c) Que recouvre l'augmentation de la population française à l'étranger ? L'analyse des postes consulaires
La mission d'information a adressé un questionnaire aux postes consulaires afin de mieux comprendre les évolutions révélées par les diverses statistiques. Les questions portaient sur la durée de l'expatriation -temporaire, prolongée ou définitive-, sur la part respective des Français relevant d'administrations, d'organisations ou d'entreprises françaises et de ceux exerçant une activité salariée ou indépendante sans lien direct avec la France, ou encore sur l'évaluation des flux d'expatriation dans les secteurs d'activité liés aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, la recherche scientifique et technologique, l'enseignement, les activités financières, les activités à haute valeur ajoutée (telles que la création intellectuelle ou artistique, le sport de haut niveau ou l'industrie du luxe).
Bien souvent, les postes ne disposent pas des instruments permettant de répondre précisément, ou même approximativement, à ce type de questions pourtant centrales dans la perspective de l'interprétation des mouvements d'expatriation. La nécessité, pour les pouvoirs publics, de dégager des moyens permettant de remédier à ce déficit d'analyse, n'en apparaît que plus forte et plus urgente.
En dépit de ces difficultés, les postes ont pu fournir des indications intéressantes, dont on trouvera ci-après le résumé, pour les principaux pays et principales zones géographiques.
. Le Royaume-Uni : une attraction soutenue qui s'exerce sur toutes les catégories socio-professionnelles
Le Royaume-Uni constitue, de très loin, le premier pôle de croissance de la population française à l'étranger . De la fin 1995 à la fin 1999, le nombre d'immatriculés y a progressé de plus de 17 000 personnes (soit 13,6 % de la progression totale du nombre d'immatriculés à l'étranger). Si l'on englobe l'évaluation de la population non immatriculée, c'est une progression de 68 000 personnes sur 4 ans qui apparaît, soit 27,7 % de la progression globale des Français à l'étranger. Cette tendance se confirme au vu des derniers chiffres connus, puisqu'au cours de l'année 2000 le nombre d'immatriculés au consulat général à Londres est passé de 65 068 à 70 568, soit une progression de 8,4 %. Au total, la communauté française au Royaume-Uni compterait près de 225 000 personnes , ce qui lui confère la 1 ère place en Europe et la 2 ème dans le monde. Le taux d'immatriculation s'avère être, chez les Français du Royaume-Uni, parmi les plus faibles du monde (environ 30 %). La proximité de la France et la rapidité des liaisons, les facilités d'intégration, la simplicité des démarches administratives auprès des autorités britanniques, sont les principales raisons avancées pour expliquer le peu d'intérêt accordé à l'immatriculation.
Les données recueillies font apparaître deux caractéristiques :
- d'une part, la relative volatilité de cette communauté, illustrée par une durée moyenne d'immatriculation relativement courte, ne remet pas en cause son augmentation à un rythme soutenu . La facilité des allers-retours entre Londres et le continent ne doit pas masquer que les flux sont beaucoup plus nombreux de la France vers le Royaume-Uni que l'inverse ;
- d'autre part, la diversité de cette communauté démontre que le Royaume-Uni attire toutes les catégories socio-professionnelles .
Parmi les immatriculés, la catégorie des employés demeure très largement dominante, alors que, sur l'ensemble du monde, elle arrive après celle des cadres et professions intellectuelles.
L'afflux d'arrivants très qualifiés dans les secteurs liés à la finance et aux nouvelles technologies n'en demeure pas moins très sensible, comme l'observait l'an passé le Président Jean François-Poncet dans son rapport d'information. Les contacts établis par la mission d'information, lors de sa visite à Londres au mois d'avril dernier, ont confirmé la croissance du nombre d'entrepreneurs français attirés par un climat d'affaires et une fiscalité plus favorables, que ce soit dans les secteurs traditionnels, dans la finance et le conseil ou dans les nouvelles technologies.
Selon le Consulat général à Londres, l'attractivité du Royaume-Uni résulte de plusieurs facteurs :
- la possibilité, pour les jeunes, d'acquérir une première expérience professionnelle tout en se formant ou se perfectionnant en anglais, afin de se préparer à une carrière internationale ;
- la facilité d'accès au marché du travail, dans la mesure où « les conditions d'embauche sont moins strictes qu'en France », le diplôme étant un critère secondaire au regard de l'aptitude, de la faculté d'adaptation et du rendement ;
- le statut de capitale financière de la City, passage obligé du courant d'affaires du monde anglo-saxon.
