que
80 % des affaires pourraient être traitées par cette
« super correctionnelle ». Je pense que, dans une logique
d'appel, nous bénéficierions alors d'une réelle
complémentarité des regards : en première instance se
trouverait une majorité de « professionnels » ainsi
que des assesseurs, de véritables échevins, et une composition
totalement différente en appel, avec le jury et l'appel au peuple comme
à Rome. Le fait que la distinction soit aujourd'hui de trois
jurés de plus ou de moins ne change rien et entraîne des
difficultés de gestion. Je pense qu'un retour au projet initial
constituerait un réel progrès.
Pour ce qui est de la correctionnelle ordinaire, la présence
d'échevins, avec voie consultative ou non me semble légitime et
utile. Il me semble que de nombreuses personnes seraient motivées et
intéressées par une telle fonction.
M. le Président -
Merci Monsieur le Président.
Audition de M. Dominique BARELLA,
secrétaire
général,
et de Mme Carole MAUDUIT,
membre du
bureau de l'Union syndicale des magistrats
(27 mars
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Nous vous remercions
d'être venus rencontrer la mission d'information sur l'évolution
des métiers de la justice. Le Sénat a souhaité constituer
une mission d'information sur l'évolution, à la fois, du
métier de magistrat et de tous les métiers de la justice.
L'émergence de nouvelles fonctions telles que celles de médiateur
et de conciliateur nous intéresse plus particulièrement. Nos
travaux se limitent à l'institution judiciaire et nous avons exclu de
notre réflexion les mandataires et administrateurs judiciaires ainsi que
les commissaires-priseurs dont le statut a récemment été
modifié. Nous nous intéressons essentiellement aux missions des
magistrats ainsi qu'à la justice de proximité, notamment à
l'institution de juges de paix qui fait actuellement débat.
M. Dominique Barella -
Merci Monsieur le Président. Je vous
remettrai une note que nous avons déjà préparée sur
les capacités de traitement de la justice. s'il est nécessaire de
parler de métiers de justice, c'est bien parce qu'il y a d'abord une
justice, qu'il y a un besoin de technicité et un besoin de
répondre aux demandes de la population. Quelle justice ? Pour faire quoi
? Et donc, quels magistrats ? Quels fonctionnaires ? Quels auxiliaires de
justice ? Dans quel but ? Ce sera le sens du résumé que je vais
vous présenter.
Vous savez que la justice est plus que contestée à la fois dans
sa symbolique mais aussi dans son efficacité. Nous avons, actuellement,
dans les parquets, 5.300.000
procédures qui arrivent chaque
année. La capacité de jugement en matière pénale
s'élève à 590.000 procédures. On nous parle de
tolérance zéro, d'impunité zéro ou
d'efficacité de la justice, mais, à procédure constante,
nous savons que le nombre de procédures traitées est
limité. Les demandes des avocats, de plus en plus exigeantes s'agissant
des débats, du respect des horaires et de la qualité des
audiences vont conduire à une diminution des audiences. La
capacité de traitement en matière pénale est actuellement
comprise entre 400.000 ou 450.000 jugements par an, alors que le taux de
saisine des juridictions correctionnelles ne cesse de s'accroître. Nous
rendons 1.685.000 décisions civiles par an. Nous en avons à
peu près autant en stock. Cela signifie que les procédures
civiles et pénales, les modes de gestion des flux sont inadaptés
; mais aussi que le nombre de magistrats, d'auxiliaires de justice et de
fonctionnaires est inadapté aux demandes de justice, c'est-à-dire
aux entrées de procédures, que ce soit en matière de
justice pénale ou en matière de justice civile.
Donc, au-delà de la formation des magistrats, des fonctionnaires et des
auxiliaires, se pose la question du nombre et du type des interventions que
nous souhaitons. Souhaitons-nous travailler avec un système de justice
que je qualifierais de dégradé ou avoir le même
système judiciaire, mais en calibrant les moyens qui lui sont
donnés aux besoins ?
Ce dysfonctionnement de la justice a une conséquence sur les
professionnels. Ils subissent une crise morale qui découle
elle-même de cette crise d'efficacité de la justice,
constatée par la presse, l'opinion publique et l'ensemble des
intervenants. Messieurs les Sénateurs, vous connaissez depuis fort
longtemps la situation et vous en avez d'ailleurs fait état au travers
de nombreux rapports.
Vous entendez régulièrement les syndicats de fonctionnaires, de
magistrats et d'avocats. Ces intervenants vous disent que nous ne travaillons
plus dans des conditions d'efficacité et de qualité suffisantes.
Pour nous, il n'existe que quatre ou cinq solutions, qui peuvent être
appliquées de manière alternative ou cumulative.
La première solution consisterait à aligner le budget de la
justice française sur celui des grandes démocraties telles que
l'Allemagne et le Royaume-Uni. Les chiffres sont
éloquents avec :
- 13 milliards d'euros pour le Royaume-Uni ;
- 9,5 milliards d'euros pour l'Allemagne ;
- 4,6 milliards d'euros seulement pour la France .
Il ne sera pas possible de prévoir des recrutements suffisants
d'éducateurs, de magistrats et de fonctionnaires, il ne sera pas
possible de prévoir des moyens ni des locaux, non plus que d'installer
la justice dans des lieux nouveaux dans lesquels la population a une forte
demande en matière pénale sans un budget de 10 milliards
d'euros. Nous estimons, à l'USM que, sauf à pratiquer de
façon différente, le problème du budget est un
problème de crédibilité de l'Etat et des élus
vis-à-vis du citoyen.
La seconde solution viendrait d'une simplification des procédures.
Depuis des années les procédures sont devenues de plus en plus
complexes. En matière criminelle, en France, les délais moyens
d'instruction s'élèvent à deux ou trois ans. Les Anglais
et les Allemands arrivent à instruire des affaires en six mois.
L'affaire des immigrés chinois retrouvés
décédés sur le territoire anglais a été
traitée en six mois. Nous mettons encore plus de temps à traiter,
en France, de grandes catastrophes comme celle de l'autoroute A10 (7 ans de
procédure). Pour la catastrophe de Toulouse, je pense que les
délais seront longs, de même que pour la catastrophe du Mont
Blanc, ainsi que s'agissant des conséquences des tempêtes de
décembre 1999.
La justice française est incapable de gérer ces problèmes
dans des délais suffisants, parce que les procédures sont trop
lourdes. Il va donc falloir les simplifier. Monsieur François de Closet
précisait, dans un livre datant d'une quinzaine d'années, que la
difficulté de la police et de la justice était de gérer
toutes les affaires comme de la chirurgie cardiaque à coeur ouvert. Nous
sommes incapables de faire de l'ambulatoire en matière
judiciaire. Nous avons, de plus, créé, avec l'aide
juridictionnelle, une sécurité sociale judiciaire que nous ne
sommes plus capables de prendre en charge. Nous savons très bien que le
paiement à l'acte attire l'acte. Je pense à nos amis avocats. La
simplification des procédures s'impose comme une
nécessité. La loi du 15 juin 2000 relative à la
protection de la présomption d'innocence a contribué à
alourdir de manière inquiétante la procédure et la gestion
dans les juridictions. Nous ne pouvons plus travailler efficacement.
La troisième solution pourrait consister en une refonte de la formation
et une redéfinition du périmètre d'intervention du juge.
Le juge professionnel statue sur des affaires très lourdes de garde
d'enfants, dans des affaires de meurtres, d'homicides et de disparition. Ces
affaires exigent une haute technicité juridique qui est une garantie de
liberté. Il est nécessaire de prévoir, dans la formation
du juge, une formation aux sciences humaines, que ce soit en psychologie ou en
sociologie. Le contact avec des populations très agressives ou en
extrême détresse n'est pas simple. Pour un juge d'instruction, les
déplacements sur les lieux d'un crime et le face à face avec un
cadavre massacré ne sont pas des activités faciles ni neutres,
mais plutôt perturbantes. Il en va de même pour les policiers. Il
n'est pas possible de laisser n'importe qui devenir un magistrat. Aucun stage
probatoire n'est prévu lorsque les magistrats sont recrutés par
concours complémentaire. Cette situation est inquiétante et
constitue une erreur énorme du point de vue de la sécurité
des citoyens et de la qualité de notre justice. En effet, des personnes
à faible psychologie ou qui entrent dans la magistrature pour
régler des comptes doivent être écartées. Les
institutions doivent les détecter afin de n'intégrer dans la
magistrature que les personnes qui bénéficient à la fois
de cette haute technicité juridique, de capacités humaines et
d'une formation en psychologie ou en sociologie suffisante pour affronter les
drames individuels que sont les affaires judiciaires.
Enfin et c'est notre quatrième solution, il est également
nécessaire de mieux former les magistrats à la gestion, en
particulier s'agissant de la gestion d'équipe. Une formation
complète à l'informatique s'avère indispensable. En ce qui
concerne les métiers de greffe, la formation à la saisie
informatique est, à notre sens, totalement insuffisante.
La formation doit donc être de qualité et anticipée. En
effet, la Chancellerie, fait preuve d'une incapacité notoire depuis des
années dans le domaine de la gestion des ressources humaines. De plus,
je crois savoir que, depuis longtemps, le Sénat et l'Assemblée
Nationale ont demandé au ministère de la justice d'évaluer
le coût d'un procès et de fournir le taux d'exécution des
décisions en matière pénale. Il me semble qu'aujourd'hui,
le ministère soit toujours dans l'incapacité totale de donner ces
informations. Les seuls chiffres dont nous disposons sont ceux de l'USM. Je
suis content que nous puissions fournir un éclairage à nos
partenaires ainsi qu'aux institutions de la République. Cependant, il me
paraît anormal qu'un syndicat se charge de ce travail. Nous, qui avons
l'esprit du contradictoire, estimons que nos chiffres devraient pouvoir
être discutés par le ministère de la justice. Cela
révèle le sous-dimensionnement du ministère de la justice
en matière statistique, d'évaluation du personnel,
d'évaluation de l'efficacité et s'agissant de gestion
prévisionnelle. Tant que nous ne bénéficierons pas de ces
moyens, le Parlement ne sera pas en situation d'exercer le contrôle qu'il
est en droit d'exercer, il ne pourra pas être éclairé, et
nous, syndicats, ne serons pas dans le cadre d'un débat
éclairé. Nous tentons d'apporter des éclairages, mais sans
ces moyens d'évaluation, la gestion des métiers de justice sera
très difficile à apprécier.
Nous voyons se multiplier, à l'heure actuelle, une forme de sous-justice
coûteuse, dont l'efficacité au fond et l'efficacité
procédurale ne sont pas mesurées. Les conciliateurs, les
délégués du procureur, les médiateurs et le
personnel des maisons de justice et du droit sont coûteux. Quel est le
rapport coût-intérêt pour la collectivité ?
Les maisons de justice et du droit constituent une richesse, dans le sens
où les citoyens disposent d'un lieu d'écoute où la justice
est présente dans des lieux desquels elle était absente. Mais
à quoi servent-elles ? Elles ne servent sûrement pas à
accroître le nombre des décisions pénales rendues, ni
à augmenter le nombre des décisions civiles rendues. Or, de quoi
ont besoin nos concitoyens ? Ils ont besoin, à l'occasion d'un litige
prud'homal que la cour d'appel ne juge pas leur affaire 5 ou 6 ans
après, comme c'est le cas à la cour d'appel de Douai. J'ai
assisté hier à l'agression d'une dame qui s'est fait arracher sa
carte bleue à un distributeur en plein centre de Paris. Je pense que, si
l'auteur était arrêté, cette dame accepterait difficilement
une médiation avec son agresseur dans une maison de justice et du droit.
Les conciliations et les médiations, qui peuvent être
considérées comme un travail amoindri du droit et de la
décision collective, ont leur utilité pour des affaires qui ne
concernent pas l'intérêt général,
c'est-à-dire à l'exclusion de la matière pénale.
Nos concitoyens souhaitent qu'une véritable décision soit rendue
au nom du peuple français, ainsi que de pouvoir être entendus dans
des conditions normales et non à 23h30 après le
cinquantième dossier comme c'est le cas dans l'ensemble des tribunaux.
Nos concitoyens ont besoin de véritables professionnels.
Les maisons de justice et du droit servent essentiellement, pour le
ministère de la justice, à diminuer le taux de classement
annoncé, taux de classement que le Sénat, dans un rapport, avait
hautement critiqué. Les classements secs ont étés
remplacés par des classements avec rappel à la loi. Ainsi, dans
des tribunaux tels que celui de Bobigny, le substitut de permanence, à
qui on ne donne plus de date de comparution immédiate, a
été obligé de faire appliquer des rappels à la loi
par l'officier de police judiciaire chargé de l'affaire dans des cas
d'agression physique. Il ne me semble pas que l'on utilise alors les
professionnels et l'institution judiciaires tels qu'ils devraient être
utilisés. Nous avons besoin d'utiliser les plus-values intellectuelles
des magistrats, des greffiers et des avocats là où elles sont
nécessaires. Pour paraphraser Monsieur François de Closet :
« mobilisons nos moyens pour des affaires importantes comme les disparues
de l'Yonne et pour des affaires importantes de trafic de stupéfiants
pour lesquelles nous avons besoin d'officiers de police judiciaire
formés, de professionnels compétents et d'avocats qui suivent le
dossier. Cela implique un coût pour la collectivité, et ce
coût mérite d'être engagé ».
En revanche, il est nécessaire de réfléchir au
problème de l'encombrement et du gaspillage de temps dans les tribunaux
de police. La gestion des excès de vitesse doit être
modifiée. En effet, un même radar peut, sous un tunnel en
Savoie, identifier près de 3.000 personnes en infraction en
une seule journée. La capacité de traitement d'un tribunal de
police en matière pénale dans une juridiction moyenne est de
2 000 affaires par an. Nous voyons donc qu'un tunnel peut, à lui
seul en une journée, générer une fois et demie la
capacité annuelle d'absorption d'un tribunal de police. Tant qu'aucun
garde des Sceaux n'aura accepté de résoudre ce problème et
de l'aborder par le biais de l'entonnoir, nous ne trouverons pas de
véritable solution. Il en va de même en matière de
formation : les juges, les huissiers et les magistrats sont coûteux pour
la collectivité, il faut donc, si l'on veut prendre soin du budget de
l'Etat, utiliser ces professionnels dans un intérêt
général clairement défini. Nous avons besoin d'une
véritable définition des priorités.
Concernant la séparation entre le parquet et le siège, le
système américain n'apparaît pas comme un système
idéal. En France, il est possible de s'inspirer de certaines pratiques
observées chez les américains qui ont de grandes
compétences dans certains domaines. Dans le domaine juridique, les
américains, à l'heure actuelle, cherchent à exporter leur
droit commercial, civil, et pénal par le biais de leurs énormes
cabinets d'avocats. Le jour où le droit pénal américain
sera introduit par le législateur dans le droit français, les
gros cabinets d'avocats américains seront les plus compétents.
Nous pensons que notre système permet aux membres du parquet
d'être de véritables magistrats. J'ai été procureur
de la République, lorsque je traitais une affaire, je ne tentais pas de
faire condamner à tout prix la personne arrêtée par la
police, en effet, le devoir d'un magistrat du parquet est justement de se
comporter en magistrat, c'est-à-dire de faire enquêter à
charge et à décharge.
Le but du parquet à la française n'est pas de soustraire des
éléments de preuve et de procédure qui seraient à
décharge de la personne mise en examen ou de la personne contre laquelle
une enquête est diligentée. Je crois que ce système
inquisitoire constitue une richesse pour notre droit. Le système
inquisitoire ne se rapproche pas de l'inquisition. Ce système a pour
but, non pas de rechercher un accord perpétuel, mais d'aboutir à
une recherche de la vérité. Nous essayons d'atteindre la
vérité, ce qui est dans l'intérêt de tous les
justiciables. Si nous basculons dans un système où le membre du
parquet devient un pur accusateur public, seul un justiciable qui
bénéficiera de moyens matériels, financiers et
procéduraux considérables pourra faire face.
Le fait que le magistrat du parquet puisse choisir d'être nommé au
siège constitue une richesse. Cela lui apprend à maintenir, dans
le cadre de l'accusation, un minimum de contradictoire et de respect du
contradictoire. Cela permet au juge du siège, qui va travailler avec un
ancien collègue du parquet à prendre davantage en compte, au
cours du délibéré, la notion d'intérêt
général, de protection de la société, dont le
magistrat qui est passé par le parquet est parfois un petit peu plus
protecteur. Cette passerelle constitue donc une richesse. Cette richesse
entraîne peut-être des inconvénients. Des
améliorations doivent sans doute être recherchées, mais
notre position est de dire que la défense de notre système
juridique français impose le maintien de ce système.
Les magistrats sont formés à produire de la qualité. Ils
ne bénéficient pas, contrairement à nos collègues
portugais ou allemands, de services d'aide à la décision. Un
statut d'assistant de justice a été créé. Il ne
fonctionne pas mal, il conviendrait de le sécuriser juridiquement.
c'est, selon nous, une évolution à laquelle nous sommes
particulièrement favorables. Les syndicats de greffiers vous diront
qu'ils sont totalement opposés à la création d'un
système d'aide à la décision. Nous avons cette
particularité, au sein du ministère de la justice, de
connaître l'étanchéité des fonctions et des corps.
La fonction publique présente déjà cette lourdeur par
rapport au secteur privé. Le drame du ministère de la justice
réside dans l'impossibilité de travailler en équipe. Nous
sommes, sur ce plan, l'exemple de ce qui se fait de pire au sein de la fonction
publique. Le travail ne se fait pas en équipe, ce qui
génère des aigreurs, des agressivités et des batailles de
chapelles entre ceux qui veulent gérer et ceux qui ne le veulent pas. Le
travail en équipe, notamment au sein d'un parquet, est indispensable. La
ministre de la justice, qui vient de publier une circulaire relative aux
astreintes, n'a pas prévu de dispositions spécifiques pour les
greffiers ni pour les fonctionnaires du parquets.
Un de mes collègues, alors procureur au moment de l'accident de
l'autoroute A10, est arrivé immédiatement sur les lieux avec le
préfet. Le préfet avait pu mobiliser ses services. Le nombre de
morts était élevé. L'autoroute était
bloquée. Les experts nationaux étaient présents. Il
fallait essayer de bloquer le moins possible l'autoroute et de créer une
cellule pour les familles. Ce procureur était tout seul. Le procureur
général de Bordeaux lui a fourni un membre de son parquet pour
l'aider. Le procureur devait téléphoner, rendre compte au
procureur général, appeler le ministère et la cour
d'appel. Voilà l'état d'impréparation de notre
ministère face aux grandes catastrophes.
De même, face à la gestion habituelle, nous ne pouvons pas
continuer à travailler sans bénéficier d'une plus grande
fluidité entre les différents professionnels qui interviennent.
En dehors de la formation et des problèmes des métiers de
justice, je pense qu'il faudrait resserrer le nombre des intervenants et les
faire travailler de manière collective. Sans travail en équipe,
un parquet digne de ce nom ne pourra jamais fonctionner. Il n'est pas possible
qu'un procureur fonctionne sans enregistrement au bureau d'ordre. J'ai connu un
bureau d'ordre où nous avons dû enregistrer et traiter en
4 mois, 8 000 procédures. Nous étions deux magistrats et un
greffier. Aucune entreprise privée n'accepterait d'enregistrer
8 000 pièces aussi importantes avec aussi peu de personnel.
Les hôpitaux constituent une piste intéressante à laquelle
nous devons réfléchir. L'hôpital ressemble beaucoup au
tribunal : il connaît lui aussi le travail de nuit, d'urgence, les
personnes très agressives et des interventions rapides sont parfois
exigées. Si nous travaillions comme les hôpitaux, nous pourrions
avoir, par exemple, des étudiants en droit qui viendraient participer
à nos travaux, à l'instar des internes. Il s'agirait d'un
véritable stage de formation productif. Les facultés de
médecine le font. Le Sénat pourrait réfléchir
à cette possibilité.
Il faut aussi aborder le thème des autres métiers de la justice.
Les avocats sont indispensables pour garantir le caractère
contradictoire de la procédure. Ils constituent une protection de la
démocratie. Cependant, se pose le problème de la formation
éclatée des avocats, ainsi que la question du numerus clausus.
Les avocats y sont hostiles. Si nous continuons à recruter des avocats
au rythme actuel et si l'Etat continue à financer l'aide
juridictionnelle au niveau actuel, à terme, l'aide juridictionnelle sera
aussi coûteuse qu'en Angleterre ou en Allemagne, pour une plus-value qui
ne sera pas nécessairement intéressante. Il est indispensable de
mobiliser les moyens de l'Etat et éviter ce que nous avons connu lors de
la création du juge de l'exécution, c'est-à-dire la
création
ex-nihilo
sur l'ensemble de la France, de 33.000
saisines dont une grande partie ne tenait pas réellement la route. Elles
ont constitué, pour un certain nombre d'avocats, une piste
intéressante pour multiplier les procédures inutiles. Il est
nécessaire de prévoir un regroupement sérieux des centres
régionaux de formation professionnelle des avocats et de fixer un
numerus clausus. Sans cela, nous ne gérerons pas ces inflations.
Je souhaite signaler à votre commission les difficultés
d'exercice que connaissent les huissiers et le caractère parfois
archaïque de leurs interventions. Leur présence à certaines
audiences ne paraît plus indispensable. Le coût horaire d'un
professionnel à ce niveau d'étude est connu. Leurs indemnisations
n'en tiennent pas compte. Je pense qu'il faut soit supprimer ce type
d'intervention qui n'est plus systématique, soit revaloriser leurs
indemnisations. L'utilisation des huissiers ne paraît plus très
intéressante à toutes les audiences. Il est possible de la
limiter aux cour d'assises. Leur mode d'indemnisation est également
très lourd.
J'en profite pour vous dire que les procureurs de la République ont
été chargés du contrôle d'un grand nombre
considérable de professions. Ce contrôle n'est pas fait
sérieusement car les procureurs de la République ne peuvent pas
traiter 5. 300 000 procédures convenablement, suivre le parquet
civil, le parquet commercial, faire la politique de la ville et suivre en
même temps l'ensemble des auxiliaires de justice. Nous savons tous que
les juges produisent du formel. Il en va de même pour les comptes des
tutelles, que le juge des tutelles et le parquet sont sensés surveiller.
Nous avons parfois dénombré 2.500 comptes de gestion par juge des
tutelles. Nous perdons beaucoup de temps. Les professionnels doivent être
recadrés sur leurs missions essentielles. Seul le Parlement peut
décider du périmètre d'intervention du juge. Le juge n'est
pas formé pour intervenir dans les 63 commissions dans lesquelles il
intervient à longueur de temps. Il ne lui appartient pas non plus de
passer des journées à surveiller les élections au tribunal
de commerce au lieu de rendre des jugements. Je ne vous énoncerai pas
l'ensemble de la liste. Pour une fois, le ministère de la justice l'a
publiée et je pense qu'elle vous a été transmise. Il
paraît donc nécessaire de cibler leurs interventions là
où elles sont nécessaires. La formation d'un magistrat
représente cinq ans de formation universitaire et près de trois
ans de formation au sein de l'école. Il faut être attentif au
concours complémentaire, afin d'éviter un trop grand écart
de qualité de formation entre ceux qui passent par l'Ecole nationale de
la magistrature et ceux qui utilisent les autres voies d'intégration.
Sans cela, la justice deviendra aléatoire sur le plan de la
qualité.
Sur l'existence des conciliateurs, délégués du procureur,
médiateurs et personnels des maisons de justice et du droit, je
m'interroge. Pourquoi pas, mais pour faire quoi ?
Nos concitoyens demandent de véritables professionnels, mais il faut les
utiliser là où ils sont nécessaires, c'est-à-dire
là où les affaires sont complexes. Il ne faut pas les
épuiser dans des contentieux de masse pour lesquels la plus-value
intellectuelle des magistrats est inutile. Est-il besoin d'utiliser trois
magistrats pour prononcer une amende de 200 euros avec sursis alors que dans le
même temps un seul magistrat statue sur une détention provisoire
dont on sait que, parfois, elle peut durer deux ans ? J'entends par
là, qu'en matière de détention provisoire, la
sécurité de la société, l'intérêt du
mis en examen ainsi que l'autonomie et la liberté de jugement du
magistrat impose que l'on place trois magistrats sur cette affaire. Le juge de
la détention a été créé afin de diminuer le
nombre de détentions provisoires. Les premiers chiffres, dont la
ministre s'est félicitée, révèlent une diminution
de 23 %, puis nous sommes revenus à une augmentation de 10 % des
détentions provisoires. Cela montre que le remplacement d'un juge qui
connaît le dossier par un juge qui ne le connaît pas n'a absolument
rien fait progresser. Si nous souhaitons arriver à une continuité
du service public en ce domaine et ainsi, à une continuité de la
sécurité des citoyens et des libertés publiques, il est
important que les professionnels que sont les magistrats et les greffiers
soient utilisés là où ils sont nécessaires. Cette
tâche vous revient, à vous Messieurs les Parlementaires.
Aujourd'hui, il faut attendre un an pour obtenir un jugement de divorce, voir
trois ans dans le cas d'un divorce pour faute. Nous traitons 590.000 affaires
pénales alors que nous recevons 5.300.000 procédures. 300.000 de
ces procédures concernent des auteurs identifiés, mais vous savez
que les 2.000.000 de procédures concernant des auteurs non
identifiés comprennent des dossiers très lourds comme ceux de
l'affaire des disparues de l'Yonne et font l'objet de classements parce que
nous ne bénéficions pas de moyens d'enquête. Ainsi, lorsque
la ministre de la justice ne parle que des affaires concernant des auteurs
identifiés, elle se trompe. Un dossier qui arrive au parquet et pour
lequel l'auteur n'est pas identifié peut être très
important. Il peut s'agir d'un crime maquillé en suicide. Je pense qu'il
faut mobiliser les moyens de la justice sur ces affaires importantes. Seul le
Parlement dispose de cette possibilité. Au sein de l'USM, nous tentons
de tenir un discours clair, et non, comme cela a été dit,
corporatiste ou fondé sur les moyens. Notre discours est
complètement fondé sur ce que nous respectons,
c'est-à-dire la République.
Les magistrats qui aiment leur métier sont les premiers à
s'alarmer des conditions dans lesquelles les procédures sont
traitées au parquet et les dossiers sont jugés. Ils sont
également désespérés d'apprendre que parfois
seulement 25 % des décisions qu'ils ont prononcées sont
réellement exécutées (s'agissant des sursis avec mise
à l'épreuve). La justice est en situation d'échec total,
quoi qu'en disent les gardes des Sceaux successifs et certains de nos
collègues qui craignent d'avouer cet échec. Face à cet
échec, nous avons besoin d'un véritable plan de sauvetage. Le
Sénat est souvent intervenu dans ses rapports et dans le cadre des
entretiens de Vendôme de manière assez forte afin d'essayer
d'influer sur la politique gouvernementale. Nous souhaitons que vous puissiez
faire évoluer les choses avec la même vigueur.
M. le Président -
Monsieur le rapporteur, la réponse
à notre question sur les assistants nous a été
apportée.
M. Christian Cointat, rapporteur
- J'ai écouté avec
beaucoup d'intérêt votre intervention. Je souhaite obtenir une
précision sur un point. D'un côté, vous nous dites que le
magistrat doit bénéficier d'une haute technicité juridique
ainsi que des qualités humaines et ne doit pas être
dévalorisé par des tâches qui ne correspondent pas à
cette valeur. D'un autre coté, vous vous êtes plaints, au
début de votre exposé, du développement d'une sous-justice
avec les conciliateurs, médiateurs et délégués du
procureur. Vous avez, à la fin de votre exposé,
atténués vos propos. Je souhaite que vous nous précisiez
comment vous voyez ce partage des tâches entre le magistrat qui doit se
concentrer sur l'essentiel et la répartition du reste. Pouvez-vous nous
préciser si les nouveaux métiers de conciliateurs,
médiateurs et délégués vous semblent
répondre aux besoins ? S'ils ne sont pas adaptés à la
situation, quelles autres solutions vous semblent meilleures ? Est-ce qu'il est
possible de confier un certain nombre de ces tâches aux greffiers, qui
pourraient décharger le magistrat de travaux et, notamment, de la
participation à certaines des commissions administratives ? Comment
voyez-vous la justice de proximité, avec les maisons de justice et du
droit ? Vous en dites à la fois du bien et du mal, et j'ai du mal
à comprendre où se situe la frontière. Enfin, le dernier
point qui me parait important est l'échevinage, c'est-à-dire la
participation du citoyen à la justice. Pouvez-vous me donner ces
précisions ? Je ne poserai pas d'autres questions, mais celles-ci me
semblent importantes. Pourriez-vous malgré tout et en quelques mots, en
guise de conclusion, nous donner votre sentiment au sujet des « pools
» de magistrats. Je souhaite que vous nous précisiez votre position
sur ce point.
M. Dominique Barella -
Il nous semble important que le Parlement
série l'importance des affaires. Les demandes de justice sont
importantes, en matière pénale comme en matière civile,
mais nous estimons que toutes les affaires ne sont pas d'égale
importance, en termes de montants et en termes d'émoi de l'ordre public.
Prenons l'exemple de l'excès de vitesse : est-il nécessaire de
continuer à faire intervenir directement des juges sur des contentieux
aussi massifs ? Est-il utile de faire intervenir un juge en matière
civile parce qu'un client est mécontent, sans doute à juste
titre, d'un pressing qui a taché une robe qu'il a payée 20 euros
? Pour l'instant, nous produisons de la sous-justice en ce sens que nous ne
faisons que produire des titres exécutoires. Il est possible de
contester les relevés de radars. Il faudrait ne saisir le juge qu'en cas
de désaccord. Notre société française a fait du
juge un intervenant direct, un gestionnaire. c'est le cas, par exemple, dans le
dossier de tutelle : le juge intervient directement. Le juge doit demeurer un
recours pour les affaires importantes, ce qui ne signifie pas que les personnes
n'ont pas besoin de décisions. Il faut mettre en place de
véritables moyens procéduraux simplifiés. Ce qui nous
gêne, dans le cas du conciliateur, du médiateur, du
délégué du procureur et des maisons de justice et du droit
qui accueillent l'ensemble de ces intervenants, est qu'une personne repart en
ayant été entendue, ce qui est important, mais sans avoir obtenu
une décision ayant force exécutoire. Je crains que cette personne
ne soit immédiatement contente parce qu'elle aura eu le sentiment
d'avoir été comprise, mais qu'elle ne soit déçue
par la suite, parce que la décision n'est pas suivie d'effet. La
crédibilité de l'Etat est ici en jeu.
Il est donc nécessaire de sérier l'importance des affaires, de
revoir le périmètre d'intervention du juge et de mobiliser le
juge professionnel là où il est utile.
Des pistes existent : L'échevinage existe en Nouvelle-Calédonie
en matière correctionnelle, en matière de départition
prud'homale sur le reste du territoire L'avantage de l'échevinage
réside dans l'intervention du non professionnel qui va se former pendant
trois ans. Le fait de demander à une personne de venir au hasard comme
c'est le cas devant les cours d'assises, surtout pour des affaires importantes,
est dangereux. Cela revient à placer une personne, avec toutes ses
difficultés, dans un milieu symbolique et face à une charge
affective lourde. Nous pensons que l'échevinage constitue une piste de
réflexion, mais qu'il convient de réfléchir à la
durée du mandat de l'échevin et à sa formation.
L'échevinage en matière correctionnelle fait l'objet de
débats sans fin au sein de l'USM. Je ne prendrai donc pas de position
ferme. Il est bon que vous puissiez débattre de manière
démocratique d'un projet complexe permettant d'assurer une participation
des citoyens et de crédibiliser de la justice.
Nous sommes, à l'USM, particulièrement favorables à ce
que, dans tout tribunal et notamment en matière pénale, existe un
service de communication, comme cela se fait dans d'autres pays. J'ai pris
connaissance des projets sénatoriaux de notification des
décisions de classement par les procureurs. Je puis vous dire que cela
est tout à fait ingérable, sauf à bénéficier
d'un service de communication. Je pense que la véritable piste est
là.
J'espère ne pas avoir oublié une de vos questions, Monsieur le
rapporteur.
M. le Rapporteur -
En ce qui concerne les greffiers, je pense avoir
compris votre position : je pense que vous êtes favorables à la
focalisation du juge sur les actions juridictionnelles et que le greffier
prenne davantage en main les tâches administratives.
M. Dominique Barella -
Cela doit se placer dans le cadre d'un travail en
équipe.
M. le Rapporteur -
Vous avez évoqué les grandes affaires.
Je souhaite que vous nous présentiez votre sentiment sur les pools de
magistrats et sur les pôles de compétences.
M. Dominique Barella -
Nous connaissons déjà, dans les
affaires très lourdes, notamment financières, ce système
de pool. Il nous paraît très intéressant, notamment du fait
qu'ils bénéficient de l'aide d'assistants
spécialisés. Il serait d'ailleurs bon que le ministère de
la justice arrive à pourvoir les postes d'assistants vacants dans ces
pool. Par ailleurs, à titre d'exemple une juridiction comme celle de
Toulouse après la catastrophe de l'usine AZF (septembre 2001) a
évalué la possibilité d'une hausse des
référés de l'ordre de 3.000 procédures sur un an.
Actuellement seul le juge d'instruction de Bonneville est en charge de
l'affaire du tunnel du Mont Blanc. L'absence d'organisation en pool dans ce
type d'affaires constitue une faiblesse. Des pools
nationaux
permettraient de renforcer les services d'une juridiction en cas de grandes
catastrophes. C'est déjà le cas dans d'autres ministères,
et nous y sommes favorables. Le travail en équipe et la
collégialité nous paraissent importants.
M. le Rapporteur -
Vous n'êtes pas favorable au système
américain, vous l'avez dit. Cette approche se comprend compte tenu de
notre patrimoine juridique, culturel et social, mais que pensez-vous de
l'introduction du « plaider coupable » ?
M. Dominique Barella -
Nous considérons que l'introduction du
« plaider coupable » n'est pas incompatible avec notre
système. Notre système est en passe de sombrer parce que toutes
les affaires passent à l'audience. Les américains font passer
seulement 10 % des affaires en audience. Notre système fonctionnera le
jour où nous serons capables de travailler différemment. Le
« plaider coupable » pourrait être limité au
tribunal correctionnel, afin d'en éviter les excès en
matière criminelle. Le criminel ne représente qu'une
minorité d'affaires. Nous n'avons donc aucune opposition au plaider
coupable.
M. le Président -
Bien souvent, en matière criminelle,
aucun problème de culpabilité ne se pose, la personne
reconnaît les faits. Pour ma part, je suis favorable à la mise en
place du « plaider coupable » en place, même aux
assises.
M. Dominique Barella -
J'ai toujours des inquiétudes quant
à l'introduction de systèmes provenant de l'étranger. Le
fait d'aller trop loin risque de créer des réactions de rejet.
M. le Président -
Le déballage auquel nous assistons
parfois est-il utile à la manifestation de la vérité ?
M. Dominique Barella -
Nous avons tous connu des audiences au parquet
durant lesquelles le président demande au délinquant de donner
les moindres détails d'une infraction que ce dernier a reconnu avoir
commise. Les délinquants, fréquemment, ne se souviennent plus
précisément des faits. Nous tombons alors dans un système
très français et très symbolique. Nous aimons faire assaut
de symbolisme, alors que les mesures d'efficacité semblent
n'intéresser personne.
M. le Président -
Merci beaucoup.
Audition de Mme Marylise LEBRANCHU,
garde des Sceaux, ministre de
la justice
(28 mars
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Madame la Ministre, merci.
Comme vous le savez, la commission des Lois a proposé la création
d'une mission d'information sur l'évolution des métiers de la
justice.
Nous avons envoyé une lettre aux juridictions pour connaître leur
sentiment sur ce thème.
Vous avez la parole.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la
justice
- Merci d'avoir choisi ce sujet, qui est
intéressant, même s'il faut casser une image passéiste qui
existe, dont je me rends compte quand je discute avec un certain nombre de
citoyens.
Nos métiers ne sont pas totalement obsolètes dans leur
façon de préparer aux carrières ou de les faire
évoluer.
Il existe des évolutions intéressantes, qu'il s'agisse des
magistrats, des greffiers, des avocats ou des collaborateurs divers. Je pense
que tout a beaucoup changé depuis une dizaine d'années.
Dix ans, c'est assez court...
M. le Président
- En même temps, il y a eu la loi de
1990 sur les professions judiciaires. C'est donc l'occasion de faire le point
sur les évolutions.
Mme la Ministre
- En effet.
Le sentiment général au sein des juridictions est celui de forts
changements dans beaucoup de domaines, ce qui rend d'ailleurs plus visibles les
secteurs où le conservatisme l'emporte sur la modernisation.
Les effets d'optique donnent souvent l'impression que les choses
évoluent peu ou pas assez vite ; en fait, il existe des
évolutions différentes.
On trouve de nouveaux métiers, comme les délégués
du procureur, les agents de justice, les assistants spécialisés
des pôles économiques et financiers, les chefs de service
administratif régionaux, les médiateurs et les conciliateurs.
On trouve aussi quelques nouvelles pratiques professionnelles, comme
l'extension des pouvoirs propres des greffiers, bien vécue par la
profession, même si celle-ci trouve qu'on ne va pas encore assez loin, le
pacte civil de solidarité, la délivrance d'actes, la
vérification des comptes de tutelle, ou la spécialisation des
magistrats des pôles économiques et financiers.
Même si j'ai conscience que cette dernière spécialisation
est intéressante, elle est aussi décriée sur certains
points, et il faut le prendre comme tel.
L'implication des parquets dans la politique de la ville et le
développement des alternatives aux poursuites sont des évolutions
notables, même si on peut être plus dubitatif, en dehors des
contrats locaux de sécurité (CLS) des grandes villes, sur ces
contrats qui se multiplient -et c'est tant mieux- sur d'autres territoires.
On me dit souvent que les parquets sont peut-être moins présents
quand les problèmes sont moins lourds.
Il faut, je pense, cadrer cette mission sur les évolutions de
l'environnement judiciaire.
On a maintenant 100 maisons de justice et du droit et 70 conseils
départementaux de l'accès au droit. L'institution s'est
modernisée, puisqu'on a maintenant à peu près la
moitié du personnel connectée à l'intranet justice.
Cela s'est fait en deux ans et permet aux gens une meilleure
réactivité à l'innovation mais aussi toute une
série de transmissions d'informations.
On compte ainsi 20.000 boîtes-mails en service et 12.000 dans
les juridictions.
C'est une belle avancée, mais il faut sûrement aller plus loin en
termes de modernisation générale.
Comment recadrer cette évolution des rôles des professionnels
catégorie par catégorie ?
Pour les magistrats, le problème principal, à mon sens, est celui
de la gestion des ressources humaines.
Beaucoup de dysfonctionnements de la justice viennent du fait que certaines
personnes ne sont pas employées aux bons postes, alors qu'elles seraient
utiles et efficaces dans d'autres fonctions.
De très fins juristes peuvent ainsi être d'excellents conseillers
de cour d'appel, mais pas forcément de bons chefs de juridiction ;
certains, très doués pour le contact humain, peuvent beaucoup
« s'ennuyer » en cour d'appel mais faire de très
bons juges des enfants ou aux affaires familiales.
Je pense qu'il est important pour nous de commencer à gérer les
carrières en ce sens.
Les vraies spécialisations techniques des magistrats -je pense bien
sûr aux procédures pénales, au droit économique et
financier, au droit du travail- sont souvent utilisées à un
moment de la carrière, mais pas forcément tout au long de
celle-ci.
Je me permets donc de dire que la spécialisation par l'expérience
professionnelle ou la formation continue est une bonne chose.
Certains magistrats gèrent d'ailleurs leur carrière en se
spécialisant ou en se formant à nouveau mais, globalement, le
système ne prend pas en compte les demandes des magistrats.
Aujourd'hui, la préoccupation d'indépendance structure toutes les
gestions du corps grâce à l'intervention du conseil
supérieur de la magistrature, qui a un poids décisif dans les
affectations et dans les mouvements.
Les critères qualitatifs pour les affectations ne sont pas
forcément examinés ou ne le sont que marginalement, lorsqu'il y a
un énorme problème. Ces critères qualitatifs sont peu pris
en compte parce qu'ils seraient immédiatement interprétés
par une majorité du corps comme des artifices pour masquer des
interventions dans les carrières.
La spécialisation statutaire et la création de corps
spécialisés seraient, à mon avis, une mauvaise solution de
gestion. Elles apporteraient une rigidité supplémentaire à
l'ensemble, alors qu'il me semble que le statut est déjà trop
rigide.
Toute la réforme de l'Etat qui vise au contraire à réduire
le nombre de corps, à éviter l'émiettement statutaire,
à élargir les leviers de recrutement, et à ouvrir les
passerelles à la mobilité professionnelle, s'opposerait à
cette spécialisation. Il ne faut donc pas diviser la magistrature en
chapelles ni figer les carrières à 25 ans, au moment de la sortie
de l'Ecole nationale de la magistrature.
On a donc un véritable défi pour demain : comment mettre en
place une vraie gestion des ressources humaines, plus soucieuse des profils
pour certains postes, qui prenne en compte de vrais parcours professionnels,
sans porter atteinte aux mécanismes destinés à
préserver l'indépendance de la magistrature ?
Pour les greffiers, le problème principal est sans doute celui de
l'enrichissement des tâches.
80 % des recrutements en A se font à Bac + 4 pour les greffiers en
chef ; 85 % des recrutements en B se font à Bac + 2 ou plus
aujourd'hui.
Il faut donc mieux utiliser les compétences des greffiers pour
gérer les procédures de masse ou les procédures
parajudiciaires, ce qui permettrait d'économiser du temps aux magistrats.
C'est le sens des annonces que nous avons faites après les entretiens de
Vendôme, qui prévoient les nouveaux pouvoirs propres des greffiers
pour l'aide juridique ou la délivrance d'actes civils.
C'est aussi le sens de la réforme statutaire qui est en cours -le
décret est en préparation- qui revalorise la grille,
reconnaît la compétence technique autonome des greffiers et permet
d'ouvrir les juridictions aux corps administratifs classiques pour les
tâches de gestion -secrétaires administratifs communs à
tous les ministères.
J'ai beaucoup plaidé pour l'arrivée de secrétaires
administratifs. Les juridictions me les réclament toujours. Je sais en
revanche qu'il y a une vraie inquiétude du côté des
greffiers. On l'a d'ailleurs bien vu avec les services régionaux
d'administration et d'équipement, et l'on devra pratiquer le même
type de gestion fine pour faire que ce soit mieux accepté.
Il faut aussi aborder le problème des avocats, parce que la notion
d'auxiliaire de justice est sûrement à renouveler.
L'avocat et son client ne sont pas des consommateurs de justice, mais des
parties prenantes à la procédure. Ils doivent donc être
également responsables du bon déroulement de la procédure.
Il faut également mieux associer les barreaux à la vie de la
juridiction avec des contrats de procédure. Beaucoup de barreaux y sont
ouverts. En matière civile en particulier, le dialogue magistrat-avocat
est essentiel pour assurer de bons délais, plus du tiers des renvois
étant imputable aux barreaux.
Je crois qu'il faut associer les barreaux à l'audiencement pénal
pour avoir moins d'attente et une meilleure qualité des débats,
comme de plus valoriser le travail préventif de l'avocat, qui permet
d'éviter des contentieux inutiles -la réforme de l'aide
juridictionnelle va en ce sens- pour que la consultation d'un avocat soit
effectivement indemnisée, même si l'on décide de ne pas
ester en justice.
Ceci est très important, car l'avocat qui veut se faire rembourser sa
consultation doit interroger la justice. Ce n'est pas une bonne chose. Il faut
favoriser toutes les médiations qui réussissent.
Certaines réformes en cours ont été très longues.
On peut reprocher au barreau de ne pas avoir fait en sorte que cela aille plus
vite : je pense à la formation, dont la réforme a
traîné pendant quatre ans, à l'organisation des ordres et
aux problèmes disciplinaires, à l'organisation des caisses des
règlements pécuniaires des avocats, en lien avec la
réforme de l'aide juridictionnelle. Tout ceci est essentiel, faute de
quoi on va rester sur ce que j'avais appelé le « couple
disloqué ».
Nous devons maintenant prendre en compte le rôle des non-professionnels,
avec leur présence et leur action avant, pendant et après le
jugement.
La question centrale de l'échevinage a pratiquement été
abordée par toutes les juridictions au moment des entretiens de
Vendôme, ainsi que par nous. Il existe une tendance à l'ouverture
de l'institution judiciaire à la société civile, avec la
mixité des formations de jugement : aux assises, aux prud'hommes,
dans les tribunaux de commerce, au tribunal pour enfants. Je pense qu'il faut
traiter le petit correctionnel dans le même esprit. C'est maintenant une
conviction. La proximité de la justice, je l'ai souvent dit, n'est pas
affaire de transport, ni de carte judiciaire ; c'est aussi affaire de
proximité sociale, de simplification du vocabulaire, de refus de
corporatisme et de reconnaissance mutuelle entre les juges et les justiciables.
Je crois que l'échevinage, pour le petit correctionnel, nous ferait
faire de grands progrès.
Bien sûr, je n'oublie pas que l'échevinage présente des
risques. Il faut absolument qu'il soit encadré, mais il donne
généralement satisfaction là où il est correctement
mis en oeuvre, en France, mais aussi à l'étranger.
Toutefois, beaucoup de magistrats disent, concernant les tribunaux pour
enfants, que ce sont les assesseurs qui sont les plus durs quand il s'agit de
demander des sanctions. C'est pourquoi le problème de la formation et de
l'association à la construction de la sanction doit être beaucoup
mieux travaillé.
Pour les petits contentieux civils et pénaux, notre rôle
étant de multiplier les modes alternatifs de règlement des
conflits, ceci donne une vraie place aux professionnels et aux
bénévoles. Je pense là aux médiateurs, aux
conciliateurs et aux délégués des procureurs.
Sur ce sujet, on ne peut faire l'économie d'une bonne formation.
Peut-être faudra-t-il aussi mettre des barrières à
l'entrée. Il faut que l'on soit très courageux si cela devient
une façon de traiter beaucoup de petits contentieux.
Aujourd'hui, l'encadrement par les magistrats n'est pas forcément bien
fait. Ces magistrats n'ont pas le temps. Quand on en aura les moyens, on pourra
le leur demander.
Il faudrait également faire une évaluation du résultat des
interventions de toutes ces nouvelles fonctions, même si ce ne sont pas
de nouveaux métiers. Certains doivent le devenir.
C'est pourquoi le Conseil national de la médiation travaille
actuellement sur la formation qualifiante des médiateurs.
On doit laisser une part importante, dans les mois et les années qui
viennent, à l'expérimentation dans les juridictions sur les
questions touchant aux non-professionnels, à leur évolution et
à la professionnalisation de certaines fonctions.
C'est à partir de l'expérimentation et de l'évaluation que
l'on pourra évoluer vers des nouveaux métiers qualifiés
soit par des acquis validés, soit par des formations.
M. le Président
- La conciliation, souvent, n'aboutissant
pas, beaucoup estiment qu'il faudrait aller au-delà et favoriser
l'arbitrage.
Mme la Ministre
- Il faudrait passer par la voie législative.
M. le Président
- L'interdiction de la clause
compromissoire, en matière civile, a aujourd'hui disparu. En revanche,
elle perdure s'agissant des relations entre non-professionnels.
Mme la Ministre
- Les assureurs y sont opposés, mais il
pourrait y avoir des clauses d'arbitrage en matière de
responsabilité civile. La crainte de beaucoup est d'arriver à un
arbitrage non-dit, de fait et non de droit. On devrait travailler sur un
meilleur encadrement de l'arbitrage et sur le recours en cas de litige avec
tiers.
Il faut aussi tenir compte du problème du coût de l'arbitrage.
Je ne suis pas opposée à l'arbitrage en tant que tel, mais il
existe un risque que certains justiciables se retrouvent sans appel. C'est tout
le problème.
Pour les conflits civils, de type conflit de voisinage, la conciliation
fonctionne parfois.
M. le Président
- On conseille toujours aux gens d'aller
voir un conciliateur, mais les gens accepteraient-ils un arbitre ?
Mme la Ministre
- Je pense qu'il faut travailler ce sujet, en
faisant attention lorsqu'un tiers est concerné. Il faudrait limiter les
cas d'arbitrage. Même dans le domaine professionnel, le tiers
concerné existe souvent.
S'agissant des bonnes relations avec les auxiliaires de justice, je pense qu'il
est impossible de tirer une leçon. Il y a des endroits où cela se
passe bien et des endroits où cela se passe très mal. J'ai eu
l'impression que cela dépendait des personnalités. Certains
magistrats aiment à créer des liens, à discuter des
calendriers, de la façon de mener les audiences, etc., et y prennent un
vrai plaisir de chef de cour ou de chef de juridiction ; d'autres le
supportent très mal. On a un travail interne à faire pour que ces
relations s'améliorent.
M. le Président
- On pourrait en dire autant du management
de la juridiction : on a tous connu cela.
Mme la Ministre
- C'est pourquoi la question de la carrière
est une question très lourde.
M. le Président
- Monsieur le Rapporteur...
M. le Rapporteur
- Madame la Ministre, vous nous l'avez dit, au
coeur des métiers de justice, il y a le magistrat.
Notre civilisation devient de plus en plus procédurière. La
justice devient de plus en plus compliquée. Ne pensez-vous pas que des
réflexions plus approfondies devraient être conduites pour
simplifier au maximum la procédure ?
Un exemple tiré des entretiens de Vendôme concernant le
pénal : on y disait que 77 % des affaires provenaient de
constitutions de partie civile, dont 80 % aboutissaient à un
non-lieu, encombrant la justice et mettant en difficulté un certain
nombre de citoyens qui sont finalement théoriquement lavés de
tous soupçons, mais qui garderont une trace parfois
indélébile des accusations dont ils ont été
l'objet, sans compter le travail considérable que la justice a dû
mener.
Envisage-t-on une réflexion pour mettre à plat l'ensemble du
dispositif et faciliter l'exercice des métiers de justice ?
Deuxième question : la proximité est au coeur des
discussions actuelles. Tout le monde reconnaît que c'est
nécessaire, et tout le monde y est favorable, toutes sensibilités
politiques confondues.
Comment voyez-vous cette évolution ? Les uns prônent le
développement des maisons de justice et du droit ; d'autres
évoquent la possibilité de rétablir le juge de paix, mais
cela pourrait s'insérer dans une réforme pour la création
d'un tribunal de première instance qui, soit regrouperait le tribunal de
grande instance et le tribunal d'instance, soit serait élargi à
d'autres.
Comment insérer la justice de proximité ? Comment
l'articuler avec les pouvoirs locaux ? On a parlé des contrats
locaux de sécurité, mais vous avez vous-même
évoqué les problèmes que cela posait avec l'implication du
parquet.
Pourtant, il faut donner à cette justice de proximité toute sa
valeur, à la fois dans l'information, mais aussi dans le
règlement des petits conflits, ce qui pourrait éviter d'encombrer
les tribunaux.
C'est toute cette problématique que je souhaiterais connaître.
Par ailleurs, vous avez évoqué l'échevinage. Vous le
destinez surtout aux petits conflits, ce qui est normal, mais
considérez-vous qu'il faille un juge unique et deux échevins
ayant voix délibérative, ou un juge unique conseillé par
deux échevins avec voix consultative ?
Comment les former en leur donnant le minimum de connaissance pour leur
permettre de remplir leur tâche, qui n'est pas mince, de manière
efficace ? Comment les choisir ? Comment les renouveler ?
Bref, comment essayer de faire en sorte que la justice soit rendue au nom du
peuple français ?
Mme la Ministre
- Vous vous souvenez des débats que l'on a
eus sur la place des juges consulaires, leur formation, leur recrutement.
Le problème est de savoir comment la société civile, dans
sa globalité, pourrait élire ces échevins. Ce mode de
recrutement par l'élection ne me semble pas du tout concevable au niveau
de la justice en général.
Cela signifie effectivement qu'il existe un pouvoir de choisir qui appartient
aux juridictions et qui tient compte de la géographie, de l'histoire et
du profil.
Sans avoir suffisamment travaillé le sujet, j'imagine qu'il faut
réussir un échevinage avec des décisions collectives.
Vous avez raison pour ce qui est de la formation. Dans notre conception
habituelle -c'est le cas des juges consulaires- nos échevins sont des
bénévoles. Cela pose de très grandes difficultés.
De moins en moins d'actifs sont disponibles, ce qui signifie qu'il s'agit de
retraités dans bien des cas.
La société va très vite. Est-ce bien d'utiliser des
retraités ? Je fais partie de ceux et de celles qui pensent que la
modernité n'est pas liée à l'âge, et qu'on peut
être moderne à 90 ans et complètement archaïque
à 20 ans !
Cela ne me pose aucun problème par rapport à l'évolution
de la société. La notion d'utilité sociale, pendant un
certain nombre d'années définies après la retraite, me
semble une excellente chose.
L'espérance de vie, la clairvoyance et la richesse des vies sont telles
que l'utilité sociale pourrait très bien rejoindre
l'utilité judiciaire.
Je suis donc plutôt favorable à un échevinage de ce type,
avec une responsabilité écrite du choix -ce n'est pas le cas
aujourd'hui et n'est d'ailleurs même pas envisageable-.
Celui qui choisit les échevins doit être responsable de ses choix
s'il n'est pas élu. La seule façon de ne pas être
responsable, c'est de le soumettre à une élection, ce que je
n'imagine pas. Cela signifie la responsabilité du chef de juridiction
sur les choix des échevins, avec une sorte de contrat -je ne sais de
quelle nature- qui ne soit pas de trop longue durée et,
éventuellement, renouvelable ou non, l'essentiel étant que,
même dans les petits contentieux, l'appel existe toujours.
Il faudra que l'on garantisse un recours. Il faudra peut-être que l'on
évolue sur l'aspect qualitatif de ce recours, mais il faudrait que le
recours existe.
Quant à l'articulation avec les pouvoirs locaux, il faut revoir
l'organisation. C'est une question législative lourde, puisque tout le
code est à reprendre. Je pense qu'entre tribunal d'instance et tribunal
de grande instance, la frontière actuelle n'est pas bonne. La notion de
première instance serait à mon avis plus efficace.
En outre, on voit bien que les magistrats, dans nos tribunaux d'instance, sont
souvent malheureux du manque de reconnaissance de leur travail, alors qu'il est
extrêmement important pour la société.
L'idée de première instance, sur un arrondissement judiciaire, me
paraîtrait d'une bonne nature.
S'agissant de l'absence de barrière à l'entrée, si l'on a
créé cette possibilité pour la partie civile d'obliger que
l'information soit ouverte, c'est bien parce qu'on a peur du classement.
L'affaire des disparues de l'Yonne -pour lesquelles j'ai eu beaucoup à
m'investir- montre bien l'importance de la possibilité pour la partie
civile de faire ouvrir une information.
M. le Président
- Il faut dire que les juridictions sont
très timorées.
En matière administrative, lorsqu'il y a recours abusif, les
juridictions commencent à appliquer des amendes. Cela calme quand
même le jeu !
Mme la Ministre
- On l'a vu récemment dans une affaire de
logement de fonction, que les Français aiment bien.
Le procureur avait instruit l'affaire et avait passé un accord avec
l'ensemble des assemblées délibérantes pour régler
tel ou tel aspect des choses ; une partie civile, l'Association des
défenseurs des contribuables lésés, je crois, a fait
ouvrir le dossier et l'on ne peut rien.
Je suis assez choquée de certaines pratiques de la part des associations
qui, systématiquement, font ouvrir une information judiciaire. Il est
vrai que les non-lieux sont assez rarement publiés de la même
façon.
Pourquoi pas une amende plus importante ?
Il faut aussi gagner la confiance du citoyen concernant les liens entre la
Chancellerie et le parquet et le fait qu'on ne classe pas n'importe quoi,
n'importe quand, n'importe où. Il faut une vraie lecture, en particulier
en matière pénale.
Il faut réécrire ces liens de telle sorte que tout citoyen ait la
certitude que la politique pénale est appliquée de la même
façon sur l'ensemble du territoire, que les classements sont
répertoriés dans de bonnes conditions, et
qu'éventuellement le procureur peut interroger la Chancellerie sur tel
ou tel type de problème qui lui est posé avant de classer ou
avant d'ouvrir.
L'ensemble des citoyens -qui restent persuadés qu'il faut des
associations- a aujourd'hui de mauvaises relations avec la justice. Ce n'est
pas une situation de droit, mais plutôt là un fait sociologique.
M. le Rapporteur
- Êtes-vous plutôt favorable au
passage entre le siège et le parquet ou plutôt à une
séparation des carrières ?
Mme la Ministre
- Je ne suis toujours pas convaincue par la
séparation des deux catégories.
On parlait tout à l'heure des carrières. Il existe d'excellents
juges du siège qui sont passés par le parquet, qui ne le
regrettent jamais et qui pensent avoir acquis une certaine appréciation
de la globalité des plaintes déposées. Ils ont une
meilleure connaissance, par leur pratique de parquetier, de ce qu'est la
demande de justice. Pour un juge du siège, cette formation est difficile
à acquérir à l'Ecole nationale de la magistrature.
Dans les deux cas, le passage de l'un à l'autre ne me choque pas du tout.
En revanche, l'urgence absolue réside dans l'inscription et la
clarification des liens entre le parquet et la Chancellerie.
M. le Président
- Les juges assesseurs sont choisis en
fonction d'une certaine qualification.
Il existe également une expérience intéressante en
Nouvelle-Calédonie qui fonctionne bien. Le rapport de synthèse
des entretiens de Vendôme contient une annexe à ce sujet.
Effectivement, il faut bien choisir ces assesseurs, surtout en
Nouvelle-Calédonie, les équilibres ethniques doivent être
pris en compte.
On rajoute toujours des peines de plus en plus lourdes. Lorsqu'on dit cela, on
dit qu'on ne veut pas lutter contre la délinquance. Au moment de la
réforme du code pénal, j'ai toujours plaidé pour qu'on
n'aille pas trop loin et pour qu'on fasse une belle hiérarchie, bien
claire. Or, aujourd'hui, on confond tout !
Lors des dernières décisions que l'on a prises sur un certain
nombre de sujets, on disait : « Vous êtes des
laxistes ! ». Non ! C'est la peine maximum qui compte.
Autrement, on retrouve ce qui se passait naguère, quand il y avait un
minimum et un maximum. On trouvait des raisons pour ne pas sanctionner. Il ne
faudrait pas aboutir à la même chose.
M. le Rapporteur
- Quel est votre sentiment sur le juge de paix,
les maisons de justice et du droit et les liens avec les collectivités
locales ?
Mme la Ministre
- J'y crois. Il serait en outre extrêmement
important qu'il puisse y avoir un vrai travail en amont à partir des
antennes de justice ou des maisons de justice et du droit.
Ester en justice n'est pas forcément une bonne solution pour
soi-même, la conciliation se fait dans ces lieux et c'est là que
la médiation pourrait se faire. Les petits contentieux pourraient y
être traités, comme c'est déjà le cas avec les
rappels à la loi.
Si l'on crée les maisons de justice et du droit, ce n'est pas pour
traiter de l'accès à la justice, mais d'accès au droit. Il
faudra bien définir leur périmètre d'intervention.
Auparavant, l'accès au droit n'était pas facilité. La
première instance devrait être accessible à tout le monde.
M. le Rapporteur
- Les magistrats s'impliquent-ils dans ce
dispositif ?
Mme la Ministre
- Pas tous. Pour certains, le manque de moyens en
est la cause. Il y a des endroits où les contentieux explosent et les
parquets n'ont pas la possibilité de s'y intéresser.
En second lieu, il y a des réticences, qui seront faciles à lever
le jour où l'on expliquera bien que participer à un contrat local
de sécurité, ne consiste pas à révéler le
type d'affaire traitée.
Ces pratiques ont été un peu brouillées du fait de
parlementaires, de députés en particulier, qui demandaient que le
procureur transmette systématiquement au maire la liste des personnes
condamnées sur sa commune.
Du coup, j'ai vu les magistrats avoir un mouvement de recul, en disant :
« On est parti sur quelque chose de trop
compliqué ». Une information sur l'état des lieux est
fondamentale et nos procureurs, qui ont l'obligation de communiquer, vont plus
facilement participer aux contrats locaux de sécurité ou aux
groupes locaux de traitement de la délinquance.
On leur a fait passer le message selon lequel la communication permet
d'éviter un accès abusif à la justice ou un recours
infondé. Je pense qu'ils l'ont compris.
M. Jean-Pierre Sueur
- J'ai pu observer de très près
une maison de justice et du droit. J'en ai vu l'aspect positif, mais aussi les
limites.
Je crois qu'une vraie question se pose : dans un quartier où l'on a
des difficultés -ou une zone rurale- ne faut-il pas aller plus loin
qu'une maison de justice, où l'on fait de la médiation, de la
conciliation, du rappel à la loi et de la formation ? Ne faut-il
pas un juge dans le quartier ?
Mme la Ministre
- C'est la carte judiciaire à
l'envers : je suis d'accord !
M. Jean-Pierre Sueur
- Je parle ici d'un juge de quartier, pour un
territoire donc très limité par rapport aux tribunaux de grande
instance et aux tribunaux d'instance, qui puisse prendre tout de suite des
décisions simples, prononcer des sanctions de réparation.
On sait que ce qui mine les gens dans ces quartiers, c'est le fait qu'entre le
moment où est établi le rapport de police et l'éventuelle
convocation du jeune devant un magistrat ou un juge pour enfant,
s'écoule un certain nombre de mois, alors que les procédures
doivent être plus rapides, plus directes, bien sûr avec toutes les
possibilités de recours et d'appel, pour éviter une justice
expéditive.
Ne faut-il pas dépasser le stade de la maison de justice et du droit
pour avoir une justice de proximité qui se traduise par des juges de
quartier qui pourraient apporter des réponses rapides ?
M. le Rapporteur
- Justement : il s'agit d'un juge nouvelle
formule !
M. le Président
- Crée-t-on un nouveau type de juge
plutôt qu'un conciliateur, un juge de type britannique ? Ce sont des
gens de la société civile qui sanctionnent, prennent des
décisions -réparations, petites peines. Tout le débat est
là.
Autre question : clarifier les fonctions des maisons de justice et du
droit. Je l'ai dit à plusieurs reprises : je crois que la
solennité de la justice est indispensable dans un certain nombre de
cas ! Les choses doivent se dérouler dans un palais de justice,
même pour des jeunes. On nous racontait l'autre jour que lorsqu'on
faisait venir les parents et le jeune au palais de justice, ce n'était
pas pareil.
Mme la Ministre
- Pour répondre à cette question -y
compris par rapport aux métiers- je pense qu'il faut évoluer sur
la justice de proximité, au sens de ce que l'on a dit sur la
première instance et sur la carte judiciaire à
« l'envers ».
On a toujours parlé de la carte judiciaire en termes de suppression et
non en termes de création dans les zones de forte population -en tout
cas pas suffisamment. Soyons clairs entre nous : les maisons de justice et
du droit, sont quand même une réponse à des territoires
désertés par la justice.
On a donné aux maisons de justice et du droit une fonction que l'on a
découverte en marchant, qui s'apparente maintenant à une fonction
d'accès au droit, de réparation, de médiation, de
conciliation, de rappel à la loi pour l'exercice de
délégué du procureur, et je pense honnêtement que le
délégué du procureur doit continuer à exercer dans
les maisons de justice et du droit avec un mandat clair du procureur, mais si
l'on parle de jugement, il faut un tribunal ou alors changer notre
procédure. C'est impossible dans l'état actuel des
procédures !
Ce n'est donc pas un problème de métier. Le juge de
proximité, dans mon esprit en tout cas, est davantage le juge de la vie
que celui des tutelles ou des petits litiges civils. La proximité est
très importante. Certes, il faut veiller à ce que la
première instance existe partout, mais souvent les petits litiges ne
sont pas traités, et c'est mauvais car la justice ne passe pas. Ce n'est
pas de nature à stabiliser les quartiers, comme dans toute
démocratie.
Il y a là un vrai problème d'accès et une vraie question
sur la première instance, mais pas de là à faire des
tribunaux de quartier.
Je vous rejoins -alors que j'ai bataillé contre- lorsque vous dites que
le tribunal est nécessaire lorsqu'on a transgressé la loi dans
des proportions importantes, mais il faut différencier les deux sujets.
Je regrette que le délégué du procureur ne soit pas connu
et reconnu. Il y a sûrement quelque chose à écrire sur ce
sujet.
Les commentaires des journaux locaux rapportant les décisions de justice
dans leur globalité se font rares. Les rappels à la loi ou les
mesures de réparation qui sont décidées dans les maisons
de justice et du droit ne sont jamais mentionnés. Cela retire une part
de stabilité à la société.
Si l'on ne touche pas à nos procédures de façon trop
profonde, ce qui pourrait être la conclusion de toutes vos missions
actuelles, il faut que l'on travaille sur la meilleure appréciation de
ce que sont le délégué du procureur, les
médiateurs, les conciliateurs, sur leur reconnaissance, leur
qualification et leur rôle.
A Chambéry, nous avions un conciliateur de très grande
qualité qui avait fini par acquérir une aura dans le quartier.
Lorsqu'il prenait en charge un problème de tapage nocturne, son
arrivée à la maison de justice et du droit était toujours
solennelle.
Je ne veux pas trancher cette question, mais elle me semble très lourde.
M. le Rapporteur
- On veut assouplir la justice et la simplifier,
mais on lui confie toujours des tâches supplémentaires. Pour y
arriver, vous allez soit quadrupler le nombre de magistrats, soit les
décharger de certaines fonctions.
Êtes-vous favorable à un recentrage des tâches des
magistrats sur leurs fonctions juridictionnelles en les libérant des
tâches administratives au sens large -participation à des
commissions administratives ?
Les avis des magistrats sont partagés : les uns sont prêts
à l'accepter, les autres non. Qu'en pensez-vous ?
Mme la Ministre
- Dans certaines commissions, la présence
des magistrats a du sens. Il faut rechercher si elle a du sens.
Souvent, cette présence ne fait aucun sens. On ne sait plus très
bien pourquoi on y a mis un magistrat. Je vois comment cela se passe en
interministériel lorsqu'on écrit les décrets : on a
tellement peur que la Chancellerie soit fâchée que l'on met des
magistrats partout !
M. le Président
- Le Parlement aussi !
Mme la Ministre
- On a commencé ce travail de tri et on fera
des propositions en ce sens.
De la même manière, je pense qu'un certain nombre de contentieux
de procès-verbaux aux infractions du code de la route ne devraient plus
être traités par des magistrats. C'est le cas typique où la
sanction devrait être prédéterminée, sachant que les
personnes en difficulté financière peuvent toujours former un
recours auprès des services fiscaux.
M. le Président
- Savez-vous pourquoi les gens se tournent
vers le tribunal de police pour les retraits de permis de conduire ? Parce
que la sanction administrative tombe immédiatement sans que soit
aménagée la possibilité d'obtenir de permis blanc. Le juge
se présente donc comme le seul recours pour l'obtenir. Cette situation
doit changer et des réformes sont à inventer.
Mme la Ministre
- Je m'étais jurée de faire avancer
ce sujet, mais...
M. le Président
- Madame la Ministre, merci.
Audition de Mme Laurence PÉCAUT-RIVOLIER,
juge au tribunal
d'instance du 10ème arrondissement de Paris,
présidente
de l'Association nationale des juges d'instance
(10 avril
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Mesdames, Messieurs, je vous
souhaite la bienvenue. Nous accueillons Mme Laurence Pecaut-Rivolier,
présidente de l'Association nationale des juges d'instance. Vous
travaillez au tribunal d'instance du
10
ème
arrondissement de Paris.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Tout à fait.
M. le Président -
Ce ne doit pas être de tout repos.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Effectivement. Le tribunal est
situé dans un quartier peuplé, avec une population assez
variée, qui comprend notamment le secteur de la gare du Nord et de la
gare de l'Est.
M. le Président -
Nous avons décidé de
constituer une mission sur l'évolution des métiers de la justice.
Elle concerne à la fois la justice de proximité, sur laquelle
vous avez probablement un point de vue, ainsi que les spécialisations.
Nous souhaitons aborder avec vous tous ces sujets. Je pense que notre
rapporteur a beaucoup de questions à vous poser.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Le métier de juge d'instance
est un métier assez particulier. Il est à la fois relativement
spécialisé, mais aussi très varié, puisqu'il
regroupe un nombre important d'attributions. C'est le seul qui en regroupe
autant : les tutelles, les saisies des rémunérations, le tribunal
de police, les nationalités, le civil... Les attributions sont
très diverses. Il a des particularités procédurales,
puisqu'il s'agit d'un tribunal devant lequel l'assistance d'un avocat n'est pas
nécessaire et qui comporte des procédures spécifiques
appelées procédures rapides. Il bénéficiait,
jusqu'à présent, d'une certaine autonomie puisqu'il était
séparé du tribunal de grande instance.
Sa gestion était quelque peu autonome. A la suite des entretiens de
Vendôme, nous avons éprouvé quelques craintes. En effet,
nous pensons que le tribunal d'instance tient par cet ensemble de
spécificités. Il est vrai que se pose la question de savoir s'il
faut davantage spécialiser le juge d'instance dans certaines de ses
fonctions. En tout cas, l'Association se bat pour éviter une
spécialisation trop grande. Nous pensons en effet que le grand
intérêt pour ce métier tient justement à sa
variété. Cette variété permet d'éviter
l'installation d'une certaine routine dans nos fonctions.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Madame la Présidente, on
parle beaucoup de justice de proximité. Le juge d'instance est
probablement celui qui est actuellement le plus proche du citoyen, dans sa vie
quotidienne. Comment voyez-vous l'avenir du métier de juge d'instance
par rapport, d'une part, au projet de création de tribunaux de
première instance remplaçant les tribunaux d'instance et les
tribunaux de grande instance et, d'autre part, le développement des
maisons de justice et du droit, dont la mission est d'être au contact du
citoyen, souvent dans les endroits où il n'y a pas de tribunaux
d'instance ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Nous regrettons les orientations
prises actuellement. En effet, elles nous paraissent sources de confusion et
non d'amélioration. Des actions doivent être menées. Le
tribunal d'instance est l'une des juridictions qui fonctionnent le moins mal.
Or, on prévoit, d'une part, de le rattacher au tribunal de grande
instance, sans savoir précisément quelles seraient les
améliorations pour le justiciable. Par ailleurs, on développe des
moyens supplémentaires de conciliation dans des domaines qui
étaient traditionnellement dévolus au tribunal d'instance. Nous
ne comprenons plus la place du tribunal d'instance dans cet ensemble. Nous ne
parvenons pas à cerner les buts recherchés. Nous sommes
entièrement d'accord sur le fait que des améliorations doivent
être apportées. Nous sommes les premiers à dire, depuis
très longtemps, qu'il faut en premier lieu réformer la carte
judiciaire. Des tribunaux d'instance sont trop petits et n'ont pas lieu de
rester en l'état. Au contraire, certains tribunaux d'instance sont en
décalage. Il convient de réformer la carte judiciaire afin
d'obtenir des tribunaux d'instance viables. Nous sommes également les
premiers à affirmer qu'il convient peut-être de revoir la
répartition des compétences. Aujourd'hui, cette
répartition n'est pas claire. Dans beaucoup de domaines, la
répartition des compétences entre les tribunaux de grande
instance, les tribunaux d'instance, voire les tribunaux de commerce et les
conseils de prud'hommes, s'avère confuse. Nous avons nos
spécificités. Je pense notamment à l'accès direct
du justiciable, facile et sans intermédiaire. Il faudrait probablement
redonner un sens à la justice de proximité en
redéfinissant précisément les matières qui sont du
domaine du tribunal d'instance. La conciliation était l'une des
particularités des juridictions d'instance. Je ne dis pas que nous avons
toujours été parfaits dans l'exercice de cette
particularité mais nous avons toujours tenté de lui donner un
véritable sens. Ces dernières années, nous avons fortement
développé cet aspect. En particulier, les juridictions d'instance
ont pris l'habitude de travailler avec des équipes de conciliateurs. De
nombreux tribunaux invitaient des conciliateurs à l'audience. A titre
d'exemple, nous pratiquons de la sorte depuis six ans dans le X
e
arrondissement. Nous proposons systématiquement aux personnes de
s'engager d'abord dans une conciliation. Si cette conciliation n'aboutit pas,
les justiciables passent immédiatement devant le juge d'instance. Ce
système a donné d'excellents résultats. Les citoyens
étaient satisfaits. Ils avaient l'impression de ne pas avoir
été déroutés. Ils avaient bien fait leur demande en
justice. On avait tenté une ultime conciliation, d'une certaine
manière, sous le contrôle du juge d'instance. Ce dernier pouvait
en effet homologuer et donner son avis. Apparemment, ce système
fonctionnait à la satisfaction de tous. Le seul problème
était le manque de conciliateurs, de salles, etc. Mais ce
problème pouvait être résolu. Or, la création des
maisons de justice et du droit, qui a un sens, a été
malheureusement réalisée sans véritable concertation avec
les juridictions d'instance. Nous sommes aujourd'hui un peu perdus et nous ne
savons plus où nous situer précisément par rapport
à ces évolutions.
M. le Président -
Cette formule a-t-elle été
développée dans de nombreuses juridictions d'instance ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Oui, beaucoup de juridictions
d'instance ont adopté ce système, notamment depuis la loi de 1998
qui permet de recourir plus facilement à la conciliation.
M. le Rapporteur -
Vous avez indiqué, Madame, qu'il
convenait de redéfinir les compétences des tribunaux d'instance
et de revoir la carte judiciaire. Comment voyez-vous le rôle futur des
tribunaux d'instance dans l'hypothèse où l'on garderait la
fonction de juge d'instance ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Je resterai volontairement
vague dans la mesure où la discussion s'ébauche seulement. Il est
un peu difficile de répondre de manière très
précise. Les tribunaux d'instance devraient se spécialiser, d'une
manière générale, dans tout ce qui peut concerner le
contentieux de proximité. Outre le contentieux classique (droit de la
consommation, baux, contentieux concernant des sommes peu importantes), nous
avons ouvert des réflexions sur ce qui concerne le contentieux de
l'exécution. Nous avons même évoqué la question du
contentieux familial car cela nous paraît relever, d'une certaine
manière, du contentieux de proximité. Nous songeons
également à tout ce qui pourrait être abordé avec
des procédures simplifiées et sans représentation
obligatoire. Nous sommes très ouverts sur ce qui peut être notre
contentieux. Nous sommes d'accord sur la nécessité d'une
clarification des compétences entre le tribunal de grande instance, qui
traite des contentieux très techniques nécessitant l'intervention
de professionnels, et le tribunal d'instance, qui peut traiter des contentieux
mettant en cause le citoyen souhaitant se défendre tout seul.
M. José Balarello -
J'ai exercé pendant 35 ans
la profession d'avocat. Je connais donc le système judiciaire. J'ai
connu la justice de paix. Nous avons commis deux erreurs majeures dans ce pays
: supprimer la justice de paix et les commissariats de quartier. Nous ne nous
en sommes pas remis. Je suis entièrement d'accord avec vous. Il faut
augmenter les compétences de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui
les tribunaux d'instance. Il faut augmenter les possibilités de
conciliation. Pour autant, je suis contre le conciliateur. J'estime que chacun
doit faire son métier. Quand les citoyens venaient devant le juge de
paix, ils se conciliaient. En effet, ils savaient que la décision finale
revenait au juge. Le juge émettait déjà un semblant
d'opinion. Ils évitaient les frais, en particulier lorsqu'ils n'avaient
pas l'assistance d'un avocat. Il faut donc augmenter le nombre de magistrats
des tribunaux d'instance. Il convient également de rétablir, dans
les campagnes, les tribunaux d'instance. On a supprimé la justice de
paix ; on a tout ramené à l'échelle du chef-lieu.
C'est une erreur majeure. Le stock des affaires découle du fait que les
gens ne se concilient plus. On regroupe cette accumulation de procédures
sous le terme barbare de « stock des affaires ».
Auparavant, les tribunaux d'instance, en particulier en zone rurale, traitaient
les affaires de bornage, les petits litiges de propriété, etc. La
moitié des affaires étaient conciliées et ne donnaient
jamais lieu à une audience en dehors de l'audience de conciliation. Il
faut revenir à des notions de bon sens. On a abandonné le chemin
du bon sens pour prendre celui de la technique.
M. le Président -
Nous savons très bien que la
réforme de la carte judiciaire est difficile à mettre en place.
Il existe toujours des résistances. Nous savons très bien qu'il
existe certains tribunaux d'instance dont la pertinence n'est pas
évidente. Toutefois, certaines expériences sont menées. Un
juge est chargé du tribunal et il traite régulièrement les
affaires. Cette formule vous agrée-t-elle ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Elle peut tout à fait
être développée. Cependant, ce n'est pas
nécessairement le cas à l'heure actuelle. Nous constatons qu'un
juge qui n'est pas à plein temps dans son tribunal d'instance est
sollicité par le tribunal de grande instance. Nous déplorons
cela. Nous avons émis l'idée d'un tribunal d'instance
départemental. Les juges d'instance pourraient rester dévolus
à l'instance. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.
M. José Balarello -
C'est ce que faisaient autrefois les
juges de paix. Ils étaient « forains ».
M. le Président -
Ce système existe dans
certaines juridictions. Je pense notamment au tribunal d'instance de Bordeaux.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Il y a beaucoup de juges d'instance
au tribunal d'instance de Bordeaux.
M. le Président -
Nous allons d'ailleurs visiter ce
tribunal.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Il existe un grand nombre de
secteurs dans lesquels les juges d'instance se déplacent et tiennent des
audiences foraines. Pour l'instant, nous dépendons de nos chefs de
juridiction, les présidents de tribunal de grande instance.
M. le Président -
Lorsqu'il manque un juge pour faire
le troisième en correctionnelle, on préfère le mettre
là.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
En effet. C'est
inévitable et cela se comprend. On nous parle de tribunaux de
première instance. Les tribunaux d'instance deviendraient alors
clairement des chambres détachées de tribunaux de grande
instance. Nous avons une peur terrible d'une telle évolution. Nous
arguons que les intérêts du président du tribunal de grande
instance ne rejoignent pas toujours ceux du tribunal d'instance. En outre, nous
estimons que les tribunaux d'instance ne fonctionnent pas trop mal parce que
les juges d'instance se sentent responsables de leur domaine, de leur secteur,
de leur tribunal. Si on leur enlève cette responsabilité, on
risque aussi de leur ôter l'envie de faire fonctionner au mieux leur
juridiction.
M. José Balarello -
Si je comprends bien, vous seriez
partisan de la mise en place d'un président des tribunaux d'instance
à l'échelle départementale, indépendant des
présidents des tribunaux de grande instance (puisqu'il peut y avoir deux
présidents voire trois présidents de tribunal de grande instance
dans un département).
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
J'ai l'air d'hésiter car
l'ensemble de mes collègues n'a pas forcément le même point
de vue sur cette question. C'est une des idées qui est émise pour
essayer de résoudre les problèmes de gestion d'une structure
comportant trop de juridictions. Tous mes collègues ne sont pas
forcément d'accord avec cette solution.
M. le Président -
Cela dépend de la structure du
département...
M. le Rapporteur -
J'ai précisément une question
à poser sur ce sujet. Lors des entretiens de Vendôme, on a
réfléchi à une structure de la justice plus simple et plus
compréhensible, avec les cours d'appel et les tribunaux de
première instance qui regrouperaient les tribunaux d'instance et les
tribunaux de grande instance. Il y aurait une structure unique, qui pourrait
être déconcentrée en termes de pouvoirs. On peut souhaiter
la mise en place de trois niveaux judiciaires (appel, tribunal de grande
instance, tribunal d'instance) avec des compétences claires et
autonomes. Si cette approche n'était pas retenue, ne pensez-vous pas que
la création du tribunal de première instance, avec une
définition précise des compétences et des
responsabilités, serait un moyen de regrouper sous une forme plus simple
tout ce qui existe à l'heure actuelle et qui devient de plus en plus
difficile à comprendre ? Je pense à toute cette panoplie
constituée par les maisons de justice et du droit (MJD), les tribunaux
d'instance, toute la gamme de conciliateurs divers et de médiateurs, les
délégués du procureur, etc. Ne serait-il pas plus simple
de l'organiser sous cette forme, avec des responsabilités clairement
établies, que de laisser en l'état le flou artistique que nous
connaissons aujourd'hui ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
En ce qui concerne l'organisation,
il s'agirait probablement d'un plus en termes de clarification. En ce qui
concerne l'exercice de notre métier, cela ne peut pas être un
plus. En effet, cela conduira forcément à une
spécialisation. Dès lors que le tribunal d'instance sera une
chambre détachée, la spécialisation sera
inévitable. Nous perdrons alors l'intérêt que nous avons
pour nos fonctions, notre responsabilité qui fait que nous souhaitons
vraiment nous investir. Il existe vraiment un risque de vider de son sens la
juridiction de proximité et de lui enlever son intérêt.
M. Jean-Pierre Sueur -
Madame la Présidente, vos propos sont
fort intéressants. Je constate que dans la période actuelle,
marquée par des débats sur ce sujet à la
télévision et à la radio, on parle beaucoup de justice de
proximité, qui semble recueillir un consensus. Je considère qu'il
y a plusieurs moyens de voir les choses. Pour un certain nombre d'élus,
notamment les élus locaux, il conviendrait de développer des
tribunaux d'instance dans les quartiers en difficulté. Plutôt que
d'avoir un tribunal d'instance qui fonctionne avec le tribunal de grande
instance, avec toutes les contraintes que vous avez évoquées, il
serait peut-être plus pertinent d'installer des tribunaux d'instance de
plein exercice dans les quartiers en difficulté, qui rendraient une
première justice. Certains souhaitent revenir au juge de paix.
Par ailleurs, j'estime que l'on arrive, comme souvent en France, à une
grande multiplicité d'éléments. Comment les juges
d'instance voient-ils les maisons de justice et du droit ? Beaucoup de maires
se sont battus auprès du garde des Sceaux pour obtenir l'implantation
d'une maison de justice et du droit. Cette structure est intéressante.
Mais on ne peut pas véritablement y obtenir une justice de
première instance.
Etes-vous favorable à la multiplication des tribunaux d'instance, avec
plus d'autonomie accordée à chacun ? Dans ce cas, ne serait-il
pas plus pertinent de remplacer les maisons de justice et du droit par des
tribunaux d'instance ou au contraire de créer une structure commune ?
Que pensez-vous de cette articulation ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Nous ne pouvons qu'être
favorables à votre proposition. Toutefois, cela risque d'être
utopique compte tenu des moyens qui sont alloués. Nous, en tant que
juges d'instance, rêvons de juridictions d'instance qui auraient les
moyens de fonctionner partout, notamment sur la base de la conciliation et de
la médiation. On pourrait, sinon souhaiter la multiplication des juges
d'instance, disposer d'équipes auxquelles des missions pourraient
être confiées. Il existe déjà quelques assistants de
justice. Mais ils sont si peu nombreux que cela relève pour l'instant de
l'anecdote. On pourrait mettre en place des assistants de justice qui nous
aideraient pour nos recherches et qui nous feraient gagner du temps. On
pourrait éventuellement mettre en place des assesseurs, qui pourraient
nous aider à la conciliation. Ces mesures pourraient êtres prises
et elle favoriseraient l'instauration d'une véritable justice de
proximité. Je suis entièrement d'accord avec vous. Nous
trouverions cela formidable. Pour l'heure, nous subissons un sous-effectif
d'environ 20 % chez les juges d'instance. Je ne parle pas des greffes. Notre
seul luxe est l'abonnement au jurisclasseur.
M. Jean-Pierre Sueur -
Je relève le terme « utopique
». Il nous semble, pour notre part, utopique de considérer que le
problème de l'insécurité sera réglé sans se
donner les moyens d'une justice de proximité sur le terrain.
L'idée de redéployer un certain nombre de postes dans les
juridictions pour développer des tribunaux d'instance me paraît
très utopique.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Vous avez raison. Très
clairement, lorsque nous avons été reçus à la
Chancellerie, notamment après les entretiens de Vendôme, nous
avons ressenti que la logique poursuivie était la gestion de la
pénurie. Pour mieux gérer la pénurie, le système du
tribunal de première instance est plus facile. Nous avons très
clairement perçu cette logique de rationalisation budgétaire et
de gestion de la pénurie au sein des services de la Chancellerie.
M. le Rapporteur -
Vous dites que 20 % des postes
d'instance ne sont pas pourvus.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Ce chiffre me semble refléter
la réalité d'une manière générale. Chez les
greffiers, le taux officiel de sous-effectif est de 10 % dans les tribunaux
d'instance. Pour les magistrats, il n'existe pas de chiffre officiel.
M. le Rapporteur -
Dans ce cas, on utilise les juges
placés...
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Il existe uniquement deux juges
placés par cour d'appel !
Mme Michèle André -
Le sous-effectif de 20 % est-il
une moyenne sur l'ensemble du territoire ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Oui. Je donne un chiffre au niveau
national qui n'engage que moi, puisqu'il n'existe pas de statistiques
officielles. Je donne ce chiffre à partir des commentaires de mes
collègues. C'est ce que nous ressentons au niveau national. Il faut
savoir, et je le répète, qu'il existe un problème de carte
judiciaire. Certains tribunaux d'instance sont assez bien pourvus, alors que
d'autres souffrent d'une pénurie. De toute façon, par rapport
à l'effectif théorique, le manque est permanent. Ce manque est
encore plus criant au tribunal d'instance, dans la mesure où, dans le
cadre des dernières réformes (notamment la réforme portant
sur le juge des libertés et de la détention), les tribunaux
d'instance n'ont absolument pas été considérés
comme prioritaires dans les affectations.
M. le Rapporteur -
Je déduis de vos propos que vous
êtes favorable aux assistants de justice.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
En effet.
M. le Rapporteur -
Etes-vous favorable à la mise en place
d'assistants de justice dans le cadre actuel, c'est-à-dire dans un cadre
extrêmement précaire, ou bien pensez-vous que devrait se
développer un statut particulier des assistants de justice ? Dans
ce cas, quelle place devraient-ils avoir et quelle devrait être
l'évolution de leur profession, notamment par rapport aux
greffiers ? Ma seconde question est la suivante : j'ai cru comprendre
que vous étiez favorable à l'échevinage. Toutefois,
êtes-vous favorable à un échevinage dans lequel les deux
échevins disposeraient d'un droit de vote ou à un
échevinage de conseil, où les échevins auraient simplement
une voix consultative ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Les questions deviennent très
précises sur des thèmes qui ouvrent des perspectives assez
lointaines. J'évoquais la nécessité d'une équipe.
Je pense qu'il serait pertinent que le juge d'instance bénéficie
du soutien d'une équipe qui l'aide dans son travail de proximité.
Je suis bien évidemment défavorable au statut précaire.
Celui qui existe actuellement n'est pas satisfaisant. Pourtant, lorsqu'on peut
disposer de l'aide d'un assistant de justice, on est déjà
très content. Il serait bénéfique de disposer d'assistants
de justice formés et qui pourraient rester plus longtemps. J'ai
également évoqué l'apport des assesseurs. Le juge
d'instance est pour l'instant seul. On ne va pas le transformer d'un seul coup
en juridiction collégiale.
L'idée est davantage qu'il y ait, pour s'accorder avec la justice de
paix, des personnes déléguées par le juge pour certaines
missions. Les réflexions sur ce sujet sont, pour l'heure, au stade de
l'ébauche. Nous sommes complètement favorables à la
réforme de cette juridiction de proximité, en lui donnant de
véritables moyens.
M. José Balarello -
On parle beaucoup de maisons de
justice et du droit dans certains quartiers. Ne pensez-vous pas qu'il serait
plus efficace de développer les justices de paix et de proximité,
c'est-à-dire installer des tribunaux d'instance ou des
délégués forains dans certains quartiers, plutôt que
de mettre en place des maisons de justice et du droit ? Cela demande la
nomination d'un certain nombre de magistrats affectés aux tribunaux
d'instance. N'est-ce pas plus efficace ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Parfois, les deux se
complètent. Les maisons de justice et du droit jouent de plus en plus un
rôle d'information et de renseignement. Elles remplacent quelque peu les
consultations juridiques gratuites des avocats. De plus en plus, les citoyens
viennent dans les maisons de justice et du droit pour se renseigner sur leurs
droits. Cela appelle, selon moi, un autre débat. En l'occurrence,
à l'heure actuelle, le citoyen ne dispose d'aucun moyen de s'informer
M. le Président -
C'est le problème de
l'accès au droit. Une loi a été votée sur ce sujet.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Oui. Les citoyens sont souvent
ignorants du mécanisme de la justice. La maison de justice et du droit
joue ce rôle très général d'information et de
renseignement. Jamais un tribunal ne pourra fournir ce type de prestation. Dans
le cas contraire, il y aurait confusion des rôles. Pour le reste, je suis
d'accord.
M. le Président -
On lie justice et
insécurité. Or il convient de clarifier les choses. Il y a
d'abord tout ce qui concerne la justice civile : tous les contentieux que vous
avez évoqués et qui sont résolus par les tribunaux
d'instance. Il y a également le tribunal de police. En fait, un certain
contentieux, souvent de masse, est réglé par les tribunaux de
police. Pour l'essentiel, il s'agit des infractions à la
sécurité routière. Parallèlement, dans le domaine
de la lutte contre la délinquance, nous voyons se mettre en place des
délégués du procureur et un système dont le juge
d'instance est complètement exclu. Il s'agit des maisons de justice et
du droit. Si l'on veut donner un sens à la présence judiciaire,
qui est nécessaire, ne faut-il pas trouver une nouvelle
configuration ? On a l'impression que le système qui se
développe scinde complètement les responsabilités du juge.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Vous avez raison. Un rapport du
Conseil économique et social va d'ailleurs dans ce sens. A force de
multiplier toutes les procédures de conciliation, de médiation ou
autres, on parvient à une situation confuse sans définition
claire des domaines de compétences et des responsabilités.
M. le Président -
Si les juges étaient plus nombreux,
il serait possible de procéder à une médiation, mais avec
le juge.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Tout au moins sous son
contrôle.
M. le Président -
Sous son contrôle effectif.
Aujourd'hui, le juge n'intervient plus dans un certain nombre de
procédures. C'est tout de même un vrai problème.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Oui. De ce fait, les juges
d'instance, qui peuvent être amenés à statuer au
contentieux, ne vont plus être associés directement à
toutes ces procédures.
M. le Président -
Les procédures se
développent, mais se pose un problème d'articulation. Ne
serait-il pas nécessaire de clarifier, de simplifier et d'affecter des
moyens ?
Mme Michèle André -
Telle est l'illustration de
l'enfer pavé de bonnes intentions.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Pour ne donner qu'un exemple, quand
les maisons de justice et du droit ont été créées,
on a décidé que les conciliateurs qui officiaient dans les
tribunaux d'instance devraient officier désormais dans ces nouvelles
structures. Les conciliateurs, qui sont bénévoles et font un
travail remarquable, ont dû faire un choix : soit rester au tribunal
d'instance, où ils avaient -je pense- l'impression d'être utiles,
soit rejoindre la maison de justice et du droit, où on les valorisait
peut-être davantage.
M. le Rapporteur -
Sur ce point sensible, je déduis de vos
propos que le tribunal d'instance est finalement le mieux à même
de réaliser la justice de proximité, pour autant qu'il y ait
suffisamment de juges d'instance, que la carte judiciaire soit revue, que
l'organisation soit améliorée et simplifiée.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Tel est son rôle historique.
M. le Rapporteur -
Cela signifie qu'on pourrait parfaitement
contourner toutes les difficultés que nous rencontrons, si on allouait
plus de moyens au tribunal d'instance et on redéfinissait ses
compétences.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
On pourrait effectivement
l'espérer.
M. le Rapporteur -
Vous êtes aussi d'accord sur le fait que
les maisons de justice et du droit ne peuvent être remplacées par
le tribunal dans leur rôle d'information et de renseignement.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
En effet.
M. le Rapporteur -
En revanche, le fait que les maisons de justice
et du droit aient aussi une action de justice ne peut que créer la
confusion par rapport aux tribunaux d'instance qui le feraient mieux s'ils
avaient davantage de moyens. Je le déduis de vos propos même si
vous ne l'avez pas dit.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Tel est effectivement le sens de ma
pensée.
M. le Rapporteur -
Je reviens à l'idée principale.
Vous avez laissé entendre qu'il y avait, en pratique, une certaine
spécialisation des tribunaux d'instance mais que les juges d'instance ne
devaient pas trop se spécialiser. Qu'est-ce que cela signifie
concrètement ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Ce point est crucial. Demande-t-on
au juge d'instance d'être un très bon technicien ? Dans ce
cas, il faut effectivement qu'il se spécialise dans certains domaines.
Lui demande-t-on plutôt de savoir exercer une justice de
proximité, de savoir appréhender des justiciables qui se
présentent en personne et qui ont peut-être des difficultés
pour s'exprimer et faire valoir leurs droits, de savoir exercer une certaine
forme d'appel à la conciliation ? Dans ce cas, il s'agit d'une autre
forme de spécialisation. Si l'on opte pour cette deuxième
solution, le juge ne doit pas être spécialisé par domaine
mais par fonction. Il peut alors embrasser tout un ensemble de domaines
d'intervention et ne pas se spécialiser pas dans un domaine particulier.
C'est cela notre particularité. Il n'est pas aisé de tenir tous
les jours une salle d'audience où les justiciables viennent sans avocat
et souhaitent s'exprimer. Il s'agit de ne pas décevoir ces personnes. Il
faut qu'elles aient le sentiment d'avoir été entendues. Pour
cela, il faut développer une certaine compétence. Bien
évidemment, il est indispensable de savoir le droit. Mais, a priori, un
magistrat dispose d'une formation dans ce domaine. En revanche, je ne suis pas
persuadée que nous ayons besoin d'une spécialisation très
technique et très poussée dans un domaine particulier.
M. le Rapporteur -
Je reviens au principe du tribunal de
première instance. Pensez-vous que les tribunaux d'instance doivent
être autonomes pour constituer l'outil essentiel et efficace d'une bonne
justice de proximité ? Ne peut-on pas considérer,
à l'inverse, que le système serait plus cohérent
s'ils relevaient d'un tribunal de première instance ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Nous considérons que
l'autonomie est nécessaire au bon fonctionnement des structures,
même si ce sujet peut être débattu. Lors des entretiens de
Vendôme, on a évoqué l'idée de rattacher le tribunal
d'instance au tribunal de grande instance. Par la suite, le livret de la garde
des Sceaux a souligné l'intérêt du tribunal de
première instance. Les deux syndicats les plus importants de la
magistrature, à savoir le Syndicat de la magistrature et l'Union
syndicale de la magistrature, se sont joints à nous pour dénoncer
cette idée et pour affirmer la nécessité de laisser
indépendantes les structures des tribunaux d'instance. Nous avons eu le
sentiment de ne pas défendre uniquement notre paroisse. Cela nous a fait
plaisir.
M. José Balarello -
Je vois un intérêt
à la création d'un tribunal départemental. Ne pensez-vous
pas qu'un tribunal départemental d'instance permettrait tout de
même de spécialiser deux magistrats, par exemple en matière
de droit du travail ? Dans ce domaine, le président du tribunal
d'instance ou son délégué est amené à
présider le conseil des prud'hommes , quand il y a égalité
de voix. Il faut tout de même, par exemple dans le cadre de conflits
collectifs, une certaine spécialisation. Si vous augmentez les
compétences du tribunal d'instance, faudra-t-il mettre en place quelques
spécialistes, par exemple en matière de baux ruraux ?
M. le Président -
Il me semble que le tribunal des baux
ruraux est départemental.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
C'est effectivement le juge
d'instance qui, à côté de toutes ses autres fonctions,
assume une fois par mois la fonction de président des baux ruraux.
M. José Balarello -
Cela nécessite une certaine
spécialisation. Si on mettait en place un tribunal départemental
d'instance, on pourrait spécialiser par exemple deux magistrats,
notamment en droit du travail.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Ce point est sujet à
discussion. A Paris, la spécialisation existe puisque certains
magistrats ne travaillent qu'au sein du conseil des prud'hommes. Je ne suis pas
certaine qu'ils considèrent eux-mêmes cette spécialisation
comme une bonne solution. La matière est intéressante, mais ils
apprécieraient sans doute de faire autre chose en parallèle.
M. José Balarello -
Une formation serait nécessaire.
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Il faut avant tout un minimum de
diversité dans les missions. Je crois qu'ils regrettent eux-mêmes
cette trop grande spécialisation.
M. le Président -
On a souvent évoqué les
missions qui n'étaient pas juridictionnelles et qui étaient
confiées aux greffiers. Pensez-vous qu'il subsiste des fonctions
exercées par les juges qui pourraient être confiées aux
greffiers ? On évoque souvent l'affaire des tutelles. Avez-vous un point
de vue sur ce thème ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Je vous remercie de cette question.
Cette délégation des tâches ne concerne pas seulement les
greffiers. De nombreuses attributions sont toujours devant le tribunal
d'instance. Certaines ne sont pourtant absolument pas juridictionnelles ;
d'autres pourraient être effectivement déléguées aux
greffiers. Je peux vous laisser un document sur ce sujet. Nous estimons
qu'environ 300 attributions demeurent au tribunal d'instance mais n'ont
rien à y faire. A titre d'exemple, nous paraphons tous les livres
comptables. Vous percevez l'intérêt du juge d'instance dans ce
domaine... Je vous laisse le document.
M. le Président -
Je vous remercie. L'année
dernière, une jeune juge d'instance a rejoint la juridiction du canton
dont je suis conseiller général. Elle est venue présider
la commission de propagande. Les élections municipales avaient lieu le
même jour. Je lui ai appris ce qu'était le code électoral.
Je me demande si cela à un sens de déranger un juge pour aller
dans un chef-lieu de canton...
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Ce n'est pas parce qu'on ne fait pas
de prison qu'on ne peut pas être en correctionnelle. Ce n'est pas parce
qu'on n'est pas spécialisé dans le domaine du bâtiment
qu'on ne va pas trancher les conflits qui peuvent exister. Je considère
que la fonction du juge n'est pas nécessairement de connaître en
profondeur la matière.
M. le Président -
Dans mon exemple, ce n'était
pas une fonction juridictionnelle. Quelle est l'utilité d'un juge dans
une commission de propagande d'une élection ? Il serait sans doute plus
pertinent de faire simplement appel à un représentant du
préfet. Les juges passent du temps dans les commissions de remembrement.
Quelle en est l'utilité ?
Mme Laurence Pecaut-Rivolier -
Vous avez raison.
M. le Président -
Je vous remercie.
Audition de M. André RIDE,
procureur général
près la cour d'appel de Limoges,
président de la
Conférence nationale des procureurs généraux
(10 avril 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M. Jean-Jacques Hyest, président -
Monsieur le procureur général, Monsieur le président,
puisque c'est en tant que président de la Conférence nationale
des procureurs généraux que nous avons le plaisir de vous
recevoir, la commission des Lois du Sénat a souhaité créer
une mission d'information sur l'évolution des métiers de la
justice. Bien entendu, parmi les métiers de la justice, le premier est
celui du magistrat. Nous voulions entendre les représentants
éminents du parquet, en la personne des procureurs
généraux. Nous vous remercions d'avoir répondu à
notre invitation. Vous souhaitez peut-être au préalable faire une
présentation sur la situation du parquet. Puis, le rapporteur et les
membres de la mission auront certainement beaucoup de questions à vous
poser.
M. André Ride -
Monsieur le Président, je vous
remercie pour ces propos de bienvenue. Vous m'avez effectivement invité
en ma qualité de président de la Conférence nationale des
procureurs généraux. Votre commission connaît bien la
Conférence des procureurs généraux puisqu'elle a
déjà invité à plusieurs reprises ses
représentants. J'ai récemment eu l'occasion d'écrire au
Président Garrec au moment où était débattue la
proposition de loi complétant la loi du 15 juin 2000, pour
faire part au Sénat des préoccupations des procureurs
généraux à la lecture de certains amendements de cette
loi. Je n'ajouterai rien car la loi a été votée.
Simplement, la Conférence des procureurs généraux a eu la
satisfaction de voir que le Sénat l'avait entendue.
Il semble que votre réflexion s'articule principalement autour de deux
thèmes : la situation des professionnels de justice et le
périmètre d'intervention de la justice.
En ce qui concerne les professionnels de justice, on parlait il n'y a pas si
longtemps des gens de justice et l'on ne visait alors que les magistrats et les
avocats. Le glissement sémantique est fort intéressant. Il
démontre qu'aujourd'hui, on parle aussi, quand on veut englober tous
ceux qui gravitent autour du palais, des greffiers et des fonctionnaires de
catégorie C des greffes, ainsi que de ces nouveaux venus, dont je crois
qu'ils vont faire partie désormais des professionnels de justice,
à savoir les assistants et les agents de justice.
