22. Audition de M. Bernard Baudot, directeur de l'eau et M. Noël Godard, sous-directeur de la protection et de la gestion des eaux au ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement (14 juin 2001)
M. Marcel Deneux, Président - Nous recevons aujourd'hui M. Bernard Baudot, directeur de l'eau et M. Noël Godard, sous-directeur de la protection et de la gestion des eaux au ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement.
Le Président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Bernard Baudot et Noël Godard .
Vous travaillez au ministère de l'Environnement en qualité de directeur de l'eau et de sous-directeur de la protection et de la gestion des eaux. Vous avez vécu les inondations de la Somme. Nous avons auditionné Madame Voynet. Nous souhaitions vous entendre pour connaître les détails de l'organisation de votre direction.
M. Bernard Baudot - Suite aux question que vous nous avez transmises, il nous semble bon de vous présenter l'organisation de direction de l'eau, son action dans le dispositif de prévention des inondations, ses moyens financiers et leur utilisation. Ces points me paraissent importants pour mettre en oeuvre un dispositif de prévention des inondations efficace.
La direction de l'eau est compétente pour élaborer les règles relatives à la prévention des risques naturels liée aux inondations fluviales et à l'annonce des crues. Vous avez dû auditionner mon collègue Philippe Vesseron de la direction de la prévention des pollutions et des risques majeurs. Nos attributions sont complémentaires. La DPPR coordonne l'action de l'Etat en matière de prévention des risques majeurs. A ce titre, elle est chargée de l'ensemble de ces risques, notamment celui des inondations. Elle doit mener une politique générale et élaborer les plans de prévention des risques contre les inondations (PPRI).
La DPPR assure la coordination avec les autres ministères. Plusieurs ministères sont concernés par le problème des risques majeurs et en particulier des inondations :
Sur ce problème, sont associés le ministère de l'Agriculture pour la restauration des terrains en montagne, la direction des transports maritimes, des ports et du littoral, la direction de l'eau pour ce qui concerne les inondations fluviales et le ministère de l'Intérieur pour l'ensemble des questions relatives à la sécurité.
Au niveau national, la coordination entre la direction de l'eau et la DPPR est satisfaisante. Concernant les relations avec les autres ministères, plusieurs réunions sont organisées régulièrement sous la présidence du Délégué aux risques majeurs.
Au plan local, l'organisation est différente. Il faut distinguer entre le département et la région. Au niveau départemental, la direction de l'eau, et le ministère de l'Environnement en général, ne disposent pas de services propres. Les agents sont mis à disposition du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement par la direction départementale de l'équipement et la direction départementale de l'agriculture. Dans le cas de la Somme, sept services de l'Etat étaient concernés dans le domaine de la gestion et de la police de l'eau.
Ces services agissent sous l'autorité du Préfet. C'est à lui de coordonner l'ensemble de ces services. Cette situation nous pose des difficultés. En effet, la coordination n'est pas simple face à une dispersion des services et des agents. Les inondations ne sont pas des évènements réguliers. Ces agents travaillent sur d'autres opérations.
Au niveau régional, nous disposons des directions régionales de l'environnement (DIREN) à l'intérieur desquelles figurent les services de l'eau et des milieux aquatiques. Elles ont pour but de coordonner l'action des départements à l'échelon de la région de manière à assurer une animation et un appui technique aux services départementaux de l'Etat. La tête de réseau nous permet d'assurer la meilleure coordination entre les différents services. Nous trouvons une application privilégiée dans le domaine de l'annonce des crues et de la surveillance des fleuves au niveau des bassins. Ce n'est pas le cas de la Somme mais de la Garonne, la Loire, le Rhône, la Seine, la Meuse ou encore la Moselle.
Concernant l'engagement des moyens financiers, nous privilégions trois types d'actions qui constituent le fondement de la politique de prévention et de protection contre les crues et les inondations : la prévention, la prévision et la protection.
La prévention nous permet d'apprécier à leur juste valeur les moyens à mettre en oeuvre. Nous devons accentuer la connaissance des risques. A cette fin, nous appliquons deux procédures.
