Audition de M. Michel PAILLIER,
Directeur général de la
société Bonilait
Protéines
(28 février 2001)
(Huis clos
demandé)
M.
Gérard Dériot, Président -
Monsieur Michel Paillier,
nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation. Vous
êtes auditionné en qualité de directeur
général de la société Bonilait Protéines
dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire. Je vous rappelle
les conditions dans lesquelles se déroule une commission d'enquête
parlementaire.
Vous avez demandé à être auditionné à huis
clos ; nous procédons donc de cette manière. Bien entendu,
votre audition fait l'objet d'un compte rendu sténographique qui sera
publié en annexe du rapport écrit, sauf opposition de votre part.
M. Michel Paillier -
Monsieur le président, messieurs les
sénateurs, je suis ici pour répondre à vos questions. J'ai
souhaité être entendu à huis clos car mon entreprise ne me
semble pas concernée par le débat sur les farines animales. La
médiatisation des problèmes a déjà fait beaucoup de
mal et alors que nous connaissons une crise très importante au niveau
européen et mondial, moins on met en cause des entreprises qui ne sont
pas concernées, mieux elles se portent.
Puisque vous me le proposez, je préfère que le compte rendu de
mon audition ne figure pas en annexe du rapport ; mais je vous en laisse
juges.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Pallier.
Audition de M. Martin HIRSCH,
Directeur général de l'agence
française de sécurité sanitaire des aliments
(AFSSA)
(28 février 2001)
M.
Jean Bizet, Rapporteur
- Monsieur le Directeur, merci d'avoir bien voulu
répondre à la convocation de cette commission d'enquête.
Je me permettrai d'être brièvement à la fois
président par intérim et rapporteur, Gérard Dériot
ayant dû s'absenter. Il devrait toutefois nous rejoindre dans quelques
instants.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Hirsch.
M. Martin Hirsch -
L'AFSSA est un établissement public
administratif, placé sous la tutelle des ministres de la santé,
de l'agriculture et de la consommation, dont les missions ont été
fixées par la loi du 1er juillet 1998.
La première mission de l'Agence porte sur l'évaluation des
risques de la chaîne alimentaire, depuis l'alimentation animale jusqu'au
stade de la consommation finale -produits animaux et végétaux-
mais aussi sur l'ensemble des différentes étapes, qu'il s'agisse
des process, de la qualité des matières premières ou des
différents risques qui peuvent être évalués
-nutritionnels, toxicologiques, microbiologiques.
Cette mission d'évaluation comporte aussi une mission spécifique
concernant les médicaments vétérinaires, puisque l'Agence
accueille en son sein l'Agence nationale des produits
vétérinaires, chargée de l'évaluation et du suivi
des médicaments vétérinaires.
La seconde mission de l'AFSSA est une mission d'appui scientifique et technique
qui s'exerce à travers treize laboratoires, qui ont été
intégrés dans l'Agence au moment de sa création. On y
retrouve les deux-tiers des effectifs de l'Agence, soit 800 personnes.
Ces laboratoires font de l'appui scientifique et technique en santé
animale, en hygiène des aliments et dans le domaine des eaux. Ce sont
des activités de référence. Pour prendre l'exemple le plus
actuel, le laboratoire de référence sur la fièvre aphteuse
se trouve au sein de l'Agence et est actuellement sollicité pour
vérifier la situation française en la matière.
Nous avons également des laboratoires de référence en
matière d'ESB, ainsi que dans d'autres domaines très
variés.
On exerce cet appui scientifique et technique le plus souvent à la
demande des ministères, en participant à l'organisation de plans
de surveillance, de diagnostics de confirmation, etc.
La troisième mission de l'Agence est une mission de recherche en
santé animale compte tenu de l'origine des laboratoires qui ont
été intégrés dans l'Agence. Petit à petit,
ces recherches sont diversifiées en fonction des priorités
scientifiques que l'on met en place.
Une réflexion a été lancée depuis la
création de l'Agence pour parvenir à une émergence de
projets, afin que ceux-ci soient rattachés aux priorités
sanitaires et qu'ils puissent être examinés avec le concours des
différentes autorités, sous l'égide du Conseil
scientifique, pour définir des axes de recherche à moyen et long
terme.
On a plusieurs gros projets qui ont déjà été
lancés, qui sont en cours de finalisation, impliquant plusieurs
laboratoires de l'Agence, mais aussi des laboratoires français ou
étrangers d'autres secteurs.
Voilà donc les caractéristiques de cette Agence.
M. le Rapporteur
- Sur quels programmes ?
M. Martin Hirsch -
On a approuvé, il y a deux ou trois mois,
après passage devant le Conseil scientifique, une vingtaine de projets
de recherches, concernant par exemple la listéria dans les
différents produits, ce qui permet de travailler sur les produits de la
mer, les produits laitiers, la charcuterie...
M. le Rapporteur
- Sur ce point précis, iriez-vous jusqu'à
contredire la norme officielle de l'OMS, ou êtes-vous d'accord avec
celle-ci ?
M. Martin Hirsch -
Sur les sujets d'évaluation, nous avons deux
types de travaux. On a produit un rapport général de 150 pages,
après saisine des ministères sur la listéria, sur toutes
les données scientifiques dont on disposait et sur un certain nombre de
recommandations qui portaient sur le réexamen de l'état clinique
de consommation d'un certain nombre de produits, afin de reprendre la
classification des aliments, pour être sûr que des produits ne
soient pas classés en fonction de critères anciens ou
arbitraires, mais scientifiques, en fonction du PH et de différentes
caractéristiques physico-chimiques.
D'autres recommandations ont porté sur l'alimentation animale puisque,
si certains animaux sont porteurs de la listéria, cela peut avoir des
conséquences sur le produit final.
Cette palette a donné lieu à des recommandations, y compris sur
la révision de la norme qui concernait certains produits de charcuterie.
Celles-ci n'étaient pas en contradiction avec la norme de l'OMS mais, en
France, il existait un certain flou dans les tolérances par rapport
à ce qui avait été défini en matière de
produits à base de lait cru, et nous avons donc recommandé que
des critères s'appliquent.
Parmi les autres sujets, on trouvera des sujets de pure santé animale.