Pour ce qui a trait au métier de magistrat, vous avez noté les
uns et les autres les quelques turbulences survenues en 2000 et 2001, non
seulement chez les magistrats, mais aussi chez les avocats et les greffiers. De
ce point de vue, la rentrée 2002 a été infiniment plus
calme. Les discours de rentrée, qui sont traditionnellement l'occasion
de souligner un certain nombre de préoccupations des magistrats, ont
surtout porté dans nombre de cours d'appel et de juridictions sur des
problèmes plus spécifiques au corps et notamment sur celui du
statut des magistrats du parquet.
Cette question est vraiment un problème récurrent et qui suscite
des interrogations à tous les degrés de la hiérarchie des
magistrats du parquet. Vous avez pu lire une série d'articles parus dans
la presse à l'automne dernier, portant sur l'idée de la
séparation du corps de la magistrature en deux corps distincts : celui
du siège et celui du parquet. Cette séparation, dans la tradition
administrative française, ne pourrait aboutir qu'à une
fonctionnarisation rampante du parquet. Nous n'avons bien évidemment
nullement l'intention de remettre en cause la qualité des
fonctionnaires. Toutefois, dans le domaine judiciaire, on voit tout de suite ce
que la substitution des magistrats par des fonctionnaires peut avoir comme
incidence sur l'indépendance de la fonction. Il est apparu à
l'ensemble des magistrats du parquet et aussi, c'est important de le souligner,
à la quasi-totalité des magistrats du siège (à
l'exception de la Conférence nationale des premiers présidents),
que l'unité du corps était fondamentale pour un bon
fonctionnement de la justice. Cette unité du corps est pour le
ministère public une question de légitimité de son
autorité, non seulement vis-à-vis de ses interlocuteurs naturels
- soit la gendarmerie et la police - mais également vis-à-vis de
ses autres interlocuteurs extérieurs - préfets, élus
locaux. C'est également pour les magistrats du siège une
protection d'avoir comme interlocuteurs des magistrats, c'est-à-dire des
personnes de la même maison qui les saisissent et qui assurent
l'exécution des peines qu'ils prononcent, en partageant la même
éthique, la même déontologie, qui ont prêté le
même serment et ont été formés à la
même école. Il s'agit d'une question fondamentale pour la
magistrature. Je mets de côté ce qui relève de la
dépendance hiérarchique et de la relation avec le garde des
Sceaux.
L'autre question concernant les magistrats, pour aller à l'essentiel,
tient à leur périmètre d'intervention. Je reviendrai sur
ce point tout à l'heure.
En ce qui concerne les fonctionnaires des greffes, dans leurs trois
catégories (greffier en chef, greffier, fonctionnaire de
catégorie C), trois questions se posent :
- la place du greffier en chef dans la juridiction ;
- la place des greffiers en chef dans l'administration judiciaire ;
- la place des fonctionnaires de justice dans le fonctionnement de la
juridiction.
Le Code de l'organisation judiciaire indique que les greffiers en chef dirigent
l'ensemble des services du secrétariat greffe et que les chefs de
juridiction sont responsables du fonctionnement de la juridiction. Les chefs de
juridiction exercent leur autorité et un contrôle
hiérarchique sur le greffier en chef, sans pouvoir se substituer
à lui. Ce sont évidemment des termes antinomiques. Je crois qu'il
y a là un besoin de clarification. Nous affirmons clairement ceci.
Autant nous reconnaissons bien évidemment au greffier en chef la place
de pivot dans le fonctionnement quotidien d'une juridiction, autant, que ce
soit au niveau des cours ou au niveau des tribunaux de grande instance, il nous
apparaît important que la décision revienne aux deux chefs de
juridiction ou aux deux chefs de cour. La raison est très simple. Elle
n'est pas que nous nous défiions des greffiers en chef. Elle est qu'une
juridiction a des moyens humains, matériels et financiers
limités. Il convient donc de faire des choix, qui ne sont pas neutres
sur l'exercice de l'activité judiciaire. Que ce soit au parquet ou au
siège, elle est largement tributaire des moyens qui lui seront
accordés. De par la mission même de la justice, il ne nous
apparaît pas possible que l'attribution des moyens qui conditionnent
l'activité judiciaire ne revienne pas à un magistrat. Nous
donnons les impulsions. Il leur appartient de les « mettre en musique
».
La question de la place des greffiers en chef dans l'administration de la
justice est quelque peu différente. L'administration de la justice
n'avait pas atteint un niveau de développement particulièrement
élevé jusqu'il y a peu. En fait, ce sont les services
administratifs régionaux qui sont l'embryon d'une véritable
administration locale de la justice. Ils ont été
créés en 1996, par décision du directeur de cabinet du
garde des Sceaux de l'époque. Des circulaires ont ensuite
été diffusées. Il n'y a donc pas un
corpus
juridique fondé ni sur la loi, ni sur le décret pour créer
cette administration judiciaire. Sans doute en faudra-t-il un demain, ce qui
n'est pas sans soulever des problèmes. Le problème fondamental
est de savoir qui doit administrer ces services administratifs régionaux
et plus exactement qui doit tenir la place centrale de coordonnateur du service
administratif régional, qui doit donc piloter ce service. Deux options
sont actuellement ouvertes : à des magistrats et à des greffiers
en chef. Deux magistrats dirigent les services administratifs régionaux
sur les trente-cinq services qui existent, en l'occurrence à Rennes et
à Paris. La cour d'appel de Paris est une grande maison dont le
périmètre d'intervention concerne non seulement Paris
intra-muros
, mais aussi Bobigny, Evry, la Seine-et-Marne et l'Yonne.
Vous pouvez apprécier les qualités qu'il faut pour tenir ce poste
de coordonnateur de Paris.
Le problème qui se pose est de savoir s'il convient d'ouvrir le statut
de coordonnateur à d'autres personnes et plus particulièrement,
selon l'importance des cours, à des administrateurs civils ou à
des attachés principaux d'administration centrale. Notre analyse est la
suivante. Nous avons, avec les greffiers en chefs, des personnels d'une rare
compétence. Nous n'avons pas de complexe quant à la
compétence de nos greffiers en chef par rapport aux attachés
principaux et même par rapport à des administrateurs civils. Ce
sont des personnes qui ont passé un concours difficile et qui ont la
capacité d'acquérir des connaissances dans des domaines nouveaux
qu'ils ne maîtrisent pas forcément. En outre, ils ont un avantage
par rapport aux administrateurs civils et aux attachés principaux : ils
connaissent bien la maison. Ils sont en effet capables de percevoir et de faire
percevoir à leurs interlocuteurs naturels (les chefs de cour) les
conséquences des décisions qu'ils pourraient être
amenés à prendre parce qu'ils savent comment le personnel des
greffes et les magistrats réagissent. Je ne crois pas qu'il serait bon
pour l'institution que ces postes de coordonnateur soient attribués
à d'autres qu'à ceux qui peuvent les occuper en ayant cette
perception de l'institution.
Enfin, mon dernier point a trait à la place de l'ensemble des
fonctionnaires de justice dans la juridiction. Un malaise est apparu dans les
juridictions. Il tient à l'émergence de ces fonctions de gestion
des juridictions. Traditionnellement, le greffier et le greffier en chef
assistaient le magistrat ; ils avaient davantage des fonctions de
secrétariat. Ils doivent aujourd'hui assumer en outre les fonctions de
responsable de la gestion, de la gestion informatique, de la gestion des
ressources humaines. Ces fonctions sont apparues à beaucoup comme plus
intéressantes. Ceux qui ne se sentent pas les compétences, ni les
appétences pour devenir responsables de la gestion d'un service ont
l'impression que leur mission originelle, qui est pourtant capitale, est
dévaluée. Cette situation n'est pas saine. Elle n'est pas juste
non plus. Nous avons besoin de personnels qui assument les fonctions
traditionnelles du greffier. Nous devons réfléchir à une
ouverture plus grande du métier de greffier en chef et de greffier vers
des compétences juridiques qui n'étaient pas les leurs
jusqu'à présent. Nous devons bâtir avec eux un autre mode
de fonctionnement. Les chefs de cour ou de juridiction réunissent
régulièrement les responsables de la gestion des services, alors
que le mode de fonctionnement traditionnel des juridictions n'incluait pas
cette idée de travail en équipe. Là aussi, il faut que
nous revoyions notre façon de penser. Dans le rapport de l'inspection
générale des services judiciaires, on citait la cour d'appel de
Limoges. Je ne peux pas faire mieux que de la citer à nouveau pour dire
que nous avons développé un travail par service (service de
l'audiencement, service du greffe), soit un petit groupe de personnes
travaillant de concert avec les magistrats pour se retrouver sur une
idée commune du travail à accomplir et une responsabilité
commune sur les objectifs visés.
Les nouveaux dans l'institution venus sont l'assistant de justice et l'agent de
justice. La création des assistants de justice, de profil bac + 5, a
correspondu à une demande forte des magistrats d'avoir à leurs
côtés une équipe de juristes de haut niveau pour
préparer les décisions. Le profil a été bien
ciblé. En revanche, leur statut pourrait être meilleur. Pourquoi ?
Ils sont recrutés au maximum pour une durée de quatre ans. Ils
ont 720 heures de travail par an, ce qui est peu. Cela implique, pour qu'ils
deviennent des collaborateurs efficaces, un long temps d'investissement
personnel des magistrats. Or ils partent parfois avant la fin du contrat. On
est alors obligé de tout recommencer. Le souhait des magistrats serait
que se constitue autour d'eux un corps de fonctionnaires ayant un profil
juridique de même nature, mais dont le travail serait susceptible de
s'inscrire dans la durée.
La création des agents de justice a fait l'objet de nombreuses
critiques, en particulier de la part des fonctionnaires des greffes qui
s'interrogeaient sur leur utilité. On s'est aperçu que les
besoins émergents qui avaient justifié la création des
agents de justice correspondaient effectivement à un besoin des
juridictions. La question se pose aujourd'hui de savoir s'il ne faudrait pas
pérenniser et reconnaître ces besoins émergents comme des
tâches normales pour l'exercice de la justice dans les juridictions. En
fait, il s'agit de faire en sorte soit que les agents de justice
intègrent le corps des fonctionnaires de justice, soit que les
fonctionnaires de justice accomplissent les tâches qui ont
été confiées aux agents de justice.
J'en viens aux avocats. Parlant devant l'un d'entre eux et pour aller à
l'essentiel, j'éliminerai de mon propos les éléments
positifs et me limiterai à pointer ce qui ne va pas. Ce rôle est
un peu ingrat. Nous, procureurs généraux, constatons qu'il existe
un réel problème. Nous sommes en effet chargés de la
discipline des avocats et des auxiliaires de justice d'une manière
générale. Nous recevons des juridictions des informations selon
lesquelles des tensions sont nées entre magistrats et avocats. Elles ont
toujours existé, mais étaient autrefois atténuées
par une courtoisie naturelle. Cette courtoisie et ces relations de bon
voisinage ont tendance quelquefois à s'estomper. On peut en effet
observer dans certaines juridictions deux types de comportement : des
comportements agressifs - je n'hésite pas à employer le terme -
à l'audience à l'égard du ministère public et des
comportements moins loyaux que ce à quoi l'on pourrait s'attendre de la
part des avocats vis-à-vis des magistrats du siège et notamment
des juges d'instruction. Les raisons sont multiples. Certaines tiennent
à la personnalité de chacun. Laissons-les de côté.
D'autres sont plus fondamentales. La société française
s'est engagée dans une judiciarisation croissante, offrant de nouvelles
perspectives aux avocats. Bon nombre d'étudiants en droit se sont
inscrits dans les centres de formation et sont devenus avocats. Leur nombre
fait qu'ils n'ont peut-être pas tiré de leur profession toutes les
satisfactions qu'ils en attendaient. Dès lors, pour sortir du lot,
certains ont choisi de radicaliser leur attitude et de coller davantage aux
souhaits des clients sans prendre la distance que l'on attend d'un auxiliaire
de justice.
Mme Michèle André -
Si je ne m'abuse, il s'agit de
démagogie.
M. André Ride -
Nous avons aussi assisté à une
multiplication des actes, dont on ne perçoit pas toujours, quand on a un
oeil extérieur et neutre, l'utilité dans le dossier. Tout ceci a
engendré un raidissement de la part des magistrats. C'est
légitime, surtout lorsqu'ils sont mis en cause personnellement. Cette
situation n'est pas saine. Dans le fonctionnement quotidien des juridictions,
nous travaillons avec les avocats. Nous devons avoir confiance dans les
auxiliaires de justice, dans la fiabilité des pièces qu'ils
remettent, dans la qualité des dossiers, etc. Lorsqu'un avocat cite un
arrêt, nous ne devrions pas avoir à envisager de vérifier
la réalité de cet arrêt. Si un avocat l'a mentionné
dans son dossier, c'est qu'il doit être vrai. Des initiatives ont
été prises pour remédier à cette situation, des
commissions tripartites se tiennent dans certaines juridictions. A Lille par
exemple, président, procureur et bâtonnier se réunissent
toutes les semaines. Des plages communes de formation sont
développées à l'Ecole nationale de la magistrature, des
séminaires de réflexion sont organisés par l'Ecole.
D'autres initiatives sont possibles. Il serait souhaitable par exemple que les
barreaux s'investissent davantage sur un point particulier : il s'agit de
l'enseignement de l'éthique de leur profession dans les centres de
formation professionnelle. Des ouvrages savants ont été
rédigés dans ce domaine. Je crains que l'on ne perde parfois de
vue ce que le bâtonnier Damien a pu dire dans son
Traité sur
l'éthique
.
J'en viens au périmètre d'intervention de la justice. J'ai
regroupé sous cette appellation les sujets qui intéressent votre
mission. La question du périmètre d'intervention de la justice
prend plusieurs formes :
- la recherche d'une justice de proximité et parallèlement d'une
justice spécialisée, ce qui est un peu antinomique ;
- le souhait d'associer davantage les citoyens au fonctionnement de la justice,
tout en notant que la justice est une matière complexe ;
- le souhait de voir les magistrats s'investir dans les politiques publiques
(mais jusqu'à quel degré ?) ;
- la dimension européenne que peut prendre l'intervention des magistrats.
Qu'est-ce que la recherche d'une justice de proximité ? La
proximité peut être géographique. Nous n'allons pas
évoquer le problème de la carte judiciaire. Pour autant, ce
problème est réel. La proximité peut-être aussi
procédurale. Il s'agit de l'accès au droit et de la
simplification de la procédure. La proximité peut être
temporelle : une réponse plus rapide au justiciable. La proximité
peut être d'inspiration : attend-on du magistrat qu'il soit plus proche
des préoccupations des citoyens dans les décisions qu'il rend ?
La notion de proximité, quels que soient ses aspects, ne doit pas faire
perdre de vue qu'il y a une nécessaire distanciation entre le magistrat
et le justiciable. Il faut éviter à tout prix que le
soupçon de la connivence puisse surgir d'une trop grande
proximité, notamment lorsque les magistrats restent trop longtemps dans
une juridiction. Ceci étant posé, la justice de proximité
peut s'exercer de différentes façons, d'abord par le recours au
conciliateur, au médiateur, au délégué du procureur.
On peut s'interroger sur la question de savoir s'il s'agit de métiers
émergents de la justice. Je ne sais pas si ce sont au sens propre des
métiers. Ce sont en tout cas des fonctions émergentes de la
justice qu'il convient de prendre en compte aujourd'hui et pour de nombreuses
années dans le périmètre de la justice. Ce sont quelque
peu les sentinelles avancées de la justice dans le mouvement de
recentrage des magistrats sur leur fonction essentielle, notamment sur le
juridictionnel pour les juges. Un élément doit être
gardé à l'esprit. Que ce soient les conciliateurs, les
médiateurs ou les délégués, qu'ils le soient
à titre individuel ou
a fortiori
dans des associations, ils
doivent rester sous l'autorité et sous le contrôle des magistrats,
non seulement pour l'attribution des missions qu'ils accomplissent, mais aussi
pour la façon dont ils les accomplissent. Ils ne doivent pas s'attribuer
de leur propre chef des missions. Ils doivent également respecter des
règles précises de fonctionnement. Je pense notamment au
contrôle financier de ces associations, qui sont largement
subventionnées par le ministère de la justice. Il est donc normal
que nous nous attachions à connaître ce qui est fait de l'argent
de l'Etat qui est investi dans ces associations.
Où doivent-ils exercer ? J'en viens à un autre aspect de la
proximité qui est la pérennisation des maisons de justice et du
droit, et des antennes de justice. C'est inscrit maintenant dans le code de
l'organisation judiciaire. Qui doit y intervenir ? A l'origine, lorsque M. le
procureur Marc Moinard les a créées, c'était dans la
conception de magistrats du parquet se rendant sur le terrain pour
régler les problèmes. La notion a évolué.
Aujourd'hui, elle est double. Il existe toujours la justice de proximité
pénale mais il existe désormais également l'accès
au droit. Les maisons de justice et du droit deviennent aussi un lieu où
l'on peut traiter les litiges civils, ce qui n'était pas à
l'origine leur vocation. Qui peut le faire ? Les magistrats y ont-ils encore
leur place ? Nous considérons que ces nouveaux venus, qui ont maintenant
un statut, sont plus à même que les magistrats d'investir les
maisons de justice et du droit et d'y accomplir les tâches que l'on
attend d'eux, que ce soit pour une justice de proximité sur une petite
délinquance ou que ce soit sur la conciliation civile, de même que
pour renseigner sur l'accès au droit.
Le troisième élément de la justice de proximité est
la spécialisation des juridictions. Vous avez souhaité vous
pencher sur cette question. Elle est importante. Chacun peut mesurer que la
spécialisation est utile, compte tenu de la complexité d'un
certain nombre de contentieux, de la nécessaire pratique qu'il faut en
avoir pour bien les traiter et des moyens qui sont nécessaires pour les
traiter. La spécialisation ne doit pas nécessairement être
entendue comme une spécialisation par matière, par exemple
économique et financière comme on l'a vu avec la création
des pôles économiques et financiers. Elle doit également
concerner un certain nombre de juridictions pour traiter les affaires qui ne
sont pas complexes juridiquement, mais qui nécessitent une mobilisation
particulière de moyens. Je prends un exemple très simple. J'ai
dans mon arrondissement la juridiction de Guéret. Cette juridiction est
certes importante, mais elle compte en tout et pour tout neuf magistrats. Si un
avion s'écrasait du côté d'Aubusson, avec 300 victimes, le
procureur de la République et le juge de Guéret ne seraient pas
armés pour suivre ce dossier. Ils n'en ont pas les moyens. Je crois donc
que la spécialisation doit aussi s'orienter vers cette idée qu'il
faut de grosses unités pour traiter de grosses affaires. Les magistrats
de Guéret le comprendraient parfaitement. Il n'y aurait pas un sentiment
de dépossession. Ils savent pertinemment qu'ils ne pourraient pas faire
face. Ils admettraient donc sans difficulté qu'une autre juridiction
prenne en charge certains dossiers. Or je n'en vois pas dans le
périmètre de ma cour. Pour en revenir aux seules affaires
économiques et financières, il existe une juridiction
spécialisée en matière économique et
financière à Limoges. On pourrait donc imaginer de confier les
affaires importantes de cette nature à la juridiction de Limoges. Avec
deux juges d'instruction pour traiter le contentieux de 350.000 personnes
en Haute-Vienne, ils ne pourraient pas assumer cette charge. Je suis donc
favorable à une spécialisation des juridictions. Toutefois, il
faut des moyens en magistrats et en fonctionnaires pour les faire fonctionner.
Quant à la participation des citoyens aux décisions de justice,
le problème est délicat. Bien entendu, le citoyen participe
déjà aux décisions de justice, en tant que juré ou
assesseur dans divers tribunaux ou comme juge dans les tribunaux de commerce ou
les conseils de prud'hommes. Mais que signifie la participation des citoyens
aux décisions de justice ? Faut-il accroître cette
participation ? Deux courants de pensées soutiennent cette
idée. Le premier propose à d'avoir recours aux citoyens pour
pallier le manque de magistrats. Je ne crois pas que cela soit une bonne
solution que de vouloir pour cette seule raison remplacer des magistrats
professionnels par des juges non professionnels. La Chancellerie ne s'est
d'ailleurs pas engagée sur ce terrain. Elle a eu recours à
d'autres moyens qui sont plus intéressants : la multiplication des juges
uniques pour le petit contentieux, la simplification des procédures
(notamment par la composition pénale) et l'augmentation du nombre de
magistrats. Cette solution doit, à mon sens, être
écartée. Le deuxième courant est plus intéressant,
mais il pose d'autres questions. En l'occurrence, il faudrait accroître
la participation des citoyens pour assurer un surcroît de
légitimité aux juridictions. Vous comprendrez que cela interpelle
les magistrats. Si on met en avant cette idée, c'est qu'on estime que
les magistrats ne sont pas suffisamment légitimes à rendre des
décisions sur des contentieux correctionnels et civils. On peut penser
de surcroît que ces contentieux sont simples. Or ce n'est pas
nécessairement le cas. Le contentieux correctionnel peut être
extrêmement technique. En outre existe-t-il une légitimité
particulière à faire siéger un citoyen lambda en tant
qu'échevin dans des conflits familiaux ? La réponse n'est
pas simple. Les magistrats sont plutôt réservés sur la
participation accrue de citoyens au fonctionnement de la justice.
Ils perçoivent bien qu'il existe sans doute aujourd'hui un besoin de
contrôle de la décision judiciaire au sens large. Le moyen de
parvenir à un meilleur contrôle est-il de faire participer des
citoyens au jugement de ce type de contentieux ? Nous n'en sommes pas
persuadés. D'autres voies peuvent être explorées. A quel
niveau conviendrait-il d'étendre la participation des citoyens ? On
pense bien sûr au niveau de la première instance. Mais la logique
du système amènerait à considérer qu'il faudrait
aller vers la cour d'appel.
M. le Président
-
Comme cela se fait en matière
commerciale.
M. André Ride -
C'est un peu différent, Monsieur le
président, dans le sens où, dans le projet auquel vous faites
allusion les citoyens devenaient magistrats.
Au niveau de la cour d'appel, il y a besoin de connaissances juridiques
accrues. En effet, ce qui justifie l'existence de l'appel, ce sont les
qualités supérieures supposées de ceux qui vont juger.
Quelle est la légitimité supérieure du citoyen lambda
à siéger dans les cours d'appel ? Ce problème de
l'échevinage devrait probablement être analysé davantage.
Il faudrait se demander s'il n'y a pas plutôt besoin de magistrats
professionnels dans des juridictions qui ne sont actuellement
constituées que de magistrats non professionnels. Mais il s'agit d'un
autre problème. Le Sénat en a longuement débattu. Je ne
vais pas l'aborder aujourd'hui.
La seconde préoccupation des magistrats est celle de leur place dans la
mise en oeuvre des politiques publiques. C'est avec le statut la seconde
interrogation fondamentale des magistrats. Les magistrats du parquet sont
sortis les premiers des palais de justice pour s'engager dans les politiques
partenariales, ce qui a correspondu non pas à un souhait des magistrats,
mais à une volonté de l'Etat de développer une politique
de la ville ayant comme priorité de prévenir la
délinquance et de favoriser la réinsertion. Dans cette optique,
il n'était pas imaginable que les magistrats, qui sont seuls
légitimes à prononcer des mesures de répression, se
désintéressent tant de l'amont que de l'aval. Les magistrats du
parquet se sont très volontiers engagés dans ce processus car il
leur permettait de faire passer dans la politique de la ville la politique
pénale voulue par le Gouvernement. Les magistrats du parquet sont
très attachés à cette notion de politique pénale.
Ils reconnaissent parfaitement au Gouvernement la légitimité de
définir une politique. La situation est quelque peu différente
pour les magistrats du siège, qui jugent des cas individuels alors que
les magistrats du parquet ont une vision de l'intérêt
général. Les magistrats du parquet sont fondés à
faire des choix de poursuites, alors que le magistrat du siège ne
pouvant être saisi que de cas individuels ne peut définir une
politique judiciaire qui reviendrait à le rendre maître de ce
qu'il veut juger et du moment où il veut le juger. Cela les place dans
une situation difficile dont nous sommes bien conscients. Le juge d'application
des peines par exemple ou le juge des enfants est appelé à
siéger dans les conseils départementaux de prévention de
la délinquance et dans les autres instance de nature similaire, mais il
ne peut pas s'engager. Les procureurs généraux considèrent
qu'il ne faut pas les contraindre à s'engager. Même la position
d'expert qu'ils peuvent y prendre est très ambiguë. Ils vont
décevoir des attentes. Ils vont être placés dans des
situations impossibles. Il revient aux magistrats du parquet d'être
l'interface entre le siège et les décideurs extérieurs,
que ce soient l'autorité préfectorale, les élus locaux, la
ville ou le département. Toutefois, si nous ne remettons pas en cause
notre participation, nous sommes confrontés à un choix. Lorsque
vous êtes procureur de la République avec un seul substitut et que
vous êtes engagé dans toutes les actions de la ville, vous avez
dans le même temps à assurer votre tâche première,
c'est-à-dire, de faire appliquer la loi dans votre ressort. Des choix
doivent être faits et sont malheureusement vite faits lorsque vous n'avez
pas les moyens d'assumer les deux missions. Songez qu'aujourd'hui, dans la
plupart des parquets, le procureur de la République qui assiste à
ces réunions devra dresser seul les statistiques et les rapports. Ce ne
sont pas des modes de fonctionnement acceptables. Ils ne donnent pas de la
justice l'image d'une administration dynamique. Il faut que dans les grandes
juridictions les procureurs puissent disposer d'une équipe avec un
secrétaire général. Ils ont besoin de statisticiens venant
décortiquer les statistiques de la juridiction et leur apporter leur
soutien. Le problème fondamental de l'engagement de la magistrature et
plus spécifiquement du parquet dans la politique de la ville est
conditionné par les moyens.
Le dernier point est l'international. Nous sommes largement familiarisés
au fonctionnement de la Cour de justice des communautés
européennes à Luxembourg. Nous sommes, juges nationaux, les
premiers juges du droit européen. C'est bien ancré dans les
mentalités, même si c'est l'Italie qui saisit le plus souvent la
Cour de justice siégeant à Luxembourg. La seconde juridiction
bien intégrée dans nos modes de fonctionnement est la Cour
européenne des droits de l'homme et de protection des libertés
fondamentales, siégeant à Strasbourg. Elle est
intégrée depuis 1982, c'est-à-dire depuis que le citoyen a
la possibilité de saisir directement cette cour. Sa jurisprudence
bouleverse de larges pans de notre procédure par exemple celle de la
Cour de cassation et le Parlement est amené à modifier la loi en
fonction des arrêts de Strasbourg.
Un fait nouveau est, à mon sens, extrêmement intéressant :
les conséquences à tirer de la mise en place du
«troisième pilier». Les deux formes qui nous
intéressent le plus sont Europol et Eurojust. Je cite Europol en premier
pour la raison suivante. S'agissant d'un organisme de police, notre conception
n'est pas toujours la conception qu'ont d'autres parquets européens,
mais elle est un élément fondamental dans la protection de la
démocratie. En l'occurrence, notre conception est que l'autorité
judiciaire doit assurer la direction des enquêtes menées par la
police. Ce n'est pas le cas par exemple en Allemagne ou en Grande-Bretagne.
Nous estimons que, depuis l'origine, l'enquête doit être
placée sous l'autorité d'un magistrat. Par conséquent,
Europol nous intéresse. Eurojust nous intéresse également.
Le 28 février dernier, la création d'Eurojust a
été ratifiée. Cet organisme ne nous est pas totalement
extérieur puisqu'il a vocation à coordonner en certains domaines
l'action des autorités judiciaires des pays qui en font partie. Il
s'agit donc de l'intervention directe d'un organisme international dans une
fonction régalienne de l'Etat au niveau national. C'est une dimension
nouvelle, qui va obliger à repenser les rapports entre Eurojust, la
Chancellerie et les parquets généraux dans des contentieux
très importants par les préjudices qu'ils peuvent causer.
Je souhaiterais appeler votre attention sur deux autres organismes. Le premier
est le Conseil de l'Europe. On n'y pense plus tellement et l'on a bien tort. En
effet, le Conseil de l'Europe, dans certaines de ses commissions, s'est
engagé dans une réflexion fort intéressante sur, entre
autres choses, ce que doit être un ministère public en Europe.
L'Europe est prise au sens large, avec notamment les pays émergents. Il
faut bâtir, à notre sens, un
corpus
de doctrine sur ce que
doit être un ministère public en Europe, en faisant
prévaloir la conception française du ministère public.
Cette conception ne nous paraît en aucun cas devoir céder à
des modes privilégiant la non-existence d'un ministère public au
nom d'une conception anglo-saxonne de l'action publique. Le Conseil de l'Europe
est un des vecteurs par lesquels nous pouvons essayer de maintenir l'influence
de la tradition juridique française dans les pays européens et de
l'exporter vers les Pays de l'Est, qui se constituent actuellement une
magistrature et un corps de doctrine. Enfin, le dernier organisme est
l'Association internationale des procureurs, qui est reconnue par
l'Organisation des Nations-Unies où elle dispose d'un statut consultatif.
L'Association internationale des procureurs porte le rayonnement de la
pensée juridique française, et permet de nouer des liens directs
entre procureurs de différents pays.
M. le Président -
Vos propos sont propres à susciter de
nombreuses questions, mais compte tenu des contraintes horaires auxquelles nous
sommes soumis, je ne donnerai la parole qu'au rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Je ne poserai qu'une question, dans
la mesure où votre exposé a répondu à l'essentiel
de nos interrogations, ce dont je vous remercie. Je m'interroge, concernant les
mesures alternatives aux poursuites en matière pénale, sur la
disparité qui existe entre les différents parquets et les
différentes cours d'appels : le recours à de telles mesures varie
de 10 % à 30 % selon les cours d'appel et de 4 % à pratiquement
50 % selon les parquets. A quoi tient une telle disparité ? En quoi
est-elle liée au développement de l'approche anglo-saxonne, d'une
part, du « plaider coupable », d'autre part ?
M. André Ride -
Les mesures alternatives recouvrent notamment le
rappel à la loi, la médiation pénale et la composition
pénale. Ces mesures ont fait l'objet au moment de leur mise en place de
fortes réticences, qui me semblent aujourd'hui surmontées.
En effet, l'idée d'alternative n'est désormais plus
contestée, et les magistrats ont intégré l'idée que
la prison et l'amende ne constituaient pas l'unique solution en matière
pénale. Ils ont également réalisé qu'il leur
était nécessaire de disposer d'une palette de réponses
possibles, notamment parce que les condamnations avec sursis ne sont pas
adaptées à certaines conduites.
En outre, les magistrats réalisent qu'il leur est impossible de tout
prendre en charge et que le recours à des mesures alternatives, par les
délégués du procureur par exemple, permet d'éviter
le classement de certaines procédures ainsi que l'engorgement du
tribunal correctionnel, parfois contraint de traiter des procédures qui
ne devraient pas l'être par une juridiction répressive.
Globalement, les mesures alternatives ne soulèvent donc plus de
réticences.
Les différences de chiffres que vous évoquez ont probablement
trait, d'une part, à une question de moyens, et, d'autre part, à
la définition du concept de mesures alternatives. Notamment, les rappels
à la loi et les injonctions de régularisation, déjà
pratiqués autrefois, sont-ils comptabilisés comme mesures
alternatives ?
Par ailleurs, la composition pénale n'a pas encore atteint sa vitesse de
croisière. En effet, elle n'est pas complètement assimilée
et est extrêmement complexe à mettre en oeuvre. Cette
procédure devra donc probablement être simplifiée. La
circulaire afférente à cette procédure témoigne de
cette complexité.
M. le Rapporteur -
Effectivement.
M. André Ride -
Notamment, les possibilités d'allers et
retours devant le juge sont trop nombreuses.
Dans certaines juridictions cependant, la concertation nécessaire entre
le président et le procureur pour déterminer les affaires qui
relèveront de cette procédure et ses modalités
d'application, ont permis une mise en oeuvre de la loi.
Ces dispositions ont été prises pour tenir compte de l'avis du
Conseil constitutionnel. Il me semble qu'il aurait été
néanmoins préférable d'appliquer la même logique que
les administrations qui infligent un certain nombre de pénalités,
et de détacher l'application de ces pénalités du processus
judiciaire.
Une simplification du dispositif me semble donc nécessaire.
M. le Rapporteur -
Qu'en est-il du « plaider coupable » ?
M. le Président -
Je rappelle qu'il s'agit ici d'une mission
d'information sur l'évolution des métiers de la justice. Or le
« plaider coupable » relève de la procédure
pénale, même si cette règle a de fait une influence sur
l'instruction.
M. André Ride -
Le « plaider coupable » ne
présente aucun intérêt s'il vise à déterminer
si la personne comparaissant devant le juge reconnaît les faits qui lui
sont reprochés. Cette question est en effet posée lors de
l'audience, une fois la prévention exposée.
Le « plaider coupable » tel qu'il existe en droit anglo-saxon est
indissociable d'une négociation entre le procureur et l'avocat, d'une
part, sur la prévention, dans l'objectif d'obtenir l'abandon de certains
chefs d'accusation et, d'autre part, sur la peine, dans l'objectif d'obtenir
par l'aveu d'un délit une baisse des réquisitions. Une telle
logique est contraire à notre culture. Je ne conçois pas qu'un
marchandage soit possible entre magistrat et prévenu sur des faits
délictueux.
M. le Président -
Certaines instructions sont largement
consacrées à la culpabilité du prévenu, alors que
celui-ci a reconnu les faits. Or ces instructions devraient s'intéresser
prioritairement aux circonstances.
M. André Ride -
Certes, mais, dans une affaire complexe, l'aveu
doit être étayé par une instruction, au cours de laquelle
les faits sont établis. Ce dossier peut ensuite être
utilisé si le prévenu se rétracte.
M. José Balarello -
Monsieur le procureur général,
vous avez évoqué les assistants de justice, qui disposent
généralement d'un bac+5. Ne pourrait-on pas, après dix ans
d'activité, les nommer magistrats, si leur travail a été
exemplaire ? Leur fonction présente en effet certaines similitudes avec
les emplois jeunes, et si aucune carrière ne leur est proposée,
ils risquent de souhaiter exercer leur activité dans le privé.
Cette possibilité d'intégrer les assistants de justice au corps
des magistrats ne vous semble-t-elle pas intéressante ?
M. André Ride -
Cette possibilité pourrait être
étudiée. Je rappelle qu'il existe d'ores et déjà
une possibilité d'intégration : la commission d'avancement
permet aux meilleurs assistants de justice de devenir magistrats.
Je pense que l'allongement de la durée d'exercice de la fonction
d'assistant de justice, actuellement fixée à quatre ans,
permettrait de créer un corps d'assistants de justice. Les meilleurs
pourraient alors intégrer la magistrature, après avoir suivi en
accès direct la scolarité dispensée par l'Ecole Nationale
de la Magistrature.
M. José Balarello -
Cette perspective permettrait de
fidéliser les assistants de justice
M. André Ride -
Mon expérience à la commission
d'avancement m'incite à penser que cette possibilité offrirait un
débouché intéressant, au sein des Universités, pour
les maîtres de conférence réalisant qu'ils ne deviendront
jamais professeurs, malgré les doctorats qu'ils possèdent. Ces
personnes peuvent souhaiter se tourner vers la magistrature.
M. le Président -
Il est en effet nécessaire d'offrir une
perspective aux assistants de justice, afin d'attirer de bons
éléments. Cette fonction pourrait constituer, pour certains
jeunes, une voie d'accès vers d'autres postes. Rappelons que les
greffiers en chef peuvent accéder à la magistrature.
Audition de MM. Pierre VITTAZ, premier président de la cour
d'appel de Colmar,
président de la Conférence nationale des
premiers présidents de cour d'appel,
Olivier AIMOT, premier
président de la cour d'appel de Rennes,
membre de la
Conférence nationale des premiers présidents de cour
d'appel,
et Hervé GRANGE, premier président de la cour
d'appel de Pau,
membre de la Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel
(10 avril 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Monsieur le Président et
Messieurs les membres du Bureau de la Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel, nous sommes heureux de vous recevoir. Dans
le cadre de la mise en place par la Commission des lois du Sénat d'une
mission sur l'évolution des métiers de la justice, nous avons
quelques questions à vous poser. Peut-être pourriez-vous nous
expliquer en quoi consiste selon vous le métier de magistrat et
nous exposer brièvement les évolutions récentes les plus
notables et nous indiquer quelle place a et doit avoir le magistrat dans la
société.
M. Pierre Vittaz -
La Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel est une association rassemblant les
trente-cinq premiers présidents de cour d'appel. Elle procède
chaque année à l'élection d'un Bureau et d'un
président.
Nous considérons en fait qu'il n'y a pas un, mais deux métiers de
magistrat, soumis à des logiques très différentes. Nous
exerçons le métier de juge, qui obéit à des
standards communs à la plupart des pays européens, tandis que
d'autres collègues exercent celui de procureur.
Le juge est un arbitre entre des positions antagonistes qui opposent la
société à des particuliers ou des particuliers entre eux.
Son rôle consiste à résoudre ces conflits
d'intérêts, principalement en appliquant la règle de droit,
mais aussi, en contribuant à l'élaboration d'une solution
négociée, dans le cadre de procédures de conciliation,
d'arbitrage ou de médiation. L'intervention du juge apporte une
plus-value spécifique, liée, tout d'abord, à son statut,
qui garantit son impartialité. Cette impartialité prend la forme
de l'indépendance vis-à-vis de l'Etat et d'une neutralité
vis-à-vis des parties. La plus-value apportée par l'intervention
du juge tient par ailleurs à la procédure qu'il doit suivre, qui
correspond dans ses grandes lignes à celle définie par la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, c'est-à-dire notamment qu'elle est
contradictoire et publique. La plus-value apportée par l'intervention du
juge résulte également de sa formation et de sa culture
juridique. Elle tient enfin à la force obligatoire des jugements
rendus : ils peuvent être exécutés avec l'aide de la
force publique, en cas de besoin. La qualité essentielle du juge
réside dans son impartialité que l'organisation judiciaire doit
mettre en exergue, ce qui n'est pas le cas en France actuellement. En effet, un
même corps réunit les juges et les procureurs, ce qui entretient
un soupçon d'inféodation des juges au pouvoir exécutif,
ainsi qu'un certain déséquilibre dans le procès, du fait
de la proximité du juge et du représentant de l'accusation.
Le procureur n'est pas un juge, mais un magistrat, dont la mission est double.
D'une part, il a une mission judiciaire classique de poursuite, de
direction des enquêtes, d'autorité sur la police judiciaire, de
soutien de l'accusation à l'audience et de mise à
exécution des peines. Cette mission implique qu'il
bénéficie statutairement d'une autonomie d'appréciation
dans l'exercice de ses pouvoirs propres. Cette autonomie n'exclut pas pour
autant tout rapport avec l'exécutif, mais ces relations doivent
être encadrées, visibles, et se manifester sous la forme
d'instructions positives de poursuites et non d'instructions de ne pas
poursuivre.
D'autre part, une mission nouvelle est dévolue aux procureurs : au
cours des dernières années, il se sont vu confier des
responsabilités administratives croissantes, notamment, la charge
d'impulser et de coordonner des politiques publiques de lutte contre certaines
formes de délinquance, sous l'autorité du Gouvernement et en
liaison étroite avec les élus, dans le cadre de conseils tels que
les conseils communaux ou départementaux de prévention de la
délinquance. Lorsqu'il remplit cette mission, le procureur
exécute les instructions de l'administration centrale.
La fonction de procureur est donc hybride : ils sont les interfaces entre
le juge et les pouvoirs exécutif et législatif. Leur statut doit
prendre en compte les deux types de missions qu'ils exercent.
Il nous paraît souhaitable que les métiers de juge et de procureur
soient nettement distingués. La Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel demande depuis 1996 que cette clarification
soit opérée. Cette démarche s'impose d'autant plus qu'il
ne nous semble pas convenable qu'avec la déconcentration de la gestion
des juridictions, les moyens de fonctionnement des juges dépendent des
procureurs, c'est-à-dire, d'une des parties au procès, et
réciproquement. Nous avons toujours considéré que la
maîtrise des moyens nécessaires à l'activité
juridictionnelle conditionnait l'exercice des fonctions juridictionnelles.
Une réflexion devra être engagée sur le statut des
procureurs et leurs relations avec les juges.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
est d'avis que les membres de ces deux corps doivent être issus d'une
même école, mais que leurs serments devront être
différents, dans la mesure où leurs attributions sont
différentes.
Il conviendrait par ailleurs d'instituer deux Conseils supérieurs de la
magistrature, ou de prévoir, si l'on opte pour un Conseil
supérieur de la magistrature (CSM) unique, deux sections nettement
séparées. La Conférence nationale des premiers
présidents de cour d'appel considère, s'agissant des juges, que
le CSM devait être majoritairement composé de personnalités
extérieures au monde judiciaire, et représentant
l'exécutif et le législatif, afin d'accroître la
légitimité démocratique du juge. Nous n'avons jamais
prôné une autogestion du corps judiciaire. Il sera parfaitement
possible, sous certaines conditions, de passer d'un corps à l'autre, de
la même manière que les avocats peuvent devenir magistrats, et
inversement. Cette clarification des métiers de juge et de procureur
constitue un préalable indispensable à l'instauration d'un
véritable statut du parquet. Elle permettrait en outre d'harmoniser
l'organisation judiciaire française avec celle de pratiquement tous les
autres pays de l'Union européenne ou du Conseil de l'Europe.
D'autres évolutions sont souhaitables.
Il conviendrait notamment que le juge soit recentré sur son
activité juridictionnelle, et dégagé de la gestion de
situations dans la durée, en référence à des
critères flous, tels que l'intérêt de l'enfant ou la
réinsertion sociale. En effet, la gestion de telles situations comporte
un risque de personnalisation excessive et de prise de décisions
arbitraires. Nous avons en particulier soutenu le processus de
juridictionnalisation de l'application des peines, qui a institué une
procédure contradictoire, prévoyant notamment la présence
de l'avocat, l'obligation de motivation des décisions, la
possibilité de faire appel. La même démarche est
actuellement en cours concernant le juge des enfants.
Il importe en outre de favoriser le développement de solutions
négociées, telles que la médiation ou la conciliation
préalables à la saisine du juge. Nous pensons que les avocats ont
un rôle primordial à jouer dans ce processus.
Par ailleurs, la Conférence nationale des premiers présidents de
cour d'appel est favorable à une restauration de la
collégialité pour les affaires le justifiant. En effet, la
collégialité a été progressivement
abandonnée pour faire face aux urgences. Nous pensons cependant pour la
pratiquer dans nos cours d'appel que la collégialité constitue un
instrument qui favorise la formation des juges, la pondération et la
qualité des décisions.
Enfin, la Conférence nationale des premiers présidents de cour
d'appel souhaite que le législateur se penche sur la déontologie
des juges, et que le corpus en la matière, qui est actuellement celui de
la jurisprudence du CSM, fasse l'objet d'une loi.
M. Olivier Aimot
-
Il nous semble par ailleurs
important, à propos des procédures de conciliation et de
médiation, de délimiter clairement le périmètre
d'intervention des magistrats, afin de déterminer les moyens devant
être dédiés à la magistrature. Ces moyens devraient
en effet être adaptés selon l'évolution de la fonction de
magistrat. Actuellement, leur activité est consacrée, d'une part,
en matière civile à plus de 50 % aux affaires familiales,
dont les quatre cinquièmes sont simples juridiquement, mais exigent
qu'un temps considérable y soit consacré, et, d'autre part, en
matière pénale, à la petite délinquance ou à
la délinquance routière. En Bretagne par exemple, la
moitié de l'activité pénale des tribunaux correctionnels
est relative à la délinquance routière, due notamment
à des problèmes d'alcoolémie.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
souhaiterait que la question du nombre des magistrats et celle des moyens mis
à leur disposition, soit clarifiée. Si l'actuel
périmètre devait rester inchangé, il apparaît
clairement que le projet de mise en place, à court ou moyen terme, de
1.200 magistrats supplémentaires serait insuffisant. En revanche,
avec un périmètre redéfini, le nombre actuel pourrait
être très suffisant.
En outre, la réflexion ne devra probablement pas être circonscrite
au corps des magistrats, dans la mesure où il existe un corps de
fonctionnaires : greffiers en chefs et greffiers. Quel rôle
doivent-ils jouer ? Leurs attributions doivent-elle être limitées
à des tâches traditionnelles, sachant que cette restriction leur
donne le sentiment d'exercer une tâche foncièrement
différente de celle des magistrats, et parfois, d'être
placés dans une position subalterne par rapport à eux ? Peut-on
envisager qu'ils apportent une valeur ajoutée à un travail en
équipe, dans laquelle ils assisteraient le juge ? Des réflexions
à ce sujet sont en cours au sein des organisations syndicales de
fonctionnaires.
M. Hervé Grange -
L'accroissement de la saisine du juge a
constitué l'une des évolutions marquantes du métier de
magistrat. Au cours des vingt-cinq ou trente dernières années, le
nombre d'affaires présentées aux juridictions a été
multiplié par trois.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
remarque qu'en substance, les juges constatent que devenus les maîtres
Jacques de la société, ils perdent souvent beaucoup de temps
à des tâches dérisoires et ils déplorent de rendre
un service de mauvaise qualité.
Par ailleurs, ce qui caractérise le juge dans une démocratie, ce
n'est pas qu'il soit associé à la recherche participative des
modes régulatoires, ce n'est pas non plus qu'il puisse être saisi
directement et immédiatement dès que le moindre problème
se pose, et moins encore lorsqu'il s'agit seulement de traiter une
difficulté particulière, c'est qu'il soit accessible lorsque
aucune solution n'a pu être trouvée à un conflit. Il ne se
justifie en effet qu'au sein du conflit, conflit privé ou conflit mixte
d'ordre pénal, et il ne peut alors constituer que l'ultime recours. La
Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel est
attachée à la promotion du rôle du juge comme ultime
recours.
M. Pierre Vittaz -
La question de la subsidiarité du
rôle du juge est également primordiale. Il importe de mettre en
place des acteurs qui s'attacheront à résoudre les litiges de
moindre importance. Dans ce cadre, le juge interviendrait comme recours. Il
n'agirait directement que dans les matières formant le noyau dur de sa
fonction, notamment la protection des droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
La Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel a
émis un certain nombre de propositions :
- déléguer au parquet les procédures gracieuses,
c'est-à-dire non fondées sur un conflit ou un litige ;
- déléguer aux collaborateurs du juge certaines tâches,
à l'instar de l'Allemagne, où des greffiers en chef prennent en
charge toute une série d'attributions.
M. le Président -
Notre société tend à
se judiciariser, sous l'impulsion des citoyens et parfois, des auxiliaires de
justice. Parallèlement, le besoin d'une justice de proximité
s'affirme. Dans le contentieux familial, les compétences du juge se sont
accrues, à tel point qu'il est parfois conduit à prendre des
décisions qui ne relèvent plus du juridictionnel, mais parfois,
de la psychologie. Corollairement, la médiation familiale s'est
développée, et figure dans certains textes récents. La
justice demeure cependant lointaine pour bon nombre de nos concitoyens.
Cependant, sans décisions de justice, les conflits ne peuvent être
résolus. Il revient en effet au juge de trancher les conflits. Des
alternatives existent uniquement parce que la justice ne dispose pas des moyens
suffisants à l'accomplissement de sa mission. Ces alternatives se sont
développées par défaut : par exemple, le juge unique
a été institué pour pallier les difficultés
sous-jacentes à la collégialité. Dans les
procédures judiciaires, notamment pénales, ne serait-il pas
préférable de recourir à un juge plutôt par exemple
qu'à des délégués du procureur ?
M. Olivier Aimot -
A l'occasion de notre dernière
conférence, nous avions partiellement répondu à cette
interrogation, en affirmant notre souhait que le juge constitue un recours
intervenant après un travail effectué en amont. Ainsi, le juge ne
pourrait être saisi que si une solution amiable, conciliée,
arbitrée ou négociée a été réellement
recherchée au préalable et ce, conformément aux principes
posés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, c'est-à-dire dans un cadre
contradictoire et prévoyant une assistance aux parties, évitant
tout déséquilibre entre elles.
La judiciarisation s'impose de fait à nous et ce, pour diverses raisons.
Dans ce contexte, il serait bon que le juge n'intervienne qu'en recours,
c'est-à-dire une fois un premier degré de résolution des
litiges proposé. Aujourd'hui, la Cour de cassation est d'ailleurs
elle-même confrontée aux recours devant la Cour européenne
des droits de l'homme. Pour un certain nombre d'affaires, il existe donc un
quatrième niveau de juridiction. Ces tendances ont incité la
Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel
à réfléchir aux conditions de recevabilité de la
saisine du juge.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Vos explications montrent
clairement que le juge doit recentrer ses activités sur le domaine
juridictionnel, et se poser en recours. J'en déduis que le juge devra
être libéré d'un certain nombre de tâches
administratives.
M. Pierre Vittaz -
Absolument.
M. le Rapporteur -
Le juge ne devrait, selon vous, n'être
saisi qu'en cas d'échec des procédures préalables de
conciliation et de médiation, notamment. Vous considérez
probablement que ce travail de préparation doit être
effectué sous l'autorité d'un magistrat. Si tel est le cas, quel
magistrat prendra en charge cette fonction ?
La justice est fort complexe, ce qui rend indispensable une simplification de
son fonctionnement. Comment envisagez-vous l'organisation de la justice de
proximité par rapport à l'organisation générale de
la justice, non pas en termes de procédures, mais d'évolution des
métiers de justice? Que pensez-vous par exemple du regroupement des
tribunaux d'instance et de grande instance dans un tribunal de première
instance. Un tel regroupement modifiera-t-il les rôles respectifs des
magistrats ? Ne risque-t-il pas d'ôter aux juges d'instance leur
principale utilité, qui est d'être au contact des citoyens ou bien
permettra-il de les renforcer dans cette mission ? Quelle place donner aux
Maisons de la justice et du droit, qui accomplissent une mission de
conciliation ? Comment organiser efficacement le travail des juges, des
Maisons de justice et du droit, des médiateurs, conciliateurs, et des
délégués des procureurs, et ce, dans le cadre d'une
justice plus simple, moins lourde et, donc, plus sereine ?
M. Pierre Vittaz -
Dans notre optique, le travail de
préparation n'est pas effectué par le juge, mais par des
médiateurs ou des conciliateurs de justice, qui existent d'ores et
déjà, et font d'ailleurs un excellent travail. Le juge peut
parfaitement intervenir pour désigner un médiateur. Nous estimons
par ailleurs que les avocats ont un rôle primordial à jouer en la
matière : ils doivent engager une négociation avant de
lancer une assignation et saisir la juridiction. Il serait bon que le travail
préparatoire soit effectué sous le regard du juge, mais par
d'autres que lui.
Concernant la justice de proximité, il ne faut pas à mon avis
créer de nouvelles structures, mais développer celles qui
existent, notamment le juge d'instance. Je travaille dans une cour d'appel
où, par tradition, les juges d'instance sont nombreux et
compétents : ils rendent une justice de qualité. Il ne
s'agit pas, en instituant un tribunal de première instance, de dessaisir
les juges d'instance de certaines de leurs attributions, mais de leur confier
d'autres attributions. Dans une logique similaire, nos voisins d'Outre-Rhin ont
confié au juge d'instance le traitement des affaires familiales, dans la
mesure où ce contentieux constitue un contentieux de proximité.
Nos concitoyens n'expriment pas tant un besoin de proximité
géographique que le souhait de pouvoir aisément obtenir un
certain nombre de renseignements notamment sur la conduite des
procédures. Les Maisons de la justice et du droit répondent
à ce besoin. Nous sommes donc favorables au développement de ces
structures, qui ne rendent pas la justice, mais qui donnent aux personnes qui
en font la demande des renseignements d'ordre juridique, via des avocats, des
notaires ou des huissiers, par exemple. Interviennent également dans ces
structures des conciliateurs, des médiateurs, des
délégués du procureur, ainsi que tous les autres
collaborateurs du juge, par exemple, les éducateurs du service
pénitentiaire d'insertion et de probation ou de la protection judiciaire
de la jeunesse. Les Maisons de la justice et du droit ne constituent pas pour
autant un lieu d'intervention du juge.
La représentation nationale a un rôle fondamental à jouer
pour « déjudiciariser » ou du moins, limiter le
périmètre d'exercice du juge. Par exemple, le contentieux
lié aux accidents de la route a fortement diminué grâce
à la loi Badinter de 1995, de même que le contentieux lié
aux chèques depuis leur dépénalisation.
Concernant la réforme de la procédure de divorce, la
Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel a
considéré qu'il n'était pas indispensable, dans le cadre
d'un divorce par consentement mutuel, où les deux parties sont
assistées chacune par un avocat, que le juge se prononce sur l'accord
conclu. Dans une telle logique, peut-être serait-il utile, lorsqu'un
enfant est impliqué, qu'un troisième avocat veille à la
préservation de ses intérêts. A partir du moment où
les parties sont d'accord sur le principe du divorce et sur ses
modalités, et où elles ont bénéficié des
conseils de professionnels, il n'est pas nécessaire que le juge
intervienne. Cette démarche permettrait d'alléger la tâche
des juges. Ils sont actuellement sollicités très
fréquemment pour des demandes d'augmentation ou de réduction de
pensions alimentaires. Il serait plus judicieux qu'un organisme social
rencontre les parties dans le cadre d'une démarche de conciliation, et
que le juge n'intervienne que dans l'hypothèse où aucune entente
n'est trouvée.
M. le Président -
Cette démarche est utilisée
dans le domaine des aides sociales. Une proposition est faite aux familles, et
il n'est fait recours au juge que si cette proposition est refusée.
M. le Rapporteur -
Vous considérez que l'organisation du
tribunal de grande instance et des tribunaux d'instance sous la forme du
tribunal de première instance (TPI) pourrait permettre d'accroître
les moyens dont disposent les juges d'instance. Ne pensez-vous pas que cette
organisation risque de mettre à mal leur indépendance et leurs
motivations ? En outre, le président du TPI sera en outre
peut-être tenté d'utiliser ces juges à d'autres fins que
celles prévues initialement.
M. Olivier Aimot -
L'idée de TPI est née en partie des
réflexions de premiers présidents ayant travaillé dans les
territoires d'outre-mer, où la distinction entre tribunal de grande
instance et tribunal d'instance n'existe pas. L'organisation judiciaire de ces
zones, structurée autour de tribunaux de première instance, nous
est apparue satisfaisante. Les réflexions de ces premiers
présidents ont été présentées à la
Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, qui
les a largement adoptées, du fait des avantages sous-jacents à
une organisation centrée sur un TPI :
- regroupement en une seule juridiction de l'ensemble des attributions du
premier degré, soit actuellement celles de l'instance et de la grande
instance ;
- prise en compte de la réalité du terrain dans l'affectation de
magistrats.
Prenons par exemple le tribunal d'Ambert, situé à
80 kilomètres de Clermont-Ferrand. La présence autour
d'Ambert d'un bassin d'emplois justifie une présence judiciaire. Il
importe d'adapter cette infrastructure à l'évolution
économique et démographique du bassin d'Ambert.
Dans le cadre de l'organisation que nous proposons de mettre en place, le juge
en charge de la section du tribunal d'Ambert exercerait une activité
complète : à une activité traditionnelle d'instance,
faible, il pourrait, par exemple, ajouter, à périmètre
judiciaire constant, du contentieux des affaires familiales de son ressort
géographique ; il pourrait par ailleurs traiter les affaires
correctionnelles jugées à juge unique, actuellement prises en
charge par la juridiction de Clermont-Ferrand.
Une telle organisation territoriale, outre qu'elle facilite l'adaptation de la
localisation des postes de magistrats et de fonctionnaires à
l'évolution de la démographie et de l'activité du ressort,
permettrait à des jeunes avocats de s'installer non plus au siège
du tribunal de grande instance, mais dans telle ou telle section, ce que
certains font déjà devant certains tribunaux d'instance en
Bretagne. Les avocats dans un tel cas remplissent leur fonction traditionnelle,
mais jouent également un rôle de conseil. Un tel schéma
pourrait être par ailleurs, un facteur d'aménagement du territoire.
Je ne cache pas que les juges d'instance ne sont pas très favorables
à une réorganisation de ce type.
M. Hervé Grange -
Je rejoins les propos tenus sur les juges
d'instance. Vous avez fait remarquer que la Conférence nationale des
premiers présidents de cour d'appel, souhaitait les juges soient
dégagés des activités non juridictionnelles. En tout
état de cause, les présidents et, en particulier, les Premiers
présidents souhaitent conserver la maîtrise des moyens de
fonctionnement de leur juridiction, afin de préserver leur
indépendance et leur impartialité.
M. le Président -
La direction est partagée entre le
premier président et le procureur général. Cette
organisation fonctionne généralement bien, mais elle suppose une
bonne entente entre ces deux acteurs. Le greffier en chef joue lui aussi un
rôle important. Dans les mairies, le secrétaire
général ou le directeur général des services
endosse un rôle d'exécution, alors que le maire a un rôle
d'impulsion. Le réel problème réside dans la double
direction premier président-procureur général plutôt
que dans la relation entre le premier président et son greffier en chef,
qui prévaut dans l'organisation administrative française, que ce
soit dans les communes, les départements ou les régions.
M. Hervé Grange -
Ce fonctionnement ne présente pas
de difficulté majeure, dans la mesure où il est clairement
spécifié que les chefs de juridiction et les chefs de cour
gardaient autorité sur les fonctionnaires de justice et sur leur
greffier en chef.
La situation des maires du palaisnous est parfois opposée. Or
les maires du palais n'ont endossé le rôle qui
était le leur uniquement à l'époque des rois
fainéants !
M. Jean-Pierre Sueur -
J'ai été très
impressionné par l'intervention liminaire de Monsieur le
Président. Pour que le chef de cour conserve la maîtrise sur les
personnels, les locaux et les moyens matériels, le procureur
général responsable du parquet doit lui aussi avoir cette
maîtrise. Le principe est fort séduisant, mais des situations
similaires ont soulevé des difficultés : il a fallu
déterminé, dans certains locaux, ce qui relevait du préfet
de ce qui relevait du conseil général. Il a parfois fallu
diviser la direction départementale de l'équipement en deux,
tandis que certains locaux accueillent trois universités.
L'expérience prouve que l'organisation que vous prônez engendre
parfois des complications majeures. Est-il judicieux de faire coexister deux
systèmes visant tous deux à gérer les moyens de la
structure ? Ne pourrions-nous pas imaginer qu'un acteur du type
secrétaire général prenne en charge cette
tâche ?
M. Pierre Vittaz -
Un tel système prévalait avant la
fonctionnarisation des greffes : le parquet disposait d'un
secrétariat autonome. Nous considérons que la maîtrise des
moyens de fonctionnement du juge ne peut dépendre d'une des parties au
procès. En outre, la situation actuelle est marquée par un fort
déséquilibre : dans une cour d'appel ou dans une
juridiction, les trois quarts des magistrats, fonctionnaires et personnels
dépendent directement du premier président. Cette situation est
tout à fait atypique et, dans la pratique, elle n'est pas saine. En
effet, elle engendre parfois des conflits de personnes. L'accord ne se fait
fréquemment que sur le plus petit dénominateur commun, et il
s'avère fort difficile de mettre en oeuvre à deux et dans la
durée une bonne gestion.
Votre proposition que les grandes orientations émanent du premier
président et que l'administration soit composée de personnels
formés pour les mettre en pratique recueille notre assentiment.
Mme Michèle André -
Monsieur le premier président
Aimot a indiqué que l'organisation prévalant dans les territoires
d'outre-mer lui semblait plus intéressante qu'en France
métropolitaine. Comment est née cette différence ?
M. Olivier Aimot -
Du fait de la présence française,
une organisation judiciaire a été instituée dans les
territoires d'outre-mer, mais faute de moyens, et en raison de l'étendue
de la plupart des ressorts, le principe du juge unique puis du tribunal de
première instance a été adopté. A l'usage, il s'est
avéré que ce système fonctionnait bien.
Concernant les relations avec les greffiers en chef, il importe que le
rôle de chaque acteur soit clairement défini. Vous avez
indiqué que dans les mairies, le
secrétaire général exécutait les orientations
et les décisions prises par le maire. Le code de l'organisation
judiciaire prévoit que les chefs de cour et de juridiction sont
responsables de la bonne marche de leur juridiction et que le greffier en chef
travaille sous l'autorité des chefs de cour et de juridiction. Cette
autorité est cependant limitée : en cas de conflit, le
greffier en chef n'est pas tenu d'exécuter les instructions positives et
formelles données par les chefs de cour et de juridiction. Un article du
Code de l'organisation judiciaire dispose en effet que les chefs de cour et de
juridiction ne peuvent se substituer au greffier en chef dans l'exercice de ses
fonctions vis-à-vis des fonctionnaires de son greffe. L'autorité
qu'ont les chefs de cour et de juridiction sur le chef de greffes est donc en
pratique limitée. Des précisions quant au rôle respectif de
chaque acteur doivent donc être apportées.
Concernant la gestion des moyens matériels, nous ne souhaitons pas,
notamment, être responsables des marchés ou des appels d'offres.
En revanche, il est tout à fait clair que ceux qui auront à
mettre en oeuvre les choix budgétaires effectués, après
avis des assemblées générales, à droit constant par
les chefs de cour ou de juridiction, devront le faire sous leur autorité
réelle : les choix opérés doivent pouvoir être
imposés.
M. le Rapporteur -
Concernant les assistants de justice,
pourrait-on envisager de mettre en place un corps d'assistants
bénéficiant d'un véritable statut afin de pallier
l'actuelle précarité qui caractérise cette fonction ?
Ces assistants seraient-ils dans ce cas des juges adjoints, des
référendaires ou des référendaires qui, pour
certaines tâches, travailleraient en tant que juges adjoints ?
Ne pensez-vous pas par ailleurs qu'une séparation entre parquet et
siège engendrerait une fonctionnarisation des procureurs ? Ces
derniers ne risquent-ils pas de perdre progressivement leur statut de
magistrat ?
Enfin, est-il nécessaire de prévoir un juge d'instruction dans
chaque tribunal de grande instance ?
M. Pierre Vittaz -
Nous avons réfléchi à la
place des assistants de justice et il nous est apparu que leur présence
dans les juridictions était trop éphémère. Les
assistants de justice sont en effet des étudiants, dont les plus
brillants quittent rapidement leur fonction, dès qu'ils sont
reçus à un concours. Les juridictions ont au contraire besoin de
collaborateurs permanents.
Or elles disposent d'ores et déjà de tels collaborateurs, sous la
forme de greffiers en chefs. Il est parfaitement envisageable de confier
à ces collaborateurs d'autres attributions que celles qu'ils exercent
actuellement. Les greffiers en chef sont majoritairement titulaires d'une
maîtrise en droit et sont nos collaborateurs naturels. Peut-être
n'est-il en conséquence pas nécessaire de créer un nouveau
métier. Dans un second temps, il conviendrait de faciliter le passage
des greffiers en chef dans la magistrature, sur le modèle de ce qui se
pratique en Alsace. Cette perspective présente en outre
l'intérêt de créer des liens entre les magistrats et les
greffiers en chefs.
Concernant la fonctionnarisation du parquet, nous avons toujours
considéré que les magistrats de parquet devaient être des
magistrats, en raison du caractère judiciaire de leur fonction et de
l'autonomie de décision que cela impliquerait. Nous
réfléchissons à leur statut, mais nous n'envisageons pas
qu'ils puissent devenir des fonctionnaires. Dans la plupart des pays
européens, les membres du ministère public ne sont d'ailleurs pas
des fonctionnaires, mais des magistrats qui ne souffrent pas de la
non-maîtrise des moyens de fonctionnement du juge, dès lors qu'ils
disposent librement de leurs propres moyens.
Par ailleurs, la Conférence nationale des premiers présidents de
cour d'appel ne s'est pas prononcée sur le fait qu'il soit
nécessaire ou non de prévoir un juge d'instruction dans chaque
tribunal de grande instance.
M. Hervé Grange -
Il se dit parfois que les petites
juridictions, notamment les juridictions à une Chambre, n'ont pas
forcément besoin d'un juge d'instruction. Il se dit également
qu'un tribunal sans juge d'instruction ne mérite pas non plus de
procureur, ce qui condamne le tribunal concerné à plus ou moins
brève échéance. Ainsi, un tribunal d'instance de mon
ressort est confrontée à cette menace, ce qui n'est pas sans
créer une forte émotion : les élus et les avocats
craignent que cette juridiction ne soit en train de mourir.
Je rejoins l'analyse sur les greffiers, avec cependant une nuance. Le passage
de la fonction de greffier à celle de magistrat peut être
souhaitable, mais ne doit pas constituer un but en soi. L'important est que la
fonction de greffier soit suffisamment attractive pour qu'il soit possible de
faire carrière au sein de ce corps, afin de ne créer aucune
frustration.
M. Pierre Vittaz -
La carrière de greffier pourrait
comprendre une option plus administrative et une option plus judiciaire. Ainsi,
un greffier en chef qui aura assisté un juge pendant un certain nombre
d'années préférera sans doute continuer dans cette
fonction, plutôt que de retourner à la direction d'un greffe.
Inversement, un greffier qui aura dirigé un service administratif
régional pourra préférer continuer dans cette voie.
M. Olivier Aimot -
Concernant le juge d'instruction, nous nous
plaçons dans la logique exposée précédemment. Nos
réflexions sur la carte judiciaire, et sur l'éventualité
d'un tribunal de première instance ont révélé que
ce problème se réglait de lui-même, même si certaines
réticences se feront jour inévitablement.
Dinan est l'une des plus petites juridictions de France. Elle est située
à 25 kilomètres de Saint Malo, à une
cinquantaine de kilomètres de Saint-Brieuc et fonctionne
parallèlement aux juridictions de Guingamp et de Morlaix. La juridiction
de Dinan comporte au total quatre magistrats du siège, un
président et un vice-président, un juge d'instruction et un juge
des libertés et de la détention. Une mutualisation est
opérée avec Saint Malo, ce qui revient de fait à
régionaliser la fonction de juge des libertés et de la
détention. Matériellement, nous serons donc
inéluctablement conduits à ce que les juridictions comprennent
une structure de proximité, qui ne sera pas de plein exercice :
cette juridiction de proximité non spécialisée disposera
d'attributions très larges, mais qui excluront, par exemple le
contentieux de la détention et d'autres contentieux
spécialisés.
M. le Président -
Je vous rappelle que nous traitons de
l'évolution des métiers de la justice et non de l'organisation de
la justice. Les premiers présidents ont en tout cas défini une
voie permettant de réformer en douceur la carte judiciaire !
M. José Balarello -
Le principal problème auquel la
justice est confrontée réside dans l'encombrement de certaines
juridictions. Ayant été avocat, je considère que le
citoyen devrait réaliser que bien que les affaires pénales soient
très fréquemment évoquées, les affaires civiles,
administratives, commerciales et prud'homales sont cinq fois plus
nombreuses que les affaires pénales. La médiatisation à
outrance de certaines affaires constitue une dérive et il me
paraît inexact de parler de judiciarisation.
Certaines cours d'appel sont très encombrées. J'ai exercé
dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'une des cours les plus
encombrées de France. Cette cour a d'ailleurs été
condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, en raison
de la lenteur des procédures : des affaires relatives au droit du
travail n'étaient traitées qu'après
quatre années d'attente.
Il apparaît nécessaire d'accorder davantage de moyens à la
justice, mais aussi de la réformer. Ne pensez-vous pas qu'un
problème de compétence se pose ? Notamment, de nombreux
délits encombrent les tribunaux correctionnels alors qu'ils devraient
être du ressort du tribunal de police. Ne revient-il pas au
législateur de réformer l'organisation de la justice ? Ne
serait-il pas nécessaire de transformer certains délits en
contraventions ?
M. Pierre Vittaz -
Nous sommes favorables à l'extension du
champ d'application de l'ordonnance pénale aux délits. Des
tentatives en ce sens ont malheureusement achoppé sur une
décision du Conseil constitutionnel. Une telle évolution est
pourtant nécessaire, la composition pénale se
révélant trop lourdement structurée, et impraticable.
En outre, il apparaît clairement que l'évolution vers une
procédure semi-accusatoire et le développement des droits de la
défense conduisent à un allongement des audiences et à
engorgement des rôles. Or à long terme, nous ne pourrons pas
maîtriser cette évolution en nous contentant d'augmenter le
nombre de juges. Pour cette raison, la conférence s'est
déclarée favorable à la notion de
« plaider coupable », c'est-à-dire à une
simplification du procès correctionnel. Il n'y a pas souvent de
discussion sur la culpabilité : la discussion publique à
l'audience s'établirait sur la sanction et sur l'indemnisation des
parties civiles, ce qui permettait d'accélérer le traitement d'un
certain nombre d'affaires. Pour autant, nous n'envisageons pas une mise en
oeuvre du
« plea bargaining » américain.
M. José Balarello -
Vous avez indiqué que le
législateur devait intervenir en matière de déontologie.
Qu'envisagez-vous à ce sujet ?
M. Pierre Vittaz -
Nous pensons que les règles organisant
l'exercice du métier de juge devraient être de nature
législative. La jurisprudence élaborée par le Conseil
supérieur de la magistrature devrait être formalisée et
complétée par la représentation nationale.
M. José Balarello -
Que pensez-vous de la
médiatisation d'un certain nombre de vos collègues ? Une
telle médiatisation n'avait pas cours il y a quelques années.
M. Olivier Aimot - A
près celui mis en place à Paris,
un deuxième poste chargé de communication auprès d'une
cour d'appel a été créé à Rennes. A
l'occasion de la réintégration de la cour d'appel dans le palais
du Parlement de Bretagne, plusieurs manifestations ont été
organisées. Ces manifestations, ouvertes à la population, ont
été une réussite. Il nous est alors apparu
intéressant qu'une personne prenne en charge la diffusion de la
connaissance de l'institution. Un chargé de communication a donc
été recruté, et plusieurs actions ont été
engagées. Un journal,
Questions de justice
, a été
édité, et est décliné dans les colonnes d'un grand
journal régional. Cette voie, à condition d'être
structurée, peut constituer une réponse à l'actuelle
demande d'information et de transmission des connaissances, présentant
l'avantage de ne pas impliquer le juge.
M. Pierre Vittaz -
Sur le fond, nous considérons que dans
une affaire en cours, le juge, contrairement aux parties, n'a pas à
s'exprimer.
M. le Président -
Messieurs les premiers présidents,
je vous remercie.
Audition de M. Laurent MARCADIER,
substitut du procureur du
tribunal de grande instance de Créteil,
secrétaire
général,
et de
Mme Sonya DJEMNY-WAGNER,
secrétaire général
adjoint de l'association des magistrats du parquet
(10 avril
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest,
président,
puis de M. Jean-Pierre Sueur, vice-président
M. Jean-Jacques Hyest, président -
Nous
vous recevons en qualité de responsables de l'Association des magistrats
du parquet. La commission des Lois du Sénat a en effet souhaité
réfléchir à l'évolution des métiers de la
justice et, notamment, celui de magistrat. Notre réflexion inclut les
notions de proximité et de spécialisation. Plusieurs questions
lui sont sous-jacentes. Les magistrats doivent-ils avoir une carrière
distincte au siège et au parquet ? Est-il préférable
que les métiers soient plutôt spécialisés ou
plutôt généralistes ?
Les entretiens de Vendôme ont été l'occasion d'engager des
réflexions à ce sujet.
M. Laurent Marcadier -
Je tiens à vous remercier,
au nom de l'Association des magistrats du parquet, de nous avoir conviés
devant cette mission d'information sur l'évolution des métiers de
la justice. Notre association a été créée en
octobre 1999 et représente aujourd'hui environ 18 % des
magistrats du parquet, tous grades confondus, à savoir substituts,
procureurs de la République, avocats généraux, procureurs
généraux et procureurs de la République. 65 % des
membres de cette association sont issus d'une cour autre que celles de Paris ou
de Versailles. Dès lors que nous avons été invités
à participer aux débats de cette mission, nos membres, tant en
province que dans les arrondissements proches, nous ont fait part de leurs
réflexions. Nous gardons à l'esprit les conclusions de la mission
sénatoriale conduite en 1996 s'intitulant « quels moyens pour
quelle justice ? » et sommes de ce fait conscients de notre
responsabilité d'association représentative.
Je tenais également à vous informer qu'actuellement, l'ambiance
dans les parquets, quelle que soit leur taille ou leur implantation
géographique, n'est pas empreinte d'optimisme. Les magistrats du parquet
s'interrogent en effet sur la situation présente, mais aussi sur leur
devenir au sein de la magistrature. Ils sont actuellement confrontés au
paradoxe suivant. D'une part, leurs missions et charge de travail n'ont
cessé de croître depuis une dizaine années. En effet, les
parquets doivent faire face à une augmentation conséquente de la
délinquance, ainsi qu'à une judiciarisation toujours plus forte
de la vie publique et des rapports entre les citoyens. Rien ne semble plus
pouvoir se régler à l'extérieur d'un tribunal. D'autre
part, l'appartenance des magistrats du parquet au corps de la magistrature est
remise en cause et certains contestent leur mission de direction de la police
judiciaire. Par ailleurs, la question de l'indépendance des magistrats
du parquet se pose de manière récurrente et les réponses
qui y sont apportées varient d'année en année, voire de
semestre en semestre. Enfin, leurs conditions de travail se sont rapidement
dégradées.
Les réponses que nous serons, j'espère, en mesure de vous
apporter tiendront compte de cette inquiétude relative au statut des
magistrats et à leurs conditions de travail. Nous évoquerons
également un point sur la formation dispensée par l'Ecole
nationale de la magistrature.
Je laisse la parole à Madame Djemny-Wagner, qui évoquera la
question du statut des magistrats du parquet.
Mme Sonya Djemny-Wagner -
L'évolution marquant le
statut des magistrats du parquet n'a pas à notre sens été
menée à terme, ce qui provoque l'inquiétude de nos
collègues, dans la mesure où nous assistons à une remise
en cause récurrente de leur qualité de magistrat et de leur
qualité de membre du corps de la magistrature. Notamment, nous avons lu
un certain nombre d'interventions qui prônent, au nom d'une meilleure
lisibilité du système judiciaire et d'un modèle unique de
procès pénal, une modification du statut des magistrats du
parquet, qui consacrerait une rupture de l'unité du corps de la
magistrature ou une fonctionnarisation pure et simple des membres du parquet.
On nous oppose bien souvent le corporatisme des magistrats et des membres du
parquet. Je ne nie pas qu'à l'instar de tous les autres corps, les
magistrats défendent leurs intérêts. Il faut cependant
garder à l'esprit, lorsque l'on aborde la question du statut des membres
du parquet, que des intérêts divers entrent en jeu. Ils recouvrent
tout d'abord ceux des avocats, dont certains souhaitent tendre vers un
modèle de procédure pénale à l'anglo-saxonne, qui
leur confèrerait un plus grand rôle en termes de direction des
enquêtes. Ils recouvrent également les intérêts des
hauts fonctionnaires et des commissaires de la police nationale : ceux-ci
ont expliqué dans un certain nombre d'écrits que le parquet ne
devait plus diriger la police judiciaire, et se contenter d'intervenir
a posteriori
, sur courrier. Cette vision archaïque du parquet
constitue un retour en arrière de vingt ou trente années. Les
intérêts exprimés au sein du parquet recouvrent par
ailleurs ceux de nos collègues du siège, également
inquiets. Ces derniers ont l'impression, le parquet étant remis en
cause, qu'ils pourront renforcer leur légitimité en se
différenciant de lui.
Il est vrai que les écrits publiés dans la presse ont une grande
portée, mais ils ne reflètent pas nécessairement le point
de vue de l'ensemble des acteurs du système judiciaire. De nombreux
avocats sont attachés au corps unique de la magistrature. Il me semble
nécessaire de rappeler que les magistrats du siège sont
également très majoritairement attachés à
l'unité du corps de la magistrature, contrairement à ce que
laisse entendre un certain nombre de parutions ou de prises de position
récentes.
Cet attachement au statut actuel du parquet et à la poursuite d'un
rapprochement avec le siège témoigne d'une exception
française. Cette notion, selon le contexte dans lequel elle est
utilisée, revêt une connotation plutôt positive ou
plutôt négative. En l'occurrence, le fait que le parquet soit
membre de la magistrature apparaîtrait comme une exception
française à supprimer.
Or les membres du parquet ne sont pas une simple partie poursuivante, ce qui
constitue un élément positif. Ainsi, dans le système
français, les magistrats du parquet se posent avant tout en tant que
défenseurs des libertés individuelles, dans le cadre du
contrôle de la mesure de garde à vue, ainsi que du contrôle
des locaux de garde à vue et, de façon plus
générale, des locaux dans lesquels s'exerce une contrainte ou
dans lesquels les libertés sont diminuées, les hôpitaux
psychiatriques par exemple. Les magistrats sont également garants des
libertés dans la mesure où ils interviennent pour protéger
les mineurs, sous la forme d'une assistance éducative, ou les incapables
majeurs. Ils s'intéressent par ailleurs au suivi du déroulement
des procédures collectives devant les tribunaux de commerce. Enfin, ils
jouent un rôle croissant d'aide aux victimes et dans l'accès au
droit.
En outre, les magistrats du parquet ne jouent pas uniquement un rôle en
matière d'accusation. La conception qu'ont les magistrats du parquet de
leur fonction a évolué. La formation commune au sein de l'Ecole
nationale de la magistrature avec leurs collèges du siège a
beaucoup joué dans cette évolution. Les magistrats du parquet,
notamment les plus jeunes, refusent de soutenir l'accusation quoi qu'il arrive.
Il arrive qu'en leur âme et conscience, ils estiment en arrivant à
l'audience que le dossier ne tient pas. Il arrive également qu'ils
soient convaincus par les débats et, donc, qu'ils ne soutiennent pas
l'accusation. Les magistrats du parquet ont ainsi parfaitement le droit de dire
qu'ils ne croient pas à un dossier, et corollairement, de se placer du
côté de la défense. Par exemple, lors du dernier
procès de Patrick Dils, le magistrat du parquet a requis
l'acquittement même s'il n'a pas alors été suivi par le
jury populaire, mais il n'en reste pas moins intéressant de le noter.
Le parquet n'est pas une simple partie poursuivante également parce
qu'il défend la société. Il défend une
vérité et, s'il est une partie, il a néanmoins
l'obligation de rester objectif. Contrairement aux avocats qui défendent
leur client et une certaine version des faits, même s'ils ne croient pas
à cette version, et c'est à leur honneur, les membres du parquet
ont le devoir de défendre ce qu'ils pensent être la
vérité.
Les membres du parquet sont attachés à leur statut de magistrat,
parce qu'un pouvoir croissant leur est conféré. Des missions de
plus en plus nombreuses et importantes leur sont confiées. En outre, le
traitement en temps réel s'accompagne d'un pouvoir conséquent de
contrôle sur la police judiciaire. Il permet également la mise en
oeuvre de solutions alternatives aux poursuites. D'ailleurs, ces mouvements
d'adaptation à la réalité, au nombre croissant d'affaires
et à l'augmentation de la délinquance ont émané du
parquet, et ont ensuite été repris par des textes de loi. Les
alternatives aux poursuites constituent un pouvoir important. Notamment, la
composition pénale a conféré aux magistrats du parquet un
pouvoir comparable à celui dont disposent les juges du siège. Il
ne s'agit donc pas de remettre en cause les fonctions des magistrats du
parquet, mais de définir clairement leurs fonctions. Via la composition
pénale, les magistrats sont pratiquement en mesure de prononcer une
peine à l'égard d'une personne ayant commis une infraction.
L'accroissement des pouvoirs des magistrats du parquet s'exprime
également à travers une véritable direction de la police
judiciaire, du fait notamment de l'application de la loi du
15 juin 2000 relative à la protection de la présomption
d'innocence, et à travers les contrôles en temps réel de la
garde à vue.
Les nouveaux pouvoirs conférés aux magistrats du parquet doivent
être compensés par un statut garantissant une indépendance,
afin de leur permettre de se prononcer sans pression ni du pouvoir
exécutif, ni du pouvoir législatif, ni, d'une façon
générale, des personnes intéressées par le cours de
la justice. Dans ce but, nous appelons à un achèvement de la
réforme du statut de magistrat du parquet, et à un rapprochement
avec les magistrats du siège. Les magistrats du parquet se
considèrent en effet comme des magistrats, des juges de la poursuite. A
ce titre, leur statut doit être rapproché de celui des magistrats
du siège.
A notre sens, le statut des magistrats du parquet doit évoluer, et la
direction de la police judiciaire, s'affirmer.
M. José Balarello -
J'ai été avocat
pendant de nombreuses années et suis avocat honoraire. Si nous
introduisons la fonctionnarisation des juges, nous ne pourrons plus
procéder aux passages entre le siège et le parquet.
Mme Sonya Djemny-Wagner -
Cette possibilité de
passage entre le siège et le parquet est un argument souvent
avancé pour mettre en exergue le mélange des genres et la
complexité du fonctionnement de la justice. Je ne pense toutefois pas
que les citoyens sachent qu'il est possible de passer du siège au
parquet.
M. José Balarello -
Les journalistes ne
comprennent pas le fonctionnement de la justice, ce qui ne les empêche
pas d'écrire des articles sur la justice. Néanmoins, je ne pense
pas que la mauvaise compréhension des citoyens de l'institution
judiciaire soit imputable au statut des magistrats du parquet. D'ailleurs, il
n'est pas certain que les citoyens sachent qu'il est possible de passer du
siège au parquet. Cela nous porte préjudice. Auparavant, il y
avait très peu d'articles sur la justice.
M. Laurent Marcadier
- Pour rebondir sur les propos de
Monsieur le sénateur, je dirais que les passages entre le parquet et le
siège étaient considérés comme une source
d'enrichissement. Il est évident que dans l'esprit de ceux qui
souhaitent rompre l'unité du corps de la magistrature, il y aurait
obligation, à la sortie de l'Ecole, de choisir son appartenance aux
fonctions du siège ou du parquet, de manière définitive.
Quant à nous, nous défendons le principe de l'unité du
corps de la magistrature.
En outre, notre pouvoir de direction de la police judiciaire est
systématiquement remis en question, comme faisant porter sur le parquet
des responsabilités qui ne lui incomberaient pas. Par ailleurs, les
parquets sont remis en question s'agissant des classements sans suite. On nous
indique que nous classons trop de procédures mais une analyse plus fine
permet de constater que les instructions données par les parquets ne
sont pas respectées parce qu'ils sont confrontés à un
déficit d'effectifs au sein des services d'investigation de la police
nationale, voire de la gendarmerie. Il est évident que, dans les
ressorts urbains, la police nationale souffre d'un déficit de formation
des officiers et agents de police judiciaire et des autres agents
chargés d'exécuter les actes de police ordonnés par les
magistrats. Nous avons donc l'impression qu'au nom de la police de
proximité, on a sacrifié les services d'investigation. En tant
que tel, comment voulez-vous qu'un parquet mène à terme une
procédure et poursuive l'auteur d'une infraction lorsque le service
enquêteur répond qu'il n'est pas possible d'intervenir dans
certains quartiers difficiles ou que ses effectifs sont insuffisants.
Par ailleurs, nous sommes confrontés à un problème plus
idéologique ou philosophique. Le Syndicat des commissaires et des hauts
fonctionnaires de police remet en cause publiquement la tutelle des magistrats
du parquet sur l'action de la police judiciaire. Ce syndicat souhaite selon le
triptyque qu'il défend depuis deux ans, que les policiers
enquêtent, que les juges jugent et que le parquet contrôle a
posteriori. C'est une suppression pure et simple de l'article 12 du code
de procédure pénale. Nous estimons que les acteurs politiques et
judiciaires doivent prendre position et rappeler avec force qu'il appartient
aux seuls magistrats de diriger l'action de la police judiciaire. La police n'a
pas à faire ce que bon lui semble en mettant les magistrats devant le
fait accompli.
Nous souhaitions développer le thème de la nécessaire
participation du citoyen à l'action de la justice. L'Association des
magistrats du parquet a pris position sur la question en estimant qu'à
l'heure actuelle, il serait illusoire de voir les citoyens participer à
des formations correctionnelles. Certains peuvent déjà
siéger en tant qu'assesseurs au tribunal pour enfants. Les choses sont
différentes en matière correctionnelle. Dans nos juridictions
respectives, nous sommes tous confrontés à une pression et
à une violence croissantes sur les victimes ou sur les témoins.
Ces violences s'exportent à présent vers les juridictions
périphériques d'Ile-de-France, mais aussi à Lyon,
Bordeaux, Marseille, Lille, etc. Les violences se déroulent à
présent à l'intérieur même des salles d'audience et,
dans ce contexte, on envisage mal que des citoyens puissent juger autrui alors
qu'en sortant du tribunal, ils pourraient faire l'objet de pressions ou de
représailles.
Cette proposition présentée par Madame le garde des Sceaux dans
le cadre des entretiens de Vendôme a été débattue
dans les différentes juridictions et nos membres nous ont signalé
qu'en l'état actuel des problèmes de notre société,
la participation des citoyens aux jugements relevait de l'utopie. D'ailleurs,
sur ce thème, l'Association des magistrats du parquet a toujours
été favorable à la mise en place de programmes
spéciaux de protection des victimes ou témoins de certaines
infractions. Il s'agit ni plus ni moins que de reconstruire le lien entre les
citoyens et la justice. Nous nous sommes félicité de la loi sur
la sécurité quotidienne qui prévoit des systèmes de
protection. Nous pensons toutefois que nous devons aller au-delà.
En ce qui concerne les conditions de travail actuelles, elles sont
dégradées et les fonctions de magistrat du parquet sont
dévalorisées.
Mme Sonya Djemny-Wagner -
Il est souvent avancé
que les membres du parquet ne peuvent pas être contactés par
téléphone. Je rappelle que les tâches sont de plus en plus
nombreuses, que les magistrats travaillent en temps réel et souvent
24 heures sur 24. Si les membres du parquet ne répondent pas au
téléphone, c'est simplement parce que les appels sont tellement
nombreux qu'il devient impossible de tous les traiter. Les magistrats du
parquet travaillent sans relâche, voire la nuit, et c'est une fonction
difficile. Nous revendiquons une prise de conscience générale de
la difficulté de cette fonction. J'ai l'habitude de comparer ce travail
à celui des internes en médecine.
Vous nous avez interrogés sur la formation. L'Ecole nationale de la
magistrature est une bonne école, contrairement à l'Ecole
nationale d'administration, qui ne forme pas aux métiers pour lesquels
les élèves sont programmés. A la sortie de l'Ecole
nationale d'administration, les élèves peuvent devenir magistrat,
administrateur ou préfet sans toutefois être formés pour
ces fonctions. A l'Ecole nationale de la magistrature, les élèves
sont formés pour être magistrat, juge ou membre du parquet. Nous
sommes toutefois soucieux de l'évolution de cette école, car nous
constatons que les membres du parquet sont de plus en plus nombreux et que la
formation ne suit pas en nombre d'effectif dans les classes. Par exemple, en
spécialisation, le nombre d'enseignants est identique que l'on forme 15
juges des enfants ou 70 magistrats du parquet. De la même façon,
le contenu de la formation est inadapté.
M. Laurent Marcadier -
Les précisions que nous
avons souhaité vous apporter corroborent parfaitement le constat du
Conseil supérieur de la magistrature quant à une
désaffection croissante pour les fonctions de magistrat du parquet. Un
projet de transparence des nominations au sein du corps a été
publié ce matin. Pour un magistrat du siège qui accepte d'aller
au parquet, environ 8 ou 9 magistrats du parquet souhaitent être
nommés au siège. Le dernier tiers des élèves
sortant de l'Ecole nationale de la magistrature est souvent contraint de
rejoindre les rangs du parquet. De même pour les recrutements
parallèles. A l'issue de leur formation, ils sont orientés vers
des postes au parquet car le volontariat ne suffit plus.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Si j'ai bien compris,
vous êtes très attachés à votre qualité de
magistrat. Il faut que le parquetier soit un magistrat, non pas un accusateur,
mais un garant des libertés publiques qui peut être amené
à accuser, mais aussi à plaider l'acquittement. Par ailleurs,
vous vous prononcez en faveur de l'unité du corps des magistrats, avec
toutefois la possibilité de passer du parquet au siège et
inversement. Je n'ai entendu personne remettre en cause votre qualité de
magistrat. Vous considérez que la spécificité
française doit être maintenue, y compris dans un avenir lointain.
Puisque de nouvelles tâches apparaissent, quelles sont celles qu'il
convient de retirer ? Quelles sont celles que vous n'exercez pas et qu'il
faudrait prévoir pour plus d'efficacité, avec une justice plus
simple et rapide ? Enfin, quelle articulation cohérente et souple
envisagez-vous pour la justice de proximité et les contrats locaux de
sécurité ?
M. Laurent Marcadier -
Nos collègues parquetiers
qui ont 20 années d'expérience ont l'impression d'avoir
exercé deux métiers différents. Il y a encore une dizaine
d'années, la fonction de parquetier consistait à se rendre aux
audiences correctionnelles pour soutenir l'action publique. Le traitement en
temps réel n'existait pas. Or, à l'heure actuelle, dans certaines
juridictions, le traitement en temps réel représente 80 %
des procédures. Auparavant, le magistrat du parquet restait dans son
cabinet et traitait son courrier, les plaintes déposées par les
victimes et gérait l'action de la police judiciaire par le biais de
« soit-transmis ». Aujourd'hui, un magistrat du parquet se
déplace pour visiter les locaux de garde à vue, se rend aux
contrats locaux de sécurité, au conseil communal de
prévention de la délinquance, aux commissions de lutte contre les
troubles de jouissance dans l'habitat collectif, etc. En résumé,
les motifs de sortie de son cabinet se sont multipliés. Nous nous en
félicitons. Nous estimons que les magistrats ne doivent pas rester dans
leur tour d'ivoire, coupés de ce qui se passe dans la commune ou au sein
du département. Le magistrat doit participer aux
événements de la vie de la cité. Nous vous remettrons un
document présentant notre vision sur la politique de la ville. Le
contrat local de sécurité est un lieu où le procureur de
la République ou son représentant obtiennent des informations sur
les événements de leur ressort d'activité, mais en retour,
ils peuvent également en donner. Nous craignions que le contrat local de
sécurité impose au procureur de rendre des comptes sur telle ou
telle procédure. Hormis ce bémol, si chaque cocontractant reste
dans les fonctions qui sont les siennes, cette instance peut se
révéler positive. En tant que telle, nous ne la remettons pas en
question.
Mme Sonya Djemny-Wagner -
Nous ne demandons pas qu'on
nous retire des tâches. Tel n'est pas notre discours. Toutefois, nous
devons conserver une certaine cohérence. Par exemple, il n'est pas
souhaitable d'envoyer des substituts ou d'autres magistrats se prononcer en
plein coeur d'une cité dans laquelle les policiers ont eux-mêmes
des difficultés à se rendre. C'est pourtant ce que l'on nous
demande parfois : aller sur le terrain pour assurer la justice de
proximité sans protection aucune. Ceci n'est pas envisageable et nous
devons rester réalistes. Nous ne remettons pas en cause la justice de
proximité, mais nous demandons que les moyens soient mis en oeuvre pour
que la vie des personnels ne soit pas en jeu.
En ce qui concerne les tâches que nous n'exerçons pas, nous n'en
demandons pas plus. En revanche, nous souhaitons exercer pleinement nos
fonctions, en particulier, la direction de la police judiciaire.
M. Laurent Marcadier -
Je voudrais revenir sur le rapport
des sénateurs Fauchon-Jolibois, sur les moyens de la justice (1996-1997)
qui parlait d'une justice asphyxiée, débordée et
paralysée. En ce qui concerne la justice de proximité, nous ne
voudrions pas que les délégués du procureur ou le
médiateur ou encore la maison de justice et du droit soient une
manière de régler les problèmes juridictionnels d'un
tribunal. La création de 30 postes de délégué du
procureur ne peut en aucun cas résoudre le problème des effectifs
au sein d'un parquet.
M. le Rapporteur -
Etes-vous favorables à la
composition pénale ?
M. Laurent Marcadier -
En l'état actuel, la
composition pénale a peu été mise en oeuvre, compte tenu
des moyens nécessaires pour l'assurer. Je n'ai pas le recul
nécessaire pour vous répondre. Je ne m'oppose pas sur le
principe, mais attendons de voir avant de juger.
M. le Rapporteur -
Etes-vous favorables au
« plaider coupable » ?
Mme Sonya Djemny-Wagner -
Non. Nous parlions d'exception
française. Je ne vois pas l'intérêt d'importer ce type
d'institutions surtout si le but est de pallier un manque de moyens. A chaque
fois, ce genre de proposition intervient parce qu'il n'est plus possible de
rendre la justice dans les bonnes conditions. Greffer ce membre étranger
à notre système ne serait pas une bonne chose. Restons à
la composition pénale qui est une sorte de « plaider
coupable », acclimaté à notre système
judiciaire.
M. José Balarello -
La magistrature est
actuellement surchargée de travail. Nous avons beaucoup moins de
magistrats que les autres pays d'Europe. Ne pensez-vous pas que la
dépénalisation de certaines infractions pourrait être
envisagée ? Au cours de ces dernières années, nous
avons pénalisé à outrance. C'est la faute du Parlement,
pas la vôtre. Une solution ne consisterait-elle pas à rendre des
délits passibles de contraventions du tribunal de police ? Par
exemple, dans mon département, une affaire concernant des bergers qui
avaient tué des loups a été portée devant le
tribunal correctionnel. N'aurait-il pas été plus efficace de
porter l'affaire devant le tribunal de police ?
M. Laurent Marcadier -
Il existe un principe
d'opportunité des poursuites du parquet. Il est toujours possible de ne
pas engager de poursuites contre les bergers dont vous parlez.
M. José Balarello -
Détrompez-vous, il y en
a eu deux à Nice, hier.
Mme Sonya Djemny-Wagner -
Je ne pense pas que ce soit une
solution. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait eu un mouvement de
pénalisation. Nous avons également introduit des
dépénalisations dans le code en 1994. Le plus choquant reste
toutefois que l'on repénalise ce qui est déjà
pénalisé. On recrée des infractions très
spécialisées alors que l'on pourrait les poursuivre par d'autres
chefs d'accusation.
M. Jean-Pierre Sueur, président -
Mes chers
collègues, Monsieur le rapporteur, je pense que nous pouvons clore nos
débats.
Nous vous remercions pour votre participation, vos efforts de concision et de
clarté. Nous allons méditer vos textes.
Audition de Mme Martine de MAXIMY,
juge des enfants au
tribunal de grande instance de Paris,
vice-présidente de
l'Association des magistrats
de la jeunesse et de la famille
(24
avril 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Madame de Maximy, je vous
remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation.
Pourriez-vous tout d'abord nous présenter votre association ?
Mme Martine de Maximy
- Notre association s'appelle
l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Actuellement, les juges aux affaires familiales y sont peu nombreux.
Moi-même, je n'ai jamais exercé ces fonctions. Je peux très
bien avoir des idées globales sur ce que doit être la relation
entre le juge des enfants et le juge aux affaires familiales. Néanmoins,
concernant la pratique quotidienne, je ne peux pas me permettre de
répondre, car je la connais mal.
Je précise que le métier de juge des enfants est plus qu'une
spécialisation. Je pense que nous pouvons même parler d'un
privilège de juridiction, puisqu'il est spécialisé en
fonction de l'âge du justiciable, ce qui en fait une particularité
tout à fait spécifique. De là à vous dire que
l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille
est totalement favorable à l'idée de conserver la
spécificité de la justice des mineurs, je pense que vous deviez
vous en douter. Cette spécificité unifie notre façon de
travailler avec les mineurs. Elle donne le ton de cette justice.
M. Christian Cointat, rapporteur
- Nous voyons qu'il existe de
nombreux métiers au sein de la justice : le juge aux affaires
familiales, le juge de l'application des peines, le juge de l'exécution,
etc... Ne pensez-vous pas que tout cela ne fait que renforcer le peu de
lisibilité de la justice pour le citoyen ? Ma seconde question est
la suivante : comment voyez-vous l'évolution du rôle du juge
des enfants au cours des prochaines années ?
Mme Martine de Maximy
- Je crois que la spécialisation
des juges, notamment ceux que vous avez cités, permet une approche plus
facile des justiciables. Elle produit une justice favorisant la
compréhension et la proximité. Par exemple, le juge de
l'application des peines assure le suivi des peines, voit
régulièrement le condamné. Il peut également
modifier sa décision. Il s'agit véritablement d'une justice de
continuité.
De même, le juge des enfants, grâce à l'assistance
éducative, assure le suivi de l'évolution de ses
décisions. De notre côté, nous ne sommes pas
parcellisés. Au contraire, nous assurons une continuité,
mais de proximité. Je précise que le juge des enfants est
compétent pour un secteur territorial donné. Ainsi, non seulement
nous sommes spécialisés en fonction de l'âge, mais
également en fonction du territoire sur lequel nous exerçons nos
activités. Chaque juge agit sur un quartier, ou plusieurs communes, au
sein du département, de façon à connaître beaucoup
mieux toutes les instances locales qui participent à la vie du
département ou du quartier. Je crois que la spécialisation rend
la justice plus lisible, plus proche et plus compréhensible, car elle
lui permet d'être plus facilement interpellée par les instances,
tout en restant plus proche du justiciable. Il faut toutefois faire en sorte
que la justice ne perde pas son âme en agissant de la sorte.
Quelle peut être l'évolution du rôle du juge des enfants au
cours des prochaines années ? Je pense que le métier de
juge des enfants évolue en rapport avec les phénomènes
sociaux. Je ne pense pas qu'il puisse faire autrement. Je suis moi-même
juge des enfants depuis 1982, tout en ayant fait quelques incursions dans le
métier de juge d'instruction au cours de ma carrière. Je pense
que si nous voulons pouvoir continuer à être un peu efficaces dans
nos réponses, nous allons devoir prendre en compte différentes
approches sociales, ainsi que les théories psychologiques relatives aux
fonctionnements familiaux et à l'évolution de la
personnalité des gens. Nous sommes donc obligés de mettre en
place des stratégies nouvelles, sous peine d'être totalement
inutiles.
Par exemple, nous nous sommes aperçus que nous avions beaucoup de
difficultés à faire comprendre notre rôle à
certaines familles en situation d'immigration particulièrement complexe.
Nous ne savions pas non plus quelles étaient les solutions susceptibles
d'être apportées aux problèmes posés par leurs
enfants. Nous avons alors demandé à des intermédiateurs
culturels, qu'il s'agisse d'anthropologues, ou de psychologues, de venir
à l'une des audiences, de façon à pouvoir faire
émerger leur véritable problématique et à
déterminer le travail qu'il pourrait faire avec eux. Tels sont les
exemples d'interventions nouvelles mises en place par la justice, en
réponse à des situations nouvelles.
En ce qui concerne les mineurs isolés, nous sommes en train de mettre en
place un programme de création d'un foyer d'accueil et de prise de
contact avec les autorités roumaines. Un juge va par exemple partir en
Roumanie, afin d'assurer une liaison entre nos deux pays. Je pense que la
spécialisation de la justice des mineurs nous confère une sorte
de fluidité dans la façon dont nous pouvons faire notre travail.
Je pense que ce mode de fonctionnement n'est permis que par la
spécialisation.
M. le Rapporteur
- Ne pensez-vous pas que la
spécialisation risque d'engendrer un certain manque de recul ? Par
ailleurs, pouvez-vous nous en dire un peu plus au sujet de la
territorialisation ?
Mme Martine de Maximy
- Je ne pense pas que cette
spécialisation risque de nous étioler. J'ajoute que l'on ne parle
pas à un mineur comme l'on parle à un majeur. L'objectif n'est en
effet pas du tout le même. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un risque de
fermeture.
Pour en venir à la question de la territorialisation, je signale que, de
tout temps, nous avons été en liaison avec les acteurs de
terrain. Il n'est pas possible de travailler réellement sans eux. Il
n'est pas possible de ne pas connaître son territoire. Nous rencontrons
par exemple les travailleurs sociaux, les responsables scolaires, et ce, le
plus souvent, à notre demande. Nous sommes donc en contact avec le tissu
territorial.
La politique territoriale relève d'un autre domaine de
compétence. Je pense d'ailleurs qu'elle concerne beaucoup plus le
parquet que le juge des enfants. Le rôle du juge des enfants consiste
à travailler sur un cas individuel, même s'il prend en compte ce
qui l'entoure, afin de comprendre la question. Notre travail ne relève
pas de l'animation de quartier. De toute façon, nous n'en avons pas le
temps. Je pense en outre que nous devons conserver un relatif
éloignement. Je ne suis d'ailleurs pas la seule à le penser,
même si tous les juges ne le pensent pas autant que moi. Il demeure que
nous devons rencontrer des gens du territoire, dans le but de l'insertion et de
la prévention. Je rappelle en effet que les juges sont les garants de la
liberté individuelle.
M. le Rapporteur
- Quelle est la frontière entre les
compétences du juge aux affaires familiales et celles du juge des
enfants ?
Mme Martine de Maximy
- Il s'agit d'une question complexe.
