4. Des talents nomades
La mondialisation s'exprime également par la mobilité des salariés qualifiés. La mobilité internationale des cadres s'est accrue de génération en génération. L'acquisition d'une expérience internationale à l'étranger, qui était hier l'apanage d'une petite minorité, est aujourd'hui devenue, pour les jeunes diplômés, un facteur de réussite professionnelle, voire un passage obligé dans leur carrière.
Cette évolution est favorisée par plusieurs facteurs. L'ouverture des systèmes éducatifs sur le monde tend à diminuer les poids des barrières linguistiques et culturelles qui freinent le développement de l'expatriation. La naissance, au-delà des particularismes nationaux, d'une culture mondiale, faite de références et de modes de pensées communs, favorise l'émergence progressive d'une élite cosmopolite extrêmement mobile.
Les universités et les écoles d'ingénieurs et de commerce qui ont aujourd'hui pour ambition de former des hommes et des femmes susceptibles de travailler dans tous les pays du monde, ont largement contribué à cette ouverture sur le monde.
Des établissements comme l'INSEAD, qui implantée à Fontainebleau accueille selon Mme Claire Pike, sa Secrétaire Générale entendue par la mission, 40 nationalités et 88 % d'étrangers, forment ainsi de nouvelles générations que les enquêtes sociologiques définissent volontiers comme des « citoyens du monde », tant leur mobilité est grande, comparée à celle de leur aînés.
Cette ouverture sur l'étranger des jeunes diplômés va de pair avec une meilleure valorisation par les entreprises elles-mêmes des expériences à l'étranger. Les entreprises ont, en effet, un besoin croissant de cadres capables de prospecter les marchés internationaux, de négocier avec des partenaires étrangers ou de travailler dans des filiales implantées à l'étranger. Aussi valorisent-elles aujourd'hui plus qu'hier leurs expatriés.
Comme l'a souligné M. Bruno Durieux, président du Comité national des conseillers du commerce extérieur de la France (CNCCEF) devant la mission : « Aujourd'hui, un cadre ambitieux, crédité d'un potentiel élevé, pense sa carrière en France, mais aussi à l'étranger où il exercera, très jeune, des responsabilités ».
Lors de son audition M. Jean-Claude Trichet , Gouverneur de la Banque de France, a également évoqué l'émergence d'une nouvelle élite cosmopolite : « Les managers, les golden boys ou les golden girls, que l'on s'arrache sur le marché, sont libres, généralement jeunes, citoyens du monde -ou de l'Europe à tout le moins... ».
Si cet engouement pour la mobilité internationale qui semble partagé par l'ensemble des jeunes générations d'ingénieurs ou de diplômés d'école de commerce, est cependant plus prononcée dans certains secteurs d'activité. Dans la finance ou l'informatique par exemple où les marchés sont mondiaux et les entreprises souvent internationales, la capacité des salariés à s'expatrier est particulièrement importante. Comme l'a souligné M. Bernard Lemée, directeur des Ressources Humaines à la BNP-Paribas lors de son audition, « les nouvelles générations n'ont pas la même attitude face à l'expatriation, leur capacité d'adaptation dans le monde anglo-saxon est plus forte que celle de leurs aînés. Dans les métiers de la finance, un passage à Londres devient presque obligatoire dans un curriculum-vitae. ».
Cela étant dit, l'augmentation de la mobilité internationale des cadres doit être appréciée à sa juste mesure.
Elle ne concerne d'abord qu'une faible population, si on la compare aux flux migratoires mondiaux, dont l'augmentation de 77 millions de personnes en 1965 à 110 millions en 1990 3 ( * ) relève d'une toute autre logique. Cette augmentation s'explique, pour l'essentiel, par une migration de familles, de salariés non qualifiés ou de réfugiés en provenance des pays moins développés vers les pays développés, suscitant la mise en place de politiques de maîtrise des flux migratoires.
On ne peut, par ailleurs, comparer ni la mobilité des salariés à celle des entreprises ou des capitaux, ni l'augmentation des flux internationaux de marchandises ou d'investissements à celle des flux migratoires. Le flux entre pays développés reste, en effet, limité et la proportion d'expatriés des pays développés réduite, comme le montre le tableau suivant :
PROPORTION DES RESSORTISSANTS
RÉSIDANT
À L'ÉTRANGER PAR PAYS
Nombre de ressortissants à l'étranger |
Population totale |
% de ressortissants résidant à l'étranger |
|
France |
1 784 000* |
60 900 000 |
2,9 % |
Allemagne |
4 000 000 |
80 000 000 |
5,0 % |
Italie |
6 500 000 |
57 400 000 |
11,3 % |
Japon |
10 000 000 |
126 100 000 |
7,9 % |
Suisse |
800 000 |
6 800 000 |
12,0 % |
Source : « L'expatriation : Les Français établis hors de France, acteurs du rayonnement international de notre pays », Rapport du Conseil économique et social 1999.
* Au 31 décembre 1999 ce chiffre est évalué à 1 882 013 par le ministère des affaires étrangères
Rapporté à sa juste mesure, ce phénomène n'en est pas moins d'une grande nouveauté par rapport à la situation, d'il y a ne serait-ce que dix ans.
* 3 Mondialisation, délégation régionale et migrations internationales. Revue internationale des sciences sociales. UNESCO, septembre 2000.