N° 66
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 8 novembre 2001 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur la proposition de loi n° 387 (2000-2001), ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à l' autorité parentale ,
Par Mme Janine ROZIER,
Sénateur.
(1) Cette délégation est composée de : Mme Dinah Derycke, président : Mmes Paulette Brisepierre, Gisèle Gautier, Françoise Henneron, M. André Vallet, Mme Hélène Luc, vice-présidents ; MM. Jean-Guy Branger, André Ferrand, Patrice Gélard, secrétaires ; Mme Maryse Bergé-Lavigne, Annick Bocandé, Mme Claire-Lise Campion, MM. Marcel-Pierre Cléach, Yvon Collin, Gérard Cornu, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Claude Domeizel, Mmes Josette Durrieu, Françoise Férat, MM. Yann Gaillard, Francis Giraud, Alain Gournac, Serge Lagauche, Serge Lepeltier, Mmes Valérie Létard, Josiane Mathon, MM. Philippe Nachbar, Mme Anne-Marie Payet, M. Jean-François Picheral, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, Janine Rozier, Odette Terrade, M. André Trillard.
Famille. |
« Les États parties s'emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d'élever l'enfant et d'assurer son développement. »
Convention des Nations-unies relative aux droits de l'enfant, New York, 20 novembre 1989.
Mesdames, Messieurs
Adoptée par l'Assemblée nationale le 14 juin dernier, la proposition de loi relative à l'autorité parentale, déposée par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste, participe d'un mouvement plus vaste de réforme du droit de la famille, élaborée par touches successives, le Gouvernement ayant laissé, pour une large part, l'initiative aux parlementaires.
Droit des successions, nom de famille, accès aux origines ou encore réforme du divorce, un nouveau droit de la famille s'esquisse, qui tente de prendre en compte et parfois de devancer l'évolution des pratiques sociales.
Dans ce contexte, la proposition de loi relative à l'autorité parentale n'apporte pas de bouleversement majeur à l'état du droit ; elle tend à réaffirmer et à renforcer le principe de coparentalité, parachevant ainsi le travail entrepris par le législateur de 1987 et poursuivi en 1993.
Il s'agit cependant d'un texte ambitieux dans ses objectifs puisqu'il vise à favoriser le maintien du « couple parental » après une séparation et cherche à mettre en oeuvre un droit pour l'enfant à être élevé par ses deux parents.
A la différence des textes soumis jusqu'à présent à l'examen de la Délégation, la proposition de loi relative à l'autorité parentale tend à rétablir un équilibre des responsabilités entre hommes et femmes dans le sens d'une plus grande présence des pères.
Éviction du père ou carence paternelle, pères absents ou pères victimes, la paternité est en question, le rôle du père ayant connu des mutations profondes sans parvenir à retrouver un équilibre. Dans un contexte de généralisation des naissances hors mariage, le père ne bénéficie plus de la présomption de paternité définie par l'adage « le père est celui que les noces désignent ».
L'enfant laissé sous l'autorité parentale de la seule mère correspond à une conception vieillie de la famille naturelle et ne reflète plus l'état de la pratique et de la demande sociales de couples qui, s'ils ne sont pas passés devant le maire, ont de plus en plus recours au juge lors de la séparation.
La réforme de l'autorité parentale intéresse l'égalité des chances entre les hommes et les femmes et entre dans la vocation de la Délégation à plus d'un titre : en redéfinissant l'autorité parentale comme un droit « fonction -obligation », elle favorise un meilleur équilibre au sein du couple ; en liant filiation et autorité parentale, elle facilite l'exercice de la paternité ; en inscrivant dans le code civil la résidence alternée, elle tend à infléchir les pratiques sociales, à la recherche d'un meilleur équilibre dans l'exercice de la parentalité chez les couples séparés.
I. UNE ACTUALISATION DU DROIT DE L'AUTORITÉ PARENTALE : RÉFORMER LE DROIT POUR S'ADAPTER AUX PRATIQUES SOCIALES
A. . MARIAGE ET NON-MARIAGE : DES PRATIQUES DIFFÉRENTES, UNE DEMANDE DE DROIT IDENTIQUE.
1. la paternité dans le mariage : une fonction présumée
Si la mère « est toujours certaine », le père est, selon la règle édictée sous Justinien, « celui que les noces désignent ».
Proclamé à l'époque romaine pour mettre fin à un régime où l'établissement de la paternité résultait de la seule volonté d'un homme de se constituer père, cet adage était d'abord un garant du bon ordre public avec des implications en termes d'obligation alimentaire et de patrimoine.
Il mit fin au régime de « paternité d'élection », où il appartenait au mari de décider si l'enfant qui lui était présenté était accepté dans la famille bien que né de son épouse légitime. De même, prit fin la possibilité pour le père de reconnaître pour siens des enfants conçus par lui hors du mariage.
La présomption de paternité reste aujourd'hui l'une des composantes essentielles du mariage.
Elle assure à l'enfant la stabilité de sa filiation sans nécessité d'une autre intervention que la déclaration de naissance et elle n'ouvre que des possibilités de contestation réduites ; pratiquement nulles lorsqu'elle est corroborée par la possession d'État.
2. la paternité hors mariage : une paternité d'élection ?
Nombre d'enfants aujourd'hui naissent hors de ce système protecteur tant du point de vue de l'enfant que de celui de la société.
Près d'un enfant sur quatre naît aujourd'hui hors mariage et cette proportion passe à un sur deux pour le premier enfant.
On estime à 80 % ceux qui sont reconnus avant la fin de leur premier mois et à 3 à 4 % le nombre de ces enfants qui ne font pas l'objet d'une reconnaissance paternelle.
Les parents de ces enfants vivent dans l'immense majorité des cas en couple.
A l'égard de leurs enfants, leur relation est identique à celle des couples mariés : près de 40 % d'entre eux ont procédé à une reconnaissance conjointe anténatale qui emporte la divisibilité de la filiation de l'enfant et ils font appel au juge dans les mêmes proportions que les couples mariés pour régler, lors de la séparation, les questions relatives aux enfants.
Même si le mariage demeure statistiquement la référence d'organisation juridique de la vie en couple, il n'est plus ressenti comme un passage obligé.
3. Familles, famille
Avec le temps, les familles naturelles acquièrent souvent le statut de famille légitime : en 1999, 28 % des mariages légitimaient au moins un enfant (ils n'étaient que 5,3 %, trente ans plus tôt) et ce, pour des raisons qui ne sont pas simplement fiscales.
L'augmentation du taux de nuptialité (300 000 mariages en 1999 contre 225 000 en 1995) touche assez largement ces familles : les mariages légitimant au moins un enfant ont augmenté de 15 % en 1999. Le mariage s'est en quelque sorte « déplacé » après la naissance du premier enfant.
Parallèlement, un mariage sur quatre (un sur trois en Région parisienne) donne statistiquement suite à un divorce. C'est bien au défi de la séparation que se trouvent confrontées, quelle que soit leur forme, les familles d'aujourd'hui.
Ces chiffres dessinent le portrait d'une famille multiforme à laquelle il revient au législateur de donner un cadre juridique conforme à son évolution.