Toute fonction judiciaire implique une redéfinition constante de sa
fonction. La fonction de juge des enfants est fondée sur la notion de
danger de l'enfant. Le juge aux affaires familiales a pour rôle de
régler un conflit parental, afin de déterminer l'autorité
parentale, et de régler un conflit éventuel sur la
résidence des enfants, ou les droits de visite. Très souvent, les
justiciables font d'abord appel au juge des enfants pour qu'il statue sur la
garde des enfants. Je pense notamment à cet exemple d'enfants vivant
avec leur père dans une île lointaine, et qui, au moment de passer
des vacances avec leur mère, déclarent vouloir rester avec elle,
sous le prétexte que leur père pratique sur eux des
attouchements, bien qu'il soit apparu par la suite que cela n'était pas
le cas. L'avocat saisi alors à la fois le juge aux affaires familiales
et le juge des enfants. Il est vrai que le juge des enfants statue en urgence.
Je reçois alors un coup de téléphone du juge aux affaires
familiales, qui me dit qu'il est dans l'incapacité de statuer tout de
suite, car le délai d'appel n'étant pas passé, il n'est
pas possible de reprendre une ordonnance. Le juge aux affaires familiales me
demande alors de recevoir au moins la famille, afin de déterminer si les
enfants sont en danger, du fait du grave conflit des parents.
Mon rôle est de vérifier si les enfants sont en danger. Si je
constate qu'il existe un vrai danger chez l'un ou l'autre des parents, je
prends alors des mesures. La décision du juge des enfants est
motivée par le danger.
M. Bernard Saugey
- La saisine des deux juges n'est-elle pas
problématique dans un certain nombre de cas ?
Mme Martine de Maximy
- Tout à fait. Telle est
d'ailleurs la raison pour laquelle nous devons être très prudents.
La mesure de protection la plus attentatoire à l'autorité
parentale est le placement. Il n'enlève néanmoins que la garde
physique. Le droit de correspondance et de visite est maintenu. Si l'on veut
priver les parents du droit de correspondance et de visite, il faut prendre une
ordonnance motivée.
M. Bernard Saugey
- Vous nous avez parlé de la
complémentarité. Existe-il néanmoins des conflits
susceptibles d'entraver la procédure ? Pouvez-vous nous dire ce qui
pourrait être envisagé pour que l'évolution des
métiers soit véritablement cohérente ?
Mme Martine de Maximy
- Je pense que l'établissement
d'une bonne communication entre le juge aux affaires familiales et le juge des
enfants devrait permettre de résoudre le conflit. Je pense que la
spécificité du juge des enfants, liée à la notion
de danger, n'est pas du tout la même chose. La garde entre les deux
parents est finalement totalement résiduelle dans la fonction de juge
des enfants. Il est extrêmement rare que l'on confie un enfant à
l'autre parent, par ordonnance de placement. En général, si un
enfant est placé, il l'est plutôt à l'extérieur, ou
chez un autre membre de la famille. Il demeure que cette possibilité est
inscrite dans le code. Tout est donc possible.
Je pense néanmoins que nous avons le souci de respecter le travail du
juge aux affaires familiales sur ce point. Or, de toutes manières, les
conflits sont tels, lorsque l'enfant est en danger, qu'il n'est pas
forcément très bon de le placer chez l'un ou l'autre des parents.
Il est arrivé, par exemple, qu'un juge aux affaires familiales ait pris
une décision différente de celle que j'avais prise au
départ. Néanmoins, comme il n'y avait pas de danger, j'ai
laissé cette solution se mettre en place.
M. le Rapporteur
- Le système actuel vous convient
donc. Vous ne semblez pas particulièrement favorable à la
création d'un juge unique de la famille.
Mme Martine de Maximy -
Non, je n'y suis pas favorable. Nous
sommes juges des mineurs, alors que le juge aux affaires familiales est le juge
de la famille
M. le Président -
Que pouvez-vous nous dire au sujet de la
spécialisation du parquet des mineurs ?
Mme Martine de Maximy
- J'y suis totalement favorable. A
Nanterre, le parquet a été déspécialisé et
territorialisé. Cette décision a été prise à
cause de la nécessité de développer la prévention
et la présence du parquet sur le terrain. La spécialisation du
parquet des mineurs me paraît pourtant être une chose très
importante. De plus, nous devons normalement travailler en coopération
avec le substitut, car il est à la fois le spécialiste des
mineurs, tout en étant soumis à la territorialisation. A titre
personnel, je dois dire que j'ai toujours très bien travaillé
avec les substituts. J'ajoute qu'ils se comportent parfois comme des aides
à la décision. Il s'agit d'un véritable travail en
équipe, chacun conservant d'ailleurs sa spécificité, ce
que je trouve très intéressant. Je trouve par conséquent
très regrettable que certains parquets aient été
déspécialisés, au motif de résoudre de simples
problèmes d'effectif, ce qui est très regrettable. Il est vrai
que les substituts des mineurs, en particulier à Paris, ne savent plus
où donner de la tête.
M. Paul Girod
- Vous nous avez dit que le juge des enfants
voyait sa mission évoluer au fur et mesure de l'évolution de la
société. Avez-vous le sentiment que la dangerosité des
enfants les uns par rapport aux autres a évolué ? Cela vous
a-t-il conduit à modifier la conception du conflit interne qui peut
être propre à cette catégorie de population ?
Mme Martine de Maximy
- Nous ne pouvons pas nié que les
chiffres du pénal ont augmenté, cela me paraît être
une évidence. Il est vrai que la délinquance réelle a
doublé. Nous sommes aujourd'hui saisis de faits pour lesquels nous
n'étions pas saisis auparavant, si ce n'est au simple titre de
l'assistance éducative.
Je voudrais donner l'exemple du comportement violent des enfants à
l'école. Imaginons un enfant de 14 ans qui donne un coup de poing
à sa professeur. Il y a six ans, un tel cas aurait donné lieu
à une assistance éducative, car on aurait considéré
que cet enfant avait des problèmes de comportement et qu'il fallait
faire quelque chose pour lui. Aujourd'hui, une telle affaire aurait
donné lieu à l'ouverture d'un dossier pour coups et blessures
volontaires sur personne chargée d'une mission de service public. Il est
vrai que la juridiction pénale permet de traiter ce dossier avec des
mesures éducatives. Il demeure que la façon d'aborder le dossier
n'est pas la même et que l'enfant et ses parents ne se rendent pas dans
le même état d'esprit chez le juge des enfants. Nous ne pouvons
donc pas dire que la situation se soit améliorée. Mais elle n'est
cependant pas aussi grave que l'on peut l'entendre.
M. Paul Girod -
Vous êtes donc à la fois la
protectrice de certains enfants et le juge des autres. Pensez-vous que ce genre
de difficultés vous complique plus la vie aujourd'hui qu'il y a dix
ans ?
Mme Martine de Maximy
- Je pense que dans le cas d'un enfant
de moins de 16 ans, des mesures éducatives me paraissent tout de
même plus adaptées. Au-delà de 16 ans, il est certain
que nous devons faire appel à un tribunal pénal. En revanche, je
pense que, face à un enfant de 13 ans, notre efficacité est
certainement plus importante si nous rentrons dans l'assistance
éducative. Nous sommes néanmoins toujours soumis à
l'ordonnance de 1945 qui affirme la priorité de la réponse
éducative sur la réponse répressive. Encore faut-il noter
que rien ne nous empêche, une fois la réponse pénale
donnée, d'ouvrir un dossier d'assistance éducative, si l'enfant
continue à rencontrer des éléments de danger dans sa
famille. L'intérêt de la double fonction de juge des enfants est
que nous disposons de plusieurs solutions de prise en charge. Il arrive
d'ailleurs qu'un enfant suive une assistance éducative comme
réponse au délit pour peu que les services habilités (PJJ)
ne puissent assurer sa prise en charge dans un délai raisonnable. Je
dois dire que, pour ma part, je défends tout à fait cette
souplesse car un mineur délinquant et bien souvent aussi un mineur en
danger.
M. Paul Girod
- Existe-il un changement dans vos rapports avec
les enfants ?
Mme Martine de Maximy
- Non, tout à fait franchement,
il n'existe aucun changement. Il s'agit simplement de mettre ces enfants en
confiance. J'ai parfois du mal à les faire venir. Je développe
néanmoins des stratégies pour les voir. Cela me paraît en
effet nécessaire qu'ils répondent à la convocation du
juge. Je dois dire que j'agis dans un quartier, dans le sud du
18
ème
arrondissement, où il existe une forte
proportion de population d'Afrique sub-saharienne Il s'agit de personnes qui
ont du mal à répondre aux convocations car ils n'ont pas de
boîtes aux lettres, ne savent pas lire ou ignorent tout du juge des
enfants. Il m'arrive donc parfois de les faire convoquer par le commissariat.
M. le Rapporteur -
Les rapports avec les parents ont-ils
évolué de manière négative ?
Mme Martine de Maximy
- Non, pas dans le bureau du juge, dans
tous les cas.
M. le Président
- Quel jugement portez-vous sur la
présence d'assesseurs dans les tribunaux pour enfants ?
Mme Martine de Maximy
- En ce qui concerne la justice des
mineurs, je crois que nous devons axer nos réponses sur le recrutement.
Nous procédons ainsi à des recrutements de personnes provenant du
secteur associatif. Je pense qu'il s'agit de personnes capables de nous
apporter des choses positives. Elles ont d'ailleurs bien souvent une vision un
peu différente de celle que nous pouvons avoir. Elle nous apporte
d'ailleurs des éléments de décision. Il est
également intéressant que les citoyens puissent être
associés à des fonctions de justice, car leurs diverses
expériences constituent un apport tout à fait essentiel. Je suis
pour ma part tout à fait favorable à la présence de ces
assesseurs. Ils représentent une véritable aide à la
décision. Il s'agit de gens très sérieux, qui
étudient consciencieusement les dossiers et participent avec rigueur
à la décision puisqu'il s'agit d'une véritable
collégialité.
M. le Rapporteur
- Pensez-vous que cela puisse
s'étendre à d'autres domaines ?
Mme Martine de Maximy -
Pourquoi pas. Je dois dire qu'en
matière correctionnelle par exemple, je préférerais qu'il
y ait un juge et deux assesseurs, à la condition qu'ils soient
recrutés de façon prudente.
M. le Président -
Les jurés d'assises étaient
naguère sélectionnés. Je ne suis cependant pas certain
qu'il s'agisse de la meilleure solution.
Mme Martine de Maximy -
Je précise pour ma part que le
recrutement socioprofessionnel des jurés parisiens est souvent
très satisfaisant. L'assesseur, dans le cadre de l'échevinage,
n'occupe cependant pas la même fonction que dans une cour d'assises. La
cour d'assises renvoie à l'idée du jugement par le jury
populaire. Il ne s'agit pas du tout de la même idéologie.
L'échevinage concerne les gens qui sont intéressés par la
fonction de juge et qui sont susceptibles de rendre correctement la justice. Je
pense que nous devons être tout à fait vigilants sur ce point.
M. Paul Girod
- Il est plus judicieux de faire appel à
des gens dont le métier ou les occupations témoignent de leur
intérêt pour les problèmes propres à la jeunesse,
que d'effectuer un tirage au sort parmi le public.
Mme Martine de Maximy
- Absolument.
M. Laurent Béteille
- Je ne suis pas certain qu'il soit
si facile que cela de trouver de telles personnes. Il est avant tout
nécessaire de s'adresser à des personnes indépendantes,
sans a priori.
Mme Martine de Maximy
- J'ai eu de la chance, car les
personnes que j'ai reçues étaient foncièrement
intéressées par cette fonction nouvelle pour eux. Certaines sont
mues par l'idée que cela peut être utile pour la suite de leur
carrière. Cela n'empêche pas qu'ils fassent bien leur travail. Je
dois dire que, pour ma part, je n'ai eu aucun problème véritable
avec les assesseurs.
M. le Rapporteur
- Comment sont nommés les
assesseurs ?
Mme Martine de Maximy
- Je me souviens d'une époque
où le président du tribunal menait campagne auprès des
enseignants. D'autres professions sont aussi représentées, mais
la majorité est recrutée parmi les enseignants, chefs
d'établissements ou membres d'associations s'occupant de jeunes.
Auparavant, les fonctions d'assesseur étaient surtout occupées
par des dames qui ne travaillaient pas, mais qui voulaient tout de même
rester actives. Elles n'étaient cependant pas très au fait de la
jeunesse actuelle.
M. le Rapporteur
- L'échevin doit-il n'avoir qu'une
voix consultative ou doit-il prendre part à la décision ?
Mme Martine de Maximy
- Je pense qu'il faut que
l'échevin ait une voix délibérante, mais le
président, magistrat professionnel, doit jouir tout de même d'une
certaine prépondérance.
M. le Rapporteur -
Que pensez-vous des assistants de justice ?
Mme Martine de Maximy -
Je dois dire que quelques-uns travaillent dans
nos services. Il s'agit d'étudiants en droit qui se destinent à
préparer le concours de la magistrature. Ils sont
généralement extrêmement utiles. Par exemple, une
assistante m'a préparé un énorme dossier sur l'arrêt
Perruche. Je trouve ce type de recrutement très intéressant.
M. le Président -
Nous nous intéressons
également à la formation. Pensez-vous qu'elle soit
adaptée ?
Mme Martine de Maximy
- Je pense que la formation est
suffisante. De toute façon, il s'agit de former au départ des
généralistes. Tel est d'ailleurs la richesse de l'Ecole, puisque
les stages permettent de passer par toutes les fonctions. Je pense
réellement que la formation initiale est très correcte, tel est
en tout cas le sentiment que donnent les auditeurs.
Par ailleurs, le regroupement de fonction après la première
année me paraît constituer une excellente chose, car il permet aux
gens de faire le point sur leurs fonctions et de disposer d'un
complément de formation. En ce qui concerne la formation continue, il
existe tout de même énormément de programmes qui permettent
de développer certains points des fonctions spécialisées.
Cependant, je pense que l'absence de formations interprofessionnelles peut
constituer un manque. Par exemple, il y a longtemps, le centre de Vaucresson
était un véritable creuset de formation, à la fois des
juges des enfants et des éducateurs. Cela conférait d'ailleurs
une identité commune à la profession. Je regrette par
conséquent que cela n'existe plus. Il n'existe pratiquement plus de tels
regroupements.
J'anime moi-même un stage organisé dans cet esprit, dans lequel
psychologues et magistrats sont regroupés. Le résultat est
très satisfaisant car il pousse les gens à communiquer et
à connaître la logique de l'une et l'autre fonction.
M. le Président -
Je vous remercie.
Audition de Mmes Christine MOUTON-MICHAL,
juge de l'application
des peines au tribunal de grande instance de Bobigny,
secrétaire
générale de l'Association des juges de l'application des
peines,
et Anne-Marie MORICE-VIGOR,
juge de l'application des peines
au tribunal de grande instance d'Evreux,
membre du Bureau de l'Association
des juges de l'application des peines
(24 avril
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M. Jean-Jacques Hyest, président
- Nous avons le plaisir de recevoir Mmes Christine
Mouton-Michal, secrétaire générale, et Anne-Marie
Morice-Vigor, membre du Bureau de l'Association des juges de l'application des
peines. Je pense qu'il serait utile, pour commencer, de préciser quelles
sont les fonctions du juge de l'application des peines. Nous souhaiterions
également connaître votre sentiment sur la spécialisation
des magistrats.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Il existe un juge de
l'application des peines par tribunal de grande instance. Il est cependant
possible qu'il y en ait beaucoup plus en fonction de la localisation des
établissements pénitentiaires. Deux fonctions essentielles
reviennent au juge de l'application des peines. Il est tout d'abord
chargé du contrôle de l'exécution et de l'application des
peines dites « en milieu ouvert » ;
c'est-à-dire les peines probatoires, le sursis de mise à
l'épreuve, le travail d'intérêt général, mais
aussi l'aménagement des courtes peines, ainsi que le contrôle des
libérés conditionnels, qui doivent être suivis après
leur libération. Je pense aussi au suivi socio-judiciaire, ainsi qu'au
bracelet électronique, dans les endroits où ce bracelet a
été mis en place à titre expérimental. Ces
fonctions concernent tous les juges de l'application des peines en France. Il
en existe au moins un par tribunal de grande instance.
Le juge de l'application des peines est, par ailleurs, celui qui a le pouvoir
d'accorder les mesures d'aménagement de peine au sein des
établissements pénitentiaires. Les mesures principales sont les
suivantes : la permission de sortie, les réductions de peine, les
placements extérieurs, la semi-liberté, la libération
conditionnelle, ainsi que les suspensions et les fractionnements de peine.
Il faut par ailleurs savoir que, si ces compétences sont les mêmes
dans toute la France, les fonctions sont très diverses en fonction de la
localisation des établissements pénitentiaires. Certains juges de
l'application des peines n'exercent leur fonction que dans le milieu ouvert,
d'autres agissent à la fois en milieu ouvert et en milieu fermé.
Je suis moi-même actuellement vice-présidente du tribunal
d'Evreux. Je m'occupe dans le même temps du centre de détention de
Val-de-Reuil, qui est un établissement pour les longues peines. Je suis
également en charge de l'aménagement des courtes peines avant
écrou, concernant les peines ou les reliquats de peines
inférieurs à un an, qui n'ont pas été mis à
exécution. Je ne m'occupe pas du tout du milieu ouvert,
indépendamment de ces deux aspects.
Mme Christine Mouton-Michal
- Je suis juge de l'application
des peines au tribunal de grande instance de Bobigny. Je m'occupe, avec une
autre collègue, de la maison d'arrêt de Villepinte, qui est une
maison d'arrêt réunissant à la fois des prévenus et
des condamnés. Il existe en moyenne entre 150 et 180 condamnés
dans cette maison d'arrêt. En ce qui concerne le milieu ouvert, je dois
dire que je préfère l'expression de « peine restrictive
de liberté » par rapport à celle de « peine
privative de liberté ». Dans ce domaine, il s'agit d'assurer
le suivi des personnes mises à l'épreuve ou placées en
liberté conditionnelle. Je pense également aux
aménagements des courtes peines, définis par l'article
D. 49-1 du code de procédure pénale.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Nous pouvons par ailleurs
préciser que les juges de l'application des peines sont peu nombreux.
Mme Christine Mouton-Michal
- Il existe actuellement 204 juges
d'application des peines. Il faut toutefois distinguer les juges de
l'application des peines nommés par décret de ceux qui ne le sont
pas. Il existe encore 71 tribunaux en France dans lesquels le juge de
l'application des peines n'a pas été désigné par
décret. Par conséquent, c'est le juge du tribunal de grande
instance qui exerce la fonction de juge de l'application des peines. Il faut
dire par ailleurs que la majorité des juges de l'application des peines
exerce d'autres fonctions, dans d'autres tribunaux. La juridictionnalisation,
c'est-à-dire l'entrée en application de la loi du 15 juin 2000,
volet application des peines, a provoqué un accroissement de travail du
juge de l'application des peines, puisque seulement 29 postes de juge de
l'application des peines ont été créés. Ceci porte
le chiffre de 175 postes en 2000, à 204, alors qu'il existe 264
tribunaux de grande instance en France. Seuls les juges de la région
parisienne exercent une fonction de juge de l'application des peines à
90 % ou 84 %. J'ai moi-même été juge du tribunal
de grande instance de Senlis. Je n'étais pas un juge
spécialisé, mais j'étais un juge de l'application des
peines pendant à peu près 25 % de mon temps.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Au tribunal d'Evreux, nous
sommes trois juges de l'application des peines, compte tenu de la
présence du centre de détention du Val-de-Reuil, qui est un
centre de détention national. Il existe également une maison
d'arrêt. A l'évidence, nous pourrions exercer à plein temps
la fonction de juge de l'application des peines. Or, comme le tribunal de
grande instance d'Evreux n'est pas un très gros tribunal, nous sommes
soumis à l'obligation d'y participer. Cela fait partie des
difficultés auxquelles nous devons faire face.
Avec la juridictionalisation, les présidents ont eu l'attention
attirée sur la nécessité d'essayer de libérer le
juge de l'application des peines d'une certaine charge de travail.
M. le Président -
Que pensez-vous de la
spécialisation des magistrats ?
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- La plupart de nos
collègues pense, comme nous, que la fonction de juge de l'application
des peines doit être spécialisée, c'est-à-dire
qu'elle doit fonctionner en cabinet, à l'instar du juge d'instruction et
du juge des enfants. D'ailleurs, cela est désormais prévu. Il
s'agit d'une spécialité qui suppose une disponibilité, car
il faut pouvoir réagir en urgence, en cas de difficulté, à
l'occasion d'une audition ou du suivi d'une peine dite restrictive de
liberté, ou en cas de difficulté dans le cadre d'une
libération conditionnelle. Si nous étions occupés à
d'autres tâches du tribunal, à l'évidence, nous ne
pourrions pas réagir dans l'urgence.
J'ajoute que le nombre très important des mesures restrictives de
liberté nécessite que ces mesures soient suivies pour quelles
puissent rester crédibles. Qu'il s'agisse de libération
conditionnelle, ou de peine de sursis avec mise à l'épreuve,
elles n'ont de crédibilité que si elles sont effectivement
suivies. Il est également nécessaire qu'elles puissent être
révoquées en cas d'incidence de difficultés. Il existe
130.000 mesures restrictives de libertés en France, ce qui
constitue un chiffre tout à fait considérable.
Mme Christine Mouton-Michal
- A Bobigny, il existe
actuellement 5 000 mesures restrictives de libertés, pour 4 juges de
l'application des peines. Il s'agit uniquement des peines restrictives de
liberté, ce qui s'appelle le milieu ouvert. Tel est le chiffre de la
Chancellerie, qui figure dans une circulaire du mois de février 2001. Il
faut également noter que 1.200 mesures sont prononcées par des
magistrats en milieu ouvert, restrictives de liberté, plus 250 mesures
d'aménagement ou de remise de peine. Il faut également tenir
compte de ce que nous appelons le milieu fermé.
Il est vrai que cela constitue un problème. Par exemple, la petite
délinquance est très importante dans le département de
Seine-Saint-Denis. Or, il s'agit précisément du domaine dans
lequel les mesures restrictives de liberté sont importantes. Il faut
assurer un suivi des mises à l'épreuve, de l'exécution des
travaux d'intérêt général. A mon avis, il
s'agit de mesures de prévention face au développement d'une plus
grande délinquance.
M. le Président -
Quels sont les moyens des juges ?
Disposent-t-ils de collaborateurs ?
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Le juge de l'application des
peines travaille en étroite collaboration avec le service
pénitentiaire d'insertion et de probation, anciennement appelé
comité de probation et d'assistance des libérés. Le nombre
d'éducateurs composant le service d'insertion et de probation, qui
intervient à la fois en milieu ouvert et en milieu fermé, est
très insuffisant pour suivre de près toutes les mesures prises en
milieu ouvert.
Mme Christine Mouton-Michal
- A Bobigny, il existe
actuellement 26 travailleurs sociaux pour suivre 4 500 personnes. Les
travailleurs sociaux estiment qu'ils ne peuvent pas suivre plus de 60 personnes
à la fois.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor -
Dans la région
parisienne, il existe une fronde de tous les éducateurs qui,
au-delà d'un certain nombre, refusent de suivre les dossiers.
D'où le fait que dans la région parisienne, certaines peines ne
sont pas exécutées. Tel n'est cependant pas le cas en province,
car la gestion de proximité assurée par les juges et les
directeurs d'insertion et de probation, permet d'imposer un nombre de dossiers
plus importants.
Il est certain néanmoins, qu'en dépassant 150 dossiers par
éducateurs, il est plus difficile d'exercer un certain suivi. Il n'est
pas possible de considérer qu'il existe un véritable suivi, en
cas de contrôle ou de rendez-vous fixé tous les deux mois. Or, la
crédibilité des mesures restrictives de liberté, ou des
mesures d'aménagement de peine, telles que la libération
conditionnelle, passe par la réalité du suivi, c'est
évident. Les juges de l'application des peines en sont convaincus. Ils
n'ont cependant pas les moyens de cette politique.
Nous sommes par ailleurs confrontés chaque année à
l'application du décret de grâce collectif. Je peux en effet vous
assurer que pour un juge de l'application des peines, il s'agit d'une chose
aberrante qui, chaque année, nuit fortement à notre
crédibilité, indépendamment de nos efforts. Par exemple,
le paradoxe veut qu'à cette époque de l'année, une
personne reconnue coupable ait intérêt à être
condamnée à une peine courte d'emprisonnement qui pourra
être graciée, plutôt qu'à un travail
d'intérêt général. Telles sont les aberrations que
peuvent comporter notre système. Je pense par conséquent que
l'effort que nous devons faire consiste à augmenter le nombre de juges
de l'application des peines, ainsi que le nombre d'éducateurs, afin que
ces mesures puissent retrouver toute leur crédibilité. Nous
sommes en effet convaincus que les mesures restrictives de liberté ainsi
que les mesures d'aménagement de peine ont leur utilité sociale,
à la condition que le partenariat soit plus important qu'il ne l'est
actuellement.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Selon vous, quels
aménagements faudrait-il apporter aux compétences du juge de
l'application des peines, afin de renforcer la cohérence de sa
mission ?
Mme Anne-Marie Morice-Vigor -
Nous souhaiterions d'abord vous
faire part des incohérences actuelles. Vous devez savoir que le droit de
l'exécution des peines, ainsi que les mesures législatives, ou
les décrets, ne sont qu'une série de bricolages successifs.
La juridictionnalisation a apporté une plus grande cohérence,
mais elle n'a été que partielle. Il était en effet
difficilement envisageable de juridictionnaliser, du jour au lendemain, la
totalité des mesures d'aménagement de peine. Actuellement, nous
traitons de deux manières différentes les mesures
d'aménagement de peine. Certaines, comme les permissions et les
réductions de peine, continuent d'être décidées en
commission de l'application des peines, sans voix de recours du
condamné. D'autres sont prises à l'issue d'un véritable
débat contradictoire avec des possibilités de recours ; il
en est ainsi des demandes de semi-liberté ou de libération
conditionnelle.
Je rappelle pour ceux qui ne le savent pas que, dans le cas de peines
inférieures à dix ans, ou de peine plus longue mais dont le
reliquat de peine est inférieur ou égal à trois ans, la
libération conditionnelle relève de la compétence du juge
de l'application des peines. Les recours contre ses décisions sont
examinés par la chambre des appels correctionnels. Pour les peines
supérieures à dix ans, avec un reliquat de peine de trois ans,
les demandes de libération conditionnelle sont examinées par une
nouvelle juridiction, la juridiction régionale de la libération
conditionnelle, et en appel, par la juridiction nationale de la
libération conditionnelle.
En résumé, un appel d'une permission de sortie (par le parquet
exclusivement) est examiné par le tribunal correctionnel, alors qu'une
décision sur une demande de libération conditionnelle est
examinée, selon les cas, par la chambre des appels correctionnels ou la
juridiction nationale de la libération conditionnelle.
Enfin, le relèvement de la période de sûreté est de
la compétence de la chambre d'instruction du lieu de détention.
Ainsi, pour un même dossier, il peut y avoir des décisions prises
par le tribunal correctionnel, en appel par la chambre des appels
correctionnels, ainsi que par la chambre d'instruction du lieu de
détention. S'il existe un problème d'exécution de peine,
il faudra saisir la chambre d'instruction du lieu de condamnation. En cas de
demande de confusion de peine, c'est la dernière juridiction qui a
statué qui est compétente. Au contraire, en cas de demande de
relèvement d'une interdiction d'une peine complémentaire, il
conviendra de saisir la juridiction qui a prononcé cette
décision. Les condamnés détenus se promènent par
conséquent dans toute la France, en fonction des compétences
liées à ces problèmes d'exécution de peine. Cela
dépasse bien évidemment le problème de l'application des
peines. Il fallait néanmoins faire passer le message des
incohérences liées au bricolage effectué depuis de
nombreuses années, sur les problèmes d'application et
d'exécution de peine. Très franchement, tous les magistrats
chargés de l'exécution et de l'application des peines pensent
qu'il faudrait procéder à une refonte totale du droit
d'exécution des peines.
Mme Christine Mouton-Michal
- Il appartient au juge de
l'application des peines de prononcer la révocation, en cas de
manquement aux obligations de la libération conditionnelle. Il s'agit de
la même chose en ce qui concerne le socio-judiciaire. En cas de sursis
avec mise à l'épreuve, il appartient au tribunal correctionnel de
prononcer la révocation, sur requête du juge de l'application des
peines.
L'Association nationale des juges de l'application des peines demande par
conséquent de procéder à une juridictionalisation
complète de toutes les mesures concernant les peines restrictives de
liberté (milieu ouvert).
Une autre particularité mérite également d'être
signalée. Lorsqu'un tribunal prononce une peine d'emprisonnement
égale ou inférieure à 6 mois -il s'agit en l'occurrence
d'une peine ferme, mais qui n'est pas exécutoire immédiatement-
le juge de l'application des peines a la possibilité de demander au
tribunal de transformer cette peine de 6 mois en sursis avec obligation
d'effectuer un travail d'intérêt général. Encore
faut-il dire que ces peines sont souvent prononcées parce que le
condamné a fait défaut à l'audience. Or, pour prononcer
une peine d'intérêt général, il est
nécessaire que la personne soit présente, afin de signifier son
accord. Lorsque la condamnation est prononcée ailleurs que dans la
juridiction du lieu de résidence, il appartient au tribunal du lieu de
condamnation de prononcer ce qu'il est appelé la conversion en sursis,
à la condition d'effectuer un travail d'intérêt
général. Je pense que la situation serait bien plus efficace si
le juge de l'application des peines avait la possibilité de prononcer
cette conversion, car la mesure pourrait être immédiatement
appliquée. Il peut parfois se passer un an entre le moment où le
juge de l'application des peines reçoit la personne qui a
été condamnée à cette peine dans son bureau, et le
moment où a lieu cette conversion.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Globalement, il pourrait
être possible de donner des délais plus large au juge de
l'application des peines, et de ne dépendre que d'une seule juridiction,
qui connaisse tous les recours. Je dois dire que la dispersion est
réellement totale actuellement. Or, à moins d'être
extrêmement spécialisé, personne ne peut réellement
s'y retrouver.
M. le Président -
Il faut en outre noter qu'en ce qui
concerne le milieu fermé, les transfèrements sont fort nombreux.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Tout à fait. Il faudrait
réellement que le tribunal et le juge de l'application des peines du
lieu de détention connaissent toutes les difficultés
d'exécution et d'application de la peine. Or cela n'est pas du tout le
cas. Beaucoup de transfèrements sont liés à des
problèmes juridiques qui n'ont jamais été
réglés. Je dois dire que le droit de l'exécution des
peines et de l'application des peines est une succession de réformettes,
qui n'ont pas réellement permis de mettre à plat l'ensemble des
difficultés.
Je dois dire que la loi du 16 juin 2001 nous permet de sortir un peu de
l'ombre, car le juge de l'application des peines était si mal connu, que
nous finissions par connaître les décisions qu'en cas de
dysfonctionnement, ou d'échec d'une décision d'aménagement
de peine. Nous pointons alors du doigt le rôle du juge de l'application
des peines comme négatif, alors que, s'il lui était donné
les moyens d'agir, ce juge, en termes de prévention de la
récidive, serait devenu tout à fait efficace.
Nous voulons également créer les moyens juridiques de
l'exécution de la décision. Il faut en effet savoir que le juge
de l'application des peines éprouve beaucoup de difficultés pour
donner un ordre à un policier ou à un gendarme, car son
autorité n'est pas reconnue en tant que telle.
Seul l'article D. 116-1 lui donne un pouvoir d'investigation en termes
d'enquête. Il ne lui donne cependant pas véritablement de pouvoir
en cas de difficulté d'exécution. Certes, il a le pouvoir de
décerner une ordonnance aux fins de conduite, un avis de recherche, un
mandat d'arrêt, ou un mandat d'amener, il n'a cependant pas les moyens de
suivre ces mesures. Par exemple, le juge a la possibilité de
décerner un mandat d'arrêt. Il n'existe cependant aucun texte qui
lui donne véritablement le pouvoir de faire des commissions rogatoires
pour assurer le suivi de ces mandats d'arrêt. Un premier pas a toutefois
été franchi, car avant la juridictionnalisation, cette
possibilité de mandat d'arrêt ou de mandat d'amener n'existait pas.
J'ai néanmoins éprouvé une difficulté à
l'occasion d'une permission, où un mandat d'arrêt que j'ai mis
à exécution n'a pas été exécuté par
la police et la gendarmerie, malgré mon coup de téléphone.
Pour les autorités de police et de justice, le juge de l'application des
peines est précisément celui qui n'applique pas les peines, mais
qui fait sortir ceux qu'ils ont fait entrer en prison. Il existe par
conséquent un problème d'image et de crédibilité de
la fonction, et ce au détriment du bon fonctionnement du rôle du
juge de l'application des peines et de l'exécution des décisions
qu'il prend. Non seulement, nous devons disposer de moyens juridiques, mais il
faut également que les autres partenaires, en l'occurrence les services
de police et de gendarmerie, comprennent l'utilité du juge de
l'application des peines et lui obéissent. Ce qui n'est absolument pas
le cas aujourd'hui.
Par exemple, en cas de permission, si nous sommes informés que celle-ci
se déroule mal, et que nous informons la police locale que nous avons
retiré la permission, nous nous faisons alors reprocher de l'avoir mis
dehors.
M. le Président -
Nous savons bien que les juges peuvent
avoir des difficultés à faire appliquer leur décision.
Est-ce le fait d'un manque de moyens juridiques ?
Mme Christine Mouton-Michal
- Il est vrai que nous ne
disposons pas des commissions rogatoires. Par exemple, un de mes
collègues a voulu faire délivrer une commission rogatoire pour
demander à la police d'effectuer des contrôles dans le cas de
placements extérieurs. La police a pourtant refusé de se plier
à cette demande.
M. le Président -
Il est vrai que la mission de la police
n'est pas forcément de vérifier si le comportement d'une personne
n'est pas satisfaisant. En revanche, il appartient à la police d'aller
chercher un détenu qui n'est pas rentré de permission.
Mme Christine Mouton-Michal
- Il s'agit d'une personne qui
doit respecter des horaires précis. Il est vrai que nous n'avons pas
suffisamment de personnel.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Nous sommes donc face à
deux problèmes. Tout d'abord, nous sommes face à un
problème juridique. Nous ne disposons pas, en effet, de tout l'attirail
juridique. Nous sommes également face à des problèmes
d'autorité et de crédibilité du juge de l'application des
peines sur l'administration pénitentiaire, d'une part, ainsi que sur la
police et la gendarmerie, d'autre part. La semaine passé, en commission
d'application des peines, j'ai moi-même décidé d'accorder
une autorisation de sortie sous escorte pénitentiaire, afin qu'un
détenu passe devant le médecin de la commission technique
d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep), afin de
déterminer s'il pouvait ou non bénéficier d'une allocation
adulte handicapé. L'administration pénitentiaire, en commission
d'application des peines, m'a dit que cela était possible. Elle n'a
cependant pas exécuté la décision, en considérant
qu'elle n'en avait pas les moyens.
J'ai moi-même émis une autorisation de sortie, sous escorte de
gendarmerie, pour qu'un détenu puisse se rendre aux obsèques de
sa mère. Or, la gendarmerie a refusé d'exécuter cet ordre.
Je dois dire que cette situation est tout de même moins grave que celle
où, par exemple, la gendarmerie refuserait d'exécuter un mandat
d'arrêt ou un mandat d'amener. Il demeure que nous sommes
réellement face à un problème. Avec la
juridictionnalisation, les autorités de police et de gendarmerie
commencent à connaître le juge de l'application des peines.
Auparavant, ce fonctionnement était beaucoup trop occulte. Il
n'apparaissait, à la lueur de l'actualité, qu'à l'occasion
d'un échec des mesures d'aménagement de peines. Nous ne disposons
cependant pas du terrain juridique suffisant. D'autre part, il faudrait que le
juge de l'application des peines puisse être entendu, lorsqu'il demande
aux autorités de police et de gendarmerie, d'intervenir en cas
d'échec des mesures. Car, plus on intervient tôt, et plus nous
avons des chances d'être efficaces. Je pense en effet qu'il est de toute
évidence trop tard pour intervenir, dès lors que la personne est
en cavale.
M. le Rapporteur -
Que pensez-vous, d'une part, de la
formation des magistrats, d'autre part, du développement du travail en
équipe ?
Mme Anne-Marie Morice-Vigor -
S'agissant de la formation, des efforts
considérables ont été effectués. Avec la loi sur la
juridictionnalisation, les offres de formation efficaces devraient se
multiplier.
Je suis magistrat depuis 15 ans, et juge d'application des peines depuis 10
ans. A l'époque, je disposais de très peu
d'éléments sur l'application des peines. J'ai donc appris sur le
tas. J'ajoute que la juridictionnalisation a crédibilisé la
fonction de juge de l'application des peines. Auparavant, il était
illusoire de penser faire carrière en demandant un poste de juge de
l'application des peines : on choisissait ce poste pour des raisons
géographiques, ou par passion pour la fonction.
Les choses sont différentes à présent. Je crois que
grâce à la juridictionnalisation et à la
crédibilité qu'elle a permis d'apporter à la fonction, les
postes de juge de l'application des peines sont devenus beaucoup plus
demandés, ce qui est tout à fait positif.
En ce qui concerne le travail en équipe et le partenariat, il faut
savoir que le premier partenaire évident, et le seul dont nous
disposons, est le service pénitentiaire d'insertion et de probation. Il
s'agit d'un partenaire obligatoire en milieu ouvert. En milieu fermé, le
juge de l'application des peines intervient à la fois avec le service
d'insertion -le même organisme qui intervient en milieu ouvert- et la
détention.
De mon côté, j'ai eu tendance à penser que, jusqu'à
cette loi, beaucoup de juges de l'application des peines étaient mal
traités par la pénitentiaire. Un juge de l'application des peines
qui intervient tout seul dans un établissement pénitentiaire,
dès lors qu'il subit une pression autour de lui, ne peut pas toujours
faire ce qu'il souhaite. Les permissions de sortie sont gérées
par le greffe de l'établissement pénitentiaire. Le jour où
nous fonctionnerons totalement en cabinet, nous aurons également
gagné de l'indépendance par rapport à la
pénitentiaire. Nous dépendons totalement d'eux sur le plan
matériel. Nous sommes donc obligés de collaborer de
manière positive. Il demeure qu'institutionnellement, la place du juge
de l'application des peines est très difficile à prendre,
quoiqu'elle le soit beaucoup moins depuis la loi sur la juridictionnalisation.
M. le Président -
La gestion des détenus vous
échappe donc totalement.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- Tout à fait. Nous pouvons
par exemple nous rendre compte en cours de débat que le détenu a
été transféré. Il arrive que des détenus
soient promenés à travers toute la France, sans que le juge en
ait été averti. Nous nous retrouvons alors dessaisis de fait de
ce qui devait être une audience, parce que l'administration
pénitentiaire aura transféré une personne.
Mme Christine Mouton-Michal
- La création des centres
pour peine aménagée est par ailleurs une chose qui nous
inquiète beaucoup, parce qu'il s'agirait d'un centre
pénitentiaire spécialisé pour faire évoluer les
détenus. Or, cet aménagement dépendait du juge de
l'application des peines. A présent, le centre pour peine
aménagée dépendra uniquement de l'administration
pénitentiaire. Finalement, l'évolution du détenu, les
modalités d'exécution de la peine échapperont totalement
au juge de l'application des peines. Il est vrai qu'il s'agit d'un
véritable problème, parce que ces transfèrements sont
décidés uniquement par l'administration pénitentiaire,
alors que là, le juge de l'application des peines décide
lui-même de mettre quelqu'un en placement extérieur, en
semi-liberté, ou en liberté conditionnelle. La libération
conditionnelle dépendra toujours du juge de l'application des peines
mais, dans le cas du centre pour peine aménagée, la
décision appartiendra à l'administration pénitentiaire,
d'où une sorte de retour en arrière.
Mme Anne-Marie Morice-Vigor
- J'ajoute qu'avant que
n'interviennent la police et la gendarmerie, nous devrons résoudre
d'importantes difficultés concernant les mesures d'aménagement
des peines. Le nombre de places en semi-liberté est relativement
limité. Le placement extérieur suppose une collaboration
évidente avec l'administration pénitentiaire. De plus, ne
serait-ce que pour les peines de semi-liberté, certaines peines ne sont
pas exécutées, parce que l'administration pénitentiaire
refuse de les appliquer. Par ailleurs, le juge de l'application des peines
dépend pour ces décisions des modalités des heures
d'intégration à l'établissement.
Je m'occupe moi-même des courtes peines à Evreux. Il s'agit d'une
petite maison d'arrêt dans laquelle il y a un quartier de
semi-liberté. Les condamnés ne peuvent pas sortir avant 7 heures
du matin et ne peuvent pas rentrer après 19 heures le soir. Ainsi, tous
ceux qui travaillent tard le soir ou tôt le matin ne peuvent être
réintégrés que le week-end. En région parisienne,
la situation est tout à fait l'inverse. Nous sommes donc obligés
de leur accorder des permissions tous les week-ends. Telle est la situation
dans toute la France. Les décisions qu'ils prennent dépendent des
offres d'hébergement, et des conditions de réintégration
fixées par l'administration pénitentiaire. Là encore, le
juge de l'application des peines qui est très dynamique, très
actif, va essayer de convaincre l'administration pénitentiaire, pour
obtenir un surveillant, pour élargir les horaires. Il s'agit
réellement d'un souci que tous les juges de l'application des peines ont
rencontré dans toute la France.
Mme Christine Mouton-Michal
- Par exemple, il n'existe pas de
centre de semi-liberté à Paris. Dans toute la région
parisienne, il n'existe que trois centres de semi-liberté :
Villejuif, Gagny et Corbeil-Essonne. Il arrive en outre que nous ayons le
sentiment de travailler pour rien, à cause des amnisties, des
décrets de grâce.
M. le Rapporteur
- Comment se passent vos relations avec les
juges des enfants et le suivi de l'application des peines des mineurs ?
Mme Christine Mouton-Michal
- Les choses se règlent
localement. Nous ne pouvons cependant pas dire que les choses fonctionnent
parfaitement bien. Par exemple, les juges de l'application des peines sont
compétents pour les mineurs incarcérés. En revanche, le
suivi des mises à l'épreuve relève plutôt du juge
des enfants. Il serait par conséquent plus logique que le juge des
enfants soit compétent pour l'ensemble de la procédure. Le juge
de l'application des peines est obligé de recueillir l'avis du juge des
enfants, avant de prendre une décision. J'ai pour ma part plusieurs fois
été confrontée au cas d'un mineur qui était
à la fois suivi par le juge des enfants, tout en entrant dans le cadre
d'une procédure de libération conditionnelle. J'ai
néanmoins tourné la difficulté avec l'accord du service
éducatif et du service éducatif auprès du tribunal. Il
demeure que je ne dispose d'aucun rapport sur le suivi de la mesure, ce qui
constitue en l'occurrence un véritable problème.
M. le Rapporteur
- Je rentre moi-même du
Sénégal, où des jeunes sont envoyés en
séjour de restructuration, sans aucun contrôle. Ils sont
simplement mis à disposition d'un centre d'éducation, sans
pourtant mettre en place le moindre encadrement. Ils ne se privent pas alors de
commettre de nombreux larcins. Il s'agit bien souvent d'une catastrophe.
Mme Christine Mouton-Michal
- La crédibilité du
juge de l'application des peines dépend bien souvent des moyens qui sont
mis en oeuvre. Le gros problème actuel tient au fait que le
régime des mineurs est totalement aberrant. Les mineurs ne peuvent
être placés qu'en maison d'arrêt, où le régime
est plus dur que dans les centres de détention. En maison d'arrêt,
ils n'ont pas le droit de téléphoner à leur famille. Dans
les centres de détention, les adultes ont le droit de
téléphoner. Ils peuvent bénéficier d'une permission
de sortir au tiers de la peine alors que les mineurs ne peuvent en
bénéficier qu'à la moitié. Le régime est
plus dur pour les mineurs que pour les adultes. Il est vrai que quand un mineur
est incarcéré, c'est qu'il en a généralement fait
beaucoup, et qu'il n'a rien d'un enfant de choeur. Il n'est cependant pas
normal qu'ils aient un régime plus dur que pour les adultes.
Un questionnaire a été distribué à tous les juges
d'application des peines, sur les difficultés et les aspects positifs et
négatifs de la juridictionnalisation. Ce questionnaire a
été exploité par Pascal Faucher, ainsi que par deux
maîtres de conférence de l'Ecole nationale de la magistrature.
J'en ai apporté quelques exemplaires. Je pense qu'un certain nombre de
questions abordées dans ce questionnaire pourront vous être
utiles. Nous avons reçu plus de 100 réponses.
M. le Président -
Je vous remercie.
Audition de M. Tony MOUSSA,
président de chambre à
la cour d'appel de Lyon,
ancien juge de l'exécution
(24 avril
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M. Jean-Jacques Hyest,
président
- Monsieur le Président, nous avons
souhaité vous entendre, puisque vous êtes président de
chambre à la cour d'appel de Lyon. Vous avez été juge de
l'exécution. Vous êtes également co-auteur de l'ouvrage
« Droit et pratique des voies d'exécution » aux
Editions Dalloz. Vous êtes également professeur associé
à l'université de Lyon III. Notons pour commencer que la fonction
du juge de l'exécution n'est pas très connue.
M. Tony Moussa
- Cela dépend surtout de la
« clientèle ». Sa
« clientèle » le connaît bien.
M. le Président -
Il s'agit d'une fonction très
importante, même s'il est possible qu'elle soit mal connue du grand
public. Nous vous écoutons.
M. Tony Moussa
- Monsieur le Président, Mesdames,
Messieurs les sénateurs, vous avez souhaité m'auditionner sur les
fonctions du juge de l'exécution, fonctions que j'ai exercées
pendant près de 7 ans à Lyon, Bobigny et Paris. Je pense avoir
acquis une certaine expérience dans ce domaine, puisque j'ai
commencé à exercer ces fonctions dès l'entrée en
vigueur de la réforme de 1991. J'ai donc un peu essuyé les
plâtres.
Le fait d'exercer ces fonctions dans différentes villes m'a permis
d'avoir une idée un peu plus précise des difficultés
liées autant à l'application des nouveaux textes qu'aux
différents contextes locaux .
Tout le monde sait que l'effectivité des principes juridiques ne peut
être assurée que s'il existe des procédures
d'exécution connues et dont la simplicité et la
possibilité de mise en oeuvre sont réelles. Cela est tellement
vrai que la Cour européenne des droits de l'homme affirme depuis
quelques années que l'existence d'un droit à l'exécution
relève du procès équitable. Or, notre droit a toujours
connu des procédures d'exécution. Auparavant, les
procédures d'exécution étaient codifiées dans
l'ancien code de procédure civile. Ces règles ont
néanmoins vieilli. Elles sont devenues obsolètes,
inadaptées à l'évolution du patrimoine. En tant que
législateur, vous avez souhaité réformer ces
règles. C'est ce que vous avez fait dans le cadre de la loi du 9 juillet
1991. Elle est entrée en application le 1
er
janvier
1993. Entre-temps, un décret d'application a été pris le
31 juillet 1992. Permettez-moi de résumer rapidement les grandes lignes
de cette réforme qui a tendu à moderniser les procédures,
à renforcer les droits du créancier, à protéger le
débiteur, à humaniser les procédures d'exécution,
à les déjudiciariser et à centraliser le contentieux entre
les mains d'un seul juge, en l'occurrence le juge de l'exécution, afin
de solutionner rapidement les litiges en la matière. Cet objectif semble
avoir été atteint.
Quelles sont les mesures que vous avez instaurées ?
Les mesures d'exécution qui existaient étaient inutilement
compliquées. Non seulement le créancier devait « se
battre » pendant des années pour obtenir le titre
exécutoire mais, quand il cherchait à l'exécuter, il
était souvent obligé d'engager une nouvelle procédure qui
pouvait durer des années, ce qui désespérait totalement
les créanciers.
Vous avez remplacé ces procédures par des mesures
d'exécution et des mesures conservatoires adaptées et efficaces.
Je pense notamment à la saisie reine, la saisie-attribution, qui permet
par un mécanisme rapide d'appréhender les créances des
sommes d'argent du débiteur. Je pense aussi à la
saise-appréhension et à la saisie des véhicules
automobiles.
Par ailleurs, vous avez souhaité renforcer les droits du
créancier. L'affirmation des droits du créancier et la mise
à sa disposition de mesures efficaces étaient parmi les objectifs
majeurs de la réforme, comme cela apparaît à travers les
débats parlementaires. Vous y êtes parvenus en instituant
plusieurs règles. La loi de 1991 a notamment prévu à cet
effet que le créancier, sous certaines conditions, peut contraindre le
débiteur à exécuter ses obligations à son
égard, qu'il a le choix des mesures d'exécution et que le
débiteur peut être condamné à verser des dommages et
intérêts en cas de résistance abusive. En outre, tous les
biens du débiteur sont, en principe, saisissables ; une astreinte
peut être prononcée pour assurer l'exécution d'une
décision, d'une condamnation ; les frais de l'exécution sont
à la charge du débiteur ; les saisies peuvent être
pratiquées entre les mains des tiers. De leur côté, les
tiers doivent apporter leur concours aux mesures d'exécution ainsi
qu'aux mesures conservatoires. Ils ne doivent pas y faire obstacle, sous peine
d'avoir à payer eux-mêmes, dans certains cas, la créance ou
des dommages et intérêts ou, même, les deux.
L'huissier de justice, qui a avec l'huissier du Trésor le monopole de
l'exécution forcée et des saisies conservatoires, est tenu de
prêter au créancier son ministère ou son concours, sauf
dans certaines hypothèses. En cas de difficultés, le
créancier ou l'huissier de justice peut saisir le juge de
l'exécution. Le ministère public doit par ailleurs veiller
à l'exécution et, sous certaines conditions, entreprendre les
diligences nécessaires afin d'obtenir des informations sur le
débiteur, permettant d'identifier son compte bancaire, son adresse et
celle de son employeur, sans que le secret puisse lui être opposé.
L'Etat est tenu de prêter son concours quand il en est requis et son
refus ouvre droit à réparation.
J'ajoute que la loi a mis plusieurs moyens à disposition du
créancier, qui diffèrent selon qu'il dispose ou non d'un titre
exécutoire. C'est ainsi que la loi a énuméré les
titres exécutoires, ce qui facilite la tâche du créancier
et celle du juge. Le titre exécutoire a été
indiscutablement revalorisé puisque son titulaire, quand le titre
constate une créance liquide et exigible, peut engager toute mesure
exécutoire ou conservatoire, sans autorisation préalable du juge
et sans avoir à introduire une quelconque procédure de validation.
Mais, en même temps, la loi a voulu protéger le débiteur,
et instaurer un équilibre entre créancier et débiteur.
C'est ainsi que le débiteur peut obtenir des dommages et
intérêts en cas d'exécution dommageable. En cas d'abus de
saisie ou de mesures inutiles, il peut demander leur mainlevée ainsi
qu'un dédommagement. Certains biens sont insaisissables. Une partie du
salaire, qui est équivalente au revenu minimum d'insertion (RMI), est
absolument insaisissable. Une autre partie n'est saisissable que par les
créanciers d'aliments. S'agissant de revenus ou de créances
autres que le salaire, le juge de l'exécution peut décider qu'une
fraction est insaisissable, si le débiteur prouve qu'ils ont un
caractère alimentaire. Je précise à ce propos qu'un
décret, soumis actuellement au Conseil d'Etat, va rendre insaisissable
une somme égale au RMI, qui échappera de plein droit à la
saisie effectuée sur un compte bancaire. Par ailleurs, lorsqu'un compte
est crédité du montant d'une créance insaisissable,
l'insaisissabilité se reporte à due concurrence sur le solde du
compte. Préalablement à une saisie-vente, le débiteur doit
recevoir un commandement de payer. Il peut solliciter des délais de
grâce pour payer, la réduction du taux de l'intérêt
conventionnel au taux légal, la suppression de la majoration
légale de 5 points du taux de l'intérêt légal ainsi
que l'imputation des paiements effectués d'abord sur le principal de la
dette.
A signaler aussi que les sommes qui sont réclamées par le
commandement de payer ou les actes de saisie doivent être
détaillées et que le taux d'intérêt doit être
précisé. Tous les actes d'exécution, au sens large,
doivent informer le débiteur sur l'étendue de ses droits. Ils
doivent, entre autres, lui préciser le recours possible, le délai
de recours et le juge qui est matériellement et territorialement
compétent pour examiner le recours.
D'autres dispositions sont destinées à assurer le respect de la
vie privée du débiteur ou à humaniser les
procédures. C'est ainsi que les renseignements obtenus
éventuellement par le ministère public ne peuvent être
communiqués à des tiers, ni faire l'objet d'un fichier
d'informations nominatives, que l'exécution est absolument interdite
avant 6 heures et après 21 heures dans un local réservé
à l'habitation et qu'elle est également interdite dans les autres
locaux pendant ce laps de temps, sauf autorisation du juge de
l'exécution.
Les conditions dans lesquelles l'huissier de justice peut
pénétrer dans un local servant à l'habitation en l'absence
de l'occupant ou si ce dernier en refuse l'accès sont
réglementées, bien que, à mon avis, mal
réglementées. La saisie-vente, dans un local servant à
l'habitation du débiteur, lorsqu'elle tend au recouvrement d'une
créance non-alimentaire, d'un montant égal ou inférieur
à 535 euros a un caractère subsidiaire. Il ne peut y
être procédé qu'à la condition qu'il ne soit pas
possible de pratiquer une saisie sur salaire ou une saisie sur un compte
bancaire.
Enfin, il n'est possible de procéder à l'expulsion qu'à la
suite d'un commandement d'avoir à quitter les lieux. En principe,
lorsqu'il s'agit d'un local d'habitation, un délai de deux mois doit
s'écouler entre la signification du commandement et l'intervention de
l'expulsion, et la personne dont l'expulsion a été
ordonnée peut solliciter des délais de grâce, pouvant aller
jusqu'à 3 ans. Le sort des meubles de la personne expulsée,
qui n'ont pas été retirés, doit être soumis au juge
de l'exécution qui déclare ces meubles abandonnés ou qui
ordonne leur vente aux enchères.
Cette protection du débiteur est renforcée par des dispositions
qui sanctionnent les irrégularités par la nullité ou la
caducité de l'acte ou de la mesure. Elle est également
renforcée par une relative facilité de la saisine du juge de
l'exécution, ainsi que par le fait que le juge territorialement
compétent est toujours désigné dans les actes et qu'il est
souvent celui du lieu du domicile, non pas du créancier, mais du
débiteur.
La loi a voulu par ailleurs déjudiciariser les procédures
d'exécution. Cet objectif a été, à mon avis,
atteint. En effet, sauf lorsqu'une autorisation du juge est nécessaire
et sauf lorsqu'une contestation est élevée, toutes les mesures
d'exécution ainsi que les mesures conservatoires peuvent être
pratiquées et menées à leur terme sans aucune intervention
du juge.
Enfin, la loi a voulu centraliser le contentieux entre les mains d'un seul
juge : le juge de l'exécution. Par une formule un peu provocatrice,
j'ai l'habitude de dire qu'il s'agit d'un juge inutile et incontournable :
inutile si aucune autorisation n'est nécessaire ou en l'absence de
contestation, mais incontournable dès lors qu'une autorisation est
nécessaire ou une contestation est élevée.
Ce juge de l'exécution est le président du tribunal de grande
instance ou le juge délégué par lui. Il doit toutefois
s'agir d'un juge de son tribunal. Il convient de noter à cet
égard qu'un juge du tribunal de grande instance peut également
exercer ses fonctions dans un tribunal d'instance puisque les juges d'instance
sont des juges nommés dans un tribunal de grande instance.
Le président du tribunal de grande instance, dans les juridictions
importantes, exerce rarement lui-même les fonctions de juge de
l'exécution. Il a par conséquent recours à la
délégation. La délégation peut être faite
à un ou plusieurs juges, selon l'importance du contentieux. Elle peut
être faite selon des critères géographiques : nous
pouvons par exemple imaginer que plusieurs arrondissements relèvent de
la compétence d'un juge de l'exécution alors que d'autres
arrondissements relèvent de la compétence d'un autre juge. La
délégation peut néanmoins être fonctionnelle, porter
sur certaines matières : une partie du contentieux, par exemple, le
surendettement, est confiée à un juge, alors que les autres
contentieux relèvent d'un autre juge.
L'organisation ne s'est pas faite partout de la même façon. Au
départ, chaque président de tribunal de grande instance a pris la
décision qu'il entendait, en fonction des moyens dont il disposait et de
ce qu'il estimait devoir décider.
Je ne dispose pas de statistiques précises sur ce point. Il semble
que la situation se soit stabilisée en ce sens que dans la
majorité des cas, le juge délégué est un juge
exerçant au sein même du tribunal de grande instance, le
surendettement des particuliers étant parfois confié au juge
d'instance.
Le juge de l'exécution est un juge unique. Le renvoi d'une affaire est
néanmoins possible devant une formation collégiale. En six ans et
demi d'exercice, je n'ai renvoyé aucune affaire devant une
collégialité. A mon avis, il n'y a aucun profit réel
à tirer du renvoi devant la collégialité.
Le greffe du juge de l'exécution est le greffe du tribunal de grande
instance lorsque le juge de l'exécution est un juge siégeant au
tribunal de grande instance. Il est le greffe du tribunal d'instance lorsque le
juge de l'exécution est un juge d'instance.
Quelle est la compétence du juge de l'exécution ? Elle peut
se résumer dans les termes suivants : il connaît des
difficultés qui sont relatives au titre exécutoire et des
contestations qui s'élèvent à l'occasion de
l'exécution forcée, même si ces contestations portent sur
le fond du droit, à moins qu'elles n'échappent à la
compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Dans les mêmes
conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des
contestations relatives à leur mise en oeuvre. Il connaît
également des demandes en réparation fondées sur
l'exécution ou l'inexécution dommageables. Il peut prononcer des
astreintes et dispose d'une compétence quasiment exclusive pour les
liquider. Il est compétent pour accorder des délais de
grâce, aussi bien en matière de paiement qu'en matière
d'expulsion et ce domaine représente une large part de son
activité quotidienne. Enfin, il est juge du surendettement des
particuliers.
Sa compétence est d'ordre public. Elle est souvent exclusive, ce qui a
pour conséquence de contraindre tout autre juge à relever
d'office son incompétence. Cette règle est pratiquement unique
dans notre droit processuel.
La procédure devant le juge de l'exécution est relativement
simple. Il peut être saisi par voie de simple requête, s'il s'agit
de demander une autorisation, y compris pour demander l'autorisation de
pratiquer des mesures conservatoires. Le requérant, ou tout mandataire
désigné par lui, peut présenter cette requête. Il
n'existe donc pas de représentation obligatoire. Je précise que
cette faculté est très utilisée par les
sociétés de crédit. Sans se déplacer, ni mandater
un avocat, elles présentent des requêtes, établies sur des
modèles types, afin de demander l'autorisation de pratiquer des saisies
ou d'inscrire une hypothèque ou un nantissement. Cela ne leur
coûte pratiquement rien .
Dans les autres cas, c'est-à-dire en dehors des requêtes, le juge
de l'exécution est saisi selon des règles applicables dans le
cadre d'une procédure ordinaire, contentieuse, qui a subi quelques
modifications.
Lorsque la réforme est entrée en vigueur, le juge de
l'exécution pouvait être saisi, soit par acte d'huissier de
justice, appelé assignation, soit par une simple déclaration que
le justiciable pouvait envoyer par écrit, remettre au greffe du juge de
l'exécution ou faire oralement à ce greffe.
En cas de déclaration, le greffier procédait à la
convocation des parties par lettre recommandée avec accusé de
réception, doublée d'une lettre simple. Cette facilité de
saisir le juge de l'exécution a très vite conduit à une
augmentation du nombre des affaires et on s'est rendu compte qu'un très
grand nombre de demandes était constitué de demandes purement
dilatoires. Elles n'existaient que parce qu'elles ne coûtaient rien
à leurs auteurs. Lorsque j'ai moi-même été
nommé juge de l'exécution, je me suis dit que j'aurais le temps
de voir venir le contentieux. Cependant, dès ma première
audience, j'ai été surpris par le nombre important des dossiers.
En interrogeant les demandeurs, j'ai eu l'explication : entre le vote de
la réforme, le 9 juillet 1991, le décret d'application du
31 juillet 1992 et l'entrée en vigueur le 1
er
janvier
1993, le temps a été suffisant pour que les travailleurs sociaux,
les assistantes sociales en soient informés et chaque fois qu'une
personne leur faisait part d'une difficulté liée à
l'exécution, ils lui conseillaient de s'adresser au juge de
l'exécution. Ceci a eu pour conséquence de favoriser dès
le départ la formation d'un contentieux très important.
Cette facilité de saisir le juge allait dans le sens de la
proximité. Cela s'est néanmoins traduit par un contentieux devenu
très important. J'ajoute qu'au départ, l'appel pouvait se faire
sans représentation obligatoire et le contentieux s'est alors
développé devant les cours d'appel, suscitant des protestations
de la part des premiers présidents de cour d'appel. Cette situation a
conduit la Chancellerie à modifier la procédure. En effet, un
décret du 18 décembre 1996 est venu restreindre l'accès au
juge de l'exécution en imposant l'assignation comme seul mode de
saisine. Toutefois, cette règle a été à nouveau
modifiée par un décret du 30 octobre 1998 pris pour l'application
de la loi de lutte contre les exclusions. Cette nouvelle modification a
rétabli la possibilité de saisir le juge de l'exécution
par une déclaration envoyée, remise ou faite oralement au greffe,
mais seulement quand la demande est relative à l'exécution d'une
décision de justice ordonnant l'expulsion.
Je précise que la procédure ordinaire ou contentieuse devant le
juge de l'exécution est sans représentation obligatoire. Les
parties peuvent se faire assister et représenter selon les règles
prévues devant le juge d'instance. Il s'agit d'une procédure
orale. Elle se déroule sans mise en état préalable.
L'affaire vient directement devant le juge de l'exécution à
l'audience. Cela n'est pas sans risques, ni sans complications car, la
procédure étant orale, une partie peut ajouter à
l'audience d'autres demandes à sa demande initiale ou soulever de
nouveaux moyens. Une telle situation complique énormément la
tâche du juge car la partie adverse peut alors demander à disposer
d'un délai supplémentaire pour préparer sa défense.
Deux solutions sont alors envisageables : renvoyer l'affaire à une
autre audience, avec toutes les complications qui en résultent, ou
assurer le respect du contradictoire à la même audience, en
repoussant pour quelques minutes la poursuite de l'examen de l'affaire, ce qui
donne lieu à une certaine improvisation.
Comme dans toutes les procédures orales, l'affaire est instruite
à l'audience mais le dépôt d'écritures n'est pas
interdit. Il est tout à fait possible d'échanger des conclusions
écrites avant l'audience, voire à l'audience.
La procédure est d'ailleurs simplifiée à l'extrême
puisque les parties peuvent ne pas venir devant le juge. En effet, en cours
d'instance, toute partie peut exposer ses moyens par lettre adressée au
juge de l'exécution, à condition de justifier que l'adversaire en
a eu connaissance avant l'audience par lettre recommandée avec demande
d'avis de réception. Il m'est ainsi arrivé de me trouver face
à un dossier, et non à des parties, les deux parties ayant agi de
la sorte. Mais le juge de l'exécution peut ordonner que les parties se
présentent devant lui.
La décision du juge de l'exécution intervient souvent assez
rapidement. Elle est notifiée par le greffe, par lettre
recommandée, doublée d'une lettre simple. Elle peut aussi
être notifié par les parties, par acte d'huissier de justice. Elle
a en règle générale l'autorité de la chose
jugée au principal, contrairement à la décision du juge
des référés. Donc, sauf disposition contraire, seule la
cour d'appel peut la réformer. Elle est exécutoire de plein
droit, ce qui signifie que l'appel et le délai d'appel ne suspendent pas
son exécution. Une précaution a toutefois été
prise : en cas d'appel, un sursis à l'exécution des mesures
ordonnées par le juge de l'exécution peut être
demandé en référé au premier président de la
cour d'appel.
La création du juge de l'exécution était nécessaire
afin d'assurer l'équilibre des droits entre créancier et
débiteur et de trancher rapidement les difficultés
d'exécution. Elle a remédié à
l'éparpillement des compétences qui existaient en la
matière entre différentes juridictions. Elle a permis aux
justiciables d'identifier le juge compétent, sans difficultés
majeures, ce qui a réduit les renvois motivés par
l'incompétence de la juridiction saisie. Elle est également
bénéfique, dans la mesure où la loi a donné au juge
de l'exécution le pouvoir de trancher les contestations, même si
elles portent sur le fond du droit, ce qui évite le sursis à
statuer et permet de contrer efficacement les comportements dilatoires. Il faut
ajouter que les attributions du juge de l'exécution lui permettent
d'exercer indirectement une surveillance générale sur les agents
chargés de l'exécution, notamment sur les huissiers de justice,
et de signaler éventuellement au parquet les agissements non conformes
à la loi. Et, lorsque le juge de l'exécution est un juge à
poigne, il peut exercer un contrôle efficace sur les agents de son
ressort, en les convoquant, en les réunissant, pour leur faire
état des irrégularités qu'il constate et des modifications
à apporter à leur pratique.
Cela étant, la rédaction de certains textes porte en germe des
difficultés. La Cour de cassation y a remédié par
certaines de ses décisions. En raison de l'imperfection de certaines
dispositions légales, le juge de l'exécution était saisi
avant toute mesure d'exécution, avant toute contestation. Les textes,
tels qu'ils sont rédigés, pouvaient laisser croire que le juge de
l'exécution était tout puissant, voire capable de remettre en
cause ce qui avait déjà été jugé. La Cour de
cassation a précisé que le juge de l'exécution ne peut
remettre en cause le titre exécutoire en son principe, ni les
obligations que ce titre constate. Elle a également indiqué que
le juge de l'exécution ne peut être saisi des difficultés
relatives à un titre exécutoire qu'à l'occasion d'une
contestation portant sur une mesure d'exécution ou une mesure
conservatoire engagée ou opérée sur le fondement de ce
titre. Il ne s'agit donc pas d'un « super juge ».
Des interrogations portent sur la nécessité d'instaurer une
représentation obligatoire devant le juge de l'exécution. Il
s'agit d'un problème qui se pose de manière beaucoup plus
générale. Cette représentation me paraît
nécessaire, l'aide juridictionnelle permettant de remédier
à ses inconvénients.
Quelques dispositions de la loi du 9 juillet 1991 posent un réel
problème. Par exemple, l'article 68 de cette loi permet aux
créanciers titulaires de certains titres de pratiquer des mesures
conservatoires sans autorisation préalable du juge. Il en est ainsi en
cas d'une décision de justice qui n'a pas encore force
exécutoire, d'un chèque ou d'un billet à ordre
impayé, d'une lettre de change acceptée et impayée. A
l'initiative de votre Haute assemblée, cette liste comprend
également le loyer impayé lorsqu'il est dû en vertu d'un
contrat écrit de bail d'immeubles. Ceci donne lieu à de
nombreuses difficultés dans la pratique : il arrive souvent que les
sommes réclamées ne correspondent pas à des loyers mais
à des frais ou charges contestés. Néanmoins, sur la base
des affirmations du bailleur ou au seul vu de bordereaux de créances des
régisseurs d'immeubles, mentionnant des dettes de loyers, des saisies
sont faites, même dans les lieux d'habitation et avec ouverture
forcée des portes, ce qui génère un contentieux
sévère et des réactions véhémentes, à
juste titre. La solution raisonnable devrait conduire à modifier le
texte en cause et à supprimer la possibilité incriminée.
Je pense avoir été long. J'aurais encore beaucoup de choses
à dire, mais il me semble que le temps est venu pour moi de
répondre à vos questions.
M. le Président -
Je pense que mes collègues ont
parfaitement intégré les conditions de la création du juge
de l'exécution. Vous avez d'ores et déjà répondu
à un certain nombre de questions que nous nous posions, notamment celles
relatives à la justice de proximité, au greffe, à
l'augmentation et à la stabilisation du contentieux en fonction de
l'évolution de la jurisprudence. Monsieur le Rapporteur, avez-vous des
questions supplémentaires à poser ?
M. Christian Cointat, rapporteur
- Vous avez dit que le juge
de l'exécution était un juge inutile, mais incontournable. J'en
déduis que seule la fonction est incontournable. Ne pourrait-on
envisager une évolution du juge d'instance lui permettant d'exercer les
attributions du juge de l'exécution, ce qui en ferait un
véritable juge de proximité. Pensez-vous au contraire qu'il soit
préférable de conserver le dispositif actuel ? En d'autres
termes, comment voyez-vous l'avenir du juge de l'exécution dans le cadre
de cette évolution inévitable vers la proximité ?
M. Tony Moussa
- Je m'interroge beaucoup sur la notion de juge
de proximité. Il en est beaucoup question, sans que je sache
réellement de quoi il s'agit. S'agit-il d'une proximité
géographique, ou d'une proximité dans le sens ou l'accès
au juge est facile, selon des procédures simples ou peu coûteuses.
S'il s'agit d'une proximité uniquement géographique, je peux me
demander si cela est réellement justifié. Par exemple, même
dans une très grande ville comme Lyon, certains juges seront
désignés comme des juges de proximité alors que d'autres
ne le seront pas, bien qu'ils se situent à un kilomètre les uns
des autres. La proximité me paraît résider dans les
modalités d'accès au juge et dans sa disponibilité.
Par ailleurs, je ne pense pas que nous puissions éviter de mener une
réflexion sur la nécessité d'avoir des juges
spécialisés. Je ne pense pas que nous puissions continuer
à admettre la notion du juge omniscient. Le contentieux est de plus en
plus spécialisé -vous le savez, puisque vous êtes
vous-même à l'origine des textes qui génèrent le
contentieux. Or il n'est pas possible de tout savoir. Il suffit de passer en
revue les compétences matérielles du juge d'instance pour se
rendre compte qu'il faudrait véritablement être omniscient pour
pouvoir remplir correctement sa fonction.
J'ai pour ma part tendance à répondre que, compte tenu de la
complexité des matières, il n'est pas possible de dire à
un juge qu'il doit tout faire, car cela risque de le pousser à l'erreur.
M. le Rapporteur
- L'évolution ne pourrait-elle pas
aller dans le sens d'une plus grande autonomie des juges, au-delà du
rôle de simple délégué du président du
tribunal de grande instance ?
M. Tony Moussa
- Les textes actuels ne constituent en aucune
manière une gêne. Une fois la délégation
accordée, l'autonomie du juge de l'exécution devient effective.
La question ne se pose alors pas de savoir s'il existe un lien de
dépendance fonctionnelle avec le président. Le président
n'intervient pas du tout dans le fonctionnement de la juridiction de
l'exécution. La délégation est une simple mesure
administrative. La modification des règles de désignation du juge
de l'exécution (nomination par décret, par exemple) peut poser
des problèmes compte tenu de la pénurie des magistrats. Si la
règle devait être modifiée, il y aurait un juge de
l'exécution nécessairement différent de celui que nous
connaissons actuellement et que les justiciables ont bien identifié pour
lui présenter leurs recours.
Je précise qu'il existe des endroits où le juge de
l'exécution ne fait que de l'exécution. Dans les grandes villes,
le contentieux de l'exécution est tel que des magistrats doivent
être spécialisés dans l'exécution. Ils sont au
nombre de six à Paris. J'étais le seul à Lyon. Toutefois,
lorsque je suis parti, un deuxième juge a été
nommé.
Je voudrais vous signaler que le contentieux de l'exécution dans lequel
l'administration fiscale est partie prenante constitue une source de
difficultés majeures, réelles et inadmissibles, parce que tous
les textes sont faits pour faire trébucher le contribuable. Ainsi,
lorsque celui-ci veut contester une saisie réalisée par
l'administration, il n'est pas toujours en mesure de savoir s'il doit
s'adresser directement au juge ou faire un recours préalable
auprès de l'administration. Et même lorsque ce recours
préalable est fait, la réponse de l'administration ne permet pas
d'identifier avec précision le juge compétent, cette
réponse étant fournie sur une page imprimée dans laquelle
il est indiqué que si la contestation porte sur le principe ou
l'assiette de la créance, il faut saisir le juge administratif, que si
elle porte sur la régularité de l'acte, il faut s'adresser au
juge judiciaire, sans parler des distinctions selon que la contestation a trait
à la propriété ou à l'insaisissabilité des
biens. Souvent, les intéressés n'y comprennent strictement rien.
Ils se rendent devant le juge de l'exécution, alors qu'il n'est pas
compétent. Je pense pour ma part que, dans un Etat de droit et dans une
législation moderne, il n'est plus possible d'admettre de ce genre de
problèmes.
M. le Président -
Je vous remercie.
Audition de Mme Marie-Antoinette HOUYVET,
premier juge
d'instruction au tribunal de grande instance de Paris,
présidente de
l'Association française des magistrats instructeurs,
et de
M. Jean-Baptiste PARLOS,
juge d'instruction au tribunal de grande
instance de Paris,
membre du Bureau de l'Association française des
magistrats instructeurs
(24 avril
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
La commission des Lois a
créé une mission d'information sur l'évolution des
métiers de la justice. Dans ce cadre, nous nous intéressons bien
évidemment au juge d'instruction.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Nous nous intéressons tout
particulièrement à la question de la spécialisation des
magistrats.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
L'Association française des
magistrats instructeurs est tout à fait favorable à la
spécialisation des juges d'instruction. Malheureusement, la
récente réforme du statut empêche cette
spécialisation de perdurer, ce qui n'est pas sans nous inquiéter.
Nous disposons de juges spécialisés en matière de
terrorisme. Il nous semble également tout à fait essentiel que
des juges d'instruction spécialisés dans le domaine financier
soient nommés, et ce sur l'ensemble du territoire national. Il ne faut
pas en effet que nous fassions des juges d'instruction
spécialisés des juges d'instruction isolés.
M. le Président -
Nous nous sommes en effet posé cette
question.
Mme Marie-Antoinette Houyvet
- Il nous semble également
important qu'au siège de chaque cour d'appel, il existe des juges
d'instruction spécialisés en matière économique et
financière. Je suis moi-même parisienne depuis très peu de
temps, je suis arrivée à Paris à la fin de l'an
passé. Ma carrière a jusqu'à présent
été provinciale. J'ai eu en charge de nombreux dossiers de
province. Les dossiers économiques et financiers y sont
extrêmement difficiles à gérer. Je pense par
conséquent que l'efficacité de la justice pourrait être
accrue, si un juge de province avait la possibilité de se
décharger d'un dossier particulièrement lourd, au profit d'un
juge d'instruction spécialisé, agissant au niveau de la Cour
d'appel. Je pense que de cette façon, tous les dossiers pourraient
être instruits dans des délais plus raisonnables, et de
façon plus efficace.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Il est vrai que dans les grandes villes, nous
avons réellement besoin de magistrats anciens, afin de connaître
le fonctionnement de la délinquance organisée. Nous avons
absolument besoin d'avoir une bonne connaissance de la géographie, de
l'implantation des réseaux de criminalité, mais également
du fonctionnement des institutions. J'ai moi-même mis deux ans à
comprendre comment fonctionnait l'Hôtel de Police. J'ai en outre saisi un
certain nombre de nuances : j'ai par exemple compris que l'on travaillait
mieux avec les hommes qu'avec les services.
Je pense, en outre, que dans le cadre actuel du statut, qui limite à 5
ans la présence dans une juridiction, afin de pouvoir obtenir
l'avancement sur place, il pourrait être utile de disposer d'une
spécialisation suffisante, pour pouvoir mener de gros dossiers en
matière de banditisme. Il n'existera malheureusement plus de magistrats
spécialisés, bénéficiant d'une ancienneté et
d'une véritable connaissance.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Nous pouvons également imaginer
qu'il y a urgence à créer un pôle de santé publique,
et qu'il soit effectivement mis en oeuvre.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Nous regrettons par ailleurs d'être
isolés de nos collègues financiers. Il n'existe pas de tension,
ni de rivalité. Chacun de ces dossiers est intéressant. Il est
vrai que nous aurions souhaité être regroupés sur un
même lieu. J'ajoute que les magistrats souffrent un peu d'être
détachés. Ils appartiennent à une juridiction. Or le fait
de les avoir séparés de cette juridiction a contribué
à créer un certain nombre de phénomènes, dont vous
avez peut être entendu parlé, et qui nous paraissent tout à
fait regrettables.
M. le Président -
Pensez-vous qu'il faille un juge d'instruction
dans chaque tribunal de grande instance ?
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Il nous semble judicieux d'aboutir
à une réforme de la carte judiciaire, puisque nous nous
apercevons qu'il existe une déperdition des moyens mis en oeuvre. Or il
est vrai que la charge de travail est extrêmement inégale entre
les juridictions. J'ajoute que les dernières lois ont contribué
à aggraver la situation. Par exemple, les petites juridictions ont de
plus en plus de mal à fonctionner.
Par ailleurs, parmi les postes qui sont proposés à la sortie de
l'Ecole nationale de la magistrature, seuls 20 à 30 postes de juge
d'instruction sont proposés. Tous les postes qui sont proposés
à de plus jeunes collègues le sont dans des très petites
juridictions, dans lesquels ils sont fatalement isolés. Or il ne semble
pas qu'il s'agisse là d'une situation idéale.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Il est vrai que nous buttons sur le
problème de la carte judiciaire depuis très longtemps. Lors de la
réforme de 1958, de très nombreuses juridictions ont
été supprimées. Nous avons réellement
assisté à une réforme d'ensemble. Pour avoir
moi-même travaillé à la Chancellerie, j'ai constaté
combien il était difficile, pour toute sorte de raisons, de supprimer
une juridiction. Nous sommes en l'occurrence face à un réel
problème.
M. le Président
- Qu'en est-il de la
création d'un cinquième poste de juge d'instruction au pôle
anti-terroriste de Paris?
M. Jean-Baptiste Parlos -
En ce qui concerne les juges
anti-terroristes, la réflexion est la suivante, elle pourrait d'ailleurs
d'appliquer à d'autres domaines du droit et de la justice : il
n'est pas possible d'ajouter un poste de magistrat à la section
antiterroriste, tant que nous n'aurons pas mené un certain nombre de
réflexions, tant que nous n'aurons pas donné à cette
section des moyens matériels. Lorsque nous aurons obtenu tout cela, nous
pourrons désigner un cinquième magistrat, sachant que pour former
un cinquième magistrat anti-terroriste, deux à trois ans seront
nécessaires. Il ne sert donc à rien de créer un poste de
magistrat, si dans le même temps, nous ne disposons pas des moyens
préalables qui permettront de rendre son travail efficace. Il ne sert
à rien d'augmenter indéfiniment le nombre de magistrats si dans
le même temps, le nombre de greffiers, de photocopieurs, de fax, de
voitures, etc, n'augmente pas.
M. le Président -
Quelle est votre conception des assistants de
justice ?
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Les assistants de justice sont tout
à fait précieux. Il faut tout de même permettre aux
magistrats d'être des magistrats, c'est-à-dire de se recentrer sur
leur fonction juridictionnelle. A l'heure actuelle, les assistants de justice
sont essentiellement des étudiants.
M. le Président -
Ne pensez-vous pas qu'il serait bon
d'améliorer la qualité du greffe ?
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Je pense qu'il nous faudrait tout
simplement obtenir des greffiers supplémentaires, tant il est vrai que
les greffiers sont en nombre insuffisant. Les magistrats instructeurs sont de
moins en moins des assistants instructeurs.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Les fonctionnaires sont de très bonne
qualité. Leur formation est tout à fait satisfaisante. Ils sont
en outre d'un grand dévouement. Nous avons donc tout
intérêt à pouvoir nous appuyer sur eux. Si nous pouvions
bénéficier de deux ou trois greffiers par cabinet d'instruction,
nous devrions raisonnablement diminuer la durée des instructions.
M. le Président -
Quelle est l'influence du droit européen
sur l'exercice du métier de magistrat ?
M. Jean-Baptiste Parlos -
Je pense que les dispositions de la Cour
européenne des droits de l'homme ont fondamentalement transformé
le droit, en introduisant subitement un certain nombre de disposition dans le
droit positif français. Il s'agit de notions très basiques, mais
relativement étrangères à notre canevas judiciaire. Il est
vrai que nous nous sommes rendu compte que ces notions nécessitaient un
certain nombre de changements législatifs. Nous ne pensons pas que la
convention européenne des droits de l'homme contribuera à la
disparition de la fonction. En revanche, elle a fondamentalement modifié
la procédure judiciaire française.
Il est vrai que si la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence
avait été appliquée dans un délai suffisant, nous
ne serions peut-être pas dans la situation actuelle, absolument
catastrophique dans certaines juridictions. Aujourd'hui, les délais de
jugement sont extrêmement longs. La chambre d'instruction ne peut plus
agir selon ses besoins. Nous sommes par conséquent parvenus à une
situation de blocage pour un certain nombre de dossiers.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
La loi sur la présomption
d'innocence impose en outre de respecter des délais butoirs. Elle
autorise la libération de certaines personnes, alors que
parallèlement, nous ne disposons pas des moyens de mener correctement
notre instruction, notamment au niveau international. Nous devons nous
résoudre à effectuer des choix. Nous ne menons pas l'instruction
de certains dossiers à son terme, afin de pouvoir tenir les
délais. Ainsi, les jugements, lorsqu'ils ont lieu, interviennent dans
des délais extrêmement longs, alors que certaines personnes ne
sont tout simplement pas jugées. Certaines personnes sont ainsi
laissées en liberté, ou en fuite. Nous ne pourrons alors les
retrouver qu'au hasard de certaines affaires. Cela est particulièrement
vrai dans tout ce qui concerne les affaires de trafic de stupéfiants.
Dans ce domaine, il arrive que nous retrouvions des personnes au hasard des
dossiers.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Nous sommes face à un véritable
paradoxe, né de l'introduction dans le droit français de notions
empiriques. Le système juridique français est extrêmement
rationnel, il fonctionne avec des classifications. Il comporte un certain
nombre de barricades juridiques. Nous devons laisser le juge libre de son
action et ne pas l'insérer dans un carcan, qui rend très
difficile l'application de ces notions pragmatiques.
Un second paradoxe est très important : il n'est pas possible de
modifier indéfiniment les lois et, dans le même temps, de
réduire considérablement le champ de liberté de
l'enquêteur.
M. le Président -
Les moyens mis à la disposition des
juges sont-ils suffisants ? Par exemple, certains juges économiques
et financiers se sont plaint amèrement du fait qu'ils ne disposaient pas
d'officiers de police judiciaire pour exécuter les commissions
rogatoires.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Tel est le cas pour chacun d'entre nous.
Nos collègues de province éprouvent également toutes les
peines du monde à faire respecter les délais impartis à
leurs commissions rogatoires. Je crois que nous sommes confrontés
à un désinvestissement de la part des professionnels de la
justice. Le manque de moyens et la dégradation du fonctionnement de la
justice favorisent en effet la démotivation du personnel de justice.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Nous sommes tous surpris par l'antagonisme
entre cette construction procédurale et la volonté
d'améliorer la répression.
M. le Président -
L'objectif de la procédure pénale
est d'identifier les auteurs d'actes délictueux. Il est normal que dans
ce cadre, la protection des libertés soit respectée. Il demeure
que l'objectif de la procédure pénale est d'identifier et de
juger les délinquants.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
La fonction de juge des libertés
et de la détention n'est réellement utile que dans les
juridictions importantes. Il demeure que la question du changement reste
posée. Il a été proposé un temps de
développer une collégialité à la carte. En effet,
considérant que moins de 5 % des personnes en détention
provisoire faisaient l'objet de recours, il a été proposé
que la personne mise en examen puisse demander, si elle le souhaite, à
ce que le problème de la détention provisoire soit
évoqué par une collégialité, dont ferait partie le
juge d'instruction.
Les dossiers adressés au juge des libertés et de la
détention sont parfois énormes. Il ne dispose parfois pas des
délais nécessaires pour en prendre connaissance et prendre la
meilleure décision.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Les objectifs de la loi de 15 juin 2000
étaient de limiter la détention provisoire et d'assurer les
conditions d'un double regard. En ce qui concerne la limitation de la
détention provisoire, je crois savoir que l'objectif n'a pas
été atteint. Il faut par ailleurs noter que les mandats de
dépôt en comparution immédiate sont de plus en plus
nombreux.
En ce qui concerne le double regard, nous pouvons nous demander s'il existe une
différence entre les demandes des juges et les décisions des
tribunaux. Les statistiques disent que nous avons atteint un taux de 98 % de
confirmation à Paris.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Il arrive néanmoins que des
petites et moyennes juridictions soient totalement paralysées. Par
exemple, les délais de divorce y sont beaucoup plus longs. L'ensemble de
la justice est concerné, et non pas seulement l'instruction. La
réforme actuelle, notamment la création du juge des
libertés et de la détention, exige que des moyens importants y
soient consacrés.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Il est toujours difficile de prendre seul une
décision, surtout lorsqu'il s'agit d'une détention. Nous nous
apercevons que les contestations liées à la détention
provisoire sont limitées à un certain nombre de situations. Il
demeure que dans l'immense majorité des cas, le problème de la
décision de la détention provisoire ne se pose pas. Nous pouvons
par exemple imaginer un système dans lequel la
collégialité serait limitée à environ 10 % des cas.
Mme Marie-Antoinette Houyvet -
Il nous semble tout à fait
légitime de réclamer la collégialité, dès
lors que cela apparaît être le moyen de préserver les droits
de la personne.
M. le Président -
Un de vos collègues estimait que les
magistrats des chambres d'instruction ne possédaient pas toujours les
compétences requises.
M. Jean-Baptiste Parlos -
Il est important de ne pas exclure des
chambres d'instruction des magistrats qui ont déjà
été juges d'instruction.
M. le Rapporteur -
Notre mission est consacrée à
l'évolution des métiers de la justice. Comment voyez-vous le
rôle du juge d'instruction de demain ?
M. Jean-Baptiste Parlos -
Cette question nous est beaucoup posée.
Nous sommes les serviteurs de l'Etat. Nous ferons donc ce que la loi nous
commandera de faire. Nous ne sommes pas les propriétaires de notre
charge. D'autres métiers de justice sont tout aussi passionnants que
celui de juge d'instruction. Nous sommes donc relativement
détachés et philosophes vis-à-vis de cette institution.
Par ailleurs, lorsque nous voulons changer un système, il faut avoir
quelque chose d'autre pour le remplacer. Je me souviens par exemple d'un
gouvernement qui avait demandé au procureur de la République du
tribunal de grande instance de Paris de bien vouloir quitter ses fonctions,
sans pour autant désigner quelqu'un pour le remplacer. Le parquet de
Paris est ainsi resté pendant un certain nombre de semaines sans
procureur.
La suppression du juge d'instruction suppose de définir par la suite un
vrai système, qui soit réellement susceptible de fonctionner.
Nous constatons malheureusement que la situation du parquet est telle que nous
pouvons légitimement nous demander s'il serait à même de
faire fonctionner un autre système que celui du juge enquêteur.
Nous sommes par conséquent favorables au maintien d'un juge qui dirige
l'enquête. Il faut simplifier les procédures, et surtout donner
les moyens au juge de travailler correctement. Il est, enfin, nécessaire
d'assurer une cohérence juridique à l'ensemble du système.
M. le Rapporteur -
Pensez-vous qu'il soit réellement normal que
l'instruction relève du siège ? En Grande-Bretagne, par
exemple, le juge a, entre autres, pour rôle de veiller au respect de la
procédure pénale.
M. le Président -
Il est certain que les systèmes
juridiques des Etats membres de l'Union européenne vont se rapprocher de
plus en plus. Les anglo-saxons eux-mêmes s'interrogent sur la pertinence
de leur procédure.
Je vous remercie.
Table ronde sur l'évolution des métiers
de greffier en chef
et de
greffier
(14 mai 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
Participaient à la table ronde :
- Mme Lysiane FLEUROT, secrétaire nationale de la section
des greffiers en chef de l'Union syndicale autonome Justice (USAJ),
- Mme Brigitte BERCHERE, secrétaire nationale de la
section des greffiers de l'Union syndicale autonome Justice (USAJ),
- M. Joël RECH, représentant du syndicat des
greffiers de France (SDGF),
- M. Philippe NEVEU, secrétaire général du
syndicat des greffiers de France (SDGF),
- Mme Véronique RODERO, présidente de
l'Association des greffiers en chef des tribunaux d'instance,
- M. Jacques PARRA, vice-président de l'Association des
greffiers en chef des tribunaux d'instance.
M. Jean-Jacques Hyest, président -
La commission des Lois du
Sénat a décidé de créer une mission d'information
sur l'évolution des métiers de la justice. Compte tenu de la
diversité de votre représentation professionnelle, nous avons
jugé qu'il était préférable de vous réunir
tous ensemble, afin que vous nous livriez vos réflexions sur un certain
nombre de questions. Les professions que vous représentez jouent un
rôle tout à fait central. Nous avons également entendu ou
nous entendrons les représentants des autres corps judiciaires,
notamment les magistrats. Nous souhaitions ainsi vous entendre, notamment
après les évolutions apportées aux métiers de
greffier en chef et de greffier, et connaître non seulement votre
sentiment sur cette évolution, qui induit un enrichissement des
tâches, mais aussi votre position par rapport aux questions relatives aux
assistants de justice et à la formation. Je vous signale à ce
titre que nous nous rendrons à l'Ecole nationale des greffes au mois de
juin parce qu'il nous semble important d'appréhender la manière
dont est assurée la formation des greffiers et greffiers en chef.
Je vous livre à présent aux questions de Monsieur le Rapporteur
et vous propose de prendre la parole tour à tour. Le syndicat CFDT des
services judiciaires présente ses excuses pour son absence. La personne
qui devait venir est en effet souffrante. Hormis cette absence, toutes les
organisations représentées au comité technique paritaire
(CTP) sont présentes. Je rappelle qu'un arrêté, daté
du 19 avril 2002, détermine les organisations habilitées à
désigner des représentants au sein du CTP central auprès
du directeur des services judiciaires, ainsi que le nombre de sièges
réservés à chacune d'entre elles.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Nos invités ont
peut-être une déclaration liminaire à faire, avant que je
ne leur pose des questions.
Mme Brigitte Berchère -
Je tiens à rappeler que notre
organisation est la première en ce qui concerne les services
judiciaires. Nous regroupons toutes les catégories de fonctionnaires,
greffiers en chef, greffiers et fonctionnaires de catégorie C, quelle
que soit leur fonction, technique ou administrative. A ce titre, je tiens
à préciser que nombreux sont nos collègues de
catégorie C qui exercent des fonctions de catégorie B, voire,
à titre exceptionnel, de catégorie A. Nous souhaitons que cet
aspect soit bien assimilé. Les fonctionnaires ont, d'une part, vocation
à évoluer et, d'autre part, exercent certaines fonctions qui
peuvent dépasser le cadre défini par leur statut et la structure
au sein de laquelle ils sont censés travailler. Ils exécutent
bien entendu ces tâches avec zèle et compétence, sans
jamais rechigner.
Aujourd'hui, nous rencontrons quelques difficultés avec le
ministère de la justice. En effet, après les grèves qui se
sont déroulées en novembre 2000, nous avons signé un
protocole d'accord qui n'est, à ce jour, pas appliqué comme nous
le souhaiterions. Des groupes de travail ont procédé à des
relevés de conclusion, portant sur les travaux et les compétences
de chacun des fonctionnaires, particulièrement sur ceux des greffiers en
chef et des greffiers, puisque les catégories C possèdent un
statut interministériel. Nous espérions que nos missions seraient
reconnues en tant que telles, dans le cadre de l'évolution de nos
métiers, et qu'un nouveau statut serait défini. Je ne vous
cacherai pas notre déception à ce sujet. Nous, greffiers et
greffiers en chef, appliquons en effet au quotidien l'aide à la
décision des magistrats. Nous avons même parfois tendance à
affirmer au sein des juridictions que nous assurons la carrière des
magistrats. Je vous prie de m'excuser d'employer de tels termes, mais nul ne
peut nier qu'un magistrat, assisté d'un greffier ou d'un greffier en
chef efficace dans le domaine de l'organisation des services, peut dire le
droit et se consacrer à ses missions essentielles avec beaucoup plus de
facilité qu'un autre. Tous les représentants de la Chancellerie
ont conscience de ce fait, à commencer par les magistrats.
Je rappelle que l'USAJ souhaite obtenir un statut dérogatoire au
même titre que les magistrats. Il s'agit de notre revendication
première. Nous sommes en effet quelque peu enfermés dans le
système du statut de la fonction publique qui nous régit et qui
présente l'inconvénient de soulever de nombreuses
difficultés dès que nous souhaitons faire évoluer notre
carrière professionnelle.
Je rappelle en outre qu'en ce qui concerne la catégorie B, nous n'avons
pas obtenu de transfert de compétences, comme l'ont obtenu les greffiers
en chef. La demande de l'USAJ concernait un transfert de
compétences générique au greffe. A charge ensuite
pour le responsable du greffe de confier les tâches et les missions
à des fonctionnaires de catégorie B, c'est-à-dire, pour le
moment, à des greffiers. Nous souhaitons ainsi que la plupart des
tâches dévolues aux greffiers en chef le soient au greffe en tant
que tel. Cette demande est particulièrement valable pour les tribunaux
d'instance, dans lesquels le manque de greffiers en chef et de greffiers se
fait particulièrement ressentir. Dans un tribunal d'instance, il est en
effet rare que les deux soient systématiquement présents,
à cause des congés annuels, des congés de formation, des
mutations, des avancements, etc. Peu nombreux sont les greffiers dits
« placés ». Il n'existe pas de greffiers en chef
placés. Les chefs de cour sont donc obligés d'appliquer le
système des délégations. A partir du moment où le
greffier en chef d'un tribunal d'instance ne peut déléguer ses
tâches au greffier, un autre greffier en chef est systématiquement
délégué. Ce dernier doit donc assumer la charge de travail
de deux tribunaux. Je tiens à préciser que la Chancellerie nous
annonce depuis plus de dix ans, quels que soient les gouvernements qui se sont
succédé, que ce type de délégation sera
prochainement appliqué aux greffiers. Or cette mesure n'est toujours pas
prise.
Mme Lysiane Fleurot -
Sur le terrain, la confusion entre les missions et
les statuts est telle que nous utilisons l'expression de « faisant
fonction ». Les agents de catégorie C font ainsi fonction de
greffier et ces derniers font fonction de greffier en chef. Les greffiers en
chef se voient attribuées des fonctions très
générales et très génériques,
néanmoins basées sur la direction, la gestion et le management.
Ils jouent en même temps le rôle d'authentificateur, étant
greffiers. A leur tour, les greffiers se retrouvent parfois affectés
à des postes de gestion, alors que la reconnaissance de cette fonction
de chef de greffe leur est refusée. Le besoin de clarification se fait
donc intensément ressentir. Il passe par la reconnaissance et la
revalorisation statutaires, processus qui, pour le moment, est au point mort
pour toutes les catégories concernées.
M. Joël Rech
- Un rapport sur l'évolution des
métiers des greffes a mis en évidence un certain nombre de
facteurs, à commencer par le malaise que ressentent nos collègues
devant la confusion des tâches qui vient d'être
évoquée. Si les textes prévoient, par exemple, qu'un agent
de catégorie C peut ponctuellement remplir les fonctions de greffier,
ils stipulent que ce remplacement doit avoir lieu à titre exceptionnel
et temporaire. En réalité, je suppose qu'il s'agit d'une aubaine
pour l'administration. En effet, le recours à des agents de
catégorie C pour assumer des fonctions normalement dévolues
à des greffiers permet d'éviter un recrutement à un niveau
supérieur et de réaliser ainsi des économies
budgétaires non négligeables. Ce procédé n'en donne
pas moins naissance à de nombreuses difficultés, auxquelles se
heurtent nos collègues greffiers, puisqu'ils doivent parfois batailler
durement à la sortie de l'Ecole nationale des greffes pour obtenir des
fonctions que leur réservent les textes, comme l'assistance aux
magistrats et la tenue des audiences.
Le transfert de tâches a également été
abordé. Il est vrai que la loi de 1995 a prévu le transfert d'un
certain nombre de fonctions au greffier en chef, notamment en matière de
nationalité et de compte de gestion de tutelle, dans les tribunaux
d'instance. Or, des greffiers, voire des agents de catégorie C,
accomplissent réellement ces missions dans 98 % des cas, le
greffier en chef n'exerçant plus qu'une fonction de contrôle et de
signature, étant titulaire de cette délégation et seul
habilité à pouvoir parapher, par exemple, les certificats de
nationalité. Ce malaise est d'autant criant que les niveaux de formation
des greffiers en chef et des greffiers qui travaillent en juridiction
atteignent bac + 4 dans la grande majorité des cas. Nous
constatons en effet depuis une dizaine d'années l'arrivée massive
d'étudiants et d'universitaires, possédant des niveaux de
formation largement plus élevés que ceux qui sont normalement
requis par les textes qui président au recrutement des greffiers (niveau
bac). Cette tendance est logique, étant donné que le programme
des épreuves ne permet pas à un bachelier de passer avec
succès le concours de greffier.
M. le Président -
Ceci ne représente pas la
caractéristique unique du métier de greffier.
M. Joël Rech -
En effet. La spécificité se situe
davantage dans les fonctions que le candidat est appelé à exercer.
M. le Président -
Concernant le niveau de recrutement
défini par rapport au diplôme, il est évident que cette
question se pose dans d'autres corps de la fonction publique. Ainsi, à
l'Ecole des officiers de la police nationale, le niveau bac + 4 doit
correspondre à la fonction de commissaire. En réalité, la
plupart des officiers ont déjà le niveau bac + 4, si ce
n'est bac + 5.
M. Joël Rech -
Nous en sommes conscients. Certains greffiers sont
thésards, dépassant ainsi le niveau de formation des magistrats
avec lesquels ils collaborent. Le marasme dans le secteur privé a
peut-être conduit ces universitaires à rejoindre la fonction
publique. Cependant, de nombreuses personnalités politiques s'accordent
à envisager un éventuel changement de ces conditions
économiques à l'avenir. Nous avons créé des besoins
au sein de l'institution judiciaire. Il ne faudrait donc pas que ces
universitaires, insuffisamment considérés, rejoignent le secteur
privé, nous laissant nous débattre avec une situation impossible
à gérer. Il nous paraît donc incontournable de proposer aux
greffiers un statut qui traduise la juste reconnaissance des missions qu'ils
assument. Le rapport sur l'évolution des métiers de greffe
préconisait un transfert des missions juridictionnelles, incluant les
missions de conciliation ou de médiation, au bénéfice des
greffiers, tandis que le rapport des entretiens de Vendôme, qui ne sera
suivi d'aucun effet, vous le savez aussi bien que nous, préconisait
juste le transfert des fonctions administratives. Le rapport sur
l'évolution des métiers de greffe nous paraît donc plus
pertinent que le rapport des entretiens de Vendôme, ce dernier laissant
la part belle aux auxiliaires, c'est-à-dire les avocats, et dans une
moindre mesure aux magistrats. Or ces professions ne constituent pas à
elles seules l'institution judiciaire.
Nous prônons donc un statut pour les greffiers en chef, même si la
réforme qui les concerne a déjà été
largement engagée, puisque la dernière réunion du CTP
ministériel a permis de valider un certain nombre de textes. Nous
estimons tous néanmoins que cette réforme est grandement
insuffisante, au regard de la situation présente et de
l'évolution de la justice. Les propositions adressées aux
greffiers étaient également insuffisantes. Nous nous
réunirons probablement à nouveau pour procéder au rapport
d'étape, programmé l'année dernière au mois
d'avril. Nous estimons que l'institution doit évoluer. Nous avons
abandonné la question de la réforme de la carte judiciaire,
même si nous savons pertinemment que certaines juridictions disposent
d'un personnel excédentaire et travaillent dans des conditions
extrêmement confortables, tandis que d'autres sont surchargées de
travail. Nous ne demandons pas nécessairement un redéploiement,
mais nous considérons qu'un certain nombre de solutions technologiques,
qui sont mises au premier plan aujourd'hui avec l'intranet justice, notamment
le télétravail, permettraient aux agents de demeurer dans leur
juridiction, tout en apportant un secours ponctuel aux agents d'autres
juridictions, ne serait-ce que pour effectuer des tâches purement
administratives, comme la frappe de décisions.