Le Consulat général estime également que « si la Grande-Bretagne reste une destination très prisée pour les jeunes Français à la recherche d'un premier emploi ou d'une expérience linguistique en milieu anglophone, le mythe de l'Eldorado britannique semble s'effriter auprès des moins de 30 ans sous l'effet d'un double mouvement », la reprise de la croissance en France et « une meilleure connaissance des caractéristiques du droit social britannique qui n'offre pas, loin s'en faut, des garanties équivalentes à celles qui existent en France ». Mais il constate dans le même temps « une croissance de l'immatriculation et de la délivrance des passeports, ce qui amène à penser que se développe une tendance à s'installer durablement dans ce pays », sa bonne santé économique et le terrain d'expérience qu'il offre dans le domaine de l'international, constituant autant de « facteurs attractifs pour les jeunes cadres français ».
Ainsi, aucun signe n'annonce, pour l'instant, un ralentissement de l'installation des Français au Royaume-Uni.
Les autres pays d'Europe occidentale
La communauté française en Suisse est la deuxième en Europe et la troisième dans le monde, par ordre d'importance (115 000 immatriculés, 136 000 personnes en englobant l'estimation des non-immatriculés). Elle continue à croître (près de 16 000 immatriculés supplémentaires, soit une hausse de 16 % en 4 ans). Elle compte une très forte proportion de binationaux (61,5 %), qui ont acquis la nationalité par mariage (couples mixtes) ou filiation.
Cette communauté se caractérise donc par une certaine stabilité de résidence dans le pays, illustrée par le fait que 63 % des immatriculés résidaient en Suisse depuis plus de cinq ans.
Cette stabilité n'exclut pas la persistance d'un flux d'expatriation . En réponse au questionnaire de la mission d'information, notre représentation à Berne évoque la multiplication, au cours des dernières années, de cas d'expatriation de dirigeants ou propriétaires d'entreprises , ainsi que de nombreux artistes et sportifs . Elle précise que « parmi les principales motivations, les raisons fiscales ne sont pas à exclure (sic !) , même si la qualité du cadre de vie et de l'environnement jouent un rôle majeur ». Il s'agit là d'un phénomène bien connu, dont on constate qu'il ne se ralentit pas.
La communauté française en Allemagne a connu, au cours des dernières années, une évolution largement liée au retrait d'une partie des forces françaises stationnées dans ce pays depuis la fin de la dernière guerre mondiale. En diminution jusqu'en 1996, elle a de nouveau connu une croissance assez nette , le nombre d'immatriculés ayant augmenté de 12,2 % en 4 ans pour atteindre 96 500 personnes fin 1999. L'enregistrement auprès des services domiciliaires allemands étant une obligation légale, on sait d'autre part que 107 000 ressortissants français étaient recensés par les autorités du pays fin 1999. Il convient d'ajouter à ceux-ci, les binationaux, ce qui conduit à estimer à environ 170 000 personnes la totalité de la communauté française , soit une augmentation de 23 000 personnes en 4 ans (+ 15,6 % ).
Selon notre ambassade à Berlin, « la majorité de nos compatriotes exerce une activité professionnelle sans lien direct avec la France, principalement dans les secteurs tertiaires et industriels... L'Allemagne attire les jeunes professionnels hautement qualifiés : cadres de grandes entreprises, ingénieurs, informaticiens, juristes... Dans le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la pénurie avérée de personnels qualifiés incite les entreprises allemandes à faire appel à des cadres français ». En revanche, l'ambassade observe une présence française faible dans le secteur universitaire comme dans celui de la recherche, ce qui l'amène à considérer que l'on « ne peut donc pas parler de fuite de cerveaux de la France vers l'Allemagne, mais de quasi-absence de cerveaux, qui seraient autant de relais aux intérêts de la France en Allemagne ». Elle conclut toutefois que « le niveau élevé des salaires et un faible taux de chômage, notamment à l'ouest, constituent des facteurs attractifs pour nos compatriotes et les encouragent à venir y prospecter pour un emploi ». On peut ajouter que cette attractivité se trouve renforcée par la mise en oeuvre, d'ici 2005, d'une réforme fiscale prévoyant notamment un allégement de l'impôt sur le revenu par une diminution des taux et un relèvement de l'abattement personnel.
La communauté française en Belgique connaît une augmentation modérée (+ 6,5 % pour les immatriculés, + 9,6 % pour la population totale estimée, de 1995 à 1999).