On travaille par exemple beaucoup sur les virus qui peuvent atteindre les
élevages porcins, comme la maladie du porcelet, qui est en
régression, ou, en recherche fondamentale, sur la compréhension
des virus ainsi que sur l'amélioration des vaccins. On trouve toute une
variété de sujets, y compris ceux concernant la nutrition et
l'amélioration de nos capacités de travail en matière
d'alimentation animale.
M. le Rapporteur
- Estimez-vous que la France a
répété les erreurs de 1996 en laissant au seul ministre de
l'agriculture la gestion d'une crise de santé publique et d'une crise de
confiance des consommateurs ? De quelle manière, à votre
avis, devrait être géré l'aspect politique de la
question ?
C'est une question peut-être délicate, mais c'est au coauteur de
"L'affolante histoire de la vache folle" que je m'adresse.
M. Martin Hirsch -
C'est la même personne !
Depuis ce livre -dont la préface a été
rédigée par le précédent ministre de la
santé, qui indiquait qu'il serait peut-être judicieux de
créer une agence de sécurité européenne- plusieurs
changements institutionnels importants sont intervenus en France et ont conduit
à la création d'une Agence qui, comme je le rappelais, a comme
caractéristique de dépendre de trois ministères.
Beaucoup des acteurs qui participent à ces travaux -ministères,
scientifiques, responsables administratifs, consommateurs- ont conscience de ce
que cela apporte.
En effet, les différents ministères sont au courant des projets
de réglementation, l'Agence étant saisie soit par les trois
ministères, soit par l'un d'eux, avec information immédiate des
autres, ce qui permet un travail en amont.
En second lieu, note mission et notre mode de fonctionnement obligent à
ce que, à tous les stades de l'instruction des saisines et des avis, des
échanges aient lieu avec les administrations, soit parce qu'on a besoin
de recueillir des données auprès d'elles, soit parce que l'on a
besoin de leur transmettre des informations, des avis ou des recommandations.
On peut également agir par l'intermédiaire de groupes de travail,
etc.
Je crois donc que le changement est extraordinaire par rapport aux habitudes de
cloisonnement administratif françaises. Beaucoup de réunions ont
permis de mettre à plat des approches différentes en
matière d'épidémiologie, de produits de santé, ou
dans le secteur alimentaire.
On en a de multiples illustrations. C'est ainsi que l'Agence française
de sécurité sanitaire des produits de santé et l'AFSSA
ont, cette semaine, conjointement saisi le comité
interministériel sur l'ESB pour évaluer les derniers
procédés de sécurisation des gélatines. Il y a
là, je crois, un décloisonnement complet qui profite à la
santé publique.
M. le Rapporteur
- J'en viens directement aux cas d'ESB
découverts au cours de l'année 2000, qui concernent des bovins
nés entre 1993 et 1995, bien après l'interdiction des farines.
Quelle est, pour vous, l'hypothèse la plus probable :
contaminations croisées, trafics illicites de farines ou utilisations de
graisse dans les compléments alimentaires ? Quelle est la piste que
vous privilégiez avec le recul qui est le vôtre ?
M. Martin Hirsch -
Une précaution oratoire
préalable : je ne suis pas expert. Je suis chargé
d'organiser l'expertise et d'endosser la responsabilité des avis qui
engagent l'Agence, mais vous rencontrerez d'autres interlocuteurs plus
compétents pour savoir comment le prion se comporte selon les milieux,
les espèces, etc. Ils pourront vous faire un point précis en leur
qualité de scientifiques.
Nous travaillons maintenant depuis près de quatre mois sur un certain
nombre de questions qui nous ont été adressées par les
trois ministères sur la sécurité des farines animales
employées pour nourrir les espèces pour lesquelles elles ont
été autorisées, après leur interdiction chez les
ruminants.
En premier lieu, nous avons proposé, lorsque nous avons
été saisis, de regarder si des faits scientifiques nouveaux
permettant de penser que des espèces réputées non
sensibles à l'ESB -porcs, veaux, lapins, chevaux- pouvaient être
contaminées.
Le second bloc de questions portait sur le fait de savoir si, en examinant les
données issues des contrôles qu'on nous demandait explicitement de
pratiquer, l'on pouvait dire que les sécurisations n'étaient pas
complètes pour ces produits. En d'autres termes, il s'agissait de savoir
si des contaminations croisées étaient toujours possibles, au
moment où les farines restaient autorisées pour certaines
espèces.
La troisième question concernait les risques potentiels relatifs aux
farines de viande et d'os et les autres dérivés d'animaux qui
n'auraient pas été interdits pour les ruminants. On s'est
intéressé aux lacto-remplaceurs, aux phosphatines bicalciques,
dont on avait considéré jusqu'alors qu'il n'y avait pas de
problème à les autoriser chez toutes les espèces.
La quatrième question portait sur les risques induits par une suspension
et une interdiction des farines par rapport à des espèces comme
les poissons, et soulevait le problème des garde-fous à mettre en
oeuvre pour éviter de créer d'autres risques. C'est un sujet
particulièrement important concernant le stockage et le traitement des
farines elles-mêmes, mais également de leurs effluents.
La cinquième question concernait l'évaluation des produits de
substitution qui seraient donnés aux animaux selon les
différentes espèces, et les dernières questions portaient
sur les effets que pourrait avoir une mesure unilatérale prise par un
pays, si d'autres pays ne la mettaient pas en oeuvre, dans un contexte de
libre-échange.
C'est sur ces différentes questions que nous avons mobilisé tous
nos groupes d'experts, et nous avons continué à le faire une fois
que la suspension a été décidée au niveau
français, puis européen, pour savoir si la suspension devait ou
non être prolongée, s'il y avait des aménagements à
y apporter, et quelles explications rétrospectives pouvaient être
données aux cas qui s'étaient présentés.
Ce sujet illustre plusieurs difficultés. En premier lieu, il existe des
questions purement scientifiques : le porc est-il sensible par voie
d'inoculation intra-fécale ou alimentaire ? Au bout de quel
délai d'incubation ? Ce sont là des données purement
scientifiques, mais il faut également pouvoir porter une
appréciation sur l'efficacité des dispositifs mis en place.
La loi du 1er juillet prévoit que les données sur le
contrôle doivent être communiquées à l'Agence, qui
doit effectivement pouvoir évaluer les dispositifs. Au delà de la
question de savoir si les porcs, les veaux ou les autres espèces sont
sensibles à l'ESB, la question est de savoir si les espèces pour
lesquelles ces farines sont interdites peuvent courir un risque malgré
l'interdiction.