Ces phénomènes sont importants. En effet, une meilleure gestion
du personnel permettrait probablement d'engendrer une certaine motivation chez
les agents dont l'action serait plus reconnue dans l'institution judiciaire
qu'elle ne l'est actuellement. Je n'irai pas jusqu'à affirmer que nous
ne sommes que des numéros, mais il est clairement établi que nous
sommes interchangeables et que même le système des notations ne
garantit pas forcément la promotion des meilleurs. Il ne permet donc pas
aux agents de conserver leur motivation, alors qu'ils accomplissent leurs
missions dans des conditions de plus en plus difficiles. Vous n'ignorez pas que
la mise en place de la loi sur la présomption d'innocence sans
renforcement d'effectifs a nécessité de la majorité
d'entre nous des sacrifices non négligeables vis-à-vis de notre
vie privée. Nombreux sont nos collègues ainsi obligés
d'effectuer des heures supplémentaires, même si, nous pouvons le
reconnaître, ils ne rencontrent pas de grande difficulté pour
obtenir leurs heures de récupération. Nos collègues de
l'Union syndicale autonome justice l'ont expliqué : les
fonctionnaires de l'institution judiciaire font preuve d'une grande conscience
professionnelle et sont certainement très attentifs à la notion
de service public et à l'image qu'ils peuvent en donner aux justiciables.
M. Philippe Neveu -
Je soulève une question qui sera
peut-être un jour réglée. Les magistrats sont
recrutés pour dire le droit. Or une grande part de leur temps est
accaparée par les tâches de gestion administrative. Un
véritable problème se pose. Les services judiciaires disposent
d'un corps de greffiers en chef, de catégorie A, recrutés au
niveau bac + 3. Quel obstacle nous empêche de les transformer
en administrateurs de juridiction ? Les magistrats sont-ils
recrutés pour s'occuper de la gestion administrative et
budgétaire ou pour dire le droit ? D'autres administrations
bénéficient d'un corps d'administrateurs des juridictions.
M. le Président -
Qu'en est-il dans les services administratifs
régionaux (SAR) ?
M. Philippe Neveu -
Les greffiers en chef remplissent majoritairement ce
rôle dans les SAR. Ils sont avant tout recrutés pour gérer
et non pour dire le droit.
M. le Président
- Dans les juridictions, ils exercent
à la fois une fonction de gestion et une fonction juridictionnelle,
depuis le transfert de certaines compétences.
M. Philippe Neveu -
Après le transfert, ces compétences
sont passées du domaine juridictionnel au domaine administratif. Dans la
plupart des juridictions, des greffiers de catégorie B reçoivent
le public, instruisent les dossiers, effectuent les recherches, rédigent
les actes et soumettent à signature. Pourquoi ne rapprocherions nous pas
la décision de celui qui reçoit le public ? Le greffier joue
un rôle d'accueil très important. Dans une juridiction, le
justiciable rencontre d'abord un greffier ou un fonctionnaire, avant de
rencontrer un magistrat. Le greffier ou le fonctionnaire assume donc le
rôle de filtre. Mes collègues de l'Union syndicale autonome
justice, aussi bien que mon collègue du syndicat des greffiers de
France, ont mentionné la confusion des tâches en juridiction. Un
travail a été accompli en matière de
référentiel métier, chaque fonction ayant
été étudiée. Nous disposons maintenant d'un
document de 800 ou 900 pages, mais la logique de cette démarche n'a
pas été suivie jusqu'à son terme. Un
référentiel métier permet en effet de déterminer
qui fait quoi. Nous sommes recrutés en tant que greffier en chef,
greffier ou agent de catégorie C, à un certain niveau de
diplôme, pour exercer des fonctions spécifiques. D'après le
référentiel métier, la tâche principale d'un
greffier consiste à assister le magistrat. Or la pénurie
d'effectifs ou une gestion parfois inapte de ces effectifs peut aboutir
à une confusion des tâches. Si le référentiel
métier existe, pourquoi ne l'utilisons-nous pas ?
M. le Président -
A qui en incombe la responsabilité ?
M. Philippe Neveu -
Elle en incombe à l'administration, qui a mis
en place ce référentiel. Il faut définir les
catégories susceptibles d'exercer les métiers
référencés. Il existe au sein des services judiciaires un
projet de création d'un corps de secrétaires administratifs. Deux
corps de catégorie B seraient ainsi définis : les
secrétaires administratifs et les greffiers. Il faudra déterminer
précisément les tâches que devront accomplir les uns et les
autres, pour éviter d'ajouter à la confusion et justifier cette
création d'un nouveau corps de métier.
M. le Président -
Les secrétaires administratifs
relèveraient-ils de la catégorie B ?
M. Philippe Neveu -
Oui. Ils seraient recrutés au niveau de
formation correspondant au baccalauréat.
M. Joël Rech -
Le niveau du secrétaire administratif
correspondrait au niveau actuel du greffier, tandis que les candidats au poste
de greffier devraient justifier d'un niveau de formation équivalent
à bac + 2 et bénéficieraient d'un allongement de
la durée de la formation initiale. Il s'agit d'un statut
dérogatoire au même titre que les inspecteurs de police ou les
infirmières.
M. le Président -
Je vous rappelle que les inspecteurs de police
n'existent plus. Vous voulez sans doute évoquer les officiers de police.
M. Joël Rech -
Absolument.
M. Philippe Neveu -
Si deux corps de catégorie B étaient
établis, le référentiel métier prendrait toute son
importance. Il faudra donc déterminer les métiers qui
correspondent à la fonction de secrétaire administratif, ceux qui
correspondent à la fonction de greffier et ceux qui correspondent
à la fonction de greffier en chef, chacun pouvant ensuite remplir au
sein des juridictions les tâches pour lesquelles il a été
recruté. Par ailleurs, l'administration dispose très bel outil,
intitulé « outil greffe ». Siégeant
à la commission administrative paritaire des greffiers, je constate que
cet outil est souvent mis en avant par ses utilisateurs lorsqu'il permet de
déceler un déficit de personnel dans telle ou telle juridiction.
En revanche, lorsqu'outil greffe permet de déceler un
excédent de personnel au sein d'une juridiction, il nous est
présenté comme un outil peu pertinent. Cet outil serait donc
valable uniquement pour déceler les manques de personnel et ne le serait
plus quand il détecte une situation de sureffectif. Soit il est valide,
soit il ne l'est pas. Les outils existent, mais leur utilisation varie en
fonction des objectifs.
M. le Président -
Outil greffe n'indique pas
forcément une situation de sureffectif.
M. Philippe Neveu -
J'évoque le cas d'une juridiction importante,
pour laquelle outil greffe a permis de détecter un excédent
de 186 personnes. La direction de la juridiction en question a
immédiatement réagi en rédigeant un rapport, stipulant
que, non seulement, elle ne disposait pas d'un sureffectif de
186 personnes, mais, qu'au contraire, il lui en manquait environ une
centaine.
M. le Président -
Je suppose que vous n'évoquez pas les
tribunaux de la périphérie de Paris.
M. Philippe Neveu -
Non. Il s'agit du tribunal de grande instance de
Paris. Si outil greffe est jugé pertinent pour déceler un
manque de personnel, pourquoi ne le serait-il plus pour détecter le cas
inverse ? Les outils existent, des mesures ont été prises,
mais les procédures ne sont jamais entièrement appliquées,
parce qu'il ne faut heurter personne.
M. le Président -
Très bien. Je souhaite à
présent entendre le point de vue des représentants de
l'Association des greffiers en chef des tribunaux d'instance.
Mme Véronique Rodero -
Je tiens tout d'abord à vous
remercier vivement de votre invitation. Les greffiers en chef sont enfin
entendus. Nous avons en effet véritablement la sensation de n'être
jamais écoutés, ni interrogés, ni compris. Notre
association a été créée en 1970. A l'origine
essentiellement parisienne, elle est devenue nationale en 1985. Nous tenons
particulièrement à cette dimension nationale et nous faisons tout
notre possible, malgré les contraintes budgétaires auxquelles
nous sommes soumis, pour regrouper l'ensemble des greffiers en chef de France.
Nous organisons notamment trois à quatre réunions par an,
axées sur des thèmes qui intéressent directement les
greffiers en chef des tribunaux d'instance et qui sont souvent liés aux
différentes réformes engagées. Des réunions ont
ainsi été organisées concernant la mise en oeuvre du pacte
civil de solidarité (PACS), le passage à l'euro et,
dernièrement, les élections. Notre profession ressent
actuellement un très grand malaise qui, à mon avis, est issu de
différentes causes. Je laisse à présent la parole au
vice-président de l'association.
M. Jacques Parra -
Vous avez évoqué les notions de
ressenti et de perspectives. Or il me semble que pour envisager l'avenir, il
convient d'abord de dépeindre le présent. Les organismes
statutaires et les syndicats l'ont évoqué. Si vous interrogez
effectivement nos collègues des tribunaux d'instance, vous percevrez
aisément leur ras-le-bol, leur colère et, plus grave, leur
démotivation.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Nous constatons un accroissement
du nombre de réformes depuis une dizaine d'années, dont la
plupart nous concernent directement au sein des tribunaux d'instance. Je vous
en remémore quelques-unes : la réforme de 1992 sur le
surendettement, les réformes de 1993, 1995 et 1998 à propos de la
nationalité française, la réforme de 1995 concernant la
vérification des comptes de gestion, la réforme du PACS et la loi
du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant,
qui a réformé le droit des successions et qui doit entrer en
application le 1
er
juillet prochain.
M. le Président -
J'ai participé activement à
cette dernière réforme. Elle n'avait pas pour objet de
dévaloriser la fonction du greffier en chef mais, au contraire, de
reconnaître la qualité des services rendus et la capacité
des greffiers en chef et des greffiers à assumer de nouvelles missions,
quand on leur en donne les moyens.
M. Jacques Parra -
Je ne me permettrais pas de critiquer le choix du
législateur. Tel n'est pas l'objet de mon propos. Cependant, comme vous
l'avez vous-même indiqué, un problème de moyens se pose. En
parallèle, nous devons faire face à un accroissement des charges
administratives, qui ont été
« greffées » à nos fonctions initiales. La
procédure budgétaire est actuellement très complexe
à gérer. Il a également fallu mettre en place, tant dans
les tribunaux d'instance que dans les autres juridictions, d'autres fonctions,
comme les correspondants locaux informatiques et les agents chargés de
l'application des règles d'hygiène et de sécurité.
Etant encore en période électorale, nous pouvons mentionner le
mépris avec lequel l'administration considère le personnel des
tribunaux d'instance. Nous sommes ainsi tenus d'assurer les permanences
électorales les jours de scrutin, soit de 8 h à 20 h
dans les grandes agglomérations, soit de 8 h à 18 h
dans les petites communes. Or les représentants du ministère ont
l'outrecuidance de déclarer qu'ils n'indemniseront qu'un seul
fonctionnaire présent lors de ces permanences, à condition que la
durée de celles-ci excède dix heures. Il me semble qu'une
contradiction réside entre cette décision et les règles
instaurées pour la réduction du temps de travail. En outre, cette
indemnité s'élève à 30 euros. Or un magistrat,
délégué du Conseil constitutionnel, perçoit
200 euros pour assumer la même permanence. Face à ce genre
d'anecdote, la révolte gronde dans les tribunaux d'instance.
Quelques pistes nous paraissent nécessaires pour envisager l'avenir des
tribunaux d'instance. Il s'agit déjà de respecter certains points
fondamentaux. Une activité judiciaire ou administrative est
exercée au sein des tribunaux d'instance depuis de nombreuses
années. Nous devrions donc pouvoir l'assurer dans de meilleures
conditions d'efficacité et de qualité qu'actuellement. Je cite un
exemple. Il n'est pas souvent fait mention des saisies sur salaire. Or, ces
procédures représentent un travail conséquent et sont
très importantes tant aux yeux du créancier qu'à ceux du
débiteur. Le code du travail prévoit d'effectuer au moins deux
répartitions par an. Il faut déjà pouvoir les assurer. Tel
n'est pas toujours le cas. Si nous pouvions réaliser trois, voire quatre
opérations de répartition, c'est-à-dire une par trimestre,
le travail accompli par le service public n'en serait que plus efficace. En
matière de nationalité française, le délai de
délivrance d'un certificat atteint trois ou quatre mois dans de nombreux
tribunaux d'instance. Nous avons essayé de nouer des partenariats avec
les préfectures et les mairies pour développer l'information
relative au renouvellement de la carte d'identité ou du passeport.
Nombreux sont en effet les citoyens qui doivent prouver leur nationalité
française pour renouveler leur carte d'identité, alors que
certains sont déjà âgés de 60 ou de
70 ans !
M. le Président -
Vous évoquez les deux ou trois cas qui
prêtent à sourire...
M. Jacques Parra -
J'évoque la réalité du terrain
à laquelle nous sommes confrontés.
Mme Véronique Rodero -
Vous avez mentionné le transfert de
compétence en matière d'actes de notoriété. Il est
évident que ce transfert a été décidé, parce
que nous avions été jugés compétents en ce domaine.
Néanmoins, le développement de la polyvalence finira par nous
rendre compétents dans une série de petites tâches, mais
spécialistes dans aucun domaine particulier. A mon avis, de nombreuses
personnes ignorent la teneur du travail du greffier en chef. A la fin d'une
journée, nombreux sont nos collègues qui s'interrogent sur la
nature même de leur travail. A titre d'exemple, ils traitent en l'espace
d'une journée deux certificats de nationalité, remplissent un
acte de notoriété, répondent à deux demandes de
mutation et de congé et traitent deux demandes de vote par procuration
en même temps, tandis que les piles de dossiers s'accumulent sur leur
bureau. C'est pourquoi je suis opposée à la polyvalence à
outrance.
En revanche, nous ne sommes pas opposés à une réforme de
la manière dont est rendue la justice dans notre pays, bien au
contraire. Nous considérons cependant que les moyens constituent un
préalable à cette réforme. Aujourd'hui, la justice n'est
pas correctement rendue en France, faute de moyens attribués aux
personnes qui sont chargées de la rendre. Etudions un exemple commun
à la majorité des juridictions. Le tribunal d'instance est une
juridiction de proximité. La plupart des contentieux que nous traitons
en matière civile concernent les affaires de loyers impayés. Tous
les propriétaires ne sont pas des personnes richissimes ou des
multinationales. Nombre d'entre eux sont des retraités qui ont besoin de
ce revenu pour vivre. Ne recevant plus le loyer, ils parlementent à
plusieurs reprises avec leurs locataires. Si ces discussions n'aboutissent pas,
ils finissent par prendre la décision d'ester en justice. Le
délai d'audiencement est actuellement fixé à quatre ou
cinq mois. Une personne qui déposera une demande aujourd'hui ne
passerait donc en audience qu'à la fin du mois de septembre ou au
début du mois d'octobre. Si l'affaire n'est pas en état
d'être jugée, deux ou trois renvois seront prononcés. Je
rappelle qu'il n'est pas obligatoire de s'adjoindre les services d'un avocat
devant un tribunal d'instance. Il est cependant possible que son adversaire ait
fait appel aux services d'un avocat. Le magistrat rendra sa décision
deux ou trois mois après l'audience, à cause de sa charge de
travail. Néanmoins, il est inutile de rendre une décision si elle
n'est pas frappée. Si personne n'est présent au sein du greffe
pour accomplir cet acte, il faudra encore compter un report de trois mois.
M. le Président -
Ce qui ne signifie pas pour autant que nous
parvenions à faire payer ou expulser le locataire fraudeur...
Mme Véronique Rodero -
Surtout si le jugement est rendu en
période hivernale. J'évoque la justice à laquelle est
confronté le public au quotidien, qui n'a rien de commun avec celle que
nous voyons à la télévision. Il faut pour la rendre
commencer par fournir les moyens en termes de magistrats, mais aussi de
greffiers, ne serait-ce que pour acter les décisions. Les plaignants ne
devraient pas attendre un an pour pouvoir faire valoir leurs droits. Une fois
que nous aurons atteint cet objectif, rien ne nous empêchera de
réfléchir sur la notion de justice, sur celle de guichet unique,
sur le redéploiement des compétences, etc. Le greffier en chef
ignore quel est son véritable statut. Nous sommes à la fois
gestionnaires et également techniciens du droit, juristes. En effet,
pour assurer le fonctionnement d'un service juridictionnel, nous devons en
effet en connaître les procédures.
M. le Président -
Les chefs de juridiction, le président
et le procureur, émettent déjà une telle revendication.
Nous devons résoudre un dilemme. Une ville est dirigée par un
maire, assisté d'un secrétaire général. Le greffier
en chef ne pourrait-il être assimilé à un secrétaire
général sur le plan de la gestion au sein d'une juridiction,
sachant que le président et le procureur souhaitent également
être responsables en matière de gestion de la juridiction ?
Mme Lysiane Fleurot -
Cette situation est l'héritage du
passé. Nous la vivons actuellement sur le plan statutaire, puisque les
greffiers en chef exercent 80 % de leurs fonctions sous l'autorité
des chefs de juridiction. Les fonctions, qui visent la gestion des archives et
la gestion des pièces à conviction, dont le procureur est aussi
responsable, sont également accomplies sous contrôle. J'attire
cependant votre attention sur la responsabilité qu'elles
représentent pour nous, sur les problèmes qu'elles posent et sur
l'absence de moyens dont nous souffrons pour travailler de manière
efficace. Les greffes sont gérés par les magistrats.
L'émergence des greffiers en chef depuis 1967, c'est-à-dire
depuis la fonctionnarisation, et la qualité de la formation
dispensée à l'Ecole nationale des greffes ont contribué
à doter le corps des greffiers en chef d'une qualité de
gestionnaire qui ne peut que progressivement faire naître une
réflexion par rapport à la gestion globale du greffe. Nous
revendiquons l'attribution pleine et entière de fonctions de gestion aux
greffiers en chef, car elle consacrerait les faits. Il est toutefois
évident que, travaillant dans une institution, nous devons tous faire
preuve de complémentarité. Des expériences très
positives sont menées dans certaines juridictions. Les derniers rapports
de l'inspection générale des services judiciaires relatent ainsi
certaines formes de dialogue social au sein de juridictions exceptionnelles,
certaines formes de gestion des flux correctionnels ou d'autres qui concernent
l'exécution des peines. Nous revendiquons néanmoins une
sphère d'intervention qui ne nous assimile pas totalement à une
autorité. La gestion budgétaire constitue, par exemple, un
domaine très important pour les chefs de greffe et les greffiers en
chef. Nous l'assumons et nous sommes responsables de son exécution. Nous
préparons les budgets et les formalisons, mais selon une conception de
direction de la juridiction. Le droit doit suivre le fait.
M. le Président -
Qui est l'ordonnateur ?
Mme Lysiane Fleurot -
Le préfet.
M. le Président -
Le préfet ordonne les dépenses
des tribunaux, alors qu'il n'a aucun rapport avec eux. En outre, le
secrétaire général de la préfecture est une
véritable « machine à signer ». Il faut
souvent déplorer un retard de quinze jours, voire d'un mois,
période pendant laquelle les personnes ne sont pas payées par
l'administration judiciaire.
Mme Lysiane Fleurot -
C'est exact.
Mme Véronique Rodero -
En qualité d'association, nous ne
revendiquons rien. Nous demandons simplement une clarification du statut de
greffier en chef. Nous travaillons sous l'autorité du juge directeur. Il
s'agit d'une autorité a priori et a posteriori, mais le juge directeur
est-il réellement notre autorité hiérarchique ? Une
clarification permettrait à la fois aux greffiers en chef et aux juges
directeurs ou aux magistrats de mieux se situer et de mieux appréhender
leur rôle au sein d'une juridiction. Je ne mentionne que le cas des
tribunaux d'instance, que nous représentons.
Je souhaite ensuite évoquer le problème du transfert des
compétences, notamment en attirant votre attention sur la manière
dont il a lieu. Concernant la loi sur la réforme des successions, nous
n'avons pour le moment reçu aucune information par la voie officielle.
Nous savons simplement qu'une loi a été promulguée, dont
l'article 20 ou 21 stipule que la qualité d'héritier pourra
être constatée par un acte de notoriété
effectué devant le greffier en chef du tribunal d'instance, ce qui fonde
notre compétence. Or cette loi entrera en vigueur le 1
er
juillet 2002. Si nous continuons la lecture de l'article, nous constatons qu'il
est spécifié que l'acte devra déterminer la part
successorale de chacun. Le greffier en chef devra donc s'occuper du partage de
l'héritage, ce qui suppose que nous ayons acquis une formation en la
matière. Quand serons-nous informés ? Je rappelle qu'en ce
qui concerne la loi sur le PACS, nous avons reçu la circulaire par fax
le vendredi précédant le lundi à partir duquel
commençait à s'appliquer cette loi.
M. le Président -
Il s'agissait d'une situation d'urgence.
M. Joël Rech -
De plus, la procédure présentait un
caractère de complexité relativement réduit.
Mme Véronique Rodero -
La complexité est apparue
après la mise en oeuvre de la loi.
M. le Président -
Ne confondez pas la complexité et les
inconvénients de la loi.
Mme Véronique Rodero -
Je peux vous certifier que nous nous
posons quotidiennement de nombreuses questions à propos des
justificatifs à demander. Lorsqu'une personne est née à
l'étranger, comment pouvons-nous vérifier si elle mariée
ou non, si elle est en pleine capacité de ses moyens pour pouvoir
conclure un PACS, etc. ?
M. Joël Rech -
Vous demandez la liste complète des
éléments nécessaires pour instruire le dossier.
Mme Véronique Rodero -
Si une personne de nationalité
cambodgienne vient vous consulter, indiquez-moi si vous connaissez la loi
cambodgienne me permettant de vérifier sur présentation de son
extrait de naissance si cette personne est mariée et si elle est en
pleine capacité de ses moyens.
M. Joël Rech -
En fonction des conventions passées avec les
pays, vous êtes en droit de demander un certain nombre
d'éléments, comme des certificats de coutume.
Mme Véronique Rodero -
Il existe à ce titre une
disparité entre les juridictions. Par exemple, certains tribunaux
d'instance demanderont les certificats de coutume, repoussant ainsi la
possibilité pour une personne de conclure son PACS, tandis que d'autres
ne les demanderont pas, faute d'indications.
M. Joël Rech -
Ce phénomène existe déjà.
Mme Véronique Rodero -
Considérez-vous que la
pratique le justifie ?
M. Joël Rech -
Non.
M. le Président -
Je déplore que les instructions ne
soient pas publiées immédiatement. Cet aspect dépend du
fonctionnement de certains services du ministère de la justice. Nous
avons néanmoins rédigé un certain nombre de dispositions
à propos de cette réforme sur les droits de succession. Elle
était prévue de longue date. Tout le monde s'était depuis
longtemps accordé pour modifier un certain nombre de dispositions en
matière d'hérédité et d'actes de
notoriété. Ce projet ne représentait donc pas une surprise
pour la Chancellerie. Il était déjà évoqué
lorsque Pierre Arpaillange était garde des Sceaux.
Mme Véronique Rodero -
Nous avons néanmoins
été surpris d'apprendre que nous serions compétents pour
remplir des actes de notoriété. Nous ne le savons que parce que
certains de nos collègues ont lu la loi de manière exhaustive.
M. Philippe Neveu -
Entre le moment où il est prévu
d'élaborer un projet de réforme et le moment de son vote puis de
son application, il est possible de programmer des recrutements, sachant que la
formation d'un greffier nécessite douze mois.
M. Joël Rech -
En ce qui concerne le PACS, deux
éléments nous ont interpellés. Le premier relève de
cette confusion des tâches que nous avons évoquée. Les
textes attribuent aux greffiers le rôle d'enregistrer les certificats de
PACS. Or la Chancellerie confie visiblement cette mission aux greffiers en
chef. Le second concerne l'annonce faite par l'administration, à grand
renfort de communication, de la création de 40 postes de greffiers,
pour aider les tribunaux d'instance à remplir ces nouvelles missions
liées au PACS. Ces 40 greffiers n'ont jamais été
affectés dans les tribunaux d'instance, mais dans les tribunaux de
grande instance et cours d'appel les plus sensibles. En outre, les
organisations syndicales de fonctionnaires n'ont jamais été
sollicitées lors de l'élaboration des textes de la réforme
du PACS. Or, nous aurions pu mettre en évidence tous les
dysfonctionnements que cette loi provoquerait au sein des juridictions. Le
nombre de demandes de PACS en France a été estimé
dès le départ, ainsi que le temps de travail correspondant pour
les greffiers, mais les centaines de demandes de certificats de non PACS
adressés par les notaires n'ont pas été prises en compte.
Or, les greffiers doivent désormais consacrer 20 à 30 % de
leur temps de travail pour y répondre.
Mme Brigitte Berchère -
Pour étayer les propos de Monsieur
Joël Rech, je précise que le tribunal de grande instance de Paris
est exclusivement compétent pour toute personne, française ou
non, née à l'étranger demandant un certificat de non PACS
pour pouvoir conclure un PACS. Cette demande représente
800 courriers par jour. Or, aucun fonctionnaire supplémentaire n'a
été affecté au tribunal de grande instance de Paris.
Mme Lysiane Fleurot -
Je cite un autre exemple. L'application de la loi
du 15 juin 2000 s'est révélée dramatique pour
les greffes et l'est encore, puisqu'elle prévoit la mise en place de
permanences. Nous voyons actuellement poindre une réforme, applicable le
1
er
septembre, dans le cadre du tribunal pour enfants et de
l'assistance éducative, qui prévoit l'accès aux dossiers
pour les parents et, dans certains cas, pour les enfants, ce qui nous
contraindra à prendre des mesures en matière de structure
d'accueil et de surveillance de cette communication. Nous devrons
également reprendre les dossiers un à un pour les coter et les
classer, comme les dossiers d'instruction.
M. le Rapporteur -
Je souhaite vous poser quelques questions. Je
représente les Français établis hors de France. Or, je me
rends compte qu'il est parfois beaucoup plus facile d'obtenir un certificat de
nationalité française lorsqu'on est étranger que lorsqu'on
est français. En effet, il suffit dans certains pays
« d'acheter » un jugement supplétif d'état
civil, une pièce reconnue comme valable par un greffe de tribunal, pour
que ce dernier délivre à la personne concernée un
certificat de nationalité française. Il est donc impossible de
tout vérifier.
Vous avez notamment posé la question du statut dérogatoire. Je
suis moi-même fonctionnaire européen, statut fondé sur
celui de la fonction publique française, et j'aimerais comprendre ce que
vous entendez par « statut dérogatoire » par rapport
au reste de l'administration. Il est important que les personnes
bénéficient d'un statut qui définisse clairement les
compétences, les responsabilités, les moyens, les droits et
devoirs, ainsi que la rémunération. N'oublions pas le principe de
base : le juge rend des jugements, le greffier gère. Le greffier
est un fonctionnaire par nature, tandis que le juge est un magistrat.
« Statut dérogatoire » signifie-t-il un autre statut
que celui de fonctionnaire ou un statut dont la particularité serait
définie par vos fonctions ?
Vous avez également mentionné l'évolution des
tâches, problématique qui est située au coeur de notre
dossier. Vous avez évoqué le transfert d'un certain nombre de
responsabilités aussi bien juridictionnelles qu'administratives. J'ai
besoin de précisions à ce sujet. Nous avons discuté avec
les représentants des magistrats. Or, ces derniers sont favorables
à un recentrage de leur activité sur leurs tâches
juridictionnelles, ce qui signifierait l'abandon d'un certain nombre de
tâches administratives et l'éventuel abandon de certaines
tâches dites juridictionnelles, qui ne mériteraient pas
d'être confiées aux juges. La question de l'assistance du juge a,
en outre, été abordée dans ce contexte et lors des
entretiens de Vendôme. L'assistance du juge devrait-elle être
assurée par des « référendaires » qui
seraient membres du cabinet du juge, des fonctionnaires d'une très haute
qualification juridique, qui ne prendraient pas de décision, mais
conseilleraient le juge pour qu'il puisse prendre sa décision, comme
c'est le cas à la Cour de justice des Communautés
européennes ? Cette assistance devrait-elle être, sinon,
assurée par des juges assistants qui conseilleraient les juges et
prendraient des décisions juridictionnelles dans certains domaines ou
bien estimez-vous que ces tâches incombent aux greffiers en chef, voire
aux greffiers, dans certains domaines ? J'aimerais que votre
réponse soit très précise, car il s'agit d'une question
cruciale pour nous.
Concernant le fameux corps de gestion des juridictions, j'avais cru comprendre
que cette tâche était dévolue aux greffiers en chef. Est-il
réellement nécessaire de créer un nouveau corps
administratif, de catégorie A ou B ? Les greffiers et greffiers en
chef de catégories B et A ne pourraient-ils suffire à couvrir
l'ensemble des besoins dans les domaines de la gestion administrative, de
l'authentification des actes et de certaines opérations
juridictionnelles ?
Enfin, j'aimerais savoir à quoi correspond exactement « outil
greffe ».
M. Joël Rech -
Il s'agit d'un logiciel de gestion du personnel dans
les greffes.
M. le Rapporteur -
Je vois. Je termine mon intervention par la question
de l'autorité. Vous êtes placés sous l'autorité d'un
magistrat, mais il ne peut pas empiéter sur vos compétences de
gestion. Ce critère vous semble-t-il juste ? N'engendre-t-il pas un
certain nombre de difficultés ? Les magistrats nous ont fait part
de leurs récriminations à ce sujet. Ils considèrent en
effet que leur indépendance est remise en cause par ce critère.
Il est cependant évident que si le greffier en chef ne dispose pas des
moyens d'être le chef des services, il ne pourra remplir correctement sa
fonction. La situation est similaire au sein d'un Parlement. En effet, le
secrétaire général peut difficilement s'opposer aux
positions du président de l'assemblée parlementaire. Pouvez-vous
nous apporter des précisions sur la manière dont vous percevez
cette organisation des pouvoirs pour que l'autorité soit positive et non
conflictuelle à l'avenir ?
Mme Véronique Rodero -
Je réponds à cette
dernière question. Nous souhaitons que notre statut soit clairement
défini et nous voulons savoir si le juge directeur incarne notre
autorité hiérarchique. Si tel est le cas, quelles tâches
pouvons-nous accomplir sans rendre de comptes, si ce n'est,
éventuellement, a posteriori ? Devons-nous au préalable
demander son accord pour prendre des décisions ? Ces
précisions ne nécessitent pas un changement de statut, mais
doivent être clairement mentionnées. Le greffier en chef a-t-il,
par exemple, l'obligation de mettre à la disposition du magistrat un
greffier ?
M. le Président
- Quelle décision prend-il s'il n'en
a pas à disposition ?
Mme Véronique Rodero -
Il peut faire appel à un agent de
catégorie C ou à un autre agent.
M. Philippe Neveu -
Le greffier en chef peut aussi assumer la fonction
de greffier.
M. le Président -
Quelle est cette autre catégorie d'agent
dont il peut éventuellement disposer ?
Mme Véronique Rodero -
L'agent de justice. Je rappelle que ce
dernier est toutefois censé effectuer un travail d'accueil et non un
travail de greffe.
M. Joël Rech -
Je précise qu'il doit s'occuper de
l'assistance du greffier à l'accueil.
Mme Véronique Rodero -
Il s'agit d'un accueil directionnel. Or
l'accueil d'un certain nombre de juridictions est polyvalent, puisqu'il permet
déjà au justiciable de mener un certain nombre de
démarches de base. Ces fonctions ne devraient normalement pas être
dévolues à un agent de justice.
Mme Lysiane Fleurot -
Nous confions à des agents de justice des
fonctions correspondant à des besoins émergents non encore
satisfaits. L'accueil représente une fonction qui a acquis de
l'importance et qui est normalement assurée par le greffier. Les statuts
de 1992 l'ont définie comme l'une des quatre spécialités
du métier de greffier. Elle fait d'ailleurs l'objet d'un enseignement
spécifique à l'Ecole nationale des greffes. Or, nous la
considérons désormais comme un besoin émergent non
satisfait et nous y affectons des agents de justice. L'inspection
générale des services judiciaires a récemment
publié un rapport qui révèle une évolution
très importante de l'emploi précaire au sein de nos institutions,
tendance qui reflète un manque criant d'effectifs dans tous les services.
M. le Président -
Vous avez mentionné des
spécialités enseignées lors du cursus scolaire des
greffiers.
Mme Lysiane Fleurot -
Elles sont postérieures à leur
scolarité.
M. le Président -
Il s'agit donc d'une formation
complémentaire. Est-elle dispensée en fonction des postes
occupés ou en fonction des choix des intéressés ?
Mme Lysiane Fleurot -
Le choix est laissé aux
intéressés.
M. Philippe Neveu -
Une personne qui est nommée à
l'instance peut parfaitement choisir une spécialité informatique,
par exemple.
Mme Lysiane Fleurot -
A l'origine, ces formations ont été
mises en place parce que l'allongement de la durée de la
scolarité nous avait été refusé. Nous les
revendiquions depuis très longtemps. L'enseignement d'une
spécialité jouxtait la formation initiale, permettant ainsi de la
prolonger. Par la suite, il a été possible de suivre cette
formation dans les deux ans suivant la sortie de l'Ecole nationale des greffes
Mme Véronique Rodero -
Les greffiers ne reçoivent aucune
formation en matière de nationalité, alors que, la plupart du
temps, le greffier d'un tribunal d'instance gère une part importante des
dossiers en la matière.
M. Joël Rech
- J'estime que la formation
générale des greffiers, complétée par le stage de
pré-affectation, doit leur permettre de prendre en charge leurs missions.
Mme Lysiane Fleurot -
Cette absence de formation en matière de
nationalité pour les greffiers s'explique par un transfert de
compétence à destination des greffiers en chef. La formation
initiale de ces derniers comprend donc la formation en matière de
nationalité. Les greffiers ne bénéficient en revanche de
cette formation que dans le cadre des formations de spécialité.
M. Joël Rech -
A Dijon, dans le cadre de la formation permanente et
dans le cadre de formations nécessaires à la prise de poste, tout
greffier peut bénéficier d'une formation en matière de
nationalité.
Mme Lysiane Fleurot -
Elle n'est pas intégrée à la
formation initiale.
Mme Véronique Rodero -
Je vous rappelle que les greffiers
prennent leurs fonctions en septembre. Or la première partie du
programme de formation en matière de nationalité débute en
février. Les modules comprennent quinze personnes. Si vous estimez que
ces mesures suffisent pour les former...
M. Joël Rech -
Je n'ai pas affirmé que cette situation
représentait la panacée.
Mme Lysiane Fleurot -
Je reviens sur la question de l'autorité.
Nous revendiquons la suppression de cette notion, qui ne correspond plus au
vécu quotidien, sachant que cette suppression n'éliminera pas le
processus de la prise de décision.
M. le Rapporteur -
Qui sera responsable dans ce cas ?
Mme Lysiane Fleurot -
Le greffier en chef sera responsable des fonctions
qu'il exerce et occupera un positionnement identique à celui du chef de
juridiction. Cette réalité existe déjà.
M. Philippe Neveu -
Il a été créé dans
chaque cour d'appel un service administratif régional, dirigé par
des greffiers en chef sauf pour deux SAR dirigés par des magistrats.
Dans le secteur de la santé, les hôpitaux ne sont pas
gérés par des médecins. Un coordonnateur pourrait
s'occuper de la gestion administrative d'un tribunal, tout en rendant des
comptes à une autorité supérieure. Il n'est pas question
de ne plus superviser les greffiers en chef. Le magistrat demeure
indépendant dans sa gestion et doit être associé à
la gestion de la juridiction. Cependant, le coordonnateur que j'ai
évoqué pourrait incarner l'autorité sur un plan
régional, tout en rendant des comptes à la Chancellerie.
M. le Président -
Certaines décisions prises dans les
tribunaux d'instance, mais aussi dans les tribunaux de grande instance, voire
des tribunaux correctionnels, ne sont pas immédiatement
exécutées faute de personnel pour les notifier. Le Parlement
estime que les magistrats doivent motiver leurs décisions. Or, nous
savons pertinemment qu'en l'absence des greffiers et des greffiers en chef,
aucune décision ne serait justifiée, car le magistrat doit
souvent prendre ses décisions à la chaîne.
M. Philippe Neveu -
Nous pourrions accroître le nombre de
greffiers et d'agents de catégorie C placés mis à la
disposition de l'ensemble des cours d'appel. La plupart du temps, les C
placés ne se déplacent jamais. Les cours d'appel les
considèrent en effet comme une personne supplémentaire. Or un
greffier placé doit normalement remplacer un greffier, en cas d'absence.
Rien n'interdit aux chefs de cour de déléguer un fonctionnaire de
juridiction pour remplir certaines fonctions, sachant que toutes les
juridictions ne doivent pas faire face au même moment à une
pénurie de greffiers.
M. le Président -
Ces affectations peuvent être
gérées au niveau des cours d'appel.
M. Philippe Neveu -
Et au niveau des SAR.
Mme Lysiane Fleurot -
Concernant le corps de gestion, je tiens à
préciser que les coordonnateurs sont en place depuis 1996, que les SAR
ont été dotés d'agents formés, qui
représentent pour nous des collègues d'une grande valeur sur le
plan de la gestion. Ils travaillent en parfaite complémentarité
avec les juridictions. Dans tous les cas de figure, nous pouvons compter sur
l'aide d'une personne pour assurer la gestion.
M. Joël Rech -
Je reviens sur la question de l'évolution des
tâches, en particulier celles qui incombent aux greffiers. Nous avons
évoqué à plusieurs reprises le dérapage qui
consiste à confier à d'autres agents des tâches qui nous
sont dévolues d'après les textes en vigueur. Cette question est
valable tant pour les greffiers en chef que pour les greffiers. De plus, nous
assistons depuis quelque temps à la création d'emplois
précaires au sein des juridictions. Les textes définissent pour
les agents de justice des missions d'assistance du greffier à l'accueil
dans les tribunaux d'instance, auprès du juge pour enfant et dans les
centres d'accès au droit. Aujourd'hui, nous voyons fréquemment un
certain nombre de chefs de cour passer outre la réglementation en
vigueur, en demandant des recrutements de niveau bac + 2, voire de niveau
bac + 4 ou 5. Ils peuvent ainsi faire appel à une main
d'oeuvre qualifiée à bas prix pour rendre des services plus que
conséquents. Concernant les assistants de justice, ils sont
recrutés à un niveau bac + 4 de même que les
greffiers en chef et greffiers, titulaires de diplômes
équivalents, mais eux n'ont pas eu le mérite de passer un
concours relativement complexe. La réforme statutaire imposera la
création d'un corps d'agents administratifs de catégorie B,
sachant qu'il existe déjà à la protection judiciaire de la
jeunesse, au sein du ministère et de l'administration
pénitentiaire. L'administration est la première à
considérer que les greffiers en chef exercent des fonctions
administratives, des fonctions d'encadrement et de gestion du personnel. Nous
ignorons la manière dont les magistrats pourraient intervenir dans ces
domaines, puisqu'ils ne cessent de répéter qu'ils veulent se
recentrer sur leur mission essentielle, qui consiste à dire le droit.
Nous les libèrerons donc peut-être de tâches qu'ils
considèrent comme annexes et les confierons aux greffiers en chef,
greffiers et agents de la catégorie C, qui représentent aussi les
piliers des greffes. Cette décision permettrait à chacune de ces
catégories d'accéder à des possibilités
d'évolution. Ce corps d'assistants de justice semble être
très apprécié par un certain nombre de magistrats,
même si nombreux sont ceux qui commencent à considérer que
l'effort de formation qui leur est accordé n'a que peu d'effet dans le
sens où le turn over est élevé. En effet, les jeunes
concernés ne demeurent en poste que quatre ou six mois.
M. le Président -
Une question fondamentale se pose à
nous. Devons-nous faire appel à de jeunes étudiants ou former un
véritable corps d'agents, comme certains le préconisent ?
M. Joël Rech -
Je termine mon raisonnement. Sachant que ce fameux
corps de greffiers en chef exerce des fonctions administratives et qu'un corps
d'agents administratifs de catégorie B doit être
créé, nous attendons de connaître à moyen terme les
possibilités d'évolution pour les greffiers et de vérifier
si l'hypothèse de la création d'un corps juridictionnel d'agents
A ne serait pas souhaitable, parce qu'elle permettrait à la fois de
couvrir des fonctions aujourd'hui réclamées par les magistrats et
d'offrir une véritable perspective d'évolution aux greffiers.
Enfin, la répartition des catégories dans la fonction publique
est totalement différente de celle qui prévaut au sein de notre
administration. Les catégories C, B et A sont ainsi respectivement
réparties selon les taux moyens suivants : 31 %, 25 % et
43 %. Or notre administration fait état des taux suivants :
58,9 %, 32 % et 8,1 %. Les corps de magistrats sont
virtuellement intégrés dans les catégories A. Le calcul
est donc tronqué. Fondons un véritable corps de greffiers en
chef, s'occupant d'une éventuelle partie administrative et d'une partie
juridictionnelle, et offrons aux agents de catégorie B des perspectives
d'évolution dans les autres filières.
M. le Rapporteur -
Etes-vous tous d'accord avec cette approche ?
M. Joël Rech -
Je précise que la représentation du
syndicat des greffiers de France est majoritaire au sein de cette profession et
que nous sommes porteurs de ses revendications.
Mme Lysiane Fleurot -
Les assistants de justice devaient être
initialement assimilés à des internes dans les hôpitaux,
par l'intermédiaire d'une collaboration avec les facultés de
droit et de la magistrature. Il existe certains effets indirects que nous ne
cautionnons pas.
M. le Président -
Quel est le sens de vos propos ?
Mme Lysiane Fleurot -
La tâche d'assistance du juge est
peut-être plus importante que la recherche de jurisprudence, qui comprend
notamment la rédaction et la préparation complète des
décisions des magistrats. Nous adoptons une approche différente.
Certains de nos collègues du corps des greffiers en chef peuvent exercer
ce genre de tâche, mais nous devons demeurer prudents dans la
façon de leur présenter cet aspect. Il suffit de se souvenir des
mouvements engendrés en 1990-91. Si ces tâches sont
réellement déterminées et présentent un
intérêt clairement identifié, elles intéresseront
certainement le corps des greffiers en chef. J'en suis convaincue. L'une de vos
questions concernait la forme d'assistance apportée aux magistrats. Nous
ne sommes pas favorables à l'assistance de type
référendaire. En revanche, nous sommes favorables à celle
de « juge assistant », de type Rechtspfleger. Nous vous
avons apporté les documents nécessaires pour que vous puissiez
appréhender les fonctions de Rechtspfleger autrichien ou allemand, qui
sont similaires et qui ont le point essentiel de référence
suivant : leur existence est consacrée soit par la loi soit par la
Constitution. Notre demande de statut dérogatoire vise donc un statut
législatif, hors fonction publique, de type organique, comme celui des
magistrats, permettant la gestion de l'institution judiciaire.
M. le Président -
Je rappelle toutefois qu'un magistrat est, d'un
certain point de vue, un fonctionnaire.
M. Joël Rech -
Je vous déconseille de leur tenir ce genre de
discours.
Mme Lysiane Fleurot -
Ils n'ont pas le statut de fonctionnaire ni la
qualité de fonctionnaire, au sens défini par la fonction publique
et les lois de 1984. Il existe néanmoins une assimilation pour certains
points, comme la rémunération.
M. le Président -
Le cas des inspecteurs des finances est
semblable. Ils sont quand même fonctionnaires, de même que les
conseillers d'Etat.
Mme Brigitte Berchère -
Nous revendiquons le statut
dérogatoire car nous estimons remplir des fonctions différentes.
M. le Président -
Les policiers bénéficient d'un
statut dérogatoire.
Mme Brigitte Berchère -
Non, ils possèdent un statut
spécial, de même que nos collègues de l'administration
pénitentiaire. Ils demeurent malgré tout des fonctionnaires.
M. le Président -
Je vous l'accorde.
M. Philippe Neveu -
Il me paraît peu pertinent de revendiquer un
statut dérogatoire de type Rechtspfleger pour les greffiers en chef.
L'Union européenne des greffiers ne représente pas les greffiers
en chef. Soit votre demande ne concerne que les greffiers en chef et vous
comprendrez aisément que nous ne pouvons y être favorables, soit
elle associe les greffiers. Dans ce cas, fusionnons les deux corps de
métier.
Mme Lysiane Fleurot -
J'utilise le terme greffier dans son sens
générique.
M. Philippe Neveu -
Désignez-vous ainsi l'ensemble des
catégories du greffe ?
Mme Lysiane Fleurot -
Je me réfère aux greffiers à
qui sont transférées des compétences de type
para-juridictionnel.
M. le Président -
Concernant les fonctions de conciliation et de
médiation, quasi-juridictionnelles, il me semble que vous avez
spécifié que certaines personnes présentes dans les
juridictions pourraient les remplir. Vous avez même affirmé que
les greffiers et greffiers en chef pourraient les assumer.
M. Joël Rech -
C'est une évidence. Nous composons un
corps hétérogène, mais une grande partie des greffiers
recrutés ces dix dernières années peut prétendre
posséder un niveau général de formation bac + 4,
contrairement aux précédentes générations de
greffiers et à un certain nombre de promotions, puisque la Chancellerie
a encore essayé, par l'intermédiaire des programmes de faisant
fonction, de régulariser la situation d'un certain nombre d'agents ou
d'adjoints qui exerçaient déjà des missions de greffier.
Les greffiers travaillant au sein des juridictions ont donc suivi des parcours
très différents, certains se sentant plus à l'aise dans
les fonctions purement administratives, tandis que d'autres, disposant d'un
bagage juridique plus conséquent, ont l'impression de ne pas être
employés au mieux de leurs compétences. Ces derniers seraient
donc peut-être plus enclins à remplir un autre type de fonction.
Je cite un exemple en matière d'ordonnance pénale. Que fait un
magistrat d'instance quand les ordonnances pénales lui sont
transmises ? Il se contente de prendre connaissance des
réquisitions du parquet et d'apposer sa signature au bas du document.
N'importe quel agent administratif est capable d'accomplir ces tâches. Je
ne fais que relater la réalité. Nous pouvons
réfléchir à un autre mode de traitement de ce type
d'affaires. En matière de conciliation, nous n'avons aucun état
d'âme à confier des fonctions de médiation et de
conciliation à des personnes à la retraite, dans un pays qui
accuse plus de deux millions de chômeurs. Sachant que nous
n'apprécions bien souvent que vaguement le parcours professionnel de ces
personnes, pourquoi aurions-nous des états d'âme, en particulier
les magistrats, à confier ces missions à des personnes qui sont
diplômées, qui sont expérimentées et qui, ayant
prêté serment à leur entrée au sein de l'institution
judiciaire, garantissent la confidentialité du traitement des
dossiers ?
Au-delà de cette question se pose également celle de la
généralisation des maisons de justice et du droit (MJD). Il
suffit de les examiner attentivement pour constater que toutes les
expériences menées sont différentes, qu'il n'existe aucun
fil conducteur entre elles. Nous craignons la concrétisation d'un grand
danger. Une personne disposant de moyens pécuniaires suffisants ou
bénéficiant de l'aide juridictionnelle pourra faire valoir ses
droits devant une juridiction, tandis qu'une autre ne bénéficiant
pas de l'aide juridictionnelle et n'ayant pas les moyens de
rémunérer les prestations d'un avocat, ne devra se contenter que
d'une vague médiation dans une MJD. Notre sentiment en la matière
est quelque peu mitigé.
M. le Rapporteur -
Concernant la justice de proximité, il faut
distinguer la situation présente de ce qui pourra éventuellement
évoluer en fonction des réflexions menées à la
lumière des expériences réalisées. L'objectif
consiste d'abord à rechercher une médiation, le procès
n'ayant lieu qu'en cas d'échec de cette première démarche.
Je reviens sur la notion de statut. Si j'ai bien compris, il faudrait confier
davantage de missions juridictionnelles ou para-juridictionnelles aux greffiers
et un certain nombre de tâches administratives actuellement
exercées par les greffiers et greffiers en chef aux corps administratifs
d'agents de catégories A et B évoqués. Est-il
réellement nécessaire de les créer ? Vous
considérez qu'à partir du moment où un corps administratif
d'agents de catégorie B serait fondé aux côtés des
greffiers, il serait possible d'en constituer un aux côtés des
greffiers en chef. Est-ce souhaitable ?
Mme Brigitte Berchère -
Telle n'est pas la position de l'USAJ.
Nous tenons à notre polyvalence, parce qu'elle représente la
richesse de notre métier. En tant que greffier, je peux vaquer à
des tâches juridictionnelles, informatiques, administratives. Il s'agit
d'une richesse vis-à-vis des magistrats, des auxiliaires de justice et
du service public de la justice, que nous souhaitons conserver à travers
la polyvalence des missions et des compétences. En revanche, nous
souhaitons une clarification de nos statuts, ainsi qu'une distinction
clairement établie entre les missions des magistrats, celles des
greffiers, des greffiers en chef et des fonctionnaires de catégorie C.
M. le Rapporteur -
Etes-vous satisfaits des méthodes des voies de
passage entre les corps de métiers ?
M. Philippe Neveu -
Concernant la polyvalence du greffier, la
réforme statutaire qui élèvera le niveau de formation du
greffier à bac + 2 implique automatiquement la création
d'un poste d'agent administratif de catégorie B. Cette polyvalence
du greffier exerçant des fonctions tantôt administratives
tantôt juridictionnelles disparaîtra, puisque deux corps de
catégorie B coexisteront.
Mme Brigitte Berchère -
Cette séparation ne sera pas
nette, car le corps des secrétaires administratifs sera moins important
que celui des greffiers. Un tribunal d'instance ne disposera pas de
secrétaire administratif, par exemple. Le greffier qui est
déjà très polyvalent aujourd'hui le demeurera donc.
M. le Rapporteur -
Dans les grandes juridictions, les tâches
administratives pourraient être confiées à des
spécialistes.
Mme Brigitte Berchère -
On se spécialise de fait dans les
structures importantes.
M. Philippe Neveu -
Les greffiers en chef assument essentiellement des
fonctions purement administratives, comme la gestion du personnel et des
budgets. Nous estimons que la place pour un corps de catégorie A existe,
permettant de régler le problème des assistants de justice et
offrant des perspectives d'évolution aux greffiers.
M. le Rapporteur -
Etes-vous satisfaits des voies de passage du
métier de greffier en chef à celui de magistrat ?
M. Philippe Neveu -
Nous ne constatons pas ce genre d'évolution.
M. le Président -
Un concours interne a-t-il été
instauré pour le passage du métier de greffier à celui de
greffier en chef ?
M. Philippe Neveu -
Oui. Le nombre de places est normalement
réparti comme suit : 50 réservées aux candidats qui
se présentent en interne et 50 réservées aux candidats qui
se présentent en externe. Néanmoins, le jury effectue une autre
répartition puisqu'il accorde 75 places en externe et 25 en interne.
M. Joël Rech -
Une promotion au choix concerne une douzaine de
greffiers par an.
Mme Brigitte Berchère -
Elle représente un
cinquième du corps de métier.
M. Philippe Neveu -
La création d'un corps de secrétaires
administratifs prévue par l'administration permettra aussi à ce
corps d'avoir pour vocation de devenir greffier en chef de catégorie A.
Il faudra donc diviser par deux le nombre de places normalement
réservées aux greffiers pour la promotion au choix. Dans de
nombreuses administrations, comme la police, il existe à la fois un
corps administratif constitué des trois catégories C, B et A et
un corps technique comprenant également les trois catégories C, B
et A. Pourquoi la justice serait-elle dotée d'un corps d'agents de
catégorie C, de deux corps d'agents de catégorie B et d'un corps
d'agents de catégorie A ?
M. le Rapporteur -
Si vous attribuez des compétences
juridictionnelles aux greffiers en chef et aux greffiers, comment voyez-vous
l'évolution permettant aux greffiers en chef de devenir magistrats,
alors que ce passage est déjà délicat ?
Mme Lysiane Fleurot -
Vous évoquez l'un des enjeux de la
profession. Il y a une vingtaine d'années, une circulaire de la
Chancellerie stipulait que les meilleurs d'entre nous intégreraient
à terme les métiers de la magistrature. Nous avions réagi
en déclarant que les meilleurs d'entre nous devaient demeurer au sein du
corps des greffiers en chef et le servir. Un greffier en chef n'est pas
destiné à devenir un magistrat, sauf si sa sensibilité est
autre. Dans ce cas, il passe le concours correspondant. Nous considérons
en effet que l'avenir des greffiers en chef et des greffiers passe par des
postes intéressants, importants, responsabilisants et reconnus sur le
plan statutaire.
Mme Véronique Rodero -
Je souhaite préciser la position de
notre association. Les propos tenus sur la refonte du statut ne concerne que
nos collègues des organisations syndicales. Nous représentons une
association et non un syndicat. Nous n'émettons donc pas ce genre de
revendication. Nous voulons simplement que le malaise actuel des greffiers en
chef des tribunaux d'instance soit bien perçu. Nous souffrons d'un flou
dans la définition de notre statut. Soit nous sommes gestionnaires, soit
nous ne le sommes pas. Je regrette par ailleurs que nous n'ayons pas
disposé du temps suffisant pour aborder le projet de fusion entre
tribunaux d'instance et tribunaux de grande instance.
M. le Président -
Chère Madame, ce sujet sortait quelque
peu du cadre de notre mission.
Mme Véronique Rodero -
Une fusion des tribunaux d'instance et des
tribunaux de grande instance provoquerait la disparition du métier de
greffier en chef, chef de greffe du tribunal d'instance. L'évolution du
métier de greffier en chef serait donc directement concernée.
M. le Président -
Vous avez raison. Je vous signale à ce
titre que nous avons reçu les représentants de l'Association des
juges d'instance. Il me semble que vos points de vue convergent pour ce sujet.
Mme Véronique Rodero -
Oui.
M. le Rapporteur -
Vous deviendriez greffier en chef d'un tribunal de
première instance (TPI). Ne serait-ce pas une promotion ?
Mme Véronique Rodero -
Si. Je pourrais néanmoins devenir
greffier en chef d'un TGI. Je suis greffier en chef d'un TI parce que cette
juridiction regroupe un certain nombre de fonctions et qu'elle fonctionne avec
une certain degré d'autonomie.
M. le Président -
Vous êtes greffier en chef.
Mme Véronique Rodero -
Oui. Je suis greffier en chef, chef de
greffe d'un tribunal d'instance, fonction qui n'a rien en commun avec celle
d'un greffier en chef, chef d'un service au sein d'un tribunal de grande
instance.
M. le Président -
Vous serez peut-être un jour greffier en
chef d'un tribunal de grande instance.
Mme Lysiane Fleurot -
Nous pourrions considérer que la mise en
place d'un tribunal de première instance irait à l'encontre du
principe de la justice de proximité. J'ajoute un point important
concernant l'évolution statutaire des greffiers en chef et des greffiers
chef de greffe. En 1979, les greffes des conseils de prud'hommes ont
été fonctionnarisés. Il existe certainement des pistes de
réflexion à prendre en compte, sur lesquelles nous nous sommes
déjà penchés. En effet, le statut des greffiers en chef de
ces conseils correspondrait davantage à celui que les autres greffiers
en chef souhaitent, dans la mesure où les juges prud'homaux n'exercent
pas sur eux une autorité directe. Le statut des greffiers en chef des
conseils prud'homaux leur permet ainsi de remplir leurs fonctions avec un
intérêt supérieur, même si cette autonomie demeure
ancrée au sein d'une structure administrative. Le temps de la gestion
des titulaires de charge est passé. Nous l'avons tous compris,
après en avoir subi le reproche pendant plusieurs années.
M. le Président -
Les juridictions des prud'hommes sont des
juridictions spécialisées.
Mme Lysiane Fleurot -
Les tribunaux d'instance sont aussi des
juridictions très spécialisées.
M. le Président -
Pas de la même manière.
M. Joël Rech -
Les greffiers en chef des conseils prud'homaux
travaillent avec des magistrats non professionnels
M. le Président -
Les fonctions confiées aux greffiers en
chef des différentes juridictions ne sont pas comparables.
Mme Lysiane Fleurot -
Comme fonctionnaires, nous pouvons travailler de
manière polyvalente. Le décret de 1992 nous a tous réunis
comme greffiers en chefs et greffiers des services judiciaires, quelle que soit
la juridiction. Pourquoi notre statut ne serait-il pas identique ?
M. le Président -
Très bien. Je vous remercie de vos
interventions.
Table ronde sur l'évolution des métiers
des personnels de
catégorie C des services
judiciaires
(14 mai 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest
Participaient à la table ronde :
- Mme Lysiane FLEUROT, secrétaire nationale de la section
des greffiers en chef de l'Union syndicale autonome justice (USAJ),
- Mme Brigitte BERCHERE, secrétaire nationale de la
section des greffiers, de l'Union syndicale autonome Justice (USAJ),
- Mme Lydie QUIRIÉ, secrétaire
générale du syndicat C-Justice (CJ),
- M. Guy CIBRARIO, secrétaire général
adjoint du syndicat C-Justice (CJ),
- Mme Nathalie MALKA-DESANTI, secrétaire
générale du syndicat national des Chancelleries et services
judiciaires de la Confédération générale du travail
(CGT-CSJ).
M. le Président -
Nous avons précédemment entendu les
représentants des greffiers et greffiers en chef. Nous souhaitons
maintenant connaître le point de vue des agents de catégorie C
à propos de l'évolution des métiers de la justice,
connaître votre opinion sur le projet de création du nouveau corps
de secrétaires administratifs annoncé par la Chancellerie, savoir
notamment si vous accomplissez régulièrement certaines
tâches qui dépassent le cadre de votre statut et savoir de quelle
formation vous bénéficiez. Pourriez-vous au préalable nous
rappeler les principales missions qui vous incombent et nous préciser si
vous êtes satisfaits des conditions dans lesquelles vous exercez votre
profession au sein des juridictions ou dans d'autres services
administratifs ? Quelle est la nature de vos relations avec vos
supérieurs hiérarchiques, greffiers, greffiers en chef et
magistrats, ainsi que les autres corps de métier, comme les agents de
justice ? Je vous propose d'effectuer d'abord une présentation
globale, avant de vous poser certaines questions.
Mme Brigitte Berchère -
Nous précisons qu'en tant que
syndicat multicatégoriel, nous défendons le principe du statut
dérogatoire tant pour les agents de catégories A et B que pour
les agents de catégorie C. Nous rappelons aussi que de nombreux
« faisant fonction » parmi nos collègues agents et
adjoints administratifs exercent bien souvent des fonctions de greffier, voire
de greffier en chef.
M. le Président -
Connaissez-vous les proportions ?
Mme Brigitte Berchère -
Ils représentent environ 55 %
du personnel concerné. Cette statistique a été
calculée par les représentants du personnel. Il est vrai que la
Chancellerie avance un chiffre légèrement inférieur, car
elle estime que seuls nos collègues assermentés assument des
fonctions dévolues aux greffiers, alors que dans certains cas,
l'assermentation n'est pas obligatoire. Ainsi des collègues de
catégorie C assurent la tenue des bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ)
à la place d'agents de catégorie B. Il n'est pour autant pas
mentionné dans leur statut qu'ils sont greffiers. De même, les
régisseurs devraient pratiquement tous relever de la catégorie B.
Or, la plupart relève de la catégorie C, en particulier les
régisseurs des tribunaux d'instance. Quelques difficultés
concernent par ailleurs les agents des services techniques (AST), les
conducteurs d'automobile et les ouvriers professionnels. Nous souhaitons
notamment la création d'un plateau technique pour les résoudre.
M. le Président -
Réclamez-vous également un statut
dérogatoire pour ces catégories de personnel ?
Mme Brigitte Berchère -
Non. Ces agents ne le souhaitent pas
eux-mêmes. En revanche, la création de plateaux techniques et d'un
corps d'agents techniques de catégorie B connaissant leur statut et leur
travail pour mieux les encadrer serait souhaitable. Il me semble que la
Chancellerie nous avait fait comprendre qu'elle n'y serait pas opposée.
M. le Président -
Combien d'agents composent tous les corps
techniques ?
Mme Brigitte Berchère -
Nous en dénombrons environ 1.000.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Les détachements d'agents des
services techniques n'impliquent pas obligatoirement la suppression de postes
budgétaires.
Mme Brigitte Berchère -
Cette mesure est prévue pour le
budget 2002.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Nous n'avons pas obtenu de réponse
claire à ce sujet. Nous ignorons encore le devenir des postes
budgétaires correspondant aux AST qui sont ou qui seront
détachés.
Mme Brigitte Berchère -
Dans ce cas, il s'agirait d'une
transformation.
M. le Président -
Bien. Quel est l'avis du syndicat
C-Justice ?
Mme Lydie Quirié -
Je précise que C-Justice ne
représente que les agents de la catégorie C. Nous avons
créé ce syndicat parce que nous considérions que les
organisations syndicales en place ne répondaient pas à l'appel
des agents de catégorie C émis sur le terrain. En termes de
représentativité, CJ n'en représente pas moins le
deuxième syndicat des services judiciaires, toutes catégories
confondues.
La différence entre un agent de catégorie C et un agent de
catégorie B n'existe pas au sein de nos services. En effet, les deux
accomplissent un travail identique. En contrepartie, les faisant fonction ne
bénéficient d'aucune reconnaissance. Nous avons
dernièrement estimé le nombre de faisant fonction à
hauteur de 75 % des corps de catégorie C. Vous avez posé la
question des formations. Il faudrait une formation correcte, qui soit
dispensée par des professionnels de l'enseignement et non par des
personnes dont le métier initial consiste à être greffier
en chef et qui sont considérées comme suffisamment
compétentes pour dispenser cette formation. En ce qui concerne les
services administratifs régionaux (SAR), nous avons pu prendre
conscience de tous les problèmes d'organisation pour respecter une
simple circulaire, lors des dernières élections. Les SAR ne
fonctionnent pas actuellement. Ce problème est peut-être dû
à un manque de fonctionnaires. De nombreux fonctionnaires de
catégorie C apportent en effet leur aide au sein des SAR. Or tous
s'accordent à dire qu'ils ne sont pas assez nombreux. Ce problème
est peut-être lié au manque de place dans certains tribunaux. Il
n'est en effet pas possible d'augmenter les effectifs si la place manque. En
outre, le dialogue et les rapports avec les supérieurs
hiérarchiques sont très difficiles. Plus nous essayons de
dialoguer, plus la situation se dégrade.
M. le Président -
Pouvez-vous nous expliquer ?
Mme Lydie Quirié -
On a commencé à prôner le
dialogue, il y a 4 ou 5 ans. Or celui-ci devient rare. Le supérieur
hiérarchique décide et n'essaie pas d'expliquer les raisons de
ses décisions, voire bafoue les droits des fonctionnaires,
définis par les textes de loi.
M. le Président -
Le greffier en chef est-il le supérieur
hiérarchique des agents de catégorie C ?
Mme Lydie Quirié -
Oui.
M. le Président -
Représente-t-il l'autorité
hiérarchique d'un service ?
Mme Lydie Quirié -
Oui. En ce moment, les greffiers en chef
délèguent souvent leur travail, ce qui crée de nombreux
problèmes. Nous estimons qu'actuellement l'encadrement ne joue pas son
rôle.
M. le Président -
Quand une personne passe un concours, elle
reçoit ensuite une formation initiale d'application.
Mme Lydie Quirié -
Cette procédure est valable pour les
greffiers en chef, les greffiers et les fonctionnaires de
catégorie C. Nous avons demandé 8 jours de formation
à Dijon et en juridiction pour ceux qui passent le concours externe. Je
ne mets pas en cause le travail des fonctionnaires de catégorie C.
M. le Président -
Je le conçois. Une personne qui a
passé un concours bénéficie-t-elle d'une formation ?
Mme Lydie Quirié -
Cette mesure est vraiment récente. Les
fonctionnaires de catégorie C doivent souvent apprendre par
eux-mêmes au sein des services. Si nous changeons de logiciel, nous
recevons une formation théorique de trois ou quatre jours. Ensuite, il
faut appréhender le nouveau logiciel par soi-même. La formation
pratique n'est pas assurée faute de temps et de moyens.
M. le Président -
Vous affirmez que la formation est
dispensée par des non professionnels de la formation. Or la formation
est souvent effectuée par des personnes de la profession
concernée, dans le secteur de la fonction publique. Si nous faisions
appel à des enseignants externes au corps de métier
concerné, la formation serait inadéquate. Il est
préférable de demander à des professionnels qui font
preuve de pédagogie. Les conférenciers de l'ENA sont pour la
plupart des professionnels.
Mme Lydie Quirié -
Je n'évoque pas l'aspect juridique,
mais l'aspect management.
M. le Président -
D'accord. Je cède à
présent la parole à Madame la représentante de la CGT.
Mme Nathalie Malka-Desanti
- Concernant les personnels de la
catégorie C, j'ai entendu les chiffres mentionnés par
Mesdames Berchère et Quirié, notamment la proportion des
faisant fonction. Nous dénombrons effectivement de nombreux agents de
catégorie C dans la filière administrative et quelques-uns dans
la filière technique, en particulier dans le corps des AST, qui exercent
des fonctions relevant de la catégorie B, mais ces fonctions ne sont pas
forcément des fonctions de greffier. Je réfute donc le chiffre de
75 % annoncé par Madame Quirié.
M. le Président -
Quelle est, selon vous, la juste
proportion ?
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Il ne me semble pas sérieux
d'indiquer un chiffre aujourd'hui, mais il est évident qu'au moins 1.000
à 1.500 personnes de catégorie C assument à titre
principal et de manière permanente des fonctions de greffier, au sens
strict et statutaire du terme. Ce chiffre est sûr. Quant aux fonctions de
catégorie B, de type secrétaire administratif, je rappelle que la
CGT est la seule à soutenir depuis dix ans la revendication de la
création d'un corps de secrétaires administratifs dans les
services judiciaires. En réunion de la commission statutaire au niveau
des services judiciaires nous avons estimé à 2 000 le nombre
de postes de secrétaires administratifs qu'il serait nécessaire
de créer dans l'immédiat. Ces postes couvriraient l'ensemble des
fonctions de régie, des fonctions d'adjoint de responsable de gestion
dans les SAR, toutes les fonctions de secrétariat des chefs de
juridiction (procureur, président et chef de greffe) et les fonctions
assumées dans les bureaux d'aide juridictionnelle. Ils ne concerneraient
pas en revanche la fonction d'adjoint de responsable de la gestion
informatique, car ce dernier assume actuellement des fonctions de formation
pour des logiciels spécifiques de procédures. Contrairement
à ce qu'affirme Madame Berchère, j'estime que les fonctions
dans les BAJ relèvent davantage du statut et des fonctions de
secrétaire administratif que de ceux du greffier. D'autres fonctions ont
été évoquées, comme celles de correspondants locaux
informatiques (CLI), rattachés au bureau de la gestion informatique des
SAR et qui interviennent maintenant en faveur de la formation des autres
agents, quelle que soit leur catégorie, pour des logiciels de
bureautique. Or la plupart des CLI relèvent de la catégorie C.
En ce qui concerne les SAR, Madame Quirié évoquait un
problème de place ou de manque de personnel. A mon avis, le
problème est davantage lié au positionnement du SAR, en tant que
structure. Les SAR sont actuellement des services intégrés
à la cour d'appel, mais offrent des services qui dépassent le
cadre de la cour d'appel, en tant que juridiction. Le positionnement du
coordinateur pose évidemment problème par rapport à celui
du chef de cour. Je ne suis pas convaincue qu'il faille largement
accroître le personnel travaillant au sein des SAR, tant que le
positionnement du SAR en tant que service n'est pas clairement
précisé.
Quant aux questions afférentes à la formation, une session de
formation initiale pour des agents de catégorie C débutant au
sein des services judiciaires, après avoir réussi un concours
externe, a effectivement été mise en place depuis peu. D'autres
recrutements externes, malheureusement sans concours, auront lieu dans les mois
et années à venir. D'autres séances de formation initiale
seront donc dispensées. Je rappelle toutefois que cette formation
initiale concerne uniquement les agents de catégorie C de la
filière administrative. Or nous estimons qu'un ouvrier professionnel ou
un AST doit autant connaître l'administration au sein de laquelle il se
destine à faire carrière qu'un agent ou un adjoint
administratif. Il convient de rappeler que cette formation initiale leur a
été « généreusement »
octroyée, parce que l'administration a pris conscience, après les
premiers recrutements d'agents de justice, que certains personnels non
permanents et non titulaires du service public qu'est la justice
bénéficiaient d'une formation initiale de six semaines, au cours
de laquelle ils apprenaient le statut de la fonction publique, statut dont ils
ne relèvent pas, tandis qu'on ne leur enseignait pas ce qu'était
un contrat de droit public et qu'on ne les prévenait pas de leur
situation précaire. Ces personnels non permanents et non titulaires
recevaient donc une formation de six semaines, tandis que les personnels
statutaires de catégorie C n'en bénéficiaient pas. Nous
regrettons vivement que cette formation initiale, du moins sa partie
théorique, ne soit pas dispensée dans les locaux de l'Ecole
nationale des greffes (ENG). Nous considérons en effet que l'ENG n'est
pas l'école des greffiers et greffiers en chef, mais l'école des
personnels des greffes et qu'il serait par conséquent souhaitable et
louable que l'ensemble des personnels de catégorie C puisse suivre les
4 semaines de formation théorique prévues à l'ENG,
même si cette question pose un problème de place, de plan de
charge, etc. Au-delà de la nécessité d'unité des
corps, il existe aussi une nécessité d'unité des
formations.
M. le Président -
Le lieu importe peu, à partir du moment
où l'Ecole nationale des greffes gère la formation.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Le lieu n'est pas un critère
totalement indépendant de la formation dispensée. En
matière de formation continue pour les personnels de
catégorie C, les programmes proposés par l'ENG ne
recueillent que très peu de candidatures. Les agents de
catégorie C n'ont jamais pris l'habitude d'être
présents au sein de l'ENG. Ils ne considèrent pas cette
école comme la leur, mais comme celle des greffiers et greffiers en
chef. Ce phénomène explique en partie le manque de candidatures
aux programmes de formation. La CGT souhaite inverser cette logique, en
intégrant davantage les personnels de catégorie C, tant au cours
de la formation initiale qu'au cours de la formation continue.
M. le Président -
Cette intégration ne passe pas
forcément par un enseignement dispensé dans les locaux de l'ENG.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Si.
M. le Président -
Je ne suis pas d'accord avec vous.
Certains agents rencontreraient des problèmes pour se déplacer
jusqu'à l'ENG. Je vous précise que je suis administrateur du
Centre national de la fonction publique territoriale depuis de nombreuses
années, au sein duquel nous formons 1,5 millions fonctionnaires.
Nous essayons d'organiser des formations décentralisées, afin de
permettre au plus grand nombre d'agents concernés d'y avoir plus
aisément accès.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Nous ne bénéficions pas de
structure décentralisée dans les services judiciaires. Il n'est
pas question pour nous d'abandonner les formations régionalisées.
Il existe au sein des SAR des bureaux de gestion de la formation
régionalisée. Nous encourageons fortement leur
développement. Cependant, je répète que nous
considérons l'ENG située à Dijon comme l'école des
greffes et non des greffiers et des greffiers en chef. Le personnel de
catégorie C est un personnel des greffes. Or il se sent totalement
exclu de cette structure.
J'aborde maintenant la description des principales missions des fonctionnaires
de catégorie C de la filière administrative. Ils exercent des
fonctions d'exécution pure et simple : rédiger les
jugements, effectuer des photocopies, s'occuper du courrier, etc. Avec le
développement des techniques de bureautique, le besoin de personnel
d'application augmente, au détriment du besoin en personnel
d'exécution. Ce dernier sera néanmoins toujours indispensable.
Nous considérons que le personnel de catégorie C doit
demeurer dans le cadre de ces fonctions d'exécution et ne doit pas
remplir des missions pour lesquelles il n'est pas formé, même s'il
les mène de manière satisfaisante, et surtout pour lesquelles il
n'est pas rémunéré. En revanche, nous sommes favorables
à toute possibilité de formation interne et à la mise en
place de « passerelles » permettant à ce personnel
d'évoluer dans des professions relevant de la catégorie B.
Au sujet des relations avec les supérieurs hiérarchiques, la CGT
et, en particulier, son secrétaire général, qui est
adjointe administrative rémunérée en
échelle 4, considèrent qu'il n'est pas question d'opposer
systématiquement les « gentils » fonctionnaires de
catégorie C, qui effectuent parfaitement leur travail, aux
« moins gentils » fonctionnaires de catégorie B et
aux « très méchants » greffiers en chef qui
ne savent rien faire. Je cite un récent sondage commandité par
C-Justice : « 65 % des greffiers en chef sont des
incapables ». J'ignore quel institut a réalisé cette
étude, mais je n'y adhère pas. En outre, je ne pense pas que le
dialogue soit plus mauvais dans les services judiciaires qu'il ne l'est dans
d'autres services. Il est bien entendu nécessaire d'améliorer
constamment le dialogue entre les personnels des différentes
catégories et leurs supérieurs hiérarchiques. Aujourd'hui,
ce dialogue est surtout insuffisant avec les magistrats. Il ne faut jamais
oublier que les chefs de greffe demeurent sous le contrôle des chefs de
juridiction. Ils sont donc parfois quelque peu en porte-à-faux
vis-à-vis du personnel des greffes. Comme l'avait déclaré
Madame Lebranchu, il est nécessaire de recentrer les magistrats sur
leurs fonctions : dire le droit et trancher les litiges. Ils ne sont en
effet ni recrutés ni formés pour exercer des fonctions de gestion.
M. le Président -
Elle avait prononcé ces mots dans un
autre contexte, faisant allusion non seulement au fonctionnement des
juridictions, mais aussi à toutes les tâches annexes
extérieures auxquelles les magistrats sont de plus en plus
confrontés.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Si vous avez déjà reçu
les représentants des magistrats, vous devez savoir qu'ils se plaignent
suffisamment des fonctions annexes de gestion, parce qu'elles leur prennent le
temps nécessaire à l'étude des dossiers et à
l'accomplissement de leurs missions. D'un autre côté, ils tiennent
fortement à ces prérogatives de gestion.
M. le Rapporteur -
Je souhaiterais que les représentantes de
l'USAJ développent leur position à l'égard de
l'évolution des métiers de la catégorie C.
Mme Brigitte Berchère -
Nous avons évoqué les
difficultés que rencontraient les faisant fonction de greffiers et
personnel de catégorie B. Nous estimons qu'ils représentent
55 % du personnel administratif de catégorie C, sachant que la
valeur d'un sondage réalisé par une organisation syndicale au
sein des juridictions est toujours relative. Il est cependant évident
que la Chancellerie sous-évalue vraisemblablement le nombre de
collègues faisant fonction. En revanche, je ne suis pas d'accord avec la
CGT concernant les bureaux d'aide juridictionnelle. Lorsque nous tenons un
secrétariat de BAJ, nous devons valider la conformité de la
procédure. A mon sens, il s'agit d'un travail de faisant fonction de
greffier. Nous estimons par conséquent qu'un secrétaire
administratif ne détiendrait pas la compétence pour agir en tant
que tel.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Je reconnais que cette compétence
lui est déléguée par défaut par les personnes qui
la détiennent normalement, mais il n'est pas du ressort du
secrétaire de section de juger de la conformité du dossier. Il
s'agit d'un travail d'application.
Mme Lysiane Fleurot -
J'ajoute que l'USAJ souhaite un seul corps
d'agents de greffe. En effet, nous jugeons totalement désuète et
dénuée de sens la distinction entre agent et adjoint
administratif.
M. le Président -
Nous avons maintenu artificiellement cette
distinction.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Ce n'est pas tout à fait exact. Les
adjoints administratifs correspondent à d'anciens personnels de
catégorie C, avant l'application des accords Durafour, alors que
les agents administratifs actuels sont d'anciens personnels de
catégorie D. Nous assistons actuellement au sein de tous les
ministères à un mouvement d'intégration exceptionnelle des
agents administratifs au sein du corps des adjoints administratifs. Cependant,
l'Etat ne reconnaît comme échelle d'accès à la
fonction publique que l'échelle 2 de la rémunération.
M. le Président -
Ce sujet n'est pas spécifique au
ministère de la justice.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Non. Ce souci est
généralisé à l'ensemble de la fonction publique.
M. le Président -
Vous reconnaissiez que les tâches
d'exécution diminuaient au fur et à mesure des
améliorations techniques et de l'enrichissement des fonctions. Nous
aurons de plus en plus besoin d'agents d'application. Selon vous, la
catégorie B risque-t-elle d'évoluer « au
détriment » de la catégorie C ?
Mme Lysiane Fleurot -
Les accords Durafour prévoyaient
déjà de réviser ces catégories en 1990. Cela n'a
pas eu lieu. De fait, les catégories ne correspondent plus à la
réalité, puisque chacun possède aujourd'hui une certaine
autonomie.
M. le Président -
La corvée de la photocopie
disparaît.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Elle n'a pas totalement disparu. Les
tâches d'exécution diminueront, mais ne disparaîtront jamais
entièrement. Le maintien des corps de catégorie C est
important, car ils offrent à des personnes
non diplômées un accès à la fonction publique.
La dernière loi sur la résorption de l'emploi précaire
prévoit à titre expérimental le recrutement dans la
fonction publique hors concours à l'échelle 2. Pour le
moment, il est important de préserver des corps de fonctionnaires
accessibles sans diplôme, à condition qu'une formation continue
conséquente soit prévue, afin de permettre aux personnes
concernées d'accéder ultérieurement à des corps de
catégorie supérieure.
Mme Lydie Quirié -
Je précise que la proportion de
75 % des faisant fonction n'a pas été mentionnée
à titre principal. La CGT se moque toujours de C-Justice, mais quand
nous avions réalisé notre sondage, nous avions trouvé, il
y a quatre ans, le résultat que le ministère nous a
communiqué il y a trois mois, à 28 personnes près.
De même, nous tenons à la création du secrétaire
administratif. Nous avons déjà exprimé le souhait d'un
statut de C+, de niveau bac, correspondant à la catégorie B. Je
rappelle que nous n'avons pas créé C-Justice pour exister, mais
pour aider les fonctionnaires de justice. Si nous passons tous en
catégorie B, C-Justice n'existera plus, mais notre objectif sera atteint.
M. le Président -
J'évoquais l'évolution des
métiers à long terme. Certaines tâches d'exécution
demeureront.
Mme Lydie Quirié -
Cela me paraît indispensable. Nous
considérons que les personnes qui assurent les secrétariats
particuliers doivent avoir la possibilité de passer secrétaires
administratifs. Pour les personnes qui tiennent les TPE, nous réclamons
un statut B technique.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Nous le réclamons tous depuis
longtemps.
Mme Lydie Quirié -
Par ailleurs, nous manquons cruellement de
femmes de ménage pour s'occuper de l'hygiène des services
judiciaires. Nous pourrions donc créer des postes de
catégorie C.
M. le Président -
Il faudrait surtout entretenir les tribunaux.
Mme Lydie Quirié -
Je mentionne l'hygiène basique. La
prestation d'entreprises privées représente un coût
élevé pour l'Etat sans pour autant régler le
problème.
M. le Président -
Si nous étions soumis aux mêmes
règles d'hygiène et de sécurité qu'une entreprise
privée, nous serions obligés d'arrêter notre
activité. Les comités d'hygiène et de
sécurité fonctionnent néanmoins et les visites
médicales se déroulent.
Mme Lydie Quirié -
Il faudrait accorder un réel pouvoir
aux représentants des comités d'hygiène et de
sécurité.
M. le Président -
Vous soulevez une question de modernisation. Un
programme a été défini à ce sujet. Je m'abstiendrai
d'évoquer la situation des services pénitentiaires.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Je reconnais que certains agents
travaillent parfois dans des conditions difficilement acceptables, mais
j'estime qu'il est préférable de travailler dans un bureau des
services judiciaires plutôt que dans les usines de Plasto.
Mme Lydie Quirié -
Je ne suis pas d'accord. Le comité
d'hygiène et de sécurité d'une entreprise privée
peut contribuer à la fermeture d'une usine, tandis qu'il est impossible
de faire fermer des tribunaux.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Il est évident qu'il reste à
accomplir un travail important en matière d'hygiène et de
sécurité au sein de nos services. Les comités
d'hygiène et de sécurité ont été très
récemment mis en place, fonctionnent mal, mais la situation ne peut que
s'améliorer. Le livre blanc sur le dialogue social dans la fonction
publique de l'Etat récemment rédigé par
Monsieur Fournier évoque ainsi la question du fonctionnement des
structures non paritaires en matière d'hygiène et de
sécurité.
M. le Rapporteur -
Je vous pose une dernière question. Vous avez
mentionné le problème du statut dérogatoire pour les
personnels de catégorie C. Je voudrais savoir si vous adoptez tous
la même vision, c'est-à-dire si vous souhaitez un statut
dérogatoire pour l'ensemble des personnels des greffes englobant les
catégories C, B et A ou bien si vous exprimez des points de vue
différents, sachant que vous avez tous reconnu que l'évolution
des agents techniques rendait inévitable l'évolution des
fonctions des personnels de catégorie C ?
Mme Lydie Quirié -
Nous voulons faire évoluer notre statut
et notre carrière. Si notre niveau de formation était reconnu
comme étant équivalent au niveau bac, comme nous le demandons,
nous passerions en catégorie B. Cependant, si les fonctionnaires de
catégorie C des services judiciaires acquéraient le statut B, il
en irait logiquement de même pour tous les autres fonctionnaires de la
fonction publique de catégorie C. Nous sommes réalistes, nous
savons que la fonction publique ne disposerait pas du budget suffisant. Nous
évoquons donc la possibilité d'obtenir un statut
dérogatoire permettant d'offrir une perspective d'évolution
à notre carrière.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
La CGT est farouchement opposée
à l'instauration d'un statut dérogatoire. Nous tenons fermement
à demeurer dans le cadre d'un statut interministériel, pour une
raison extrêmement évidente : ce statut est beaucoup plus
protecteur qu'un statut dérogatoire.
Mme Brigitte Berchère -
Nous plaidons depuis de nombreuses
années pour un statut dérogatoire. Néanmoins, si
l'évolution des métiers devait passer par un statut
interministériel très évolutif, nous y serions favorables.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Je précise que l'absence de
revendication d'un statut dérogatoire pour les services judiciaires fait
partie de nos revendications générales pour l'ensemble de la
fonction publique.
Mme Lydie Quirié -
Je rappelle que le statut des greffiers en
chef a évolué sans qu'il leur soit demandé un
diplôme et des compétences supplémentaires.
Ils effectuent le même travail qu'auparavant. Il serait donc injuste
d'exiger un diplôme ou des compétences supplémentaires aux
personnels de catégorie C pour justifier une évolution de
leur statut.
M. le Président -
Il faut aussi prendre en compte la
revalorisation d'autres métiers. Il s'agit d'une question
d'harmonisation autrement complexe. Quoi qu'il en soit, il me semble qu'il faut
maintenir le niveau de recrutement existant. Il ne faut pas non plus confondre
le niveau de recrutement et les possibilités de promotion sociale
offertes aux personnels de catégorie C. Chacun doit cependant accomplir
des efforts en conséquence.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Certains greffiers en chef ont
commencé en tant qu'agents de catégorie B.
Mme Lydie Quirié -
Je le sais. Nous sommes favorables à
l'évolution de carrière. En revanche, nous sommes opposés
à la suppression de la possibilité du passage au choix de la
catégorie C à la catégorie B. Ce sujet a été
évoqué dernièrement lors de certaines réunions
ministérielles.
Mme Nathalie Malka-Desanti -
Le passage ne s'effectue pas de la
catégorie C à la catégorie B, mais d'un métier de
la catégorie C à celui de greffier. Je précise que le
passage de la fonction d'adjoint administratif à celle de greffier
nécessite désormais un examen professionnel spécifique.
Cet aspect est lié au problème du CII, qui est un corps
fermé.
M. le Président -
Nous vous remercions de ce dialogue.
Mme Lydie Quirié -
J'ai omis d'aborder un point essentiel. Nous
avons toujours été favorables au maintien de l'encadrement par
les magistrats et greffiers en chef.
M. le Président -
Bien. Merci.
Audition de Mme Anne WYVEKENS
,
chercheur au CNRS
,
directeur du département recherche,
de
l'Institut des Hautes Etudes de la Sécurité intérieure
(IHESI)
(15 mai 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Notre matinée est
consacrée à la justice de proximité. Madame Wyvekens, vous
êtes l'auteur d'un ouvrage consacré à la justice de
proximité en Europe. Pouvez-vous nous résumer vos travaux ?
Mme Anne Wyvekens
- J'ai dirigé avec Jacques Faget
l'ouvrage intitulé «
La justice de proximité en
Europe - Pratiques et enjeux
». Avant de parler de l'Europe, je
voudrais vous parler de la France. La justice de proximité est une
expression très française, qui est apparemment consensuelle et
qui est très utilisée Pourtant, son contenu est mal défini
ou est en tout cas pluriel. Aussi voudrais-je commencer mon intervention par un
rappel historique.
Initialement, en France, la justice de proximité se situe dans le champ
de la justice pénale. Elle est liée à la
problématique des quartiers hors-droit, c'est-à-dire des zones
urbaines défavorisées. Les figures emblématiques de la
justice de proximité sont au départ les maisons de justice et du
droit, qui ont été présentées comme des îlots
de droit dans des océans de non-droit. Le non-droit était devenu
inquiétant et la maison de justice a été d'abord une
installation immobilière qui devait physiquement figurer la justice dans
ces quartiers hors-droit.
Le contenu initial de ces maisons de justice est ce qu'on a appelé la
« troisième voie », c'est-à-dire une nouvelle
forme de réponse judiciaire venant s'ajouter à la poursuite
pénale et au classement sans suite pur et simple. Il s'agissait de
traiter par des procédures inspirées de la médiation des
faits de petite et moyenne délinquance que la justice pénale
avait tendance à laisser de côté pour des raisons de faible
gravité et d'engorgement. La poursuite pénale était
considérée comme inadaptée (trop lourde, trop tardive),
mais il n'était plus possible non plus de continuer à classer
massivement ces petites infractions qui contribuaient à l'accroissement
du sentiment d'insécurité.
Le contenu des maisons de justice a rapidement revêtu également
une dimension de partenariat et de rencontre des acteurs locaux autour des
questions de sécurité. Le partenariat avait commencé
à se développer avec les conseils communaux de prévention
de la délinquance (CCPD) ; il se poursuit aujourd'hui avec les
contrats locaux de sécurité. Dans le cadre des maisons de justice
de première génération, le partenariat est initié
et piloté par la justice, à la différence des CCPD par
exemple.
La naissance de la justice de proximité s'explique par deux facteurs
liés au contexte :
- la question de l'insécurité des zones urbaines
défavorisées ;
- la question plus générale de l'inadaptation de la justice
à la complexification de la vie en société et à
l'augmentation de la demande de justice.
La justice de proximité est donc un angle intéressant pour
aborder la question plus large de l'évolution de la justice, à
travers notamment l'évolution des métiers de justice.
Pour décrire cette justice de proximité initiale, nous avons
parlé de proximité humaine, de proximité
géographique et de proximité temporelle. Les procédures
sont inspirées de la médiation et tentent d'instaurer une justice
plus proche des gens et plus humaine. La proximité géographique
est assurée par l'implantation dans les quartiers. Enfin, les maisons de
justice et la troisième voie se sont rapidement trouvées
connectées à une innovation plus strictement judiciaire, le
traitement en temps réel des affaires pénales, dans un but
d'accélération de la réponse pénale.
Par la suite, la justice de proximité a évolué vers
quelque chose de plus civil, autour de la notion d'accès au droit. Cette
évolution va dans le même sens que le mouvement plus
général de modernisation des services publics et de leur
rapprochement par rapport à la population. Les maisons de justice plus
récentes, celles qui ont été créées à
la fin des années 90, voient leur dimension pénale
réduite. Les citoyens peuvent y trouver de l'information juridique,
rencontrer un huissier ou un notaire ou monter des dossiers d'aide
juridictionnelle. Ces maisons ressemblent davantage aux maisons des services
publics qui se multiplient un peu partout en France.
Parallèlement, la troisième voie née dans les maisons de
justice (classement sous condition, recours à la médiation
pénale) continue à se développer mais elle se pratique de
plus en plus souvent dans les palais de justice, pour des raisons de moyens ou
d'implantation dans les villes. Les communes n'ont en effet pas toutes envie de
s'offrir une maison de justice, dont le financement leur incombe en partie. Les
raisons de cette évolution sont également internes à la
justice. Si certains magistrats sont des militants de la « justice en
ville », nombreux sont ceux qui restent réticents à
« sortir des palais de justice ». Dans les maisons de
justice de création récente, la médiation pénale ne
se pratique que de façon marginale (une demi-journée par semaine
en général).
Enfin, la justice de proximité a refait son apparition dans le programme
du candidat Jacques Chirac sous une forme qui paraît plus
sécuritaire ou pénale, mais dont les modalités n'ont pas
encore été précisées.
Outre la France, l'ouvrage porte sur les Pays-Bas, la Suisse, le Royaume-Uni et
la Belgique.
Les différentes pratiques européennes ont été
confrontées à partir d'une présentation de la justice de
proximité française. Il y a d'une certaine façon deux
catégories de pays.
Certains d'entre eux -les Pays-Bas, la Belgique- se sont explicitement
inspirés de la France. La justice de proximité répond
alors à la volonté de changer la justice en raison des questions
de sécurité et de l'inadaptation de l'institution judiciaire
à l'évolution de la société.
Aux Pays-Bas, le programme « Justitie in de Buurt »
(« justice dans les quartiers ») ressemble à la
justice de proximité pénale française des débuts
mais il est resté centré sur le pénal et reste un
dispositif d'exception. Le principe est de se limiter aux quartiers qui en ont
vraiment besoin. La justice de proximité française a
débuté de cette façon et s'est ensuite demandé si
elle devait être généralisée.
En Belgique, sous un intitulé identique, on trouve un contenu assez
différent : les « maisons de justice »
procèdent d'une logique de centralisation. Elles rassemblent les
personnels para-judiciaires (les assistants de médiation, les personnes
s'occupant de contrôle judiciaire, tous les travailleurs sociaux
travaillant dans le cadre judiciaire). Il existe une maison de justice par
arrondissement judiciaire. Les choses sont donc calquées sur le
dispositif administratif existant. Cela n'a rien à voir avec les
quartiers. Ces maisons sont considérées comme une manière
de coordonner, voire de contrôler les travailleurs du para-judiciaire. La
problématique de la réponse locale au sentiment
d'insécurité est également traitée, mais la
politique mise en oeuvre est pilotée par le ministère de
l'intérieur et non par la justice, qui n'a pas le rôle moteur
qu'elle a eu en France.
Dans une deuxième catégorie de pays -la Suisse, le Royaume-Uni-
la justice de proximité n'existe pas de façon volontariste comme
une création visant à pallier des insuffisances. Il s'agit en
fait de pays où la proximité « naturelle »
est plus grande.
La Suisse est un petit pays fédéral et très
décentralisé. Tout est proche des populations. La justice de
proximité se résume alors à la médiation et
à l'apparition des nouveaux métiers.
Au Royaume-Uni, la proximité renvoie à la notion de
« communauté », qui n'existe pas du tout en France.
Le chercheur anglais qui a collaboré à l'ouvrage est un fin
connaisseur du système français. Sa contribution est
intéressante. Partant de la réalité socio-politique du
Royaume-Uni où la notion de communauté est importante, il a
posé des questions différentes de celles que nous proposions. Il
se demande notamment si la justice de proximité n'est pas une
façon managériale de gérer les carences fonctionnelles de
la justice. Il a traité la notion de la sécurité comme
marchandise, avec les risques que cela peut entraîner.
L'enseignement tiré de cette confrontation est la question du lien entre
la justice de proximité, qui peut apparaître comme un objet un peu
exotique, et la justice en général, qu'on ne peut pas
séparer de la justice de proximité.
Je voudrais insister sur deux questions.
La première est celle de l'extension du filet pénal. Certains
chercheurs affirment que la justice de proximité n'est qu'une
façon déguisée d'étendre l'emprise de la justice
pénale sous des dehors de justice douce. Personnellement, le propos me
paraît exagérément dénonciateur mais il permet de
poser des questions sur les effets non souhaités ou pervers de la
justice de proximité. En termes de métiers, se pose ainsi la
question du déplacement des pouvoirs judiciaires vers le parquet et donc
vers la police. Cette question est notamment soulignée par les auteurs
belges.
Il faut également se poser la question des nouveaux acteurs internes
à la justice que sont les délégués du procureur.
Quels sont leurs compétences, leur formation, leurs liens avec le
parquet ? Les médiateurs sont également de nouveaux acteurs.
Ils restent rattachés à leur institution sociale ou à leur
association d'origine. Il s'agit alors de médiation
déléguée. Comment se passe le travail des magistrats avec
ces professionnels de la médiation ? Qui instrumentalise qui ?
Comment la logique des uns influe-t-elle sur la logique des autres ?
Qu'est-ce que cela change dans le travail des magistrats ?
La deuxième question est celle du lien de la justice de proximité
avec un changement plus global de la fonction de justice. Selon moi,
l'idée importante dans la partie pénale de la justice de
proximité est celle de la diversification des pratiques. L'institution
judiciaire s'est renouvelée dans ses réponses. La
troisième voie est quelque chose de nouveau, elle s'est peu à peu
intégrée dans le système existant. Sur le terrain, les
magistrats pénaux se demandent souvent si la troisième voie n'est
pas devenue une justice de luxe, contrairement à ce qu'on a toujours
prétendu. Ne passe-t-on pas un temps important pour cette justice ?
La justice correctionnelle n'est-elle pas devenue le parent pauvre ?
M. le Président
- Vous pensez à la comparution
immédiate ?
Mme Anne Wyvekens
- Oui, tout à fait.
Sur le plan des métiers, la justice de proximité pose la question
du changement dans l'institution judiciaire. Les magistrats constituent un
corps relativement conservateur. Certains magistrats font, au contraire, preuve
d'un militantisme dans le changement. Comment promouvoir et accompagner le
changement dans l'institution judiciaire ?
Une autre question est liée au développement des partenariats. La
justice de proximité n'est pas seulement une modification de la
réponse judiciaire. Elle correspond à l'insertion des magistrats
dans la ville. Les magistrats du parquet ont été les premiers
à le faire. Les magistrats du siège y sont pour la plupart
extrêmement réticents. Le fait de n'être plus uniquement
à l'audience mais de participer à des instances
collégiales qui se sont multipliées change la profession de
magistrat mais l'indépendance des magistrats est-elle forcément
mise en péril par la confrontation avec la ville ? Cela renvoie
à la question d'une vision individuelle, qui est la vision classique de
l'institution judiciaire, et d'une vision plus collective, qui s'impose de plus
en plus. Il faut trouver un équilibre entre le juridictionnel au sens
pur du terme, qui nécessite toujours les garanties et la protection des
droits individuels, et une vision plus globale sur laquelle l'intervention
juridictionnelle ne peut pas faire l'impasse.
M. le Président
- Le système britannique est
tout à fait surprenant pour les Français, car des magistrats
bénévoles y prennent des décisions. Les procédures
sont extrêmement simplifiées mais le système a l'air de
fonctionner. La loi Méhaignerie exprimait la volonté du
législateur de prévoir des magistrats non professionnels
exerçant à titre temporaire. La Chancellerie n'a pratiquement pas
mis en place ces magistrats à titre temporaire. Au lieu de recourir
à la conciliation et à la médiation, la justice de
proximité pourrait s'appuyer sur des personnes de la
société civile.
La justice en Grande-Bretagne a-t-elle une efficacité réelle ou
ne permet-elle pas d'éviter la récidive de la petite
délinquance ? Aux Pays-Bas, il existe en matière de
délinquance des mineurs des programmes de réparation
placés sous l'autorité de la police ou éventuellement sous
la surveillance générale du parquet.
Mme Anne Wyvekens
- En Grande-Bretagne, l'institution
fonctionne. Je ne la connais pas de l'intérieur. Il existe là-bas
une série de procédures comparables au classement sous condition
français. Elles sont davantage mises en oeuvre par la police que par le
procureur. En France, le procureur a une place particulière. La question
du rapport entre magistrats du parquet et police est importante actuellement.
Le traitement en temps réel a permis de resserrer les liens entre
parquet et police. Les détracteurs du traitement en temps réel
considéraient que ce dispositif permettait une mainmise de la police sur
la procédure en donnant la possibilité aux policiers de manipuler
les substituts, le contact étant devenu téléphonique et
non écrit. Selon moi, dans les parquets qui fonctionnent bien, lorsque
les magistrats connaissent bien les policiers, cela a été au
contraire une façon de recadrer les choses. Dans le nouveau programme de
justice de proximité, le mot de juge de paix a à nouveau
été prononcé.
M. le Président
- Le juge de paix est un peu
idéalisé. Dans ma région, il y avait un juge de paix. Tout
le monde s'en souvient et tout le monde s'est félicité de sa
disparition. Il s'agissait de justice civile. Aujourd'hui, la justice civile
est occupée essentiellement par la justice familiale et un peu par les
problèmes de loyers. Les litiges de voisinage qui occupaient en grande
partie les juges de paix ne constituent pas la part la plus importante dans
notre société urbaine actuelle. Dans une société
rurale, ces litiges étaient plus importants en nombre et en importance
sociale.
M. Christian Cointat, rapporteur
- J'ai beaucoup de sympathie
pour nos amis anglais mais je ne suis pas certain que le modèle anglais
soit facilement exportable en France. Un humoriste britannique disait :
« Lorsque vous traitez avec un Anglais, la seule chose dont vous
pouvez être sûr est que la solution logique ne sera jamais
retenue ». Or cela n'est pas tout à fait compatible avec
l'approche française.
Vous avez évoqué des exemples d'autres pays d'Europe. J'aurais
aimé que vous nous disiez s'il existait dans l'un ou l'autre de ces pays
une pratique qui pourrait être exportée en France. Dans vos
propos, je n'ai rien vu qui pourrait nous aider. Dans les autres pays de
l'Union européenne, on considère, peut-être à tort,
que la justice fonctionne mieux qu'en France. Si la justice fonctionne mieux
ailleurs, peut-être pourrions-nous nous inspirer de certaines pratiques.
Ma deuxième question est davantage centrée sur la France. Compte
tenu des réticences du siège face à l'évolution
actuelle de la justice de proximité, au comportement du parquet et aux
relations avec la police, ne pourrait-on pas s'orienter à terme vers une
justice à deux facettes ? Ne pourrait-on pas tenter de focaliser la
justice sur le procès et de développer la médiation et la
conciliation para-judiciaires dans l'espace hors tribunal ? Cela
permettrait de clarifier les choses, de conserver à la justice toute sa
solennité à l'intérieur du tribunal, et d'en faire un
dernier recours. Il faudrait alors ouvrir la pré-justice dans la ville
avec des maisons de justice et du droit.
Les autres questions que je voudrais vous poser sont purement techniques. Elles
ont trait aux problèmes des médiateurs et des
délégués du procureur. Comment faudrait-il les recruter,
les former et les contrôler pour être certain que la justice ne
soit pas différente d'une ville à une autre ?
Mme Anne Wyvekens
- J'ai peur de vous décevoir sur la
première question. Le titre de l'ouvrage est peut-être
alléchant mais la démarche que nous avons initiée est
à l'inverse de celle de la question que vous posez : M. Jacques
Faget et moi avons présenté la justice de proximité
française et les autres intervenants se sont calqués sur les
questions que nous leur posions. S'il fallait trouver un modèle
ailleurs, je ne dis pas que j'irais au Royaume-Uni mais, selon moi, le cas du
Royaume-Uni est le plus intéressant en termes d'idées, de
questions à se poser. Ce cas est en effet le plus différent du
nôtre. Je travaille par ailleurs sur les systèmes de police de
proximité aux Etats-Unis et sur les politiques locales de
sécurité en France. La question de la communauté, au sens
des citoyens, me préoccupe beaucoup. Comment impliquer les usagers, les
résidents, les habitants, la population dans ces politiques ? En
France, le rapport avec les populations est le grand absent.
M. le Rapporteur
- Vous ne parlez pas de communauté
ethnique. Le président du Sénat a rappelé que la France
n'était pas une fédération de communautés mais une
nation. Le mot « communauté » est dangereux. Il faut
donc bien préciser ce que l'on entend par là.
Mme Anne Wyvekens
- Vous avez tout à fait raison. Dans
le monde anglo-saxon, ce terme ne fait pas référence à la
communauté ethnique. Il est beaucoup plus général ;
il désigne n'importe quel groupe. La communauté est un ensemble
de personnes qui ont entre elles un lien quelconque.
Les pays anglo-saxons ont une façon de prendre davantage les gens en
considération. Je ne sais pas s'il faut instituer des conseils de
réprimande, comme cela a été fait dans certaines villes,
mais sans doute faut-il davantage compter sur la force que peut
représenter un groupe ou une « communauté ».
Il ne faut pas toujours mettre les gens en situation d'élèves. Ma
réponse est très générale et n'est pas du tout
technique. Les Pays-Bas ont également davantage le souci du quartier et
du groupe. Ils sont plus anglo-saxons que nous. Voilà ce qui me
paraît intéressant dans la confrontation avec les
expériences étrangères.
M. le Président
- Je suis frappé par le
phénomène de la pénalisation. Naguère, tout ce qui
se passait dans un lycée ou dans une école était de nature
disciplinaire. Les rixes entre élèves existaient mais n'allaient
jamais au pénal. Aujourd'hui, les bagarres ont tendance à aller
au pénal car il n'y a plus de disciplinaire fort. La communauté
éducative ne trouve pas de réponse et les problèmes
remontent au judiciaire. Comme le judiciaire a beaucoup à faire, il n'y
a plus de réponse.