L'une d'entre elles est du ressort de la direction de l'eau et concerne la mise en place d'atlas des zones inondables. Ces atlas sont élaborés à partir du relevé des anciennes inondations. Ils constituent des aides à la compréhension pour les élus, les services de l'Etat et les citoyens. Ils permettent de cartographier les éléments connus au moment de leur élaboration. Cette opération est financée par la direction de l'eau. Depuis janvier 1994, le gouvernement Balladur a mis en place, sous l'impulsion de Michel Barnier, un plan décennal de prévention et de lutte contre les inondations dont les dispositions relèvent des observations formulées par la Cour des comptes. Ce programme est relativement récent. Avant 1994, notre politique était faible dans ce domaine. Elle a été actualisée en 1997, notamment pour le plan Loire-Grandeur-Nature, dans le cadre des contrats de plan entre l'Etat et les régions. De nombreuses régions se sont associées à l'Etat pour apporter une contribution financière et accentuer cette politique sur leur territoire.
Je n'aborderai pas la seconde procédure. Les PPRI constituent un outil de connaissance important. Ils permettent un débat avec les citoyens.
La prévision concerne le système de modernisation et de fonctionnement des services d'annonce des crues. Ces services traitent les principaux cours d'eau. Ils ne concernent pas la Somme. Nous disposons de cinquante-deux services d'annonce des crues sur l'ensemble du territoire. Ces services sont gérés par l'Etat à la demande des préfets et des élus. Depuis 150 ans, ces services, qui couvrent 6.300 communes, permettent de relever les cotes et les hauteurs d'eau superficielles. Dans la Somme, il ne s'agissait pas du même type de crue.
Il existe plusieurs types de crues :
- les crues torrentielles ;
- les crues de vallées ;
- les crues de nappes.
Ces services sont très importants. En 2001, nous mobilisons 53 millions de francs de crédits pour leur fonctionnement et les investissements. Nous y avons consacré 300 millions de francs depuis 1994. Ces crédits sont importants pour moderniser ces services et les rendre plus efficaces et pour rendre l'information plus intelligible vis-à-vis des préfets et des maires. Nous souhaitons que ces informations soient le plus accessible possible de façon à ce que les citoyens puissent se déterminer sur les risques encourus. Nous avons des progrès à faire dans le domaine de la qualité des documents que nous fournissons, tant au niveau de la visibilité que de la vitesse de transmission. Les services d'annonce des crues travaillent à partir des notions de cotes des eaux superficielles. Nous procédons à des renforcements, notamment avec Météo France, pour délivrer des informations plus fiables. Nous avons couvert l'ensemble du territoire de radars.
Nous y avons consacré 40 millions de francs au cours des trois dernières années. Nous allons ajouter la même somme pour achever ce programme. Ces radars nous permettront de disposer d'une information très rapide. Par ailleurs, nous devons progresser dans le domaine des modèles de prévision pour les services d'annonces des crues classiques. Je comprends qu'un préfet ou un élu demande à disposer d'une fourchette de risques. Il faut que nous allions au-delà de la notion d'informations statiques. Nous devons développer des modèles quand bien même ceux-ci aient toutes les incertitudes des modèles mathématiques.
Enfin la protection concerne les travaux d'entretien et de restauration des cours d'eau. Dans le domaine public, nous sommes responsables de l'entretien des cours d'eau, des zones naturelles d'expansion des crues, notamment en amont des villes et des zones habitées. Nous voulons renforcer ces zones au risque de créer des servitudes. Il s'agit de l'une des dispositions du projet de loi portant réforme de la politique de l'eau. Nous avons pris note des remarques de plusieurs parlementaires dans ce domaine. Nous apportons des moyens financiers pour protéger les ouvrages de protection des lieux habités.
La protection couvre trois domaines :
- l'entretien et la restauration des cours d'eau ;
- l'entretien et la restauration des zones naturelles d'expansion des crues ;
- la protection des lieux habités.
En 2001, nous consacrons 300 millions de francs à ces opérations. Pour l'heure, ces crédits sont suffisants au regard des demandes. Je pense que le vrai débat porte sur l'identification des maîtres d'ouvrage. Ce type d'opérations est toujours très long. Elles nécessitent une concertation locale. Il importe d'appliquer des dispositions réglementaires qui sont assez lourdes. Malgré l'augmentation significative des moyens financiers au cours des trois dernières années, la consommation des crédits n'est pas à la hauteur de leur inscription. Les demandes ne nous parviennent pas.