La réponse dépend à l'évidence des
appréciations que l'on peut porter sur l'efficacité des mesures
prises par le passé.
Ce sujet, nous l'avions abordé dans un rapport sur l'alimentation
animale et la sécurité des aliments, que l'on avait lancé
à la suite de la crise de la dioxine, estimant que l'importance du sujet
justifiait un tour d'horizon de l'ensemble de l'alimentation animale.
S'agissant des farines de viande et d'os, nous avions identifié quelques
points critiques, en recommandant que l'on porte une grande attention à
l'éviction des matériels à risques, aux
procédés de traitement, et à la séparation des
circuits. Toute une série de choses nous ont ainsi facilité le
travail, à partir du moment où la question de savoir ce qu'il en
était à la fin de l'année dernière nous a
été posée.
Il s'agissait principalement de déterminer si les écarts -car il
est rare qu'une réglementation aussi complexe soit
vérifiée et contrôlée à 100 %- peuvent
avoir un impact sanitaire ou s'ils sont purement formels, soit qu'il s'agisse
d'écarts secondaires, soit qu'il s'agisse d'écarts que l'on
rattrape à l'étape suivante et qui, bien que réels,
n'auraient pas d'impact sanitaire.
C'est ce travail que l'on est en train d'achever, sur le fondement des
évaluations faites par le Comité sur l'ESB, fin 1998-début
1999 qui, pour expliquer les cas naïfs -à une époque
où il y en avait beaucoup moins que maintenant- avait recensé
cinq ou six hypothèses possibles, depuis les contaminations
croisées aux différents stades, jusqu'à
d'éventuelles autres voies de transmission que les voies alimentaires,
en les classant par ordre décroissant de probabilités.
C'est cette thématique que l'on a reprise dès que l'Agence a
été créée, en se demandant si les cas naïfs
étaient dus à des maintiens de contaminations croisées
avec les farines interdites, ou à des produits qui restaient
autorisés pour certaines espèces, comme ceux que je citais
auparavant.
Les conclusions ont montré que ces deux hypothèses doivent
être prises en considération et qu'il pouvait y avoir une
justification à élargir la liste de ce que l'on interdisait
-farines animales, etc.- puisqu'il est préoccupant de voir que le nombre
de cas nés après l'interdiction des farines est bien
supérieur au nombre de cas nés avant.
Si une partie de l'explication peut se trouver dans l'amélioration
indéniable des procédures de surveillance, celle-ci n'est pas
suffisante et conduit à considérer ces deux hypothèses
comme possibles. On se heurte là à deux difficultés. La
première vient du fait qu'on n'a les réponses que quelques
années après, puisque les cas se déclarent en moyenne cinq
ans plus tard. Or, beaucoup de facteurs sont communs à l'ensemble des
bovins, et démêler celui qui pourrait être à
l'origine de la maladie n'est pas simple.
C'est pour cela qu'a été lancée une étude lourde
appelée "cas-témoins", destinée à comparer les
exploitations qui ont connu un cas avec celles comparables en tous points
-taille, type d'élevage, type de localisation- qui n'en ont connu aucun.
Les différentes enquêtes ont démontré qu'on ne peut
exclure la possibilité d'une contamination croisée, soit à
l'origine, soit au moment du transport, soit à la ferme. Toutes ces
pistes permettront de cerner de mieux en mieux les choses.
A cet égard, les enseignements qui ont été tirés du
programme de tests sont extrêmement importants. Elles ont permis une
meilleure connaissance de la maladie, et de voir que le nombre de cas
détectés par cette voie ne l'avaient pas été pas
uniquement dans des élevages mixtes où l'on trouvait des porcs et
des bovins, mais dans un nombre d'exploitations important où il n'y
avait que des bovins, ce qui implique une contamination croisée en
amont. Il y a ainsi toute une série d'informations capitales pour
progresser.
M. le Rapporteur
- Considérez-vous que l'AFSSA se heurte à
des difficultés pour connaître la composition des
compléments alimentaires destinés au bétail ou des plats
cuisinés destinés à l'alimentation humaine ?
M. Martin Hirsch -
S'agissant de la composition des aliments, je pense
effectivement que tout le monde se heurte à des difficultés. En
effet, les différents ingrédients sont complexes et si l'on
n'examine un par un l'ensemble des ingrédients, on peut passer à
côté de quelque chose d'important.
C'est la raison pour laquelle on s'est attaché, lorsqu'on a
travaillé sur les greffes d'os, les phosphates bicalciques, les suifs,
etc., à bien établir la liste des produits animaux qui entraient
dans les différents aliments.
On a également étudié quels étaient les facteurs
communs en amont. C'est ce qui nous a conduits à mette l'accent sur un
point central du dispositif : le problème de l'incorporation des
corps vertébraux en amont de la chaîne, qui pouvait avoir des
répercussions sur les produits dérivés.
Ceci nous a conduits à recommander, l'année dernière, que
les vertèbres soient retirées de la chaîne alimentaire, en
France comme dans les autres pays de l'Union. Cette position qui a
été soumise par la France à ses partenaires, et a
été rejointe par l'ensemble de la Commission, puisqu'une
décision rend obligatoire le retrait des vertèbres dans les pays
touchés par l'ESB.
Par ailleurs, plus généralement, on mène des travaux sur
la composition des aliments au sein de l'Agence. Notre centre d'informations
sur la composition et la qualité des aliments essaye de
décomposer, aliment par aliment, le contenu de ceux-ci.
On ne peut toutefois le faire pour l'ensemble des aliments. Il faut donc des
objectifs précis. On le fait par exemple aujourd'hui sur la teneur en
sel de certains produits, pour pouvoir aider les allergologues à
parfaitement connaître la composition des aliments et ne pas risquer de
soumettre des sujets allergiques à un certain produit sans qu'ils le
sachent.
De même, nous cherchons à apporter une clarification sur les
produits d'origine animale qui peuvent se trouver dans différents
ingrédients. C'est un sujet complexe, compte tenu de l'immense
variété des process. On ne peut prétendre avoir, du jour
au lendemain, la composition exacte, ingrédient par ingrédient,
de l'ensemble des aliments, mais je crois que les choses progressent beaucoup.
Un certain nombre d'ingrédients sont en effet soumis à des
procédures d'autorisation, dans le cadre des réglementations
nationales et européennes. Il y a un certain nombre de données
capitales, tant sur le plan de la sécurité alimentaire que sur
celui des aspects nutritionnels.