Dans les communes où tout le monde se connaissait, les gens trouvaient
des solutions et les problèmes ne remontaient pas au pénal.
Lorsque des jeunes cassaient la salle communale, on ne se demandait pas s'il
fallait saisir le juge des enfants. Les parents payaient et personne ne portait
plainte. Lorsque des jeunes mettaient le feu aux champs après la
moisson, il n'y avait jamais de procédure. La société
actuelle demande des réponses judiciaires. Or, plus on demande de
réponses judiciaires, moins il y en a, car la justice n'est pas en
mesure de les apporter.
Mme Anne Wyvekens
- J'ai peut-être une vision
très optimiste de la situation. L'exemple des écoles est
particulièrement intéressant. Les écoles ont eu
énormément recours au judiciaire car les proviseurs et les
principaux étaient dépassés. Le recours massif au
judiciaire, dans un premier temps, pouvait être considéré
comme inquiétant. Je me demande dans quelle mesure cela n'a pas
été un mal pour un bien possible. Les situations se sont
dégradées rapidement. Cela a créé une crise et un
appel vers la justice pénale. Lorsque des partenariats entre la justice,
la police et l'Education nationale se mettent en place et fonctionnent bien,
ils permettent au bout d'un moment que les autorités scolaires
reprennent confiance en elles et réinvestissent l'autorité
disciplinaire qu'elles avaient perdue.
Vous évoquiez l'idée d'un traitement plus en amont pour des
affaires de moindre importance. A condition qu'il n'y ait pas matière
à discussion sur la culpabilité, il y aurait en effet
peut-être quelque chose à imaginer, notamment en utilisant les
ressources de la communauté. Je trouve que les dispositifs de
réparation pénale pour les mineurs sont très
intéressants, et insuffisamment répandus. Le fait de
réparer quelque chose, soit symboliquement soit matériellement,
en effectuant un travail est intéressant et pourrait permettre de faire
glisser une partie des questions à traiter en dehors du système
juridictionnel.
Le problème de la justice ne se résume pas à une question
de moyens. Il ne s'agit pas de dire : « il y a trop d'affaires,
mettons plus de juges ». La question n'est plus là depuis
longtemps.
M. le Rapporteur
- Comment envisagez-vous la formation, le
contrôle, le suivi et le recrutement des médiateurs et des
conciliateurs ? Par ailleurs, la multitude d'agences qui s'ouvrent
(antennes de justice, boutiques du droit, points d'accès au droit) ne
risque-t-elle pas de faire un peu désordre et de faire double emploi
avec les maisons de justice et du droit ? Ne faudrait-il pas mettre en
place une coordination pour gagner en efficacité ?
Mme Anne Wyvekens
- Selon moi, il faut distinguer le
traitement pénal des petites infractions et l'accès au droit.
L'accès au droit a un rapport avec la justice mais n'est pas la justice.
Il est important de donner à la population l'accès à
l'information juridique. Le droit devrait d'abord être enseigné
dans les écoles. Je ne comprends pas pourquoi un minimum de cours de
droit n'est pas prévu dans les programmes scolaires, même s'il est
certain que, lorsqu'on est confronté à un vrai problème
juridique, ce qu'on apprend dans les écoles n'est pas suffisant.
Mettre les deux activités au même endroit entretient selon moi une
certaine confusion. J'ai relu récemment un entretien que j'ai
réalisé dans une maison de justice. Le greffier disait :
«
quand on parle aux gens de la maison de justice, on ne leur dit
pas que dans ce lieu on prend des décisions qui se rapprochent du
pénal, parce qu'on ne veut pas les effaroucher
». Je pense
qu'il faut assumer ce qu'on est. On ne peut pas à la fois vouloir
éclairer les gens et les informer de cette façon-là. Il ne
faut pas créer la confusion.
M. le Président
- Un certain nombre de magistrats
disent que tout ce qui relève du pénal doit se passer dans le
tribunal. Ils pensent que la maison de justice est un lieu d'accès au
droit qui peut permettre aux personnes de présenter leur dossier d'aide
juridictionnelle ou de faire de la conciliation civile mais que tout ce qui
relève du pénal doit revenir au palais de justice.
Mme Anne Wyvekens
- C'est ce qui est en train de se passer, me
semble-t-il, encore que je ne sache pas comment ont évolué les
maisons de justice de Lyon ou de Pontoise, qui ont été des lieux
de développement systématique, massif, de la troisième
voie. Dans les maisons de justice actuelles en tout cas, je l'ai dit, la
médiation n'a plus qu'une place marginale.
Cette question est importante. Le détour par les maisons de justice a
été nécessaire. Pour créer quelque chose de
nouveau, il est souvent plus facile de sortir de l'institution. Après,
l'innovation rentre dans l'institution et l'enrichit. Les
expérimentations au gré de l'imagination des procureurs
constituent une grande richesse. Arrive ensuite un moment où il faut
recadrer les choses et établir une doctrine, même si cela est
extrêmement difficile. La diversification de l'intervention judiciaire,
la troisième voie, peut effectivement se dérouler dans les palais
de justice.
La problématique des maisons de justice pose une autre question qui
n'est pas réglée : celle de la carte judiciaire. En effet,
jusqu'à un certain point, les maisons de justice ont été
utilisées pour faire évoluer la carte judiciaire. A Pontoise, par
exemple, le tribunal est installé dans un endroit regroupant quatre ou
cinq charmantes villas. Or la population est concentrée à
Cergy-Pontoise, où on a installé une maison de justice.
M. le Président
- C'est la question de l'adaptation des
structures.
Mme Anne Wyvekens
- Cette question soulève des enjeux
très importants.
M. le Président
- Pour les parquets, les
procédures pré-contentieuses en matière pénale ne
constituent pas une alternative au jugement mais au classement.
Madame Wyvekens, je vous remercie.
Audition de M. Jean-Marie GONDRÉ
,
administrateur de l'Association nationale des
conciliateurs de justice
(15 mai
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M. Jean-Jacques Hyest,
président
- Nous
nous intéressons à l'évolution des métiers de la
justice. Pouvez-vous nous présenter l'évolution de la
conciliation ? Nous aimerions connaître vos difficultés et la
teneur de vos relations avec les magistrats.
M. Jean-Marie Gondré
- La conciliation judiciaire,
c'est-à-dire la conciliation que pratiquent les conciliateurs de
justice, est un des modes alternatifs de règlement des litiges aux
côtés de l'arbitrage, de la transaction et du vaste domaine de la
médiation.
Dans l'esprit du public, les notions de conciliation et de médiation
sont extrêmement voisines et vont même parfois jusqu'à se
confondre. Dans la pratique, les deux fonctions ne se confondent pas. La
conciliation est toujours liée à l'existence d'un conflit, alors
que la médiation ne nécessite pas l'existence d'un conflit
ouvert. La conciliation peut parfois être obligatoire. La
médiation généralement ne l'est pas. La conciliation est
strictement régie par des textes encadrants alors que la
médiation, mises à part quelques exceptions comme la
médiation pénale ou la médiation du médiateur de la
République, n'est pas précisément définie. Il
existe un statut du conciliateur, alors qu'il n'existe pas de statut de la
médiation. Pour illustrer la floraison des fonctions de
médiation, on peut évoquer les agents locaux de médiation
sociale ou les médiateurs de la GMF, de la MAIF ou de la SNCF. En outre,
les conciliateurs de justice exercent une fonction strictement
bénévole, alors qu'en règle générale, les
médiateurs sont rétribués.
Examinons le champ propre de la conciliation judiciaire. Le texte fondateur est
le décret du 20 mars 1978 modifié par les décrets du 22
juillet et du 13 décembre 1996 et par celui du 28 décembre 1998.
Deux circulaires sont importantes : celle du 16 mars 1993 et celle du
1
er
août 1997.
Quelles sont les compétences territoriales et les compétences
d'attribution des conciliateurs de justice ? La compétence
territoriale du conciliateur se limite au canton ou aux différents
cantons qui lui ont été assignés lors de sa nomination. Au
moins l'une des parties au litige doit donc être domiciliée dans
ce canton ou l'objet du litige doit y être situé. La mission du
conciliateur est de régler à l'amiable des litiges entre des
particuliers. L'acception du terme « particuliers » est
très générale : il peut s'agir d'individus, d'entreprises
voire de sociétés. Les litiges doivent porter sur des droits dont
les intéressés ont la libre disposition. Ainsi sont exclus du
champ de compétences du conciliateur de justice tous les litiges
relatifs à l'état des personnes, au droit de la famille (divorce,
pension alimentaire, etc), au droit pénal ou au droit public ou les
litiges entre des particuliers et l'administration. Le « fonds de
commerce » habituel des conciliateurs de justice est constitué
des troubles de voisinage, des problèmes locatifs ou de
copropriété, des problèmes de limites de
propriété, des problèmes de plantation par rapport
à ces limites, des problèmes de malfaçons ou
d'impayés. Le champ est assez vaste et recouvre tous les
problèmes quotidiens et de voisinage de nos concitoyens.
Quelles sont les conditions de recrutement ? Le conciliateur de justice
doit être majeur. Il doit jouir de ses droits civiques et politiques et
n'être investi d'aucun mandat électif dans le ressort de la cour
d'appel d'exercice. Il ne doit pas exercer d'activité judiciaire, ce qui
exclut donc les avocats, les huissiers, les greffiers, les conseillers
conjugaux, les juges consulaires, etc. Il doit justifier d'une
expérience d'au moins trois ans en matière juridique et attester
d'une compétence et d'une activité qui le qualifient pour
l'exercice de ses fonctions.
Le conciliateur de justice est nommé par ordonnance du premier
président de la cour d'appel, sur proposition du juge d'instance et
après avis du procureur général. Il est nommé pour
une période d'un an, renouvelable par période de deux ans. Il ne
peut exercer qu'après prestation de serment devant la cour d'appel.
L'activité est donc encadrée de façon assez rigoureuse.
Les lieux d'exercice de la fonction de conciliateur peuvent être
multiples. En règle générale, il s'agit d'un local de la
mairie du chef-lieu de canton ou de la maison de justice et du droit,
lorsqu'elle existe. Cette fonction s'exerce également dans l'enceinte du
tribunal d'instance lors d'une audience de ce tribunal. Cette dernière
façon de procéder est relativement nouvelle.
La saisine du conciliateur s'effectue sans formalisme aucun et par tous les
moyens (visite, lettre, téléphone) ou sur saisine par
délégation du juge d'instance. Pour la procédure, la
présence physique des parties est obligatoire. Les parties ne peuvent
donc pas se faire représenter par un avocat ou par une autre personne.
En revanche, elles peuvent se faire assister de la personne de leur choix.
Le débat est contradictoire. L'objectif est la recherche d'un compromis
équitable pour les deux parties. A la suite des entretiens, lorsque
l'accord est obtenu, un constat d'accord peut être établi. Lorsque
ce constat est établi, il est possible de demander au juge d'instance de
donner force exécutoire à cet accord.
Quelle est la place de la conciliation en France ? Il y a actuellement
environ 1 800 conciliateurs. Nombre de cantons ne sont donc pas pourvus.
Plusieurs cantons sont souvent gérés par un même
conciliateur. Plusieurs départements n'ont pas de conciliateur ou en
comptent deux ou trois.
M. le Président
- Cela dépend de la taille des
cantons. Dans mon département, un conciliateur s'occupe de deux cantons
mais ce territoire ne représente que 20.000 habitants.
M. Jean-Marie Gondré
- Oui, mais la situation est
extrêmement contrastée d'un point du territoire à l'autre.
Les informations que je vais vous donner sont extraites des
Chiffres
clés de la justice
publié en octobre 2001. Au cours de
l'année 2000, les conciliateurs ont été saisis de
106 900 affaires. 50 200 ont été conciliées. Le
taux de conciliation est donc de 47 %. Effectuons une comparaison rapide
et certainement sommaire. Durant cette même année, les tribunaux
d'instance ont traité 489 000 affaires, dont 127 500 relatives
aux droits des personnes et 262 500 relatives aux droits des contrats, ce
qui représente 390 000 affaires dans un domaine qui est aussi celui
de la conciliation. Les conciliateurs traitent donc un quart des dossiers de
même nature traités par les tribunaux d'instance, ces dossiers
représentant 80 % de leur activité.
Comment est perçue la conciliation dans l'opinion publique ? Je
voudrais citer les résultats d'une enquête de l'institut CSA
(Conseils, sondages et analyses) effectuée pour le compte du
ministère de la justice au mois d'octobre 1999. 66 % des personnes
interrogées n'avaient jamais entendu parler des conciliateurs ou de la
conciliation judiciaire. Parmi les personnes qui en connaissaient l'existence,
26 % ignoraient en quoi elle consistait. Bien que peu connue, elle fait
l'objet, auprès de ceux qui y ont eu recours, d'une satisfaction
quasi-générale. Les professionnels, et notamment des avocats,
expriment néanmoins une certaine réserve.
M. Christian Cointat, rapporteur
- Comment voyez-vous
l'avenir de la conciliation ? Vous nous avez dit que presque la
moitié des affaires soumises à conciliation aboutissaient
à un résultat heureux. Comment augmenter ce chiffre, qui est
encourageant mais qui est encore relativement faible ?
M. le Président
- La comparaison entre les
conciliations et les décisions des tribunaux d'instance est
intéressante. Ceci dit, un certain nombre de litiges traités par
les tribunaux d'instance ne peuvent pas être traités par les
conciliateurs.
M. Jean-Marie Gondré
- J'ai la chance de travailler
dans trois cadres différents en tant que conciliateur. En premier lieu,
je suis un conciliateur traditionnel. A ce titre, je travaille
essentiellement dans les locaux communaux. Je suis également
conciliateur à la maison de justice et du droit de
Joué-lès-Tours. Enfin, je participe aux audiences du tribunal
d'instance de Tours. J'ai pu me rendre compte que presque tous les litiges qui
arrivaient devant le tribunal d'instance pourraient relever de la
compétence des conciliateurs. J'exclus les litiges complexes ou qui
mettent en jeu d'importants intérêts financiers et qui
relèvent naturellement de la compétence des tribunaux.
Peut-être me demanderez-vous pourquoi les conciliateurs ne sont pas
davantage saisis. La première raison me semble être liée
à la méconnaissance de cette fonction dans l'opinion publique. En
outre, la floraison d'activités intermédiaires, aux fonctions mal
définies et dont les conditions de recrutement ont souvent
été laissées à l'initiative locale, a sans doute
contribué à brouiller les messages.
Le pourcentage de 47 % est le ratio entre les saisines du conciliateur et
les conciliations abouties. Il faut effectuer un premier tri parmi les
saisines. Nombre de personnes se présentent au conciliateur pour
demander un renseignement ou lorsqu'elles ont un litige avec une administration
ou une commune. Dans mes statistiques personnelles, j'élimine ces
saisines qui ne sont pas des saisines de conciliation. Mon taux de conciliation
se situe entre 70 et 75 % et mes collègues parviennent à des
résultats comparables.
M. le Rapporteur
- Comment faire pour que le tribunal
d'instance ne se penche que sur les affaires qui n'ont pu être
conciliées et voit ainsi sa charge de travail considérablement
allégée par une pré-judiciarisation des affaires davantage
fondée sur la conciliation ? Par ailleurs, cette évolution
ne devrait-elle pas être assortie de l'obligation de transformer le
conciliateur en métier ?
M. Jean-Marie Gondré
- Votre préoccupation est
un peu différente. Vous souhaitez alléger la charge de travail
des tribunaux. Pour l'instant, la conciliation n'est pas principalement faite
pour cela. Elle vise à faciliter le règlement des litiges qui
empoisonnent la vie des Français et qui, de leur point de vue
même, ne justifieraient pas la saisine d'un tribunal. Ceux qui
connaissent l'existence de la conciliation y ont recours. Certains sont
même des habitués de la conciliation, ce qui n'est pas sans
créer des effets pervers d'ailleurs.
En revanche, je reste persuadé qu'il faut faire un très gros
effort de communication et d'information pour mieux faire connaître la
conciliation de justice. Quant à la question de transformer le
conciliateur en métier, voire en « juge de
proximité », c'est une option qui mérite d'être
évoquée.
M. le Rapporteur
- Les maires se servent de cet instrument.
Lorsqu'ils assistent à un litige entre administrés, ils les
envoient à la conciliation.
M. Jean-Marie Gondré -
Vous avez raison : les
principaux « fournisseurs » de la conciliation sont les
maires et les gendarmes. En revanche, les tribunaux d'instance n'orientent pas
les plaignants toujours systématiquement vers la conciliation,
même s'il existe des exceptions comme les tribunaux d'instance de Paris
ou de Tours. Le tribunal de Paris a été l'un des tout premiers
à se lancer activement dans une politique de coopération avec les
conciliateurs. Lors de l'accueil au greffe, les parties qui viennent soumettre
leurs problèmes se voient remettre un document leur recommandant
fortement de commencer par prendre contact avec le conciliateur. Mais il ne
faut pas oublier que nos concitoyens ont l'habitude, lorsqu'ils se
présentent devant un tribunal, de se faire assister par un avocat. Dans
de très nombreux cas, à l'exception notable des affaires
introduites par déclaration au greffe, un avocat est présent. A
partir de ce moment-là, la cause est très souvent perdue pour la
conciliation. Dans la conciliation, la présence physique des parties est
obligatoire. A partir du moment où un avocat a reçu mandat, il
entend représenter, voire remplacer, son client.
Le marché financier de la conciliation et de la médiation est
extrêmement prometteur. Actuellement, les avocats assurent la formation
des plus jeunes d'entre eux à la conciliation. Certaines facultés
de la région parisienne proposent une formation dans ce domaine.
M. le Président
- Vous nous avez dit que la
conciliation était bénévole. Dans un certain nombre de
domaines, on ne va pas au procès et des arbitrages interviennent.
M. Jean-Marie Gondré
- La conciliation judiciaire
est délimitée mais le domaine de la médiation est
très ouvert. Il existe de la médiation libérale. Des
cabinets de médiation commencent à s'ouvrir.
M. le Rapporteur
- Il s'agit donc de la médiation et
non de la conciliation. Vous avez dit que lorsqu'un avocat était
présent, la cause de la conciliation était perdue. Le
marché de la médiation est plus flou.
M. le Président
- Vous avez parlé de l'audience.
Pouvez-vous détailler la procédure ?
M. Jean-Marie Gondré -
D'après le code civil, le
juge d'instance avait la possibilité de concilier. Lorsqu'il subodorait
une possibilité d'accord entre les deux parties, il conciliait. Cela lui
évitait d'avoir à juger et donc à trancher. Plus
récemment, un texte a donné au juge d'instance la
possibilité de déléguer son pouvoir de conciliation.
Depuis quelques mois, nous nous partageons avec trois de mes collègues
les audiences du tribunal d'instance de Tours. Nous sommes assis à
côté du juge président. A l'appel des affaires, le
président indique la présence du conciliateur. Il précise
que, selon lui, un certain nombre d'affaires pourraient relever de la
conciliation. Au fur et à mesure que les parties sont appelées
devant lui, il leur demande si elles souhaitent tenter de recourir à la
conciliation. Généralement, la réponse des parties est
positive.
M. le Président
- Cela suppose que les deux parties
soient physiquement présentes lors de l'audience.
M. Jean-Marie Gondré
- Oui. Il m'est arrivé de
concilier en présence d'un avocat mais cette démarche n'est pas
encore entrée dans les moeurs.
M. le Rapporteur -
Les avocats souhaitent défendre leur
cause. Comment pourrait-on les amener à participer à une
conciliation sans qu'ils aient intérêt à aller au
procès ?
M. Jean-Marie Gondré
- Je l'ignore. Selon moi, il faut
distinguer deux aspects. Le premier est l'aspect financier. Si l'avocat ne
donne pas l'impression de jouer pleinement son rôle, il aura
peut-être du mal à justifier ses honoraires. Par ailleurs,
l'avocat a l'habitude de plaider dans le cadre d'un procès. Son objectif
n'est pas de parvenir à une solution d'accord mais d'emporter
l'adhésion du juge en faisant condamner la partie adverse. L'esprit est
différent. Il existe une différence fondamentale entre un
jugement et un accord de conciliation. Dans un jugement, les deux parties sont
des adversaires. Elles exposent l'une après l'autre leurs griefs et
leurs arguments. Après un temps de réflexion, le juge tranche en
s'appuyant sur le code civil. Il ne peut pas s'écarter du code civil.
M. le Président
- Prenons l'exemple d'un client qui n'a
pas complètement payé un entrepreneur. Le juge dira que la dette
est certaine et précisera le montant que le client doit payer. Le
conciliateur pourra agir différemment et tenir compte de la situation
particulière du client.
M. Jean-Marie Gondré
- Souvent, lorsque le paiement
n'est pas complet, le client estime que le travail n'a pas été
intégralement effectué. Dans la conciliation, les deux parties
ont une démarche volontaire vers une solution amiable. Elles assument la
responsabilité de l'accord. Théoriquement, le conciliateur est un
peu comme le prêtre en matière de mariage : il constate
l'accord des personnes qui sont devant lui. Dans la réalité, il
oriente les parties vers la solution. En termes de psychologie, les choses sont
totalement différentes. Après le procès, une des deux
parties est mécontente. En matière de conciliation, il est
fréquent de voir deux parties qui ne s'adressaient pas la parole
auparavant repartir du bureau du conciliateur en discutant. Ces personnes ont
largement eu le temps de s'expliquer. Le conciliateur est un
bénévole. Il a donc tout son temps.
M. le Rapporteur
- Vous préconisez donc le maintien du
bénévolat.
M. Jean-Marie Gondré
- Oui, j'ai l'intime conviction
que c'est la bonne solution, sauf à assurer les conciliateurs du
remboursement des frais qu'ils engagent, ce qui n'est pas totalement le cas
actuellement. Aujourd'hui, la majorité des conciliateurs en place vont
au-delà du bénévolat.
M. le Rapporteur
- Quelle est la différence entre le
rôle du conciliateur et celui du médiateur ? N'existe-il pas
une concurrence entre eux dans certains domaines ?
M. Jean-Marie Gondré
- Il me semble que la confusion
contribue à dévaloriser la conciliation mais également la
médiation. Il existe des conciliateurs communaux qui ont
été nommés à l'initiative de certains maires. Il
n'aurait pas été très difficile de faire entrer ces
conciliateurs communaux dans le cadre de la conciliation de justice. Pourquoi
créer une situation différente ?
M. le Président
- Ces personnes n'ont peut-être
pas les mêmes missions.
M. Jean-Marie Gondré -
Dans ce cas, il faudrait les
débaptiser.
Le domaine de la médiation est plus vaste et plus flou. Il n'est pas
nécessaire d'établir un document de conciliation. Le
médiateur est un facilitateur. Il faudrait faire un effort pour mieux
définir les fonctions et les modalités de recrutement des
médiateurs.
M. le Président
- Aujourd'hui, il existe deux grands
secteurs de médiation : la médiation familiale et la
médiation pénale.
M. Jean-Marie Gondré
- La médiation
pénale, tout comme la médiation familiale, sont clairement
définies et s'exercent sous le contrôle du juge.
M. le Président
- La médiation familiale est
prévue dans les nouveaux textes.
M. Jean-Marie Gondré
- Il faut également
évoquer la médiation exercée par le médiateur de la
République et ses délégués.
M. le Rapporteur
- Qui sont les conciliateurs ?
M. Jean-Marie Gondré
- Généralement,
le conciliateur est retraité. Les conciliateurs sont majoritairement
d'anciens notaires, d'anciens avocats, des cadres de la fonction publique ou
des cadres du secteur privé à la retraite, d'anciens cadres de la
gendarmerie, etc...
M. le Président
- Nous vous remercions.
Audition de MM. Denis L'HOUR, directeur général,
et
Francis BAHANS, directeur général adjoint,
de la
Fédération des associations
socio-judiciaires « Citoyens et Justice »
(15
mai 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Dans le cadre de notre
réflexion sur l'évolution des métiers de la justice, nous
avons souhaité entendre les nouveaux partenaires. Pouvez-vous
préciser vos fonctions et nous dire ce que font vos associations ?
M. Denis L'Hour
- La fédération des associations
socio-judiciaires porte ce nom depuis 2001. Elle était beaucoup plus
connue sous le nom de CLCJ, Comité de liaison des associations
socio-judiciaires, né en 1982. La fédération est
située à Bordeaux pour des raisons historiques, notamment
liées à l'implantation de l'Ecole nationale de la magistrature.
Nous exerçons des missions fédératives, nous
renforçons les liens entre nos adhérents, nous
représentons leurs intérêts, nous participons à des
groupes de réflexion et nous organisons des rencontres tous les ans sur
des thèmes différents. Nous gérons un centre de formation
qui a la plus grosse activité au niveau national concernant les
problématiques socio-judiciaires. Depuis deux ans, nous participons
à un travail en collaboration avec la cellule nationale de
professionnalisation pour faire émerger les nouveaux métiers de
ce secteur. Nous sommes également un organisme de recherche et
d'études. Nous sommes régulièrement sollicités par
les pouvoirs publics pour travailler sur des problématiques
particulières. Ainsi, nous avons récemment établi un
rapport sur la médiation sociale pour le ministère de la ville.
Enfin, nous éditons des ouvrages spécifiques à notre
secteur. Nous venons d'éditer un nouveau guide sur l'enquête de
personnalité. Deux ouvrages sont à l'imprimerie : le premier
porte sur la médiation pénale et le second sur le contrôle
judiciaire socio-éducatif.
M. Francis Bahans
- Je voudrais vous faire un petit rappel historique.
Cela s'apparente à une gageure car je dois résumer très
brièvement trente années d'intervention. La
fédération est née en 1982 mais le mouvement est né
en 1970 avec la loi sur le contrôle judiciaire, mesure extrêmement
novatrice créant une alternative à la détention. Les
personnes mises en examen sont placées sous contrôle judiciaire,
ce qui correspond à une mesure de contrôle et d'assistance avant
le jugement. Cette mesure est très peu utilisée dans les
années 70. En 1982, une circulaire du garde des Sceaux donne l'impulsion
à la mesure de contrôle judiciaire, qui s'appelle alors
contrôle judiciaire socio-éducatif. La circulaire donne
également l'impulsion au secteur associatif. Dans notre jargon, nous
disons qu'à partir de cette époque se développe la justice
des majeurs qui est complémentaire de la justice des mineurs
créée par l'ordonnance de 1945 et qui s'est fortement
développée à partir des années 50. Le
contrôle judiciaire socio-éducatif est une alternative à la
détention.
A partir de 1983, les enquêtes pénales se développent. En
matière criminelle, les enquêtes de personnalité sont une
aide à la décision des magistrats : du juge d'instruction
qui traite l'affaire et de la cour d'assises qui procédera au jugement.
Elles fournissent un éclairage sur la personnalité de l'individu,
sa trajectoire, son histoire familiale et personnelle et permettent de mieux
appréhender la personne. L'enquête sociale rapide permet
d'éclairer le magistrat grâce à une investigation rapide
qui a lieu, dans ces années-là, essentiellement dans le cadre de
la garde à vue.
Enfin, le mouvement des alternatives aux poursuites est lancé dès
1986, à titre expérimental, dans le cadre de la médiation
pénale. Cette médiation est officialisée par la loi en
1993. Il s'agit de prendre en compte la réparation des victimes,
d'apaiser les conflits tels que les conflits de voisinage, et de restaurer le
lien social. Progressivement, la médiation pénale traite les
conflits plus durs et notamment le contentieux familial.
Dans les années 90, la médiation se structure et se
professionnalise. Un certain nombre de nos associations exercent la
réparation pénale des mineurs. Cette mesure nécessite une
habilitation de la protection judiciaire de la jeunesse. D'autres types
d'alternatives aux poursuites se développent dans les années
90 : le classement sous condition, le rappel à la loi et la
composition pénale créée par la loi du 23 juin 1999.
Ces trois missions différentes sont exercées aujourd'hui, mais
dans une très grande précarité. Premièrement, la
commande judiciaire présente un caractère aléatoire. La
décision judiciaire dépend essentiellement du magistrat, qu'il
soit du siège ou du parquet. Au début de l'année, nos
associations ne savent absolument pas quel volume d'activité elles
devront traiter. Or, chacun s'accorde à dire qu'il serait possible, si
on s'en donnait les moyens, d'évaluer l'activité sur le plan
quantitatif. Deuxièmement, les financements à l'acte de ce
secteur n'ont pas été revalorisés depuis 1992.
Trois types d'intervenants effectuent ces missions depuis les années 80.
Certaines associations sont très professionnalisées et font
travailler des salariés (travailleurs sociaux, éducateurs,
psychologues, assistantes sociales). Certaines structures sont essentiellement
constituées de bénévoles. Il existe également un
système hybride largement favorisé par le ministère de la
justice et correspondant à des « bénévoles
indemnisés ». Or il n'est pas possible d'être à
la fois bénévole et salarié. Le système a
fonctionné durant de nombreuses années jusqu'à ce que la
Cour de cassation dise clairement, en 1994, qu'il était
complètement illégal. Il a fallu attendre six ans pour qu'un
texte signifie clairement aux tribunaux qu'il fallait déclarer ces
personnes et payer des charges sociales. Le texte date d'août 2000 et
n'est toujours pas appliqué. Les personnes employées par les
tribunaux sont toujours dans une situation illégale.
Notre secteur compte entre 700 et 800 salariés. Il comporte de moins en
moins de bénévoles car le mouvement s'est fortement
professionnalisé, notamment depuis 1997, puisque nous sommes fortement
impliqués dans le programme des emplois jeunes. Entre 130 et 150 emplois
jeunes, notamment des juristes, ont été recrutés dans
notre secteur. Le nombre de personnes physiques habilitées est difficile
à évaluer. Il y a un peu moins d'un an, le ministère a
chiffré le nombre de délégués du procureur de la
République à 700 personnes. Ces délégués
exercent principalement des missions de rappel à la loi, de classement
sous condition et éventuellement de médiation pénale. Ils
sont dans leur immense majorité des retraités de la police ou de
la gendarmerie. Dans nos associations, une petite centaine de salariés
exerce les missions de délégué du procureur sous un statut
associatif.
M. Denis L'Hour
- Il existe en effet deux systèmes
d'habilitation : l'habilitation des associations et l'habilitation de
personnes physiques proches du procureur. Ces personnes habilitées
à titre physique sont considérées par nous comme une
résurgence du passé. En effet, dans les années 70,
l'habilitation se référait au secteur associatif et de
manière importante aux personnes physiques, notamment aux ministres du
culte ou aux visiteurs de prison. Ce phénomène des années
70 semble s'être notablement amplifié depuis la mise en place des
missions de classement sous condition et de rappel à la loi. En effet,
le ministère de la justice a connu des problèmes de moyens. Il
était préférable d'indemniser des personnes plutôt
que de se lancer dans une vaste réflexion que nous souhaitons depuis de
nombreuses années. Les parlementaires votent des lois. Les
décrets sont publiés et font appel aux deux dispositifs. Mais le
contenu des missions, les compétences requises pour les mettre en
oeuvre, les objectifs poursuivis et l'évaluation des politiques
pénales que nous menons ne sont pas définis. Ce virage n'a pas
été pris. Cependant, nos préoccupations sont de plus en
plus entendues. Par ailleurs, nous défendons l'idée qu'à
partir du moment où l'on octroie des fonds publics à des
personnes ou à des associations, il faut être en capacité,
en contrepartie, d'évaluer les politiques qu'elles mettent en oeuvre.
Le deuxième virage concernant les politiques pénales a trait
à leur aspect transversal. Les magistrats ont pratiquement l'obligation
de travailler avec d'autres : responsables de la politique de la ville ou
des affaires sociales, préfets, etc. Le magistrat doit modifier le
regard qu'il avait sur son travail. Cet aspect nous préoccupe car, en
tant que fédération et en raison de la connaissance des
problèmes de terrain que rencontrent nos adhérents, nous voyons
l'énorme travail qu'il reste à effectuer. D'une manière
générale, les magistrats semblent avoir une réticence
culturelle à travailler avec d'autres. Ponctuellement bien sûr, je
peux vous citer des procureurs qui se lancent dans la mise en oeuvre de ces
politiques.
M. le Président
- Il me semble qu'il faut distinguer le
rôle du parquet et le rôle du siège.
M. Denis L'Hour
- Le procureur est pratiquement un chef de projet, sur
lequel viennent se greffer outre la politique pénale, la lutte contre la
toxicomanie, la politique de la ville, le contrat local de
sécurité, les affaires sociales. Néanmoins, le procureur
n'a pas été formé à l'Ecole nationale de la
magistrature pour être chef de projet.
Parmi les magistrats du siège, nous observons une très grande
différence entre les juges des enfants, par exemple, et les juges
d'instruction, pour lesquels on peut noter l'absence de contractualisation avec
les associations et de définition d'objectifs poursuivis. En revanche,
les juges des enfants sont tout à fait en mesure de
« contractualiser » sur des mesures ou sur des objectifs.
Le millefeuille de mesures qui s'est constitué depuis vingt ans a fait
évoluer les compétences au sein des associations. Le
bénévole initiateur de ces mesures dans les années 70
n'existe plus. De plus en plus, nous sommes allés chercher des
compétences spécifiques pour un secteur qui se situe au carrefour
de la justice, de la sécurité et de l'accompagnement
socio-éducatif. La majorité des salariés des associations
sont des juristes, des éducateurs, des psychologues ou des assistants
sociaux. Le travail mené avec la cellule nationale de
professionnalisation montre l'émergence d'un nouveau métier qui
demande une multi-compétence. Il n'existe pas encore de formalisation de
l'évolution de ce métier.
M. Christian Cointat, rapporteur
- Quels sont les moyens dont vous
disposez pour contrôler la qualité des actions des
médiateurs. Par ailleurs, pourriez-vous nous dire quel bilan vous tirez
de la médiation pénale, et notamment des nouvelles mesures
alternatives aux poursuites ? Enfin, comment définissez-vous votre
implication dans les maisons de justice et du droit ? Quelle est la meilleure
solution pour une justice de proximité plus efficace ?
M. Francis Bahans
- Nous organisons en interne une formation
spécifique pour les médiateurs. Ces formations courtes ne se
substituent pas à une formation initiale. Il s'agit de formations
professionnelles. Nous n'avons pas encore pu mettre en place un cursus global
sanctionné par un diplôme valant reconnaissance d'un
métier. Nous souhaiterions la création d'un métier
d'intervenant social sous mandat judiciaire, même si le nom reste
à trouver. Il existe en effet une spécificité
d'intervention sous mandat judiciaire.
M. le Président
- Vous envisagez la création d'un
diplôme d'Etat.
M. Francis Bahans
- Effectivement, nous souhaitons la création
d'un diplôme reconnaissant des compétences acquises et la
capacité à exercer des missions de médiation qui ne sont
pas d'une grande simplicité.
M. Denis L'Hour
- La question des alternatives aux poursuites est
extrêmement complexe. Dans certains tribunaux et certaines juridictions,
cela fonctionne bien. Les parquets utilisent toutes les alternatives qui sont
à leur disposition. Certains, comme le parquet de Nantes, ont même
passé une convention de partenariat avec l'association. L'association
est alors mandatée. Elle désigne le médiateur et rend
compte. Pour nous, il est très important que l'association, en tant que
personne morale, soit responsable de l'exécution de la mission et en
rende compte.
M. Francis Bahans
- On considère que l'association doit afficher
très clairement ses responsabilités, lorsqu'elle travaille dans
le cadre d'un mandat judiciaire.
M. Denis L'Hour
- En revanche, dans certaines juridictions, les
alternatives aux poursuites sont peu développées ou sont
développées uniquement avec les personnes physiques, ce qui pose
des problèmes éthiques considérables. Nous ne
défendons pas une position corporatiste. Notre préoccupation est
la prévention de la récidive et l'apaisement des conflits et non
le développement des activités de nos associations.
Il faut aller vers plus de sécurité et vers plus de paix sociale.
Il faut apporter une réponse à chaque acte. Depuis quelques
années, nous attirons l'attention sur le fait qu'une réponse
n'est pas apportée à chaque acte de délinquance. Parfois,
une sanction est décidée mais elle n'est pas appliquée, ce
qui est encore bien pire car cela développe un sentiment
d'impunité très fort notamment chez les jeunes. Une justice qui
ne sanctionne pas ou qui sanctionne mais n'applique pas ses décisions va
dans « le mur ».
La fédération ne contrôle pas directement les
médiateurs salariés d'une association. En effet, selon la loi de
1901, l'association est responsable de ses salariés. En revanche, nous
dispensons une formation et nous éditons le seul guide de la
médiation pénale, qui est un guide déontologique des
pratiques. Nous demandons aux associations de se référer à
ce guide. Depuis de nombreuses années, nous demandons qu'on mette en
oeuvre un véritable dispositif d'évaluation de la
médiation, des enquêtes, des rappels à la loi et du
contrôle judiciaire. Si on met en place un dispositif
d'évaluation, on est obligé de réfléchir en amont
sur l'objectif des politiques et des mesures. Il est difficile de faire
entendre notre voix sur ce sujet. Il est vrai qu'il est rare qu'une
fédération demande l'évaluation de ses propres
activités.
M. le Président
- Des polémiques justifient parfois ces
demandes d'évaluation...
M. le Rapporteur
- Vous n'avez pas répondu à ma
question sur les maisons de justice et du droit.
M. Denis L'Hour
- Dans la plupart des maisons de justice et du droit,
les associations locales adhérentes de notre fédération
sont sollicitées et interviennent, notamment, mais pas uniquement, dans
le cadre des alternatives aux poursuites. Les maisons de justice et du droit
répondent manifestement à un besoin de justice de
proximité. Nous estimons que les choses vont dans le bon sens.
M. le Président
- Les maisons de justice et du droit ne
deviennent-elles pas de plus en plus des pôles d'accès au droit
plutôt que des lieux de justice de proximité ?. Certains
magistrats estiment que les décisions de justice et les alternatives aux
poursuites ont davantage leur place au sein du tribunal. Il faut que les
missions des uns et des autres soient clairement définies, à la
fois pour les justiciables et pour les victimes. Je ne sais pas si vos
associations s'occupent des victimes.
M. Francis Bahans
- Dans le cadre de la médiation, les victimes
sont toujours prises en compte.
Symboliquement, les lieux ne sont pas négligeables. Un rappel à
la loi a davantage sa place dans un tribunal, car il nécessite un
rapport d'autorité. Néanmoins, le plus important est la
qualité de l'intervention. Lorsqu'un délégué
personne physique reçoit un justiciable pendant cinq ou dix minutes pour
lui lire le code pénal et lui faire une leçon de morale, ce n'est
pas satisfaisant. Le jeune quitte alors le tribunal en se moquant de la justice.
M. Denis L'Hour
- Une telle action décrédibilise l'action
de la justice.
M. Francis Bahans
- L'important est de réfléchir au
contenu. Lorsque nous faisons une intervention de rappel à la loi,
même si elle ne dure qu'une heure, nous essayons d'établir un
diagnostic et de savoir pourquoi le mineur a commis ce fait. Nous tentons de
connaître ses problèmes familiaux ou scolaires, etc. Il faut faire
un minimum d'investigation et non s'en tenir à un simple rappel de la
loi. La plupart du temps, lire le code n'a aucun sens pour ces jeunes.
L'important est de produire une intervention qui ait du sens pour la personne
que l'on reçoit, quel que soit le lieu.
Nous parlions plus haut de l'impunité zéro. Il faut distinguer
les alternatives à la détention et les alternatives aux
poursuites. Dans le cadre des alternatives aux poursuites, on donne une
réponse à chaque acte. Denis L'Hour parlait plus haut de la
non-application des peines. Cela recouvre un tout autre problème qui est
celui de l'inexécution des jugements. L'une des grandes
difficultés de notre justice est qu'un nombre incroyable de sanctions ne
sont pas appliquées. C'est catastrophique car cela crée un
sentiment d'impunité.
Aujourd'hui, la composition pénale est encore à un stade
expérimental. Des associations de la Fédération
« Citoyens et justice » se sont impliquées dans un
certain nombre de tribunaux en relation étroite avec les parquets pour
mettre en oeuvre cette mesure. Dans un tribunal dans lequel nous n'intervenons
pas, je sais que le parquet propose la composition pénale à un
justiciable. Si celui-ci la refuse, le parquet ne poursuit pas. Cela n'a
évidemment aucun sens. Lorsqu'une personne est convoquée en
composition pénale et qu'elle ne vient pas, le parquet devrait prendre
ses responsabilités et poursuivre le justiciable. Mais il faut bien
savoir que la composition pénale est un début de poursuite.
M. Denis L'Hour
- Nous couvrons environ 150 tribunaux de grande instance
sur les 182 qui existent en France. Aujourd'hui, le paysage judiciaire est
totalement hétérogène. A Nantes, par exemple, il n'y a pas
de contrôle judiciaire socio-éducatif associatif alors qu'à
Bordeaux il y en a un nombre très important.
M. le Président
- Le climat de Bordeaux en matière de
justice est tout à fait spécifique. Bordeaux a des moyens en
magistrats que n'ont pas les tribunaux d'Ile-de-France par exemple.
M. Denis L'Hour
- Lille fait également beaucoup de contrôle
judiciaire socio-éducatif. En tout état de cause, la mise en
oeuvre des politiques présente un caractère très
aléatoire. Or ces politiques sont des politiques publiques qui doivent
s'articuler avec les autres politiques publiques. En cas de changement de
magistrat, une activité peut se développer fortement ou, au
contraire, être réduite à néant. On pourrait presque
dire qu'il y a une politique par magistrat. Le justiciable a alors le sentiment
profond d'un traitement inégalitaire. L'inégalité peut se
constater entre deux chambres d'un même tribunal. Ce type de situations
est illisible pour le justiciable.
M. le Président
- Le domaine de la protection judiciaire de la
jeunesse compte un secteur public et un secteur habilité qui,
prétend-on, effectue des tâches plus nobles et choisit ses
clients. Ces deux secteurs entrent parfois en concurrence.
M. Francis Bahans
- Nous rencontrons ce type de problèmes avec le
« pré-sentenciel » et le
« post-sentenciel ». Aujourd'hui, le pré-sentenciel
est souvent confié au secteur associatif et le post-sentenciel
relève du secteur public. Or il est aberrant qu'une association qui a
suivi une personne dans le cadre du contrôle judiciaire
socio-éducatif ne puisse pas poursuivre le travail engagé en
post-sentenciel. Il faudrait engager une vaste réflexion et une refonte
du système. Selon nous, il n'est pas question de concurrence. Il faut
simplement que les deux secteurs travaillent en complémentarité.
Il faut que le secteur associatif et le secteur public se réunissent
pour débattre des missions, de leur mise en oeuvre et de leurs objectifs
et pour se répartir la tâche. La concurrence dans ce secteur
serait plutôt nuisible au justiciable.
M. le Président
- Je voudrais également que vous nous
parliez de la rémunération des missions.
M. Denis L'Hour
- Il existe effectivement un problème dans le
mode de financement. Ces mesures sont financées par le paiement à
l'acte, un peu comme cela se passe chez les médecins. Une association
mandatée pour un rappel à la loi perçoit un certain
montant. Eventuellement, elle peut bénéficier pour certaines
missions d'une subvention d'équilibre, ce qui est d'ailleurs en totale
contradiction avec les règles de la comptabilité publique, et
d'un éventuel complément octroyé par le conseil
régional, le conseil général ou par la commune. Le
système est extrêmement déstructurant. Si un nouveau
magistrat ne donne pas de travail aux associations, toutes les
compétences acquises pendant des années s'effondrent. Deux ans
après, si un nouveau magistrat arrive et demande à l'association
de travailler sur telle ou telle mesure, elle n'est plus en mesure de le faire.
Ce schéma ne peut plus fonctionner en l'état.
En outre, on met en concurrence les associations avec les personnes physiques
habilitées. Cette concurrence est déloyale, puisque ces personnes
sont indemnisées et qu'elles ne sont pas déclarées. On
demande au secteur associatif de faire du qualitatif et de développer
ses compétences. Cela suppose d'investir dans la formation et de
recruter des personnes qui ont un long cursus universitaire. Lorsque nous
avions fait un premier bilan du dispositif emplois jeunes, nous nous
étions rendu compte que les emplois jeunes recrutés dans notre
secteur étaient ceux qui avaient le plus haut niveau d'études.
Une personne qui a un diplôme d'études approfondies de droit ou un
diplôme d'études supérieures spécialisées de
psychologie attend autre chose que d'être rémunérée
au SMIC. En outre, dès 1998, il avait été demandé
à la Chancellerie de cesser d'être en contradiction avec la
comptabilité publique en finançant le secteur associatif sous
cette forme. L'inspection générale des services judiciaires a
rendu un rapport à l'avant-veille du deuxième tour des
élections présidentielles, car elle avait été
missionnée sur ce thème. Pour le moment, nous sommes dans
l'attente des conclusions de cette réflexion générale. Le
nouveau ministre a ce document.
M. le Président
- Messieurs, je vous remercie.
Audition de Mmes Olivia MONS
, responsable
de la communication,
et Fadila DJARAÏ, responsable de la
formation,
à l'Institut national d'aide aux victimes et de
médiation (INAVEM)
(15 mai
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Dans le cadre de notre mission
d'information sur les métiers de la justice, nous avons souhaité
rencontrer des représentants de l'INAVEM. Pouvez-vous nous
présenter rapidement votre association ? Quelles sont vos relations
avec les autres associations ? Sur quelles missions de justice
intervenez-vous ?
Mme Olivia Mons -
Nous vous remercions de votre demande d'audition.
Je voudrais commencer mon intervention par un bref rappel historique.
Dès 1982, les pouvoirs publics et en particulier le ministère de
la justice ont fait état de leurs préoccupations au regard de la
prise en compte des attentes des victimes. Un bureau a été
créé au sein de la direction des affaires criminelles et des
grâces (DACG). Dans le même temps, des associations ad hoc d'aide
aux victimes ont vu le jour, à l'initiative de personnalités
sensibilisées aux difficultés des victimes (élus,
magistrats, médecins ou avocats). En 1986, l'Institut national d'aide
aux victimes est né à la faveur d'une conférence
réunissant une cinquantaine d'associations d'aide aux victimes
préexistantes.
D'importantes évolutions législatives et réglementaires
concernant l'aide aux victimes et leur accès au droit à
l'indemnisation sont intervenues. Néanmoins, ces dispositions ne
tiennent pas toujours compte du nécessaire accompagnement
socio-judiciaire et médico-psychologique des victimes et de leurs
familles.
Dans son titre 2 relatif au renforcement des droits des victimes, la loi du
15 juin 2000 reconnaît de manière fondamentale le rôle
des associations d'aide aux victimes en leur attribuant une existence
légale. La loi consacre ainsi une pratique établie depuis une
dizaine d'années, suite notamment à des accidents collectifs ou
à des actes de terrorisme, tout en permettant une
généralisation de cette pratique aux situations de victimes
individuelles. L'article 41 du code de procédure pénale permet au
procureur de la République de recourir à une association d'aide
aux victimes conventionnée afin qu'une aide soit apportée
à la victime de l'infraction. L'article 75 impose aux services de police
et de gendarmerie d'informer les victimes de leurs droits à obtenir
réparation du préjudice, à être aidées par un
service relevant d'une collectivité ou d'une association d'aide aux
victimes conventionnée.
L'INAVEM représente 150 associations réparties sur l'ensemble du
territoire, départements d'outre-mer compris. Ces associations comptent
650 permanences délocalisées ou spécialisées
(permanences d'aide aux victimes dans les quartiers sensibles ou chez nos
partenaires institutionnels que sont les commissariats, les tribunaux, les
hôpitaux ou les maisons de justice et du droit). Parmi les intervenants
associatifs, on compte 600 salariés représentant 400
équivalents temps plein. Ces chiffres ont connu une augmentation de plus
de 80 % entre 1994 et 2000. Aux côtés de ces 600
salariés travaillent 400 bénévoles
représentant 60 équivalents temps plein. Pour nous, le salariat
n'est pas un principe absolu. Le travail doit être effectué en
partenariat par les salariés et les bénévoles et aller
dans le sens d'une professionnalisation.
Le numéro national d'aide aux victimes a été lancé
en octobre dernier. Il est géré et animé par l'INAVEM. Il
permet à toute victime d'infraction d'être écoutée
et orientée vers les associations d'aide aux victimes et vers des
services compétents. Ce numéro reçoit actuellement entre
1.000 et 1.200 appels par mois.
Le professionnalisme est un des maîtres mots de l'INAVEM et du
réseau associatif. Cette démarche s'illustre par deux axes :
la structuration du réseau et la formation. En tant que
fédération, l'INAVEM est extrêmement attaché
à une structuration du réseau d'associations. Il définit
un cadre minimal d'intervention : pour chaque structure, notre
volonté est d'assurer la cohabitation d'équipes
pluridisciplinaires composées de coordinateurs, de secrétaires,
de juristes, de psychologues et de travailleurs sociaux afin que les trois
missions essentielles dévolues aux associations soient respectées
(l'information sur le droit des victimes, l'accompagnement dans les
démarches et le soutien psychologique). Le deuxième aspect de
cette structuration passe par une lisibilité des actions et donc une
reconnaissance de nos partenaires naturels que sont les professionnels de la
justice et d'autres partenaires institutionnels comme la police ou la
gendarmerie. Cette lisibilité est un travail en partenariat sur le
terrain qui se fait en liaison avec les instances qui accueillent des victimes.
La reconnaissance du professionnalisme passe également par des
conventions et des protocoles d'accord qui permettent de définir un
cahier des charges et un cadre d'intervention ou un cadre complémentaire
d'action.
Mme Fadila Djaraï -
Je voudrais vous parler du volet formation.
L'INAVEM est un organisme de formation qui s'inscrit dans le champ de la
formation professionnelle. Ce champ de la formation continue prend d'ailleurs
de l'ampleur. L'INAVEM a été agréé en tant
qu'organisme de formation en 1993.
Les associations d'aide aux victimes ont pour mission essentielle d'oeuvrer
à l'aide et à l'accompagnement de la victime sur les plans
juridique, psychologique et social. Il est acquis aujourd'hui que seule une
approche pluridisciplinaire des intervenants des associations peut permettre
une prise en charge adaptée aux besoins des victimes. Notre
réseau associatif d'aide aux victimes oeuvre pour une prise en charge de
qualité.
Le renforcement de la structuration du réseau associatif de l'INAVEM
prend en compte deux démarches : une démarche de
qualité de service, par une approche pluridisciplinaire, et une
démarche de professionnalisation passant essentiellement par la
formation. La professionnalisation des intervenants (juristes, psychologues et
travailleurs sociaux) auprès des victimes s'avère indispensable
pour le milieu associatif. C'est pour cette raison que l'INAVEM assure la
formation professionnelle continue des intervenants auprès des victimes
et répond notamment aux besoins de ses associations.
Le but est :
- de maintenir et de compléter le niveau de compétences des
intervenants par l'apport de connaissances sur l'évolution juridique de
l'aide aux victimes et sur la politique publique d'aide aux victimes ;
- d'harmoniser les pratiques dans le cadre de l'accueil et de l'écoute
des victimes ;
- d'échanger et de partager les expériences entre les
intervenants et de partager les pratiques des formateurs professionnels ;
- d'assurer la promotion sociale et professionnelle de ces intervenants.
Les modules de formation peuvent être suivis par les salariés et
les bénévoles. Ils sont les suivants :
- formation de base de cinq jours pour les accueillants de l'aide aux
victimes ;
- indemnisation des victimes ;
- accueil psychologique des victimes ;
- technique d'écoute et d'entretien ;
- techniques de «
debriefing
» ;
- accompagnement des victimes et de leurs familles sur le plan social et sur le
plan de la procédure pénale ;
- prise en charge spécifique des enfants victimes d'abus sexuels.
Ces formations sont essentiellement assurées par des formateurs
professionnels, qui sont des techniciens impliqués dans une mission
globale d'aide aux victimes.
Entre 1996 et aujourd'hui, l'INAVEM est passé de 30 à
45 formations, de 70 à 140 journées de formation, de 370
à 650 stagiaires et de 830 à 1 700
journées-stagiaires.
La formation concerne essentiellement notre réseau associatif mais nous
formons également des partenaires. En janvier 2002, nous avons
formé à Pau une centaine de policiers et de gendarmes. En mars
2002, nous sommes intervenus à l'Ecole nationale de la magistrature de
Bordeaux dans le cadre de la formation des juges de l'application des peines.
Je voudrais finir mon intervention en évoquant la décision-cadre
du 15 mars 2001 relative au statut des victimes dans le cadre de la
procédure pénale. Son article 14 est relatif à la
formation professionnelle des personnes intervenant dans la procédure ou
ayant des contacts avec les victimes. Il précise que chaque Etat membre
favorise par le biais de ses services publics ou par le financement
d'organismes d'aide aux victimes des initiatives permettant aux personnes
intervenant dans la procédure ou ayant des contacts avec les victimes de
recevoir une formation appropriée, plus particulièrement
axée sur les besoins des catégories les plus vulnérables.
Cette disposition s'applique notamment aux policiers et aux praticiens de la
justice.
M. le Président -
Dans le cadre de la mission, nous souhaiterions
en savoir davantage sur les bénévoles et les professionnels des
associations chargés des nouvelles missions ou des nouveaux
métiers de la justice, comme celui de délégué du
procureur. Quelle est votre implication dans ces procédures ? Par
ailleurs, nous voudrions savoir comment toutes ces activités sont
financées. Je sais que les associations d'aide aux victimes demandent
des financements aux communes et aux conseils généraux. Mais le
rôle des collectivités locales ne consiste peut-être pas
à financer de telles structures, si importantes soient-elles.
Mme Olivia Mons -
Pour répondre à votre première
question, je dirai que l'INAVEM est avant tout un institut national d'aide aux
victimes, même si nous avons effectivement certains mandats judiciaires
pour faire de la médiation pénale. Nos médiateurs sont
salariés ou bénévoles dans les associations. Ils sont
formés pour faire de la médiation. Les
délégués du procureur sont habilités en tant que
personnes physiques. Les associations d'aide aux victimes et de
médiation sont habilitées en tant que personnes morales. Dans une
équipe pluridisciplinaire associative, nous essayons de travailler sur
la valeur ajoutée que la personne morale donne à chacun de ses
intervenants. Une médiation se fait entre l'auteur, la victime et le
médiateur mais elle se fait dans le temps, grâce à un
travail sur les pratiques et à des rencontres lors de séminaires
ou de formations. Sur le plan de la médiation pénale, le secteur
associatif diffère des délégués du procureur.
M. Christian Cointat, rapporteur -
J'ai bien suivi le début
de votre intervention sur le rôle de votre réseau dans l'aide aux
victimes. En revanche, j'ai quelques difficultés intellectuelles
à vous suivre sur la médiation pénale. En effet, lorsqu'on
est spécialisé dans l'aide aux victimes, par nature, on n'aime
pas trop le délinquant. Si j'étais délinquant, je
n'aimerais pas que vous soyez chargés de ma médiation
pénale ; j'aurais l'impression d'être face à l'avocat
de la victime.
Mme Olivia Mons -
Vous avez raison mais les deux types d'actions sont
tout à fait séparées. Les deux comptabilités sont
séparées.
M. le Rapporteur -
Les personnes se fréquentent.
Mme Olivia Mons -
Oui, les personnes se fréquentent mais ne sont
pas les mêmes. Une association qui fait de la médiation
pénale a une salle d'attente pour les auteurs et les victimes des
affaires et un autre local pour les victimes qui viennent dans le cadre de
l'aide aux victimes. Les deux types de missions sont séparées. En
outre, les intervenants de nos associations ne sont pas contre les
délinquants. Nous militons pour un équilibre des droits. Ce n'est
pas en « tapant » sur les délinquants qu'on
rétablira la victime dans sa dignité et dans sa réparation
juste et nécessaire.
M. le Président -
Ce n'est pas ce qu'on entend à la sortie
des cours d'assises.
Mme Olivia Mons -
Nous ne représentons pas les victimes. Nous
sommes des professionnels qui interviennent en faveur des victimes.
M. le Président -
La fédération des associations
Citoyens et justice nous a bien expliqué quelles étaient ses
missions et les aléas que les associations rencontraient en fonction de
la pratique des magistrats. Votre action est-elle complémentaire,
parallèle, concurrente à celle de Citoyens et justice ?
Mme Olivia Mons -
Nous avons des domaines séparés. Les
associations Citoyens et justice ne font pas d'aide aux victimes. Nous ne
faisons pas de rappel à la loi, de composition pénale ou de
contrôle judiciaire. En matière de médiation, nous sommes
des confrères des associations Citoyens et justice. Nous nous parlons
beaucoup. Nous intervenons dans leurs séminaires et leurs colloques. Ils
interviennent également dans les nôtres.
M. le Rapporteur -
Vous avez parlé d'actions de formation
destinées aux intervenants faisant de l'aide aux victimes en insistant
sur l'aide juridique, sur l'aide psychologique et sur l'aspect social. Un des
éléments de l'aide psychologique consiste évidemment
à replacer la victime dans un contexte plus humain que celui qu'elle a
subi lors de son agression. Il ne s'agit donc pas de lui faire apparaître
l'agresseur comme une personne à plaindre. Comment parvenez-vous
à être crédibles si la victime sait que vous faites par
ailleurs de la médiation pénale ?
Mme Olivia Mons -
Cette question ne se pose pas pour nous. Pourtant, les
choses sont très transparentes puisque l'INAVEM fait déjà
apparaître la médiation dans son sigle. Tout d'abord, les
infractions ne sont pas de même nature. La médiation pénale
porte sur des infractions plus « légères »
que celles qu'ont subies les victimes que nous recevons dans le cadre de l'aide
aux victimes. En outre, l'une des préoccupations de la médiation
pénale est la réparation de la victime. C'est ce que nous mettons
en avant.
M. le Rapporteur -
Pouvez-vous nous parler du financement ? Vous
comptez des salariés à côté de
bénévoles. Comment réussissez-vous à financer les
structures ?
Mme Olivia Mons -
Les associations ont régulièrement des
difficultés financières. Pour l'aide aux victimes, les
subventions sont globales.
En 2000, sur 65 millions de francs, le ministère de la justice a
financé les associations d'aide aux victimes à hauteur de
28 %, les autres ministères 5,7 %, les mairies 14,8 %,
les départements 8,1 %, les régions 2,3 %, la politique
de la ville 24,8 % et les autres sources de financement
représentaient 16,3 %. Entre 1994 et 2000, la contribution du
ministère de la justice a diminué de deux points et celle des
mairies a beaucoup baissé (quinze points). La contribution des
départements est restée stable. Nous n'avons pas de chiffre sur
l'apport des régions en 1994. Enfin, la contribution de la politique de
la ville est passée de 16 % en 1994 à 24,8 % en 2000.
M. le Président -
Le ministère de la justice et la
politique de la ville représentent l'essentiel de vos ressources.
Mme Olivia Mons -
Tout à fait.
M. le Président -
La médiation pénale est un
service rendu à la justice. Elle est donc facturée.
Mme Olivia Mons -
Le paiement est fait à l'acte selon la longueur
de la médiation (un mois, trois mois et au-delà de trois mois).
Mais, effectivement, les tarifs ne reflètent pas le travail accompli.
M. le Rapporteur -
Pouvez-vous nous donner un exemple type de
médiation pénale ?
Mme Olivia Mons -
Nous avons un mandat du procureur. Nous
procédons à une convocation séparée de l'auteur et
de la victime. Ensuite, une étude du dossier permet d'identifier de
quelle façon on pourra faire plier l'auteur et conduire la victime
à accepter ce mode de règlement du conflit. Cela prend du temps.
On fait deux, trois, quatre entretiens et parfois plus.
M. le Rapporteur -
C'est pour cette raison que la facturation est
variable en fonction du temps passé.
M. le Président -
Mais elle est insuffisante...
Mme Olivia Mons -
Oui. J'imagine que les représentants de
Citoyens et justice vous ont dit la même chose que nous.
M. le Rapporteur -
Etes-vous satisfaite des résultats de la
médiation ?
Mme Olivia Mons -
Cela fonctionne plutôt bien. Environ la
moitié des médiations aboutissent.
M. le Rapporteur -
Comment voyez-vous l'avenir des maisons de justice et
du droit et de la justice de proximité ?
Mme Olivia Mons -
Toutes les associations sont constitutives des maisons
de justice et du droit en tant qu'associations d'aide aux victimes. La
médiation pénale est une chose importante. Dans ce domaine, nous
sommes des auxiliaires de la justice. Mais l'aide aux victimes est
également assurée par des professionnels. Le message que nous
souhaitons faire passer est la demande de respect mutuel et de reconnaissance
de ce travail de professionnels. Les associations d'aide aux victimes sont loin
des dames patronnesses d'antan. Nous sommes dans des petites entreprises qui
ont des budgets très serrés. De plus en plus de victimes viennent
rencontrer nos associations. Nous avons donc vraiment la volonté de
parler de professionnel à professionnel.
En ce qui concerne les maisons de justice et du droit, il est
intéressant que l'ensemble des professionnels intervienne dans un
même lieu. Les greffiers sont à la tête de ces structures.
Il faut sans doute apporter une valeur ajoutée à cette justice de
proximité et surtout une meilleure reconnaissance du travail accompli
par les uns et les autres.
M. le Président -
Les maisons de justice et du droit ne
deviennent-elles pas de plus en plus des maisons de l'accès au
droit ? Les décisions de justice ne reviennent-elles pas de plus en
plus vers le palais de justice ?
Mme Olivia Mons -
La médiation étant une alternative
à la poursuite, je ne suis pas sûre que l'on obtiendrait de
meilleurs résultats au palais.
M. le Président -
Je vous remercie.
Audition de Me Elisabeth BARADUC,
présidente de l'ordre
des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation,
et de
Me Emmanuel PIWNIKA, président
délégué
(29 mai
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M. Jean-Jacques Hyest,
président
- Dans
le cadre de notre mission sur l'évolution des métiers de la
justice, nous entendons tous les professionnels du droit. Aujourd'hui, nous
allons consacrer notre matinée à un certain nombre d'auxiliaires
de justice, au premier rang desquels les avocats au Conseil d'Etat et à
la Cour de cassation. Je vous propose de nous exposer les problèmes
spécifiques de votre profession, vos rapports avec les magistrats et les
autres professionnels du droit ainsi que votre position sur les
évolutions des métiers de la justice.
Me Elisabeth Baraduc
- Je vous remercie. Mon barreau a peu de
soucis avec ses juridictions. Nous sommes peut-être une exception parmi
les auxiliaires de justice. Les entretiens de Vendôme, auxquels nous
avons participé, nous ont permis de mesurer à quel point les
choses étaient plus difficiles lorsque les barreaux et les juridictions
étaient plus importants quantitativement.
Je me bornerai à vous parler des deux juridictions auprès
desquelles nous exerçons essentiellement : pour les juridictions
judiciaires, nous n'exerçons notre profession d'avocats que devant la
Cour de cassation, et n'avons aucune activité ni devant les cours
d'appel ni devant les tribunaux. En revanche, s'agissant des juridictions
administratives, nous exerçons auprès du Conseil d'Etat, mais
nous sommes également présents devant les cours administratives
d'appel et les tribunaux administratifs.
A l'occasion des entretiens de Vendôme, des études
parallèles ont été réalisées entre la
juridiction judiciaire et la juridiction administrative. Je commencerai par nos
rapports avec la juridiction administrative, essentiellement avec le Conseil
d'Etat.
Une réforme importante est entrée en vigueur le
1
er
janvier 2001 concernant les procédures d'urgence.
Celles-ci ont totalement bouleversé la procédure et les pratiques
du Conseil d'Etat, où l'oralité des débats avait un
rôle moindre par rapport à l'instruction écrite. Nous
sommes très présents au Conseil d'Etat pour tout ce qui concerne
ces procédures d'urgence, surtout pour les
référés-liberté et les demandes de suspension, qui
relèvent du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort. Je dois dire,
et c'est peut-être riche d'enseignements pour l'avenir, que cette
procédure d'urgence s'accompagne d'une procédure souple, en
conformité avec le code de justice administrative. Cette réforme,
qui revêt une très grande importance pour les justiciables
d'abord, mais aussi pour la juridiction et donc pour son barreau, a
été gérée « en douceur » et en
parfaite concertation avec les magistrats du Conseil d'Etat. Donc, s'agissant
de nos rapports avec les cours administratives en général et plus
particulièrement avec le Conseil d'Etat, je dois vous dire avec un grand
bonheur que je n'ai pas de récriminations à formuler. Les choses
se passent de façon tout à fait sereine. Lorsque nous rencontrons
des difficultés, nous les gérons au quotidien et cela se passe
très bien.
J'en viens maintenant à la Cour de cassation, qui est la seule
juridiction judiciaire devant laquelle les 91 avocats au Conseil d'Etat et
à la Cour de cassation exercent. Dans cette maison, une réforme
est intervenue le 1
er
janvier 2002, à l'issue de la loi
organique sur le statut de la magistrature. Celle-ci a institué une
procédure de filtre des pourvois à la Cour de cassation. Cette
procédure n'est plus expérimentale, puisqu'elle résulte de
l'application d'un texte. Les choses se mettent en place, mais c'est difficile
et parfois conflictuel. Je crois qu'il faut laisser un peu de temps pour que
cette réforme, qui bouleverse très grandement la façon
dont nous travaillons et dont travaille la Cour de cassation, s'installe. C'est
un peu tôt pour faire le point de la situation.
Un autre grand chantier concerne plus spécifiquement notre rôle
d'avocat : c'est celui de l'aide juridictionnelle. Je pourrais parler de
ce dossier pendant très longtemps, mais je vais me borner à vous
retracer les grandes lignes. Il y avait un très sérieux
problème à la Cour de cassation parce que le texte de la loi de
1991 était mal adapté à la cour suprême. Dans le
projet, qui a été revu par le Conseil national de l'aide
juridictionnelle et qui va arriver sur les bureaux des assemblées,
l'ensemble des bureaux d'aide juridictionnelle sont supprimés devant
toutes les juridictions, sauf devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation.
En réalité, le projet maintient les bureaux d'aide
juridictionnelle devant ces deux juridictions pour leur permettre d'examiner si
un pourvoi mérite ou non d'être soumis à la juridiction, et
d'assurer ainsi une sorte de tri préalable. Le fait que le projet de loi
supprime les bureaux d'aide juridictionnelle devant les cours et tribunaux et
tribunaux administratifs, mais les maintienne au Conseil d'Etat et à la
Cour de cassation montre bien la spécificité de ces
juridictions : ce sont des juridictions de cassation auxquelles on ne peut
pas laisser un accès aussi direct.
Je vais repartir au combat à la Chancellerie au sujet des
indemnités d'aide juridictionnelle parce que les avocats au Conseil
d'Etat et à la Cour de cassation ont été les seuls dont
l'indemnité d'aide juridictionnelle n'a pas été
revalorisée depuis 1991. Les avocats à la cour sont descendus
dans la rue. Je n'ai pas jugé opportun d'associer l'ordre à de
telles manifestations un petit peu agressives. Les avoués ont
été en retrait, mais ont obtenu avant l'été une
augmentation substantielle. Nous avons donc été les seuls
à ne pas avoir été entendus à ce sujet.
Je demande simplement que l'on prenne en compte l'indice des prix depuis 1991,
ce qui ne me paraît pas une demande exorbitante. Il faut que vous sachiez
que mon ordre assume environ 4 000 à 5 000 dossiers par an au titre de
l'aide juridictionnelle, toutes causes confondues, civiles, pénales
(l'aide juridictionnelle en matière pénale est extrêmement
lourde pour nous) et administratives. C'est une participation que je
considère parfaitement normale à l'égard de nos
concitoyens les plus démunis et comme un concours vis-à-vis de la
juridiction, mais je trouve néanmoins anormal que l'Etat fasse des
économies au détriment d'une profession dont l'indemnité
forfaitaire n'a pas été revalorisée depuis onze ans.
Pour résumer, je dirai que devant le Conseil d'Etat et la Cour de
cassation, les difficultés qui existent sont résolues au coup par
coup à travers un dialogue quotidien, à la fois avec les
présidents de chambre ou les présidents de sous-section, avec le
président de la section du contentieux, et, avec le premier
président et le procureur général. Voilà
brièvement dressé un tableau que vous pourriez considérer
comme idyllique. Il est vrai qu'il est assez serein.
M. le Président
- Merci, Madame la Présidente.
On voit aujourd'hui que tous les recours sont menés jusqu'à leur
terme et que le nombre de recours en cassation est en augmentation. Cela a
contraint à trouver des formules de filtre, d'autant plus que, parfois,
certains recours récurrents apparaissent comme des mesures de
retardement. Ce n'est cependant pas parfait. Il me semble que la chambre
sociale de la Cour de cassation était submergée.
Me Elisabeth Baraduc -
Deux chambres sont très
encombrées : la chambre sociale et la chambre criminelle. Devant la
chambre criminelle, le bureau d'aide juridictionnelle doit vraiment jouer son
rôle. En matière pénale, l'aide juridictionnelle a
été réformée récemment de manière
prétorienne par un accord passé entre le premier président
et l'ordre, puisque que la loi de 1991 n'était pas adaptée
à la justice pénale. Nous avons réussi à trouver un
système qui fasse entrer l'aide juridictionnelle en matière
pénale dans le cadre général fixé par la loi.
La chambre criminelle est encombrée. Je ne sais pas si elle l'est
davantage qu'il y a quelques années. Je pense que le nombre de pourvois
à la chambre criminelle est en très légère
augmentation. A la chambre sociale, il y a une très forte augmentation
due aussi au fait que le justiciable peut y accéder seul.
M. le Président
- Oui, d'ailleurs, c'est un des
problèmes.
Me Elisabeth Baraduc -
Je reviens un instant sur la question de notre
nombre par rapport au nombre des pourvois. Nous sommes, de façon
irrévocable, aux termes d'une vieille ordonnance, soixante cabinets. Un
cabinet peut comporter jusqu'à trois associés. En théorie,
nous pourrions donc être 180 avocats. Notre nombre oscille en
réalité entre 89 et 91. Nous n'avons jamais dépassé
ce nombre, alors que ce serait théoriquement possible. Mais je ne crois
pas que ce serait une bonne chose : l'expérience prouve que plus il
y a d'avocats, plus il y a de recours ou de pourvois.
Souvent, on me demande comment nous ferions pour répondre à la
demande si survenait un fort afflux. Je réponds qu'il est possible que
je sois amenée à recruter plus d'associés dans chacun des
cabinets dans lesquels c'est possible. Nous avons des examens professionnels
qui sont difficiles, mais nous avons dans notre vivier un certain nombre de
collaborateurs qui sont opérationnels pour devenir avocats aux conseils
dans un délai de trois ou quatre mois. Si vraiment il y avait un besoin
important, il est évident que l'ordre procéderait de cette
façon.
M. le Président
- Vous avez aussi un certain nombre de
collaborateurs salariés de haut niveau.
Me Elisabeth Baraduc -
Nous avons assez peu de collaborateurs
salariés : nous avons des collaborateurs avocats ou des
collaborateurs qui font un passage chez nous lors de leur cursus universitaire,
par exemple lorsqu'ils préparent l'agrégation. Ils restent chez
nous pendant les quelques années qu'ils estiment utiles pour se former.
M. le Président
- La loi de 1991 vous permet de
recruter des avocats salariés.
Me Elisabeth Baraduc -
Nous avons quelques avocats salariés, mais
peu. Ils ne le souhaitent pas.
M. le Président
- Il y a eu un grand débat
à l'époque sur cette possibilité.
Me Elisabeth Baraduc -
Sur cette question, la seule chose à
laquelle je tiens beaucoup concerne la difficulté de notre examen
professionnel. L'important pour les juridictions est que nous leur apportions
la garantie de la parfaite connaissance de la technique de cassation, qui est
tout de même assez particulière. Il n'est pas facile de
connaître cette technique à la fois en droit public, en droit
privé et en droit pénal. Il est vrai que notre examen
professionnel est difficile. Il est organisé conjointement avec des
magistrats du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et l'Université.
Il a été mis en oeuvre par un décret et un
arrêté. On me dit souvent que cet examen est difficile, c'est
vrai, mais j'attache de l'importance à cette formation.
M. le Président
-
Il n'y a pas de raison qu'il
ne le soit pas. A partir du moment où il n'y a que soixante cabinets et
quatre-vingt-onze avocats, l'accès est forcément très
sélectif.
Me Elisabeth Baraduc -
Oui. L'accès est
sélectif, notamment parce qu'il nécessite une formation qui est
répartie sur une période relativement longue.
M. le Président
- S'agissant de l'aide
juridictionnelle, un projet de loi a été déposé au
mois de février sur le bureau du Sénat. Ce dépôt est
intervenu dans une période difficile, mais il s'agit d'un vrai
problème qu'il est nécessaire de régler. On a vu la
mobilisation des barreaux sur ce sujet.
Me Elisabeth Baraduc -
Je ne suis pas sûre que le
projet de loi apaise totalement la revendication des barreaux. On va assister
à un afflux de demandes d'aide juridictionnelle, notamment avec
l'augmentation du seuil. Cette augmentation paraît néanmoins
justifiée.
M. le Président
- A partir du moment où il y a
déjà un filtre à la Cour de cassation pour éviter
les recours abusifs, je me demande si nous avons besoin d'une autre
procédure.
Me Elisabeth Baraduc -
La question s'est en effet posée. J'ai
personnellement beaucoup défendu le filtre du bureau d'aide
juridictionnelle, conjointement avec la procédure de non-admission. Je
vous explique pourquoi. Cette procédure de non-admission, qui a
été mise en place à partir du 1
er
janvier,
est destinée à décharger la Cour de cassation des pourvois
qui ne méritent pas un examen approfondi. Cela doit lui permettre de se
consacrer aux pourvois qui méritent un examen plus sérieux.
D'une part, si on supprime le premier barrage de l'accès au juge,
c'est-à-dire le bureau d'aide juridictionnelle, on va voir arriver 10
000 pourvois supplémentaires. On retrouvera donc un effet bien pire
qu'avant le filtre. D'autre part, cette procédure de non-admission, qui
est une procédure juridictionnelle, ne dispense pas l'avocat aux
conseils de son rôle de dissuasion, auquel je tiens beaucoup. C'est pour
nous une obligation déontologique de dissuader un justiciable de former
un pourvoi lorsque celui-ci est dépourvu de chance.
De plus, à mon avis, la procédure de non-admission ne doit pas
remettre en cause l'examen du bureau d'aide juridictionnelle. Celui-ci fait ce
que nous faisons dans nos cabinets, c'est-à-dire qu'il examine un
dossier, et dit, par exemple, que si la personne n'a pas comparu, elle n'a rien
à faire devant la Cour de cassation. Nous avons réussi à
convaincre les auteurs du projet de maintenir l'examen par le bureau d'aide
juridictionnelle du caractère sérieux du pourvoi en cassation.
Cela ne préjuge en rien du point de savoir si le pourvoi passera ou non
le cap de l'admission. Sans le premier examen du bureau, la procédure
d'admission au sein de la Cour de cassation ne pourra avoir les effets attendus.
M. le Président -
Je vous remercie.
Audition de Me Jean-Pierre GARNERIE, président,
et d'une
délégation de la Chambre nationale des
avoués
près les cours d'appel
(29 mai
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M. Jean-Jacques Hyest, président -
Monsieur le Président, merci d'être venu, ainsi que vos
confrères. Nous recevons le président de la Chambre nationale des
avoués près les cours d'appel dans le cadre de la mission
d'information du Sénat sur l'évolution des métiers de la
justice judiciaire. Nous entendons ainsi tous les auxiliaires de justice. La
profession d'avoué près les cours d'appels est unique, puisque
les avoués près les tribunaux de grande instance ont disparu dans
une réforme précédente.
La réforme de 1991 avait envisagé de les supprimer en appel. En
fin de compte, le Parlement a jugé votre profession indispensable,
notamment parce que les présidents des cours d'appel avaient
supplié que l'on conserve les avoués près les cours
d'appel.
Je vous propose de présenter les problèmes spécifiques
rencontrés par votre profession, vos rapports avec les magistrats et les
professionnels du droit ainsi que votre position sur l'évolution des
métiers de la justice.
Me Jean-Pierre Garnerie -
Monsieur le Président, je vous
remercie. Nous sommes évidemment très heureux de pouvoir nous
exprimer devant vous. Vous avez déjà planté le
décor, puisque, comme vous le savez, les avoués près des
cours d'appel exercent leur métier, qui est totalement judiciaire, au
niveau du second degré de juridiction. Notre rôle est de
représenter les plaideurs, c'est-à-dire de les engager par nos
écrits. Nous procédons par des systèmes
d'écritures, les conclusions, qui vont fixer les données du
procès. Nous avons bien noté que vous vouliez que nous
présentions les évolutions de notre profession, mais nous avons
cependant quelques observations préliminaires à formuler.
Ma première observation est que la justice est une mission
régalienne de l'Etat.
Nous souhaitons exprimer notre surprise de voir que la justice pénale
tient, depuis assez longtemps, une place prédominante dans les
préoccupations étatiques. En réalité, la justice
pénale ne représente qu'environ 20 % du contentieux. 80 % des
litiges sont des litiges que je qualifierais de civils, en englobant dans le
civil les affaires commerciales et sociales. C'est un point important :
dans une vie, peu de personnes seront concernées par des affaires
pénales, que ce soit comme victime ou poursuivi, alors que presque tout
le monde aura à faire face un jour à la justice civile (que ce
soit dans le cadre du droit de la famille, du droit social, du voisinage). De
ce fait, nous considérons que les moyens attribués à cette
justice ne sont pas en accord avec les exigences que l'on pourrait en attendre.
Cela fait longtemps que les avoués près la cour d'appel
réfléchissent à ces problèmes.
Nous sommes certes une profession technique, mais nous avons une philosophie de
notre métier, en particulier parce que, comme vous l'avez
rappelé, nous avons été souvent menacés et que nous
avons à coeur de démontrer que nous ne sommes pas là pour
faire de la figuration. De ce fait, nous avons une conception de la justice qui
consiste à penser qu'elle n'est pas un service public comme les autres.
La justice est une mission régalienne. On ne parle plus du pouvoir
judiciaire, ce n'est plus d'actualité, mais cela implique un respect du
justiciable.
On parle beaucoup de crise de la justice. Il est vrai qu'elle existe. Il y a
une crise des moyens. Pendant des décennies, la justice a
été le parent pauvre et n'a pas suivi les évolutions comme
on a pu par exemple le constater en Allemagne où les moyens mis à
dispositions de nos homologues n'ont rien à voir avec ce que nous
connaissons ici. Peut-être y avaient-ils d'autres priorités, mais
il faut bien constater aujourd'hui que nous avons pris du retard.
Par ailleurs, les cours d'appel ont connu un phénomène
d'encombrement considérable. Mais ce phénomène n'est pas
forcément malsain. Cela correspond à une évolution de la
place du droit dans la vie des Français. Cette évolution est
perceptible dans de nombreux pays, pas seulement aux Etats-Unis, mais aussi en
Europe.
Mon deuxième point a trait à la situation des avoués face
à l'explosion du contentieux.
Malgré leurs difficultés, qui sont essentiellement d'ordre
économique, ils ont fait face à cette explosion judiciaire.
Comment avons-nous fait face ? Nous avons beaucoup embauché
-arrivant jusqu'à employer trois mille personnes- et surtout nous avons
accompli un effort qualitatif considérable en recrutant dans nos
études des juristes de haut niveau que nous formons nous-même.
Vous avez rappelé qu'en 1970, on avait non pas supprimé mais
fusionné les professions d'avocat et d'avoué. La fonction
d'avoué n'a jamais été supprimée. Sa postulation
est toujours exercée au tribunal de grande instance par les avocats qui
sont inscrits au barreau du tribunal concerné. On a donc conservé
une notion essentielle, celle de territorialité. Nous estimons qu'en
matière de procédure civile -c'est d'ailleurs l'une des
explications qui a justifié notre maintien- la proximité avec les
juridictions est essentielle. Vous avez rappelé que les premiers
présidents des cours d'appel avaient été nos meilleurs
alliés dans les années sombres. Ces magistrats ne sont pas
arrivés à ce niveau par hasard : s'ils sont à la
tête des plus hautes juridictions françaises, c'est tout de
même parce qu'ils ont une certaine compétence. Or ils peuvent
constater la présence auprès d'eux des auxiliaires de justice
spécialisés et disponibles. (et je puis vous dire que cela n'est
pas une vue de l'esprit), est une chose précieuse. Nous sommes vraiment
en contact quotidien avec nos magistrats : nous les voyons tous les jours
et au moindre problème, nous sommes à leur côté.
Cela se vérifie aussi en première instance.
Nous avons été obligés de faire face à une
explosion du contentieux, et nous avons réussi à y faire face.
Malheureusement beaucoup de choses n'ont pas suivi. Vous nous avez
demandé de parler de nos difficultés. Quelles sont-elles ?
Ce sont d'abord celles de nos clients. Nous ne sommes en effet pas là
pour faire progresser le droit théorique, mais pour gagner des causes.
Or il faut savoir qu'aujourd'hui, certaines cours d'appel en France ne sont pas
capables d'évacuer un dossier de base en moins de deux ans et demi
à trois ans. D'énormes progrès ont été
réalisés depuis environ deux ans, mais il reste encore des points
noirs. J'ai le malheur d'exercer dans une cour d'appel qui est parfaitement
sinistrée à ce niveau-là. Cela crée des situations
insupportables pour les justiciables. Il est par exemple très difficile
d'expliquer à quelqu'un qu'on ne peut pas apporter de solution à
un problème de garde d'enfant avant six ou huit mois. Or, contrairement
à ce qui a souvent été indiqué, les auxiliaires de
justice n'ont aucun intérêt personnel, y compris financier,
à voir les procès durer. C'est une vue de l'esprit. Un bon
procès, sur un plan strictement corporatiste, est un procès qui
va vite. Ce problème de la durée est important.
J'en viens à mon troisième point relatif aux problèmes
financiers de la profession.
L'augmentation du contentieux nous a maintenus sous perfusion, l'accroissement
de nos frais généraux étant compensé par le fait
qu'il nous rentrait davantage d'affaires. Aujourd'hui, cette tendance a
été inversée. C'est une bonne chose à laquelle nous
avons participé en jouant un rôle de filtre, en plein accord avec
nos magistrats et avec la Chancellerie. Il s'agit de décourager les
recours en appel manifestement voués à l'échec. Nous avons
joué activement ce rôle, puisque, depuis quelques années,
le recours au conseil de l'avoué avant tout litige est
véritablement devenu quelque chose de courant. Il ne se passe pas un
jour sans que les avocats, qui sont nos correspondants les plus naturels, nous
envoie un dossier nous demandant de juger si l'on peut faire appel et quelles
sont les chances en fonction de notre juridiction. Nous avons là encore
un rôle essentiel, qui consiste à connaître parfaitement la
jurisprudence de notre cour d'appel. Or comme il n'y a pas de jurisprudence
publiée dans les petites cours d'appel, seule la proximité permet
de la connaître.
Nous avons donc renforcé nos structures. Et malheureusement, pour des
raisons qui sont incompréhensibles, depuis vingt-deux ans, les tarifs
octroyés par les pouvoirs publics, puisque nous sommes une profession
réglementée, tarifée, n'ont jamais été
réévalués alors que le texte du décret qui a
été pris en 1980 prévoit formellement une révision
périodique de l'unité de base. Nous sommes la seule profession en
France qui se retrouve dans la même situation qu'il y a plus de vingt
ans. C'est évidemment un dossier qui est, pour nous, vital et
très brûlant, et que nous défendons le plus ardemment
possible auprès des différents services qui se sont
succédés à la Chancellerie. Nous nous voyons
obligés d'insister sur ce point, mais ce n'est pas devant vous qu'on va
reprendre la technicité de ce dossier.
Vous évoquiez l'aide juridictionnelle qui est en effet devenue un
problème très important. L'aide juridictionnelle a acquis un
poids très important. D'un autre coté, nous sommes tout à
fait partisans d'un accès au droit pour tous. Nous sommes très
attachés à l'idée qu'une personne soit défendue de
la même façon et avec la même qualité, et ce, qu'elle
soit un client payant ou bénéficiant d'une aide sociale. Il n'est
pas question pour nous de faire une différence de traitement. C'est
l'honneur de la profession de ne jamais avoir voulu se lancer dans ce type
d'opération, qui serait à mon avis tout à fait immorale.
Mais lorsque nous connaissions un taux d'aide juridictionnelle de l'ordre de
5 à 10 % de nos affaires, nous pouvions considérer que
la profession pouvait à la limite absorber cette charge sans trop de
problème dans les frais généraux. Aujourd'hui, nous sommes
dans une situation où, dans certaines cours situées dans des
régions défavorisées, nous arrivons à des taux
d'affaires bénéficiant de l'aide juridictionnelle de 30 %
à 40 %. Vous savez que le rapport Bouchet envisage de rendre 40 %
de la population éligible à l'aide juridictionnelle. Cela
signifierait que, dans les régions défavorisées, le taux
de population éligible à l'aide juridictionnelle atteindrait 70 %
à 75 %.
Il n'est pas possible de transférer sur une profession une telle charge,
qui revient à mon sens à l'Etat. Ce serait discriminatoire. C'est
une forme supplémentaire d'impôt. Nous n'avons pas la
possibilité de supporter un tel coût, d'autant plus que nous
accusons un retard considérable dans l'évaluation. Des
statistiques très précises de la Chambre nationale
démontrent que le coût physique d'un dossier, c'est-à-dire
le coût lié à la simple ouverture d'un dossier pour le
compte d'un client, varie entre 2.500 francs et 4.000 francs. Or
l'indemnité d'aide juridictionnelle globale, qui vient d'être
réévaluée, se monte à 2.100 francs. Donc, à
chaque fois que nous ouvrons un dossier, nous perdons de l'argent et tout le
travail fait concernant ce dossier n'est pas rémunéré.
Vous imaginez bien que cette situation est intolérable.
Nous avons une autre revendication bien connue de la Chancellerie. Nous
souhaitons assurer des missions au titre de l'aide juridictionnelle, mais en
appliquant notre tarif, au besoin avec un plafonnement. C'était
d'ailleurs l'idée de la loi 1991.
Le décret est revenu sur cette idée et a remplacé le terme
de rémunération par celui d'indemnité.
J'en viens à mon cinquième point qui concerne les
évolutions récentes de la profession d'avoué.
Alors qu'avons-nous fait pour suivre une évolution conforme aux
exigences du nouveau siècle ? Nous avons d'abord essentiellement
modifié notre formation. Je ne pense pas qu'une profession autre que la
mienne ait consenti à un tel effort dans ce domaine. Cela a
été pour nous quelque chose de vital.
Nous avons également incité nos confrères à entrer
dans le jeu des technologies. On a assisté à une informatisation
très importante des études d'avoués.
Enfin, nous nous sommes intégrés dans le concert européen.
Nous avons créé un comité des postulants qui nous a permis
de nous rapprocher de nos homologues espagnols et portugais avec lesquels nous
travaillons en permanence. Nous avons tous les deux ans un congrès qui
permet de présenter des propositions à la Commission
européenne. Nous avons déjà été reçus
à plusieurs reprises par Monsieur le commissaire Vitorino. Nous avons
par exemple proposé une charte déontologique qui protège
le justiciable, notamment en imposant, dans les pays où cela n'est pas
encore indispensable, une assurance. Nous avons également noué
des liens avec des juristes britanniques et allemands, avec qui nous
entretenons des contacts permanents.
Voilà ce que je voulais dire. Je cède la parole à mes
confrères.
Me Pierre Marbot -
Notre profession présente une exception
parmi les professions judiciaires. Les textes n'imposent aucune formation sinon
une durée minimale de deux ans de stages dans des études
d'avoués. Ce sont là les seules obligations légales ou
réglementaires. Nous avons considéré que, compte tenu de
la technicité de notre profession, cela était trop limité.
Nous avons donc imaginé de créer un centre de formation
professionnelle, qui a, depuis 25 ans, connu un certain nombre
d'évolutions. Au début, il s'agissait essentiellement de
conférences autour des confrères les plus anciens et les plus
reconnus dans la profession. Notre profession s'est ensuite rapprochée
des universités, et notamment de Paris-II, pour créer un
diplôme universitaire et une formation professionnelle. Ce partenariat a
évolué dans le temps et nous avons créé un
diplôme de troisième cycle, un diplôme d'études
supérieures spécialisées (DESS) intitulé
« droit et pratique du procès en appel ».
Nous avons en effet estimé qu'il convenait que nos collaborateurs soient
formés à la fois aux droits substantiels et également
à la pratique professionnelle. Cette formation présente la
particularité d'être assurée à la fois par des
universitaires, avec l'intervention d'universitaires de Paris-II et d'autres
Universités, et par des professionnels, qu'ils soient avocats,
avoués, huissiers ou magistrats. Par exemple, un ancien premier
président, aujourd'hui conseiller à la Cour de Cassation,
participe à nos travaux et donne une conférence dans le cadre de
ce centre.
Je vous disais qu'il s'agissait d'une volonté de la profession, en
dehors de toute exigence légale. Bien entendu, cette volonté
représente une prise en charge matérielle intégrale. Cela
signifie que ce sont les avoués qui financent intégralement ce
centre de formation professionnelle sur leurs cotisations. Il représente
environ entre 20 % et 25 % du budget général de la Chambre
nationale des avoués.
Nous avons également profité du partenariat avec
l'Université pour illustrer la volonté du législateur
d'étendre la notion d'apprentissage. C'est un élément qui
était un petit peu laissé de coté et qui mérite
donc d'être souligné. Ce DESS est éligible à la fois
à l'apprentissage et au contrat de qualification. Cela a
été la première expérience universitaire dans ce
domaine.
Ce centre de formation n'est pas seulement un centre de formation initiale,
mais également un centre de formation continue. Il assure la formation
permanente des collaborateurs et de nos confrères à travers
l'organisation de séminaires.
Il faut également souligner que dans le programme de cette formation
initiale et continue, notre profession a voulu marquer son orientation vers
l'avenir et non pas seulement se limiter à ses missions statutaires et
essentielles. C'est ainsi que, dans ce cadre, nous avons porté l'accent
sur l'apprentissage des langues, sur l'informatique, et enfin, et je crois que
c'est une innovation importante, sur l'apprentissage du droit social. Vous avez
parlé de l'attention particulière des premiers présidents
à la pérennité de la profession d'avoué. Dans leur
grande majorité (pour ne pas dire dans leur unanimité), les
premiers présidents se sont prononcés, il y a quelques mois, pour
l'instauration d'une représentation par avoués devant les
chambres sociales. Nous avons donc anticipé sur ce qui devrait
être une évolution normale de la représentation des cours
d'appel en assurant une formation en droit social à nos collaborateurs.
De même, nous pensons que la profession ne doit pas se limiter
immédiatement à son aspect contentieux et nous avons mis en place
un module de consultation et de négociation pour donner à nos
confrères et collaborateurs une culture de la négociation autre
que la culture du contentieux.
Je terminerai en vous indiquant qu'il s'agit, à travers les
évolutions de la formation, d'une approche d'intégration
extrêmement importante de nos collaborateurs juristes. Cette
intégration a amené une renégociation de notre convention
collective et notamment de la grille de hiérarchie des salaires avec
l'introduction d'une catégorie de collaborateurs juristes qui n'existait
pas jusqu'alors. Ces collaborateurs sont formés dans nos études
et reconnus en tant que tels comme collaborateurs de haut niveau.
Me Didier Bolling -
Avec le rajeunissement phénoménal
de notre profession, puisque actuellement, la moyenne d'âge de notre
profession est de 42 ans, l'idée d'une informatique de gestion a fait
son chemin. En 1982, a été créé un groupement pour
l'informatisation des études d'avoués, qui regroupe l'essentiel
de nos confrères sous une forme ou sous une autre. Un programme de
gestion intégrée a été élaboré par
les confrères eux-mêmes en collaboration avec des
sociétés de services informatiques de renom, comme Atos. Compte
tenu des liens étroits qu'entretiennent les avoués avec les chefs
de cours, nous avons pensé aller plus loin et échanger par la
voie informatique, sous une forme sécurisée, les données
qui nous étaient communes. Dès 1985, la cour d'appel de Paris a
permis d'échanger entre le greffe et la Chambre des avoués de
Paris des informations communes. Une accélération dans ce sens
s'est produite, avec, il y a deux ans, la signature d'un protocole entre la
Chambre nationale et la Chancellerie pour un échange d'informations
sécurisé entre les greffes et les avoués, au niveau
national cette fois. Six cours pilotes ont été choisies et,
dès le premier juin, cette expérience va passer au stade
matériel à la cour d'appel de Versailles.
Enfin, les avoués, au travers de l'Association pour le
développement de l'informatique juridique (ADIJ), se penchent sur les
questions soulevées par la signature électronique.
Je termine en vous indiquant que la Chambre nationale dispose d'un site
Internet pour l'information du public.
Me Bertrand Lissarrague -
Notre profession s'est tournée
vers l'extérieur. Nous sommes convaincus que si nous voulons construire
une Europe pacifique et prospère, il sera nécessaire de
construire, en matière pénale, un espace judiciaire
européen qui nous paraît le support indispensable du marché
unique. Pour ce faire, nous devons franchir des obstacles comme les
différences de législation, de mentalité et de langues.
Dans ce cadre, nous pensons qu'il est nécessaire de créer des
interfaces. Le système de la postulation française nous
apparaît comme un des moyens les plus adaptés et les plus
développés. C'est dans cet esprit que nous avons travaillé
avec nos partenaires européens et que nous avons construit un certain
nombre de procédures communes. Nous avons notamment
réfléchi sur la formation initiale de ces professionnels
spécialisés, sur la formation continue, sur les problèmes
de responsabilité et d'assurance, et également sur
l'élaboration d'une charte, qui est une sorte de code de
déontologie commune au stade européen. Notre idée consiste
essentiellement à fournir aux justiciables européens des
garanties équivalentes sur l'ensemble du territoire de l'Union
européenne. Comme nous l'avons dit, nous avons des contacts
réguliers avec les institutions européennes et avec les services
du commissaire Vitorino. Nous essayons d'apporter une pierre à la
construction de cet espace européen que nous attendons tous. Je ne vais
pas en dire plus mais je suis près à répondre à des
questions si vous le souhaitez.
M. le Président -
Dans quels pays retrouve-t-on le
système de la postulation ?
Me Bertrand Lissarrague -
La postulation existe pratiquement
partout sauf dans les pays nordiques, mais elle est exercée par une
profession spécialisée dans un nombre restreint de pays. Dans la
plupart des cas, ce sont les avocats qui remplissent ces fonctions. Dans
beaucoup de pays, les avocats peuvent postuler devant les juridictions, mais
souvent avec une certaine durée d'exercice et avec un agrément
devant les cours d'appel, et ensuite devant la cour suprême. Il y a donc
quand même une sorte de filtre. Je tiens aussi à signaler que nous
avons conduit une mission avec la Géorgie sous l'égide de votre
assemblée.
M. le Président -
Compte tenu de
l'élargissement de l'Union européenne, il est intéressant
d'étudier les systèmes des pays de l'Est. Nous pourrions
d'ailleurs y aller.
Me Jean-Pierre Garnerie -
Nous nous sommes aperçus que les
pays issus de l'ex-URSS avaient connu un grand vide juridique. Aujourd'hui, il
y a des pays qui souhaitent s'inspirer du code Napoléon d'origine. Ils
ont une attirance pour notre système. En Géorgie, il existe un
problème : les auxiliaires de justice sont soit des avocats issus
du système soviétique -c'est indescriptible- soit de jeunes
juristes formés aux Etats-Unis. Ces derniers veulent gagner de l'argent
et portent peu d'intérêt à la défense.
M. le Président -
Combien y a-t-il d'avoués
en cour d'appel ?
Me Jean-Pierre Garnerie -
Il y a 415 avoués qui exercent
dans 235 charges.
M. le Président -
Vous nous avez parlé de
l'évolution de la situation des collaborateurs. Combien y a-t-il de
salariés ?
Me Jean-Pierre Garnerie -
Leur nombre a un peu baissé du
fait de la conjoncture économique. Nous sommes passés de 3.000
salariés à environ 2.400.
M. le Président -
Le personnel est-il de plus en
plus qualifié ?
Me Jean-Pierre Garnerie -
Oui. Le personnel d'exécution est
beaucoup moins nombreux grâce à l'informatique. En revanche, le
recrutement de collaborateurs de haut niveau, qui sont au minimum pourvu d'un
titre de troisième cycle, se généralise.
Me Didier Bolling -
A la cour d'appel de Paris, la proportion est
de deux collaborateurs par office.
Me Pierre Marbot -
Pour vous donner un ordre d'idée, un
sondage, assez parlant, a été réalisé. Globalement,
dans l'ensemble des cours d'appel, la somme des avoués en exercice et de
leurs collaborateurs juristes, c'est-à-dire l'ensemble des juristes
d'une étude, équivaut au nombre de magistrats de la cour d'appel
affectés au siège.
M. le Président -
La postulation devant les
chambres sociales est vraiment une question difficile.
Me Jean-Pierre Garnerie -
Cela ne constitue pas un obstacle. Il
faut d'abord dresser un constat : les chambres sociales des cours d'appel
ne fonctionnent pas. Leur situation est consternante, pour 30 dossiers
appelés, 4 seulement sont retenus. Cela est insupportable pour les
magistrats et pour les justiciables.
Pourquoi est-ce comme cela ? C'est une procédure orale, donc les
justiciables ou leurs conseils déposent sur la table un gros tas de
pièces non triés. En plus, le droit social est d'une très
grande technicité. La procédure n'est pas adaptée dans ce
domaine du droit, qui est déjà vraiment très technique et
difficile. Les premiers présidents et une grande partie des magistrats
qui traitent les affaires sociales comprennent très bien que la seule
solution est une mise en état. La représentation et la
postulation ne recouvrent que la préparation du dossier qui est la mise
en état. Nous sommes prêts à assumer cela car nous savons
le faire.
M. le Président -
Très bien. Nous vous
remercions infiniment, messieurs les Présidents.
Me Jean-Pierre Garnerie -
C'est nous qui vous remercions de nous
avoir prêté attention.
Audition de M. Paul BOUCHET,
conseiller d'Etat
honoraire,
ancien président de la Commission de réforme de
l'accès au droit
et à la justice
(29 mai
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Nous entendons maintenant
le Président Paul Bouchet dans le cadre de notre mission sur
l'évolution des métiers de la justice. Vous avez
présidé la Commission de réforme de l'accès au
droit et à la justice et remis un rapport en mai 2001 au garde des
Sceaux de l'époque, Madame Marylise Lebranchu. Compte tenu de toutes ses
implications sur l'aide juridictionnelle et des problèmes
soulevés par les professions, il nous a semblé indispensable de
vous entendre. Je vous propose de nous exposer les grandes lignes de votre
rapport sur l'accès au droit.
M. Paul Bouchet
- Au-delà de mes titres divers, je
suis un récidiviste sur la question de l'accès au droit et
à la justice. J'étais conseiller d'Etat lorsque j'ai
rédigé, il y a plus de dix ans, le rapport sur l'accès au
droit. Cela permet de mesurer ce qui s'est fait en une décennie, de voir
où en est une profession et ce que l'on peut lui proposer comme
perspectives. S'agissant des barreaux des tribunaux et des cours, il est clair
que le panorama a changé. Ces changements s'expliquent par des raisons
économiques, mais aussi des raisons culturelles, notamment à la
suite de l'intégration des conseillers juridiques. Il est clair que ce
qu'on peut appeler la « culture », ou « le
rôle social » des barreaux, a très profondément
évolué.
Je commencerai d'abord par les changements économiques.
Sur ce plan, les évolutions sont contrastées. Nous constatons
d'un côté un accroissement considérable du besoin juridique
dans le pays, notamment du besoin social de la base. Ceux qui ne plaidaient pas
ou peu et qui ne demandaient rien cherchent de plus en plus à faire
valoir leurs droits, et il y a une forte demande de ceux qui ne peuvent pas
payer. A l'autre extrémité, le barreau traditionnel a repris une
part très importante, à tel point qu'à Paris par exemple,
parmi les plus hauts revenus, on trouve les membres de certains cabinets
d'avocats internationaux. Autrement dit, le chiffre d'affaires global du
barreau s'est accru considérablement. En revanche,
l'inégalité est croissante entre les barreaux eux-mêmes, et
plus encore à l'intérieur des barreaux les plus riches.