Nous consacrons 130 millions de francs à la protection des lieux habités et 80 millions de francs à la restauration et à l'entretien des cours d'eau relevant du domaine public. Le solde, dont le montant est de 80 millions de francs, est consacré à la restauration des cours d'eau et des champs naturels d'expansion des crues. Il faut savoir que certaines agences de l'eau participent à ce financement, notamment dans le cadre des contrats de rivière.
M. Pierre Martin, Rapporteur - Monsieur le directeur, à chaque fois qu'un événement imprévisible se produit, nous pouvons renforcer et créer des dispositifs adéquats. Pour la Somme, rien n'était prévu. Je me mets à la place de Monsieur le Préfet qui devait gérer un problème alors que les informations qui lui étaient transmises n'étaient pas suffisamment précises. Lors d'une enquête parlementaire en 1994, il a été affirmé qu'« on peut déclencher une alerte avec 24 heures d'avance, ce qui permet aux habitants de mettre à l'abri leurs biens ». Je pense que cette remarque est judicieuse. Toutefois, a-t-elle été adoptée ? Nous réunissons de nombreuses commissions. Elles travaillent fort bien. Elles permettent d'apporter des préconisations et des suggestions. Nous prenons conscience du fait que le travail des commissions est bien vite oublié. Nous sommes obligés de reprendre nos travaux lors de chaque catastrophe. Je pense qu'il est important de le dire à ceux à qui s'adressent les conclusions de ces commissions. Les préconisations ne sont parfois pas prises en compte. Je le regrette infiniment. Si ces recommandations étaient davantage prises en compte, nous pourrions améliorer sensiblement certaines situations.
M. Bernard Baudot - Le ton est donné ! mais je souhaite nuancer vos propos. En 1994, nous avons élaboré un plan décennal de prévention. Avant cette date, je reconnais que l'Etat ne produisait pas les efforts nécessaires. Nous avons focalisé nos efforts sur les territoires potentiellement les plus sujets aux inondations et aux risques mettant en cause des populations. Pour être honnête, j'avoue que la Somme ne figurait pas parmi les départements auxquels devaient s'appliquer ces mesures.
A partir de 1994, nous avons renforcé les services d'annonce des crues. Or un tel service ne servirait à rien dans la Somme. En effet, ces services ne traitent pas les crues de nappes. Nous avons focalisé nos efforts sur les deux millions de personnes qui habitent dans des zones à risques. Pour cela, nous avons couvert le territoire. Nous mesurons les cotes. Dans ce domaine, le service d'annonce des crues a toute sa signification. Je crois que depuis 1994, les commissions et les rapports ont été pris en compte. Concernant la Somme, nous avons été pris de court. Cette crue est plus que centennale. Certains pensent qu'une telle crue ne survient que tous les cinq cents ans. Cette situation est tout à fait exceptionnelle. Elle est liée à un phénomène de précipitations qui depuis l'automne, est le double des précipitations habituelles. En outre, ces précipitations font suite à deux années particulièrement humides. Cette conjonction de phénomènes a entraîné une remontée de la nappe. L'excédent d'eau a créé la crue. Ce phénomène est complètement différent.
M. le Président - Il est clair que nous commençons à comprendre les causes de ce phénomène. Pour l'avenir, votre service envisage-t-il de créer un système d'alerte pour les territoires potentiellement sujets aux crues de nappes ? Si ce système avait existé, peut-être aurions-nous pu mettre en place une politique de prévention qui dans le cas de la Somme, a fait défaut. Avez-vous réfléchi à ce problème ? Un tel système est-il techniquement réalisable ? En préconisez-vous la création ?
M. Hilaire Flandre - Ce système sera-t-il suivi par la population ?
M. le Rapporteur - Nous avons constaté cette accumulation de phénomènes. La remontée de la nappe et les précipitations ont duré pendant plusieurs mois. Quelles conclusions en a-t-on tiré ?
M. Bernard Baudot - Soyons honnêtes. Nous sommes tous responsables. Le Préfet nous a prévenus le 12 février. Nous sommes face au problème de la culture des crues. Personne n'a cru à une inondation. Je veux bien que la responsabilité soit imputée à la non-existence d'un service d'annonce des crues ou à la non-coordination des services de l'Etat. Je pense, quant à moi, que le mea culpa doit être collectif. Il s'agit d'un événement exceptionnel. La culture de crues n'existe pas dans la Somme. Personne n'y a cru.
