b) Les « cerveaux » français aux États-Unis
Les Français dans la Silicon Valley
Une étude menée sous l'égide de l'Ambassade de France aux États-Unis et publiée en juillet 2000, tente de quantifier la « fuite des cerveaux français » dans la Silicon Valley 7 ( * ) .
Partant du fichier des immatriculations et du recoupement de plusieurs sources américaines, cette étude évalue la population française autour de la baie de San-Francisco , à un chiffre compris entre 20 000 et 25 000 personnes, cette population ayant augmenté d'environ 40 % de 1995 à 2000. Elle considère que 5 500 à 6 000 Français occupent des « professions intellectuellement supérieures », dont environ 4 000 à 4 500 actifs dans le domaine des technologies de l'information et de la communication , soit, pour ce secteur, une croissance de plus de 30 % de 1997 à 2000 . Les auteurs de l'étude observent toutefois que, malgré cet accroissement, la présence française reste inférieure à celle des Britanniques et des Allemands, et bien entendu, à celle des ressortissants asiatiques.
L'étude a été complétée par une enquête qualitative auprès de 400 Français actifs dans les technologies de la communication. Cette enquête fait apparaître un certain nombre de facteurs incitatifs à l'entrée aux États-Unis : le relèvement des quotas de visas temporaires, la mise en place, par les entreprises américaines, de stratégies de recrutement plus agressives vers l'Europe, un pouvoir d'achat attractif, du fait notamment des stock options, un état d'esprit qui encourage l'initiative, l'impression d'opportunités professionnelles abondantes et faciles à saisir. A ces facteurs s'ajoutent les appréciations critiques vis-à-vis de la France en matière d'environnement administratif et fiscal, de valorisation des diplômes universitaires ou techniques inférieure à celle des diplômes d'ingénieurs de grandes écoles, de rigidité de la gestion des carrières et de reconnaissance de l'entrepreneuriat. Ces facteurs conduisent plus du quart des personnes interrogées à envisager de rester plus de dix ans, voire définitivement, aux États-Unis. En revanche, plus de la moitié des interrogés déclarent vouloir retourner en France à l'issue d'un séjour de deux à cinq ans en vue de l'éducation de leurs enfants, afin de retrouver leur environnement culturel et social ou encore en raison de la hausse prohibitive du coût de la vie dans la baie de San Francisco.
L'étude conclut en estimant que le profil le plus typique du Français dans la Silicon Valley « donne plus l'illustration de « cerveaux en voyage » que de cerveaux en fuite » - formule reprise d'ailleurs par M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, lors de son audition par la mission - une majorité des intéressés prévoyant un retour en France pour des raisons sociales et culturelles, même si une frange, certes moins nombreuse, de cette population semble pour sa part écarter tout retour à moyen terme.
Scientifiques et ingénieurs français aux États-Unis
Le bureau du CNRS à Washington a publié, en 1997, une évaluation de la présence française en science et en ingénierie aux États-Unis 8 ( * ) . Il avait été observé une accélération, au début de la dernière décennie, de la venue de scientifiques et ingénieurs français, d'étudiants, notamment de doctorants, et de jeunes docteurs effectuant un stage post-doctoral. L'étude recensait environ 9 000 Français titulaires d'un diplôme d'enseignement supérieur en sciences et en ingénierie, dont 1 500 docteurs, environ 500 doctorants et un millier de « post-docs ». Bien qu'en augmentation, le phénomène était jugé d'ampleur trop limitée pour parler de véritable « fuite », d'autant que le souhait de compléter leur formation figurait au premier rang des motivations des intéressés. Cette présence française s'avérait du même ordre de grandeur, et même légèrement moindre, que la présence allemande et surtout britannique.
Une analyse qualitative portant sur un échantillon de thésards et de post-docs concluait néanmoins que l'insuffisance des perspectives d'emploi en France comme les modes de recrutement et d'organisation de notre appareil de recherche ne jouaient pas en faveur des retours, nombre des intéressés considérant que leur expatriation pouvait entraîner une « perte sèche » pour la France.
Cette étude vient de faire l'objet d'une actualisation en mai 2001 9 ( * ) . Le nombre de Français titulaires d'un diplôme d'enseignement supérieur en sciences et en ingénierie , précédemment évalué à 9 000, atteindrait 10.600 personnes en 1997, soit une augmentation de 18%. Le nombre de doctorants, dans ces disciplines, aurait diminué (400 thésards), alors que celui des post-docs , estimé à partir d'une population de 3 100 scholars français, est évalué aux environs de 2000 , soit le double de l'estimation de 1997.
Ces chiffres confirmeraient donc, selon l'étude , l' attraction indéniable exercée par un pays qui donne une priorité à son développement scientifique et technologique, et qui agit en véritable « aspirateur de talents », en affichant clairement sa politique d'accueil des scientifiques étrangers.
Malgré l'augmentation des flux, le nombre des expatriés français est toujours jugé faible au regard d'autres nationalités, bien qu'il représente un capital intellectuel et un potentiel économique certain. L'atout que constitue, pour la France, son réseau de scientifiques aux États-Unis est mis en exergue. Tout en relevant que les pouvoirs publics ont pris conscience, ces dernières années, qu'il fallait valoriser ce vivier, l'étude observe que les mesures prises n'ont pas encore eu l'effet escompté, les candidats au retour rencontrant toujours les mêmes difficultés, alors que le système américain fait tout pour capter leurs compétences et leur créativité.
En fait, ces données relatives à l'aspiration des cerveaux français par les universités américaines devraient être compétées par une approche plus qualitative , tenant compte de la qualité des chercheurs français ayant quitté le système français. A cet égard, la mission ne peut faire état que des informations recueillies à Toulouse auprès des professeurs Jean-Jacques Laffont et Jean Tirole, qui montrent que, dans le domaine des sciences économiques, la situation est préoccupante. Selon une étude 10 ( * ) qui classe les universitaires français en fonction du nombre et de l'importance de leur publication, il apparaît que près de la moitié des personnes citées exercent leur activité hors de France et notamment aux États-Unis. Parmi eux, on compte, M. Olivier Blanchard du MIT et M. Pierre-André Chiappori de l'Université de Chicago.
* 7 Présence française et technologies de l'information autour de la baie de San-Francisco et dans la Silicon Valley - Rapport de Ludovic Ledru et Stéphane Raud - Ambassade de France aux Etats-Unis, Mission pour la science et la technologie, Consulat Général de San-Francisco - juillet 2000.
* 8 Damien Terouane - CNRS, Bureau de Washington - Présence française en science et en ingénierie aux États-Unis - Cerveaux en fuite ou en voyage ? - 1997.
* 9 Erwan Seznec, Dominique Martin-Rovet - - CNRS, Bureau de Washington - État des lieux 2000 sur la présence française en science et en ingénierie aux États-Unis - Les cerveaux fous d'Amérique ? Pas vraiment... - mai 2001.
* 10 La publication d'articles de recherche en économie en France par Philippe Combes et Laurent Linnemer- document de travail CREST n° 99-68, décembre 1999