Cela crée un problème difficile sur le plan culturel. Il y a ceux
qui souhaitent avoir une demande de rémunération au titre de
l'aide juridictionnelle et de l'accès au droit. Ils demandent une
rémunération et non une simple indemnisation, parce qu'ils
souhaitent en vivre. C'est notamment le cas dans les barreaux, nés
après l'éclatement du barreau de Paris, qui ont en charge l'aide
juridique dans des régions pauvres, et qui en revanche ne
perçoivent pas de compensation. Il y a des barreaux
intermédiaires comme Nanterre : Nanterre a à la fois des
sièges très importants et une forte demande d'aide juridique. A
Paris, si on distribuait l'aide juridictionnelle entre tous les membres du
barreau, cela n'en ferait que de deux à trois par an et par avocat. Ceux
qui sont riches pourraient même en faire cadeau, ce que j'ai fait
moi-même pendant toute ma carrière. A Paris, cependant, l'aide
juridictionnelle pèse sur un nombre plus restreint. Il y a enfin des
petits barreaux, comme celui de Bergerac, où tout le monde continue
à plaider. Cela s'explique par une sorte de sens de l'honneur qui
implique que l'on doit faire de l'aide juridictionnelle, et en même temps
par un sens très heureux des relations publiques, dans ces villes
où la clientèle est en réseau. On comprend très
bien que la vision soit différente. Il faut passer de
l'économique au culturel pour bien comprendre cela.
Mais retenons d'abord que, sur le plan économique, c'est une profession
en expansion considérable parce que le besoin juridique s'accroît
et que la demande est très forte. Le nombre d'avocats reste faible en
France par rapport aux pays comparables, même en intégrant les
avoués à la cour. Vous savez que dans des pays comme l'Italie,
l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, ce nombre atteint environ 100.000. En
comparaison, la France se situe à peine à plus du tiers.
Il y a donc à la fois des besoins, une forte expansion, un nombre assez
faible d'avocats, mais surtout une inégalité très forte.
C'est pourquoi, dans la perspective de l'évolution des métiers,
on rencontre à l'intérieur des barreaux des attitudes
culturellement très diverses. Cela s'explique par des raisons objectives
et n'a rien d'étonnant.
J'en viens à mon deuxième point : le problème de
l'aide juridictionnelle.
Il y a ceux, et notamment dans les lieux où le besoin social est plus
fort, qui attendent une vraie rémunération. De qui attendent-ils
cette rémunération ? Ils l'attendent dans un premier temps
de l'Etat. C'est un peu curieux pour une profession libérale,
particulièrement si l'on songe que libéral est le diminutif de
libre. Lors des grèves, on a pu voir de jeunes avocats qui avaient des
raisons très directes d'y participer, mais aussi des notables de la
profession qui ne font plus d'aide juridictionnelle depuis longtemps et qui
exprimaient une solidarité pour que ce soit l'Etat qui paye.
Or il y a d'autres propositions. Certains, et notamment d'éminents
professeurs de droit, proposent de mutualiser l'aide juridique à
l'intérieur du barreau. A Nanterre par exemple, les avocats des grands
sièges ne veulent pas faire de l'aide juridictionnelle : ils
déclarent ouvertement qu'ils n'en ont pas le temps et que ce n'est plus
leur spécialité. Ceux qui conseillent les grandes
sociétés n'ont pas été formés aux
matières qui intéressent le petit plaideur, comme les
problèmes de sécurité sociale ou de placements d'enfants.
D'eux-mêmes, et sans aucune pression, les cabinets qui ne voulaient pas
faire d'aide juridictionnelle ont cotisé à l'ordre à
hauteur de 2.500 francs pour compléter l'indemnité d'aide
juridictionnelle. Mais cela n'est pas la règle. La demande dominante est
que ce soit l'Etat qui prenne en charge le besoin d'accès au droit et
aux juridictions. L'idée est que puisque l'Etat est le garant de cet
accès au droit, il doit en payer le prix.
D'autres pistes sont à l'étude à l'intérieur
même du barreau. On les a mentionnées dans le rapport. Certains
nous ont reproché de ne pas assez en parler, mais nous avons
d'excellentes raisons d'être restés prudents. Il s'agit en
particulier du recours à la protection juridique, c'est-à-dire le
système assurantiel, que ce soit à travers un système
classique ou à travers la mutualité.
Il y a une évolution dans ce domaine. La protection juridique en France
est très faible par rapport à d'autres pays. En Allemagne, par
exemple, elle joue énormément. Mais cette différence
s'explique par des causes précises. En Allemagne par exemple, la
protection juridique joue pour les accidents de voiture. On est obligé
de passer par un avocat et donc on s'assure. Nous avons examiné cela
à Berlin avec la profession et le ministère et nous avons
constaté que certaines assurances ont des tarifs raisonnables. En
France, la réforme du contentieux des accidents de voiture a en quelque
sorte tari ce besoin. Ce n'est donc pas sur ce plan que cela pourrait se poser.
Quand on regarde les gros contentieux qui forment une part importante de
l'activité des cabinets cherchant des compléments, on trouve
plutôt la famille, et en particulier le divorce, qui est le premier poste
de l'aide juridique.
Pour le divorce, une partie de la population exprime l'idée qu'en cas
d'accord, dès lors qu'il n'y a ni enfant et ni patrimoine, les avocats
ne sont pas nécessaires. Les avocats disent à l'inverse que si
l'on ne veut pas que la société affaiblisse le sens du mariage,
il faut que le divorce reste un acte important. Par ailleurs, ils estiment que
les conséquences de cet acte sont souvent sous-estimées :
même si dans l'immédiat il n'y a pas de patrimoine, il reste le
problème des dommages et intérêts ou, si la femme reste
seule, de la pension alimentaire. Le discours n'est pas unifié sur ce
terrain-là.
L'autre domaine est le pénal. Les juridictions correctionnelles
fonctionnent en permanence et de plus en plus, et la demande de
sécurité de la société ne fera qu'accroître
cela.
M. le Président
- On peut également ajouter que
les nouvelles dispositions de la loi sur la présomption d'innocence
chargent le barreau de nouvelles missions obligatoires, comme la
présence à la première heure de garde à vue. Cela
me paraît important au titre des libertés publiques, mais c'est
une charge lourde pour les cabinets et cela ajoute à la
procédure.
M. Paul Bouchet
- Bien sûr. Les affaires les plus
lourdes sont celles qui vont à l'instruction, avec des horaires qui ne
sont pas toujours compatibles. Il est clair qu'il existe une demande
économique, mais les revendications ne se limitent pas à cet
aspect. Dans les tribunaux petits et moyens, on a vite des problèmes
liés à l'organisation du temps. Or la gestion du temps est un
casse-tête, particulièrement pour les avocats.
M. le Président
- Oui, un emploi du temps d'avocat,
notamment en Ile-de-France, est ingérable.
M. Paul Bouchet
- C'est tout à fait exact. Cela
est dû notamment à l'éclatement des lieux, même
à Paris. On a cherché à opérer des regroupements
géographiques. Par exemple, à Lyon, on a voulu créer une
cité judiciaire pour tout regrouper. Le temps de construire - et
pourtant on croyait avoir vu grand - on s'est aperçu que ce
n'était plus possible, et finalement on a dû garder le vieux
palais pour la Cour d'appel.
La formation va encore s'améliorer, il faut la régionaliser de
plus en plus. Le barreau fait des efforts et y est prêt.
La gestion des fonds d'aide juridique constitue mon troisième point.
S'agissant de la gestion des fonds d'aide juridique, nous avions
proposé, lors de la première réforme, que le barreau
obtienne, ce qui est unique en Europe, la gestion des fonds. Il l'a
obtenu : les CARPA (les Caisses de règlement pécuniaires
d'avocats), sont regroupées au sein d'un organisme unique, l'UNCA (Union
nationale des caisses d'avocats), qui a fait preuve d'une bonne qualité
technique. Les ministres de la justice successifs l'ont tous reconnu. C'est un
des points forts. Il y a également une organisation, par
l'informatisation notamment, de meilleure qualité. Les quelques petits
barreaux qui étaient critiquables sur ce plan -rappelons qu'il s'agit de
la gestion des fonds des clients- sont en train de s'améliorer. La
modernisation est de bonne qualité, il suffit d'y veiller.
La gestion des fonds est quelque chose de très important. Le futur
bâtonnier de Nice vient d'être inculpé à ce sujet.
Avec les obligations nouvelles imposées aux barreaux contre le
blanchiment, le contrôle des caisses de règlement
pécuniaires est tout à fait essentiel. On ne manie plus de
petites sommes, mais des sommes considérables. Dans le cas de Nice, cela
porte sur des millions d'euros. Bien sûr la présomption
d'innocence joue là comme ailleurs, mais je veux dire que le barreau est
exposé. C'est un risque tout à fait nouveau, mais très
important.
Par ailleurs, dans la tradition du barreau, on est chargé de rendre
service à ses clients, y compris au truand. On est détenteur d'un
secret et on ne doit pas le révéler. La culture
particulière du barreau repose sur l'idée que l'avocat est le
dernier refuge. Pour l'argent, ce n'est pas la même chose. La culture du
barreau cherche à s'ajuster avec difficulté sur certains points.
Le problème des perquisitions l'illustre bien. Vous savez que les
magistrats considèrent pour une part que les cabinets d'avocats ne sont
pas du tout inviolables. Il y a eu des perquisitions, parfois très
audacieuses, dont certaines ont été ensuite critiquées.
Sans parler nécessairement de blanchiment de fonds, dans une affaire
classique de justice pénale, l'avocat peut être amené
à détenir des pièces nécessaires à la
défense. Mais ce n'est évidemment pas à lui de les
produire à l'accusation. Or, pour certains magistrats, il s'agit de
chercher les preuves là où ils pensent les trouver, ce qui pour
eux relève de leurs fonctions. Les magistrats sont de plus en plus
« inquisiteurs ». Auparavant, ils n'auraient pas osé
entrer dans un cabinet d'avocats. Une perquisition dans un cabinet d'avocats
était absolument exceptionnelle. Mais c'est en train d'évoluer
sous la pression de magistrats et il faut en tenir compte. Voila donc quelques
éléments sur l'évolution des cultures et des moeurs, qui
montrent que nous devons relever un grand défi qui n'est pas que
financier.
La commission de réforme de l'accès au droit et à la
justice a formulé des propositions en matière d'aide
juridictionnelle.
Financièrement, il existe des réponses. La grande critique qui
nous a été adressée a trait à notre proposition de
supprimer l'aide partielle. Vous savez que, jusqu'ici, il existe une aide
totale. Puis, lors de la dernière réforme, contre mon avis et
celui du Conseil d'Etat, un système d'aide partielle a été
mis en place, à mon avis un mécanisme en trompe-l'oeil,
même s'il est vrai qu'il a permis à un certain nombre de cabinets
de survivre.
Qu'en est-il de ce système ? Théoriquement, l'Etat finance
des tranches, par exemple 25 %, 50 % ou 75 %. Il s'agit donc de
lisser les seuils, ce qui paraît légitime. Mais en
réalité, l'Etat payait beaucoup moins, car on avait consenti au
barreau le droit de négocier directement avec le client ce que ne payait
pas l'Etat. Le barreau s'était engagé à se limiter
à ce que l'on appelait un tarif convenable, mais adaptable en fonction
du client. Cette mesure avait été votée par les deux
assemblés. Cela constituait en effet une « soupape de
sûreté », très favorable au barreau mais
acceptable : la modération des honoraires était
appréciée par le bâtonnier. Le contrat écrit,
proposé au client pour lui permettre de connaître le montant de la
somme qu'il devait, était soumis au bâtonnier, afin que celui-ci
apprécie la modération des honoraires. S'il pensait que la
modération était insuffisante, le bâtonnier fixait
lui-même un taux. En cas de difficulté, on rentrait dans le droit
commun classique.
Je n'étais pas favorable à ce système pour des raisons
qu'hélas l'expérience a confirmées : dans l'immense
majorité des barreaux, la vérification n'était pas
assurée. Seuls quelques barreaux l'ont fait. Dans la plupart des
barreaux, les contrats n'étaient pas conservés et l'on ne savait
même pas s'ils avaient été rédigés. A Lille,
par exemple, où nous avons effectué un contrôle, le
bâtonnier lui-même a découvert qu'une partie très
faible des contrats était soumise au délégué du
bâtonnier. Nous avons été contraints de dire que ce
n'était pas suffisant. Nous avons exprimé l'idée qu'il
était préférable d'étendre l'aide totale et de
trouver, à partir d'un certain seuil, d'autres solutions.
Par exemple, à partir du moment où les gens dépassent un
certain seuil pour prétendre à l'aide totale, ils pourraient
souscrire à un système de protection. Il n'existerait donc pas
d'aide partielle, celle-ci fonctionnant mal. Cependant, comme vous le savez,
une aide partielle est rétablie dans le projet. Nous souhaiterions
toutefois que cette aide soit opposable. S'il s'agit d'un barème fixe et
que l'avocat ne peut rien demander au-delà, c'est très bien. Mais
il faut reconnaître qu'il existe une réelle difficulté.
Par ailleurs, le niveau d'aide que nous avons préconisé a
été critiqué, de manière injuste à mon sens.
Nous avons estimé que, pour définir une
rémunération, il fallait apprécier deux
éléments :
- le montant de la rémunération équitable de la prestation
intellectuelle de l'avocat ;
- le niveau de remboursement équitable de la moyenne des frais.
En effet, la grande nouveauté depuis dix ans tient à
l'accroissement de la moyenne des frais dans les cabinets d'avocats. Cette
moyenne dépasse aujourd'hui 50 % dans l'immense majorité des
cabinets. Elle varie également selon l'équipement et peut aller
de 40 à 70 %. Cependant, lorsque l'on atteint de tels niveaux,
c'est que le chiffre d'affaires le permet. Il ne faut donc pas s'en tenir au
pourcentage. Cependant, l'importance des frais est considérable et il ne
faut pas s'intéresser uniquement à la prestation intellectuelle.
S'agissant de la prestation intellectuelle, nous avons proposé une
indexation sur les magistrats. C'est une idée que je persiste à
trouver juste, car on invoque souvent l'équivalence des
compétences, notamment pour les affaires pénales, qui sont
symboliques. Aux Etats-Unis, les défenseurs publics sont payés
par référence aux magistrats. Le barreau français avait
été très critique à cet égard, arguant que
les défenseurs publics étaient mal payés et qu'en
conséquence ils ne faisaient pas correctement leur travail. Or on
assiste aujourd'hui à une évolution très nette, surtout
depuis le film
Un coupable idéal
, dans lequel sont mis en
scène deux défenseurs publics américains remarquables. Le
barreau de Paris a reçu ces avocats, qui ont été
célébrés comme des exemples. On a alors découvert
qu'ils percevaient la même rémunération que le procureur.
Nous avons proposé ce système de rémunération, avec
comme référence la rémunération nette d'un
magistrat ayant dix ans d'ancienneté. Il n'est pas inutile par ailleurs
qu'un avocat connaisse le prix de la prestation intellectuelle du magistrat
qu'il a face à lui : c'est une idée saine pour
l'égalité des armes, qui se traduit alors économiquement.
Le barreau de Paris se dit globalement favorable, mais s'interroge sur la
référence à la rémunération d'un magistrat
ayant dix ans d'ancienneté. Il pense qu'il serait légitime de
prévoir un montant plus élevé, notamment si l'on souhaite
un avocat prestigieux. Il est en réalité prévu des
soupapes de sûreté : on peut obtenir une majoration sous
contrôle du magistrat s'il existe des diligences particulières ou
dans le cas d'une affaire spéciale. Ces cas sont toutefois exceptionnels
et doivent le rester. N'en faisons pas la règle : une moyenne de
dix ans d'ancienneté me semble satisfaisante. Néanmoins, le
ministère des finances estime que cette moyenne est trop
élevée. En réalité, nous nous sommes fondés
sur ce que verse l'avocat à son clerc principal, en effet, aux termes de
la convention collective imposée, ce dernier est payé à
des taux similaires. On peut donc affirmer que la prestation intellectuelle a
été correctement évaluée.
Se pose ensuite le problème du nombre d'heures. Dans ce domaine
également, nous avons trouvé une solution acceptable, en
proposant le chiffre de 1.200 heures annuelles. Ce chiffre a été
retenu par Bercy et négocié, après une longue
expérimentation, par les centres de gestions agréés. Un de
ces centres de gestion agréé, l'A.N.A.A.F.A, qui regroupe la
grande majorité du barreau et édite des bulletins
extrêmement clairs, a réalisé des études
périodiques par tranches des barreaux parisien et provinciaux, en tenant
compte du type de clientèle. Il est parvenu, lui aussi, à ce
chiffre de 1.200. Ce chiffre est globalement accepté et ne pourra
être discuté par Bercy. Il a été retenu par d'autres
pays européens.
Par ailleurs, le chiffre n'est pas divisé par le total d'heures
effectuées par un magistrat, compte tenu des pertes de temps des
avocats. Il appartient à l'Etat, s'il souhaite payer moins, de
réorganiser les tribunaux afin que l'avocat perde moins de temps.
La critique se reporte plutôt sur les charges. On reproche notamment au
projet de prévoir une majoration pour ceux qui prennent en charge plus
de dossiers d'aide juridictionnelle que les autres. Il s'agit de majorer l'aide
de ceux qui font, par exemple, plus de 50 % d'aide juridictionnelle. C'est
une piste que nous n'avons pas proposée, mais qui peut se
négocier.
La question des frais est un peu plus difficile. Quel taux retient-on ? On
ne peut pas retenir un taux unique, ce que voudrait le barreau. Le taux unique
est faussé : une moyenne nationale n'est pas très bonne. Les
publications des centres de gestion agréés, qui sont opposables
au barreau puisque gérés par lui, montrent des différences
fortes entre les taux, qui varient de 45 % à 70 %.
Cette situation est aisément compréhensible. Ainsi, pour le
barreau parisien, qui compte le plus grand nombre d'avocats, les loyers
pèsent lourdement dans les frais. On peut dire que les loyers parisiens
pèsent beaucoup dans la moyenne nationale.
Nous avons voulu serrer au plus près en plaidant pour la
régionalisation. Faut-il le faire par grandes régions ? Par
cours ? On peut en discuter. Nous avions proposé, pour notre part,
de choisir la région. L'A.N.A.A.F.A serait prête à faire
des choses au niveau de la cour. Descendre au niveau de chaque tribunal est
peut être excessif. Il est certain qu'une moyenne nationale serait une
revendication excessive. Elle reviendrait en effet à tout aligner sur
Paris, ce qui n'est pas tout à fait juste. Mais on peut négocier.
Le tarif serait forfaitaire, au minimum 50 %. Une heure
rémunérée 220 francs passerait ainsi à
440 francs. Les derniers relevés de discussions, avant le
changement de ministre, montrent que l'on se rapprochait de cette somme. A
l'origine, le barreau de Paris ne voulait pas moins de 700 francs de
l'heure pour les avocats du barreau de Paris. D'autres barreaux ne voulaient
que 500 francs. Nous devons en discuter, mais ce chiffre sera tributaire du
nombre d'heures à payer.
La difficulté se reporte donc sur le nombre d'heures à payer. Des
normes peuvent être fixées, entre gens de bonne foi. Il y a plus
de dix ans, nous avions proposé de fixer la moyenne à dix heures.
Cela n'avait pas été contesté à l'époque,
alors que toutes les associations d'avocats avaient été
consultées. Pour des raisons diverses, certaines personnes, voyant que
le taux horaire ne dépassait pas 500 francs, ont affirmé que ce
n'était pas suffisant. Le problème principal, en
réalité, concerne la rémunération du divorce.
Lorsque nous avons avancé des chiffres, le barreau nous a trouvés
trop prudents. En Allemagne, aux Pays-Bas et au Québec (donné
comme exemple en matière d'aide juridique), le divorce est
rémunéré à moins de 5.000 francs. Avec dix
heures, même rémunérées selon nos tarifs, on
atteindrait à peu près cette somme. Avec les négociations,
nous irons sans doute au-delà. Les relevés de discussions
montraient que l'Etat était prêt à consentir 12 heures pour
le divorce pour faute. Admettons qu'il y ait des divorces plus
compliqués que d'autres. On peut encore discuter sur ces bases, mais
l'enjeu n'est plus fondamental.
Un problème très important est celui de la qualité. Ce qui
me préoccupe vraiment est qu'avec un même nombre d'heures, un
avocat bien formé servira beaucoup mieux son client qu'un mauvais
avocat.
M. le Président
- Monsieur le Président, je
crois que vous nous avez apporté des éléments très
intéressants à propos de l'aide juridictionnelle, sur les
évolutions et les motifs qui avaient conduit votre commission à
prendre un certain nombre de positions.
M. Paul Bouchet
- On peut ajouter que la protection
juridique peut s'étendre. Nous avions consulté à ce sujet.
Evidemment, on ne peut pas assurer les délits intentionnels. Mais il est
possible d'assurer les délits non intentionnels : les maires sont
par exemple déjà couverts par des assurances.
S'agissant de la famille, la branche mutualité des assurances affirmait
que l'on ne pourrait pas, si l'on a assuré la famille, payer un avocat
pour chacune des deux parties. Cela est faux. Des règles
déontologiques doivent être respectées, ce dont nous avions
parlé. Néanmoins, si l'Etat favorise la protection juridique,
à travers les assurances, il diminue de beaucoup les tarifs par rapport
aux tarifs existants. Le Barreau de Paris négocie un peu plus cher. Il
souhaite un taux de l'heure un peu plus élevé, ce qui est
compréhensible à Paris. Il serait donc souhaitable de
déconnecter les barreaux, afin de pouvoir différencier les taux.
On va surtout vous parler de l'aide partielle. Je suis très ouvert sur
cette question, mais elle ne doit pas faire l'objet de tricheries, comme ce fut
le cas. Par ailleurs, au-delà d'un certain seuil, les gens pourraient
s'assurer contre la plupart des risques. Une autre réponse sociale est
nécessaire.
Par ailleurs, il faut que soit établi un contrat écrit en
matière d'aide juridictionnelle. Le barreau critique cette proposition,
à laquelle un grand nombre d'avocats est cependant favorable. En
revanche, les avocats contestent davantage l'idée d'une charte de
qualité, qu'ils n'accepteraient qu'à condition que ce soit eux
qui la proposent. Cela ne me dérange pas, mais une négociation
doit avoir lieu au préalable. Nous avions proposé la
création d'un organisme interministériel, composé pour un
tiers d'avocats, pour un tiers de représentants de l'Etat et pour un
tiers de représentants de la société civile. Cet organisme
pourrait émettre un avis sur les questions litigieuses. Il me semble
qu'il s'agissait également d'une piste intéressante.
M. le Président
- Merci, Monsieur le Président.
Table ronde sur « Les avocats et l'évolution des
métiers de la justice »
(29
mai 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
Avec
la participation de :
- Me Jean-René FARTHOUAT, président du Conseil national des
barreaux.
- Me Paul-Albert IWEINS, bâtonnier du Conseil de l'ordre des avocats
de Paris.
- Me Michel BENICHOU, ancien Président de la Conférence des
Bâtonniers.
M. Jean-Jacques Hyest, président
- Dans le cadre de
la mission qu'a décidé de constituer la commission des Lois sur
l'évolution des métiers de la justice, nous avons souhaité
rencontrer les représentants de la profession d'avocat. Je remercie le
bâtonnier du Conseil de l'ordre des avocats de Paris, le président
du Conseil national des barreaux et l'ancien président de la
Conférence des bâtonniers d'avoir répondu favorablement
à notre invitation.
Notre table ronde a pour thème « les avocats et
l'évolution des métiers de la justice ». La mission
s'intéresse tout particulièrement à l'avenir de la
profession, vos difficultés, vos rapports avec les magistrats, vos
sentiments sur l'émergence des nouveaux métiers de la justice,
notamment dans le domaine des procédures alternatives de
règlement des conflits, ainsi qu'à la question de la formation,
sur laquelle j'ai commis un rapport en 1995 à la demande du
Gouvernement.
Je vous propose de vous exprimer chacun. Monsieur le président du
Conseil national des barreaux, ancien bâtonnier, je vous laisse la parole.
Me Jean-René Farthouat
- Je vais peut-être
commencer par la formation, parce qu'elle se trouve à l'origine, et que
c'est l'une des spécialités du Conseil national des barreaux.
L'organisation de la formation est en effet l'une des missions formelles que
lui donne la loi. Vous venez de dire qu'un rapport a été
publié en 1995 que nous avons lu avec attention. Depuis cette date, nous
avons travaillé à une réforme de la formation, qui est
maintenant achevée. Quels reproches faisait-on à la formation
actuelle ?
On lui reprochait d'abord d'être une formation très universitaire
et peu pratique. On réapprend dans les centres de formation
professionnelle un certain nombre de données qui devraient être
considérées comme étant acquises par le biais
universitaire.
Le second reproche est qu'elle n'est pas adaptée aux besoins de la
profession. Nous avons une inadéquation entre, d'une part, les jeunes
gens qui sortent de nos centres de formation professionnelle, qui ne trouvent
pas tous des stages et par conséquent restent dans une situation
financière difficile, d'autre part les demandes de nos confrères
et d'un certain nombre de cabinets, qui disent ne pas trouver sur le
marché les jeunes dont ils ont besoin dans leur cabinet. Pour être
tout à fait précis, il s'agit d'un reproche essentiellement
formulé par nos confrères issus de l'ancienne profession de
conseiller juridique, qui estiment que la formation n'est pas suffisamment
adaptée aux métiers du conseil. Ils complètent donc cette
formation par des formations internes.
Le troisième constat est que la formation est totalement
éclatée sur le territoire national, puisque nous avons vingt-deux
centres de formation professionnelle. Ils dispensent des formations que chacun
essaie d'assurer avec sincérité et efficacité, mais dont
la qualité n'est pas nécessairement homogène. Un
regroupement nous paraît indispensable.
La réforme, arrêtée par le Conseil national du barreau
après des consultations multiples de l'ensemble des représentants
de la profession et des acteurs de la vie professionnelle, s'articule autour de
l'idée d'une formation d'environ dix-huit mois, dont seule une petite
partie serait réalisée à l'intérieur des centres de
formation professionnelle, l'essentiel de la formation étant acquis
à l'extérieur. Je vous dispense de la querelle qui a agité
la profession à propos de la durée de la formation (dix-huit mois
ou deux ans). Les enseignements dureront environ dix-huit mois et, compte tenu
des périodes de vacances et d'examens, la formation sera
nécessairement étalée sur une durée proche de
vingt-quatre mois. La partie de la formation qui ne s'effectuera pas à
l'intérieur des centres de formation professionnelle se fera en pratique
dans les cabinets, les tribunaux et auprès de quelques professionnels
extérieurs au métier d'avocat. L'idée est aussi
d'apporter, en complément à la formation dispensée dans
les centres, une formation sur des spécialités pointues dont peut
avoir besoin la profession. Nous espérons, par cette réforme, non
pas résoudre mais apporter une réponse à certains
problèmes.
Le premier problème auquel nous espérons apporter une
réponse est celui du regroupement : la structure de la formation a
déjà conduit un certain nombre de centres à se regrouper.
C'est le cas des centres de Poitiers, d'Orléans, de Bourges et d'Angers,
qui composaient une seule école du centre ouest. Je viens d'apprendre
que Bordeaux, Toulouse et Pau ont aussi décidé de réunir
leurs centres de formation professionnelle. Il en va de même de Lyon, de
Grenoble et de Chambéry, ainsi que de Rennes et de Caen. Il peut y avoir
des regroupements parfois un peu singuliers : on pourrait penser, par
exemple, que Caen et Rouen auraient pu se rejoindre. Des regroupements
s'opèrent également du côté de Nancy et en Alsace.
J'ai l'espoir que, dans un délai de deux à trois ans, on puisse
passer de vingt-deux à dix ou douze centres. On peut considérer
qu'avec un nombre total de centres compris entre dix et douze, le maillage du
territoire serait satisfaisant.
Le second problème auquel nous espérons apporter une
réponse concerne le coût. Quel est, à l'heure actuelle, le
financement de la formation professionnelle ? Celui-ci aurait dû, si
les engagements avaient été respectés, être
partagé à parts égales entre l'Etat et la profession. Au
fil des ans, une disparité tout à fait considérable s'est
instaurée, puisque désormais, sur un financement total que l'on
peut évaluer à une soixantaine de millions de francs pour
l'ensemble du territoire, moins de dix millions sont pris en charge par l'Etat.
La somme restante est financée par la profession d'avocat. La cotisation
par avocat se monte à plus de 1 800 francs. C'est donc une
cotisation assez lourde, qui, par le passé, était
supportée en grande partie par l'intermédiaire des caisses de
règlements pécuniaires. En effet, les textes prévoyaient
de la manière la plus expresse qu'une partie des ressources de la caisse
pouvait être affectée au financement de la formation. Il existait
donc une compensation totale ou partielle entre la cotisation des avocats et
les fonds avancés par les caisses. Vous savez que les modifications
intervenues dans l'ordre économique ont provoqué une baisse
considérable des ressources des caisses, et que les chefs des ordres
sont amenés à fixer des priorités qui ne sont pas
forcément celles de la formation. Par conséquent, la cotisation
des avocats contribue pour beaucoup au financement. Je pense que nous devons
parvenir à maîtriser les coûts. C'est l'espoir que nous
avons à travers cette réforme. Voilà ce que je pouvais
vous indiquer sur la formation professionnelle.
M. le Président
- Merci Monsieur le Président.
Je passe maintenant la parole à Monsieur le bâtonnier du Conseil
de l'ordre de Paris.
Me Paul-Albert Iweins
-
Je crois que vous avez la
chance de réfléchir à l'évolution de notre
profession, ce que l'on a assez peu l'occasion de faire. Nous avons
également commencé à le faire au sein de la commission de
prospective de Paris, en partant d'un certain nombre de constats.
Le premier constat est qu'il existe, à l'intérieur du
barreau français, une évolution sensible en faveur de Paris, qui
n'est pas forcément saine. Le barreau de Paris croît plus vite que
l'ensemble du barreau français. Nous sommes 17 000 avocats à
Paris sur un total de 38 000, sachant que le barreau de Paris est celui de
Paris intra-muros. Le second barreau français est celui de Nanterre,
avec 1 700 avocats.
Comment cet écart s'explique-t-il ? Il s'explique notamment par la
formation dispensée par l'école de formation de Paris. Celle-ci
forme la moitié des étudiants français. Elle
bénéficie d'un aspect très attractif, lié notamment
au fait qu'elle fait appel à des cabinets plus ouverts sur le monde que
d'autres centres. On peut donc craindre que l'évolution
générale du barreau consiste à se diriger vers un barreau
d'excellence, le barreau de Paris, qui s'occuperait des affaires
intéressantes, et un barreau de province qui aurait tendance à ne
pas se développer et qui accomplirait de plus en plus de missions au
titre de l'aide juridictionnelle. A Paris, cette aide juridictionnelle se
répartit de manière équilibrée de telle sorte
qu'elle ne représente pas une véritable charge. Il vous
paraîtra paradoxal que ce soit moi qui le dise. Mais
17 000 avocats sont difficiles à gérer avec un Conseil
de l'ordre de 36 membres. Face à ce problème, je crois qu'il faut
véritablement s'intéresser à la création de
pôles régionaux du droit organisés autour des cours d'appel
les plus importantes. Sinon, on risque d'assister à une évolution
totalement déséquilibrée entre le barreau de Paris et les
barreaux de province, qui me paraît assez malsaine.
S'agissant de la formation, vous savez que la profession d'avocat a
été longtemps demanderesse d'une formation commune avec les
magistrats, considérant, sans doute avec une certaine nostalgie, que le
fait d'avoir un pôle commun de formation permettait de cultiver une
culture commune. Or, pendant des années, les magistrats nous ont fait
comprendre, non sans un soupçon de mépris, que leur formation
était une formation d'excellence les amenant à flirter avec
l'Ecole nationale d'administration et qu'ils ne voyaient vraiment pas comment
ils auraient intérêt à mélanger nos formations.
Aujourd'hui, je dois vous dire que je ne suis plus partisan d'un tronc commun
de formation, dans la mesure où l'on s'aperçoit, tout au moins au
niveau du barreau de Paris, que l'activité européenne et
internationale devient une majeure dans l'exercice professionnel. Le barreau de
Paris ne s'est pas développé grâce aux avocats de
proximité qui engagent peu de stagiaires mais plutôt grâce
aux cabinets qui font du droit international, du droit des affaires, du droit
public, toutes les matières que l'on n'apprend pas à l'Ecole
nationale de la magistrature, ce sont eux qui engagent la majorité des
stagiaires.
A l'occasion de cette réflexion sur les barreaux, peut-être
faut-il mener également une réflexion sur la formation des
magistrats qui, à force de se laisser hypnotiser par l'E.N.A, forment
effectivement des administrateurs de droit français de qualité,
mais qui n'ont aucune ouverture à l'international. Pourtant,
l'évolution européenne rend indispensable une ouverture
internationale au cours des formations.
Je n'appelle donc plus de mes voeux une formation commune. Je pense que l'E.N.M
nous demandera un jour d'accueillir les magistrats dans nos écoles
d'avocats, pour leur donner cette ouverture. J'estime également qu'il
est nécessaire de regrouper les centres de formation pour organiser des
centres de qualité. Je crois que la profession ne le fera pas si la
Chancellerie n'envoie pas des signaux forts. On peut faire d'excellents centres
à Marseille, Lille, ou Lyon. Si nous ne le faisons pas, en quelque sorte
autoritairement, nous aurons d'excellents avocats de proximité en
province et un gigantesque barreau de Paris qui traitera toutes les affaires
intéressantes. Je ne suis pas certain que cette évolution soit
souhaitable.
M. le Président
- J'ai une question sur le nombre
d'avocats. Dans toutes les sociétés développées, on
assiste à un développement du droit, de l'accès au droit
et des besoins juridiques. De plus, lorsque l'on compare le nombre de
professionnels du droit en France, en incluant tous les auxiliaires de justice,
la plupart des grands pays développés se situent à des
niveaux bien supérieurs à la France. Pourtant, on a l'impression
que l'accès à la profession devient très difficile pour
les jeunes.
Me Paul-Albert Iweins
- Vous avez raison. Cette situation est
paradoxale. A Paris, depuis trois ans, environ 1 000 stagiaires par
an sont « casés ». Notre pays a véritablement
besoin de juristes. Mais il n'a pas besoin de juristes qui s'occupent
d'accidents de la route, de contentieux bancaire, de droit civil ou de droit de
la famille. Malheureusement, en raison d'une certaine tradition
professionnelle, certains petits barreaux de province n'ont pas compris qu'il
fallait s'intéresser à d'autres matières. Le
développement du droit ne passera évidemment pas par le droit de
la famille ou des accident de la route. Or cela correspond malheureusement
à la pratique de petits barreaux de province qui n'ont pas
réalisé un effort d'ouverture vers d'autres matières comme
l'informatique, les nouvelles technologies, le commerce international, le droit
fiscal ou le droit public. Compte tenu de l'activité très
ralentie enregistrée par les barreaux en charge des divorces ou des
accidents de la route, le marché est vite saturé. Un certain
nombre de barreaux et de centres de formation, qui ont fait ces efforts
d'ouverture sur les nouvelles matières, ont pu se développer. Je
suis certain qu'il existe, dans certains endroits, un véritable
désert juridique. On y traite en effet uniquement des matières
classiques, qui ne correspondent pas aux besoins nouveaux.
Me Jean-René Farthouat
- Nous devons rester
prudents quant aux comparaisons avec d'autres pays. En effet, dans certains
pays, la profession d'avocat recouvre des réalités
différentes de la nôtre. En Allemagne ou en Espagne par exemple,
les juristes d'entreprises sont totalement intégrés aux barreaux,
ce qui aboutit à des modifications assez importantes. Le barreau
français réfléchit à l'intégration de
juristes d'entreprise en son sein. C'est certainement l'un des points sur
lesquels une réflexion sera menée dans les années à
venir, mais il pose beaucoup de difficultés et de questions. Quoi qu'il
en soit, le fait que les juristes d'entreprise ne soient pas
intégrés au barreau, en France, nous invite à rester
prudents lorsque nous réalisons des comparaisons internationales.
Me Paul-Albert Iweins
- Il n'en demeure pas moins que nous
sommes tout à fait d'accord pour considérer qu'il reste du
travail pour les juristes et les avocats, qui sont répartis très
inégalement sur le territoire. Cela montre donc que le
numerus
clausus
serait une erreur.
M. le Président
- On peut évoquer une
expérience simple. La Seine-et-Marne a bénéficié de
la création d'un tribunal administratif. Cela était
justifié : il fallait décharger le tribunal de Versailles et
créer une juridiction à l'Est. Le barreau de Melun,
confronté à cette situation, a rencontré des
difficultés. On ne devient pas d'un seul coup spécialiste en
droit administratif. Pourtant, il y avait une ouverture évidente.
Me Paul-Albert Iweins
- Le droit public est
spécialement pénalisé par l'Université. En effet,
lorsqu'un étudiant envisage de devenir avocat, on lui recommande de
suivre la filière « carrières judiciaires »,
dans laquelle le droit public n'est pas enseigné. Cet étudiant
doit donc faire deux maîtrises, ce qui est absurde. L'Université
possède une conception de la profession qui date des années 1950,
et elle ne semble pas vouloir en changer, les grandes matières qui y
sont enseignées restent le droit civil et le droit pénal.
M. Patrice Gélard
- Les modalités de l'examen
d'entrée aux centres régionaux de formation professionnelle des
avocats expliquent cette situation.
Me Paul-Albert Iweins -
Oui, mais c'est à cause de
l'Université.
M. Patrice Gélard
- Certes, mais vous
siégez à l'Université avec les magistrats.
Me Paul-Albert Iweins
- Oui, nous y siégeons, mais en
temps que membres du jury. Ce n'est pas nous qui organisons les
épreuves. De plus, nous y sommes très minoritaires.
M. Patrice Gélard
- Vous nous avez dit que vous
préparez la réforme de l'examen d'entrée au Centre
régional de formation professionnelle des avocats ? En quoi va
consister cette réforme ?
Me Jean-René Farthouat
- Elle est corrélative
à la réforme de la formation elle-même. Pour l'instant,
pour des raisons budgétaires, nous laissons l'entrée au centre
régional de formation professionnelle au sein de l'Université. En
effet, cette dernière refuse de continuer à participer si
l'examen d'entrée n'est pas organisé en son sein. Or nous avons
besoin de son concours et elle ne souhaite pas que nous prenions en charge
l'examen d'entrée au centre de formation, arguant que cela nous
coûtera 12 millions de francs. Nous recherchons donc sur des
solutions moins onéreuses.
M. Patrice Gélard
- Mais la nature des
épreuves est complètement absurde dans l'arrêté
actuel.
Me Jean-René Farthouat
- Oui, mais nous sommes en train
de réfléchir à une modification des modalités.
M. Patrice Gélard
- Un système beaucoup
plus égalitaire que le système actuel est souhaitable. Le
système actuel prévoit que certains ont deux épreuves
à passer, d'autres huit, ce qui est très inégalitaire.
Me Paul-Albert Iweins
- Oui. De plus, les docteurs en droit
sont dispensés de l'examen. Or la qualité de leur travail n'est
pas toujours bonne.
M. Patrice Gélard
- Certains docteurs en droit ont
un bon niveau.
Me Paul-Albert Iweins
- Cela dépend de l'origine de
leur doctorat.
Me Jean-René Farthouat
- Oui, ils sont très peu
nombreux. Mais le niveau d'un certain nombre de docteurs en droit est assez
surprenant.
M. Patrice Gélard
- Quand la réforme de
l'examen d'entrée aux centres régionaux de formation
professionnelle aux interviendrait-elle ?
Me Jean-René Farthouat
- Nous espérons qu'elle
puisse être mise en oeuvre au 1er janvier 2004. Cela implique que les
textes soient adoptés d'ici à la fin de l'année, ou tout
au moins au début de l'année prochaine, pour que les centres
puissent se transformer et devenir opérationnels pour lancer l'ensemble
de la réforme au 1
er
janvier 2004.
M. Patrice Gélard
- Vous avez tout de même
moins bien réussi que les notaires. Les notaires ont par exemple
créé un diplôme d'études supérieures
spécialisées (DESS) de droit notarial. J'étais assez
partisan d'un diplôme d'études supérieures
spécialisées d'avocat. Mais c'est à la profession de
décider. Je pense que l'Université n'a pas tout à fait sa
place dans cette affaire, d'autant plus qu'il n'y a pas, dans les Instituts
d'études judiciaires, de spécialistes de droit européen,
de droit administratif ou de droit économique. Les Instituts
d'études judiciaires comptent surtout des spécialistes de
procédure et des pénalistes.
M. le Président -
Je passe maintenant la parole à M.
Michel Bénichou, ancien Président de la Conférence des
bâtonniers.
Me Michel Bénichou
- Le premier constat porte sur le
nombre d'avocats. On a assisté à une forte augmentation de ce
nombre dans des délais extrêmement courts : il est ainsi
passé de 29 696 en 1992 à 39 282 en 2002. Ces chiffres
viennent du Conseil national des barreaux de France, notre organisme de
retraite. 1 000 avocats sont donc entrés au barreau chaque
année. Par conséquent, la profession d'avocat se rajeunit. On
observe également un phénomène de forte
féminisation chez les plus jeunes. Le barreau de Paris est
déjà composé de 53 % de femmes et de 47 %
d'hommes. Cette profession jeune et plutôt féminisée devra
s'adapter à deux contraintes :
- la demande des usagers du droit (terme plus large que les justiciables,
puisqu'ils recouvrent la demande de conseil et la demande de
justice) ;
- une contrainte d'ordre économique.
Au sujet de la première de ces deux contraintes, je ne reviendrai pas
sur la question de la formation. C'est le Conseil national des barreaux qui est
compétent, et la réforme qu'il souhaite lancer suscite
l'adhésion de l'ensemble des barreaux. L'examen d'entrée doit
permettre à trois filières correspondant aux besoins d'entrer
dans la profession : une filière spécialisée en droit
public, une filière spécialisée en droit de l'entreprise
et une filière spécialisée en droit judiciaire
privé. On peut organiser un examen unique, avec un écrit
plutôt général portant par exemple sur le contrat et les
obligations. En plus de cette épreuve, des options permettraient
d'adapter l'examen à la filière initiale. Par ailleurs, les
examens ne doivent pas être purement universitaires. Ils doivent
permettre de déterminer également l'aptitude de l'étudiant
à devenir avocat.
Sur le sujet de la formation permanente obligatoire, la conférence
rejoint également l'avis du Conseil national des barreaux. Nous
souhaitons que soit mise en place une formation permanente obligatoire pour les
avocats, pas seulement pour les spécialistes mais aussi pour les
généralistes. C'est une évolution importante par rapport
aux autres professions libérales que de mettre en place une formation
permanente obligatoire nécessairement sanctionnée. C'est
également une question d'adaptation aux besoins des usagers.
On peut également mentionner l'adaptation aux critères de
qualité. La qualité ne tient pas seulement à la formation
mais aussi à plusieurs autres éléments, en particulier
l'organisation des cabinets. Il s'agit, par rapport à un certain
nombre de demandes d'entreprises, de s'orienter vers la certification des
cabinets et vers la recherche de qualité. Sur cette question de
l'évaluation de la qualité, il convient de noter un
problème concernant l'avocat traditionnel dans le secteur judiciaire (je
ne parle pas de l'avocat conseil en droit de l'entreprise) : il n'existe
pas d'évaluation de la qualité dans le cadre judiciaire. On
en parle, mais cette évaluation n'existe pas.
Quant à l'organisation des audiences, elle demeure totalement
archaïque. Tous les participants, justiciables et conseils, sont
convoqués à 14 heures et doivent attendre jusqu'à la fin
de l'audience, à des heures parfois très tardives. Il est
difficile de s'adapter à la modernité lorsqu'on ne peut
être présent dans un cabinet pour conseiller quelqu'un, puisqu'on
est bloqué à l'audience.
Me Paul-Albert Iweins -
C'est un problème. Que fait-on
des honoraires facturables ?
Me Michel Bénichou
- Un autre problème se pose
concernant les usagers du droit. Il s'agit de la question des contours de la
profession. Nous avons déjà mentionné le problème
des juristes d'entreprises, mais il nous faudra aborder un jour
l'interprofessionalité. Aujourd'hui, les entreprises souhaitent
bénéficier de plusieurs conseils qui peuvent être des
avocats, un conseil en droit social, en droit fiscal, un conseil
d'organisation, mais aussi un conseil d'autres professions. L'entreprise veut
traiter avec un seul cabinet, qui comprendra éventuellement, dans une
société interprofessionnelle, des notaires.
Par ailleurs, l'avocat doit proposer l'ensemble des solutions existantes
à son client. Cela peut être une solution de conseil judiciaire,
mais aussi des modes alternatifs de règlements des conflits. Si l'avocat
ne propose pas ces modes alternatifs de règlement des conflits, on
recherchera éventuellement un jour sa responsabilité. On pourra
lui reprocher d'avoir engagé une instance lourde, pour une durée
inconnue, ce qui pose un vrai problème, alors qu'avec la
médiation, des solutions amiables auraient pu être
trouvées. C'est particulièrement le cas dans des situations de
conflit durable et dans toutes les situations dans lesquelles les relations
perdurent après l'issue du conflit.
Le deuxième problème pour les avocats consiste à s'adapter
aux contraintes économiques. Il est difficile de constituer des
structures de cabinets d'avocats viables et suffisamment importantes pour
s'imposer à l'échelle internationale, qui nécessite des
structures conséquentes. Cela pose un problème de
mentalité, mais aussi un problème lié aux structures
d'exercice et à la fiscalité. Aujourd'hui, dans le cadre des
sociétés civiles professionnelles (SCP), il n'est pas possible de
créer des provisions pour envisager des investissements. La
comptabilité se résume à recettes /
dépenses et tout ce qui n'a pas été
dépensé est imposé. Cela pose une vraie difficulté.
M. le Président
- Mais n'avons-nous pas permis des
évolutions ?
Me Jean-René Farthouat
- Oui, des évolutions se
sont produites, dans la mesure où vous avez créé des types
de sociétés complémentaires, les sociétés en
participation, et ouvert la possibilité de holdings.
Me Michel Bénichou
- Oui, mais ces structures se
développent peu et méritent d'être encore
améliorées. C'est aussi une question de mentalités.
Me Jean-René Farthouat
- Par ailleurs, le passage de
l'une à l'autre est très difficile.
M. Patrice Gélard
- Ce passage est très
difficile en raison de la patrimonialité que nous évoquions
précédemment.
Me Michel Bénichou
- Il se pose également un
problème concernant la fiscalité. Je souhaite ardemment que les
restaurateurs puissent appliquer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
à 5,5 %, mais je me demande si la question de l'accès au
droit n'est pas aussi importante. Il s'agit d'une question fondamentale pour
les citoyens, comme l'a montré un sondage. Il est vrai qu'une TVA
à 19,6 % est un frein, d'autant plus pour certaines
catégories, comme les salariés. Un salarié paye les
honoraires et la TVA, alors que son adversaire employeur, dans un même
procès, inclut la TVA dans son entreprise et la récupère,
et inclut les honoraires de l'avocat dans ses charges. Cela signifie que le
salarié paye une TVA à 19,6 % et n'a pas la
possibilité de déduire les honoraires, alors que l'employeur
déduit la TVA et récupère les charges. Le salarié
peut donc ressentir un sentiment de frustration.
Enfin, l'avocat est indépendant, notamment sur le plan éthique,
du fait du secret professionnel. C'est ce qui fait le passé et l'avenir
de la profession d'avocat.
M. le Président
- C'est pourquoi les juristes
d'entreprises me posent un vrai problème.
Me Michel Bénichou
- C'est une vraie difficulté,
du fait du lien de subordination avec l'employeur. Il existe également
un problème lié à la dépendance économique.
M. le Président
- Le problème de la
dépendance économique me dérange moins. On pourrait dans
ce cas dire que le magistrat est dépendant de l'Etat, même s'il
est vrai qu'il a un statut.
Me Jean-René Farthouat
- Cela nous pose de nombreux
problèmes, Monsieur le sénateur.
Me Paul-Albert Iweins
- Sur le problème des structures,
les propos du Président Bénichou sont tout à fait
exacts : il s'agit de l'un des vrais défis auxquels la profession
se trouve confrontée. Nous avons été incapables de
créer une structure de développement de la profession d'avocat,
comparable par exemple à la
partnership
anglo-saxonne qui
fonctionne remarquablement bien.
Au contraire, on a juxtaposé de nombreux statuts différents
-à la demande de la profession- qui finissent par constituer un maquis
juridique absolument invraisemblable. Tous les mardi matin, au Conseil de
l'ordre, nous sommes amenés à réfléchir sur les
structures que nous proposent nos confrères. Or on aboutit parfois
à des situations juridiquement inextricables, totalement illisibles. Or
si la situation est illisible pour le Conseil de l'ordre, elle l'est d'autant
plus pour le client. Nous nous dirigeons actuellement vers des
difficultés majeures à ce sujet. C'est la raison pour laquelle
nous vous ferons des propositions de rationalisation lorsque vous serez
amenés à examiner la loi sur la transposition de la directive
« établissement ». C'est la société
civile professionnelle (SCP) qui exerce la profession et non ses membres. Vous
savez par exemple qu'elle doit se constituer mais que cela n'est pas valable
lorsqu'ils s'agit d'un membre de la SCP. Pour l'association, c'est l'inverse.
Certains savent très bien utiliser ces règles complexes. Des
partnerships anglais exercent actuellement la profession. Il est très
difficile pour nous de nous y retrouver. Vous devrez être très
attentifs à ce problème lorsque nous vous soumettrons des
propositions de rationalisation.
Il me semble que c'est l'association qui doit être encouragée,
puisque cette méthode est celle qui fonctionne le mieux ailleurs.
L'avantage tient à l'absence de véritable patrimonialité.
En effet, l'une des difficultés dans l'évolution de la profession
tient au fait que certains très gros cabinets français ne
parviennent pas à perdurer, comme les partnerships anglaises. Certains
confrères n'arrivent pas à revendre leur clientèle.
Celle-ci est en effet valorisée à un prix qu'eux
considèrent normal et que leurs jeunes associés
considèrent comme excessif. Ils se maintiennent donc souvent
jusqu'à un âge avancé. Dès qu'un cabinet atteint une
taille internationale, on assiste souvent à des éclatements qui
ont pour cause l'impossibilité économique de passer la main.
Vous connaissez le système anglo-saxon : en l'absence de
patrimonialité, on assure une retraite à l'associé qui se
retire. Il s'agit de permettre aux structures de financer le départ en
retraite des associés les plus anciens, et de faire en sorte que les
nouveaux arrivés n'aient pas à entrer dans le capital pour se
développer. Les anciens partent plus facilement car ils savent que leur
retraite est assurée. Je pense que c'est un très bon
mécanisme d'intégration des jeunes, qui a donné un
caractère très performant aux
partnerships
anglo-saxonnes.
Il existe également, dans les pays anglo-saxons, un système
baptisé le
lockstep
, selon lequel l'avocat est payé
à l'ancienneté. On peut considérer un tel système
comme effrayant. En réalité, la rémunération de
l'avocat dépend aussi du chiffre d'affaires qu'il développe,
même si une grande partie de sa rémunération augmente avec
l'ancienneté. Mais à l'âge de cinquante ans, sa
rémunération est bloquée. L'avocat a alors atteint un
niveau de rémunération que bien des chefs d'entreprise
souhaiteraient avoir atteint également. Ce système signifie
surtout que, passé 50 ans, un avocat n'a plus intérêt
à travailler d'arrache-pied pour gagner plus, ce qui le conduit
naturellement à faire travailler les jeunes associés et à
passer la main, avec une retraite confortable financée par la structure.
Me Jean-René Farthouat
- Tout n'est cependant pas
parfait dans les systèmes anglo-saxons. Il existe aussi la clause de
garden leave
, qui consiste à conserver leur portefeuille aux
personnes qui souhaitent partir, sans les laisser faire autre chose. Ce n'est
pas nécessairement une bonne disposition.
M. Patrice Gélard
- Les collectivités
territoriales sont confrontées à des difficultés
croissantes pour trouver des juristes. Lorsqu'ils sont recrutés, ils
sont mal rémunérés et quittent très vite la
structure. Des collectivités de plus en plus nombreuses traitent
directement par contrat avec un cabinet d'avocat. Je ne suis pas certain qu'il
s'agisse d'une bonne solution pour l'avenir. Mais nos préoccupations
doivent absolument intégrer le problème des juristes des
collectivités territoriales. Les formules sont variables. Le conseil
général utilise les services d'un cabinet d'avocats, les grandes
municipalités ont leurs juristes, mais on ne les fait pas travailler.
Les juristes des collectivités souffrent également d'un manque de
liens avec la profession d'avocat. Ce problème devra être
résolu.
Par ailleurs, vous avez évoqué la formation commune. Celle-ci est
répandue dans un grand nombre de pays, notamment en Allemagne et au
Japon. Je trouve pour ma part que l'entrée à l'Ecole nationale de
la magistrature intervient beaucoup trop tôt dans la formation. Les
étudiants qui s'y présentent sont demeurés dans l'
alma
mater
juridique, sans ouverture sur l'extérieur. Je regrette
l'ancien système, dans lequel le recrutement intervenait après
trois ans d'exercice de la profession d'avocat. L'Ecole nationale de la
magistrature s'apparente parfois à une sorte de secte, ce qui me
gène beaucoup. En outre, elle méconnaît le monde
environnant.
En outre, les études de droit vont être modifiées, au cours
des deux années à venir, pour s'adapter au système des
3/5/8 ans. Les diplômes d'études approfondies (DEA) et les DESS
vont disparaître. La cinquième année deviendra le
mastère, qui devrait être assez largement spécialisé
et professionnalisé. Je pense donc que les avocats doivent intervenir en
partenariat direct avec l'université dans l'élaboration des
programmes des mastères, dont certains doivent comporter un stage d'au
moins six mois. N'oublions pas non plus que le système 3/5/8 doit
prévoir au moins un semestre à l'étranger, ce qui posera
des problèmes de logistique considérables. Sciences Po est
déjà engagé dans ce système et la plupart des
facultés de droit ont commencé leur réforme à ce
sujet. Je crains cependant qu'elles ne l'aient fait sans partenariat avec la
profession d'avocat. Or la réforme de l'accès à la
profession est liée aussi à la réforme des études
juridiques en cours. Il s'agit d'un élément très
important. Un nouveau système, identique au système allemand, se
met en place. Ce système donne satisfaction en Allemagne. Nous devrions
donc parvenir à un résultat comparable en matière de
formation. Cela risque de remettre en cause vos orientations pour
l'accès aux centres régionaux de formation professionnelle des
avocats.
M. le Président -
Je souhaite revenir sur le sujet des modes
alternatifs de règlement des conflits. Quelle est l'opinion de la
profession à ce sujet ? J'aimerais également revenir sur un
sujet que nous avons abordé lorsque nous évoquions l'organisation
des audiences. Quelle est la place d'avocat aujourd'hui au sein de
l'organisation judiciaire ? Quels sont les principaux obstacles à
l'exercice de votre profession ? Ces questions posent le problème de la
carte judiciaire et du besoin de justice de proximité. Si des tribunaux
d'instance sont créés en de trop nombreux endroits, les avocats
ne pourront pas faire face et courir d'une juridiction à l'autre.
Pourtant, il existe un besoin de proximité. Notre carte judiciaire
est-elle adaptée à l'époque ?
Me Paul-Albert Iweins -
Je suis extrêmement
réservé à l'égard de ce que j'entends souvent dire
à propos de la justice de proximité. Je considère en effet
que juger est un métier. Il existe, dans le processus
d'élaboration de la décision, une culture qui ne s'improvise pas.
Nous connaissons tous des exemples de personnes qui ont « joué
au juge » et qui ont fait n'importe quoi. Le respect du
contradictoire, le fait de demander les pièces ou encore la
déontologie sont des éléments qui ne viennent pas
nécessairement à l'esprit d'un gendarme en retraite ou d'un
notable, quelle que soit leur qualité. L'un de mes amis a
été confronté à un délégué du
procureur, auprès duquel il m'avait demandé de faire des
démarches. Ce délégué m'a entendu, m'a
déclaré qu'il m'avait bien compris et que la partie adverse
n'allait pas s'en tirer ainsi... c'est évidemment anormal ! La
situation risque d'être identique avec les juges de proximité. La
justice est une affaire suffisamment sérieuse pour qu'on ne la confie
pas à des amateurs. Le problème de la justice de proximité
ne doit pas être résolu en augmentant le nombre de tribunaux.
M. le Président
- Oui, je crois qu'il est
nécessaire de le préciser.
Me Jean-René Farthouat
- Il est nécessaire, au
contraire, de rationaliser l'organisation judiciaire. Les justiciables peuvent
avoir besoin du greffe. On peut donc maintenir à certains endroits des
greffes sans maintenir nécessairement un tribunal. Une
réflexion très large doit être menée sur la carte
judiciaire. Ce qui inquiète la profession, s'agissant de la justice de
proximité comme de la médiation ou de la conciliation, c'est que
ces procédures sont conçues totalement en dehors d'elle. La
profession est tout à fait favorable à la médiation et
à la conciliation lorsqu'elles peuvent s'organiser d'une manière
rationnelle. Toutes les maisons de justice et du droit se créent sans
nous.
M. Patrice Gélard
- Ce n'est pas le cas chez nous.
Me Jean-René Farthouat
- Je peux vous affirmer que la
plupart sont conçues sans nous, notamment à Paris. Un avocat s'y
raccroche parfois, mais sans avoir participé à leur
création. Mes confrères craignent que la déjudiciarisation
ne tende, en réalité, à supprimer leur rôle. Nous
serons favorables à des modes alternatifs de règlements des
conflits dans lesquels nous aurons toute notre place, à condition
cependant qu'ils présentent des garanties. Les personnes qui les
exerceront devront par exemple en avoir les compétences. Certains
délégués du procureur ou conciliateurs nous posent parfois
des problèmes, compte tenu de leur origine. Nous savons parfaitement que
nous pouvons refuser la médication ou la conciliation proposée
par un magistrat, mais il est difficile de dire non. En outre, on sait que ces
procédures ne donnent pas toujours de très bons résultats.
Me Michel Bénichou
- Ma position à propos des
modes alternatifs de règlement des conflits est différente de la
vôtre. Je pense pour ma part qu'ils peuvent constituer une
véritable solution. Néanmoins, ceux qui pensent que les modes
alternatifs de règlement des conflits auront pour rôle de
gérer les flux judiciaires, se trompent. Ces modes alternatifs existent
pour offrir, de façon complémentaire, une méthode
différence de traitement d'un conflit ou d'un litige. Il ne s'agit pas
de suppléer la juridiction.
Aussi bien en matière pénale qu'en matière civile, les
vraies difficultés se situent au niveau des garanties
procédurales. En matière pénale, on se trouve dans des
situations parfois étonnantes.
M. le Président
- S'agit-il notamment des
délégués du procureur ?
Me Michel Bénichou
- Il s'agit des
délégués des procureurs ou des médiateurs en
matière pénale. Un arrêté exclut d'ailleurs tous
ceux qui sont en exercice dans les juridictions. Je connais notamment l'exemple
d'un ancien gendarme nommé délégué du procureur. En
l'absence de maison de justice et du droit, il convoquait les parties à
la gendarmerie, ce qui créé un climat particulier ! Je peux
également vous citer l'exemple d'un cas où la victime ne s'est
pas présentée. Or l'auteur de l'infraction ayant reconnu les
faits, il fallait le condamner : on l'a donc condamné à
verser une somme à une association caritative. Ces situations ne peuvent
perdurer. Des garanties procédurales doivent exister.
J'émettrai une seconde réserve. Le rôle de médiateur
n'est pas une profession, mais une fonction. Certains veulent en faire une
profession et ajouter ainsi un intermédiaire supplémentaire,
alors que ceux-ci sont déjà très nombreux dans notre
système judiciaire. Le rôle de médiateur étant une
fonction, le médiateur doit exercer un autre métier.
Si l'on crée une profession de médiateur, les juges seront
contraints de faire vivre économiquement ce métier.
Me Jean-René Farthouat
- Michel Bénichou a
dû mal me comprendre, car je partage son avis à propos de tout ce
qu'il vient de dire. Nos analyses ne sont pas divergentes.
M. le Président
- Que pensez-vous de l'extension de la
possibilité de recours aux clauses compromissoires ?
Me Jean-René Farthouat
- Vous avez étendu
l'arbitrage en l'ouvrant à la matière civile, mais il reste
très onéreux.
M. le Président
- Oui, mais cela dépend de la
nature des affaires. L'arbitrage peut être moins onéreux si les
litiges ou la complexité juridique sont moins importantes.
Me Jean-René Farthouat
- A titre personnel, je ne suis
pas favorable à un développement trop important d'une justice
privée et à l'abandon par l'Etat d'une fonction régalienne
fondamentale. Je ne crois pas au développement de l'arbitrage en
matière de droit personnel privé.
Me Michel Bénichou
- A titre d'exemple, nous avons
créé en 1994 une chambre d'arbitrage en Rhône-Alpes, qui
rassemble des avocats, des professeurs de droit et des magistrats honoraires,
entre autres. Nous avons beaucoup communiqué à ce sujet, en
travaillant notamment avec la Chambre de Commerce et d'Industrie et les
Chambres des métiers. Cependant, cette chambre n'a eu que deux affaires
à traiter !
Me Paul-Albert Iweins
- Cependant, Paris reste une place
incontournable de l'arbitrage international et doit le rester. Plus
généralement, nous devons prendre garde à la
prolifération non maîtrisée des associations.
Nous avons tous à l'esprit la nécessité de mieux former
les professionnels et d'assurer aux clients la compétence et la
qualité. La profession d'avocat s'est engagée dans la formation
continue. Le principe d'une sanction de cette formation étant
accepté par tous, il reste à déterminer ce que sera cette
sanction. La société dans son ensemble s'oriente dans une
démarche de qualité et de professionnalisation.
Paradoxalement, on constate que l'on fait très souvent appel aux
associations en matière d'accès au droit et de
« para-justice ». Lorsque je me suis rendu, il y a quelques
semaines, au Conseil départemental de l'accès au droit (CDAD) de
Paris, je me suis senti en minorité et tout juste toléré.
Les avocats ne doivent certes pas batailler pour défendre un monopole du
droit. Cependant, il ne s'agit plus aujourd'hui pour eux de défendre un
monopole, mais de défendre leur place. Dans les maisons de justice et de
droit, nous sommes tolérés. Par exemple, dans celle de Paris, il
était question de créer une nouvelle permanence
rémunérée. Une association avait réalisé une
étude de fonctionnement. Or les permanences des associations seraient
rémunérées 300 francs et celles des avocats 350 francs.
Lorsque j'ai émis un signe de protestation, on a considéré
comme scandaleux que je mette en cause le différentiel. Certes, je
reconnais, comme Maître Bénichou, que les associations
réalisent un bon travail. Mais j'estime que nous devons veiller à
ce qu'elles n'occupent pas toute la place. Les membres des associations ne sont
pas des professionnels. Ce sont des personnes de la société
civile qui s'attachent, comme elles le disent elles-mêmes, à
retisser le lien social. Cette implication des citoyens dans la justice est
très positive. Mais ces citoyens ne doivent pas prendre la place des
professionnels, s'imposer et créer une économie
particulière du domaine associatif qui supplée la justice. De
tels mécanismes seraient hautement critiquables.
Me Michel Bénichou
- Cinquante centres de
médiation ont été créés. Il s'agit de
centres pluridisciplinaires, qui rassemblent notamment des avocats et des
notaires. Or les magistrats préfèrent désigner des
associations comme médiateurs, en raison de leur moindre coût. En
réalité, le coût est double. Il convient en effet de
prendre en compte le coût direct, mais aussi le coût indirect pour
la société (subventions, logos gratuits). La somme de ces deux
coûts atteint des montants bien supérieurs. Mais il est vrai que
les associations jouissent d'une image extrêmement favorable dans notre
pays.
M. le Président
- On rencontre toujours la même
difficulté à propos des personnes qui fournissent des conseils
juridiques. En l'absence de garanties, les résultats peuvent être
catastrophiques.
Me Paul-Albert Iweins
- Le barreau de Paris réalise
actuellement la formation du personnel d'accueil des restaurants du coeur. Ces
personnes sont formées au discours qu'elles doivent tenir aux exclus.
Les formateurs étaient sidérés des réactions des
membres de cette association. Ils conseillaient par exemple aux personnes
expulsées de leur logement de partir, ignorant ainsi la
possibilité des recours !
Je peux citer un autre exemple. Au sein de la Commission des
réfugiés, le Président Massot s'est plaint des renvois
demandés par les avocats. Nos confrères ont répondu qu'ils
rencontraient souvent des personnes qui s'étaient adressées
à des associations et avaient été très mal
conseillées. En effet, les dossiers de ces personnes sont
extrêmement mal réalisés et ne tiennent pas compte des
évolutions de la législation. Les avocats sont donc contraints de
demander des renvois, le travail préparatoire ayant été
mal fait.
Il est tout à fait positif d'impliquer les citoyens. Mais pour ma part,
je les impliquerais plutôt par l'échevinage. Je suis tout à
fait favorable à la présence de jurés de cour d'assises,
en correctionnelle, voire au tribunal de police. Cette participation
impliquerait les citoyens et leur permettrait de rendre compte du
fonctionnement de la justice. Mais il convient de rester très prudent
lorsque l'on donne des conseils !
Audition de Mmes Lucille GRASSET,
vice-présidente du
tribunal de grande instance d'Evry, juge aux affaires familiales,
et
Catherine BRETAGNE,
juge aux affaires familiales au tribunal de grande
instance d'Evry
(30 mai
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Je suis
particulièrement content de votre venue. Dans le cadre de notre mission
sur l'évolution des métiers de la justice, nous avions
reçu Madame Martine de Maximy, vice-présidente de l'Association
des magistrats de la jeunesse et de la famille, mais nous n'avions pas encore
entendu de représentants des juges aux affaires familiales. Compte tenu
de l'importance du contentieux familial et des difficultés que vous
rencontrez peut-être avec les autres juridictions
spécialisées, cela me semblait indispensable.
Je propose que vous nous présentiez, dans un premier temps, vos
fonctions et les problèmes spécifiques que vous rencontrez. Vous
pourriez ensuite aborder la question de vos relations avec les juges des
enfants ainsi qu'avec les greffes et les auxiliaires de justice.
Mme Lucille Grasset
- Je suis juge aux affaires familiales
à Evry. Nous sommes six magistrats avec un mi-temps. Comme vous
l'avez souligné, le contentieux familial est très important.
L'activité des affaires familiales représente pour nous la
moitié du contentieux civil. C'est donc une juridiction très
importante. Concrètement, cela représente pour chacun d'entre
nous près de cent décisions rendues par mois, tant des jugements
de divorce que des ordonnances.
Il me semble utile de rappeler les différentes compétences d'un
juge aux affaires familiales.
Le juge aux affaires familiales est compétent en matière de
divorce. Nous pouvons distinguer deux procédures : le divorce pour
faute et le divorce par consentement mutuel. Des réformes sont en cours
pour supprimer la notion de faute. Ceci n'est pas, à mon avis, une bonne
idée. J'ai pu constater que les gens ont souvent besoin d'une bataille
juridique.
M. le Président
- Des débats importants ont eu
lieu à ce sujet. Le texte a été présenté
à l'Assemblée nationale ainsi qu'au Sénat. La position du
Sénat diffère sensiblement de celle de l'Assemblée.
Mme Lucille Grasset
- Ma position reflète
peut-être une conception classique du divorce, mais je pense que
certaines personnes ont besoin d'une bataille juridique. Cette bataille, en se
terminant plus ou moins bien, marque indéniablement une étape.
Le divorce par consentement mutuel est une procédure plus rapide.
La possibilité qu'il n'y ait qu'un seul avocat me paraît
dangereuse. Si les personnes concernées n'ont pas de patrimoine, cette
situation ne pose pas de problème particulier. En revanche, si le
patrimoine du couple est important ou si les intérêts des deux
parties divergent sur la garde des enfants, l'expérience montre que
l'époux ou l'épouse sans avocat se retrouve en position de
faiblesse.
Le juge aux affaires familiales est également compétent pour
toutes les mesures d'après divorce. Ces mesures concernent les
modifications de la situation des enfants, par exemple le lieu de
résidence ou la modification de pension.
Le contentieux lié aux enfants naturels fait aussi partie des
compétences du juge aux affaires familiales. Il concerne la situation
des enfants en cas de séparation des parents vivant en concubinage. Ces
conflits sont souvent plus difficiles qu'avec les parents divorcés. Il
n'y a pas l'étape de la bataille juridique que représente le
divorce. Pour autant, la séparation n'en est pas moins compliquée
humainement.
Le juge aux affaires familiales est également compétent pour les
conflits d'autorité parentale. Ce contentieux est relativement marginal.
Le problème de l'hébergement et du droit de visite des
grands-parents ou d'autres personnes constitue, en revanche, un contentieux en
augmentation. De plus en plus de grands-parents témoignent de leur
difficulté à voir leurs petits-enfants. Pour y remédier,
ils ont recours à une procédure judiciaire.
Les compétences du juge aux affaires familiales comprennent aussi :
- les recours de la direction de l'intervention sociale pour les
obligations alimentaires des enfants ou petits-enfants ;
- les personnes âgées placées dans des
établissements ;
- les pensions alimentaires des ascendants-descendants,
c'est-à-dire des enfants vis-à-vis de leurs parents et
inversement.
Enfin et depuis peu, le contentieux de la révision de la prestation
compensatoire fait aussi partie de nos compétences. Contre toute
attente, nous n'avons eu que trois demandes de ce type depuis la promulgation
de la loi. C'est un contentieux très marginal.
Je vais maintenant aborder les diverses difficultés engendrées
par l'application des nouvelles lois.
La loi sur la prestation compensatoire contient de bonnes idées mais se
révèle difficile d'application. Le voeu du législateur
était de faire de la prestation compensatoire un capital et de rendre la
rente marginale. Cette solution est idéale pour les personnes
aisées. Néanmoins, dans plus de trois quarts des cas
rencontrés, les personnes concernées n'ont pas de patrimoine
important. Une des deux personnes gagne plus que l'autre. La rente
étalée sur quelques années répondait
idéalement au problème. Avec la nouvelle loi, nous nous
inscrivons sur huit ans, et la rente viagère n'est plus possible, sauf
cas exceptionnels. Dans la pratique, cela nous pose beaucoup de
difficultés. Il faut en outre prendre en compte le problème
fiscal.
Fiscalement, les incidences sont différentes selon que le capital est
versé en une fois ou en plusieurs fois. Ce détail est souvent
négligé ou mal compris par les avocats. Notre rôle n'est
pas de conseiller. Face à l'incompréhension des gens, nous devons
néanmoins rappeler les diverses possibilités qu'offre la loi.
Les nouvelles dispositions relatives à l'attestation sur l'honneur
prévues par la nouvelle loi nous posent aussi quelques
difficultés. Aucune sanction réelle n'est prévue. Aussi
les personnes continuent-elles de dire ce qu'elles veulent. Dans le cas d'un
divorce pour faute, les gens avouent qu'ils vivent avec quelqu'un d'autre,
sachant qu'ils n'encourent aucune sanction. Cet aspect n'est pas
envisagé par la loi. Or, le débat dans un divorce pour faute
porte précisément sur le point de savoir qui est en faute. Aussi
doit-on en revenir aux méthodes antérieures à la loi. Nous
nous basons sur des pièces objectives telles que la déclaration
d'impôt sur le revenu. Nous tenons compte de la déclaration sur
l'honneur si nous l'avons dans le dossier. Nous pouvons nous en passer si nous
avons tous les autres éléments.
La nouvelle loi comprend aussi des éléments positifs sur
l'abandon de la propriété d'un bien, la prestation compensatoire,
l'usufruit, etc. Dans la pratique, ces procédures imposent la
liquidation de la communauté. Prenons l'exemple d'un transfert de
propriété d'un bien par jugement. Certains documents comme l'acte
de propriété ou l'état hypothécaire sont
indispensables. Cela est extrêmement difficile à faire. Pour ma
part, je ne l'ai fait qu'une fois pour un emplacement de parking car j'avais
toutes les pièces dans le dossier. Pour un bien immobilier important en
copropriété, les pièces nécessaires au dossier sont
plus nombreuses.
M. le Président
- Ces différentes
démarches et pièces à fournir peuvent être
assimilées au travail du notaire.
Mme Lucille Grasset
- Exactement. Les avocats, eux, n'y sont
pas habitués. Sans ces pièces, un jugement ne peut être
publié.
La loi récente sur l'autorité parentale incitant à
recourir à la médiation pose aussi des problèmes. Bien que
souhaitable, la pratique de la médiation suscite de la méfiance.
Les mentalités doivent encore évoluer. Les personnes
concernées y vont à reculons. Nous ne pouvons, en outre, ignorer
l'aspect financier de la médiation. Le coût est en effet
important. Des associations doivent être présentes dans chaque
tribunal. La médiation peut aussi entraîner quelques complications
en termes de gestion. Nous devons ainsi prévoir de revoir les personnes
plusieurs fois après la médiation, si cela s'avère
nécessaire, gérer les dossiers et envisager éventuellement
d'autres mesures, par exemple une enquête sociale, en cas d'échec.
Comme vous l'avez indiqué, les relations avec les autres acteurs
judiciaires soulèvent des difficultés.
Nous sommes en interférence pour certaines affaires avec les juges des
enfants ou le parquet des mineurs. Nous ne sommes pas censés avoir
connaissance des dossiers du juge des enfants. De telles passerelles entre
juges n'existent pas à l'heure actuelle d'un point de vue juridique.
Dans la pratique, il nous arrive de rencontrer nos collègues et de
discuter avec eux d'un dossier. Nous nous efforçons de ne pas ordonner
de mesure d'enquête s'il y a déjà un suivi ou un rapport
rédigé par le juge des enfants. Cette collaboration ne se fait
que de manière empirique, et seulement avec l'accord des avocats. Ces
derniers sont en général favorables à une telle
collaboration car cela peut les aider à trouver une solution pour les
dossiers difficiles.
A Evry, nous essayons de travailler en relation avec le parquet des mineurs
pour tout ce qui concerne la non-représentation d'enfant ainsi que le
non-paiement des pensions alimentaires. Le juge aux affaires familiales rend
une décision, mais il n'est pas chargé de son exécution.
Subsistent tous les problèmes d'exécution
a posteriori
,
avec les personnes qui portent plainte pour non représentation des
enfants ou non-paiement de la pension. A Evry, le parquet a
décidé d'essayer de voir les personnes et de les inciter à
recourir à la médiation. Dans le cas de non-paiement de pension,
nous nous efforçons, dans la mesure du possible, de leur expliquer
qu'ils doivent payer pour éviter que le dossier n'arrive en
correctionnelle, issue qui n'est évidemment pas souhaitable. Cette
collaboration, en aucun cas obligatoire, fonctionne s'il existe de bonnes
relations entre collègues.
Je souhaite souligner un autre aspect, plus pointu, sur la procédure. En
matière de mesures d'après divorce, les personnes n'ont pas
besoin d'avocat. La procédure se fait par requête
déposée auprès du tribunal. Nous rendons ensuite une
ordonnance. En revanche, la procédure du droit de visite et
d'hébergement des grands-parents se fait par assignation devant le juge
aux affaires familiales. Les parties doivent être impérativement
assistés d'un avocat dans leur démarche. Nous rendons dans ce
type d'affaire un jugement. Les délais d'appel suite à une
ordonnance ou un jugement ne sont pas les mêmes. Il me paraît
curieux que, dans un cas, nous devions rendre une ordonnance et, dans l'autre,
un jugement. Pour ce contentieux, la loi a transféré les
compétences du tribunal d'instance au tribunal de grande instance. Par
contre, aucune mesure n'a été prise pour unifier la
procédure.
En guise de conclusion, je souhaiterais rappeler que le contentieux des
affaires familiales est un contentieux de masse. Notre principale
préoccupation, conséquence de cette activité
élevée, tient au temps consacré à chaque dossier.
Dans l'ensemble, à Evry, les choses fonctionnent bien car nous sommes
suffisamment nombreux.
Mme Catherine Bretagne
- Je souhaiterais compléter les
propos de Madame Lucille Grasset. A Evry, contrairement à Paris, la
liquidation des communautés n'est pas ordonnée par le juge aux
affaires familiales mais par d'autres juges civils. Ce sont deux étapes
totalement séparées. Ceci peut expliquer notre manque d'habitude
pour traiter les affaires comprenant des actes notariés.
Concernant les relations avec les autres juges, je voudrais vous faire part
d'une affaire que je traite actuellement. Pour un dossier de divorce, je suis
en relation avec le juge de l'application des peines. L'épouse refuse
à son mari l'exercice de son droit de visite et d'hébergement.
L'affaire s'est envenimée au point qu'à la dernière
condamnation, l'épouse a été condamnée à de
la prison ferme. Je m'occupe, à mon niveau, du divorce. Face à
moi, l'avocat estime que la situation est insupportable et qu'il faut mettre
l'enfant en résidence chez l'époux. La condamnation de
l'épouse date d'octobre 2001, or elle n'est toujours pas en prison. Mon
rôle est d'aller voir le juge de l'application des peines et de discuter
du dossier pour comprendre la situation. Cela ne peut se faire que de
manière informelle.
De même, nous essayons de rencontrer les juges des enfants pour beaucoup
de dossiers que nous traitons. Ils voient les enfants. Ce n'est pas notre cas
bien que nous ayons la possibilité de les entendre. Notre politique
à Evry est de limiter cette pratique. Moins nous les voyons, mieux
c'est. Nous ne refusons pas d'écouter leur avis. Si l'enfant insiste
pour être entendu par le juge, il est souvent assisté d'un avocat.
Notre objectif est de ne pas ajouter un traumatisme supplémentaire.
M. le Président
- Le législateur a toujours
été prudent dans ce domaine. Nous ne pouvons pas exclure la
possibilité que l'enfant soit entendu. Cependant, ce n'est pas
souhaitable.
Mme Catherine Bretagne
- Tout à fait. Les juges aux
affaires familiales, préfèrent procéder par enquête.
L'enfant est alors écouté dans son cadre de vie.
M. le Président
- Concernant les enquêteurs, vos
effectifs sont-ils suffisants ? Sont-ils suffisamment bien
formés ?
Mme Lucille Grasset
- J'estime que les effectifs ne sont pas
suffisants. Le coût induit par les enquêteurs est, il est
vrai, élevé. Nous retrouvons ici tout le problème des gens
qui n'ont pas les moyens de payer l'enquête et qui n'ont pas non plus
droit à l'aide judiciaire. Cela concerne toute une frange de personnes
à petits revenus.
M. le Président
- Il est prévu que le seuil de
l'aide juridique soit relevé. Nous ne savons pas encore, à
l'heure actuelle, ce qu'il en est. Le texte est déposé sur le
bureau du Sénat. Si le seuil est effectivement relevé, restera
à régler la question du financement. Il serait en effet
extrêmement problématique que l'enveloppe budgétaire ne
soit pas elle aussi revue en conséquence.
Mme Lucille Grasset
- Nous rencontrons beaucoup de
difficultés avec les personnes n'ayant pas accès à l'aide
judiciaire.
Je suis juge aux affaires familiales depuis quatre ans, et le nombre de
situations difficiles auxquelles nous sommes confrontés ne cesse de
croître. J'ai l'impression que beaucoup de gens,
déstructurés, ne sont plus responsables de leurs enfants.
Peut-être est-ce lié au phénomène de la
banlieue ? Cela induit toutes sortes de problèmes. Je me pose la
question de savoir si ces mêmes problèmes étaient aussi
répandus par le passé. J'ai été juge aux affaires
familiales en province. Je ne rencontrais pas alors ce type de situation. Dans
certains cas, les gens sont totalement dépassés, impuissants face
à leurs enfants. Nous rencontrons aussi certaines difficultés
avec les familles étrangères.
M. le Président
- Vous avez un certain nombre de
familles étrangères dans votre juridiction. Les problèmes
rencontrés sont-ils d'ordre linguistique ou culturel ?
Mme Lucille Grasset
- Le problème est essentiellement
d'ordre culturel. Lorsque nous discutons avec ces gens, nous avons parfois
l'impression qu'ils sont « sur une autre planète ».
Nous raisonnons avec nos règles et nos acquis. Eux raisonnent avec les
leurs. Le dialogue est difficile.
M. le Président
- Pensez-vous ici aux familles
maghrébines ou africaines ?
Mme Lucille Grasset
- Les deux. Nous avons de plus en plus de
dossiers de familles africaines. Le dialogue est très difficile. Pour
comprendre la situation, j'essaye de poser les questions différemment.
Dernièrement, une épouse m'affirmait qu'elle était battue.
Lorsque j'ai demandé au mari pourquoi sa femme s'en allait et s'il la
battait, il m'a répondu par l'affirmative. Cela semblait presque
naturel. Nous sommes confrontés à des comportements totalement
différents. Lorsque j'explique que ce genre de comportement n'est pas
acceptable chez nous, cela surprend parfois. Il existe un réel
décalage.
Les enfants sont quelque peu perdus, entre deux mondes. D'un côté
ils sont imprégnés de culture française, où la
notion de famille est différente. De l'autre, ils vivent quasiment
en « tribu » avec les frères, les soeurs et les
cousins. L'enquête sociale classique est rendue plus difficile. Il existe
une association à Evry axée sur l'Afrique et de ces
problèmes spécifiques. Le travail d'investigation est plus
important, la méthode est différente. Cela entraîne un
surcoût. La facture s'élève rapidement à 10.000
francs. Face à des gens démunis, il est délicat d'ordonner
une telle mesure s'ils ne bénéficient pas de l'aide judiciaire.
L'assistance éducative est difficile aussi. Avec les familles
étrangères, le travail des juges aux affaires familiales est
parfois très complexe. Nous sommes véritablement
confrontés à un autre monde.
M. le Président
- Il est aisé, au sein d'un
même tribunal, de discuter d'un même dossier entre magistrats.
Qu'en est-il lorsque le juge des enfants dépend d'une autre
juridiction ? Cela doit compliquer inévitablement votre travail.
Mme Catherine Bretagne
- J'ai eu à traiter une telle
affaire récemment. Le père habitait à Strasbourg et
la mère dans l'Essonne. Lors de l'exercice de son droit de visite et
d'hébergement, le père s'est rendu compte que sa petite fille
était victime d'attouchements sexuels. Aussi est-il allé
directement chez le juge des enfants de Strasbourg. Ce dernier a ordonné
le placement de l'enfant auprès du père. J'étais en charge
du contentieux de la mère qui souhaitait récupérer la
garde de son enfant. Nous avons communiqué par fax. Il est vrai que
c'est plus compliqué. La procédure est plus longue.
M. le Président
- Une telle situation peut-elle
être évitée ? Le problème des
compétences se posera toujours.
Mme Lucille Grasset
- Cela reste relativement marginal. Le
juge aux affaires familiales compétent est celui du lieu de
résidence de l'enfant.
M. le Président
- Dans les grandes juridictions, comme
à Evry, chaque juge a des compétences bien définies. Qu'en
est-il du travail des juges aux affaires dans les petites juridictions ?
Mme Lucille Grasset
- Les affaires familiales
représentent près de la moitié du contentieux civil. A
l'exception des très petites juridictions, chaque tribunal a un juge aux
affaires familiales à plein temps. Le juge pourra éventuellement
s'occuper de correctionnel. Les affaires familiales pourront représenter
80 % de son service. Dans les juridictions de Compiègne ou de
Saint-Quentin, où j'ai pu me rendre, un juge s'occupe principalement des
affaires familiales.
Je souhaite reprendre un point évoqué par ma collègue. Il
serait bien de faire en sorte que le divorce et la liquidation aient lieu en
même temps. Sinon, la distinction entre les deux procédures
complique singulièrement notre travail pour établir les
prestations compensatoires. Dans les régimes communautaires se posent
aussi les problèmes de récompenses, d'emprunts à
rembourser ou d'éventuelles indemnités pour l'occupation ou non
du domicile conjugal. Il faudrait tendre vers une liquidation en même
temps que le divorce.
M. le Président
- C'est le point de vue que j'ai
défendu. Cela permettrait de ne plus avoir à revenir sur le
contentieux.
Mme Lucille Grasset
- J'ai pu constater, lors de nombreuses
audiences de conciliation, l'incompréhension des gens ou des avocats
lorsque la question de la liquidation future est évoquée.
J'essaie alors de leur expliquer les différentes conséquences
induites par cette liquidation : la jouissance gratuite du domicile
conjugal ; la jouissance gratuite au titre du devoir de secours ; la
possibilité d'une indemnité d'occupation à payer si cette
jouissance n'est pas exercée ; les comptes à faire pour les
remboursements d'emprunts.
Les avocats omettent souvent le travail préparatoire, pourtant
indispensable. Il est trop tard, le jour de l'ordonnance de conciliation,
pour discuter de ces questions, même s'il est toujours possible de
revenir en arrière. Une erreur de notre part, faute d'avoir eu tous les
éléments dans le dossier, peut être mal vécue. Nous
avons été sensibilisés à ce problème. Aussi,
avant de fixer une prestation compensatoire, nous essayons de procéder
à des simulations. Quand nous n'avons pas tous les
éléments, nous ne pouvons avancer qu'à tâtons.
M. le Président
- Le rôle des avocats est donc,
pour ce problème précis, très important.
Mme Lucille Grasset
- Exactement. Tous ne sont pas aussi
consciencieux dans la préparation de leurs dossiers.
Mme Catherine Bretagne
- La loi du 30 juin 2000 sur
l'attestation sur l'honneur, relativement simple, n'est pas encore
entrée dans les esprits des avocats. Nous rencontrons beaucoup de
difficultés pour avoir cette pièce.
M. le Président
- Cela prend du temps. Pour en revenir
au travail du juge, de manière générale, la
spécialisation s'acquiert lorsque l'on est nommé. Estimez-vous
que la formation initiale des magistrats est suffisante pour exercer ces
fonctions ? Est-ce qu'une formation d'adaptation à la fonction est
prévue dans le cadre des nominations ?
Mme Lucille Grasset
- Il n'y a pas de telle formation. Pour ma
part, j'estime que la spécialisation peut être
bénéfique dans un grand tribunal. Dans un petit tribunal, nous
sommes obligés d'acquérir les compétences dans
différents domaines du fait de la masse des dossiers. Néanmoins,
je ne suis pas sûre qu'il faille former des juges
spécialisés. Une part importante du travail du juge aux affaires
familiales consiste à s'entretenir avec les gens. Plutôt que d'une
spécialisation, il s'agit plutôt, à mon avis, d'une
capacité d'écoute. Il faut bien sûr de solides bases
juridiques pour traiter la masse des dossiers de ce contentieux. Sans cela, le
juge risque de se heurter sur chaque dossier à un problème
juridique particulier et de perdre du temps à vérifier
constamment tel ou tel point de droit.
M. le Président
- C'est donc, au-delà des
compétences juridiques indispensables, une capacité
d'écoute qu'il est nécessaire d'avoir.
Mme Lucille Grasset
- Exactement. Il est important aussi de
savoir poser les bonnes questions pour bien cadrer le débat. Même
si les avocats se plaignent que les audiences sont parfois trop longues, il est
important de permettre aux gens de s'exprimer pour qu'ils ressortent en ayant
le sentiment d'avoir été écoutés. Il faut trouver
un juste équilibre. L'avocat développera l'aspect juridique,
tandis que les personnes concernées aborderont l'aspect concret. Il est
important qu'elles puissent s'exprimer.
Mme Catherine Bretagne
- Quant à moi, j'ai eu
l'avantage, en tant que détachée judiciaire, de
bénéficier d'une formation au tribunal de grande instance de
Paris. Je savais que j'allais être affectée à un poste de
juge aux affaires familiales. Pendant six mois, j'ai pu passer dans tous les
cabinets. Cette période a été particulièrement
enrichissante car j'ai pu voir comment, humainement, chaque juge traitait les
dossiers. Tous les juges n'ont pas eu cette même opportunité.
M. le Président
- Il est vrai que les approches sont
différentes selon la personnalité de chaque juge.
Pourriez-vous revenir à la question de la médiation ?
Mme Lucille Grasset
- Deux associations se chargent de la
médiation à Evry. Nous incitons les gens à faire appel
à un médiateur. Dans la moitié des cas, ils ne le
souhaitent pas. Ils ont l'impression d'abandonner quelque chose et craignent
qu'on ne les force à négocier par la médiation. Une
enquête sociale est perçue différemment. Elle fait l'objet
d'un rapport. Les personnes concernées considèrent que cette
procédure est plus objective.
Mme Catherine Bretagne
- L'enquêteur rencontre les gens
chez eux, mais séparément. Le médiateur, en revanche, les
confronte. En période de crise, il peut être difficile pour ces
personnes de se retrouver dans la même pièce.
M. le Président
- Cela rejoint ce que vous disiez au
sujet du divorce pour faute. Certains espèrent apaiser les conflits. Qui
ne souhaite pas apaiser les conflits ? D'après votre
expérience, cela est-il possible ? Un conflit n'est-il pas dans une
certaine mesure souhaitable ?
Mme Lucille Grasset
- Le conflit doit éclater à
un moment ou à un autre. L'audience permet à chacun d'exprimer sa
vérité. Une bonne dispute permet parfois de résoudre les
problèmes. Chercher à tout prix le consensus ou à apaiser
le conflit ne fait parfois que retarder son éclatement. Certaines
personnes divorcent par consentement mutuel. Le conflit n'explose
réellement que plus tard, parce qu'il n'y a pas eu ce moment
d'explication.
Mme Catherine Bretagne
- La médiation n'en demeure pas
moins très utile et efficace. J'ai suivi une médiation au cours
de laquelle le médiateur a réussi à faire s'exprimer des
personnes en situation de blocage total. Conscientes de ce blocage, elles
souhaitaient qu'on les aide à réengager le dialogue. Le travail
du médiateur a permis qu'elles s'écoutent, et reprennent
progressivement une ébauche de dialogue dans l'intérêt de
l'enfant.
M. le Président
- Le statut des médiateurs
suscite toujours un vif débat : professionnels, non professionnels,
associations, coût élevé, capacité de la justice
à encadrer ces associations et à empêcher toutes
dérives.
Mme Lucille Grasset
- Les enquêteurs et
enquêtrices arrivent parfois à faire un réel travail de
médiation dans le cadre de leurs fonctions. Cela est souhaitable,
formidable même, mais tous n'en sont pas capables. Ils ne prennent pas
nécessairement le temps. Tous n'ont pas les mêmes qualités
d'écoute et de dialogue.
Notez que la pratique de la médiation est récente en France,
d'où le débat que vous venez d'évoquer. Le Canada a des
années d'expérience dans ce domaine. Les mentalités
doivent évoluer pour que la médiation soit mieux acceptée
et par conséquent plus utilisées.
Mme Catherine Bretagne
- Dans l'ensemble, les personnes
concernées sont demandeurs.
Mme Lucille Grasset
- C'est une question de
personnalité plutôt que de milieu social. Certaines personnes
souhaitent faire avancer les choses, tandis que d'autres campent sur leurs
positions.
Mme Catherine Bretagne
- La principale motivation des couples
ayant accepté une médiation est l'enfant.
Mme Lucille Grasset
- Je souhaiterais évoquer un
dernier cas problématique avant de terminer cette audition : les
femmes de 45-50 ans qui n'ont jamais travaillé. Ce n'est pas un cas
aussi isolé qu'il y paraît. Lorsqu'une femme a eu trois ou quatre
enfants, elle peut difficilement travailler, ou alors à temps partiel.
Ses droits à la retraite seront limités d'autant.
M. le Président
- Pas exactement. Les femmes ont droit
à deux ans de retraite par enfant. Cela n'est pas négligeable
car, si quelqu'un arrête toute activité professionnelle pendant
deux ans, la retraite continue. C'est un équilibre ancien, mais
justifié. Le cas que vous évoquez concerne souvent les femmes de
médecins ou d'artisans qui, sans être salariées,
assistaient leur mari dans leurs activités. Elles se retrouvent
démunies quand, à 45 ou 50 ans, le mari décide de divorcer
pour refaire sa vie.
Mme Lucille Grasset
- Dans le cas de ces femmes, la condition
d'âge prévue par la loi est difficilement applicable. Aussi nous
essayons d'obtenir une rente viagère. Il est difficile à
l'heure actuelle, pour une personne de 45 ou 50 ans qui n'a pas
travaillé pendant vingt ans, de trouver un emploi.
M. le Président
- Je vous remercie, Mesdames, pour vos
interventions.
Audition de Mme Catherine TROCHAIN,
première
présidente de la cour d'appel de Caen,
présidente de la
Commission de l'informatique, des réseaux
et de la communication
électronique (Comirce),
et de
M. Jean-Pierre POUSSIN,
délégué de la
Comirce
(30 mai 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
La mission a souhaité aborder
au cours de cette audition l'impact de l'informatique sur l'évolution
des métiers de la justice. Nous souhaiterions avoir un aperçu
global de la situation telle qu'elle existe. Les nouvelles technologies
pèsent-elles sur les décisions des magistrats, tant dans les
domaines civil que pénal ? Faut-il opter pour une informatique
globale ou bien décentralisée ? Comment l'informatique
peut-elle faire évoluer les métiers de la justice ? Les
nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent-elles
faire évoluer les règles et les procédures pour tendre
vers une plus grande efficacité de la justice ? Cet ensemble de
questions cruciales manifeste notre grand intérêt pour le sujet.
La parole est à Mme Trochain.
Mme Catherine Trochain -
Je vous remercie monsieur le
Sénateur de me donner la possibilité de m'exprimer sur ce sujet.
Je m'exprimerai en qualité de première présidente mais
également en tant que présidente de la Comirce du
ministère de la justice, il me paraît utile effectivement de vous
faire connaître ce qui se fait à l'heure actuelle au
ministère et quelles sont les perspectives d'évolution
envisageables.
L'introduction des nouvelles technologies aura des conséquences
importantes sur le fonctionnement de l'institution : en interne, dans
notre administration, en externe, vis-à-vis des usagers, de nos
différents partenaires, des autres administrations, de la police, de la
gendarmerie et des auxiliaires de justice.
Nous constatons à l'heure actuelle la nécessité pour les
administrations de communiquer entre elles et de participer activement à
une mission collective, quelle qu'elle soit.
En guise d'introduction, je voudrais vous présenter notre commission.
Notre instance, la Comirce, est placée directement auprès du
garde des Sceaux. Elle est présidée par un magistrat hors
hiérarchie. J'ai été nommée par
Madame Elizabeth Guigou et maintenue à ce poste lorsqu'elle a
été remplacée par Madame Marylise Lebranchu.
La commission de l'informatique, des réseaux et de la communication
électronique a deux missions essentielles :
- La coordination de l'informatique du ministère de la justice
Nous couvrons l'ensemble des activités informatiques du
ministère. Celles-ci comprennent la direction des services judiciaires,
mais aussi l'administration pénitentiaire, la protection judiciaire de
la jeunesse, les écoles excepté l'Ecole nationale de la
magistrature. Nous sommes chargés de l'élaboration du
schéma directeur informatique du ministère. A l'heure actuelle
nous sommes en cours d'exécution du schéma directeur
élaboré pour la période 1998-2002. En parallèle
nous travaillons sur le nouveau schéma directeur qui prendra
bientôt effet pour la période 2003-2007. C'est dire si nous nous
sommes projetés dans l'avenir en termes d'informatique.
- La veille technologique
Cette fonction est dévolue à Monsieur Jean-Pierre Poussin. Au
titre de la veille technologique, nous avons élaboré un projet de
tribunal du futur, reprenant les différentes questions que vous avez
posées en termes de prospectives et d'implications sur les textes.
Monsieur Jean-Pierre Poussin développera plus en détail cette
partie.
Je vais maintenant tenter de répondre à vos interrogations, de
donner quelques pistes ou apporter des réflexions sans
véritablement hiérarchiser ni ordonner mes propos.
Les avantages pratiques à tirer des nouvelles technologies sont
extraordinaires, pour autant que les mentalités changent et qu'on
veuille nous en donner les moyens.
L'informatique participe à la rénovation du système
judiciaire.
Pour ma part, j'estime que les nouvelles technologies permettront de
réformer l'Etat, ainsi que notre ministère.
L'introduction des nouvelles technologies est récente. La
décision date de 1997 avec le programme d'action gouvernemental pour
préparer l'entrée de la France dans la société de
l'information, programme d'action que le ministère de la justice a
décliné pour ses propres missions. Depuis 1998 le
ministère de la justice a effectué un grand bond en avant.
- En interne, l'introduction des nouvelles technologies a eu un impact
considérable sur notre administration. Le ministère a
créé un intranet justice. L'objectif est de raccorder chacun des
agents du ministère à cet outil. A la fin de l'année 1998,
il n'y avait pratiquement rien de fait ; en 1999 seules 190 entités
sur 1.961 étaient raccordées et seulement environ 4.500 agents
sur les 60.000 que compte le ministère. Aujourd'hui, 1.746
entités ont été raccordées et environ 23.000 boites
de messagerie ouvertes L'avancée réalisée est
considérable.
- En externe, le ministère a aussi développé la
communication par la création du site internet justice. Peut-être
l'avez-vous déjà consulté ? Pour ce projet, nous nous
sommes résolument tournés vers l'information du citoyen sur les
activités du ministère de la justice. C'est aussi un formidable
outil de communication pour nos agents, outil qui participe à une plus
grande transparence de la justice.
Depuis 1998, les directions du ministère ont aussi
développé leurs propres sites et des sites documentaires.
De même, les services déconcentrés ont conçu
également des sites internet. Un internet permet aux usagers, au plan
local de savoir ce qui se passe et se fait dans leur Cour en matière
judiciaire. Je vous ai apporté des documents sur le site internet
justice en construction à la cour d'appel de Caen. Il comprendra des
rubriques telle que « la justice dans votre
région ». A l'heure actuelle, quelques cours, telles que
Paris, Pau, Rennes ou Bourges, où j'avais lancé ce projet lorsque
j'en étais première présidente, ont
développé un outil similaire. Nous aurons, à Caen, le
premier site qui sera accessible aux mal voyants. Ces différents sites
internet représentent une avancée significative en direction du
public. Nous n'avons pas les chiffres de la fréquentation des sites
déconcentrés. Le site du ministère de la justice, en
revanche, était, l'année dernière, un des sites les plus
visités par les Français et par les étrangers. Nous
étions en pointe. Une telle situation ne se serait jamais vue trois ou
quatre ans auparavant.
Je vous ai décrit plus spécialement l'action menée par la
direction des services judiciaires. L'ensemble des directions a mené une
action similaire : la direction de l'administration
pénitentiaire et les services déconcentrés ; la
direction de la protection judiciaire et de la jeunesse ; la direction des
affaires civiles et du sceau ; la direction des affaires criminelles et
des grâces.
Cette dernière a développé des sites pour mettre
notamment à disposition des magistrats et des agents une base
documentaire des circulaires ou de textes. La direction des affaires
criminelles a conduit une action similaire avec une base documentaire de droit
européen et d'affaires criminelles qui permet aux magistrats de trouver
l'information à la source.
Ces sites, accessibles à n'importe quel moment de la journée,
améliorent la diffusion de l'information et la
récupération de données. Sont ainsi
considérablement réduits les problèmes d'espace et de
temps par rapport au lieu et au temps de travail.
Au quotidien, quels changements avons-nous pu constater dans notre
fonctionnement ?
Que pouvons-nous encore améliorer ?
Je pars du principe que nous avons une informatique égale pour tous, ce
qui n'est pas le cas dans la réalité. Le dernier rapport
présenté par la précédente garde des Sceaux, Madame
Marylise Lebranchu il y a quelque temps démontrait que la ressource
informatique est diversement distribuée et utilisée sur le
territoire français. Les disparités entre régions sont
flagrantes. Le but pour le prochain schéma directeur est d'avoir un
équipement performant, couvrant l'ensemble des régions,
permettant aussi de raccorder les 60 000 agents du ministère à
notre intranet.
Les obstacles au développement des nouvelles technologies demeurent
nombreux. Le problème des locaux, souvent vétustes, est un des
principaux d'entre eux. La diversification des intervenants en ce qui concerne
la protection judiciaire de la jeunesse complique aussi leur
développement au sein de cette direction.
Si je pars néanmoins du principe que notre objectif de rendre
accessibles les nouvelles technologies à tous nos agents sera atteint
prochainement il est certain que les nouvelles technologies changeront notre
gestion.
Notre informatique future devrait s'inscrire délibérément
dans une vision gestionnaire en se calquant sur la loi organique et la
déconcentration.
Nous devons rendre des comptes aux parlementaires qui souhaitent savoir comment
les budgets ont été utilisés par les ministères.
Les missions de la justice pourront se décliner en grosses
entités, plus encore qu'à l'heure actuelle compte tenu des
souhaits du gouvernement. Cette évolution me semble irréversible.
Nous ne pouvons plus, à l'heure actuelle, vivre cloisonnés.
Sur un plan fonctionnel , concrètement, cela signifie que nous
devrons travailler ensemble, toutes les directions du ministère entre
elles et avec nos partenaires habituels.
Les structures administratives devront être décloisonnées
et s'appuyer sur une informatique communicante. C'est la démarche qui a
été déjà entreprise avec le ministère de
l'intérieur et le ministère des finances.