M. le Président - De façon générale, les messages en provenance de votre ministère insistent davantage sur la pénurie d'eau. Les Picards ayant bien écouté ce que disait Mme Dominique Voynet, n'avaient pas la culture des inondations. Nous pensions que l'eau était rare. Nous n'avons pas imaginé les risques de débordement. Vos services ne nous ont jamais dit que la Somme pouvait déborder.
M. le Rapporteur - Vous dites que le Préfet vous a prévenus le 12 février. Or personne n'a suivi. Quels moyens fallait-il mettre en oeuvre pour suivre ?
M. Bernard Baudot - Dans le domaine des inondations, les maires sont autant responsables que les préfets. Nous pouvons considérer que les services d'annonces des crues sont placés sous leur responsabilité. En menant le raisonnement à son terme, nous prenons conscience de l'absurdité d'une telle mesure. En effet, les inondations vont au-delà des limites territoriales des communes. Nous devons raisonner par bassin ou par sous-bassin et non pas par collectivité locale. Je me permets d'insister sur le fait que nous devons tirer les leçons des évènements. Dans ce domaine, je suis les recommandations du Rapport Lefroux. Je crois que nous devons mettre en place un service spécifique pour la Somme. Ce service nous permettra de collecter l'ensemble des données hydrologiques, hydro-géologiques et hydrauliques. Il faut reconnaître que le système hydraulique de la Somme est particulièrement complexe. Il faut réunir l'ensemble des compétences et mettre en place un service qui sera placé sous l'autorité du Préfet. Sur le plan technique, ce service sera mis en place dès cette année. Il est très important que nous donnions aux services les moyens de travailler et de recenser les données nécessaires. En effet, il n'est pas sûr qu'il n'y ait pas de nouvelles inondations en 2002, compte tenu de la saturation de la nappe. Nous devons le dire à la population sans pour autant l'effrayer. Nous devons prendre les dispositions nécessaires en termes de connaissances. Certains aménagements doivent être réalisés sans tarder. Parallèlement, nous proposons de constituer un comité rassemblant les collectivités, les chambres consulaires et les différents partenaires pour suivre la mise en place de ces dispositifs et s'inscrire dans une approche de risques renouvelés en 2002.
M. Michel Souplet - Je ne souhaite pas jeter d'anathèmes. Nous vivons dans une société où nous devons identifier les responsables. Nous pouvons commencer par examiner le cas de ceux qui ont construit leurs habitations dans les zones à risques. Ils ont construit leurs maisons quand bien même ils connaissaient les risques. En effet, certains d'entre eux souhaitaient habiter près de l'étang. Ils sont responsables. Vous avez déclaré que vous aviez l'ambition de créer un service spécifique dans la Somme. Etant élu du département voisin, je pense que ce service doit être étendu au bassin picard. Le cours de la Somme a des répercussions dans l'Aine et dans l'Oise. Il faut distinguer deux phénomènes. Concernant les nappes, nous n'avions jamais connu d'accidents d'une telle ampleur. Ce matin, le Rapporteur me citait le cas de deux villages. Le premier village, Fontaine-sur-Somme, est situé dans la vallée. L'inondation était prévisible. L'autre village est situé sur la colline. Du fait des nappes, il connaît les mêmes problèmes et les mêmes difficultés. Personne n'aurait imaginé qu'une nappe puisse causer tant de dégâts. Nous sommes face à des problèmes qui ne sont pas de même nature. Lorsqu'ils se cumulent, nous courons à la catastrophe.
M. le Président - Dans l'hypothèse où des mesures particulières doivent être prises dans la Somme, avez-vous prévu des crédits exceptionnels sur le budget 2001 ?
M. Bernard Baudot - Nous les dégagerons. Ce problème est en cours de résolution. Pour l'heure, nous discutons avec l'ensemble des ministères. Un comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT), qui se tiendra au début du mois de juillet, arrêtera les mesures prises par l'Etat à travers les contributions des différents ministères. Me concernant, je puis vous affirmer que la direction de l'eau dégagera les moyens nécessaires. Nous considérons qu'il s'agit d'une opération prioritaire.
M. le Président - Cette opération sera menée à titre expérimental. En la matière, vous ne bénéficiez pas de beaucoup d'expérience.