Parmi les particularités de cette progression, notre ambassade note qu'en Wallonie, les étudiants français constituent la grande masse des nouveaux expatriés, dans les filières vétérinaires, médicales et paramédicales (kinésithérapeutes), dont ils représentent jusqu'à plus de la moitié des effectifs. Le coût, en général moins élevé, de ces études, l'absence d'examens sélectifs à l'entrée, par opposition au numerus clausus imposé en France, et l'équivalence des diplômes reconnue par la réglementation européenne, sont à l'origine de ce phénomène qui s'est amplifié ces dernières années.
Dans un autre domaine, l'ambassade signale que dans la région d'Arlon, « un nombre croissant de Français (environ 3 000) qui résident en Belgique mais travaillent et paient leurs impôts au Grand-Duché de Luxembourg, se sont installés dans cette région frontalière afin de profiter de la convention fiscale belgo-luxembourgeoise ».
Aucune mention n'est en revanche effectuée sur les Français ayant transféré leur résidence en Belgique pour bénéficier de l'absence d'imposition sur la fortune et de taxation sur les plus-values de valeurs mobilières. Cette question sera analysée plus loin, sous l'angle des délocalisations de patrimoines . Signalons simplement qu'au cours de son déplacement à Bruxelles, à l'occasion duquel elle a rencontré des professionnels de la finance et du conseil, ainsi que des « expatriés » fiscaux, la mission d'information a successivement entendu des évaluations très différentes au sujet des ressortissants français installés en Belgique pour raisons fiscales. Le chiffre de 4 000 Français, cité par un organe de presse bruxellois 5 ( * ) , a été réfuté et jugé manifestement surévalué. En revanche, le fait que le phénomène ait touché plusieurs centaines de familles ne paraît pas contesté. Deux foyers de délocalisation sont identifiés : la zone frontalière, où résident des habitants du Nord de la France qui se déplacent de quelques dizaines de kilomètres, et l'agglomération bruxelloise.
L'Amérique du nord
La communauté française aux États-Unis, évaluée à près de 245 000 personnes , est numériquement la première au monde . Près des deux tiers des Français ne sont pas immatriculés, le nombre d'immatriculés ayant progressé de près de 15 000 personnes en 4 ans (+ 20,7 %), pour atteindre 85 124 personnes fin 1999.
Cette forte augmentation est particulièrement sensible sur la côte ouest, et plus forte encore sur la côte est et dans le Midwest.
Les observations des postes consulaires distinguent, dans la description de ce flux d'expatriation, plusieurs types de facteurs.
D'une part des facteurs généraux, liés à l' attractivité intrinsèque des États-Unis : croissance économique prolongée, niveau de rémunération supérieur, surtout compte tenu de la parité du dollar, environnement favorable à l'initiative.
Le poste de Chicago , qui a vu sa population française pratiquement doubler en 4 ans , a formulé les observations suivantes : « Les expatriés sont attirés par une société qui favorise la catégorie de population à laquelle ils appartiennent (jeunes, déjà diplômés et bien formés, prêts à s'investir fortement dans leur travail), dans un contexte économique qui leur est favorable. Un emploi est trouvé facilement avec un niveau de salaire beaucoup plus élevé qu'en France, une hiérarchie jugée moins pesante, un accès rapide à des responsabilités, des prélèvements fiscaux et sociaux moindres. D'autre part, ils bénéficient pleinement du système américain, dans la mesure où ils n'ont pas à en assumer les côtés les plus négatifs (coûts de l'éducation scolaire et de l'enseignement supérieur, coût des systèmes de santé, brutalité et exigence du système pour les travailleurs plus âgés et moins qualifiés, faiblesse du système de retraite...). Enfin, le système américain valorise fortement les secteurs d'activité où évoluent les expatriés : domination des professions « économiques » sur les autres professions, notamment tous les métiers du secteur public, niveau de la rétribution comme critère essentiel de valorisation sociale.... En ce qui concerne les professions universitaires, des conditions de rémunération attractives, une grande liberté d'action, une large ouverture interdisciplinaire et des budgets de recherche souvent considérables constituent les principaux motifs à leur expatriation. D'une manière générale, la place de l'université dans la société américaine offre aux professeurs une situation assurément plus favorable qu'en France ».
