D. DÉFINIR UNE POLITIQUE DE LA MOBILITÉ INTERNATIONALE ET DE L'EXPATRIATION
Au cours de ses travaux, la mission d'information a eu le sentiment que les pouvoirs publics se cantonnaient trop souvent dans un rôle de simples spectateurs, au demeurant parfois inattentifs, face au développement des phénomènes de mobilité internationale et d'expatriation.
Peu d'instruments de mesure ont été mis en place, et encore moins d'instruments d'analyses. La connaissance des données relatives à l'expatriation reste très diffuse et les questions que celle-ci soulève ne font jamais l'objet d'une approche globale, leurs différents volets relevant de plusieurs services ministériels qui leur accordent, en général, peu d'attention. Lorsqu'il arrive, dans ces différentes administrations, que l'on s'interroge sur la signification profonde des mouvements d'expatriation, le premier réflexe est souvent de minimiser leurs effets préjudiciables ou les défauts de compétitivité qu'ils révèlent. Inversement, les vertus de l'expatriation sont volontiers célébrées, mais rares sont les actions mises en place pour transformer en bénéfices réels ses bienfaits potentiels.
Le domaine de la recherche est à cet égard caractéristique. Les autorités de tutelle sont très convaincantes lorsqu'elles soulignent l'incontestable intérêt, pour nos jeunes docteurs, de compléter leur formation aux États-Unis. Elles le sont beaucoup moins lorsque l'on constate les faibles perspectives professionnelles offertes aux intéressés à leur retour en France et le caractère tardif et modeste des actions concrètes menées en vue de pleinement valoriser les retombées, pour la recherche française, de ces séjours à l'étranger.
Convaincue que la mobilité internationale et l'expatriation contribuent effectivement à renforcer le poids économique et culturel de la France dans un monde globalisé, la mission d'information juge que les pouvoirs publics ne peuvent se borner à prendre acte du phénomène. Il est au contraire nécessaire de définir une politique de la mobilité internationale et de mettre en oeuvre une véritable stratégie pour optimiser l'apport des expatriés et de tous ceux qui, amis de la France, participent peu ou prou à ce que nous appellerons la « mouvance française » .
Cette politique passe tout d'abord par un indispensable renforcement des moyens consacrés à notre action extérieure , et en premier lieu de ceux du ministère des affaires étrangères , dont le budget actuel, minime et bien souvent première victime des arbitrages financiers, n'est pas à la hauteur des nouveaux enjeux auxquels nos représentations à l'étranger doivent faire face. La mission rejoint donc ici les inquiétudes et les demandes régulièrement par notre commission des affaires étrangères, et en particulier par son président, notre collègue Xavier de Villepin.
Quant à la stratégie à mettre en oeuvre, elle pourrait s'articuler autour de trois questions :
- comment continuer à favoriser une mobilité utile pour la France et les Français ?
- comment mieux structurer la « mouvance française » à l'étranger, pour la mobiliser efficacement au service de nos objectifs économiques et culturels ?
- comment répondre à la demande croissante de formation française à l'étranger , pour nos enfants expatriés d'abord, mais aussi, de plus en plus, pour les jeunes étrangers, élites de demain ?
1. Continuer à favoriser une expatriation utile pour la France et les Français
S'il importe de corriger les handicaps pouvant conduire à une expatriation « négative » ou à décourager l'installation ou le retour en France d'étrangers et de Français expatriés, il est tout aussi nécessaire de rester conscient des atouts considérables, du point de vue politique, économique et culturel, liés à une présence forte à l'étranger .
C'est un point qui est souvent souligné au Sénat, notamment par la voix des sénateurs représentant les Français établis hors de France, comme par les délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger (CSFE).
Par rapport à d'autres grands pays industrialisés comme le Japon, le Royaume-Uni, l'Allemagne ou l'Italie, le niveau de notre population expatriée demeure relativement modeste. Cette dernière est assez concentrée dans les pays de l'OCDE, mais beaucoup plus faible dans des zones géographiques présentant un potentiel de croissance à moyen terme, comme l'Asie-Pacifique ou l'Europe centrale et orientale. On peut également observer que dans l'optique d'une présence accrue à l'étranger, notre pays aurait tout intérêt à mieux utiliser la grande diversité culturelle des citoyens français.