M. Bernard Baudot - Oui. Il faut mettre en place un modèle. Pour l'heure, nous ne le connaissons pas. Le travail à réaliser est complètement différent des missions classiques que doivent remplir les services d'annonce des crues. Dans le cadre de ces missions, nous devons élaborer des modèles de prévision. Pour autant, ils sont plus simples à réaliser dans la mesure où nous les connaissons mieux que les principes qui régissent la nappe. Pour concrétiser cet investissement intellectuel, nous nous entourerons de partenaires extérieurs et d'établissements publics comme le CEMAGREF.
M. le Rapporteur - Il ne faut pas oublier que de nombreuses communes n'ont que 200 à 300 habitants. De façon générale, les questions administratives relèvent de la compétence d'une seule personne. Je l'ai constaté à Fontaine-sur-Somme. Lorsque les inondations ont commencé, seuls le maire, les membres du conseil municipal et la secrétaire de mairie étaient présents. Ils essayaient de faire face. N'ayant pas la culture des inondations, ils ont réalisé un travail qui souffrait d'un manque manifeste de coordination. La Préfecture leur recommandait d'utiliser des parpaings. Nous comprenons que d'autres actions n'aient pas été menées. A Fontaine-sur-Somme, le maire sortant n'avait pas été reconduit. Le maire élu n'avait pas l'expérience nécessaire. Il ne pouvait pas connaître l'ensemble des mesures à prendre. Les connaissances à acquérir sont très nombreuses. Tous ces phénomènes sont liés. De nombreux services sont concernés. Or pour que le système fonctionne, il faut nommer un seul responsable. Nous avons le sentiment que les informations émanaient de différents services.
M. Bernard Baudot - Je partage votre avis en partie. Dès lors qu'un événement de ce type survient, il convient de renforcer la coordination. Parallèlement, l'accent est mis sur la complexité de ces phénomènes. Leur traitement nécessite plusieurs compétences. Je reconnais que l'Etat doit accomplir des progrès dans le domaine de l'eau. En qualité de directeur de l'eau, je ne peux que constater la dispersion des services. Certains départements ministériels sont en charge du domaine marin. D'autres sont en charges du domaine public fluvial navigable. Pour ma part, je ne suis en charge que du domaine public fluvial non-navigable. En termes de police de l'eau, j'ai proposé que les services du ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement soient mieux coordonnés au plan territorial. Ce point concerne essentiellement le niveau départemental. Notre organisation est le fruit de deux siècles d'organisation de la puissance publique. Je reconnais que la segmentation des compétences doit être réformée.
Dans le domaine du risque, je partage votre avis. Nous devons coordonner l'action des services et repenser la répartition des compétences. Le responsable doit être clairement identifié. En revanche, il faut reconnaître qu'il appartient au préfet de coordonner les services de l'Etat. A mon sens, le préfet doit assurer la coordination en relation avec les élus locaux. Il doit en tirer les conséquences en termes de préconisations. Jamais un maire ne sera capable d'assurer la sécurité au niveau du département, et, a fortiori, au niveau de la région. Le maire est concerné au plan local.
Pour renforcer les appuis techniques, il est temps, en matière de risque, de mettre en place des groupements de collectivités. Il faut prendre en compte les problèmes relatifs à la maîtrise d'ouvrage, à l'appui technique et à l'assistance. A terme, il faudra organiser, sous la forme la plus pertinente en termes géographiques et hydro-géographiques, les collectivités pour assurer les maîtrises d'ouvrage nécessaires à la prévention des risques. Cette remarque ne vise pas à dédouaner l'Etat. Je crois que les efforts à réaliser concernent tous les acteurs.
Les partenaires privés sont également responsables. Par-delà la dispersion des compétences, nous sommes face à une multiplicité d'acteurs qui sont responsables à des titres divers. Le particulier est propriétaire de son terrain. Il a des droits, mais il a aussi des devoirs. Sur ce plan, certaines précautions doivent être prises. Les pouvoirs publics doivent l'informer et lui donner tous les moyens techniques pour ne pas reproduire les constructions à l'identique. En Bretagne, nous allons demander que les matériaux et la façon de construire soient pris en compte. Concernant les réaménagements, les propriétaires seront aidés financièrement. Les personnes qui résident dans les zones inondables doivent intégrer ces obligations. Les habitants doivent prendre conscience du risque et assurer leurs devoirs.
