2. Les scénarios d'intervention militaire
Sur un plan strictement militaire, plusieurs responsables ont expliqué à la délégation que la remise en condition des forces américaines imposerait un délai de plusieurs mois. Il s'agit en particulier de reconstituer les stocks de munitions, et notamment les armes de haute précision, et d'effectuer les opérations de maintenance indispensables sur les bâtiments et les avions engagés pour la campagne d'Afghanistan. Divers éléments techniques militent également pour qu'une éventuelle offensive militaire se déroule en hiver, ce qui conduit certains commentateurs à assurer qu'elle se produira au début de l'année 2003 .
Il reste cependant à définir la forme que prendrait cette intervention.
Plusieurs hypothèses ont cours.
La première porterait sur une invasion militaire totale , conçue sur le modèle de l'opération Tempête du désert en 1991. L'Arabie saoudite n'étant pas disposée à autoriser l'utilisation de son territoire pour une telle offensive, les forces terrestres et aériennes devraient agir à partir d'autres bases. Dans ce cas, outre le Koweït, la Turquie serait sollicitée et serait appelée à jouer un rôle très important. Selon les différentes sources, une telle offensive nécessiterait un corps expéditionnaire compris entre 200 000 à 300 000 hommes , soit de quatre à six divisions pour les forces terrestres, de 700 à 1 000 avions et une force navale pouvant compter jusqu'à cinq groupes aéronavals. La constitution et la montée en puissance de ces forces exigeraient trois à cinq mois.
Une deuxième hypothèse, radicalement différente, mise sur une action indirecte s'appuyant essentiellement sur des groupes d'opposition irakiens auxquels les Etats-Unis apporteraient l'aide technique et financière nécessaire. Cette option est généralement écartée compte tenu des précédents échecs de rébellions visant à renverser Saddam Hussein.
À mi-chemin entre ces deux options, une troisième hypothèse vise à reproduire peu ou prou la démarche adoptée en Afghanistan. Des frappes aériennes intensives et précises seraient combinées avec une intervention au sol des forces spéciales américaines agissant en liaison avec des forces terrestres locales opposées au régime en place. C'est avec l'opposition kurde au nord du pays et la communauté chiite musulmane au sud que seraient constituées ces forces locales hostiles à Saddam Hussein.
Il semblerait que les Etats-Unis accentuent actuellement leurs efforts pour rassembler et coordonner des groupes d'opposition auxquels se joindraient d'anciens militaires irakiens. Toutefois, beaucoup d'analystes mettent en doute la possibilité de constituer à partir de ces éléments disparates une force crédible, face à l'organisation et à la puissance militaire du régime irakien, ce qui rend également incertain ce scénario intermédiaire.
Pour l'un des experts rencontrés par la délégation, les éléments les plus déterminés à agir parmi les conseillers du Président Bush privilégieraient une intervention engageant un volume limité de forces américaines et sur-évalueraient la possibilité de s'appuyer sur des forces locales. Les responsables militaires, selon une logique compréhensible, mettraient pour leur part l'accent sur les capacités de résistance des forces irakiennes, et considèreraient que si une offensive était décidée, elle devrait au contraire mettre en oeuvre un dispositif américain beaucoup plus étoffé.
Au moment où la délégation s'est rendue à Washington, les conditions d'une intervention militaire contre l'Irak apparaissaient encore en débat.
Mais c'est surtout la mise sur pied d'une alternative politique crédible au régime actuel qui semblait la plus incertaine, alors que les incidences d'un conflit de ce type sur l'ensemble du monde arabe ne faisaient pas l'objet d'une évaluation approfondie.
En supposant qu'une action militaire provoque le renversement de Saddam Hussein, la perspective d'un Irak faible et fragmenté, avec ses communautés chiite au sud et kurde au nord, n'est pas faite pour diminuer l'instabilité dans la région. Sur ce point, la délégation n'a pas obtenu de réponses satisfaisantes.