Nous disposons d'un logiciel communicant pour les tribunaux de police Minos. Il
est interfacé avec les logiciels de gestion des réquisitions des
officiers du ministère public (le logiciel Cyclope du ministère
de l'intérieur). Il nous permet de récupérer les
réquisitions directement du ministère public. Pour le paiement
des amendes, nous travaillons avec le protocole Inca en relation avec le
ministère des finances. Nous pouvons faire plus encore dans
l'établissement de passerelles entre les différentes
administrations. Ces passerelles supposent néanmoins la
compatibilité de nos systèmes informatiques.
Sur ce point précis, les divergences sont nombreuses. La décision
d'utiliser des logiciels communiquant entre eux ne pourra découler que
d'une volonté politique forte. N'étant pas une femme politique,
cette problématique est hors de mes compétences.
Sur un autre plan il est évident que les nouvelles technologies
permettront des gains de temps et d'efficacité considérables et
favoriseront le travail collaboratif.
Vis à vis de nos concitoyens, nous pourrons aussi nous tourner davantage
vers nos concitoyens en développant les
télé-procédures. A l'heure actuelle, plus d'une quinzaine
d'imprimés sont accessibles sur notre site internet. Cela reste
insuffisant. Aussi faut-il continuer à développer ce type
d'initiatives. La demande de délivrance des B2 et des B3 peut se faire
actuellement par voie électronique.
Un certain nombre de démarches restent néanmoins à
simplifier.
Cela implique que les juridictions soient toutes reliées entre elles par
des logiciels permettant la communication. Nous n'avons qu'un seul exemple
à l'heure actuelle : le pacte civil de solidarité. Je suis
convaincue que c'est en poursuivant cet effort de modernisation que nous
arriverons à réformer l'Etat et à avoir une justice plus
efficace.
Les applications en réseaux, véritables vecteurs de
communication, permettront de mieux connaître la situation dans nos
régions et d'assurer une meilleure fiabilité. Avec les logiciels
et le développement des outils statistiques, nous pourrons suivre une
politique donnée dans une région. A l'heure actuelle, chaque
ministère sort des statistiques en matière de
sécurité, de justice, de poursuites et de condamnations. Il faut
tendre vers une meilleure fiabilité.
Afin d'assurer une meilleure gestion, il faut que nous ayons dans la
construction de notre informatique et de nos logiciels plus seulement une
logique de production mais une logique de restitution. La restitution permet
d'appréhender l'activité réelle que l'on a, afin de mettre
l'accent sur une politique là où cela est nécessaire. Dans
les régions rurales, nous retrouvons des contentieux, comme les baux
ruraux, que nous ne retrouvons pas à Paris. De même, en
matière pénale, cette logique de restitution permettra de mieux
connaître la population et les contentieux émergents. Je prendrais
l'exemple de la Basse Normandie. Nous nous sommes aperçus que pour un
des trois départements, les affaires familiales constituaient 60 %
de l'activité. Nous pouvons ainsi mieux cibler le niveau
d'activité. Pour nous, magistrats, c'est un outil de gestion : nous
pouvons concentrer nos forces là où l'activité est la plus
importante.
Au sein d'une juridiction, nous sommes constamment en train de répartir
nos ressources humaines entre la justice civile et la justice pénale.
Nous avons parfois tendance à rester figés sur nos positions. Le
procureur général se range derrière son activité
pénale et le premier président derrière son
activité civile. L'outil informatique permet une analyse fine de
l'activité.
En découle une évolution importante entre l'échelon
central et l'échelon déconcentré. Nous serons en mesure de
déterminer précisément les missions que nous remplirons.
Vous, en tant que Parlementaires, pourrez alors nous accorder des
crédits globaux avec les différents intervenants, comme le
ministère de la justice et le ministère de l'intérieur.
Nous pourrons exposer clairement notre mission, nos stratégies pour la
décliner, et les moyens nécessaires pour la réaliser. Nous
pouvons par la suite aisément en rendre compte.
C'est un progrès indéniable en termes de gestion.
A L'échelon déconcentré, les cours répercuteront
les missions définies à l'échelon central en se basant sur
les données fournies par l'échelon déconcentré. Les
nouvelles technologies vont entraîner une nouvelle façon de
s'organiser, de réfléchir, de travailler et de conduire une
politique.
L'informatique et les nouvelles technologies ont eu des conséquences
importantes sur l'évolution de la société. Avec le
développement de la communication électronique, il est
nécessaire de prendre certaines garanties. Le ministère de la
justice est le garant des libertés individuelles et de la vie
privée. A ce titre, un certain nombre de lois ont dû être
adaptées. Le ministère a dû adapter des directives
européennes. La Commission nationale de l'informatique et des
libertés est particulièrement vigilante en ce qui concerne toutes
les données nominatives, les constitutions de fichiers et leur
utilisation. La France peut s'enorgueillir d'avoir été en avance
dans ce domaine avec la loi relative à l'informatique, aux fichiers et
aux libertés du 6 janvier 1978. Nous avons vingt ans d'avance
sur nos partenaires européens. La plupart d'entre eux ont adapté
ou sont en train d'adapter leur législation dans le même sens que
la France.
Concernant les évolutions des métiers de la justice, l'outil
informatique aura plus ou moins d'influence selon que l'on est magistrat ou
fonctionnaire.
Pour un magistrat, l'usage de l'outil informatique se limitera, il est vrai,
à la bureautique. Le fonctionnaire en revanche, même s'il ne doit
plus être cantonné dans un rôle d'exécution et de
production, devra être un technicien grâce aux performances de
l'informatique. Cette évolution du métier de fonctionnaire de
justice implique une nécessaire formation. Ce vaste chantier de
formation est déjà bien entamé. Il n'y a pratiquement plus
aujourd'hui de juridictions qui ne soient pas informatisées. Outre la
formation du personnel à ce nouvel outil de travail, l'informatique
implique aussi que nous ayons un personnel en mesure de maintenir les
systèmes en bon état de marche. Nous devons donc avoir des
techniciens pour la maintenance ainsi que des informaticiens pour
développer et gérer nos sites internet et intranet.
Il faut aussi l'infrastructure et le personnel pour répondre aux
demandes des usagers envoyées par ce nouveau moyen de communication. Ces
métiers existent en germe, mais ils ne sont pas ciblés comme
étant des métiers d'informatique justice. A l'heure actuelle, ces
fonctions sont occupées par des greffiers en chef, des contractuels ou
des sous-traitants. C'est l'un des enjeux du prochain schéma directeur.
Faut-il tendre vers une filière d'informatique justice ? La
question est éminemment politique, car qui dit filière dit
organisation différente et avancement. Je suis persuadée qu'il
faut tendre vers une valorisation de ces métiers. Si nous ne nous
donnons pas les moyens, il est évident que nous allons régresser.
Sans une professionnalisation de cette filière, nous n'obtiendrons pas
d'avancées significatives.
M. le Président -
Cette problématique n'est pas propre
à la justice. Elle se pose aussi pour d'autres ministères,
même si chacun peut avoir ses spécificités propres.
Mme Catherine Trochain -
En ce qui concerne nos interlocuteurs
habituels, de nombreuses actions ont été entreprises
vis-à-vis de nos partenaires. Des logiciels sont en cours
d'expérimentation pour la gestion des dossiers en cour d'appel entre le
ministère de la justice et les avoués. Ces expériences
sont conduites dans les juridictions de Versailles, Aix-en-Provence et
Besançon. Au tribunal de grande instance de Paris une
expérimentation concerne le traitement des affaires civiles. La
communication par voie informatique des affaires civiles, entre les avocats et
le greffe évitera les ressaisies de données. Les gains de temps
et d'efficacité seront considérables.
Le législateur et les parlementaires ont contribué à ces
avancées grâce à la loi sur la signature
électronique. Cette loi constitue un enjeu majeur. Nous pourrons ensuite
aller plus loin.
Une autre difficulté spécifique au ministère de la justice
pourrait freiner cet élan de modernisation. Nous traitons des
données sensibles. L'informatisation et l'introduction des nouvelles
technologies doivent se faire de manière contrôlée pour des
raisons de sécurité et de confidentialité. Nous ne pouvons
donc pas laisser faire n'importe quoi à nos agents et nous ne pouvons
pas faire n'importe quoi. La prudence s'impose.
M. le Président -
En matière pénale, un certain
nombre d'obstacles a pu être levé, comme la communication de
pièces au client.
Mme Catherine Trochain -
Je n'ai pas lors de mon exposé
abordé la question du
« télé-travail ». Pour le monde judiciaire et
la société en général, les nouvelles technologies
vont permettre d'apaiser les vives réactions que provoque le sujet
concernant la carte judiciaire. Dès que l'on aborde le sujet de la
réforme de la carte judiciaire, certaines personnes craignent la
fermeture de tribunaux. Je ne suis pas d'accord. Il y a peut-être une
autre façon d'aborder la question. Il est question selon moi de
mutualisation et de meilleure répartition des ressources, de
proximité et de présence judiciaire.
Les nouvelles technologies nous permettent de l'envisager.
A l'heure actuelle, la suppression de certains petits tribunaux d'instance est,
soyons honnête, envisageable. Le juge passe un quart de son temps au
tribunal d'instance et les trois quarts restant au tribunal de grande instance.
Je suis pour le maintien de la présence judiciaire. Simplement,
plutôt que de garder un tribunal, dont le fonctionnement nécessite
trois personnes, nous pouvons en faire un greffe détaché ou un
greffe permanent. Nous faisons ensuite communiquer le tribunal de grande
instance avec ces greffes. Cela existe déjà au Havre. Cette
solution nous permet de mieux répartir les ressources humaines.
J'insiste sur ce point : il n'est pas ici question de suppression de
postes, mais plutôt d'une meilleure répartition des ressources
humaines. On garde la présence de la justice pour les actes essentiels.
Enfin il est possible de communiquer davantage entre les juridictions de
premier degré et les juridictions d'appel. Des échanges se font
déjà par disquettes, mais cela peut encore être
développé grâce à des logiciels de communication.
Avant de céder la parole à Monsieur Jean-Pierre Poussin, je
rappellerai que les nouvelles technologies permettent des gains de temps, de
productivité et d'efficacité, sans suppression de postes. Notre
objectif, je le répète, devrait tendre vers une meilleure
répartition, mutualisation et valorisation de nos ressources à
travers les nouvelles technologies.
M. Jean-Pierre Poussin -
Il me revient maintenant d'essayer de vous
montrer à travers une expérimentation comment ce qui vient
d'être évoqué pourrait se concrétiser. Nous pouvons
nous enorgueillir du travail accompli. Beaucoup néanmoins reste encore
à faire. Le but n'est pas de seulement consolider le présent.
Nous nous efforçons d'avoir une vision prospective. Nous cherchons
à travailler l'avenir en ayant le souci d'intégrer les nouvelles
technologies dans la vie judiciaire mais aussi d'intégrer la vie
judiciaire dans les nouvelles technologies. Une symbiose parfaite doit exister
entre les deux.
Je distinguerai trois grands caractères décrivant le mieux
l'expérimentation que représente le tribunal du futur.
Le tribunal du futur est un lieu d'expérimentation sur les pratiques.
S'il est indispensable de reconsidérer nos pratiques pour les mettre
à l'ordre du jour, nous devons nous interroger sur leur sens et leur
portée. Nous devons aussi nous interroger sur les gains de ces
réformes. Pour cela, nous devons fixer des objectifs précis, et
ne pas réformer pour réformer. C'est aussi un lieu
d'expérimentation sur les implications législatives. Conduire de
telles réformes implique inévitablement des réformes
législatives. Nous avons pu le constater avec l'expérience
britannique. Les Anglais sont en la matière beaucoup plus avancés
que nous. Ils ont par exemple un texte imposant le recours aux nouvelles
technologies pour les contentieux relatifs à la détention. Si
nous avions une réforme législative de cette nature, la mise en
oeuvre des nouvelles technologies dans la vie judiciaire serait grandement
facilitée.
Le tribunal du futur est un lieu d'échanges et a suscité quelques
réticences de la part de certains. Si ces réticences ont pu
s'exprimer, c'est parce que le tribunal du futur est un lieu d'échanges
et de réflexion sur l'avenir. Nous avons voulu réunir tous les
acteurs de la vie judiciaire pour que chacun participe à la
réflexion et à l'élaboration de solutions.
Le tribunal du futur est en effet un lieu de formation ouvert à
l'ensemble des acteurs de la vie judiciaire. Nous nous situons dans une
approche de mutualisation des formations. Au-delà de nos pratiques, nous
pouvons espérer faire tomber quelques barrières et faire
évoluer les mentalités.
Je souhaiterais maintenant vous donner quelques indications en termes
d'approches pratiques. Cette expérimentation vise en priorité les
actes de la vie juridique avec leur dématérialisation qui doit
être envisagée dans le cadre de la gestion des dossiers.
Grâce à la récupération des données fournies
par nos différents fichiers informatiques, nous pouvons aussi
l'envisager en termes de politique pénale. Au plan local, cette
dématérialisation pourrait se traduire par exemple par
l'élaboration de tableaux de bord ou par la disposition des acteurs de
la vie judiciaire. Au niveau central, ces informations nous permettraient de
faire remonter les informations essentielles aux autorités politiques.
Celles-ci pourraient alors déterminer les solutions à mettre en
oeuvre et mieux définir la conduite de leur politique.
Je donnerai deux exemples concrets des gains à attendre de la
dématérialisation. Les actes de procédures,
premièrement, très riches, touchent un maximum d'acteurs de la
vie judiciaire, des avocats aux avoués, sans oublier les huissiers de
justice qui sont directement impliqués. En observant ces actes de
procédures, nous pouvons constater que l'ensemble des acteurs est en
chaîne. La mise en place au sein d'un tribunal du futur d'une gestion
totalement numérisée de ces actes permettra des gains importants.
Bien que nous ne soyons pas en mesure de les évaluer dans leur
totalité, nous savons déjà qu'ils seront importants en
termes de saisie. A l'heure actuelle, ces actes sont saisis dans les cabinets
d'avocats, dans les greffes, chez les avoués ainsi que chez les
huissiers. Avec les nouvelles technologies, la première saisie pourra
être réutilisée par les maillons successifs de la
chaîne.
Il ne faut pas négliger les incidences législatives. Des
réformes sont indispensables, au premier rang desquelles la signature
électronique. Les actes de procédure
dématérialisés ne peuvent être envisagés sans
une loi sur la signature électronique.
Enfin, l'exemple de l'expertise me paraît tout aussi intéressant.
L'expert est aux côtés du juge en sa qualité de mandataire.
Il est au coeur du procès car au coeur de la preuve. Le recours aux
nouvelles technologies par les experts s'exprime au stade de
l'élaboration du rapport mais aussi au stade de la présentation
avec l'utilisation de logiciels comme Powerpoint. Ces logiciels permettent une
plus grande efficacité de la démonstration. Au terme de sa
démarche, l'expert pourra transmettre son rapport par cd-rom, option
déjà envisageable, ou par voie électronique.
M. le Président -
Il est vrai que pour les procès
d'ampleur, il est préférable d'avoir les dossiers sur cd-rom.
Lors du procès du sang contaminé, le greffe avait mis l'ensemble
des pièces sur ce format. C'était la seule manière pour
pouvoir consulter efficacement les pièces essentielles du dossier.
Mme Catherine Trochain -
Je n'ai pas évoqué cet aspect
auparavant, mais j'ai vu utiliser le logiciel d'instruction assistée par
ordinateur. Ce logiciel est toujours utilisé au pôle financier.
C'est aussi vers ce type d'outil qu'il faut tendre.
M. Jean-Pierre Poussin -
Concernant les approches pratiques,
après la dématérialisation, je souhaitais en aborder une
seconde : la communication. Celle-ci s'établit dans un
environnement éclaté. Il faut envisager que la juridiction pourra
être à un endroit, l'avocat à un autre et le client,
notamment s'il est détenu, à un troisième. Cette situation
génère des impératifs techniques, notamment en termes
d'interopérabilité entre nos systèmes. L'étude de
faisabilité nous a permis d'identifier des solutions à mettre en
oeuvre en ce qui concerne nos relations avec la gendarmerie et la police. Nous
n'avons pas, en l'état, de formats de transmission ni même de
traitement de texte compatibles. L'identification de ce problème a
conduit police et gendarmerie à modifier leur choix en la
matière. Leurs représentants ont pu attirer l'attention de leur
hiérarchie sur la nécessité d'une meilleure
interopérabilité.
Mme Catherine Trochain -
Cette étude a rassemblé tous les
acteurs concernés : police, gendarmerie, huissiers, avocats, etc.
M. Jean-Pierre Poussin -
Nous sommes un service public et à ce
titre nous avons des usagers. La communication par les nouvelles technologies
les concerne aussi. La réflexion en cours porte sur le recours aux
formulaires électroniques. Je me permets de rappeler d'ailleurs l'avance
du ministère de la justice en la matière, notamment avec le
casier judiciaire national, la délivrance du B1, du B2 et prochainement
du B3.
Nous avons aussi identifié des gains pour nos partenaires. Nous nous
sommes aperçus que nous étions en mesure de leur faire gagner du
temps et de l'argent. L'avocat par exemple pourra attendre la mise en ligne des
pièces et des documents et les consulter de son cabinet plutôt que
de venir les chercher à la juridiction. Cela va bien sûr
au-delà des avocats : la police et la gendarmerie en profiteront
aussi.
Pour autant, cette communication ne peut se faire de manière
débridée. Elle doit être contrôlée pour
répondre aux conditions de respect des libertés individuelles et
des droits de la défense. Il faut notamment rassurer les avocats et le
ministère public concernant la confidentialité. Des
réponses techniques existent, comme les lignes sécurisées
sur internet. L'exemple britannique, déjà évoqué,
est riche d'enseignements à ce niveau.
La communication pourra enfin faire évoluer le travail des magistrats.
Les nouvelles technologies encouragent à davantage de travail
collaboratif et collectif. Nous pourrons parvenir à plus de
télétravail. L'usage des nouvelles technologies peut être
envisagé dans le contexte d'une audience, mais aussi dans d'autres
domaines.
Deux expérimentations sont envisagées. La visioconférence
pourra porter sur le débat devant les juges des libertés et de la
détention et devant les juges de l'exécution des peines. Des
incertitudes sur le respect des libertés individuelles et les droits de
la défense subsistent.
M. le Président -
Des audiences par visioconférence ont
déjà eu lieu.
M. Jean-Pierre Poussin -
C'est exact, mais certains points restent
néanmoins à clarifier. La mise en place d'une borne informatique
à disposition des victimes est la deuxième expérimentation
dont je souhaitais vous faire part.
Placée dans les commissariats, cette borne aurait pour but de faciliter
le dépôt de plainte. Elle serait accompagnée de
dispositions d'aide personnalisée aux victimes. Il faut prendre garde
à ne pas déshumaniser cette démarche. Nous devons encore
réfléchir aux solutions techniques pour mettre en oeuvre cette
mesure.
M. le Président -
Il est manifeste que pour que ces
expérimentations se concrétisent, il est indispensable que
l'ensemble des professionnels suivent le mouvement. Concernant
l'évolution des métiers de la justice, chacun doit-il vraiment
savoir se servir de l'outil informatique ? Prenons le cas d'un magistrat
en fin de carrière : il probable qu'il n'aura pas envie de se
convertir à l'informatique et aux nouvelles technologies de
l'information et de la communication. Cette même situation est bien
sûr identique pour un greffier.
Mme Catherine Trochain -
Tous les greffiers et tous nos agents, à
l'exception des agents des services techniques, sont informatisés. Les
greffiers reçoivent une formation à l'outil informatique. Cela
fait d'ailleurs partie de la formation initiale à l'Ecole nationale des
greffes.
J'ai activement participé à l'informatisation de la cour d'appel
de Paris. J'ai pu constater que certains magistrats refusaient de taper leurs
documents, travail habituellement dévolu aux greffiers. Cela conduisait
à des pertes de temps et d'énergie considérables. Par
exemple, un magistrat écrivait à la main ses actes qui ensuite
étaient retapés par la greffière. Il reste quelques
irréductibles, mais ils sont de plus en plus rares.
A l'inverse, les nouvelles technologies apparaissent pour beaucoup comme une
évolution logique. Un nombre croissant de magistrats souhaite
bénéficier d'un logiciel de dictée vocale. C'est une
façon d'appréhender les nouvelles technologies. Pour les
magistrats ne souhaitant pas utiliser ces outils, les greffiers sont toujours
là. De manière générale, nous avons constaté
que les fonctionnaires étaient très demandeurs. Ils souhaitent
avoir un matériel toujours plus performant.
M. le Président -
Que représente l'informatisation et le
développement des nouvelles technologies en termes de moyens ?
L'évolution constante du matériel informatique rend
nécessaire le remplacement de tout le parc informatique tous les trois
ou quatre ans. Comment cela se chiffre-t-il ?
Mme Catherine Trochain -
Le coût est certes élevé,
mais le matériel est de moins en moins cher. La question en suspend
demeure le coût des ressources humaines nécessaires pour
accompagner ces évolutions.
M. le Président -
D'après ce que j'ai pu observer au
ministère de l'intérieur, un recours à des informaticiens
fonctionnaires ne paraît pas envisageable. Je n'y crois pas. Dans tous
les cas, faire appel à la sous-traitance est une nécessité.
M. Jean-Pierre Poussin -
L'appel à la sous-traitance suppose
néanmoins que nous soyons en mesure de contrôler le travail des
prestataires. Nous devons donc disposer d'un minimum de compétences en
interne.
M. le Président -
Nous devrons recruter alors des contractuels
très compétents. Il ne me semble pas envisageable d'affecter des
fonctionnaires à ces postes.
M. Jean-Pierre Poussin -
Tout à fait. Une trop grande
externalisation conduira à un abandon de savoir-faire et nous rendra, de
fait, totalement dépendant des prestataires informatiques.
Mme Catherine Trochain -
Nos responsables de gestion informatique ont un
bon niveau. Ils sont en mesure d'effectuer les premiers travaux. Pour des
projets plus complexes et plus techniques, nous pourrions recruter des
ingénieurs. Ils auront nécessairement un statut de contractuel.
En l'état actuel, nous n'avons pas les moyens d'avoir une filière
spécifique.
M. Jean-Pierre Poussin -
Les nouvelles technologies ont aussi une
incidence sur la communication au sein du ministère. Elles conduisent
à une redéfinition du dialogue social. A la communication
verticale à laquelle nous sommes habitués, s'ajoute la
communication horizontale.
Mme Catherine Trochain -
Il est vrai que l'outil informatique est un
vecteur de dialogue social. Une charte informatique est en cours
d'élaboration et un Comité interministériel pour la
réforme de l'Etat (CIRE) devrait être mis en place avant la fin du
mois de juin de cette année. Tous les ministères sont
concernés.
M. le Président -
Je vous remercie pour cet exposé
très intéressant. Les enjeux liés aux nouvelles
technologies et leur impact sur les métiers de la justice sont
manifestement nombreux.
Audition de M. Guy CANIVET,
premier président de la Cour
de cassation
(18 juin 2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Nous sommes très
honorés de vous recevoir aujourd'hui, Monsieur le Premier
président.
La commission des Lois a décidé de créer une mission
d'information sur les métiers de la justice judiciaire.
Or le premier des métiers de la justice, c'est, bien sûr, celui de
magistrat. Il est vrai qu'un certain nombre de travaux ont été
réalisés par la Chancellerie après les entretiens de
Vendôme, travaux auxquels les magistrats, et vous-même en
particulier, ont participé.
Nous aimerions ce matin que vous nous éclairiez sur un certain nombre de
questions : le développement d'une justice de
proximité ; la spécialisation des juridictions pour les
contentieux complexes ; la participation accrue des justiciables aux
décisions ; la contribution des personnels de justice aux
politiques publiques et, enfin, l'intégration de la France dans l'Union
européenne et ses implications sur le système judiciaire.
Vous avez la parole.
M. Guy Canivet -
Je vous propose, dans un bref
exposé liminaire, de commencer par l'institution judiciaire en
général et, ensuite, de voir les problèmes
spécifiques qui se posent à la Cour de cassation.
S'agissant de la justice de proximité, son développement suppose,
en termes de qualification et de positionnement des personnes, deux types de
réponses, l'une concernant les juges et l'autre concernant les greffes.
Pour ce qui est des juges, pour avoir une justice forte de proximité, il
faut y mettre des juges d'expérience contrairement à ce qui se
fait actuellement. Autrement dit, il faut que ces juges aient au moins une
dizaine d'années d'activité professionnelle en formation
collégiale ou qu'ils soient recrutés parmi des avocats en
fonction de critères qualificatifs.
En définitive, il s'agit d'y affecter non pas de jeunes juristes
brillants et théoriciens, mais des juges confirmés et
d'expérience qui aient le sens des affaires, le sens du contact avec le
justiciable et qui sachent peser les sanctions adaptées. Cela conduit en
quelque sorte à inverser les structures de sortie des magistrats de
l'Ecole nationale de la magistrature, en favorisant dans un premier temps la
formation collégiale, fût-ce dans les cours d'appel et,
après un certain temps d'activité, dans des juridictions du
premier degré dans des fonctions de juge unique.
En ce qui concerne les greffiers, il faut les associer à la justice de
proximité, d'abord en leur donnant des qualifications pour
l'organisation des juridictions afin d'en décharger le juge et, ensuite,
en leur confiant des pouvoirs et des qualifications pour instruire les
procédures afin de préparer les audiences en soumettant au juge
un dossier constitué. Enfin -ce que je vais dire va peut-être vous
paraître un peu original- il faut donner à ce greffier des
possibilités en matière d'exécution simple des
décisions, c'est-à-dire que tout contentieux simple
d'exécution pourrait, à mon avis, être confié au
greffier, ce qui permettrait de revaloriser cette fonction dans la justice de
proximité en lui donnant en quelque sorte des pouvoirs
pré-juridictionnels ou para-juridictionnels.
J'en viens au deuxième point de votre réflexion, Monsieur le
président, à savoir la spécialisation des juridictions
pour les contentieux complexes.
Il existe effectivement de vastes domaines qui devraient conduire à des
spécialisations de juridictions. Ceux de la propriété
intellectuelle, du droit de la concurrence, du droit des
sociétés, du droit bancaire ou des grandes opérations de
restructuration des entreprises devraient, me semble-t-il, être
confiés à des juridictions plus spécialisées
qu'elles ne le sont actuellement. Ces juridictions spécialisées
seraient en petit nombre, voire, pour certaines catégories de
contentieux, uniques pour l'ensemble du territoire français.
Quels seraient les avantages d'une telle spécialisation ? D'abord,
cela conduirait à une justice de meilleure qualité. En effet,
pour tous ces contentieux techniques qui demandent une approche complexe
supposant des raisonnements à la fois juridiques et techniques, il
serait intéressant d'avoir un personnel très
spécialisé. Une amélioration de la qualité
entraînerait, selon moi, une amélioration du crédit
international de la justice française et, par contrecoup, de la place
économique de la France, si l'on veut bien considérer que le
service judiciaire est un élément de qualité d'une place
économique et boursière.
Par conséquent, si l'on veut attirer les investissements, si l'on veut
que les opérateurs internationaux aient confiance dans la justice
française, il faudra bien passer par une justice
spécialisée dans les grands contentieux commerciaux et dans le
droit des affaires. En outre, cela permettrait de résister à
l'importante concurrence internationale en matière de justice dite de
forum shopping
.
Cela conduirait à favoriser une véritable activité
économique. Ainsi, si l'on prend l'exemple des Pays-Bas, les
Néerlandais ont bien compris qu'en matière de brevets, en
créant une juridiction très spécialisée,
très performante, toute une partie de l'activité
économique, grâce à des avocats et à des experts
spécialisés, pouvait se développer autour de la
juridiction.
L'on peut se demander quelle est l'exigence d'une telle spécialisation.
C'est assez simple : c'est une exigence en termes de recrutement et de
qualification de magistrats hautement spécialisés, ce qui suppose
la création et l'entretien de filières de formation
spécialisées en accordant à ces derniers les avantages
liés à cette spécialisation.
En d'autres termes, cela revient à gérer différemment le
corps judiciaire qui, pour l'instant, ne reconnaît pas du tout les
spécialisations. Par exemple, je vois arriver à la Cour de
cassation des magistrats spécialisés en matière de
brevets, alors que, dans ce domaine, il y a seulement deux places à la
chambre commerciale !
En matière de concurrence, on peut faire le même raisonnement car,
comme vous le savez, l'évolution du droit communautaire de la
concurrence conduit à une réforme du règlement 17/62
d'application des articles 81 et 82 du traité en matière de
concurrence en donnant, notamment, aux juridictions nationales le pouvoir
d'appliquer l'article 81, paragraphe 3, c'est-à-dire
l'exemption des pratiques concurrentielles lorsque celles-ci entraînent
des progrès économiques. Or, ce mécanisme est très
complexe et seules des juridictions très spécialisées
peuvent le faire. Je crois donc que l'évolution du contentieux du droit
des affaires internationales devrait normalement conduire à ces
juridictions spécialisées.
En ce qui concerne la participation accrue des justiciables aux
décisions -c'est le troisième point- si l'on veut axer une
réforme de la justice sur cette question, on peut envisager plusieurs
formes d'emploi des citoyens à des fonctions judiciaires : d'abord,
en matière de justice consensuelle, s'agissant des conciliateurs et des
médiateurs ; ensuite, dans le jugement des petits litiges de
consommation, d'habitat, de voisinage ou de paiement de sommes modestes dans
les petits contentieux bancaires. Il y a donc effectivement des
possibilités d'emploi des citoyens dans des structures de jugement
pré-contentieuses ou pré-juridictionnelles.
Autrement dit, il convient de développer ce qui a été mis
en oeuvre, par exemple pour le surendettement, c'est-à-dire des
commissions composées de personnes qualifiées qui prennent des
positions, acceptées ou non. Dans ce dernier cas, il est toujours
possible de faire un recours juridictionnel. Quoi qu'il en soit, l'on arrive,
à ce stade pré-contentieux, à régler de nombreux
litiges par des décisions qui satisfont les justiciables, sans avoir
recours aux formes de justice traditionnelles.
Enfin, il est une dernière forme d'association des citoyens à la
justice, je veux parler de la participation à des formations
collégiales en développant ce que l'on connaît
déjà, qu'il s'agisse des tribunaux pour enfants, des commissions
d'indemnisation des victimes d'infractions, etc. Il me semble que l'on pourrait
étendre ce type de participation à d'autres formes de contentieux.
Dès lors, quelles seraient les exigences en termes de qualification des
personnels ? Pour ma part, je situe ces exigences à quatre niveaux.
Première exigence pour ce qui est du recrutement : il faut
s'attacher aux fonctions que l'on veut faire exercer à ces citoyens et
donc recruter des personnes de qualité. Je crois que c'est important car
si l'on a connu un échec relatif du corps des conciliateurs, c'est parce
qu'on n'a jamais su bien positionner, en termes de recrutement, ce que sont ces
conciliateurs.
Deuxième exigence : sans doute faut-il éviter des
recrutements qui sollicitent les retraités de la fonction publique ou
territoriale pour s'orienter davantage vers des formes de recrutement plus
civiques du citoyen, type associations parents d'élèves, par
exemple. Cela concerne donc des citoyens engagés dans notre vie publique
et il faut dans ce domaine faire preuve d'imagination.
Troisième exigence : en ce qui concerne la formation, il faut
insister sur un point : si les conciliateurs ont connu un échec
relatif, c'est parce qu'on ne s'est pas suffisamment attaché à
les former. Il convient donc de mettre en place une formation adaptée,
toute intervention dans un mécanisme juridictionnel supposant des
connaissances techniques, un savoir-faire et une déontologie qui sont,
me semble-t-il, le fruit d'un apprentissage.
Enfin, quatrième et dernière exigence : l'encadrement et le
contrôle. En effet, on ne peut laisser ces citoyens dans la nature
pratiquer des fonctions juridictionnelles ou pré-juridictionnelles sans
contrôle. Il convient donc de les faire encadrer par des magistrats
chargés de la justice de proximité. Cela serait de nature
à valoriser les fonctions de collaborateur de justice de
proximité.
S'agissant de la contribution des personnels des juridictions à la mise
en oeuvre des politiques publiques -c'est le quatrième point de mon
exposé- nous abordons ici un thème qui intéresse plus les
magistrats du parquet. Je ne m'y appesantirai donc pas, mais je souhaiterais
faire deux observations.
Premièrement, il me semble nécessaire de spécialiser et de
renforcer les moyens des parquets, car si l'on veut développer les
politiques publiques en matière de justice et notamment de la justice
pénale, c'est en donnant des structures fortes, des pouvoirs forts au
ministère public et aux parquets que l'on y parviendra. Pouvoirs forts
en matière d'organisation et de suivi des enquêtes ; pouvoirs
forts en matière non seulement de poursuite mais aussi de
prévention. Je crois en effet que c'est en constituant des parquets
forts que l'on pourra mettre en place une politique publique forte en
matière pénale. Cela suppose évidemment de distinguer les
fonctions du siège et celles du parquet et donc de distinguer d'une
manière organique et statutaire, les fonctions de juge, qui consistent
à juger, de celles du ministère public, qui consistent, elles,
à poursuivre dans le cadre de la mise en oeuvre des politiques publiques.
Il faut bien insister sur ce point car cela revient en quelque sorte à
inverser la tendance de la justice française qui a toujours voulu donner
une force aux parquets en les amarrant très fortement aux juridictions.
Je pense, pour ma part, qu'il faut faire l'inverse.
J'en viens, enfin, au cinquième et dernier point de ces
considérations générales : quelles sont les
conséquences de l'intégration européenne en termes de
justice ?
Il me semble qu'une Europe judiciaire pourra exister lorsqu'on sera parvenu
à créer dans les corps judiciaires des différents Etats de
l'Union européenne le sentiment d'une appartenance à une
communauté de justice, ce qui peut, selon moi, se faire à trois
niveaux.
Premier niveau : dans la formation commune des magistrats des Etats de
l'Union, dans le cadre de ce qu'on peut appeler un réseau des
écoles de formation des juges. En effet, il s'agit de donner à
ceux-ci une formation de base dans la connaissance des systèmes
judiciaires des autres pays de l'Union européenne. Si l'on veut
développer une coopération en termes judiciaires, il faut que les
juges de chacun des Etats sachent quel est le bon interlocuteur pour entamer
une relation de coopération et quels sont réellement les pouvoirs
de cet interlocuteur, un peu à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis
où chaque juge américain a connaissance des différents
systèmes judiciaires des autres Etats des Etats-Unis.
Deuxième niveau : il faut institutionnaliser les liens de
coopération des juges, c'est-à-dire renforcer tout ce qui est de
la connaissance ou de la reconnaissance réciproque nécessaire
à la création de liens de confiance entre les juges. Les
mécanismes de coopération fonctionneront lorsque les juges auront
confiance les uns dans les autres, lorsqu'un juge français
reconnaîtra une décision espagnole ou italienne, lorsqu'un juge de
common law
reconnaîtra -ce qui n'est pas une mince affaire-
l'autorité d'une décision d'un juge français.
En ce qui concerne les questions spécifiques à la Cour de
cassation, je ferai trois observations concernant, d'une part, l'exigence de
nouvelles qualifications, d'autre part, l'exigence de développement de
nouvelles fonctions et, enfin, les questions plus spécifiques aux
magistrats de la Cour de cassation -points que nous pourrons développer,
si vous le souhaitez, messieurs les Sénateurs.
En premier lieu, pour ce qui est des nouvelles qualifications exigées
à la Cour de cassation, il s'agit de créer un corps formé
aux nouvelles technologies de la communication pour la constitution et
l'exploitation des bases de données informatiques de jurisprudence.
Vous savez que la diffusion de la jurisprudence connaît actuellement un
profond changement et qu'il est dans les missions de la Cour de cassation de
diffuser sa jurisprudence à l'ensemble des juridictions et à
l'ensemble du corps des juristes.
Bien sûr, nous disposons de techniques connues telles que la diffusion
par des publications traditionnelles, mais il nous faut passer maintenant au
développement des bases informatisées -nous sommes en train de le
faire. C'est ainsi que la Cour de cassation vient de mettre en ligne, à
la disposition de tous les magistrats, ses propres bases de jurisprudence. Il
faut donc progresser dans ce sens et, par conséquent, avoir un corps de
fonctionnaires qui soient capables de manipuler ces nouvelles technologies de
l'information.
Par ailleurs, une autre qualification est exigée à la Cour de
cassation, je veux parler de la relation avec la juridiction, afin
d'améliorer la qualité de la justice par la diffusion de
préconisations, de conseils, de communications aux juges pour mieux
juger. Cela se fera également par le développement de relations
en ligne, via le réseau intranet, avec les juges.
J'évoquerai maintenant un second type de formation, un peu accessoire
certes mais tout de même important : la qualification à la
gestion budgétaire.
La Cour de cassation possède un service de gestion qui procède
à des achats publics et qui exerce des fonctions d'ordonnateur, ce qui,
selon moi, suppose des collaborateurs spécialisés.
Personnellement, je suis assez sensible à ce sujet car je suis à
la fois ordonnateur secondaire et personne responsable des marchés
publics. A cet égard, j'aimerais bien avoir des collaborateurs qui ne me
renvoient pas devant les juridictions pénales en cas
d'irrégularités commises dans les marchés publics !
Deuxième type de questions qui se pose aux magistrats de la Cour de
cassation : le développement de nouvelles fonctions. Nous abordons
ici le problème de l'assistance aux juges par les assistants de justice
et celui de l'accueil et de la formation des agents de justice.
S'agissant des assistants de justice, il me semble que ceux-ci ont
démontré l'utilité de leur fonction, et ce en quelques
années de fonctionnement. Cela dit, ils ont également
montré l'insuffisance de leur statut. Pour ma part, je pense donc qu'il
faut renforcer le statut de ces assistants de justice, par exemple en les
rémunérant mieux et en rendant leurs fonctions moins
précaires, plus qualifiées et plus professionnelles.
Cela ne veut pas dire qu'il faille pérenniser ce corps. Au contraire, il
convient de le maintenir dans ses fonctions pendant quatre ans au maximum, afin
de faire de ce corps une espèce de passage privilégié
entre la sortie de l'Université et l'entrée dans la vie
professionnelle. De ce point de vue, il conviendrait de reprendre à
notre compte ce que connaissent les juridictions de
common law
avec ce
qu'on appelle les
clerks
. Ainsi, à la Cour suprême du
Canada, chaque juge dispose d'un groupe de cinq ou six
clerks
qu'il
recrute lui-même directement. Ces clerks restent auprès de ce juge
pendant quatre ans, et au bout de ces quatre ans, ils parviennent très
facilement à trouver un emploi valorisé dans un contentieux
qu'ils auront pratiqué.
Si l'on veut donner de bons collaborateurs aux juges, il faut, me semble-t-il,
aller dans ce sens, car ces jeunes juristes connaissent bien la
jurisprudence : ils sont formés au nouveau droit, ils ont envie de
travailler et de valoriser leurs fonctions, ils sont très actifs.
D'ailleurs, à ce sujet, certaines expériences sont très
positives, je pense aux référendaires à la Cour de justice
des Communautés européennes, notamment.
Il faut donc avancer dans cette voie, ce qui suppose, je le
répète, une amélioration de leur statut, tout en se
gardant de créer un corps de fonctionnaires permanents qui demanderaient
de plus en plus à être intégrés à
l'ancienneté dans la magistrature, qui voudraient plus de garanties
professionnelles ou qui souhaiteraient être associés à de
vraies fonctions de justice, ce qui ne pourrait que créer des
confusions. En résumé, il faut que ce corps reste un corps
d'assistants qui assistent le juge et non qui se substituent à lui.
J'en viens au second problème que j'ai évoqué, à
savoir l'accueil et la formation propres aux agents de justice de la Cour de
cassation. Cette fois encore, je veux dire que les assistants de justice ont
rempli cette fonction. En effet, la Cour de cassation n'avait pas auparavant la
possibilité d'en recruter -cette faculté était ouverte
depuis un peu moins de deux ans aux juridictions de première et de
deuxième instances- et ce corps a ainsi construit un véritable
service d'accueil et de formation à la Cour de cassation.
Pour ce faire, nous avons recruté, via l'Agence nationale pour l'emploi,
des juristes maîtres en droit qui n'avaient pas de travail et qui
étaient sur le marché de l'emploi. Il s'agit en
général d'immigrés de la deuxième ou de la
troisième génération qui, manifestement, étaient
laissés pour compte de l'intégration dans les métiers du
droit. Nous les avons donc recrutés pour accomplir ce travail d'accueil,
après leur avoir fait suivre une formation destinée à leur
faire passer soit les concours administratifs, afin qu'ils puissent entrer soit
dans la fonction publique, par des concours de catégorie B, soit dans
des fonctions de secrétariat d'avocats, d'huissiers ou de notaires.
Nous avons réussi finalement à intégrer ces jeunes dans
les corps du droit. Leur temps de passage à la Cour de cassation est
d'un peu moins de neuf mois : si l'on enlève les trois mois de
formation, cela fait six mois de pratique de l'accueil, ensuite, ils
disparaissent. Il s'agit là, bien évidemment, d'une durée
moyenne car certains ont tendance à rester, mais nous faisons en sorte
de les faire tourner. Ces agents de justice assument ainsi une fonction qui
était assez mal remplie par les greffes.
Enfin, j'en viens aux questions plus spécifiques concernant les
personnels de la Cour de cassation. J'en ai noté six que je vais
énumérer et sur lesquelles nous pourrons revenir, Messieurs les
Sénateurs.
En ce qui concerne le recrutement des présidents de chambre, il faut
davantage orienter la formation vers des magistrats qui ont le sens de
l'organisation.
S'agissant des conseillers, se pose un problème de résidence. En
effet ces magistrats ont de plus en plus tendance à résider en
province, de sorte que la Cour de cassation devient de moins en moins une
juridiction collective.
Quant aux conseillers référendaires, il faut faire évoluer
leur statut vers un statut de véritable juge de cassation.
Pour ce qui est des conseillers en service extraordinaire, la fonction remplit
bien son office, mais il serait souhaitable de recentrer leur recrutement sur
le monde économique et social, alors que la tendance, jusque là,
a été de les recruter dans les milieux universitaires.
Concernant les auditeurs à la Cour de cassation, il faudrait
véritablement en faire un corps d'élite car leur nombre a
été réduit à huit.
Enfin, se pose un grave problème, dont vous entretiendra sans doute le
procureur général, je veux parler de l'évolution du
rôle du parquet de la Cour de cassation qui a connu de profondes
mutations à la suite de décisions de la Cour européenne
des droits de l'homme et qui devra, à mon avis, évoluer dans le
cadre général de la réflexion sur le parquet.
Voilà, Monsieur le président, Messieurs les Sénateurs, ce
que je voulais dire sur l'évolution des métiers de la justice.
M. le Président -
Merci, Monsieur le Premier
président, de ces éclaircissements. Nous allons, si vous le
voulez bien, vous poser quelques questions.
Tout d'abord, selon vous, une bonne justice de proximité, cela suppose
donc des magistrats ayant de l'ancienneté, extrêmement
compétents et avec, notamment à l'instance, des qualités
juridiques très diversifiées ?
M. Guy Canivet -
En fait, cela suppose davantage le sens
des affaires et de la décision équitable que celui des
constructions juridiques très compliquées. Il faut donc avoir des
gens d'expérience -il n'y a pas d'autres termes-, c'est-à-dire
des gens qui aient l'expérience de la relation avec le justiciable, qui
soient crédibles et qui, lorsque la décision est rendue, donnent
l'impression qu'ils ont vraiment exploré l'affaire, qu'ils l'ont
« pesée ». Avant d'être une construction
juridique logique, la décision doit d'abord avoir du sens pour les
parties.
Cela rend nécessaire un renforcement de la justice de première
instance, afin d'en faire une justice effective : tout doit y être
débattu. Ainsi, le procès de première instance ne pourra
faire l'objet d'un appel que lorsqu'il aura été
complètement exploré, lorsque les moyens de preuve, de droit et
de fait auront été complètement produits, lorsque le juge
aura rendu une décision en connaissance de l'ensemble des termes du
litige et lorsque sa décision aura été
exécutée. L'appel fonctionnera alors par contrôle de cette
décision prise en première instance.
Or, pour l'instant, la justice fonctionne à l'envers. On pousse les
affaires vers le haut, vers les cours d'appel et vers la Cour de cassation. On
se dépêche de se débarrasser du litige puisqu'il existe une
juridiction supérieure pour contrôler le bien-fondé du
jugement.
Il faut en fait renverser la situation pour avoir, dès la
première instance, une justice totalement explorée, bien rendue,
et ne procéder ensuite que par contrôle de ce qui y a
été fait. Pour renforcer cette justice de première
instance, il faut donc disposer de magistrats de meilleure qualité et de
plus grande expérience au premier niveau de la justice.
M. le Président -
Il est actuellement beaucoup question des
juges de proximité, qui ne seraient pas des magistrats, mais, au
contraire, des gens d'expérience issus de la société
civile. Tout en distinguant bien entendu le contentieux civil du contentieux
pénal, il s'agirait en fait de juges de paix. Quelle est votre
réflexion à ce sujet ?
M. Guy Canivet -
Ma position est un peu nuancée.
En effet, les juges de paix ont connu un certain succès à
l'époque où les autorités morales existaient. Un notable
était alors recruté pour rendre la justice. C'était
d'ailleurs un dérivé de la justice seigneuriale : quand une
autorité disait le droit et donnait sa solution, chacun la croyait. La
justice est tout de même devenue un peu technique. Les citoyens ne sont
plus sensibles à l'autorité morale de quelqu'un ; de toute
manière, cela n'existe plus.
En définitive, l'autorité d'un système de justice repose
sur les garanties processuelles. Autrement dit, le procès doit respecter
un certain rite : il faut faire valoir des arguments, en débattre
de manière contradictoire jusqu'à leur épuisement, puis
une personne doit prendre une décision qui prenne en compte tous ces
éléments.
Par conséquent, autant il faut des gens d'expérience, autant il
faut également des gens bien formés aux techniques
juridictionnelles. En effet, la juridiction est une technique : c'est un
métier qui ne s'invente pas et il ne suffit pas de former pendant trois
mois des personnes recrutées dans la société civile. En
revanche, ces mêmes personnes peuvent être très utiles dans
le cadre des fonctions pré-juridictionnelles ou
pré-contentieuses, lorsqu'il s'agit de faire rendre par quelqu'un une
décision qui ait à l'égard des personnes auxquelles elle
s'adresse une autorité de conviction.
Ainsi, pour un litige de consommation, le justiciable comparaît devant un
individu, ou une commission composée de consommateurs ou de
commerçants, qui va lui proposer une solution. Si le justiciable est
convaincu, il exécute la décision, ce qui arrive dans au moins
80 % des cas. S'il ne l'est pas, il saisit alors la juridiction
traditionnelle avec tous les risques que cela comporte, notamment en termes de
coûts. C'est une justice très bon marché au départ,
de bon sens, et qui n'engage pas de crédits de la justice dans son
fonctionnement juridictionnel. Il s'agit donc de faire rendre une
décision pré-contentieuse qui, dans beaucoup de cas, satisfera le
justiciable et dont l'exécution mettra fin au litige.
Cela fonctionne en matière d'assurance : les compagnies d'assurance
ont recruté des médiateurs pour les petits litiges d'assurance.
Ces médiateurs ne remplissent pas d'ailleurs des fonction de
médiation : ils présentent en fait au parquet la solution
qu'ils croient pouvoir apporter au litige. Si elle satisfait les parties, le
litige est réglé ; sinon, la justice traditionnelle est
saisie.
C'est donc davantage vers ces mécanismes qu'il faut s'orienter. Cela
dégage d'ailleurs le juge de toute référence à un
quelconque raisonnement juridique. La solution qu'il propose n'est valable que
si elle est très proche finalement de ce que les justiciables attendent
d'une décision de justice.
M. Christian Cointat, rapporteur -
C'est évidemment le coeur
du problème de la justice de proximité. Il s'agit effectivement
de permettre à un « super-conciliateur », une
personne ayant à la fois les connaissances juridiques et
l'autorité morale, d'être véritablement l'arbitre qui
recherche un accord entre les parties. Si cela fonctionne, il faut alors
entériner l'accord et lui donner force exécutoire. Dans le cas
contraire, un procès-verbal signifiant l'échec de la
procédure est nécessaire.
M. Guy Canivet -
J'irai même plus loin : un
accord entre les parties n'est pas nécessaire ; si la
décision de ce juge ne les satisfait pas, elles peuvent saisir la
justice traditionnelle.
M. le Rapporteur -
C'est un point très important. Ces juges
qualifiés, expérimentés, qui seraient un peu des juges de
proximité, des juges d'instance nouvelle formule, seraient donc ceux qui
animeraient et superviseraient ce dispositif ?
M. Guy Canivet -
Absolument. Ils constitueraient en
quelque sorte un recours subsidiaire et seraient saisis lorsque la
décision du conciliateur -ou du juge de base, si vous
préférez ce terme- ne serait pas exécutée ou ne
satisferait pas les parties.
M. le Rapporteur -
Par ailleurs, beaucoup de magistrats s'accordent
pour affirmer que le juge doit recentrer ses activités sur sa mission
juridictionnelle. Cela signifie évidemment qu'il doit abandonner un
certain nombre de tâches qui l'encombrent. Mais il est très
étonnant de constater que, dans les faits, ces mêmes magistrats ne
veulent rien abandonner du tout, notamment en matière de gestion
administrative.
En revanche, s'agissant de gestion budgétaire, ils acceptent fort bien
que le préfet soit l'ordonnateur, ce qui me semble quand même pour
le moins curieux sur le plan de l'indépendance de la justice. Pour
autant, ils rejettent l'idée d'un corps de fonctionnaires,
d'administrateurs ; ils craignent que la Chancellerie ne « mette
la main » dans leurs affaires. En réalité, ils ne
veulent pas trop déléguer les pouvoirs aux greffiers en
matière de gestion parce que, soi-disant, ceux qui contrôlent la
gestion du personnel et les moyens administratifs et techniques ont le
véritable pouvoir.
Quel est votre sentiment à ce sujet ?
M. Guy Canivet -
Votre observation est tout à fait
juste. Je partage l'idée qu'il faut recentrer le juge sur ses
activités juridictionnelles et créer un véritable corps
d'administrateurs de justice. Ma conviction, récente, en cette
matière, est très forte parce qu'elle est le fruit de
l'expérience. Il est vrai pourtant que tout n'est pas simple à
régler.
Donner des pouvoirs de gestion aux greffiers ne me paraît pas une bonne
solution. En effet, sans aller jusqu'à parler d'opposition, il y a de la
méfiance dans les relations de pouvoir entre les juges et les greffiers.
Les juges craignent que les greffiers prennent trop d'importance dans les
juridictions et qu'eux soient privés non pas des pouvoirs de gestion
mais des pouvoirs d'administration. Néanmoins, autant il appartient
notamment au juge d'affecter les magistrats dans les chambres, d'administrer la
juridiction en réglant les flux de contentieux, autant il ne devrait pas
lui appartenir -et c'est même un peu contre nature- de faire de la
gestion budgétaire.
Il faut donc dégager un corps d'administrateurs des juridictions
indépendant des greffes et des magistrats. Ses membres devraient avoir
la culture et la déontologie des gestionnaires des juridictions
d'Amérique du Nord, qui, eux, sont des magistrats, ou des
administrateurs des juridictions supranationales, c'est-à-dire savoir
gérer une juridiction, mais sur les instructions et sous les ordres d'un
magistrat.
M. le Président -
Après tout, monsieur le Premier
président, c'est le cas du secrétaire général dans
une commune : il gère et il exécute, mais sous
l'autorité des élus.
M. Guy Canivet -
Il faut tout de même
reconnaître qu'il existe une grande ambiguïté.
Quand je vais discuter du budget de la Cour de cassation avec le ministre de la
justice et que certains contentieux en cours l'intéressent très
fortement, il y a bien une question d'indépendance qui se pose. Le
ministre de la justice a un intérêt dans des affaires de la Cour
de cassation, et moi, Premier président de cette Cour, j'ai
intérêt à ce que le ministre satisfasse mes demandes
budgétaires.
De plus, comme je le disais tout à l'heure, je suis le responsable des
marchés publics passés par la Cour de cassation. S'il arrivait
qu'un jour un de mes collaborateurs commette une irrégularité
flagrante en matière de marchés publics, je me retrouverais
devant le tribunal correctionnel de Paris : cela créerait une crise
institutionnelle. C'est un vrai problème.
Par ailleurs, si le ministre de la justice, comme c'est déjà
arrivé, veut faire pression sur un magistrat qui ne lui convient pas, il
lui suffit de « tarir » les moyens de gestion de sa
juridiction. Ainsi, si le ministre de la justice n'avait plus confiance en moi,
il pourrait couper tous les crédits de gestion de la Cour de cassation
et je me retrouverais dans une position très inconfortable. Cela n'est
pas un cas d'école, je l'ai vu pratiquer au moins deux fois.
M. le Rapporteur -
En ce qui concerne la justice de
proximité et la sécurité, comment jugez-vous le
fonctionnement de la carte judiciaire ?
M. Guy Canivet -
La réforme de la carte judiciaire
est une nécessité, mais il faut éviter de raisonner
uniquement en termes de juridiction. Il faut réfléchir à
la carte judiciaire d'une manière rationnelle, en étudiant toutes
les possibilités En ce qui concerne la justice de proximité, il
existe en effet des moyens de décliner une présence de la justice
et une centralisation des moyens dans les ressorts. Il est ainsi possible de
délocaliser des greffes et des points d'accès à la justice.
Pour réaliser un maillage de la justice dans l'ensemble des
juridictions, il faut se refonder sur les tribunaux d'instance qui
représentent en effet de forts ancrages, des points avancés de la
justice, dans les circonscriptions. Le mécanisme qui consistait à
rapatrier dans les tribunaux de grande instance, au niveau
départemental, ces juridictions d'instance doit donc être
arrêté. Il faut permettre la tenue d'audiences foraines, installer
des greffes délocalisés, établir des points d'accès
au droit, développer les maisons de justice et du droit mais tout cela
dans un ensemble rationnel. Or, par exemple, je ne suis pas sûr que le
développement des maisons de justice et du droit ait toujours
correspondu à un développement rationnel de la présence
judiciaire dans les ressorts.
Il est donc nécessaire de mener une politique globale d'utilisation de
tous les moyens de présence de la justice dans les ressorts, sans pour
autant aller trop loin en termes de centralisation des moyens. Les juges
d'instance doivent rester dans les tribunaux d'instance si on veut
développer une justice de proximité.
M. le Président -
A condition que les tribunaux d'instance
aient une activité suffisante, sinon il faut trouver d'autres solutions.
M. Guy Canivet -
Absolument. Il y a peut-être une
redistribution à réaliser dans certaines juridictions.
M. le Rapporteur -
Êtes-vous favorables à la fusion du
tribunal de grande instance et du tribunal d'instance dans un tribunal de
première instance ?
M. Guy Canivet -
Je suis davantage favorable au maintien
des tribunaux d'instance. Si l'on veut faire du juge d'instance l'animateur
d'une équipe, il doit vraiment avoir une présence locale et
être l'image de la justice dans le ressort. Comment pourrait-il occuper
le terrain, connaître les gens et assurer ce rôle de
représentation, s'il doit se déplacer une fois par semaine au
tribunal d'instance pour y tenir des audiences ? Si l'on veut vraiment
qu'il recrute des conciliateurs, des médiateurs, qu'il anime des
équipes, il faut qu'il travaille sur place.
M. le Rapporteur -
Estimez-vous, à la lumière de
l'expérience, que la loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes aboutit maintenant
à un équilibre satisfaisant entre le juge des libertés et
de la détention, le juge d'instruction et le parquet ?
M. Guy Canivet -
A mon avis, cette loi n'est qu'une
étape.
Il faudra en effet aller plus loin dans une réorientation de la justice
pénale, entre un parquet qui poursuit et qui administre la preuve des
infractions et un juge qui juge. Il faudra faire évoluer le juge
d'instruction pour qu'il devienne, comme dans tous les grands systèmes
judiciaires, celui qui décide de la mise en examen, c'est-à-dire
de la formalisation d'une accusation, qui s'assure de la
régularité de l'enquête et qui, par la suite, renvoie le
justiciable devant la juridiction de jugement.
Si le juge d'instruction doit être maintenu, il faudra alors le
dégager de tout pouvoir d'investigation directe, d'administration de la
preuve directe. Cela ne répond plus à la conception actuelle du
juge en termes de neutralité.
M. le Rapporteur -
Le pouvoir d'investigation doit-il alors
être transféré au parquet ?
M. Guy Canivet -
Si l'on veut professionnaliser le
parquet et le renvoyer à ses responsabilités, il faut lui donner
clairement la charge de la preuve, sous le contrôle d'un juge pour tout
ce qui relève de l'intrusion dans les grandes libertés.
Il n'y aura alors aucun danger à redonner au juge d'instruction la
responsabilité de la détention puisqu'il sera neutre du point de
vue de l'administration de la preuve.
M. le Président -
Monsieur le Premier président, je
vous remercie.
Audition de M. Jean-François BURGELIN,
procureur
général près la Cour de cassation
(18 juin
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Monsieur le procureur
général, nous sommes heureux de vous accueillir dans le cadre de
cette mission d'information de la commission des Lois sur l'évolution
des métiers de la justice.
Nous nous intéressons à la situation des magistrats, à la
spécialisation des juridictions. Actuellement un débat important
se fait jour : faut-il impliquer les juges dans la société
civile, les consulter sur les politiques publiques ? Dans l'affirmative,
à quel niveau ? Il s'agit ensuite de leurs collaborateurs,
notamment les greffiers qui s'interrogent sur leur positionnement dans les
juridictions. Il s'agit d'ailleurs également du problème plus
général de l'administration de la justice.
Il y a donc toute une série de questions qui méritent que nous
recueillions le sentiment des plus hautes instances judiciaires. Nous vous
sommes donc reconnaissants d'être venu ce matin. Je vous propose de
commencer par une présentation du parquet général
près la Cour de cassation. Puis nous vous interrogerons pour
connaître votre sentiment sur d'autres sujets, même si vous avez
déjà eu l'occasion de le faire connaître.
Vous avez la parole, Monsieur le procureur général.
M. Jean-François Burgelin -
Le parquet général
près la Cour de cassation est composé d'un procureur
général, assisté de trois magistrats qui assurent son
secrétariat général, d'un premier avocat
général et de vingt-deux avocats généraux.
C'est donc une petite entité qui peut bénéficier, en
outre, du concours de deux avocats généraux en service
extraordinaire. Ces personnes, qui ne sont pas des magistrats, sont
affectées pour cinq ans dans le corps judiciaire, à la Cour de
cassation plus particulièrement, soit comme conseillers, soit comme
avocats généraux. Actuellement, le parquet général
dispose de deux postes d'avocats généraux en service
extraordinaire. Un seul est pourvu par un professeur de droit ; je
souhaite que l'autre le soit rapidement : il y a d'ailleurs des candidats,
précisément parmi les enseignants en droit.
Le secrétariat du parquet général est dirigé par un
greffier en chef et compte deux autres greffiers en chef, vingt fonctionnaires
ainsi que deux vacataires. Par ailleurs, trois assistants de justice sont mis
à sa disposition. Des agents de justice sont également
affectés à la Cour de cassation et rendent des services communs
au siège et au parquet.
Les relations entre les magistrats du parquet général et les
avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ont toujours
été bonnes. En effet, il rentrait dans la mission
spécifique des avocats généraux d'être un peu
l'interface, le
go-between
entre le siège d'une part et les
avocats d'autre part. C'est aux avocats généraux que les avocats
à la Cour de cassation pouvaient ainsi facilement s'adresser pour avoir
leur sentiment sur le devenir de telle ou telle affaire, pour leur demander
leur avis sur l'opportunité de plaider telle affaire, de renvoyer telle
autre pour approfondissement. Bref, c'était une mission d'interface qui
était toute naturelle pour des avocats généraux, mais qui
ne pouvait pas être remplie par des magistrats du siège, tenus
à une réserve, à une distance à laquelle ne sont
pas liés les avocats généraux.
La situation de crise actuelle au parquet général est née
de l'interprétation qui a été donnée par le premier
président et les présidents de chambre de la Cour de cassation
d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
-l'arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd de 1998- condamnant la France
pour des dispositions violation de la convention de la convention sur le
procès équitable. C'est ainsi qu'a été
unilatéralement remise en cause la pratique, bicentenaire, selon
laquelle, compte tenu de la disparité, en terme d'effectifs, entre les
magistrats du parquet général et ceux du siège -on
dénombre en effet un magistrat général pour six magistrats
du siège- et de l'obligation légale faite aux avocats
généraux de conclure dans toutes les affaires, ceux-ci prenaient
leurs conclusions après avoir reçu communication du rapport, de
la note et du projet d'arrêt élaborés par le
conseiller-rapporteur.
Du fait des décisions qui ont été unilatéralement
prises par le siège de la Cour, les avocats généraux qui
ne bénéficient plus de la possibilité de conclure dans
toutes les affaires, compte tenu de leur faible nombre. Sous couvert de
respecter la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales, les avocats généraux sont
donc mis dans l'impossibilité de respecter la loi. Cette Convention est
en train, petit à petit, de « mordre » sur la loi
nationale par juge interposé : celui-ci peut désormais, d'un
trait de plume, écarter la loi nationale au profit de cette norme
supérieure.
L'affaiblissement du parquet général a également
été favorisé par le ministère de la justice,
lequel, depuis plusieurs années et surtout très récemment,
a accru de façon très importante le nombre de postes
budgétaires au siège, sans aucune création
corrélative de postes au parquet général. J'ai fait le
calcul : trente-deux postes de magistrat du siège à la Cour
de cassation ont été créés depuis huit ans, mais
aucun au parquet général
Dans ces conditions, on ne peut pas éviter de se demander si ce ne sont
pas les conclusions prises ces dernières années par les membres
du parquet général et non suivies, dans bien des cas, par le
siège de la Cour, qui ont porté certains esprits à
souhaiter la disparition pure et simple du parquet.
Cette situation a évidemment détérioré
l'atmosphère entre le siège et le parquet général
de notre Cour liée à un cloisonnement entre chacune des
fonctions, et cela à l'encontre de l'intérêt du justiciable
et d'une bonne administration de la justice.
Les conseillers ne communiquent plus avec les avocats généraux,
et les avocats aux conseils ne retrouvent plus, bien sûr, avec ceux qui
étaient autrefois leurs interlocuteurs naturels, l'intérêt
d'un dialogue devenu sans contenu faute d'informations suffisantes. Se pose
désormais avec acuité le grave problème de l'adaptation
à leurs nouvelles fonctions des magistrats nommés au parquet
général de la Cour de Cassation, dès lors qu'ils sont
isolés et coupés des réflexions du siège. Comment
vont-ils être formés ? J'avoue être dans
l'incapacité de vous le dire.
S'agissant des relations entre les magistrats et les auxiliaires de justice,
l'application, ou plutôt l'interprétation, de la Convention par la
Cour de Strasbourg a eu pour conséquence la fermeture et non
l'ouverture. Seul le retour aux pratiques antérieures ou encore la
communication du rapport, de la note et du projet d'arrêt à toutes
les parties, y compris aux avocats aux conseils, permettrait de renouer le
dialogue. D'ailleurs, si l'on suit avec attention les arrêts de la Cour
de Strasbourg, on voit que celle-ci pousse non pas à la fermeture mais
à l'ouverture. Cela suppose des réformes de procédure ou
de statut. M. Badinter a bien voulu essayer de comprendre le problème du
siège. Il a élaboré un certain nombre de propositions qui
ont été communiquées au ministère de la justice. Je
souhaite qu'elles aboutissent à des textes de nature tant
législative, s'agissant de la procédure pénale, que
réglementaire en ce qui concerne la procédure civile. J'ai
notamment appelé de mes voeux l'instauration de la représentation
obligatoire des parties par des avocats aux conseils, maintes fois
demandée par les chefs de la Cour de cassation, mais sans succès.
L'accroissement des effectifs du parquet général serait
également à même de permettre à celui-ci de mieux
remplir sa tâche. Il est en tout cas urgent de combler le retard pris. La
création de magistrats du premier grade au parquet
général, à l'instar des conseillers
référendaires, pourrait être une solution.
S'agissant des personnels du greffe, le parquet général, bien que
bénéficiant d'un secrétariat autonome, ne peut
gérer ses effectifs comme il l'entend, dans la mesure où son
autonomie n'est qu'interne ; des affectations sont décidées
par le greffier en chef de la Cour, lequel dépend du premier
président. Il conviendrait qu'une autonomie totale soit
décidée.
D'une manière générale, les fonctionnaires de justice,
dont le rôle est fondamental dans la juridiction, sont insuffisamment
rémunérés. Au surplus, la promotion au choix des
fonctionnaires de qualité est beaucoup trop restreinte par rapport
à la voie du concours. La mise en place d'une indemnité
supplémentaire dite « de rendement » serait de
nature à accroître l'efficacité de ces personnels.
La création de postes d'assistant de justice est une excellente chose.
Les avocats généraux sont très satisfaits du concours
qu'ils peuvent leur apporter ; en effet sont recrutés dans ces
fonctions des étudiants en droit de haut niveau. Leur nombre et leur
rémunération restent cependant insuffisants. Il serait ainsi
possible de décharger les magistrats de tâches de recherche et de
les aider dans la préparation de dossiers simples. Un assistant de
justice pour un avocat général serait la bonne proportion.
Pour tenter de mieux faire comprendre au Gouvernement et aux instances
européennes l'intérêt de l'intervention du parquet
général, il m'est apparu souhaitable de tenter d'obtenir,
à l'instar du parquet général de la Cour des comptes, que
soit délivrée par un organisme agréé une
certification « qualité » de mon parquet
général. La réussite de cette démarche permettrait
de conforter le rôle du parquet général dans l'exercice
d'une bonne justice.
L'exposé que je viens de vous faire n'est pas nouveau. J'ai tenu ce
même discours publiquement à plusieurs reprises, notamment
à l'occasion de la rentrée de la Cour de cassation le 11 janvier
dernier, en présence du président de la République et de
Madame la garde des Sceaux en fonctions à l'époque. Il traduit
l'inquiétude relative au devenir de l'institution dont j'ai actuellement
la responsabilité.
M. le Président -
Monsieur le procureur général,
nous sommes très attentifs à la situation du parquet
général. Celui de la Cour de cassation n'est pas ordinaire ;
il n'a pas du tout le même rôle qu'un parquet général
près une cour d'appel. Il n'a pas d'action publique. Certes, son
rôle est indispensable, mais il convient de revoir son organisation. La
solution consiste peut-être à fournir tout à toutes les
parties, ce que vous liez à la représentation obligatoire.
M. Jean-François Burgelin -
Absolument.
M. le Président -
D'ailleurs, l'absence d'obligation de
représentation est une difficulté pour la Cour de cassation, que
ce soit à la chambre sociale ou criminelle. Ce problème devrait
être résolu par le biais de l'aide juridictionnelle. Les questions
d'organisation et d'efficacité préoccupent notre mission
d'information.
Monsieur le procureur général, vous avez évoqué la
dépendance en ce qui concerne l'affectation des fonctionnaires. Il
s'agit d'une spécificité car, notamment dans les cours d'appel,
le premier président et le procureur général sont
cogestionnaires.
M. Jean-François Burgelin. -
Lors des décennies
antérieures, dans le cursus des magistrats responsables de la Cour de
cassation, les premiers présidents étaient traditionnellement
recrutés parmi les procureurs généraux. Tel fut le cas de
nombre de mes prédécesseurs. Quittant leurs fonctions de
procureur général pour devenir premier président, ceux-ci
avaient tendance à « emporter » avec eux les
responsabilités qui leur étaient propres. C'est ainsi que le
centre de documentation de la Cour de cassation, qui ressortissait à
l'autorité du procureur général, dépend maintenant
de la première présidence. Il en est de même du budget de
la Cour de cassation. Ainsi, historiquement s'explique un affaiblissement de
l'autorité administrative du procureur général au profit
de la première présidence. La dyarchie est
déséquilibrée au sein de la Cour de cassation. Il est
évident que le processus actuel va dans le même sens et s'inscrit
dans la ligne directrice tendant à la disparition d'un parquet
général au profit de la seule autorité du siège.
L'Europe favorise cela. Seules quelques cours suprêmes influencées
par les codes napoléoniens connaissent l'existence du parquet
général. Les pays soumis à la
common law
ignorent
totalement l'existence de cette dyarchie au sein de leur cour suprême.
Par ailleurs, lorsque l'on parle de procureur général devant un
magistrat issu des anciens pays situées au-delà du rideau de fer
surgissent immédiatement l'oeil de Moscou et la voix du parti. On ne
peut pas comprendre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg si l'on ne sait
pas qu'en son sein les juges provenant des pays susmentionnés occupent
une place prépondérante.
Parallèlement, tous ces pays ne comprennent absolument pas notre
système issu des réformes napoléoniennes. On peut leur
expliquer ce que l'on veut à propos de l'indépendance de l'avocat
général, du fait qu'il est non pas le représentant du
Gouvernement mais l'avocat de la loi, il n'en reste pas moins que les
expressions « avocat général »,
« procureur général »,
« parquet » ont une connotation défavorable dans une
grande partie des pays membres du Conseil de l'Europe.
M. Christian Cointat, rapporteur -
Bien que la Cour de justice des
communautés européennes ait un modèle analogue puisqu'elle
compte des avocats généraux.
M. Jean-François Burgelin -
Ce sont des avocats
généraux
sui generis
qui sont affectés
auprès de la Cour de Luxembourg sans pour autant qu'il y ait un parquet
général. Quant à la Cour de Strasbourg, il n'y a pas de
parquet du tout.
En raison d'un ensemble de facteurs tant historiques qu'européens, on ne
peut pas ne pas s'interroger sur le devenir du parquet général
près la Cour de cassation qui ressortit à une tradition
spécifiquement française napoléonienne. Est-il
destiné à survivre ou à disparaître ? Telle est
la question existentielle que j'ai très clairement exposée au
ministre chargé de la justice lorsqu'il a bien voulu me recevoir. Je lui
ai expliqué qu'il revenait à l'Etat de déterminer s'il
entend que le parquet général subsiste avec toutes ses
prérogatives, sa tradition, son indépendance. Si tel est le cas,
il faut lui donner les moyens de remplir sa fonction. Or, à l'heure
actuelle, je ne suis pas dans une telle situation.
C'est à l'Etat de se prononcer et je souhaite qu'une réponse soit
apportée rapidement car je ne peux pas vous cacher la difficulté
à laquelle je dois faire face afin de maintenir un moral serein au sein
de mon parquet général.
M. le Président -
Monsieur le procureur général,
vous avez évoqué l'intérêt porté aux
assistants de justice. Trois d'entre eux, me semble-t-il, sont mis à
votre disposition.
M. Jean-François Burgelin -
Oui, il s'agit de trois doctorants
d'extrême qualité, destinés, à l'évidence,
à passer le concours de la magistrature. Leur aide est très
précieuse aux avocats généraux. Mais leur faible nombre
limite l'intérêt de la mesure. Si cette initiative pouvait
être pérennisée et généralisée et si
ces étudiants pouvaient bénéficier notamment d'un statut
budgétaire un peu plus convenable, cette disposition me semblerait
très heureuse.
M. le Président -
Cependant, vous n'envisagez pas la
création d'un corps d'assistants de justice ?
M. Jean-François Burgelin -
C'est une très vieille
idée, calquée sur les assistants qui sont affectés
auprès des hauts magistrats des pays germaniques, notamment, comme
auprès des juges de la Cour de Luxembourg et des avocats
généraux. Chacun d'entre eux dispose du concours de trois ou
quatre référendaires, qui sont des magistrats ou des
fonctionnaires de très haut niveau. Leur travail permet aux juges ou aux
avocats généraux de rendre des conclusions de très grande
qualité.
En France, cette expérience avait été tentée
à la Cour de cassation voilà une quarantaine d'années avec
l'instauration des conseillers référendaires. Mais en raison de
l'évolution de la situation et du nombre important de dossiers, assez
rapidement, les référendaires sont devenus de fait des
conseillers à part entière. D'ailleurs, maintenant les
conseillers référendaires revendiquent l'obtention d'un statut
analogue à celui des autres conseillers. La mesure a donc
été dévoyée.
Quoi qu'il en soit, je dois reconnaître que ces conseillers sont
remarquables. Ils sont très bien choisis et ils constituent le fer de
lance de la Cour de cassation.
Cependant, dès que l'on met en place des corps constitués de
personnels qui ne sont pas tout à fait des magistrats sans être
cependant des greffiers, j'ai constaté qu'apparaît souvent un
sentiment de malaise. Ces personnes se considèrent comme des
intermédiaires alors qu'elles ne rêvent que de devenir magistrat.
Pour moi, instaurer un tel corps revient à créer un corps de
frustrés.
M. le Président -
Un certain nombre de ces jeunes
« assistants de justice » se destinent donc à une
carrière de magistrat. Sans doute se disent-ils parfois que leur
expérience n'est pas valorisée.
M. Jean-François Burgelin -
Je ne suis pas tout à fait de
cet avis. J'estime que pour ceux qui se destinent à la magistrature,
fréquenter le monde judiciaire, être auprès des magistrats,
connaître le déroulement d'un jugement, assister à un
réquisitoire, savoir de quoi est constitué un dossier
représente une aide précieuse. En effet, par hypothèse,
les candidats au concours de l'Ecole nationale de la magistrature ne
connaissent pas le monde judiciaire ; ils n'ont jamais vu de juge. Lors de
l'oral, ils comparaissent devant un aréopage composé
majoritairement de magistrats. Ils ne connaissent ni leur façon de
penser, ni leur psychologie. De ce fait, ils se trouvent en état
d'infériorité par rapport à ceux qui savent comment
raisonne un juge, quel est son mode d'approche des dossiers. C'est une aide
psychologique considérable pour un candidat à la magistrature que
d'avoir connaissance de ce monde judiciaire spécial. A cet égard,
lors des épreuves du concours, notamment lors de l'oral, les assistants
de justice bénéficient de meilleures conditions que ceux qui
n'ont que des connaissances livresques, académiques de ce monde.
M. le Rapporteur -
Que devrait-on faire pour ceux qui ne remplissent
plus les conditions requises pour passer le concours, notamment en raison de la
limite d'âge ? Ils se sentent un peu frustrés d'avoir pu
acquérir des connaissances extrêmement intéressantes et
d'avoir pu apporter quelque chose au magistrat qu'ils assistaient sans pouvoir
en tirer un avantage pour une carrière collective.
M. Jean-François Burgelin -
Quand on a créé le
Centre d'études judiciaires, qui est devenu l'Ecole nationale de la
magistrature, on a pensé que l'ensemble des magistrats devait être
recruté par l'intermédiaire de cette école et qu'il
était souhaitable qu'à l'instar de l'Ecole nationale de
l'administration, ils soient jeunes. De ce fait, une limite d'âge a
été fixée à vingt-sept ans ; elle est toujours
en vigueur actuellement. Depuis plus de quarante ans, les multiples
réformes ont conduit à la création des deuxième et
troisième concours, des concours supplémentaires. Les
recrutements latéraux divers pour accéder aux fonctions de
magistrat du premier ou du deuxième grande se sont
développés. Les sources de recrutement sont totalement
éclatées et seuls les grands spécialistes arrivent
à s'y retrouver.
Pour ma part, j'estime que cette multiplicité de conditions est
néfaste à la clarté. Je considère également
qu'il serait tout à fait souhaitable de faire disparaître la
limite d'âge précitée et de reconnaître tout
simplement que quiconque d'âge raisonnable et ayant les diplômes
voulus peut présenter le concours de la magistrature. D'ailleurs, les
mères de famille de trois enfants peuvent déjà, quel que
soit leur âge, accéder à ce concours.
M. le Président -
En général, dans le corps de la
fonction publique, l'âge limite est fixée à quarante ans
afin de permettre aux fonctionnaires de pouvoir effectuer une carrière
d'une durée minimale dans ladite fonction.
M. Jean-François Burgelin -
Entre vingt-sept ans, âge
limite pour le concours et trente-cinq ans, âge minimal requis pour
postuler aux concours exceptionnels, nombre de jeunes gens, qui peuvent
être d'excellente qualité, se trouvent dans un «
no
man's land
» totalement injustifiable.
M. le Rapporteur -
Monsieur le procureur général, vous
avez évoqué la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme qui commence à avoir une influence non
négligeable et dont les décisions s'imposent à l'ensemble
des Etats membres du Conseil de l'Europe. Relevons également la
jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes
et du tribunal de première instance. Comment envisagez-vous
l'évolution de la jurisprudence française afin qu'elle puisse
s'adapter à celle de la Cour de Luxembourg qui n'est pas conforme
à nos traditions latines ?
M. Jean-François Burgelin -
Il s'agit de la question la plus
difficile et la plus importante que devra résoudre la justice
française.
En ce qui concerne la Cour de justice des communautés
européennes, ses décisions s'intègrent harmonieusement
dans le
corpus juris
français.
En revanche, tel n'est pas le cas de l'interprétation de la Convention
européenne des droits de l'homme retenue par la Cour de Strasbourg.
Je vous rappelle que la Cour de Luxembourg est composée exclusivement de
juges originaires de l'Union européenne ou de pays ayant des cultures
analogues alors que la Cour de Strasbourg est constituée par
quarante-trois juges, chacun d'entre eux représentant l'un des
quarante-trois pays membres du Conseil de l'Europe. Sur le plan culturel, cette
dernière juridiction est totalement éclatée.
La Convention européenne des droits de l'homme a été
signée en 1950, au lendemain de la guerre. L'objectif des auteurs de ce
texte était de ne plus jamais connaître les conséquences du
nazisme et du communisme qui se sont fait jour au cours des années
trente, quarante.
Dans un premier temps, la France n'a pas ratifié cette convention si
bien que la Cour de Strasbourg a fonctionné sans elle pendant des
années. Puis la ratification française a eu lieu en 1974, le
recours individuel ayant été introduit en 1981.
Au cours des années quatre-vingt-dix, la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg aidant, les avocats se sont rendu compte qu'ils disposaient d'un
moyen extraordinaire pour faire sauter toute une série de verrous de
nature procédurale ou touchant au fond du droit, propres à notre
législation. Ainsi, ladite Cour s'est prononcée successivement
sur la procédure par défaut, la contumace, le statut des enfants
naturels en matière de succession, par exemple ; elle a
considéré que toute une série de dispositions
législatives françaises n'était pas conforme à la
Convention européenne. Les juges français se sont aperçu
qu'ils détenaient un levier de pouvoir extraordinaire car du fait tant
de l'interprétation par la Cour de Strasbourg des dispositions
législatives françaises que de l'application directe de la
Convention que doivent faire les magistrats en vertu de l'article 55 de la
Constitution, ils peuvent en quelque sorte s'ériger en
législateur : ils peuvent maintenant écarter des
dispositions nationales au profit de concepts européens.
Pour répondre à votre question, je dirai que c'est à
l'Etat français que revient la mission de conserver au pouvoir
législatif toute sa signification. Si l'on ne veut pas que
l'autorité judiciaire s'érige en pouvoir législatif, il
faut que l'Etat prenne en compte l'existence de cette jurisprudence
strasbourgeoise et qu'il fasse le « balayage » complet de
l'ensemble de notre législation de telle manière qu'elle ne soit
pas en contradiction avec la convention telle que l'interprète la Cour
de Strasbourg. C'est une oeuvre considérable, je ne vous le cache pas.
Mais si l'Etat ne fait pas ce travail, il laissera au juge la
possibilité de s'ériger en législateur.
M. le Président
- Tout à fait !
M. Jean-François Burgelin -
Or c'est une perversion de nos
institutions que de donner au juge un tel pouvoir. Je voudrais vous faire part
de mes préoccupations en tant qu'avocat de la loi. Quand je prends la
parole devant les juges, je me demande très souvent -peut-être ne
le devrais-je pas ?- de quelle loi dois-je être l'avocat ?
Est-ce le texte tel que l'a voté le Parlement et qui figure dans le code
de procédure pénale ou s'agit-il des grands principes qu'a
dégagés la Cour de Strasbourg et qui sont souvent contraires aux
dispositions nationales ? Mon obligation statutaire, légale,
fondamentale d'avocat de la loi est en train de se dissoudre sous mes yeux
parce que je ne sais plus quelle est la loi dont je dois être l'avocat.
Telle est ma difficulté existentielle, celle que ressentent
également les avocats généraux à la Cour de
cassation. Ils sont de loyaux serviteurs de la loi mais, de plus en plus
souvent, ils ne savent plus de quelle loi ils doivent être les
serviteurs.
M. le Rapporteur -
Ma dernière question concerne la justice de
proximité. Puisque vous êtes au sommet de la pyramide, vous la
voyez d'en haut même si vous en êtes un peu éloigné.
Comment la concevez-vous ? Que pensez-vous des efforts accomplis et de
l'évolution en faveur d'une plus grande justice de
proximité ? Pouvez-vous nous exposer rapidement votre vision -vous
qui appréhendez ces problèmes avec sérénité-
du rôle du parquet dans la politique de la ville et de la justice de
proximité, laquelle pourrait être exercée par un juge de
paix ?
M. Jean-François Burgelin -
Ma sérénité est
totale compte tenu de mon âge et de l'expérience que j'ai pu
acquérir. J'ai commencé ma carrière sous le
général de Gaulle, je vais la terminer sous Jacques Chirac en
ayant connu tous les régimes intermédiaires.
S'agissant du parquet, j'ai une idée qui n'est partagée que par
une minorité. Compte tenu des événements de la
dernière décennie, il ne me paraît pas possible qu'un
membre du Gouvernement soit le chef du parquet. Il est nécessaire que
soit créé -à l'instar d'autres pays européens- un
responsable national de l'action publique qui ne serait pas un membre du
Gouvernement. Ce responsable pourrait être un procureur
général de l'Etat. Il serait non pas une autorité
gouvernementale mais une autorité étatique.
En ce qui concerne l'action de la justice de proximité, tous les efforts
qui ont été faits ces dernières années vont dans la
bonne direction. Il reste néanmoins à faire un effort
supplémentaire qui me paraît absolument nécessaire,
même s'il peut sembler réactionnaire. Il s'agit de rétablir
ce que l'on appelait autrefois « les juges de paix ». Il
est indispensable que la justice de proximité -qui est absolument
nécessaire- soit rendue non par des jeunes gens sortant de l'Ecole
nationale de la magistrature, mais par des gens d'expérience qui ne
seraient pas intégrés dans la magistrature et qui ne
souffriraient pas de frustration dans la mesure où ils n'auraient pas de
carrière à faire. Ce corps pourrait être recruté
chez les personnes de cinquante, soixante ans qui sont disponibles aujourd'hui,
pour un grand nombre d'entre elles, du fait de la crise de l'emploi en France.
Il y a là une mine extraordinaire de personnes qui seraient prêtes
à assumer des missions de justice de proximité. Il faut
simplement le vouloir et imposer au corps judiciaire -qui sera peut-être
réticent- la création de ce corps d'hommes et de femmes
d'expérience, qui accepteraient de consacrer les dernières
années de leur activité professionnelle à exercer cette
justice de proximité au sein d'une maison de justice,
éventuellement au palais de justice ou dans des locaux judiciaires
libres. Cela n'exclurait d'ailleurs pas l'existence des juges d'instance.
M. le Président -
Ni un contrôle !
M. Jean-François Burgelin -
Les juges d'instance devraient
subsister, ne serait-ce que pour contrôler, sur le plan juridique, les
décisions que prendraient ces juges de paix. Ces derniers constituent,
à mon sens, la cheville ouvrière de ce que doit être la
justice de proximité de demain.
M. le Président.
Monsieur le procureur général,
nous vous remercions de vos propos.
Audition de Me Armand ROTH, vice-président,
et de Me
Catherine VARVENNE-LITAIZE,
secrétaire du Bureau chargée
de la formation,
du Conseil supérieur du notariat
(18 juin
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président
- Nous accueillons à
présent Maître Armand Roth, vice-président et Maître
Catherine Varvenne-Litaize, membre du bureau du Conseil supérieur du
notariat.
La commission des lois du Sénat a décidé de créer
une mission d'information sur l'évolution des métiers de la
justice. Bien entendu, cette mission concerne tous les métiers de la
justice.
Aussi avons-nous souhaité entendre les notaires pour connaître
leur sentiment sur l'évolution de leur profession et, d'une
manière générale, sur les relations qu'ils entretiennent
avec leurs interlocuteurs habituels - je pense par exemple aux magistrats du
siège qui sont en relation avec les notaires pour un certain nombre de
décisions relevant du droit de la famille et des successions. Il
convient de se référer à la loi de 1990 portant
réforme de certaines professions judiciaires et juridiques qui touche,
même si c'est de façon marginale, la profession de notaire. Il
convient également d'évoquer les interprofessions. J'aimerais
connaître votre sentiment sur ces différents points.
En outre, je m'intéresse à la question des notaires
salariés, ayant été l'auteur d'un amendement en cette
matière. Combien sont-ils aujourd'hui ? Le système
fonctionne-t-il correctement ?
Lors de nos déplacement en province, nous avons rencontré les
présidents des chambres de notaires de Bordeaux et de Dijon. Il nous
paraissait important de rencontrer sur place les auxiliaires de justice et de
voir comment ils vivaient l'évolution de la justice et de leur
profession.
Vous avez la parole, maître Roth.
Me Armand Roth
- Monsieur le président, permettez-moi
tout d'abord de remercier la mission d'information sur les métiers de la
justice de nous inviter à cette audition. On pourrait tout d'abord
penser que les notaires ne sont pas directement concernés par les
métiers de la justice mais vous venez de démontrer le contraire.
Je souhaite apporter quelques précisions complémentaires. Je vous
présente donc Mme Catherine Varvenne-Litaize, qui est notaire
à Gérardmer qui est secrétaire du bureau du Conseil
supérieur du notariat. Elle est chargée, entre autres, de la
formation continue et initiale des notaires et des collaborateurs de notaires.
Notre profession consacre 21 millions d'euros par an -tous enseignements
confondus - à la formation des notaires et de leurs collaborateurs, ce
qui est un chiffre assez considérable. Par ailleurs, nous nous
préoccupons d'une éventuelle réforme des grades et titres
universitaires, qui va probablement nous conduire à modifier nos propres
règles.
Nous sommes, nous notaires, très attachés à la distinction
entre ce que l'on appelle communément « le
juridique » et le « judiciaire ». Si les
auxiliaires de justice trouvent toute leur place dans le monde de la justice,
il convient de maintenir à côté d'eux un monde du
juridique. Les notaires reçoivent 15 millions de clients et
établissent chaque année 4, 5 millions de contrats. Ces contrats
ne sont pas contestés, ou très faiblement, c'est-à-dire de
l'ordre de 1 pour 10.000, ce qui est insignifiant.
Cette organisation juridique nous semble bonne et mérite d'être
maintenue. Je le dis d'autant plus volontiers que nos amis avocats - nous avons
en effet de très bonnes relations avec les avocats, notamment avec le
bâtonnier de Paris - expriment quelquefois le voeu que soit
créée en France une profession juridique unique semblable
à celle que l'on trouve aux Etats-Unis - les
lawyers
- ou en
Grande-Bretagne - les
solicitors
. Nous n'y sommes évidemment pas
favorables. Nous considérons au contraire que cette distinction du
juridique et du judiciaire mérite d'être maintenue. Elle permet
d'éviter un grand nombre de conflits.
J'en viens à la question de l'
« interprofessionnalité ».
Une réforme vient d'être votée à la suite d'un
amendement de M. Marini sur la loi MURCEF. Ont été
créées les sociétés de participation
financière, ou holdings. Nous souhaitons beaucoup que ces
sociétés de participation financière soient
réservées aux différentes professions, c'est-à-dire
qu'elles ne soient pas l'occasion d'une interprofessionnalité. Il nous
semble utile d'organiser les professions en recourant à ces
sociétés qui chapeautent les autres sociétés. Mais
en tout cas, en ce qui concerne le notariat, il ne nous paraît pas
opportun de mélanger à cette occasion toutes les professions.
C'est un problème d'éthique, de déontologie et surtout
d'indépendance. Les notaires sont des officiers publics. Il n'est pas
naturel que le capital de leur société soit détenu par
d'autres professions, au demeurant parfaitement honorables, comme les
huissiers, les avocats ou d'autres encore Nous souhaitons donc que le
décret d'application réserve les sociétés de
participation financière aux professionnels qui exercent dans les
sociétés d'exercice.
Nous sommes très satisfaits - c'est la deuxième réponse
à la question que vous me posiez - de l'instauration du notaire
salarié. Il a été intelligent d'inclure dans le notariat
un homme qui a les mêmes diplômes, qui est un notaire de plein
exercice, qui détient le sceau de l'Etat mais qui n'a pas les moyens ou
la volonté d'investir des fonds suffisamment importants dans le capital
d'une société civile ou dans un office de notaire. Par ce biais,
nous avons permis l'accès à la profession d'un bon nombre de
personnes qu'un investissement lourd pouvait rebuter.
M. le Président
- Combien y a-t-il de notaires
salariés ?
Me Catherine Varvenne-Litaize
- Il y en a 188.
Me Armand Roth
- Sur 8.000 notaires, ce n'est pas énorme.
Mais ce mouvement prend de l'ampleur. C'est souvent le moyen d'accéder
à la profession. J'ai moi-même engagé un notaire
salarié parce qu'il n'avait pas la possibilité d'être
notaire associé. Grâce à ce biais, il va pouvoir le
devenir. Mais il est déjà très satisfait car il exerce la
profession dans sa plénitude. Simplement, il n'est pas dans le capital,
n'est pas titulaire d'un office, et n'a pas de ce fait la responsabilité
d'un chef d'entreprise.
Quant aux relations que nous entretenons avec le monde judiciaire,
pardonnez-moi de « mettre les pieds dans le plat ».
M. Christian Cointat, rapporteur
- C'est ce qui nous
intéresse tout particulièrement !
(Sourires.)
M. le Président
- On est là pour ça !
Me Armand Roth
- J'ai l'impression que nos concitoyens ont à
l'égard de la justice un sentiment d'inquiétude, voire de
suspicion pour deux raisons : sa lenteur et son caractère
aléatoire.
La lenteur de la justice est habituelle, et même historique. En revanche,
nous sommes davantage choqués par son caractère aléatoire.
Lorsque nous apprenons - comme c'est le cas dans certaines cours - que les
délibérés sont rendus un an et demi après, c'est
une forme de déni de justice. Nos clients ont le sentiment de prendre un
risque - même lorsqu'ils sont sûrs de leurs droits - en s'adressant
à la justice.
Vous me direz que ce n'est pas à moi, notaire, de juger la justice. Vous
aurez sûrement raison. Pourtant, le nombre de jugements qui sont
infirmés par les cours et le nombre d'arrêts qui sont
cassés par la Cour de cassation pourrait démontrer que
l'aléa est une réalité. C'est peut-être la raison
pour laquelle nos clients tentent le plus souvent possible d'éviter le
recours à la justice, ce qui est une bonne chose. C'est peut-être
là que nous pourrions jouer un rôle dans la prévention des
conflits, sans pour autant empiéter dans le domaine des autres
professionnels de la justice. Si on nous le demande, nous sommes
disposés à apporter notre aide. Pour nous, l'essentiel est de
conserver cette distinction du « juridique » et du
«judiciaire ».
M. le Président
- La parole est à maître
Catherine Varvenne-Litaize.
Me Catherine Varvenne-Litaize
- Monsieur le président, si
vous le permettez, je vais essayer de vous éclairer sur la place
particulière des notaires dans les métiers juridiques. Comme le
président Roth vient de vous le dire, le notaire est l'homme du contrat.
J'ajouterai :
1/. qu'il est aussi l'homme du conseil.
Par ce travail de conseil - qui est notre mission première - nous jouons
un rôle absolument primordial en matière de prévention des
conflits. Chaque fois que nous arrivons à mettre d'accord les parties -
nous le faisons souvent préventivement - cela évite d'engorger
les tribunaux. Les clients qui viennent dans nos études en ressortent en
paix. Lorsqu'une affaire ne peut pas être conciliée et que le
client part au tribunal, nous le ressentons comme un échec.
2/. notre deuxième rôle est le règlement amiable des
conflits. C'est l'activité traditionnelle du notaire. Il peut ainsi
arriver à mettre d'accord les héritiers dans une succession ou
à régler des divorces par consentement mutuel. On peut dire que,
si cette forme de divorce a pris un tel essor, c'est souvent grâce au
notaire, qui a permis de trouver un accord sur la liquidation de la
communauté.
Nous réfléchissons actuellement à la
« médiation familiale », qui constitue un
développement de ce que nous avons toujours fait. A plusieurs reprises,
nous avons été en relation avec Mme Monique Sassier. Nous
organisons même des sessions de formation en matière de
médiation familiale qui sont déjà mises sur pied au sein
du notariat. Cependant, je tiens à préciser qu'il faut être
prudent. Par exemple, nous ne sommes pas favorables à la primauté
de l'accord des parties sur la loi ou le jugement. Nous ne souhaitons pas que
la médiation familiale devienne une « sous-justice »
en marge de la règle de droit. Une telle médiation conduirait
à la raison du plus fort ou à la raison du moins pressé.
Nous pratiquons la médiation, mais nous le ferons toujours dans le
respect de la règle de droit. Nous nous formons à la
médiation dans ses aspects psychologiques, ce qui nous aide à
mieux exercer notre rôle. Mais, je le répète, nous ne
voulons pas que la médiation remplace la règle de droit.
3/. Notre troisième rôle est celui d'auxiliaire de justice.
Lorsque, par exemple, nous sommes commis par le tribunal pour procéder
à une liquidation, nous agissons non plus comme conciliateur mais comme
mandataire du tribunal Nous assurons ce rôle le mieux possible, et une
formation importante est dispensée à cet égard.
Pour que notre rôle de prévention des conflits soit meilleur, il
est important que nous participions à l'accès au droit,
c'est-à-dire à l'information des clients sur leurs droits, etc.
Les notaires sont largement représentés dans les commissions
départementales d'accès au droit. Il nous est d'ailleurs facile
de mobiliser nos troupes. En effet, comme toute profession bien
structurée, il suffit d'inciter quelques notaires à y aller pour
que tout le monde se mobilise.
Nous sommes attentifs à réaliser une information collective
très importante des clients. Nous l'avons fait, par exemple, à
propos de la loi du 3 décembre 2001 réformant les droits du
conjoint survivant. Par notre réseau de délégués
à la communication qui couvre le territoire, nous allons organiser des
réunions d'information au niveau de l'arrondissement. Cette mission
d'information est pour nous primordiale.
M. le Président
- Votre revue
Conseil par des
notaires,
qui est diffusée dans les mairies a un succès
considérable. L'exemplaire sur les droits du conjoint survivant, par
exemple, est tout à fait remarquable.
Pour les notaires et leurs collaborateurs, la formation continue est une
exigence. Les notaires ne peuvent pas se permettre d'à-peu-près
quand il faut appliquer une loi. En matière de conseil, les erreurs ne
sont pas tolérées.
Je m'interroge sur les activités non juridictionnelles des magistrats.
Un certains nombres de ces actes ne pourraient-ils pas être
transférés aux notaires, qui sont des officiers publics, sous le
contrôle du parquet ? Lorsque le juge n'intervient que formellement,
par exemple pour apposer une signature, on pourrait envisager de confier un tel
acte à des officiers ministériels.
Me Armand Roth
- On en a quelques exemples. C'est ce que l'on
appelle la « déjudiciarisation ». L'homologation du
contrat de mariage en est un exemple flagrant. Elle pouvait se comprendre
à une époque où on voulait conserver l'immutabilité
des conventions matrimoniales. Aujourd'hui, le système est
incohérent. Deux jeunes gens de 25 ans peuvent signer le contrat de
leur choix, en dépit des recommandations du notaire. En revanche, deux
personnes de 50 ans qui veulent changer de régime matrimonial
doivent obtenir l'accord du juge. Il faudrait remédier à ces
situations.
Un problème bien connu des avocats est celui de la saisie
immobilière. En Alsace-Lorraine, les saisies se font devant notaire.
C'est extrêmement rare, voire inexistant dans le reste de la France. Or
nous constatons que les saisies immobilières pratiquées au
tribunal aboutissent à une adjudication à la moitié de la
valeur. Une réforme de ce système serait salutaire du point de
vue de la moralité du marché.
D'autres contrats mériteraient d'être authentifiés en
raison de leur importance, c'est le cas par exemple de l'acte de caution et de
l'acte de contrat de construction de maison individuelle, qui suscitent de
nombreux conflits car ce ne sont pas des actes notariés. Dans la grande
majorité des cas en effet, c'est l'acte du promoteur qui est pris en
compte.
Et puis, nous avons été vexés de constater que le PACS
avait été affecté aux greffiers. Le PACS, vous le savez,
est établi directement entre les personnes concernées et souvent
de façon assez sommaire. C'est un bout de papier qui est
déposé au greffe comme le prévoit la loi.
Sans doute pour cette raison, les notaires se sont
désintéressés du PACS. Et je constate que bon nombre de
pacsés ne retrouvent plus le papier - puisque personne ne l'a
conservé -papier de surcroît le plus souvent mal
rédigé, ce qui est encore un facteur de troubles, voire, demain
d'actions en justice et, donc, une nouvelle source d'encombrement.
Vous connaissez aussi notre vieille querelle sur les cessions de parts de
sociétés immobilières ou de sociétés
à prépondérance immobilière pour lesquelles il n'y
a pas d'acte authentique, ce qui est une occasion de blanchiment de l'argent.
Nous considérons que la France devrait appliquer la précaution
qui existe dans l'ensemble de l'Europe.
Nous sommes donc prêts à contribuer à la
déjudiciarisation et même à jouer un rôle plus
important dans d'autres domaines pour éviter des conflits qui
viendraient encombrer les tribunaux. Mais quand nous disons cela, nous sommes
immédiatement soupçonnés de pratiquer un corporatisme un
peu sommaire. Très franchement, ce n'est pas avec les actes que je viens
d'énumérer que les notaires veulent gagner leur vie. Le PACS, ce
n'est pas une source de revenus. Simplement, nous sommes en mesure à un
moment précis de donner un conseil, probablement pour rien d'ailleurs,
en tout cas pour pas grand-chose.
Me Catherine Varvenne-Litaize
- Je veux seulement citer un
autre exemple dans cette procédure de déjudiciarisation. Lorsque
nous procédons à des partages successoraux dans lesquels des
mineurs sont intéressés, nous avons bien sûr l'autorisation
du juge des tutelles. Notre acte de partage doit être homologué
par le tribunal. Cela prend généralement plus d'un an et ce, pour
rien au fond puisque ces actes sont toujours homologués sans le moindre
problème. Et pendant cette année, tous les gens qui ont fait le
partage voient leurs biens gelés. Cela donne à nos clients une
image déplorable de la justice. Nous-mêmes, nous n'arrivons pas
à donner une explication. C'est un petit détail certes, mais en y
remédiant, on pourrait améliorer l'image de la justice.
M. le Président
- Chère madame, ce problème
sera réglé avec la proposition de loi que je viens de
déposer sur la réforme du droit des successions. L'homologation
est en effet une survivance du passé. Elle n'a aucun
intérêt puisque personne ne vérifie rien après le
notaire qui s'est assuré que les choses ont été faites
dans les règles.
M. le Rapporteur
- Pourriez-vous nous préciser à
l'occasion de quels contentieux le juge sollicite le plus souvent votre
intervention ?
Me Catherine Varvenne-Litaize
- Nous sommes sollicités en
droit de la famille. Le notaire est commis par le tribunal en cas de litige sur
une succession ou sur un divorce pour établir un état liquidatif
soit de succession, soit de communauté. A cette occasion, le notaire
change de rôle puisqu'il est le mandataire du tribunal et qu'il cesse
d'être le conseil de l'une ou l'autre des parties. Il est
indépendant. Il est chargé de recueillir de part et d'autre les
renseignements au vu desquels il établit un état liquidatif qui
sera soumis à l'homologation du tribunal. Cela, c'est un rôle
traditionnel qui nous est dévolu depuis longtemps.
Notre mission d'auxiliaire de justice se développe actuellement de
façon quelquefois indirecte. C'est ainsi que le nouveau code de
procédure civile prévoit que, pour fixer une prestation
compensatoire, le juge peut demander à tout expert -
généralement à un notaire - d'établir le patrimoine
des parties. Nous sortons là de notre mission traditionnelle pour nous
rapprocher des experts judiciaires.
Si nous sommes bien entendu prêts à assumer cette fonction, encore
faut-il préciser que le texte pose une incertitude en ce sens que nous
ne savons pas comment nous faire rémunérer : est-ce au juge
de fixer préalablement notre rémunération ? Ou bien
nous faut-il la demander aux parties ? Cela paraît un peu bizarre
puisque c'est le juge qui nous a désigné.
Nous sommes prêts à assumer toutes ces tâches d'auxiliaire
de justice mais nous souhaitons qu'elles soient véritablement
encadrées.
M. le Rapporteur
- J'ai une autre question qui concerne votre
rôle pour éviter les conflits grâce au développement
du recours aux clauses compromissoires dans les contrats passés entre
professionnels. Que pensez-vous de cette procédure d'arbitrage ?
