2. Un phénomène ambivalent
L'évolution des implantations et des investissements directs français à l'étranger montre que l'expatriation des entreprises françaises est un phénomène massif dont l'accélération ne fait aucun doute. Les conséquences de ce phénomène sur l'économie française sont, quant à elles, plus difficiles à apprécier.
a) Des implantations à l'étranger essentiellement motivées par la pénétration de nouveaux marchés
Comme en témoignent la croissance parallèle des investissements directs français à l'étranger et des exportations au cours des dernières années, ainsi que les études quantitatives et les enquêtes qualitatives réalisées auprès des chefs d'entreprise, la principale finalité des implantations françaises à l'étranger est la pénétration des marchés étrangers et la constitution de groupes de taille mondiale.
La recherche de nouveaux débouchés
Ainsi une étude réalisée pour le compte du commissariat général du plan sur « la mondialisation des entreprises françaises » constate, après avoir étudié les investissements internationaux de six grandes entreprises françaises, Axa, Danone, Ecco, Lafarge, Promodes et Sanofi, que les motivations de ces firmes sont avant tout la recherche de nouveaux débouchés, l'accès à une taille critique et le choix de complémentarités géographiques ou technologiques 17 ( * ) .
Les considérations de rentabilité et de coût ne sont pas absentes de ces décisions de localisation, mais elles apparaissent secondaires. Le rapport de M. Frédéric Lavenir sur l'attractivité du territoire français constate également à l'issue de nombreux entretiens avec des chefs d'entreprises implantées à l'étranger que « La majorité des chefs d'entreprise considèrent que les perspectives commerciales et la taille du marché sont les critères déterminants pour décider de l'implantation d'une nouvelle unité de production ».
Pour M. Jean Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, l'augmentation sans précédent des investissements directs français à l'étranger montre « qu'un ensemble d'entreprises françaises, soit rattrapent le retard qu'elles avaient pu prendre dans le passé par rapport à l'internationalisation de leurs grands concurrents mondiaux, soit sont en train elles-mêmes de consolider des positions de premier plan dans leur propre secteur sur le plan international ». Un jugement partagé par les chefs d'entreprises auditionnés par la mission qui comme M. Jean-Claude Larue, président d'Infogrames Europe, filiale du n° 2 mondial du logiciel de jeux vidéo, justifie une politique active d'investissement à l'étranger, en soulignant qu'il « était illusoire de vouloir devenir leader mondial à partir du marché français ».
Par ailleurs, la répartition géographique des investissements à l'étranger confirme que les considérations de coûts de production ne sont pas le principal déterminant de l'implantation à l'étranger pour les entreprises françaises. En 1999, comme les années précédentes, l'essentiel des flux est dirigé vers les pays industrialisés (91 % en 1999). Tant l'importance des acquisitions effectuées dans des pays développés que le poids relatif des investissements réalisés dans les pays émergents pour pénétrer leur marché intérieur montrent que le phénomène de « délocalisation » reste très circonscrit.
A l'inverse, on observe, à travers ces investissements, l'influence de la constitution d'un pôle économique européen. Avec le développement du Marché Unique, la première grande vague d'investissements français à l'étranger observée dans la seconde moitié des années 1980, s'est principalement dirigée vers les pays participant à la construction européenne.
Le commerce extérieur français, tout comme les flux d'investissements directs des entreprises françaises, manifester un tropisme européen. Leur ampleur traduit l'influence déterminante de la construction communautaire, qui fait aujourd'hui de l'Union européenne la base de l'insertion internationale de la France.
En 1990, l'Union européenne accueillait, ainsi, les deux tiers du stock d'investissements français à l'étranger. Depuis trois ans, les flux destinés aux pays de l'Union européenne, sont relativement moins dynamiques que vers le reste du monde. L'Europe n'en reste pas moins la zone d'accueil de la moitié du stock des investissements des entreprises françaises à l'étranger, alors qu'elle ne représente que 30 % du PIB et 40 % des échanges mondiaux. L'entrée en vigueur de l'Euro devrait accroître ce processus.
Un effet d'entraînement sur les exportations
L'augmentation du nombre des entreprises françaises à l'étranger ne semble pas avoir de conséquences négatives sur l'investissement ou les exportations. Comme l'a observé, lors de son audition, M. Lionel Fontagné, directeur du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), « on constate une bonne corrélation entre l'expansion économique, le dynamisme des flux d'investissements directs à l'étranger et une progression rapide de la production industrielle ».
Si, dans certains cas, les investissements directs à l'étranger se substituent directement aux échanges, les exportations se trouvant remplacées par des ventes sur place des filiales implantées à l'étranger, dans l'ensemble, les implantations à l'étranger ont un effet d'entraînement sur les exportations. Comme le souligne le groupe de travail de l'Organisation mondiale du commerce sur les relations entre le commerce et les investissements directs à l'étranger, « les cas de complémentarité entre investissement à l'étranger et les exportations sont beaucoup plus fréquents que ceux de substitution » 18 ( * ) .
Les études empiriques relèvent, dans le cas français, une nette complémentarité : 1 franc d'investissements français à l'étranger est associé à 59 centimes d'exportations supplémentaires vers le pays d'accueil et 24 centimes d'importations supplémentaires 19 ( * ) . Cette situation s'explique par le fait que l'implantation à l'étranger est à l'origine d'exportations intra groupe. Les exportations de composants et de biens intermédiaires destinés à être intégrés dans la production des filiales françaises à l'étranger, expliquent la contribution positive des flux intra groupe à la balance commerciale.
Autant d'arguments qui expliquent qu'on puisse penser comme le gouverneur de la banque de France, M. Jean-Claude Trichet « qu'il faut plutôt encourager ce phénomène » .
Il faut mentionner à cet égard pour le saluer le rôle important des grands groupes dans le « portage » des PME françaises, dont elles accompagnent les premiers pas à l'exportation, notamment dans le secteur de l'énergie.
* 17 Mondialisation des entreprises françaises, Juillet 1999, Commissariat général du Plan.
* 18 OMC, Report of the Working group on the relationship between trade and investment to the general Council, 1998.
* 19 Rapport de l'EPII par l'OCDE et par la Direction de la prévision, octobre 1999