M. Michel Souplet - Je partage votre avis. Toutefois, nous devrons donner de la souplesse aux agents et aux responsables des collectivités locales. Par exemple, l'Oise a débordé deux fois dans le courant des années 1990. Nous avons mis en place un PPRI en prévoyant une marge de trente centimètres au-dessus du niveau le plus élevé que nous avons connu. En conséquence, les plans d'aménagement de la région relatifs à la mise en valeur de carrières et aux implantations touristiques ont été supprimés. La zone est protégée. Elle constitue une réserve possible d'expansion des eaux. Selon moi, une solution aussi abrupte est absurde. La zone industrielle existe. Il suffit de remonter les bâtiments de quarante centimètres. Il faut rendre possible, sur le plan local, une possibilité d'aménagement à la fois raisonnée et raisonnable. Autour des étangs, il a été décidé de mettre un terme aux projets touristiques. Or pourquoi ne pouvons-nous pas installer des mobil homes sur des parpaings de cinquante centimètres ? Il est vrai que nous devons nous prémunir contre de telles situations. Pour autant, les personnes qui ont l'expérience du terrain devraient pouvoir agir. Il faut accorder une marge de manoeuvre aux responsables territoriaux. Sans cela, aucune politique de décentralisation ne sera possible.
M. Hilaire Flandre - Je partage l'avis de Monsieur Michel Souplet. Je suis élu des Ardennes. Je distingue deux types de crues. Certaines crues sont sans danger pour les humains. Elles sont lentes dans leur manifestation. Le problème concerne la protection des biens matériels. Les habitants n'ont perdu pas la mémoire des crues. Lors de nos auditions, nous avons pris conscience du fait que les crues sont relativement fréquentes. Lorsque les habitants perdent la mémoire des évènements, ils ne prennent pas les précautions nécessaires. Lorsqu'ils ont vu les eaux monter, les habitants ont pensé que elles ne monteraient que de quelques centimètres. In fine , l'eau est montée à un mètre dix. Ils ne pouvaient plus évacuer leurs habitations. Qui aurait pu prendre la décision des les évacuer ? Personne n'est en mesure de prendre une telle décision. Quand bien même l'ordre leur aurait été intimé, les habitants n'auraient pas obéi. A Charleville-Mézières, nous avons observé un autre type de crues. L'eau est montée brutalement, de plus d'un mètre par jour. Face à ce genre d'évènement, les habitants sont en danger. Nous donnons les avis d'évacuation. De nombreux habitants préfèrent ne pas quitter leur domicile. Les pompiers sont obligés de se hisser sur des cabines téléphoniques pour s'assurer de l'état de santé des personnes qui habitent au premier étage. Les citoyens ne veulent pas quitter leur habitation. Ils attendent que la situation ait atteint un niveau critique pour mettre leurs biens à l'abri.
M. le Rapporteur - Ces crues sont tellement exceptionnelles que nous ne pouvons pas tirer d'enseignements. Toutefois, nous devons trouver des solutions. Pour cela, nous devons déterminer les causes de ces situations. J'ai rencontré des habitants découragés. Dans un premier temps, ils avaient pris la décision de ne plus retourner dans leurs habitations. Or ils sont les premiers à y retourner. Ils sont prêts à réinvestir dans cette maison. Va-t-on les laisser réinvestir sans décision définitive ? Il va falloir rapidement donner des conseils. Qui va les donner ? Nous sommes actuellement dans une situation difficile. A Mareuil-Caubert et Abbeville, les habitants ont nettoyé leurs habitations. Ils n'ont pas conscience des préjudices qui vont apparaître dans les semaines à venir. Ils commencent à réoccuper les lieux. Ils sont très heureux. Le moment venu, ils se demanderont comment ils seront indemnisés. Ils considèrent qu'ils vont pouvoir reconstruire leurs maisons et épargner.