M. Jacques Bimbenet
- Comment faites-vous par rapport au secret de la
fabrication ? Il n'existe plus ?
M. Martin Hirsch -
On y a été confronté à
propos d'une boisson gazeuse. Leur recette est protégée par le
secret industriel. En revanche, rien n'empêche de passer ces aliments
dans différentes machines complexes -spectrographes de masse et autres-
et d'en sortir tous les ingrédients, tous les ions, toutes les
protéines que l'on y trouve pour avoir la composition de ces aliments,
sans en connaître la recette.
M. Jacques Bimbenet
- Vous ne pourrez pas la divulguer à la
concurrence !
M. Martin Hirsch -
Je ne crois pas que la composition finale soit
protégée. On ne s'est jamais heurté à cette
difficulté-là dans nos travaux sur la composition des aliments.
Les équipes d'évaluation essayent de comprendre, de faire des
tableaux pour voir ce qui se passe, et les soumettent aux professionnels en
demandant s'ils ont oublié quelque chose. Il y a une démarche
itérative pour savoir si ce que l'on pense correspond aux pratiques et
aux formules qui sont employées.
M. Paul Blanc -
Je voudrais revenir sur votre livre "L'affolante
histoire de la vache folle". Confirmez-vous que l'embargo sur la viande
anglaise était plus destiné à rassurer le consommateur
qu'à assurer une véritable mesure de santé publique ?
M. Martin Hirsch -
Vous voulez savoir s'il y a un désaccord entre
l'un des coauteurs du livre et le directeur général de l'Agence !
(Rires).
M. Paul Blanc -
Je pose une question, c'est tout !
M. Martin Hirsch -
L'embargo est une mesure qui n'a pas
été prise après consultation des scientifiques. C'est une
première remarque.
Seconde remarque : il est souvent nécessaire de prendre des mesures
qui peuvent avoir un fondement soit sanitaire et scientifique, soit
psychologique ou économique, destiné à réguler les
marchés. Parfois, cela coïncide ; d'autres fois, non.
Un bon exemple dans lequel cela a coïncidé est celui des conditions
du dépistage. Il était nécessaire, pour des raisons
économiques, de rassurer le consommateur -ce type de mesures pouvant
d'ailleurs avoir des conséquences pires que celles que l'on a connues
sur le cours et la consommation de la viande.
Ceci a coïncidé avec un cheminement parallèle des instances
scientifiques, travail préparé avec le programme
expérimental de dépistage.
Je puis garantir -et je dépose sous serment- que c'est
indépendamment que les scientifiques ont été conduits
à dire qu'il existait un fondement sanitaire qui imposait de
procéder au dépistage des bovins de plus de trente mois.
M. Paul Blanc -
N'y a-t-il pas là une contradiction, à
partir du moment où l'on a dit aussi qu'on éliminait pratiquement
une contamination possible à travers le muscle ?
M. Martin Hirsch -
Je ne crois pas, dans le mesure où tout le
raisonnement scientifique a été basé sur le fait de dire
qu'à partir du moment où un animal était infecté,
il fallait tout faire pour qu'aucun de ses produits n'entre dans la
chaîne alimentaire.
Lorsque le prion est présent chez ces animaux, on peut toujours craindre
qu'il soit à des niveaux non détectables, ou, surtout, si l'on ne
peut enlever 100 % de l'ensemble des matériaux à risques
spécifiés, que l'on puisse laisser entrer dans la chaîne
alimentaire des éléments que l'on doit interdire.
M. Paul Blanc -
Et le muscle ?
M. Martin Hirsch -
On n'a jamais détecté de prion dans le
muscle mais, lorsqu'on est face à un animal infecté, le muscle
peut être découpé avec un couteau entré en contact
avec la moelle épinière. C'est donc un principe de base.
Je ne voulais pas esquiver la question sur l'embargo. Comment mettre en place
une mesure de précaution, et comment la lever ? C'est la question
soumise à l'Agence, qui a répondu qu'il lui semblait que lever
une mesure de précaution prise dans un certain contexte, à un
moment où l'on disposait de nouveaux tests, ne serait pas
cohérent avec les objectifs de santé publique.
Elle a estimé qu'il valait mieux connaître la
réalité de la maladie, puisqu'on a maintenant des outils dont on
ne disposait pas il y a cinq ans, et savoir ensuite si cette
réalité était ou non proche des choses.
C'est ce raisonnement qui a conduit à ce que les tests soient mis en
place, permettant de démontrer que les pays qui en avaient
déjà en avaient plus que prévu et que les pays qui n'en
avaient pas comptaient en fait, pour la majorité d'entre eux quelques
cas.
Le Royaume-Uni est en train de faire des programmes de tests et il est probable
qu'ils aboutissent aux mêmes conclusions. Par conséquent, les
présupposés du schéma d'exportation n'étaient pas
fondés, et il y a donc eu des erreurs d'hypothèse dans la
façon dont on a prévu la levée de l'embargo.
M. Paul Blanc -
Dans un autre ordre d'idée, pouvez-vous nous
confirmer qu'il y a eu une importation légale, jusqu'en 1996, de veaux
anglais ?
M. Martin Hirsch -
Je ne peux ni le confirmer ni l'infirmer.
M. Paul Blanc -
Il aurait été intéressant, au cas
où vous auriez eu de telles informations, de savoir ce que ces veaux
sont devenus, s'ils sont partis en boucherie ou s'ils sont devenus vaches. Cela
pourrait aussi expliquer la recrudescence de l'ESB en France.
Je suppose qu'une enquête épidémiologique très
poussée a été menée pour connaître l'origine
du bétail ?
M. Martin Hirsch -
J'espère ne pas me tromper, mais j'ai le
souvenir qu'effectivement, à cette époque, ont été
abattus tous les animaux qui avaient été importés vivants
du Royaume-Uni. Les services vétérinaires seront plus
compétents que moi sur ce sujet, car je parle de mémoire.
Chaque fois qu'il y a enquête sur un cas, on regarde l'origine, le
père, la mère, les mouvements précédents. C'est
pour cela qu'il y a des rapports de 25 pages à chaque fois, avec la
filiation, les séjours dans les différentes exploitations, les
aliments consommés, etc.