La mission d'information considère donc que le souci d'améliorer l'attractivité de notre territoire doit aller de pair avec celui de favoriser la mobilité des Français , l'un et l'autre participant d'une même philosophie tendant à renforcer la compétitivité globale de la France. Afin de mieux jouer le jeu de l'internationalisation, il est nécessaire de développer une véritable « culture de l'expatriation » et de lever les principaux obstacles à la mobilité, qu'ils se présentent au départ vers l'étranger ou lors du retour vers la France.
a) Développer une « culture de l'expatriation »
Bien des facteurs historiques, géographiques, politiques, économiques ou culturels influent sur l'inclination et l'aptitude d'une population à s'établir à l'étranger. Il ne s'agit pas ici de les évoquer tous mais simplement d'insister sur deux orientations qui, aux yeux de la mission, devraient d'autant plus retenir l'attention prioritaire des pouvoirs publics qu'elles visent, dès avant l'entrée dans la vie professionnelle, à donner au jeunes Français le goût du grand large.
Renforcer l'apprentissage des langues étrangères et l'internationalisation des parcours d'enseignement
Parce qu'il réduit la barrière linguistique tout en favorisant l'ouverture sur les autres cultures, l'apprentissage des langues étrangères constitue bien entendu l'un des tous premiers facteurs favorables à l'expatriation. Sur ce plan, des progrès constants ont été enregistrés au cours des dernières années, comme en témoigne le niveau en langues des jeunes quittant aujourd'hui le système éducatif. Pour autant, la France continue d'accuser un retard assez évident par rapport à beaucoup de pays voisins.
Un étude réalisée en juillet 1998 par le cabinet de recrutement Michaël Page 57 ( * ) auprès de 85 000 candidats à l'emploi signalait que, parmi les personnes ayant répondu à l'enquête, 55% des Français avaient déclaré ne parler aucune langue étrangère, contre 32% des Allemands, 21% des Danois et 13% des Néerlandais. Selon la même étude, 20% des contrôleurs financiers, 12% des directeurs financiers et 11% des directeurs fiscaux français parlaient couramment l'anglais, la proportion tombant à 6% pour les directeurs généraux, 4% pour les directeurs marketing, 3% pour les directeurs export, 2,3% pour les directeurs informatiques, 1,7% pour les directeurs d'usine et 1,3% pour les directeurs du personnel.
Sans doute les Français ont-ils ressenti moins fortement et plus tardivement que d'autres la nécessité de posséder une ou plusieurs langues étrangères. Par ailleurs, leur enseignement est jusqu'à présent resté peu valorisé dans notre système éducatif, au regard d'autres disciplines.
Face à un tel constat, la mission ne peut que plaider pour l'accentuation , dans l'enseignement secondaire et supérieur, mais aussi à l'école primaire, de l'étude des langues étrangères . Elle partage sur ce point l'objectif ambitieux que s'est assigné le ministère de l'éducation nationale et qui vise à permettre la maîtrise de deux langues étrangères , afin d'assurer une réelle diversification des langues étudiées et d'éviter un autre écueil : celui du « tout anglais ». En effet, la généralisation du choix de l'anglais, considéré comme un passeport pour la vie professionnelle, s'est accompagnée d'un déclin inquiétant de l'étude des autres langues étrangères. S'il est aujourd'hui indispensable, l'anglais ne répond pas à lui seul aux besoins qui résultent de nos échanges économiques et culturels avec d'importants ensembles géographiques non anglophones. Il est d'autre part évident qu'à l'échelle européenne, la promotion du « plurilinguisme » est de nature à préserver l'apprentissage de la langue française.
C'est pourquoi la mission souhaite que se généralise, en France et à l'échelle de l'Union européenne, l' obligation d'étudier au minimum deux langues étrangères. L'anglais étant devenu un instrument de travail et de communication généralisé, il serait souhaitable d'encourager les élèves à commencer par étudier, dans l'enseignement primaire, une autre langue étrangère.
Par ailleurs, l'internationalisation des parcours de formation est aujourd'hui une réalité de plus en plus forte dans l'enseignement supérieur, que ce soit par l'accueil d'enseignants étrangers, par le développement de stages internationaux ou par l'accomplissement à l'étranger de modules validés pour l'obtention d'un diplôme français.
Cette évolution doit être poursuivie et encouragée, notamment au travers des possibilités offertes par le programme européen Erasmus.
. Promouvoir le volontariat international
Le volontariat civil a été créé par la loi du 14 mars 2000 pour prendre le relais, à compter de la suspension de la conscription, de certaines formes civiles du service national.
Parmi ces formes civiles, le service de la coopération , créé en 1965, a permis à plus de 150 000 jeunes Français d'effectuer une première expérience à l'étranger , que ce soit dans les services extérieurs de l'État (chancelleries diplomatiques, postes d'expansion économique, établissements culturels), dans des établissements scolaires, des universités ou des organismes de recherche, dans des associations ou, depuis 1983, dans des entreprises françaises à l'étranger. La création des coopérants du service national en entreprise (CSNE) a rencontré un succès considérable puisqu'en moins de 20 ans, près de 40.000 jeunes Français ont effectué leur service national dans une entreprise française à l'étranger.