Me Armand Roth
- Cette procédure, vous le savez,
était impossible en matière civile. La règle vient
d'être assouplie. Nous y sommes d'autant plus favorables que
c'était une revendication assez ancienne des notaires qui souhaitaient
l'extension de la clause compromissoire aux contrats civils, alors qu'elle
n'était admise que dans les contrats commerciaux. Cela paraît un
bon moyen pour se prémunir contre des conflits ultérieurs.
Je tiens simplement à préciser qu'il ne s'agit pas de
créer une sous-justice, ce qui serait, à mon avis,
périlleux. Je me souviens de l'observation d'un premier président
de cour d'appel selon lequel ce mode alternatif de règlement des
conflits n'est rien d'autre que le moyen de permettre au moins pressé et
au plus fort de toujours l'emporter... comme le disait
Mme Varvenne-Litaize !
Vous comprenez notre préoccupation. Nous sommes prêts à
l'arbitrage mais qu'on ne nous demande pas de dépasser notre rôle,
celui de la conciliation. Au-delà, nous ne voulons pas trancher. Nous ne
voulons pas changer de métier.
M. le Rapporteur
- On a évoqué les lois nouvelles et
les difficultés qu'elles peuvent engendrer. Avez-vous rencontré
des problèmes réels avec l'une ou l'autre d'entres elles ?
Me Armand Roth
- Vous m'obligez à dire des choses
impossibles ! Oui, très franchement !
Vous connaissez mieux que moi le nombre de lois votées. C'est le reflet
de l'évolution de la société. On se souvient de ce que le
doyen Carbonnier a appelé « la révolution tranquille
des années soixante » au cours de laquelle tout le code civil
a été modifié de manière paisible sans susciter la
moindre contestation.
Nul n'a oublié la querelle qui a éclaté en France en 1972
au sujet de l'enfant adultérin. Aujourd'hui, cette notion a
été supprimée sans soulever de protestation. Cela prouve
bien que les moeurs évoluent et que la loi doit naturellement suivre les
évolutions. Elle doit suivre, mais non précéder. Nous nous
plaignons moins de la pléthore que des difficultés
sérieuses que nous rencontrons dans l'application des lois. Ce fut
notamment le cas avec la loi SRU qui ne réglait pas certaines questions.
Nous n'aimons pas non plus la loi qui revient trop souvent sur le bureau du
Parlement. C'est ainsi que la réforme des régimes matrimoniaux de
1965 a été revue en 1985. Vingt ans, pour nous, c'est
court : pendant ces vingt ans, la jurisprudence s'est formée et la
loi a pris sa stabilité. Si au bout de ce laps de temps, sous
prétexte que la jurisprudence a évolué, on remet la loi
sur le tapis, on va créer de nouvelles sources de jurisprudence et
encore encombrer la justice !
Je crois que la loi ancienne n'est pas une loi mauvaise. On se moque du code
civil qui va bientôt avoir deux cents ans. Mais la loi qui a passé
l'épreuve du temps est souvent la meilleure des lois, sauf, encore une
fois, évolution de la société.
Je vous le confirme : les notaires se plaignent fréquemment de lois
mal écrites et hâtivement votées qui nous imposent ensuite
soit de les interpréter, soit d'attendre les jurisprudences. Je vous
avoue pourtant que nous organisons tous les ans un congrès de notaires
avec un thème autour duquel nous souhaitons des modifications
législatives...
M. le Président
- C'est vrai que tout ce qui concerne
le droit de l'urbanisme vous touche au premier chef. Or, nous les élus,
nous savons bien que la loi SRU est totalement inapplicable en raison de sa
complexité et de ses incertitudes.
En revanche, pour les droits du conjoint survivant, nous étions
curieusement très en retard. Cette réforme aurait dû
intervenir en même temps que celle des régimes matrimoniaux. Il
est bizarre d'avoir attendu aussi longtemps pour réactualiser un droit
vieux de deux siècles.
Me Armand Roth
- Notre congrès sur ce thème remonte
à vingt ans. Personne n'était d'accord tant était vive la
crainte de la fameuse veuve - la danseuse ! - tellement plus jeune que son
conjoint ! Sans chercher à vous flatter - car je sais le rôle
que vous avez joué dans l'élaboration de cette loi - le texte est
bien écrit et ne nous cause pas de souci d'application.
Nous avons toutefois une inquiétude. Aux termes de la loi, le testament
qui priverait le conjoint survivant de son logement doit nécessairement
être un acte authentique. Nous sommes sensibles à la confiance que
vous nous faites. Ce n'est pas avec cela - contrairement à ce qui a
été dit à l'Assemblée nationale ! - que les
notaires vont faire fortune. En revanche, nous sommes très
troublés car nos coffres contiennent des milliers de testaments qui
privent le conjoint du droit au logement. Et nous sommes en train de nous
demander s'il ne va pas nous falloir les ressortir les uns après les
autres pour demander au testataire s'il envisage de revenir sur sa
décision.
M. le Président
- Si nous avons prévu cette
disposition, c'est pour imposer une réflexion aux gens. Nous souhaitons
leur laisser la liberté de tester mais en leur donnant la
possibilité de peser leur décision en allant chez le notaire.
Me Armand Roth
- Ce que vous venez de dire reflète pour nous
une réalité quotidienne. Voir le notaire, ce n'est pas simple.
Cela suppose de prendre un rendez-vous, ce qui laisse quelques jours de
réflexion. Après quoi, on a un entretien qui dure environ un
heure.
De là notre réticence lorsque nous voyons apparaître dans
la loi des droits de rétractation des actes authentiques. La loi SRU
ouvre cette possibilité pour un acquéreur. C'est stupide !
L'information a été largement donnée. Avant d'arriver chez
nous, il s'est passé une semaine. Celui qui souhaitait se
rétracter a eu largement le temps de le faire. En réalité,
c'est lui donner le moyen de ne pas respecter son engagement, ce qui n'est pas
convenable.
M. le Président
- Comparer un notaire à un vendeur de
voiture, ce n'est pas très digne en effet !
Me Catherine Varvenne-Litaize
- Je voulais ajouter un mot qui
concerne tous les métiers de la justice. Nous consacrons un budget
très important à notre formation professionnelle. Nous l'assurons
et nous la finançons. La convention collective qui a été
signée voilà un an prévoit que chaque année, nos
collaborateurs doivent suivre au moins deux jours de formation. En quatre ans,
tous les collaborateurs du notariat - quel que soit leur niveau - auront suivi
cette formation. C'est dire l'importance que nous attachons à ce sujet.
Or, nous avons été très troublés par deux
décrets qui sont sortis en avril. A la lecture de la loi sur la
validation des acquis professionnels et de ses décrets d'application, il
apparaît que tout diplôme de quelque nature qu'il soit peut
être obtenu par deux voies : la voie traditionnelle ou la validation
des acquis professionnels. Il suffit d'avoir une expérience
professionnelle de trois ans et de se présenter devant un jury pour
obtenir n'importe lequel diplôme.
Cela nous a immédiatement interpellés. Si cette disposition nous
paraît tout à fait admissible pour nos collaborateurs, elle nous
semble complètement aberrante pour le diplôme de notaire. Or, nous
n'avons lu aucune restriction.
M. le Président
- Je pense que tel n'est pas le sens du
texte : il était dommage que dans un certain nombre de domaines
professionnels, les acquis ne soient pas pris en compte. Mais il n'est pas
question de devenir avocat, notaire ou médecin par cette voie.
Me Catherine Varvenne-Litaize
- Malheureusement, le diplôme
de notaire est un diplôme universitaire. Et tous les diplômes
universitaires peuvent être acquis par la validation de
l'expérience.
Nous sommes également très inquiets de la modifications des
diplômes universitaires qui fait disparaître la maîtrise et
ne prévoit plus que la licence et le mastère. Faut-il rappeler
que la formation de tous les métiers du droit est fondée sur la
maîtrise ? Pourquoi la faire disparaître du jour au lendemain
sans la moindre concertation ?
M. le Président
- Nous vous remercions d'avoir
répondu à notre invitation.
Audition de Me Yves MARTIN,
vice-président de la Chambre
nationale des huissiers de justice
(18 juin
2002)
Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président
M.
Jean-Jacques Hyest, président -
Monsieur le président, nous
vous remercions d'être venu. Au cours de cette mission d'information sur
l'évolution des métiers de la justice, nous entendons les
représentants de tous les auxiliaires de justice.
Lors de nos déplacements en province, nous avons rencontré un
certain nombre de vos confrères pour savoir comment évolue le
métier et quelles sont vos difficultés. Nous avons appris que vos
collaborateurs assurent les audiences.
Me Yves Martin -
Notre profession a suivi une évolution
importante. Heureusement, car nous partions de bien bas ! Dans les
années soixante, il suffisait de savoir lire, écrire et
d'être français pour être huissier de justice.
Maintenant, la maîtrise en droit, qui est obligatoire, ne suffit pas. Il
faut suivre deux - bientôt trois - années de stage. Elles sont
sanctionnées par un examen professionnel que nous avons le droit de
passer quatre fois. Au bout de quatre échecs, ou bien nous restons
employé principal, ou bien nous changeons de voie.
L'évolution est donc flagrante. En quelques années, nous avons la
même formation que les notaires. Nous avons le même cursus que les
avocats et les magistrats.
Un institut de formation qui nous appartient dispense des conférences
dans toute la France. Nous souhaitons que cette formation devienne obligatoire.
En effet, on s'aperçoit que si quelques uns et de nos confrères
avaient une meilleure bibliothèque et avaient suivi une formation
continue, notre caisse de responsabilité civile assumerait certainement
moins de sinistres. Les appels à cotisation s'en trouveraient
minorés.
Nous avons ensuite une école de formation des clercs. Ainsi, un clerc
qui n'a pas son certificat d'études peut devenir huissier de justice en
dix ans s'il est assidu et travailleur. Nous proposons également une
formation par correspondance, avec des conférences dans les
universités. Nous avons nos professeurs de droit. Ce sont des
professeurs d'université qui sont également des confrères.
Cette formation est composée de trois cycles, à l'issue desquels
un examen permet d'obtenir un certificat. Sa valeur ajoutée se traduit
sur la grille des salaires. De plus, il permet, si l'on abandonne le
métier d'huissier, d'accéder à n'importe quelle profession
de droit, par exemple dans une banque ou dans un organisme de crédit.
La formation, celle des huissiers comme celle de leurs employés, est
financée à 100 % par la profession. Nous ne percevons aucun
financement extérieur.
L'exécution est attachée au titre d'huissier, même si cela
nous vaut, non d'être rejetés mais d'être catalogués
comme des spécialistes des constats d'adultères, des expulsions
et des saisies immobilières. En fait, l'exécution et le
métier d'huissier évoluent. Il n'y a en effet plus grand chose
à saisir chez les gens ; même s'ils possèdent un
patrimoine, ils le cachent par des biais au demeurant tout à fait
légaux, par exemple des sociétés civiles
immobilières. Dans certains cas, on sait pertinemment que les gens sont
solvables mais l'on ne parvient pas à déterminer les biens qu'ils
possèdent. Il faudrait faire quelque chose dans ce domaine.
Le constat d'adultère est un acte désuet, et c'est tant mieux. Je
n'ai jamais aimé faire ce genre de choses, quels que soient les volumes
d'anecdotes que l'on pourrait écrire sur le sujet !
Notre profession a su évoluer. Elle est informatisée à 100
%. A ma connaissance, il n'y a pas d'étude qui ne soit pas
informatisée. La Chambre nationale des huissiers de justice a
créé l'association Droit électronique et communication,
l'ADEC. Celle-ci a récemment mis en fonction un centre serveur. Nous
attendons pour l'instant que les donneurs d'ordre et nos confrères
adhèrent à ce service. Ce centre est un tuyau de communication
qui nous permet de dématérialiser l'envoi de dossiers et de
correspondance. Même s'il ne supprimera pas totalement le papier, ce
système permettra de gagner du temps et de réaliser des
économies.
La profession d'huissier de justice est très ancienne. Du temps des
Romains, on appelait les huissiers des
officiales
. Lors de la
révolution de 1789, les professions réglementées ont
été supprimées. La fonction d'huissier a été
pérennisée. Il a été mis fin à la
vénalité de leur charge tandis que les avoués, les avocats
et les notaires ont été supprimés. Aujourd'hui, on essaie
de donner une nouvelle image de l'huissier de justice, que l'on tente
d'intégrer au monde de l'entreprise.
De nombreuses mesures conservatoires sont en effet à prendre dans
l'entreprise. Nous organisons prochainement à l'Ena un colloque sur les
marchés publics. Nous pensons que l'huissier de justice a sa place dans
la procédure de passation des marchés publics. Certaines affaires
assez scabreuses ont dernièrement fait la une de l'actualité.
Pourquoi ne pas confier à l'huissier de justice l'anonymat, le port et
la réception de plis ainsi que la prise en note de ce qui est ensuite
dit et décidé, non pas pour surveiller les maires mais pour
appuyer la commission de contrôle des marchés publics ? Je me
demande s'il ne faudra pas un jour changer le nom de notre profession. Mais je
m'exprime là à titre personnel. Pour les gens, l'huissier
évoque les constats d'adultère et les expulsions.
M. le Président -
Il n'est pas facile de trouver un terme simple
correspondant exactement à votre profession. Le mot
« notaire » ne veut rien dire pour les gens mais ils savent
ce que c'est. Le notaire est le garant des contrats.
Me Yves Martin -
Absolument. Le notaire exerce un métier
conventionnel. Les deux parties se rendent chez le notaire d'un commun accord.
Tandis que chez l'huissier, l'une des deux parties est toujours
mécontente et n'aura jamais une bonne image de celui-ci. Or il faudra
toujours quelqu'un pour exécuter les décisions de justice.
M. le Président -
En fait, l'huissier de justice ne fait
qu'exécuter les décisions de justice. C'est du jugement que les
gens ne sont pas contents.
Me Yves Martin -
Ils sont doublement mécontents. Ils le sont
à la fois de la décision de justice et de l'huissier, qui est en
première ligne. Les gens ne vont jamais voir le juge. Ils s'en prennent
toujours à l'huissier. Toutefois, même si l'on a du mal à
changer l'image des huissiers, on y arrive petit à petit. Il faudra
toujours quelqu'un pour exécuter les décisions de justice, qui
sont nombreuses. Les huissiers pourraient mieux les exécuter si on leur
en donnait les moyens.
M. le Président -
Pour un certain nombre de tâches, qui
sont non juridictionnelles, telles les homologations, ne serait-il pas possible
de se dispenser des procédures lourdes devant les juges ?
Me Yves Martin -
C'est déjà le cas pour les chèques
sans provision. L'huissier appose au bas du titre la formule exécutoire.
On dénombre 3 600 huissiers en France. A ma connaissance, aucun
confrère n'a jamais fait de faux ou n'a jamais abusé de ce
pouvoir - donner la force exécutoire est un pouvoir - et aucun incident
ne s'est produit.
Outre mes fonctions à la Chambre nationale des huissiers de justice,
j'exerce toujours dans mon étude. Je suis effaré de voir que,
pour recouvrer des créances de 500, 1.000 ou 1 500 francs - et alors
qu'il n'y a aucune contestation -, un huissier est obligé de demander un
titre au juge. Le juge lève les bras au ciel ! L'huissier, de par
sa formation, est à même d'apprécier les pièces
justificatives. C'est ensuite au débiteur, s'il n'est pas satisfait -
nous sommes dans un Etat de droit - de dire qu'il n'est pas d'accord.
L'huissier de justice peut faire beaucoup en matière d'inversion du
contentieux.
Si vous voulez désengorger les tribunaux, il faut améliorer
l'accès aux renseignements. Lorsque nous devons exécuter un
jugement contre une personne, nous ignorons si celle-ci a un compte en banque,
à quel endroit elle travaille et si elle possède des biens. Pour
obtenir ces renseignements, nous sommes obligés, malgré notre
qualité d'officier ministériel, de faire appel aux procureurs de
la République. Or ils n'ont plus le temps d'enregistrer nos
demandes !
M. le Président -
Et on veut exécuter les décisions
de justice !
Me Yves Martin -
Nous avons ce pouvoir en matière de recouvrement
de pensions alimentaires. Par exemple, si une créancière fait
appel à moi pour recouvrer la pension alimentaire que son mari lui doit,
j'ai qualité pour interroger tous les fichiers nécessaires.
Depuis environ trente ans qu'existe cette procédure de recouvrement des
pensions alimentaires, aucun confrère n'a été poursuivi
pour avoir usé et abusé de ce droit
« exorbitant ».
En revanche, si une créancière se présente avec un
jugement exécutoire, si elle a obtenu un jugement au pénal et des
dommages et intérêts parce que son mari ne lui verse pas de
pension alimentaire, elle risque d'attendre six mois avant que je puisse
exécuter le jugement parce que M. le procureur de la République -
avec qui nous avons de bonnes relations - souhaite que nous ne lui demandions
plus de renseignements ! Il ne peut nous répondre parce qu'il n'a
pas de personnel. C'est discriminatoire. Je ne peux rien faire. De plus, je
n'ai pas le droit de me servir de renseignements que je pourrais
posséder dans un autre dossier. Un travail important est à faire
pour libérer les magistrats et leur personnel de certaines charges afin
de leur permettre d'accomplir d'autres tâches, plus nobles.
En résumé, on nous fait confiance dans certaines matières
mais pas dans d'autres.
M. le Rapporteur -
Vous devez obligatoirement assister à un
certain nombre d'audiences au tribunal ou, à défaut, vous y faire
représenter. Pouvez-vous nous dire dans quels cas et nous expliquer
pourquoi cela se passe ainsi ? Pourquoi les huissiers devraient-ils
rémunérer le personnel qui assiste à ces audiences alors
même que la justice ne prévoit pas des fonds suffisants à
cette fin ?
Me Yves Martin -
Le service d'audience est imposé aux huissiers
de justice. On ne le discute pas, cela date du temps de Napoléon. Ce
service est prévu par notre statut et fait partie des contraintes de
notre profession. On ne peut pas avoir que des privilèges ! Mais en
fait, ce service est plus qu'une contrainte. Nous assistons aux audiences
civiles et pénales.
Ce sont les délivrances d'acte pénal qui nous gênent, car
nous ne percevons que 18 francs pour délivrer ces actes, et ce
tarif n'a pas été augmenté depuis 1985. Le prix d'une
lettre recommandée est deux fois supérieur à celui de
notre acte alors que, pour le délivrer, il faut une voiture, une
assurance, de l'essence, un clerc, du papier ainsi que le matériel
informatique pour le saisir. Il faut ensuite porter cet acte chez son
destinataire. Après la signification de l'acte, de multiples
formalités sont à accomplir. Il faut rechercher la personne. Dans
ce cas, on nous donne accès aux fichiers pour la trouver !
Les audiences pénales ne seraient pas une contrainte si elles
étaient justement indemnisées. Or ces audiences commencent
quelquefois le matin à huit heures, surtout en cour d'assises, et se
terminent très souvent vers deux heures du matin, et ce pendant
plusieurs semaines, en fonction de l'importance du procès. Dans ce cas,
nous percevons 50 francs pour la journée. Comme nous avons autre chose
de plus sérieux à faire dans notre étude, nous
détachons un clerc, que nous mettons à la disposition, soit de la
cour d'assises, soit du tribunal de grande instance, soit du tribunal
d'instance, selon la matière, à condition que le président
du tribunal, qu'il soit civil ou pénal, accepte cette formule. Ce clerc,
comme il est normal, perçoit un salaire. Ses heures
supplémentaires lui sont également
rémunérées. Nous touchons 50 francs pour cela ! Nous
ne demandons pas à faire fortune avec la matière
pénale ; nous souhaitons simplement une juste
rémunération mais celle-ci, jusqu'à présent, nous a
été refusée.
Nous avons réussi, pour l'instant, à faire patienter la
profession qui parlait de grève. Nous devrions obtenir
satisfaction : le tarif de 18 francs devrait être augmenté de
60 %. Cette augmentation, si elle ne couvre pas nos frais, permettra de
tempérer l'ardeur de la profession. Les audiences sont une servitude que
nous acceptons mais on nous verse une aumône. Nous sommes présents
à ces audiences quatorze ou quinze heures d'affilée pour
50 francs. Cela me paraît tellement vexant que je ne me fais
même pas indemniser. L'aumône, très peu pour moi ! J'en
fait une question de principe. Il en est de même pour mes
confrères.
M. le Président -
Une journée de clerc ne
coûte-t-elle pas 600 ou 700 francs ?
Me Yves Martin -
Exactement ! Il faut aussi prendre en compte le
travail qui n'est pas fait pendant ce temps-là. Et puis les trente-cinq
heures !
M. le Président -
Les magistrats nous disent que la
présence des huissiers ou de leurs clercs est très utile. Ne
pourrait-on pas, toutefois, envisager de la supprimer, au moins dans certains
cas ?
M. Yves Martin -
Je suis personnellement contre cette suppression parce
que le fait d'assister à une audience créé un lien entre
le magistrat et l'huissier. Un magistrat peut ainsi confier des missions
urgentes à un huissier : aller constater un problème rural,
par exemple vérifier si un tracteur peut passer dans un chemin. Cela
m'est arrivé. Une demi-heure après, le magistrat dispose des
photos.
M. le Président -
Les juges vous commettent-ils souvent pour des
missions ?
Me Yves Martin -
Pas assez à notre gré, et c'est dommage.
Ils nomment très souvent pendant les audiences des experts, dont les
tarifs sont pourtant dissuasifs... Or, les huissiers pourraient faire le
même travail plus rapidement et pour beaucoup moins cher. En effet, nous
remettons généralement notre travail au juge dans un délai
de trois jours, sauf s'il nous faut convoquer des gens. Mais, même dans
de tels cas, nous sommes très rapides.
M. le Rapporteur -
Lorsque vous saisissez le juge de l'exécution,
pensez-vous qu'il entre dans votre mission d'inciter votre client à
faire preuve de souplesse, afin de parvenir à un accord et ainsi
d'éviter un procès, plutôt que de se montrer rigide dans
ses droits ?
Me Yves Martin -
J'ai horreur de la guerre. Je préconise toujours
la conciliation et la médiation. En tant qu'huissiers, nous sommes
habiles à le faire. En cas de litige, l'huissier de justice est le
premier sur le terrain, que ce soit en matière de mitoyenneté, de
vue, de recueil des eaux ou de grève. Ainsi, dans une usine, lorsqu'un
piquet de grève entrave la circulation des personnes et des
véhicules, nous parvenons, non pas à mettre fin à la
grève - encore que, si nous devions le faire, nous saurions comment
procéder - mais à ouvrir des négociations, à
réunir les grévistes dans une salle de réunion, avec le
PDG ou le directeur des ressources humaines. Pendant ce temps-là, le
travail se fait.
En matière de contrat, je pourrais vous citer mille exemples. Nous
arrivons à résoudre les conflits, à instaurer un dialogue
entre des gens qui ne se parlaient plus depuis trois ou quatre ans, à
mettre en place une conciliation. Heureusement, sinon il faudrait embaucher des
juges !
M. le Président -
Certains de vos confrères ont
évoqué leur inquiétude au sujet des réflexions que
la Commission européenne conduit actuellement en vue d'harmoniser les
voies d'exécution. Cette inquiétude vous paraît-elle
fondée ? Pourquoi une telle harmonisation ne serait-elle pas une
nouvelle chance pour votre profession ?
Me Yves Martin -
Je suis ennuyé pour vous répondre parce
que je ne comprends pas cette inquiétude. Je n'ai pas de dossier sur ce
sujet au niveau national. Nous travaillons beaucoup au niveau international
puisque, d'une part, nous représentons le droit français et que,
d'autre part, nous essayons d'implanter notre profession dans des pays
où il n'y avait pas d'huissiers, tels les pays de l'Est, par exemple.
Notre cellule internationale fonctionne bien. La Lettonie et la Pologne ont
ainsi adopté notre métier. Je ne vois pas de quoi mes
confrères peuvent avoir peur. De l'arrivée des huissiers
étrangers ?
M. le Rapporteur -
Je n'ai pas de précisions. Ils sont inquiets
pour l'avenir et l'existence même de leur profession dans le cadre de
l'harmonisation des métiers de justice que la Commission
européenne serait en train de préparer, au motif que cette
fonction n'est pas du tout exercée dans l'Union européenne
actuelle ; je ne parle pas des nouveaux Etats membres.
Me Yves Martin -
La fonction n'est pas exercée partout de la
même façon. L'Union internationale des huissiers de justice, qui
est présidée par les huissiers français, compte
actuellement cinquante-sept pays adhérents. Nous essayons d'harmoniser
les voies d'exécution tout en permettant à chaque pays de
conserver ses règles et ses habitudes.
Nous avons fondé l'Union internationale afin d'être le plus
nombreux possible et nous y parvenons. Nous sommes 3 600 en France. En dehors
de la France, du Benelux et des Pays-Bas, on compte peu d'huissiers de justice.
Peut-être nous sommes-nous mal expliqué. Nous n'avons pas fait
cela pour porter atteinte à notre profession. Nous ne sommes pas si
bêtes ! Nous avons fait cela pour être plus nombreux et
assurer la prééminence du droit français sur le droit
anglo-saxon, étant entendu que les pays anglo-saxons font exactement la
même chose de leur côté.
Pour l'instant, l'Union internationale compte cinquante-sept pays membres. Il
vaut mieux être cinquante-sept que trois ou quatre. Peut-être
n'avons-nous pas su nous expliquer. On ne pense pas toujours à informer
et à communiquer. Je prends acte de ce que vous venez de me dire parce
que cela m'inquiète. Nous faisons justement tout pour être plus
nombreux et plus forts. Il semblerait que nos confrères aient compris
l'inverse.
M. le Président -
Nous vous remercions.
Audition de M. Jean-Bruno KERISEL,
premier vice-président
de la Fédération nationale
des compagnies d'expert près
les cours d'appel
et les tribunaux administratifs
(18 juin
2002)
Présidence de M. Christian Cointat, rapporteur
M. Christian Cointat, président -
Nous
accueillons maintenant M. Kerisel, premier vice-président de la
Fédération nationale des compagnies d'experts près les
cours d'appel et les tribunaux administratifs.
Au terme de cette mission parlementaire, dont l'objet est d'examiner
l'évolution des métiers de la justice et qui nous a permis de
faire le tour de toutes les professions, nous avons souhaité
connaître le point de vue des experts.
Monsieur le Président, en tant que membre de cette profession, comment
percevez-vous votre place dans cet édifice qu'est la justice ?
Comment jouez-vous votre rôle ? Comment aimeriez-vous le voir
évoluer ? Quels sont les éléments qui vous
préoccupent, qui ne fonctionnent pas comme vous le souhaiteriez, et
quelles solutions pourraient être apportées pour plus
d'efficacité ?
Nous avons constaté que la justice était trop lourde, trop
complexe, trop lente. Il faut donc lui donner les moyens d'être plus
réactive, plus lisible, plus souple et plus simple dans son
fonctionnement. En tant qu'expert vous avez évidemment un rôle
à jouer dans cette évolution positive. Pouvez-vous nous donner
votre vision des choses ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Tout d'abord, je précise que
l'expertise judiciaire n'est pas une profession, c'est une fonction. Nous
représentons toute la gamme des professions puisqu'il y a des experts
médecins, des experts en oeuvres d'art, en comptabilité, etc. Je
suis moi-même expert en bâtiment. L'expert est un auxiliaire du
juge, ce n'est pas un auxiliaire de justice comme l'avocat, qui exerce une
profession vraiment judiciaire.
Les experts sont inscrits chaque année sur des listes dans les
trente-cinq cours d'appel de France. Il existe une liste particulière,
qui est la liste nationale des experts agréés par la Cour de
cassation qui, elle, ne désigne pas d'expert. Cette liste a
été créée pour permettre, dans des litiges
complexes, la délocalisation d'experts, un expert de Paris pouvant ainsi
être nommé dans une ville de province.
Les experts inscrits se regroupent en compagnies auprès des cours
d'appel. Ainsi, on trouve dix-sept compagnies d'experts près la cour
d'appel de Paris. En province, sauf à Aix-en-Provence, qui est la
deuxième cour d'appel de France et où est regroupé un
certain nombre de compagnies, il en existe une par cour d'appel.
Toutes ces compagnies fonctionnent en associations régies par la loi de
1901 et sont rassemblées au sein d'une fédération
nationale dont je suis le premier vice-président, le président
étant un lyonnais, qui n'a malheureusement pas pu répondre
à votre convocation.
Les experts sont des auxiliaires du juge, ils vivent les difficultés de
la justice. Quand j'ai été nommé expert en 1974,
l'expertise était beaucoup plus facile qu'aujourd'hui. Il y avait moins
de textes et l'on était beaucoup plus libre. Par ailleurs, les avocats
sont très nombreux et très pugnaces. A la cour d'appel de Paris,
ils sont 14.000. Il n'est pas rare que, dans une expertise
« bâtiment » comme celle que je conduis en ce moment,
il faille répondre à une quarantaine de dires. Le problème
est que les gens ne viennent plus à l'expertise, qui est une mission
d'instruction ordonnée par le juge. Ils ne se battent plus sur le fond,
sur des problèmes techniques, mais se battent sur des problèmes
de forme juridique.
Les experts judiciaires français sont environ 8.000 sur l'ensemble du
territoire, départements d'outre-mer inclus. Leur statut est régi
par une loi du 29 juin 1971 et un décret du 31 décembre 1974. Ces
textes apparaissent aujourd'hui un peu vieillots car ils ne correspondent plus
aux besoins. La Chancellerie nous a demandé, voilà trois ans, de
réfléchir avec elle à une modification du décret de
1974, qui concerne toute la vie de l'expert, depuis son inscription jusqu'au
moment où il sollicite l'honorariat.
Nous avons formulé plusieurs propositions que la Chancellerie a, pour
l'essentiel, acceptées.
Premièrement, nous avons demandé que soit prévu, tous les
cinq ans, un renouvellement des experts inscrits. En effet, il ne nous
paraît pas normal qu'un expert soit désigné pour trente
ans. Compte tenu de l'évolution des techniques médicales et
d'ingénierie, un expert n'est pas nécessairement à la
pointe de la connaissance pendant trente ans.
Deuxièmement, nous avons souhaité que les cours d'appel
n'établissent plus une liste d'experts immédiatement inscrits
mais qu'il puisse y avoir des experts stagiaires, comme il y a des avocats
stagiaires, qui deviendraient experts à l'issue d'une ou de deux
années probatoires.
Troisièmement, nous voulons également que soit
créée une commission, pour chaque cour d'appel ainsi que pour la
Cour de cassation, susceptible de filtrer les candidatures. Il faut savoir
qu'à Paris, pour 1.000 candidatures présentées chaque
année, 40 experts sont désignés. L'examen des dossiers
mobilise un nombre considérable de magistrats et de fonctionnaires,
notamment au tribunal de grande instance de Paris mais aussi dans les tribunaux
périphériques de Créteil, de Bobigny et d'Evry. La
commission dont nous proposons la création examinerait une
première fois rapidement l'ensemble des dossiers, ce qui soulagerait les
magistrats dans leur travail.
Quatrièmement, nous souhaitons que, dans ces commissions, pour chaque
discipline, l'avis d'un expert soit sollicité. En effet, qui est le
mieux à même de se prononcer sur la capacité de quelqu'un
à devenir expert sinon une personne exerçant dans la même
discipline ?
Cinquièmement, nous proposons que des formations soient
organisées dans chaque cour d'appel. Bien souvent, on s'aperçoit
que les rapports d'expertise judiciaire ne respectent pas certaines des
règles qui figurent dans le nouveau code de procédure
pénale ou dans le code pénal. Je pense, par exemple, à la
règle du contradictoire. Certains médecins des hôpitaux
chargés d'une mission d'expertise convoquent le malade,
c'est-à-dire le demandeur, mais ne convoquent pas le défendeur.
Le contradictoire n'étant pas respecté, le rapport va
évidemment au panier. La Chancellerie considère tout à
fait utile cette formation juridique des experts dans chaque cour d'appel.
Nous proposons d'autres modifications moins importantes du texte.
Une de ces modifications a trait à la discipline. Si les experts
commettent une faute, ils peuvent être radiés. Nous souhaiterions
que soit établie, comme pour les juges, une échelle de sanctions.
Un autre problème concerne les recours, qui sont assez mal faits, comme
les juges le reconnaissent eux-mêmes.
S'agissant de l'honorariat, les experts souhaitent pouvoir cesser leurs
fonctions à partir de 60 ans s'ils s'estiment incompétents, mais
ils veulent bénéficier de l'honorariat, qui leur permet de rester
en contact avec leurs confrères.
Le directeur de cabinet du nouveau ministre de la justice, qui nous a
reçus la semaine dernière, nous a confirmé que la
modification du décret sur les deux points qui nous paraissent les plus
importants - renouvellement de l'inscription et formation des experts -
nécessitait une révision de la loi de 1971.
Dans cette loi, qui est très courte puisqu'elle tient en une
demi-page...
M. le Président -
Une bonne loi !
(Sourires.)
M. Jean-Bruno Kerisel -
il y a quatre ou cinq mots à
modifier. Nous sollicitons donc l'appui des sénateurs afin que la loi
puisse être rapidement révisée, le directeur de cabinet du
ministre nous ayant assuré qu'il essaierait de faire passer cette
modification dans ce qu'il a appelé un « véhicule de
lois ». Cette modification nous paraît importante, car elle
permettrait de rajeunir l'expertise française.
Il faut savoir que les Anglais n'ont pas du tout le même mode d'expertise
que nous. Le juge anglais, qui est beaucoup moins inquisitorial que le juge
français, fonde son intime conviction sur les éléments
recueillis à l'audience, à partir des dires de chaque partie
accompagnée de son expert. S'il devait y avoir, un jour, une
unité des systèmes judiciaires en Europe, nous souhaiterions que
le système de l'expert auxiliaire du juge se maintienne mais, pour cela,
il faut que l'expert soit compétent et performant.
Il faut aussi que les juges puissent éliminer des listes - ce que la loi
ne leur permet pas de faire actuellement - un certain nombre d'experts qui
n'exercent pas la fonction mais utilisent le titre d'
« expert près la cour d'appel » sur leur carte
de visite.
Nous sommes vraiment à un moment charnière, et j'espère
qu'avec l'aide du Sénat nous pourrons avancer.
M. le Président -
Comment serait composée la
commission chargée de filtrer les candidatures ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Cette commission serait composée
d'un magistrat du siège de la cour d'appel, qui en serait le
président, d'un magistrat du parquet général de la cour
d'appel, qui en serait le rapporteur, d'un magistrat du tribunal de grande
instance du ressort, d'un magistrat du tribunal de commerce et d'experts
proposés, pour leur désignation, au premier président.
Les magistrats veulent garder la maîtrise dans la désignation des
experts. Les experts sont désignés au travers d'une
assemblée générale de cour d'appel, qui est d'ailleurs
assez opaque. Nous souhaiterions, là aussi, plus de transparence et que
les personnes soient désignées en fonction de leurs
capacités à répondre aux problèmes.
M. le Président -
Nous avons eu parfois l'impression, lors
d'auditions avec différents magistrats, que, dans certains cas, l'expert
apparaissait comme la caution du juge. Lorsque celui-ci n'a pas trop envie
d'approfondir le dossier, il s'en remet à l'expert, dont il lit le
rapport en diagonale pour aller directement aux conclusions. Cela facilite
certes le travail du juge, mais enchérit les coûts du
procès et allonge les délais. Quel est votre point de vue sur
cette question ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
C'est au juge de déterminer la
mesure d'instruction qui lui convient. Le juge n'est pas un technicien.
J'étais moi-même, ce matin, sollicité pour une expertise
par la Ville de Paris, qui m'a demandé d'apprécier des
problèmes de climatisation. Qui peut faire ce travail à part un
expert ?
Il y a trois mesures d'instruction : la constatation, la consultation,
l'expertise. La constatation consiste à se rendre sur place et à
vérifier, par exemple, le degré de température. Cela tient
en une page. La consultation est plus élaborée puisque l'expert
répond à certaines questions posées par le juge. Enfin,
l'expertise judiciaire peut durer très longtemps. On est là face
à un problème touchant les justiciables : la lenteur du
procès.
L'expertise à laquelle je faisais allusion voilà un instant dure
depuis deux ans et demi. La Ville de Paris, à qui je demande des devis
pour faire refaire des installations, me répond qu'il lui faut un
délai d'un an pour réunir le Conseil de Paris et obtenir ces
devis.
L'expert se heurte souvent à ce type de problème, qui rejaillit
sur le délai de l'expertise et sur celui du procès. Certains
experts, il est vrai, ont parallèlement une activité très
lourde. Je pense aux médecins des hôpitaux, qui négligent
parfois l'expertise judiciaire, ce qui est une grave erreur. Certains experts
ne sont peut-être pas très intelligents mais l'on se heurte aussi
à des problèmes de plus en plus difficiles à
résoudre.
Chaque année, au seul tribunal de grande instance de Paris, 8.000
expertises judiciaires sont ordonnées. Monsieur Magendie,
président de ce tribunal, a demandé aux juges de désigner
moins d'experts et d'essayer de résoudre les problèmes
eux-mêmes. Mais le juge n'a pas toujours la capacité de le faire
et il est obligé de s'appuyer sur l'adjoint technique qu'est l'expert.
M. le Président -
Le recours à l'expert en
première instance peut se comprendre, mais n'est-il pas abusif en
appel ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Certaines affaires ne sont pas suffisamment
claires en appel et peuvent nécessiter le recours à une nouvelle
expertise. Par ailleurs, certaines affaires peuvent être examinées
en appel sans avoir fait l'objet d'une expertise judiciaire. Des contestations
émanant des parties et de leurs avocats peuvent alors justifier une
expertise.
Lors du procès en appel, la mission d'expertise est beaucoup plus
ciblée et donc plus intéressante. Le juge, qui a eu le temps de
réfléchir, connaît précisément les points sur
lesquels il souhaite faire porter la mission de l'expert. Le juge d'un tribunal
de grande instance peut ordonner dans une matinée 50 expertises. La
mission de l'expert est, là, plus classique.
M. le Président
- Contrairement à ce qui se passe en
Grande-Bretagne, où chaque partie a son propre expert, en France, le
juge désigne un expert qui va être l'arbitre, non pas de droit,
mais de fait. Dans le cadre de l'évolution européenne,
pensez-vous que l'on va s'orienter de plus en plus vers un système
contradictoire à l'anglo-saxonne ou, au contraire, que notre
système pourra se maintenir et éventuellement faire tache
d'huile ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Un rapprochement est en train de
s'opérer. Ainsi, en Grande-Bretagne, Lord Woolf, un magistrat de la
chambre des Lords, a créé un début de corps d'experts
judiciaires.
M. le Président -
C'est intéressant !
M. Jean-Bruno Kerisel -
De leur côté, les experts
français se sont rapprochés des experts anglais et allemands pour
créer une association appelée EuroExpert, qui a d'ailleurs
récemment organisé un colloque à la Sorbonne,
dirigé par le premier président de la Cour de cassation, Monsieur
Canivet. A cette occasion, nous avons examiné les systèmes en
vigueur, qui sont différents, mais qui ont tendance à se
rapprocher.
En Allemagne, les experts sont désignés par les chambres de
commerce. Il y a les experts d'assurance et les experts judiciaires et, dans ce
vivier, les juges choisissent ceux dont ils ont besoin.
A mon sens, le système français est mieux à même de
préserver la règle de l'impartialité, qui figure dans le
droit européen, que le système anglais, qui conduit à un
certain nombre d'erreurs. Il est très difficile pour un juge de
déterminer précisément la réalité des faits,
d'apprécier la vérité technique, quand il a simplement en
face de lui les parties et qu'il n'a pas son propre expert.
Certains juges considèrent, à l'inverse, que les experts vont
trop loin. Récemment, l'auteur d'un article paru dans la
Gazette du
Palais
posait la question : « Qui juge ? L'expert ou le
juge ? »
M. le Président -
C'est précisément la
question que je vous posais. Compte tenu du poids de l'expert, n'y a-t-il pas
un risque de dérive de la justice ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Il y a un risque très clair de
dérive. Une enquête effectuée au tribunal de commerce de
Paris, voilà deux ans, a montré que 90 % des décisions de
justice, lorsqu'une expertise judiciaire avait été
ordonnée, reprenait les conclusions du rapport de l'expert. Les juges
font-ils suffisamment bien leur travail ? Ce n'est pas à moi de le
dire. Nous pensons que le coeur du procès, c'est l'expertise. C'est
là que les parties font valoir les éléments de preuve et,
si le rapport est bien fait, la tâche du juge en est grandement
facilitée.
M. le Président -
Lorsqu'il y a, par exemple,
malfaçon dans une construction, en principe, si les experts font bien
leur travail, qu'ils soient experts d'une partie ou d'une autre, ils doivent
normalement écrire la même chose. Ce n'est que dans
l'interprétation annexe de ce que l'on a pu constater que l'on peut
essayer de faire basculer les points de vue à l'avantage des uns ou des
autres. Face aux différents points de vue, le juge doit finalement
être en mesure de déterminer qui a tort ou raison. Lorsqu'il n'y a
qu'un seul expert, le juge, qui n'a pas les éléments de
connaissance suffisants pour apprécier la validité de
l'expertise, se ralliera en définitive à la position
adoptée par l'expert. N'y a-t-il pas là un danger ?
M. Jean-Bruno Kerisel
- Il y a quand même une audience. L'expert
est dessaisi de sa mission quand il a déposé son rapport, ce qui
est d'ailleurs à mon avis critiquable puisqu'il ne sait pas du tout ce
qu'il en advient ensuite. Les parties, qui ont eu connaissance du rapport
d'expertise, viennent avec leurs propres arguments devant le juge. Si le
rapport est bien fait, le juge tranchera en connaissance de cause. Il aura
entendu les points de vue des parties, qui sont aidées par des experts
d'assurance et demandent parfois le concours d'experts judiciaires. Dans ce
cas, ces derniers sont simplement leurs conseils et ne sont pas auxiliaires du
juge.
Cela crée d'ailleurs, pour les experts, un certain nombre de
problèmes déontologiques. Peut-on être à la fois
expert du juge et expert des parties, même si, évidemment, on ne
l'est pas en même temps sur un seul litige ? Il est certain que,
lorsque l'on soutient une partie, on est partial, sans que ce mot ait une
connotation négative. Un expert d'assurance, selon la position dans
laquelle il se trouve, peut écrire noir ou blanc.
L'impartialité et la compétence de l'expert sont deux
éléments fondamentaux. Ces dernières années, on a
beaucoup insisté sur le contradictoire, qui est un point que nous avons
en commun avec les pays anglo-saxons. Normalement, à Paris, un expert
doit communiquer son avis aux parties avant de déposer son rapport.
L'expert doit rédiger une note de synthèse, dans laquelle il
donne son avis sur l'origine de la malfaçon. Les parties disposent d'un
délai pour lui répondre. Le respect du débat
contradictoire est donc extrêmement important. Il est lié, bien
évidemment, à la formation des experts.
Ces derniers peuvent demander l'aide d'un sapiteur, qui possède des
compétences dans une spécialité différente de la
sienne. Pour respecter le principe de l'examen contradictoire, l'expert a
l'obligation de faire connaître le rapport du sapiteur avant de
déposer son propre rapport.
M. le Président -
Certains experts ne deviennent-ils pas trop
dépendants de la commande judiciaire ? L'expertise ne les
éloigne-t-elle pas de leur profession d'origine ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Certains experts n'ont plus les
compétence requises. Celles-ci devraient donc être validées
tous les cinq ans. La certification des professions n'est malheureusement pas
aussi répandue en France qu'à l'étranger : en
général, elle est donnée pour une période de trois
ou cinq ans. Désormais, un médecin hospitalier expert doit
renouveler sa certification professionnelle auprès de la cour d'appel
tous les cinq ans. Il devrait en être de même pour les
ingénieurs, les architectes, les comptables, etc.
Tous ces professionnels devraient également recevoir une certification
d'aptitude juridique. Ils doivent en effet se tenir au courant de
l'évolution non pas du droit - ils n'ont pas à dire le droit -
mais de la procédure.
M. le Président
- En cas de faute, l'expert est simplement
radié. Quelles instances décident de la radiation ?
Par ailleurs, vous avez parlé tout à l'heure d'une échelle
des peines. Pouvez-vous développer votre point de vue à ce
sujet ?
M. Jean-Bruno Kerisel
- C'est le juge qui décide de la radiation.
Normalement, les experts sont réinscrits sur les listes tous les ans.
Les juges ne se hasardent pas à ne pas réinscrire sans motif.
M. le Président
- Sinon, c'est une sanction !
M. Jean-Bruno Kerisel -
Certains experts méritent d'être
radiés. La Fédération nationale des compagnies d'experts
s'est donné des règles de déontologie, mais les juges
n'ont pas participé à leur élaboration. Nous pensons que
les experts devraient, en cas de faute, être sanctionnés plus ou
moins lourdement, à l'instar des juges, dont l'échelle des peines
comprend sept degrés. Bien que ce point ne constitue pas l'essentiel de
la réforme, il est important.
M. le Président -
Dans certaines juridictions, un juge est
chargé du contrôle des experts. Seriez-vous favorable à une
généralisation de ce dispositif ?
M. Jean-Bruno Kerisel
- Oui, bien sûr ! Dans certaines
juridictions, l'expert ne reçoit aucune aide, alors qu'à Paris ce
contrôle existe depuis une vingtaine d'années. Lorsque l'une des
parties ne veut pas fournir de document, l'expert se tourne vers le juge du
contrôle, qui rend immédiatement une ordonnance d'injonction de
fourniture de pièce ou d'astreinte.
Les textes prévoient la création d'un juge du contrôle, qui
est notre interlocuteur privilégié. Malheureusement, peu de
juridictions en bénéficient. Un juge peut se voir attribuer,
outre ses missions habituelles, cette fonction de contrôle.
M. le Président
- La constitution de dossiers techniques et
complexes requiert une expertise sérieuse, qui permet de rendre la
justice dans les meilleures conditions. Cette expertise prolonge cependant les
délais ; il faut donc trouver un équilibre entre les
délais nécessaires à une justice équitable et le
renvoi perpétuel des décisions.
Avez-vous mis en place un système de régulation destiné
à limiter les délais ? Vous avez en effet
évoqué le cas de certains experts quelque peu négligents,
qui ne prêtent pas toute l'attention requise aux délais et
renchérissent ainsi les coûts de la justice. Que
préconisez-vous pour que les délais soient clairement
établis et respectés ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Il faut améliorer la qualité du
corps d'expertise. Nous ne pouvons rien faire nous-mêmes, nous
dépendons totalement des juges. N'étant pas constitué en
ordre, nous ne pouvons radier un expert.
Aujourd'hui, à Paris, on compte mille candidats pour quarante postes. Or
les juges ne connaissent pas ces futurs experts. En tant que président
de l'ensemble des compagnies parisiennes d'experts, j'ai assisté durant
six ans aux prestations de serment des experts. En de telles occasions, on se
pose des questions sur la qualité des personnes destinées
à représenter le juge dans les réunions d'expertise !
Le juge devrait rencontrer les experts stagiaires afin de pouvoir, ensuite,
constituer un corps d'expertise de qualité.
M. le Président -
Peut-on envisager un système
d'astreintes visant à limiter les retards des experts ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Oui, bien sûr, on peut tout imaginer,
dans la mesure, évidemment, où le retard est dû à
l'expert !
A soixante-trois ans, au terme d'une vie professionnelle consacrée
à l'expertise judiciaire, j'observe que l'allongement des délais
est dû, très souvent, aux parties. Ainsi, les cabinets d'avocats
ont tendance, dans le domaine de la construction par exemple,
à « s'agripper » aux affaires. Pour certains,
l'expertise est un fonds de commerce.
M. le Président -
Vos relations avec les avocats sont-elles
bonnes ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Elles ne sont pas nécessairement
bonnes, mais pas non plus nécessairement mauvaises, ce sont des gens que
nous rencontrons sur le terrain.
M. le Président -
Un avocat peut conseiller à son
client de faire appel à un expert judiciaire hors du cadre judiciaire.
M. Jean-Bruno Kerisel -
Je me suis astreint à ne pas
réaliser d'expertise hors du cadre judiciaire, car je considère
que ces deux types d'expertise ne sont pas conciliables. Détenant des
responsabilités syndicales, je veux être « sans
tâche ».
M. le Président -
Nous avons parlé de la liste
nationale des experts. Il semble que celle-ci s'élargisse
progressivement.
M. Jean-Bruno Kerisel -
Non, elle ne s'élargit pas !
Une décision ministérielle qui manquait d'ailleurs de
clarté avait désigné les médecins chargés
des nomenclatures...
M. le Président -
Le décret du 4 avril 2002, a
prévu la constitution d'une liste nationale des médecins experts
spécialisés dans les accidents de santé.
M. Jean-Bruno Kerisel -
Nous ne parlons pas de la même
chose ! Cette décision a été prise voilà deux
ou trois ans. A ce propos, Monsieur Burgelin m'avait dit : « Je
ne comprends pas pourquoi on nous a flanqué une cinquantaine d'experts
chargés de vérifier la codification des actes » .
Actuellement, la liste nationale possède un
numerus clausus
, on
ne nomme aucun expert dans une spécialité si personne ne part.
M. le Président -
J'en reviens à ma question sur
cette liste spéciale toute récente, qui date du mois d'avril
2002. Il s'agit d'une liste nationale des médecins experts
spécialisés dans les accidents de santé. Selon vous,
est-elle nécessaire ? Ne fait-elle pas concurrence à la
liste établie chaque année par le bureau de la Cour de
cassation ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Je pense, en effet, qu'elle fait
concurrence à la liste établie par le Bureau de la Cour de
cassation.
M. le Président -
Votre profession a-t-elle fait pression
pour obtenir ces experts supplémentaires ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Il faudrait que je sois médecin pour
pouvoir vous répondre clairement, mais je sais que les médecins
judiciaires se sont émus de la création de cette liste. En effet,
qui y figurera ? Les médecins judiciaires près les cours
d'appel y seront-t-ils inscrits ?
M. le Président -
Estimez-vous que les experts sont
rémunérés correctement ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Non, ils sont mal
rémunérés. Lorsque j'étais président d'un
bureau d'études, je gagnais nettement plus en travaillant nettement
moins. En effet, l'expert n'est pas rémunéré au même
niveau que les avocats d'affaires, qui gagnent très bien leur vie.
M. le Président -
Existe-t-il des barèmes de
rémunération ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Les barèmes ont été
interdits à une certaine époque, puis le Conseil de la
concurrence a changé d'avis et les a autorisés. Quoi qu'il en
soit, à Paris, il n'existe pas de barème, les
rémunérations sont déterminées au
« pifomètre ».
L'insuffisance des rémunérations donne une mauvaise image de
l'expertise judiciaire et éloigne ainsi un certain nombre de
professionnels : je pense en particulier aux ingénieurs
mécaniciens ou aux métallurgistes.
En outre, l'expert doit avancer des sommes considérables. Si l'expertise
dure deux ans, il n'est rémunéré qu'au bout de cette
période, sur décision du juge, qui prononce une ordonnance de
taxe. Ensuite, il lui faut attendre que les parties paient.
M. le Président -
La rémunération peut-elle varier
en fonction du juge ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
A Paris, les rémunérations sont
correctes. Dans certaines villes de province, en revanche, les experts sont
très mal rémunérés. Les juges, souvent, ne savent
pas ce que sont des honoraires, des charges, un chiffre d'affaires...
De plus, le ministère de l'emploi et de la solidarité a
publié un décret, en 2000, qui prévoit que les greffes
prélèveront les charges sociales des experts. Ces derniers font
donc partie du régime général de la sécurité
sociale. Or ce décret n'est pas appliqué. Nous sommes donc
actuellement dans une situation de non-droit et certaines antennes de l'URSSAF
ont radié les experts qui ne payaient plus leurs cotisations sociales.
Ainsi, ce décret, qui était destiné à éviter
l'évasion fiscale, a engendré l'effet inverse.
L'expertise, bien que passionnante, devient parfois un apostolat !
M. le Président -
Monsieur Kerisel, nous sommes arrivés au
terme de cette audition. Désirez-vous ajouter quelque chose ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
Oui : je considère que la
réforme du décret de 1974 est aujourd'hui au coeur du
problème de l'expertise.
M. le Président -
Pouvez-vous nous indiquer les dispositions qui
vous paraissent devoir être modifiées ?
M. Jean-Bruno Kerisel -
La loi de 1971 est succincte :
« Art. 1. Les juges peuvent, en matière civile,
désigner en qualité d'expert toute personne de leur choix sous
les seules restrictions prévues par la loi ou les règlements.
« Art. 2. Il est établi chaque année, pour
l'information des juges, une liste nationale, dressée par le Bureau de
la Cour de cassation, et une liste, dressée par chaque cour d'appel, des
experts en matière civile. »
Nous pensons, quant à nous, que la loi du 29 juin 1971 et le
décret de 1974 devraient être harmonisés et que
l'inscription sur les listes, le renouvellement et la formation des experts
devraient être précisés dans la loi.
M. le Président -
Je vous remercie vivement, Monsieur Kerisel.
QUELS
MÉTIERS
POUR QUELLE JUSTICE ?
A l'initiative de son président, M. René Garrec, la commission des Lois du Sénat a constitué en son sein une mission d'information sur l'évolution des métiers de la justice.
Au
delà de la question cruciale des moyens, la mission sénatoriale a
passé au crible les différents métiers intervenant dans le
fonctionnement de la justice afin de proposer des pistes permettant
d'améliorer son fonctionnement quotidien au service des citoyens.
A ce titre, elle a étudié aussi bien l'évolution des
métiers de magistrat, de fonctionnaire des greffes et d'auxiliaire de
justice que l'émergence de nouveaux métiers tels ceux d'assistant
de justice, de conciliateur, de médiateur ou de
délégué du procureur.
Elle s'est penchée sur les orientations apparemment contradictoires que
constituent, d'une part, la spécialisation des juridictions, avec
l'instauration de pôles spécialisés, et, d'autre part, la
mise en place d'une justice de proximité, notamment au travers des
maisons de justice et du droit.
Elle s'est particulièrement interrogée sur les moyens
d'accroître la participation des citoyens à la bonne marche de la
justice.
Ses 40 recommandations s'articulent autour de cinq axes :
- désengorger les juridictions en recentrant les magistrats sur
leurs tâches juridictionnelles ;
- améliorer l'organisation du travail des juridictions ;
- instaurer une véritable justice de proximité associant les
citoyens, notamment en instituant des « juges de paix
délégués » dotés de larges pouvoirs en
matière de règlement des conflits en amont de la procédure
judiciaire et en expérimentant le recours à l'échevinage
dans les juridictions civiles et pénales de droit commun ;
- poursuivre le mouvement de spécialisation des juridictions pour
répondre à la complexité croissante des contentieux ;
- favoriser l'émergence d'une véritable communauté
judiciaire.
Ces orientations devraient permettre d'aboutir à une justice
rénovée, plus citoyenne, donc plus efficace. Elles n'impliquent
pas de bouleversement mais supposent une volonté affirmée de
réforme et d'action assortie de l'engagement formel de mettre à
la disposition de la justice les moyens appropriés.
1
On se reportera notamment au rapport
n° 49 (1996-1997) : « Quels moyens pour quelle
justice ? », de M. Pierre Fauchon au nom de la mission
chargée d'évaluer les moyens de la justice,
présidée par M. Charles Jolibois, ainsi qu'aux avis
budgétaires successifs.
2
À la suite de ces mouvements, la Chancellerie a
lancé une consultation des juridictions baptisée
« entretiens de Vendôme », dont la synthèse a
été présentée en décembre 2001 par
M. Jean-Paul Collomp, inspecteur général des services
judiciaires.
3
Voir, sur le projet de loi portant réforme des tribunaux de
commerce, le rapport de M. Paul Girod n° 178 (2001-2002) ; sur le
projet de loi portant loi organique relative au statut de la magistrature et
instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel à titre
temporaire, le rapport de M. Paul Girod n° 179
(2001-2002) ; sur le projet de loi relatif aux administrateurs
judiciaires, mandataires judiciaires et experts en diagnostic d'entreprise, le
rapport de M. Jean-Jacques Hyest n° 180 (1999-2000).
4
Commission d'enquête sur les conditions de détention
dans les établissements pénitentiaires en France,
présidée par M. Jean-Jacques Hyest, rapport de M. Guy
Cabanel, n° 449 (2000-2001) : « Prisons :
une humiliation pour la République ».
5
Commission d'enquête sur la délinquance des mineurs,
présidée par M. Jean-Pierre Schosteck, rapport
n° 340 (2001-2002) de M. Jean-Claude Carle, rendu public le
3 juillet 2002.
6
Le compte rendu intégral de ces auditions figure en annexe.
7
Ce courrier est reproduit en annexe.
8
Rapport n° 357 (1990-1991) au nom de la commission
de contrôle du Sénat chargée d'examiner les
modalités d'organisation et les conditions de fonctionnement des
services relevant de l'autorité judiciaire.
9
Rapport précité n° 49 (1996-1997).
10
Enquête de satisfaction réalisée du 28 mars
au 18 avril 2001 par l'Institut Louis Harris pour la Chancellerie (mission de
recherche « Droit et Justice ») auprès de 1.201
usagers effectifs de la justice qui, dans les trois dernières
années, avaient eu affaire à la justice pour un contentieux
relevant soit du tribunal d'instance, soit du tribunal de grande instance, soit
du tribunal de police, soit du tribunal correctionnel.
11
Ce chiffre exclut les juges non professionnels élus des
tribunaux de commerce (3.152), ainsi que les conseillers prud'homaux (14.646).
12
Notons que ce ratio calculé en 1997 inclut les juges
consulaires et les conseillers prud'homaux (source : Les budgets de la
justice en Europe - mission de recherche « droit et
justice » - La documentation française - p.35.)
13
Une seule obligation de mobilité statutaire s'imposait aux
magistrats désireux de passer du second au premier grade.
14
Rapport n° 281 de M. Pierre Fauchon - (Sénat -
2000-2001). Il s'agit des fonctions de juge d'instruction, juge des enfants,
juge de l'application des peines, juge chargé du service du tribunal
d'instance et juge des affaires familiales.
15
C'est-à-dire les magistrats situés au premier grade
et hors hiérarchie.
16
Il s'agit de magistrats du second grade.
17
Au 1
er
septembre 2001, 139 femmes
(contre 5 hommes) occupaient un emploi à temps partiel,
correspondant à près de 88 emplois équivalents à
temps plein, contre 55,9 en 1999 et 72,3 en 2000. L'augmentation la plus
importante des demandes concerne l'exercice des fonctions à 80 %,
dont le nombre est passé de 30 à 46 magistrats.
18
Le plus âgé ayant 39 ans (troisième concours)
et le plus jeune 20 ans (premier concours).
19
Ces concours, institués à titre permanent, qui
constituent le prolongement et la pérennisation des concours
exceptionnels, s'adressent à des candidats justifiant d'une
expérience professionnelle antérieure importante les qualifiant
particulièrement pour l'exercice des fonctions judiciaires (10 ou 15 ans
selon le grade). 125 postes de second grade ont été ouverts cette
année par un arrêté de la garde des Sceaux le 22 novembre
2001.
20
Article 21-1 de l'ordonnance organique du
22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature.
21
Ce concours est ouvert aux étudiants titulaires d'une
maîtrise et âgés de moins de 27 ans.
22
Cette voie d'accès a été créée
par la loi organique n° 92-189 du 25 février 1992.
23
Il convient à cet égard de rappeler que la
nomination directe comme magistrat intervient sur l'avis conforme de la
commission d'avancement, qui, avant de se prononcer, peut soumettre le candidat
à un stage probatoire, organisé par l'ENM, de six mois maximum. A
l'issue de ce stage, et après avis du jury de classement des auditeurs
de justice, la commission se prononce sur la candidature.
24
Une indemnité d'environ 10.000 francs est attribuée
aux stagiaires par l'ENM.
25
Loi organique n° 95-64 du 19 janvier 1995
26
Ces magistrats n'occupent pas de poste budgétaire et sont
rémunérés sur la base de vacations comprises entre 20 par
mois et 120 par an, correspondant approximativement au tiers du traitement
moyen des magistrats du second grade.
27
La nomination d'une magistrate à titre temporaire
appelée à exercer des fonctions dans les formations du tribunal
de grande instance de Nanterre est intervenue très récemment
(décret du 11 juin 2002 publié au Journal Officiel du 14 juin).
28
Après avis favorable de l'assemblée
générale des magistrats du siège de la cour d'appel, la
commission d'avancement procède à l'examen de la candidature sur
dossier et rend un avis qui conditionne leur nomination.
29
Un arrêté du garde des Sceaux du 10 juin 2002 a
fixé le nombre de postes qui se répartit de la manière
suivante : 192 postes offerts au premier concours, 45 pour le
deuxième concours et 13 pour le troisième concours.
30
En 2002, la subvention à l'ENM du ministère de la
justice s'élève à plus de 35 millions d'euros (soit
234 millions de francs).
31
On rappellera que la formation des auditeurs de justice et des
candidats admis par les autres voies d'accès parallèles se divise
en deux phases : une phase théorique, qui se déroule
à l'ENM, et une phase pratique, accomplie sous la forme de stages
destinés à initier concrètement les futurs magistrats au
fonctionnement de l'institution judiciaire.
32
L'ENM dispose à Bordeaux d'un corps enseignant de 24
maîtres de conférence répartis par fonction (4 par
fonction) et sollicite chaque année près de 900 intervenants
extérieurs (avocats, universitaires).
33 La brochure de présentation de l'ENM indique que « La
dimension réduite du groupe permet [...] au formateur de réaliser
un suivi individuel, d'évaluer au fur et à mesure la progression
de chacun
»
- p.10.
34
Le stage extérieur à l'institution judiciaire,
d'une durée de dix semaines, peut se dérouler dans des
entreprises, des administrations, des associations ou des juridictions
étrangères. L'auditeur doit avoir un rôle actif et exercer
des responsabilités.
35
En vertu de l'article 21 de l'ordonnance statutaire du
22 décembre 1958
36
« Le Conseil confronte ces éléments
d'évaluation, les décisions ou recommandations du jury de
classement d'une part au profil du poste choisi et d'autre part, pour
rechercher si la nomination est compatible avec l'intérêt du
service public » - Rapport annuel d'activité du CSM pour 2001
- p. 61.
37
Notons qu'en cas d'avis défavorable du CSM, s'agissant
d'une première affectation dans un emploi du siège, une nouvelle
proposition de nomination doit intervenir après consultation de
l'intéressé, et est soumise à un nouvel avis du CSM.
S'agissant de la nomination d'un auditeur à un emploi du parquet, la
Chancellerie peut soit faire une nouvelle proposition après consultation
de l'intéressé soit maintenir sa position première.
38
A l'exception des magistrats issus des concours exceptionnels de
1998 pour lesquels s'impose une formation continue de deux semaines pendant 4
ans.
39
L'ENM propose en effet des sessions de réflexion sur la
place de la justice et le statut du juge, des sessions à
caractère plus juridique relatives au droit des successions, aux
biotechnologies, des cycles économiques et financiers ainsi que des
stages dans des institutions diverses (à la Cour européenne des
droits de l'Homme, au Parlement...).
40
Rappelons que ce magistrat délégué est
également chargé de l'encadrement des stages en juridiction que
doivent accomplir les auditeurs de justice et les futurs magistrats
recrutés par voie parallèle.
41
Rapport Le Quinquis (du nom du président du groupe de
travail) relatif à la situation des magistrats
délégués à la formation.
42
Théorie de l'effet direct vertical (arrêts de la
Cour de justice des communautés européennes du
17 décembre 1970 Société SACE et du 5 avril 1979
ministère public contre Ratti).
43
Depuis le premier renvoi préjudiciel prononcé en
1965 par la cour d'appel de Colmar et jusqu'au début de l'année
1995, les juridictions judiciaires françaises ont prononcé 275
renvois au total.
44
Cette disposition introduite par la loi du 15 juin 2000
relative à la protection de la présomption d'innocence et des
droits des victimes n'a pas encore produit tous ses effets. Cependant, tous les
chefs de juridiction rencontrés au cours des travaux de la mission
d'information ont souligné qu'elle pesait déjà lourdement
sur le fonctionnement de l'institution judiciaire.
45
Il convient de relever la fonction très spécifique
du parquet général de la Cour de cassation qui, contrairement aux
parquets des autres juridictions, n'a pas le pouvoir de déclencher les
poursuites, mais a pour mission de « porter la parole au nom de la
loi ».
46
Eurojust a été instituée provisoirement le
1
er
mars 2001 à Bruxelles conformément à
une décision du Conseil européen de Tampere d'octobre 1999.
Cette unité de coopération, ratifiée le 28 février
2002 et désormais mentionnée dans le traité de Nice, est
devenue définitive depuis mars 2002.
47
Rapport de M. Pierre Fauchon - n° 338 (2001-2002),
adopté par la commission des Lois le 26 juin 2002.
48
Livre vert sur la protection pénale des
intérêts financiers communautaires et la création d'un
procureur européen E - 1912.
49
A l'origine instituée par accord bilatéral entre la
France et trois pays (l'Italie, les Etats-Unis et les Pays-Bas), l'existence
des magistrats de liaison a été entérinée par
l'Action commune adoptée en avril 1996 par le Conseil de l'Union
européenne, qui crée un cadre pour l'envoi ou l'échange de
magistrats ou fonctionnaires en matière de coopération
judiciaire entre les Etats membres, sur la base d'arrangements
bilatéraux.
50
Note du ministère de la justice (service des affaires
européennes et internationales) à M. Jean-Paul Collomp,
inspecteur général des services judiciaires - Mars 2002.
51
« Jupiter, Hercule, Hermès, trois modèles
du juge » de M. François Ost.
52
Une justice à reconstruire. Article publié dans la
Revue de droit public 1/2 - 2002.
53
Rapport de la commission de contrôle chargée
d'examiner les modalités d'organisation et les conditions de
fonctionnement des services relevant de l'autorité judiciaire n°357
(1990-1991) - Hubert Haenel, président, Jean Arthuis, rapporteur.
54
Rapport de la mission d'information du Sénat
« Quels moyens pour quelle justice » n°49 (1996-1997)
M. Pierre Fauchon, rapporteur - M. Charles Jolibois, président.
55
Un chef de tribunal de grande instance, dans sa réponse au
questionnaire envoyé par la mission, a notamment indiqué que
« la commission de surendettement fonctionnant dans un registre
technique et se trouvant composée de hauts fonctionnaires travaillant
sous le regard des créanciers est un exemple réussi de ce qui
peut être entrepris ».
56
Tous ces transferts ont été opérés
par la loi du 8 février 1995 précitée.
57
Les saisies-arrêts des rémunérations
relèvent de la compétence du juge d'instance et sont
destinées à contraindre un débiteur à rembourser un
créancier ayant obtenu un jugement.
58
Article L. 3222-4 du code de la santé publique.
59
Cette proposition émane de l'Association nationale des
juges d'instance. Actuellement, le juge signe le dépôt de
déclaration sans disposer de la déclaration effective des
intéressés, qui est revue par le greffe. Cette tâche,
à caractère purement administratif, constitue l'exemple
même du transfert qu'il serait souhaitable d'opérer. Il a
également été suggéré de confier la
procédure d'injonction de payer aux greffiers en chef.
60
Ce transfert de compétences a déjà
été envisagé par le passé à plusieurs
reprises sans avoir jamais abouti. S'il intervenait effectivement, il serait
nécessaire de prévoir la possibilité de maintenir un
recours devant le juge en cas de désaccord.
61
Voir le compte-rendu intégral de l'audition de la
Conférence nationale des premiers présidents de cour
d'appel : « à partir du moment où les parties sont
d'accord sur le principe du divorce et sur ses modalités, et où
elles ont bénéficié des conseils de professionnels, il
n'est pas nécessaire que le juge intervienne ».
62
Article 2061 du code civil
63
Mis en place à l'initiative du préfet, du maire et
du procureur de la République, le contrat local de
sécurité définit, sur la base d'un diagnostic, des axes de
prévention de la délinquance et les conditions d'intervention de
la police et de la gendarmerie.
64
À Paris, l'activité non juridictionnelle
représente 22 % de la charge de travail.
65
Mme Martine de Maximy, juge des enfants, vice-présidente
de l'association des magistrats de la jeunesse et de la famille, a jugé
que la participation des juges des enfants à la politique de la ville
n'était pas souhaitable au motif qu'ils devaient garder une certaine
distance tant à l'égard des justiciables qu'à
l'égard des autorités qui prennent les décisions.
66
Rapport de la commission de réflexion sur la justice remis
au président de la République en juillet 1997, la
Documentation française - p.37.
67
Voir compte rendu intégral de l'audition du 10 avril 2002
de l'association des magistrats du parquet.
68
Au Royaume-Uni, le « Crown prosecution
service » conduit les procédures initiées par la police
et représente la Couronne devant les tribunaux. Il est composé de
fonctionnaires placés sous l'autorité de l'Etat. Ce service n'est
toutefois pas juge de l'opportunité des poursuites, laissées
à l'initiative de la police qui détient seule le pouvoir de
saisir les tribunaux. En outre, compte tenu du caractère accusatoire de
la procédure, l'essentiel de l'initiative revient aux parties.
69
On signalera toutefois que dans son dernier rapport annuel
d'activité publié en juin dernier, le Conseil supérieur de
la magistrature s'est prononcé en faveur d'un renforcement des liens
hiérarchiques et du maintien de la pratique des instructions
individuelles, à l'exception des instructions aux fins de classement,
tout en étant favorable à une réforme du mode de
nomination, celui-ci devant être soumis à l'accord
préalable du CSM (rapport annuel du CSM pour 2001, p. 46 à 51).
70
Il ressort du tableau récapitulatif des demandes de
mutation des 3.210 magistrats pour l'année 2002, que 525 magistrats du
parquet avaient demandé des postes du siège tandis que
427 magistrats du siège avaient postulé à un emploi
du parquet. Selon la Chancellerie, si ces chiffres font « certes
apparaître un plus grand nombre de demandes de mutation du parquet vers
le siège que dans le sens inverse, ils ne traduisent cependant pas une
désaffection massive des magistrats pour les fonctions du
ministère public. »
71
Rapport d'activité du CSM pour l'année 1999 - p. 76.
72
Décrets n° 413, n° 414 et
n° 415 du 30 avril 1992.
73
Les agents de catégorie D ont été
intégrés dans la catégorie C en 1994.
74
Les effectifs réels étaient de 1.640 greffiers
en chef, 6.788 greffiers, 9.431 agents de bureau et 1.675 agents des
services techniques
.
75
Rapport de Mme Dinah Derycke n° 92 tome IV
(Sénat, 2001-2002), intitulé « Justice : services
généraux », page 15.
76
Actuellement, 25 % des fonctionnaires des greffes exercent
leurs fonctions à temps partiel ou en cessation progressive
d'activité.
77
Aux termes de l'article R. 812-11 du code de l'organisation
judiciaire, les greffiers en chef et les greffiers assistent les magistrats
à l'audience et dans tous les cas prévus par la loi.
78
Rapport de la commission de réflexion sur
l'évolution des métiers des greffes, juillet 1998, page 11.
79
Article 2 du décret n° 92-413 du 30 avril 1992
portant statut particulier des greffiers en chef des services judiciaires.
80
Le projet de loi relatif à l'accès au droit et
à la justice n° 257 (Sénat, 2001-2002),
déposé par le Gouvernement de M. Lionel Jospin sur le bureau
du Sénat, prévoit d'ailleurs de supprimer les bureaux d'aide
juridictionnelle dont le greffier en chef assure la vice-présidence et
de lui confier le soin de prononcer l'admission à l'aide
juridictionnelle, sous réserve d'un recours possible devant le
président de la juridiction.
81
L'article L. 811-2 du code de l'organisation
judiciaire, résultant de la loi n° 95-25 du
8 février 1995, ne permet au greffier en chef d'une
juridiction de déléguer ses fonctions qu'à un autre
greffier en chef de la même juridiction.
82
A ce titre, il fait l'objet d'une proposition de notation du
greffier en chef et d'une notation, soit par les chefs du tribunal de grande
instance, soit par les chefs de cour selon leur juridiction d'affectation.
83
Les personnels des greffes rencontrés par la mission ont
cité en exemple les procédures nouvelles engendrées,
notamment, par la création du pacte civil de solidarité et par la
loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d'innocence.
84
Voir infra : « un recrutement et une formation
perfectibles. »
85
Comme les greffiers, ils font l'objet, à ce titre, d'une
proposition de notation du greffier en chef et d'une notation, soit par les
chefs du tribunal de grande instance, soit par les chefs de cour selon leur
juridiction d'affectation
86
Selon l'USAJ, 55 % des agents de catégorie C
exerceraient des tâches incombant à la catégorie B. Le
syndicat C justice estime que les « faisant fonction de »
représentent 75 % des personnels, compte tenu des agents accomplissant
occasionnellement, et pas seulement à titre permanent, des tâches
de catégorie B. La CGT réfute le taux de 75 % « de faisant
fonction de » et considère que la seule estimation raisonnable
concerne le nombre des agents exerçant à titre principal et
permanent des tâches de greffier, compris entre 1.000 et 1.500 selon
elle. La Chancellerie évaluait le nombre de ces agents à
1.500 équivalent temps plein en 2001.
87
Un plan de transformation des emplois d'agents administratifs en
adjoints administratifs (sur 4 ans par concours réservé
et promotion au choix) a été engagé en 2001 :
933 agents en ont déjà bénéficié.
88
Rapport sur la situation des fonctionnaires des services
judiciaires, novembre 1990.
89
Il est envisagé de créer un second corps de
secrétaires administratifs, fonctionnaires de catégorie B
chargés de tâches administratives et de gestion. Ce corps
constituerait un débouché pour l'avancement des agents de
catégorie C.
90
L'Ecole nationale des greffes de Dijon est un service à
compétence nationale de l'Etat placé sous l'autorité du
directeur des services judiciaires. Elle a pour mission essentielle d'assurer
la formation initiale des greffiers en chef, des greffiers et des personnels de
bureau ainsi que la formation continue destinée à l'ensemble des
fonctionnaires des services judiciaires. L'enseignement est assuré par
21 maîtres de conférence, greffiers en chef, et 14 formateurs
informatiques, greffiers, outre les intervenants extérieurs.
91
Article 19 du décret n° 92-413 du 30 avril 1992
portant statut particulier des greffiers en chef des services judiciaires et
article 15 du décret n° 92-414 du 30 avril 1992 portant statut
particulier des greffiers des services judiciaires.
92
Arrêté du 17 avril 2002 portant application du
décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à
l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans
la fonction publique de l'Etat à certains magistrats de l'ordre
judiciaire.
93
Rapport de Mme Dinah Derycke n° 92 tome IV
(Sénat, 2001-2002), intitulé « Justice : services
généraux », pages 36-37.
94
La loi n° 2001-1275 de finances pour 2002, du 28
décembre 2001, accorde une dotation d'un montant de 2,7 millions d'euros
afin de prendre en charge dans les juridictions les astreintes et les heures
supplémentaires résultant de la mise en oeuvre de la
réduction et de l'aménagement du temps de travail.
95
La CGT et la CFDT Interco-justice ont jugé la consultation
des fonctionnaires très insuffisante, soulignant qu'elle s'était
limitée aux fonctionnaires les plus gradés.
96
Arrêté du 29 mars 2002.
97
Organes de dialogue spécifiques aux services judiciaires,
auxquels participent les magistrats et les fonctionnaires, les
assemblées générales ont vocation à être
consultées sur l'organisation et le fonctionnement des services, les
conditions de travail des personnels et les problèmes de
sécurité ainsi que sur la formation permanente des personnels des
greffes (articles R. 761-17, R. 761-31 et R. 761-32 du code de
l'organisation judiciaire).
98
Il est institué une commission permanente de
l'assemblée plénière des magistrats et des fonctionnaires
et des commissions restreintes des assemblées de magistrats ou de
fonctionnaires (article R. 761-1 du code de l'organisation judiciaire).
99
La loi a été complétée, sur ce point,
par le décret n° 96-513 du 7 juin 1996.
100
Le montant de la vacation horaire était de 9,99 euros au
1
er
janvier 2000.
101
Nombre d'entre eux ont dépassé la limite
d'âge imposée pour pouvoir se présenter aux concours
externes.
102
Le rôle essentiel des assistants spécialisés
est présenté dans le III du chapitre II de la seconde partie.
103
Le Rechstpfleger est un fonctionnaire indépendant dans
ses attributions créé en 1909 en Allemagne pour décharger
les magistrats du siège et du parquet. Dans son champ de
compétences (tutelles, successions, injonctions de payer, ventes aux
enchères, procédures collectives, exécution forcée,
modification de pensions alimentaires, exécution des peines notamment),
il peut procéder à l'audition de témoins ou d'experts,
décider en matière d'aide juridictionnelle, mettre à
exécution des décisions pénales y compris des mandats
d'arrêt et de dépôt. Il exerce également des
fonctions à caractère purement administratif. Le magistrat n'est
pas le supérieur hiérarchique du Rechtspfleger mais peut
intervenir dans ses décisions en cas de recours prévu par la loi.
104
La composition et les missions de la commission d'avancement
sont fixées par les articles 34 et 35 de l'ordonnance
n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative
au statut de la magistrature.
105
Au 31 juillet 2001, la direction des services judiciaires avait
autorisé 956 recrutements.
106
Ce dispositif permet des échanges de paroles, la vision
de l'image, la transmission des documents et un travail en interaction.
107
Ordonnance du 20 août 1998 pour la juridiction de
Saint-Pierre-et-Miquelon et article 32 de la loi du 15 novembre 2001
relative à la sécurité quotidienne.
108
Rapport n° 357 (1990-1991).
109
Rapport n° 357 (1990-1991)
110
Loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant
réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
111
Le tableau, parfois dénommé « grand
tableau », réunit tous les avocats en exercice ayant accompli
leur stage.
112
Notons toutefois qu'une telle comparaison ne doit pas faire
perdre de vue que l'organisation de la profession d'avocat est
différente dans la plupart des pays de l'Union européenne (par
exemple en Allemagne, les juristes d'entreprise comptent parmi les avocats).
113
Parmi les avocats honoraires, plus des trois quarts sont des
hommes (2.450 hommes sur 3.212 avocats honoraires, soit plus de
76 %).
114
Il n'est pas rare qu'une majorité de femmes exerce dans
des barreaux de petite taille, par exemple celui de Tulle-Ussel dans lequel
70,4 % des avocats en exercice sont ... des avocates.
115
Enquête de satisfaction précitée (mai 2001)
- p. 9.
116
Le barreau arrête le règlement intérieur de
l'ordre.
117
La Conférence des bâtonniers est une association
régie par la loi du 1
er
juillet 1901 regroupant les
ordres des avocats de province et d'outre-mer représentés par les
bâtonniers en exercice assistés des anciens bâtonniers.
Créée au début du XX
è
siècle,
elle défend les prérogatives des ordres et de leurs
bâtonniers, ainsi que, plus généralement, les
intérêts des barreaux autres que celui de Paris.
118
Le CNB est un établissement reconnu d'utilité
publique. C'est à la lumière des débats parlementaires que
le législateur de 1990 a renoncé à instituer un ordre
national, afin de préserver l'indépendance des barreaux.
119
Ce mode d'exercice existait antérieurement à cette
loi qui n'a fait qu'aligner le droit sur la pratique.
120
Contrairement à l'avocat salarié, l'avocat
collaborateur peut disposer d'une clientèle personnelle et est
rémunéré par rétrocession d'honoraires.
121
Les avocats stagiaires représentent 95 % de
l'ensemble des collaborateurs.
122
La rémunération de l'avocat ne peut être
qu'un salaire et ce dernier ne peut avoir de clientèle personnelle, ce
qui le distingue du collaborateur.
123
Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à
l'exercice sous forme de sociétés des professions
libérales soumises à un statut législatif ou
réglementaire ou dont le titre est protégé. Cette loi ne
concerne pas les seuls avocats, mais s'étend à l'ensemble des
professions libérales.
124
13.586 avocats exercent en cette qualité.
125
11.000 avocats exercent en cette qualité.
126
Article 32 de la loi de MURCEF du 11 décembre 2001.
127
Statistiques établies au 2 janvier 2001 selon les
informations fournies par la Chancellerie. Ce chiffre regroupe les avocats
inscrits au tableau et sur la liste de stage.
128
L'examen d'entrée à un centre régional de
formation professionnelle des avocats (CRFPA) est organisé par
l'Université, qui offre des préparations au sein des Instituts
d'études judiciaires.
129
Ce taux a été calculé en rapportant le
nombre d'avocats au 2 janvier 2001 à la population
recensée en 1999 (source Chancellerie).
130
Rapport remis en mai 2001 à Mme Marylise Lebranchu, alors
garde des Sceaux - p. 74 et 75.
131
L'assistance judiciaire a été créée
par une loi du 22 janvier 1851. La loi du 3 janvier 1972 a modernisé ce
système en instituant l'aide juridique. La loi n° 91-647 du 10
juillet 1991 a mis en place un dispositif nouveau combinant un mécanisme
d'aide à l'accès de la justice (aide juridictionnelle) et un
cadre juridique pour l'aide à l'accès au droit.
132
Les modalités de calcul de cette rétribution sont
apparues trop rigides et déconnectées des charges
financières pesant sur les avocats. Chaque type de procédure
correspond à un barème attribuant un nombre défini
d'unités de valeurs et donnant lieu à une
rémunération forfaitaire. Le montant de l'unité de valeur,
20,43 euros en 2002, a été faiblement revalorisé. En 1992,
il s'élevait à 19,06 euros.
133
Le coût total de ce protocole s'élève
à 56,25 millions d'euros.
134
Ces mesures ont notamment porté sur la revalorisation des
barèmes dans sept domaines contentieux (tels que le divorce et les
reconduites à la frontière), l'extension de l'aide
juridictionnelle aux détenus devant les conseils disciplinaires, ainsi
que la gratuité de la première copie pénale.
135
La commission de réforme a proposé de calculer
cette rétribution en prenant en compte la prestation intellectuelle de
l'avocat et l'évaluation des frais supportés.
136
L'assurance de protection juridique est régie par les
articles L. 127-1 et suivants du code des assurances, issus de la loi
n° 89-1014 du 31 décembre 1989.
137
On signalera qu'actuellement les honoraires sont librement
fixés en accord avec le client, sans que l'avocat soit tenu de respecter
un barème, même indicatif publié par les barreaux. Deux
décisions du Conseil de la concurrence de 1996 (n° 96-D-69 et
96-D-78 des 12 novembre et 3 décembre), confirmées
ultérieurement par la cour d'appel de Paris et la Cour de cassation, ont
proscrit la publication par les ordres de tels barèmes au motif qu'elle
portait atteinte à la libre concurrence.
138
Qui regroupe, de manière informelle, les bâtonniers
des dix-huit barreaux comptant plus de cent avocats à l'exception du
barreau de Paris.
139
Entretien avec Me Paul-Albert Iweins, bâtonnier de l'ordre
des avocats de Paris publié dans les Petites Affiches - 8 avril 2002,
n° 70, p. 6.
140
La réduction du taux de TVA doit relever d'une
décision communautaire et ne peut être décidée
unilatéralement par les Etats depuis 1977, date de publication d'une
directive communautaire énumérant limitativement les biens et
services pouvant se voir appliquer un taux réduit.
141
Cette fusion est couramment désignée
« petite fusion ».
142
Interview de Me Michel Bénichou, ancien président
de la Conférence des bâtonniers publié dans Droit et
Patrimoine - n° 92 - avril 2001, p. 10.
143
Selon Me Jean-René Farthouat, président du Conseil
national des barreaux, la réforme de l'examen d'entrée au CRPA
devrait entrer en vigueur au 1
er
janvier 2004.
144
L'article 98 du décret n° 91-1197 du
27 novembre 1991 permet à certaines professions judiciaires et
juridiques (notaires, huissiers de justice, fonctionnaires de
catégorie A ayant 8 ans d'expérience
professionnelle...) d'accéder directement à la profession
d'avocat.
145
Article 56 de la loi du 31 décembre 1971
modifiée par la loi du 31 décembre 1990.
146
Ce champ d'exercice à titre principal est couramment
désigné par l'expression « périmètre de
droit ».
147
Rapport de M. Henri Nallet au Premier ministre du 14
septembre 1998.
148
La CJCE avait été saisie en août 1999 par
une juridiction néerlandaise de neuf questions
préjudicielles aux fins de savoir si la prohibition d'une collaboration
intégrée par un ordre d'avocats constituait une restriction de la
concurrence.
149
Projet de loi n° 264 (2001-2002) - Sénat.
150
La quasi-totalité des 743 avocats inscrits à la
fois dans un barreau français et dans un barreau étranger sont
inscrits à celui de Paris.
151
L'article 160 du décret du 27 novembre 1991 organisant la
profession d'avocat précise que « l'avocat en toute
matière, ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret
professionnel. »
152
On rappellera brièvement que les CARPA,
créées en 1957 et renforcées par la loi du
31 décembre 1971, ne sont ni une banque ni un établissement
financier, mais une caisse à laquelle les avocats exerçant en
France doivent obligatoirement déposer l'argent qu'ils reçoivent
pour le compte de leurs clients dès lors que ce mouvement d'argent est
accessoire à l'acte professionnel. La loi du 25 janvier 1985 a
réellement consacré leur existence. Elles sont devenues
obligatoires depuis 1986.
153
L'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971
prévoit notamment que « le Conseil national des barreaux est
chargé d'harmoniser les programmes de formation, de coordonner les
actions de formation des centres régionaux de formation professionnelle,
de déterminer les conditions générales d'obtention des
mentions de spécialisation et de répartir le financement de la
formation professionnelle. »
154
Un arrêté du 7 janvier 1993 fixe le programme et
les modalités d'entrée au CRFPA.
155
Ces stages peuvent être effectués soit
auprès des professionnels, soit auprès des juridictions ou encore
chez d'autres auxiliaires de justice.
156
Cet examen est peu sélectif en raison de la
première sélection déjà effectuée lors
de l'examen d'entrée au CRFPA.
157
Me Jean-François Darrachy, président du CRFPA de
Bordeaux, a précisé que la dimension européenne
était abordée systématiquement lors des différents
enseignements.
158
Voir supra I-A.
159
On rappellera que ce nombre s'élève à
6.024
, soit
14,9 % du total des avocats
inscrits au barreau
(en 2001). Le barreau de Paris concentre à lui tout seul plus de la
moitié des avocats stagiaires.
160
Le Conseil national des barreaux travaille actuellement avec la
Chancellerie à la rédaction d'un avant-projet de loi qui
viendrait modifier l'article 12 de la loi du
31 décembre 1971 précitée.
161
Les CRFPA sont également chargés d'autres
missions : formation continue des avocats, contrôle du
déroulement du stage.
162
Un décret n° 2002-534 du 6 mars 2002
précise que le montant des droits d'inscription versés par les
élèves avocats dans les CRFPA ne peut dépasser
900 euros.
163
Dotation allouée par l'Etat prévue par la loi de
finances pour 2002. La dotation par élève-avocat
s'élève à 803 euros (5.270 francs).
164
Il convient de préciser que paradoxalement jusqu'en 2002
seule la contribution de l'Etat figurait dans la loi de 1971.
165
Il prévoit notamment que les CRFPA communiquent au
Conseil national des barreaux leur budget ainsi qu'une évaluation de
celui de l'année suivante. Dans le même temps, chaque ordre
transmet au Conseil ses engagements de dépenses dans la formation. Le
CNB détermine ensuite le montant de la contribution de chacun de ces
ordres. Il lui appartient enfin de percevoir ces contributions et de les
répartir entre les centres de formation.
166
Les avocats peuvent intégrer la magistrature par la voie
de l'intégration directe.
167
On rappellera qu'il s'agit d'un pré-stage accompli durant
l'année de formation initiale dispensée par le CRFPA.
168
Ce stage d'une durée de deux mois est effectuée
après le stage long en juridiction.
169
La défense pourrait être limitée dans son
temps de parole dès lors que le juge aurait pris connaissance des
dossiers.
170
Actuellement, l'audiencement des affaires pénales
s'effectue conjointement entre les magistrats du siège et du parquet
(art. L. 311-15-1 du code de l'organisation judiciaire), et il
n'existe pas de mise en état à proprement parler compte tenu du
caractère oral de la procédure.
171
Au 1
er
juin 2001, le nombre des société
civiles professionnelles d'avoué était de 137,et celui des
offices individuels de 98.
172
Supprimées à la Révolution, ces deux
professions furent rétablies sous Napoléon par les lois du 27
ventôse an VIII et du 22 ventôse an XII.
173
Les cours de Colmar et de Metz ont un système particulier
de postulation puisque celle-ci est exercée par les avocats inscrits sur
une liste spéciale. Dans les départements d'outre-mer, elle est
confiée aux avocats. Enfin, les avoués peuvent donner librement
des consultations en matière juridique et rédiger des actes sous
seing privé.
174
Article 4-1° du décret du 19 décembre 1945
précité.
175
Voir « Développer l'informatique et les
nouvelles technologies de l'information. »
176
Avant le décret n° 2002-366 du 18 mars 2002 le
montant de la rétribution de base était de 267 euros et
celui de la majoration de 57 euros (celle-ci a été portée
par le décret à 65 euros).
177
Rapport de la Commission de réforme de l'accès au
droit et à la justice, Ministère de la justice, mai 2001.
178
L'expression « avocats aux conseils » est un
legs de l'histoire : l'ordonnance du 10 septembre 1817 a consacré
la fusion entre les avocats au Conseil d'Etat et ceux de la Cour de cassation
sous la dénomination « avocats aux conseils du Roi et à
la Cour de cassation
».
179
A la demande de la profession, la faculté de
constituer des sociétés d'exercice libéral n'a pas
été étendue aux avocats aux conseils.
180
Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative au
référé devant les juridictions administratives,
complétée par le décret n° 2000-1115 du 22
novembre 2000.
181
L'article L. 131-6 du code de l'organisation judiciaire
prévoit qu'après le dépôt des mémoires, les
affaires soumises à une chambre civile sont examinées par une
formation de trois magistrats appartenant à la chambre à laquelle
elles ont été distribuées. Cette formation déclare
non admis les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen
sérieux de cassation. Elle statue lorsque la solution du pourvoi
s'impose. Dans le cas contraire, elle renvoie l'examen du pourvoi à
l'audience de la chambre.
Lorsque la solution d'une affaire soumise à la chambre criminelle lui
paraît s'imposer, le premier président ou le président de
la chambre criminelle peut décider de faire juger l'affaire par une
formation de trois magistrats. Cette formation peut renvoyer l'examen de
l'affaire à l'audience de la chambre à la demande de l'une des
parties ; le renvoi est de droit si l'un des magistrats composant la
formation restreinte le demande.
182
Article 12 du projet de loi n° 257 (Sénat,
2001-2002).
183
Ils tenaient l'huis, la porte, d'où ils tirent leur nom.
184
Au 1
er
janvier 2001, ils étaient au nombre de
3.232. La profession s'ouvre progressivement aux femmes puisqu'elles forment
environ un sixième de ses effectifs.
185
Au 1
er
janvier 2001, il y avait 2.056 offices
dont 1.014 offices individuels, 1.033 sociétés civiles
professionnelles et 9 sociétés d'exercice libéral.
186
Décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris
pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des
huissiers de justice.
187
Décret n° 75-770 du 14 août 1975
modifié par le décret n° 94-299 du 12 avril 1994.
188
Aux termes de l'article L. 311-11 du code de l'organisation
judiciaire, l'exequatur est la décision par laquelle un tribunal de
grande instance donne force exécutoire à une sentence arbitrale
ou autorise l'exécution en France d'une décision de justice ou
d'un acte public étranger.
189
Article R. 179 du code de procédure pénale.
190
Article R. 181 du code de procédure pénale.
191
Voir les arrêts de la Cour européenne des droits de
l'homme : Hornsby contre Grèce du 25 février 1997,
Immobiliare contre Italie du 28 juillet 1999 et Antonetto contre Italie du
20 juillet 2000. La mission observe d'ailleurs que la délivrance
des « grosses », c'est-à-dire des titres
exécutoires, est souvent trop tardive.
192
Au 1
er
avril 2002, on dénombrait 16.077
experts près les cours d'appel et 387 agréés par la Cour
de cassation. Ils étaient inscrits dans plus de 300
spécialités différentes.
193
L'assemblée générale peut se réunir
en formation restreinte.
194
Toutefois, à titre exceptionnel, le Bureau de la Cour de
cassation peut inscrire sur la liste nationale un candidat qui ne remplit pas
ces conditions ou âgé de plus de 70 ans. Le nombre des experts
ainsi inscrits pour chaque spécialité ne peut dépasser le
cinquième du nombre total des experts figurant dans cette
spécialité sur la liste nationale.
195
Propositions pour une justice de proximité, rapport de la
commission sur la justice de proximité et les missions du juge, remis au
garde des Sceaux en février 1994.
196
Cette orientation est différente de celle retenue en
Belgique où la création d'une maison de justice par
arrondissement judiciaire est la règle. Elle a inspiré la
politique de « justitie in de Buurt » mise en oeuvre aux
Pays-Bas dans les quartiers défavorisés (Voir audition de Mme
Anne Wyvekens).
197
C'est le cas de celui de Tours (voir audition de M. Jean-Marc
Gondré représentant l'Association nationale des conciliateurs de
justice)
1
Arguments et propositions pour un statut de la médiation
familiale en France. Voir également la table ronde sur la
médiation familiale organisée par la commission des Lois dans le
cadre de l'examen de la proposition de loi sur le divorce, rapport n° 252
(2001-2002) de M. Patrice Gélard.
198
Voir supra première partie, chapitre premier, III, 2, b
199
MM. Hubert Haenel et Jean Arthuis citent, dans leur rapport
remis en 1994, la définition du juge de paix donnée en 1838
à la chambre des députés par un garde des Sceaux :
« le juge de paix devrait être influent par l'ascendant
qu'exerce une situation sociale élevée et une
considération établie, il ne devrait pas avoir fait de la science
du droit une étude particulière. »
200
Juge d'instruction, juge des enfants, juge aux affaires
familiales, juge de l'application des peines, juge chargé du service
d'un tribunal d'instance.
201
En 2000, les juges aux affaires familiales ont traité
336.000 affaires, soit 56 % du contentieux des tribunaux de grande
instance.
202
Ainsi, la présence d'un avocat n'est pas obligatoire en
matière de fixation de la contribution aux charges du mariage,
d'obligation alimentaire et d'obligation d'entretien incombant aux parents, ou
de conflit entre les parents sur l'exercice de l'autorité parentale
conjointe.
203
Au 1
er
juillet 2001, les juges des enfants
étaient au nombre de 376.
204
L'appel est porté devant la chambre des appels
correctionnels qui est composée d'un président de chambre et de
deux conseillers de cour d'appel (article 510 du code de procédure
pénale).
205
Article L. 311-12 du code de l'organisation judiciaire.
206
L'article L. 311-12 dispose que le président fixe la
durée et l'étendue de cette délégation. Si elle
n'autorise pas expressément la délégation par
matière, la loi ne l'interdit pas non plus. Lors des débats
parlementaires, le Gouvernement avait cité l'éventualité
d'un tel partage au nombre des formules envisageables.
207
Décret n° 96-1130 du 18 décembre 1996
modifiant le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de
nouvelles règles relatives aux procédures civiles
d'exécution pour l'application de la loi n° 91-650 du 9
juillet 1991 portant réforme des procédures civiles
d'exécution.
208
N'importe quelle demande peut être ajoutée, ce qui
peut compliquer la tâche du juge.
209
L'effectif budgétaire des juges d'instruction
était de 566 au 1
er
juillet 2001, l'effectif réel de
559. Il comprenait un premier vice-président chargé de
l'instruction du tribunal de grande instance de Paris, 100
vice-présidents chargés de l'instruction dans les tribunaux de
province et 49 premiers juges d'instruction dans les tribunaux de Paris,
Bobigny, Créteil et Nanterre.
210
Il peut siéger aux audiences civiles et pénales,
sauf pour l'examen des affaires qu'il a instruites.
211
Aux termes de l'article 191 du code de procédure
pénale, chaque cour d'appel comprend au moins une chambre de
l'instruction. Cette juridiction est composée d'un président de
chambre, exclusivement attaché à ce service, et de deux
conseillers qui peuvent, en cas de besoin, assurer le service des autres
chambres de la cour. Le président de la chambre de l'instruction est
désigné par décret, après avis du Conseil
supérieur de la magistrature. Les conseillers composant la chambre de
l'instruction sont désignés chaque année, pour la
durée de l'année judiciaire suivante, par l'assemblée
générale de la cour.
212
Les mentions de spécialisation passant de 219 à
240.
213
Voir première partie - chapitre II - I - D.
214
Article L. 411-4 du code de l'organisation judiciaire.
215
Articles L. 311-3 et L. 411-3 du code de
l'organisation judiciaire.
216
Voir le rapport n° 178 (Sénat, 2001-2002) de
M. Paul Girod au nom de la commission des Lois du Sénat.
217
Article L. 511-1 du code du travail.
218
Article L. 142-4 du code de la sécurité
sociale.
219
Article L. 143-2 du code de la sécurité
sociale.
220
Article L. 521-1 du code de l'organisation judiciaire.
221
Article L. 522-3 du code de l'organisation judiciaire.
222
Article L. 223-1 du code de l'organisation judiciaire.
223
Le caractère terroriste d'une infraction peut ne pas
être déterminé immédiatement, en l'absence de
revendication ou lorsque l'authenticité de cette dernière
paraît douteuse par exemple. De même, au cours d'une
information ouverte pour des faits n'ayant pas de lien avec une action
terroriste, des éléments nouveaux peuvent apparaître qui
conduisent à reconsidérer la décision prise au
départ d'exercer localement les poursuites.
224
Article 706-19 du code de procédure pénale.
225
La sécurité en Corse : un devoir pour la
République. Rapport n° 69 (Sénat, 1999-2000) de
M. René Garrec au nom de la commission d'enquête du
Sénat sur la conduite de la politique de sécurité
menée par l'Etat en Corse présidée par M. Jean-Patrick
Courtois.
226
Voir infra.
227
Les infractions pour lesquelles le tribunal de grande instance
à compétence élargie devrait être saisi sont les
atteintes à la personne humaine au sens du titre II du code
pénal, les infractions prévues par le code de la santé
publique et les infractions prévues par le code rural ou le code de la
consommation.
228
L'article L. 5311-1 du code de la santé publique dresse
une liste non exhaustive des produits de santé, parmi lesquels figurent
les médicaments, les substances stupéfiantes et psychotropes, les
produits contraceptifs, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro,
les produits sanguins labiles, les organes, tissus, cellules et produits
d'origine humaine ou animale...
229
Avis n° 175 (Sénat, 2001-2002).
230
Article L. 218-29 du code de l'environnement.
231
Rapport n° 163 (Sénat, 2000-2001).
232
Articles 91 et 92 du règlement (CE) n° 40/94 du
Conseil du 20 décembre 1993.
233
Cet article a été inséré par
l'ordonnance n° 2001-670 du 25 juillet 2001, qui n'a pas encore
été ratifiée par le Parlement.
234
Inséré par le décret n° 2002-216
du 18 février 2002.
235
En matière d'enlèvements internationaux d'enfants,
la France est également partie à la convention européenne
de Luxembourg du 20 mai 1980 et a signé une vingtaine de conventions
bilatérales, principalement avec des États africains mais
également le Brésil et le Portugal.
236
Rapport n° 209 (Sénat, 2001-2002).
237
Rapport sur le bilan des années 2000 et 2001 du
pôle financier de Paris - mars 2002 - p. 9.
238
Actuellement, les magistrats peuvent bénéficier
d'une formation de huit jours avant la prise de fonction.
239
Rapport précité p. 5.
240
M. Jean-Claude Magendie, président du tribunal de
grande instance de Paris, a confirmé devant la mission qu'on assistait
à une véritable hémorragie des officiers de police
judiciaire, liée aux départs en retraite, aux demandes de
mutation en province et à la création de la police urbaine de
proximité qui a entraîné de nombreux redéploiements
des effectifs.
241
Le nombre d'assistants de justice au pôle
économique et financier de Paris s'élève à 9.
242
Rapport du groupe de suivi des pôles économiques et
financiers remis à la garde des Sceaux en avril 2001 - p. 32.
243
Article 91-1 de cette loi ( article 706 du code le code de
procédure pénale).
244
Article R. 50 bis du code de procédure pénale.
245
Dans ce cas, ils sont recrutés comme agent contractuel.
246
Sanctionnant une formation économique, financière
ou juridique d'une durée d'au moins quatre années égale
à quatre années d'études supérieure après le
baccalauréat.
247
Au moment de l'arrivée des assistants
spécialisés, les magistrats les considéraient avec
méfiance, voyant parfois en eux des concurrents, et ne savaient pas
quelles tâches leur confier. Certains, les considéraient
même comme les « chevaux de Troie » de leur
administration d'origine
.
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