M. Paul Blanc -
Comment l'ancien responsable ministériel que vous
êtes explique-t-il le déferlement médiatique qu'a
suscité le problème de l'ESB ?
M. Martin Hirsch -
Plusieurs raisons font que ce sujet est au coeur des
préoccupations. La presse, en général, essaie
d'écrire des choses qui intéressent la population. Elle est le
reflet de ce qui préoccupe les gens -ou alors il s'agit de
poussées de fièvre vite oubliées.
M. Paul Blanc -
Et ce à propos de sujets beaucoup plus
graves : je pense en particulier au nombre de morts du cancer du poumon
dus au tabac !
M. Martin Hirsch -
Il y a plusieurs caractéristiques. La
première différence réside dans les incertitudes sur
l'ampleur de l'épidémie. Les épidémiologistes
anglais disent qu'en fonction de tous les éléments qu'ils peuvent
faire entrer dans leurs modèles mathématiques, la fourchette est
comprise entre quelques dizaines et 136 000 cas de personnes
contaminées.
Or, je n'ai jamais entendu aucun scientifique sérieux dire qu'on peut
privilégier l'une ou l'autre de ces hypothèses ! On peut le faire
par conviction, mais non sur une base scientifique.
En général, les scientifiques qui connaissent bien ce sujet
disent qu'il y a un certain nombre d'incertitudes sur les prévisions
épidémiologiques et qu'ils ne peuvent trancher. Ce ne sont pas
des devins.
La deuxième différence s'explique par le fait que les
consommateurs ont l'impression qu'ils ne sont pas libres de leur choix, et ce
pour deux raisons.
Tout d'abord, ils sont obligés de se nourrir alors qu'ils ne sont pas
obligés de fumer ou de prendre leur voiture. En second lieu, on
découvre au fur à mesure que les choses sont plus
compliquées qu'il n'y paraissait au début. C'est un peu le
raisonnement qu'ont découvert les éleveurs sur l'alimentation des
animaux que nous découvrons dans notre vie quotidienne. Ces
raisons-là suscitent donc l'inquiétude.
Je crois, en troisième lieu, que l'on est là face à
quelque chose qui bouleverse tous les concepts habituels des maladies
infectieuses, puisque le prion a un comportement qui, à chaque fois, a
déjoué les connaissances classiques, qu'il s'agisse du
modèle de Pasteur ou de la virologie des années 1950.
On a commencé par penser que cela ne passait pas d'une espèce
à l'autre ; or, cela passe d'une espèce à l'autre !
Il y a toute une série de choses qui étaient plutôt
rassurantes qui le sont moins. Tout le monde espère effectivement qu'en
ce qui concerne les populations humaines exposées par voie alimentaire,
il y aura peu de victimes, mais tant que ces incertitudes demeurent, il est
assez logique que les préoccupations à propos d'une maladie qui
est plus préoccupante que d'autres restent fortes.
M. Jean-Paul Emorine -
Je voudrais revenir à l'utilisation des
farines animales : depuis l'interdiction, quel a été le
rôle de l'AFSSA ?
Beaucoup de revues affirment que, pendant cette période, des farines
animales auraient continué à circuler. Vous nous avez
indiqué que l'alimentation animale faisait partie de vos missions. Votre
attention a-t-elle été attirée sur l'origine des farines
destinées à nourrir les animaux ?
En second lieu, face à un cas d'ESB dans un cheptel, en France,
aujourd'hui, le Gouvernement a décidé d'abattre l'ensemble du
cheptel alors que, dans le reste de l'Union européenne, ce n'est pas le
cas. Quelles sont les motivations qui font que l'on a pris cette
décision ? J'aimerais connaître votre avis sur ce point.
M. Martin Hirsch -
Depuis que les mesures de suspension ont
été prises, on a été conduit à rendre
plusieurs avis sur les aménagements aux mesures générales.
Par exemple, on a rendu, à la mi-février, un avis pour indiquer
que l'on pouvait admettre que l'on n'interdise plus les farines de poisson et
qu'un certain nombre d'aménagements pouvaient être
pratiqués, sur lesquels on a procédé à des
évaluations scientifiques.
Seconde chose : pendant toute cette période, on a effectivement
travaillé pour recueillir les données des plans de contrôle
et pour pouvoir, à travers les différents points critiques
-chauffage, etc.- porter une appréciation sur l'efficacité du
dispositif.
Notre mission n'est pas de réaliser les contrôles
nous-mêmes. Il est cependant de notre responsabilité de tirer la
sonnette d'alarme, comme on l'a fait à plusieurs reprises, quand les
données du terrain ou les résultats du contrôle laissent
penser qu'il y a un risque pour la santé humaine. C'est l'esprit de la
loi. Il y a une chaîne de police sanitaire, une chaîne
d'évaluation scientifique et, entre les deux, des ponts pour
éviter que les pouvoirs publics se retrouvent face à deux avis
complètement contradictoires.
En fait, si nous ne sommes pas intervenus durant les dernières semaines,
c'est parce qu'on ne nous a pas demandé notre avis et que nous ne nous
sommes pas auto-saisis de cette question.
En effet, nous avons déjà suffisamment de mal à savoir
quelles sont les causes des cas d'ESB et quel était l'état
effectif du chauffage des farines et des différentes étapes il y
a quelques mois, pour ne pas avoir d'évaluation scientifique
supplémentaire à apporter à ce sujet.
Nous sommes toutefois intervenus sur un point important en disant qu'il ne
fallait pas prendre de demi-mesures et faire en sorte que l'on ait un
dispositif difficilement contrôlable. Lorsqu'on nous a demandé si
l'on pouvait réintroduire les protéines de cuir dans la
chaîne de l'alimentation animale, on a recommandé de ne pas le
faire, au motif que l'on risquait alors de ne plus pouvoir distinguer les
protéines "légales" des protéines "illégales".
Dès lors qu'il faut prendre une mesure de suspension
générale, il convient de rester sur les
généralités. Accepter les farines de poissons, ce n'est
pas forcément gênant, mais accepter les protéines animales,
cela semble ingérable.
Ceci rentre tout à fait dans notre rôle. En revanche, nous serions
totalement incapables de courir après des données de
contrôle ponctuelles, pour lesquelles il existe des services dont c'est
le rôle.
Concernant l'abattage total, la question est la suivante : si l'on passait
de l'abattage total, tel qu'il est pratiqué en France depuis le premier
cas d'ESB, à un abattage sélectif, aurait-on un niveau de
protection aussi élevé pour le consommateur et susceptible de
garantir la non pérennisation de la maladie ? C'est la question qui
nous est posée.