Ces formules ont joué un rôle majeur dans le développement, chez nos compatriotes, du goût de l'expatriation. Nombre de coopérants sont restés, pour des séjours plus ou moins longs, dans leur pays d'accueil après leur service national, ou ont accomplis, dans la foulée, une autre expérience d'expatriation. Tous ont bénéficié, en tout état de cause, de l'ouverture à la vie internationale inhérente à cette forme de service national.
Il faut donc se féliciter qu'à la suite de la décision de suspendre la conscription, les gouvernements successifs, avant et après 1997, aient prévu de créer un cadre juridique destiné, autant que possible, à préserver les acquis et l'esprit du service de la coopération, y compris en entreprise.
Destiné aux jeunes de 18 à 28 ans, pour une période de 6 à 24 mois, le volontariat civil comporte un volet international destiné à prolonger les missions jusqu'alors dévolues aux coopérants du service national, tant dans les services de l'État à l'étranger (ambassades, missions de coopération, postes d'expansion économique, services culturels) qu'auprès des organisations non-gouvernementales, des projets de développement et des entreprises françaises à l'étranger.
Lors des débats parlementaires, et notamment au Sénat par la voix de notre collègue Robert Del Picchia, rapporteur du projet de loi, se sont exprimées les attentes fortes , mais également les incertitudes autour de ce nouveau statut . Ce dernier couvre en effet une palette de situations très différentes, puisqu'un cadre juridique uniforme s'applique aux volontaires civils à l'étranger, outre-mer ou en métropole, appelés à accomplir des missions de nature extrêmement diverses. L'ouverture sans restriction aux jeunes filles, et l'absence de tout quota, comme ceux qui limitaient l'accès au service de la coopération, permettent d'élargir le vivier potentiel des volontaires civils. On peut également penser que les volontariats pourront attirer une gamme très diversifiée de profils alors que la procédure CSNE s'avérait très sélective et largement élitiste. Inversement, la motivation puissante liée à la recherche d'alternatives au service militaire, sur laquelle reposait en partie le succès du service de la coopération, va disparaître, alors que le montant de l'indemnité prévue pour les volontaires a été fixé à un niveau modeste (3 500 francs mensuels, complétés par une prime variable selon le coût de la vie dans les différents pays).
Au titre des points positifs, on doit constater que si le volet métropolitain du volontariat civil demeure dans le flou, comme le Sénat l'avait d'ailleurs pressenti, le volet international a quant à lui été rapidement mis en place. Le ministère des affaires étrangères et celui de l'économie et des finances ont installé dès octobre dernier une structure commune, le Centre d'information sur le volontariat international (CIVI) , dont la gestion a été déléguée au CFME-ACTIM qui possédait l'expérience de la procédure CSNE. Un site internet ( www.civiweb.com ) a été créé, rassemblant toutes les informations utiles et permettant aux jeunes d'enregistrer leur candidature, de diffuser leur curriculum vitae et de consulter les offres.
Alors que la loi a été promulguée en mars 2000, et les décrets d'application ont été publiés en décembre dernier, plus de 16 000 candidatures 58 ( * ) , dont une majorité de jeunes filles, se sont déjà manifestées. En revanche, pour le moment, seuls un peu plus d'une centaine de volontaires sont effectivement partis à l'étranger, que ce soit au titre du ministère des affaires étrangères ou d'un volontariat en entreprise. Les entreprises continuent toujours à utiliser un nombre important de CSNE. Elles n'ont donc pas encore réellement opéré le « basculement » du service national au volontariat, si bien que leurs offres demeurent encore limitées (environ 250 au mois de juin).
A ce stade, la mission d'information souhaite simplement insister sur l'importance qu'elle attache au développement du volontariat international, notamment auprès des profils peu représentés dans le service de coopération. Elle préconise, en particulier à l'approche de la suspension définitive du service national, une intensification des campagnes d'information , à la fois auprès du grand public et par l'intermédiaire des structures en contact avec les jeunes (écoles, universités, organismes de formation, associations).
Mais surtout, l'information auprès des entreprises doit être renforcée . Ces dernières doivent être mieux sensibilisées aux possibilités ouvertes par cette nouvelle formule qui attire des candidatures de qualité, même si elles présentent un profil un peu différent des anciens CSNE, afin que dans les toutes prochaines semaines, le volontariat prenne effectivement le relais des CSNE.
* 57 Citée dans le rapport de M. Georges Ricout devant le Conseil économique et social : « L'expatriation :les Français établis hors de France, acteurs du rayonnement international de notre pays » - Mai 1999.
* 58 16 779 curriculum vitae enregistrés au 14 juin 2001