M. Bernard Baudot - Cette question ne concerne ni le ministère de l'Environnement ni la direction de l'eau. Nous n'avons jamais dit qu'il fallait supprimer l'existant qui se trouve sur les zones inondables. Nous devons agir en connaissance de cause et sur la base de PPRI qui mettent en avant les règles applicables. Il faut reconnaître que de nombreuses collectivités ont mis des installations et des équipements sur ces terrains. Cette situation pose le problème de la responsabilité de l'Etat et des élus. Tout doit se faire avec de la concertation dans le cadre d'un débat public local. La mémoire humaine est faillible. Notre rythme de vie est différent de celui des inondations. Il faut être conscient des risques. Les installations demeureront au-delà de l'activité qui y est développée. Il faut être prudent dans l'implantation des installations dans les zones inondables. Je vous recommande d'éviter de multiplier les installations dans ces zones. Même si elles permettent de résoudre des problèmes immédiats et conjoncturels, il faut chercher, au plan de la prévention et de la sécurité, à sauvegarder les zones de prévention contre les inondations. A Redon, l'une des préconisations du rapport est de procéder à des délocalisations lorsque la zone industrielle est située dans une zone à risques. Dans certains domaines, il faut réduire la vulnérabilité des zones de crue.
M. Michel Souplet - Je partage votre avis. Toutefois, je pense qu'il ne faut pas que les décisions soient prises arbitrairement à l'échelon plus élevé. En d'autres termes, il faut privilégier la concertation locale. Les décisions ne doivent pas s'appliquer uniformément à l'ensemble du territoire.
M. Jean-François Picheral - Je suis un élu du sud de la France. Hier, dans l'Hémicycle, nous avons débattu de la forêt. Nous responsabilisons considérablement les propriétaires privés. Dans le domaine de la police de l'eau, je pense qu'il faudrait responsabiliser les collectivités territoriales et les exploitants privés. Les obligations devraient être semblables à celles que nous avons votées pour la forêt. Il faut surtout coordonner l'action publique.
M. Bernard Baudot - Nous allons essayer de coordonner l'action des services. De nombreuses Associations syndicales autorisées (ASA) ne fonctionnent plus. Je crois que nous avons besoin de la volonté des élus d'accepter de remettre en cause l'existence de certaines ASA et de regrouper l'ensemble des collectivités sur un territoire pertinent, c'est-à-dire sur un bassin hydrographique. Cela permettra d'apporter l'appui technique sur les aménagements nécessaires. Nous avons besoin d'un lien fort avec les collectivités. Concernant la responsabilité des propriétaires privés, nous devons aller plus loin. Il faut signaler dans les actes de cession et de location les obligations et les informations portant sur la zone inondable. La responsabilité ne concerne pas que les pouvoirs publics. Pour les propriétaires riverains, le problème porte sur la gestion et la restauration des cours d'eau. Au terme du projet de loi sur l'eau, nous avons pris plusieurs dispositions. En cas d'urgence, les collectivités auront le droit, par arrêté préfectoral et sans enquête publique, d'intervenir sur le long des cours d'eau. En outre, le projet de loi prévoit que par enquête publique, des servitudes soient créées au long des cours d'eau pour permettre aux collectivités d'entretenir et de surveiller. Le coût sera réparti sur chacun des riverains. Ce point est important. Par ailleurs, une décentralisation est prévue sur le domaine public fluvial. Elle permettra aux départements ou aux ententes interdépartementales de gérer et d'entretenir les cours d'eau. Concernant les zones d'expansion naturelles ou les zones de surinondation, nous avons proposé d'instituer, à la demande des collectivités, des servitudes de surinondabilité en amont des zones habitées. Nous allons accentuer l'inondabilité sur ces zones. Nous n'allons pas nous contenter de les laisser telles qu'elles sont. Si une personne n'accepte pas les contraintes de la servitude, elle pourra demander le rachat de son terrain. Le Conseil d'Etat a trouvé cet équilibre raisonnable. Nous pourrions concevoir que la loi fasse obligation d'informer lorsqu'une personne achète ou loue sur une zone qui est susceptible d'être inondée. Toutefois, nous sommes confrontés à des problèmes relatifs au cadastre et à la modernisation de la conservation des hypothèques. Enfin, nous avons prévu des interventions plus fortes des agences sur les zones d'expansion des crues et sur les zones qui ont subi des imperméabilisations. A ce titre, des redevances concerneront les imperméabilisations et les grands aménagements. En contrepartie, les agences pourront intervenir sur les zones d'expansion et leur aménagement et sur l'entretien et la restauration des cours d'eau.
M. le Président - Monsieur le directeur, je vous remercie.