Que fait-on pour y répondre ?
Regardons d'abord ce qui passe dans les différents pays. Il y a trois
cas de figures : les pays à abattage total, les pays où il
n'y a pas d'abattage du tout et les pays à abattage sélectif.
L'absence d'abattage -si ce n'est le premier cas- c'est la stratégie du
Royaume-Uni. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas jugulé
rapidement l'épidémie et qu'il y a plusieurs cas par troupeau.
Cette stratégie n'était recommandée par personne,
même si elle n'a pas été modifiée dans ce type de
pays.
La seconde possibilité, c'est l'abattage total ou sélectif. Entre
les deux, il est difficile de trancher, pour plusieurs raisons.
Depuis quelques mois, on récupère les cerveaux d'un grand nombre
de bovins abattus. Ce n'est pas forcément toujours faisable, mais nous
essayons d'avoir des milliers d'échantillons, que l'on teste. A travers
ceux-ci, on peut essayer de répondre à ces questions.
Pourquoi ne l'a-t-on pas fait plus tôt ? Il y a quatre ans, on ne
pouvait faire de dépistage à grande échelle, et l'on ne
disposait pas de méthodes permettant de faire des centaines de tests. Il
y a encore deux ans, le nombre total de tests pratiqués en France
était d'environ 300 ; l'année dernière, il
était de 20.000. Cette année, il est de 3 millions.
Cependant, pour pouvoir répondre aux questions, il faut un certain
nombre d'échantillons suivant les différentes tranches
d'âge. On aura rapidement la réponse pour les animaux qui sont
à peu près dans la même tranche d'âge. Il faut
également examiner les animaux plus âgés ou plus jeunes,
mais en ayant conscience que l'on n'est pas sûr d'avoir l'ensemble des
réponses, dès lors que les méthodes de tests ne
fonctionnent qu'à partir d'un certain âge. C'est pour cela qu'on
n'a jamais recommandé de faire du dépistage en-dessous de trente
mois.
Dans une exploitation, un animal de six mois qui réagit
négativement au test peut être soit totalement indemne, soit avoir
des tissus déjà infectés, sans que cela n'apparaisse pour
autant dans le système nerveux central avant un certain temps. C'est la
raison pour laquelle on avait recommandé, il y a quelques mois,
d'autoriser à nouveau la consommation des cervelles de bovins
jusqu'à 12 mois.
Pour faire le travail sérieusement et avoir des milliers
d'échantillons, ce qui est statistiquement faisable, il faut encore un
peu de temps, et nous nous sommes donc engagés à fournir ces
éléments au printemps. En tout état de cause, les
différents pays ne sont pas forcément très sûrs de
leur propre stratégie, et personne ne détient la recette miracle.
M. le Rapporteur
- Que pouvez-vous dire concernant les fonds de
sauces ? C'est une question qui revient souvent. Avez-vous
étudié le problème et expertisé ce point
précis ?
M. Martin Hirsch -
Non. Je ne peux rien dire de particulier sur les
fonds de sauces, mais au moment où l'inquiétude a grandi,
début novembre, le Gouvernement a saisi l'Agence pour obtenir une
évaluation et savoir s'il y avait ou non plus de risques qu'avant.
A un moment, la question s'est posée de savoir si l'on pouvait demander
à l'Agence de répondre plat par plat.
Nous avons répondu que nous ne pouvions répondre en trois jours.
Il y a en effet deux façons de faire. La première consiste
à poser des questions générales. La bonne approche, aux
yeux des scientifiques, est d'étudier les choses en amont. Dès
lors que les matières premières sont bien
sécurisées, il n'y a aucun problème pour les fonds de
sauces ou pour les autres plats.
C'est pourquoi nous avons proposé, début novembre, que soient
prises six ou sept mesures faciles à appliquer, destinées
à augmenter le degré de sécurité, depuis les
mesures concernant le T-bone, jusqu'à la suspension et l'interdiction
des farines, en passant par le dépistage à grande échelle,
afin de sécuriser la gélatine et les différents aliments
éléments qui entrent dans les fonds de sauces.
Je crois que la question des fonds de sauces est liée à la
sécurisation des graisses ou de ce type de produits qui rentrent dans
différents aliments, et que la mesure consistant à retirer les
colonnes vertébrales est la plus scientifiquement fondée pour
ajouter un degré de sécurisation alimentaire au degré
actuel, sachant que l'on estime que 4 % des gélatines
utilisées dans l'alimentation humaine sont faites à base d'os de
ruminants et 96 % plutôt à base de couenne ou d'os de porc,
etc.
Je ne sais si ma réponse vous satisfait.
M. le Rapporteur
- Votre réponse nous satisfait.
Dans le droit fil de cette question, êtes-vous satisfait des mesures de
traçabilité et de l'étiquetage informatif jusqu'au niveau
de la RHF ? Imaginez-vous aller plus loin ou non ?
M. Martin Hirsch -
La traçabilité d'identification peut
être faite soit à titre purement informatif, parce qu'on aime
savoir ce que l'on mange, soit pour permettre le libre choix de produits
autorisés pour des tas de raisons -y compris religieuses, etc.- soit
encore pour des raisons de santé publique. C'est en cela que nous sommes
concernés, les deux autres raisons ne nous regardant pas.
Quels objectifs recherchons-nous en matière de
traçabilité ? On a vu que le fait que l'identification de la
traçabilité des bovins ait été mise en place
précocement en France est l'un des éléments essentiels de
la sécurisation du système, avec le retrait systématique
des matériaux à risques spécifiés. C'est la raison
pour laquelle, en France, le dépistage systématique marche, ce
qui permet de prendre des mesures.
Beaucoup de pays sont très en retard dans ce domaine. On discute
aujourd'hui de la levée de l'embargo qui frappe les viandes portugaises.
Dans le dossier portugais, on voit que l'identification des bovins date de 1999
ou de 1998 !
M. le Rapporteur
- En Angleterre, elle remonte à 1995.
M. Martin Hirsch -
En effet.
Ces procédures, pour différentes raisons, sont plus difficiles
à mettre en oeuvre pour les ovins, d'où les difficultés
que l'on a aujourd'hui pour être sûr que l'on repère bien
les ovins qui viennent d'Angleterre.