Le poste de Boston considère, pour sa part, qu'en général, « et quelle que soit la génération à laquelle ils appartiennent, les expatriés français sont venus en Nouvelle-Angleterre parce que quelque chose les gênait en France. Les raisons les plus fréquemment invoquées sont : insuffisance de moyens accordés et mauvaise organisation de la recherche, dirigisme étatique et centralisme administratif, difficultés à créer une entreprise, pression fiscale, passage aux 35 heures, arriération de la politique économique dans son ensemble ».
A ces facteurs généraux, s'ajoutent des facteurs locaux, qui s'apparentent davantage à des effets de place , les États-Unis concentrant un nombre important de pôles qui, par leur position internationale, exercent une attraction sans égale sur le reste du monde.
Il s'agit principalement :
- de la recherche scientifique et technologique dans les universités et laboratoires les plus prestigieux, notamment en Nouvelle-Angleterre et en Californie,
- des activités liées aux nouvelles technologies de l'information et de la communication dans la Silicon Valley, mais également à la périphérie de Washington et en Nouvelle-Angleterre,
- des activités financières à New York et Boston.
S'agissant de la Silicon Valley , le poste d'expansion économique de San Francisco observe qu' elle draine , depuis les années 1970, un flux constant d'ingénieurs français , dont certains ont bénéficié d'une réussite éclatante. Pour les années récentes, ce flux a augmenté en valeur absolue, sous l'effet d'une forte attraction d'une région où se concentrent les meilleures opportunités et références professionnelles du secteur des technologies de l'information et de la communication, mais également en raison d'une pénurie d'ingénieurs qui relance une politique volontariste d'immigration. Ainsi, on constate que les grandes entreprises informatiques opèrent parfois le recrutement de jeunes ingénieurs directement en France.
Enfin, il faut mentionner l'impact, semble-t-il assez fort, de la conjoncture économique sur les flux d'expatriation . La forte croissance et l'explosion des activités liées aux nouvelles technologies au moment où, en France, la reprise tardait à venir, a certainement influé. Le ralentissement américain et la chute des valeurs technologiques pourraient, selon certains observateurs, amorcer un reflux, alors que la situation de l'emploi s'est améliorée en France et que l'industrie de l'information et de la communication s'y est étoffée. Mais il ne s'agit encore que d'une hypothèse, qu'aucun indice ne permet pour l'instant de vérifier.
La communauté française au Canada compte, selon les estimations, plus de 130 000 personnes . Le Canada pratique une politique volontariste d'immigration, fondée sur la définition d'objectifs selon les qualifications professionnelles. Ceci explique le caractère fortement qualifié des nouveaux arrivants, parmi lesquels on trouve une forte proportion d'analystes-programmeurs, de professeurs et chercheurs, d'ingénieurs, de spécialistes des sciences physiques et de la vie.
Selon notre Consulat général à Montréal, qui précise que 3.350 Français sont arrivés au Québec en 1999, « ces immigrants ont généralement entre 25 et 30 ans, manifestent une grande soif de découvrir d'autres horizons, des grands espaces, une meilleure qualité de vie, et s'imaginent parfois faire fortune dans un « Eldorado mythique » où l'on parle français et dans lequel ses habitants passent toujours pour être des cousins chaleureux qui les attendent bras ouverts. Il ne s'agit pas, dans la plupart des cas, d'une rupture avec la France, mais plutôt du désir d'acquérir une expérience en se « frottant » au milieu nord-américain dans des domaines de technologies avancées par exemple. Le motif d'expatriation répond parfois à la fuite d'un contexte économique difficile sous la pression exercée par des événements personnels douloureux (séparations, divorces...), professionnels (faillites, chômage...), l'exiguïté de logements coûteux ou bien encore le stress de la vie quotidienne dans les grandes villes françaises. D'autres enfin, fuient les lourdeurs bureaucratiques et la fiscalité française et veulent totalement ignorer l'existence du réseau consulaire dans la perspective d'acquérir facilement la citoyenneté canadienne après trois ans de séjour... Les facilités offertes en matière d'accès aux crédits bancaires ou par les aides financières destinées aux investisseurs ou créateurs d'entreprises, l'existence d'une législation plus souple en matière de droit du travail et les avantages pour l'employeur de charges sociales moins élevées qu'en France, sont des arguments convaincants et particulièrement bien développés par la délégation du Québec à Paris pour attirer des investisseurs français à Montréal ».
* 5 The Bulletin - 5 avril 2001 - Selon le même article, 30 000 Néerlandais auraient choisi de vivre en Belgique pour raisons fiscales.