Dans ce domaine, la traçabilité de l'identification doit donc
être considérablement améliorée. S'agissant des
plats cuisinés et des aliments eux-mêmes, elle doit certainement
l'être également pour différentes raisons : allergies,
rappels de lots... Plus il y a d'informations, plus les mesures de
sécurité, lorsqu'elles sont nécessaires, peuvent
être ciblées, efficaces et moins douloureuses.
Il y a donc un tas d'améliorations que l'on peut apporter, et que l'on
peut examiner sujet par sujet si vous le désirez.
M. le Rapporteur
- Même si vous ne vous autorisez pas le moindre
jugement sur les opinions émises lors de la promulgation des avis de
l'AFSSA, quelle est votre analyse sur le jugement de l'INRA au sujet des
mesures que vous avez préconisées en ce qui concerne le
mouton ?
M. Martin Hirsch -
Je dispose d'un communiqué de presse de l'INRA
-que je n'ai pas ici- qui indique que l'INRA n'a pas à se substituer
à l'AFSSA dans l'évaluation. Il y a des chercheurs de l'INRA dans
les comités d'évaluations de l'Agence et l'INRA considère
-je crois- qu'il n'y a pas de divergences entre l'avis du CSD et l'avis du
Comité.
Il est vrai que l'on travaille énormément, soit en matière
de recherches, avec des laboratoires de l'INRA, soit en matière
d'évaluation avec des chercheurs qui viennent de l'INSERM, de l'INRA, du
CNRS, du CEA, de l'AFSSA elle-même, et de différents domaines.
S'il existe des sujets sur lesquels on peut avoir une certaine
compétition scientifique, c'est sur les sujets de recherches, ce qui est
normal entre organismes de recherches.
En revanche, on a effectivement des missions d'évaluation et de
sécurité alimentaire que n'a pas l'INRA. Certaines personnes ont
aussi plusieurs rôles et on a été à plusieurs
reprises, ces derniers temps, dans des situations dans lesquelles il pouvait y
avoir décalage entre la façon dont étaient
générés et conclus des avis européens et
français.
Nos méthodes de travail sont les suivantes : les avis sur ce sujet
sont élaborés par des comités qui ont été
sélectionnés sur la base de leurs publications scientifiques,
leurs travaux préalables, leurs comités d'experts, et sous
l'égide du Conseil scientifique de l'Agence. Une fois qu'ils sont
composés, nous mettons dans nos avis l'intégralité,
à la virgule près, des conclusions auxquelles ils ont abouti.
Sur l'avis ovin, on trouve donc, à la virgule près et en
italiques, l'intégralité des conclusions du Comité
interministériel, qui sont très proches, à un
détail près, je crois, sur l'âge du système nerveux
central -certains scientifiques ont d'ailleurs participé aux deux- des
conclusions des groupes de travail qui ont été mis en place au
niveau européen sur ce sujet.
M. le Rapporteur
- Avez-vous lu le livre de M. Eric Laurent "Le grand
mensonge" ?
M. Martin Hirsch -
Je l'ai parcouru.
M. le Rapporteur
- Est-ce qu'il ne serait pas du ressort de l'AFSSA de
formaliser par écrit un certain nombre de réfutations sur les
informations scientifiques ou pseudo scientifiques qui y sont incluses ?
M. Martin Hirsch -
Nous nous refusons en général à
intervenir par réaction sur tel ou tel livre.
M. le Rapporteur
- La commission le souhaiterait, parce que, très
honnêtement, ce qui est écrit est assez choquant !
M. Martin Hirsch -
Je vais donc le faire ici.
Normalement, nous nous y refusons. Effectivement, le journal qui en avait
publié les bonnes feuilles m'avait demandé si je voulais
écrire quelques lignes. Pour une fois, j'avais accepté, mais ils
n'en ont finalement pas eu besoin, et je ne les ai pas écrites.
Je vais cependant vous dire ce que j'en pense. Je crois que les mensonges par
omission sont aussi importants que les autres. Toutefois, si l'on
réagissait sur certains livres et pas sur d'autres, on dirait que ceux
sur lesquels l'AFSSA n'a pas réagi sont des livres qui ont notre
caution, alors que les autres sont considérés comme mauvais par
l'AFSSA.
On ne réagit donc pas aux articles de presse, sauf lorsqu'il y a des
inexactitudes sur tels ou tels travaux de l'AFSSA. Là, il n'y a pas
d'inexactitude sur les travaux de l'AFSSA : ce livre est écrit
comme si l'AFSSA n'existait pas -sauf si je me suis trompé.
J'ai trouvé très intéressant de voir qu'était
citées dans ce livre un certain nombre de choses qui nous ont beaucoup
préoccupés un certain temps, comme le jonchage, dont nous nous
étions auto-saisis, à propos duquel nous avions fait des
recommandations qui ont été appliquées extrêmement
rapidement.
Tout ce travail mis en place depuis quelque temps, qui a
préexisté à l'AFSSA et qui a peut-être eu un
mouvement d'accélération et de meilleure formalisation avec
l'Agence, consistant à regarder en amont, à donner les
éléments scientifiques, à coller à ce que l'on
connaissaient des pratiques de la réglementation, des failles, des
données scientifiques les plus actualisées d'un travail
collégial, a conduit à modifier la réglementation un
grande nombre de fois et à une meilleure transparence.
Rappelez-vous, nous avons rendu un avis pour confirmer que certains animaux
infectés avaient pu rentrer dans la chaîne alimentaire, puisqu'on
ne les détectait pas tous. Je crois que l'opinion publique sait entendre
de telles choses. Cela n'a d'ailleurs pas semé de panique. Je pense que
c'est si l'on prétend le contraire et que l'inverse est
démontrable rapidement que se posent les problèmes !
J'ai en effet vu que l'auteur de ce livre ne prenait pas en compte un certain
nombre de choses qui se font ces derniers temps, mais je ne peux savoir
pourquoi.
M. le Rapporteur
- Vous ne pouvez réfuter par écrit, pour
la commission, un certain nombre de points contenus dans cet ouvrage ?
M. Martin Hirsch -
Monsieur le Président, un certain nombre
d'avis rendus par l'Agence sont en eux-mêmes probablement en
contradiction avec un certain nombre de choses, mais il y aura d'autres livres,
et je crois que nous sortirions de notre rôle. D'abord, cela nous
occuperait beaucoup, et l'on ne pourrait pas faire ce que l'on nous demande !
M. le Rapporteur
- Si l'AFSSA ne peut le faire, ne pensez-vous pas que
le ministère de la santé ou de l'agriculture pourrait le
faire ? Je pense qu'à force de laisser passer de tels
écrits, l'opinion publique finit par les accréditer. Ce sera
peut-être l'une des recommandations du rapport. Nous sommes aujourd'hui
à mi-étape, et je verrai donc cela avec l'ensemble de mes
collègues.
Je crois que l'opinion publique est aujourd'hui réceptive à un
certain nombre d'informations, y compris celles devant souligner la
dérive de certains journalistes.
Je cite la page 34 : "Le muscle contient forcément des prions en
plus faible concentration que les abats spécifiés". Les
consommateurs, nos concitoyens, lorsqu'ils peuvent lire cette phrase, doivent
être à mon avis extrêmement troublés. Je pense que
c'est le rôle de l'AFSSA ou -si vous estimez, en tant que directeur, que
cela ne l'est pas- celui d'un de vos ministères de tutelle.
M. Martin Hirsch -
Je pense qu'il y a beaucoup de choses approximatives
qui ont été écrites sur ce sujet, soit volontairement,
soit involontairement.
M. le Rapporteur
- Ce livre affirme qu'il y a des prions dans le muscle,
même en moindre concentration. Ces affirmations sont de vrais mensonges
et quand on voit -ce qui est logique- l'ampleur des sommes financières
mises en jeu par le Gouvernement pour inciter nos concitoyens à
consommer davantage de viande rouge, je pense qu'il serait tout aussi utile de
consacrer quelques lignes à essayer de réfuter ce type
d'information !
M. Martin Hirsch -
Si je me souviens bien des travaux
préparatoires de la loi, ce que le Parlement et le Gouvernement
attendaient en créant l'Agence, c'était d'avoir en face d'eux un
organisme sur lequel se reposer pour dresser une évaluation
sérieuse des risques afin, le cas échéant, d'arrêter
des mesures adaptées.
On est extraordinairement sollicité par les médias. Le nombre de
fois où l'AFSSA a été citée -on le voit à la
facture de l'Argus de la presse- est impressionnant. Beaucoup de
références sont faites à ce que l'on écrit ou
à ce que l'on dit.
On nous soupçonne quelquefois de mal penser, mais on a le sentiment que
lorsque l'Agence dit quelque chose, ce n'est pas pour travestir une
vérité, ni pour amplifier quelque chose, mais pour essayer
d'être factuel.
Je puis garantir que l'on n'a pas eu cinquante coups de téléphone
de journalistes, après la sortie de ce livre, pour nous dire que l'AFSSA
n'avait visiblement pas fait son travail.
Les ministères doivent-ils prendre position ? C'est toujours
compliqué. Si on le fait pour l'un, faut-il le faire pour l'autre ?
Je crois que ce travail a été fait, et je n'ai pas eu le
sentiment que ce livre ait fait l'objet de commentaires soulignant la
documentation scientifique et la rigueur des raisonnements tenus jusqu'à
présent.
M. le Rapporteur
- Toutes les questions d'alimentation humaine sont
maintenant de vrais problèmes de société. Je sais que vous
produisez chaque année un rapport d'activité mais, au delà
de la loi de 1998 qui a institué l'AFSSA, ne serait-il pas pertinent
d'officialiser une rencontre annuelle pour que vous présentiez au
Parlement vos travaux au cours de l'année écoulée ?
M. Martin Hirsch -
Effectivement, la loi prévoit que le rapport
annuel est transmis au Gouvernement et au Parlement. On le fait selon la
procédure classique : on transmet le rapport au Secrétariat
général du Gouvernement, en lui demandant de le transmettre au
Parlement.
Je crois que cette loi, qui est d'initiative parlementaire, montre que le
Parlement est très attentif au suivi des travaux de l'Agence. Dans
l'esprit des textes, il était bien entendu que l'Agence devait
être en capacité de rendre compte devant le Parlement.
M. le Rapporteur
- Vous y seriez favorable ?
M. Martin Hirsch -
Bien entendu.
M. le Rapporteur
- On essaiera de le formaliser.
M. Martin Hirsch -
On ne voit aucun inconvénient à ce que
ce soit formalisé ou non. Nous avons à vous rendre des comptes et
à vous expliquer comment on travaille, ou à prendre en compte ce
que vous pensez du fonctionnement de cette Agence qui a été
créée par la loi.
M. le Rapporteur
- Au travers du rapport de la commission
d'enquête, nous essaierons de formaliser ce souhait, car je pense qu'il
est important pour l'ensemble des membres du Parlement de savoir ce que vous
avez fait, et quels ont été les résultats au cours de
l'année écoulée.
Une dernière question -je crois vous l'avoir déjà
posée lors d'une précédente rencontre. Elle concerne plus
généralement le Livre blanc sur la sécurité
alimentaire et sur l'alimentation animale : le ministère de
l'agriculture, selon vous, a-t-il évolué en ce qui concerne la
fameuse "liste positive" à laquelle, personnellement, je suis assez
attaché, dans la composition des aliments pour animaux ?
M. Martin Hirsch -
Oui. Le Livre blanc, à juste titre, contient
des chapitres extrêmement importants sur l'alimentation animale et sur la
liste positive. On a du coup, je pense, dans ce contexte difficile,
déjà clarifié un certain nombre de choses sur
l'alimentation animale, en ayant une démarche analytique, en supprimant
un certain nombre de choses sur lesquelles on ne voyait pas suffisamment clair,
et je pense que les choses peuvent être maintenant plus mûres pour
les travailler au niveau européen.
Je n'ai jamais entendu de réticences du ministère de
l'agriculture sur ce sujet.
M. le Rapporteur
- Nous avons eu, avec notre collègue Emorine,
qui a beaucoup travaillé sur cette question, quelques apartés sur
ce point. J'ai senti malgré tout une réticence du
ministère de l'agriculture sur l'élaboration d'une liste positive.
M. Martin Hirsch -
Peut-être sur sa faisabilité, mais
jamais sur le principe.
M. le Rapporteur
- Mes chers collègues, avez-vous d'autres
questions ? Il n'y en a pas !
Monsieur le Directeur général, nous vous remercions.
M. Martin Hirsch -
Merci, Monsieur le Président.