Audition de M. Laurent BEAUMONT,
Directeur général du groupe
Caillaud
(21 février 2001)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Beaumont, vous
êtes Directeur général du Groupe Caillaud. Nous vous
remercions d'avoir répondu à notre convocation.
Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
du Sénat sur les farines animales et les problèmes qui ont
été engendrés par leur consommation par les bovins.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Beaumont.
M. le Président
- Je vous demande de faire une
présentation de votre entreprise et d'indiquer comment tout s'est
passé durant les années passées.
M. Laurent Beaumont
- Je suis Directeur général de la
Société Caillaud, le n° 2 en France dans le traitement
des sous-produits animaux. Cette société contrôle un
certain nombre de filiales.
Ce Groupe d'origine familiale a été créé à
partir des années 1950, essentiellement par le regroupement d'un nombre
important de petits clos d'équarrissage ; la plupart des
entreprises actuelles de ce secteur ont d'ailleurs été
constituées de la même manière.
En 1986, la famille actionnaire a cédé cette entreprise au Groupe
Entreprises minières et chimiques.
Les activités du Groupe Caillaud sont de deux ordres : des missions
d'utilité publique, l'équarrissage, et des activités de
valorisation de coproduits d'abattoir.
Traditionnellement, l'activité d'équarrissage, en remontant dans
les années 1975, était régie par un texte de
décembre 1975 figurant au Code rural qui est lui-même
inspiré de la loi de juillet 1975 sur les déchets. C'était
l'ère de la philosophie du « tout recyclage » : la
totalité des sous-produits de la filière animale, y compris les
cadavres d'animaux ramassés dans les fermes, étaient
recyclés et valorisés en alimentation animale, ce qui
était l'objet d'un consensus de la Société.
Les autres activités concernaient la valorisation à titre
commercial et n'étaient pas régies par le Code rural. Cette
activité consistait à acheter des sous-produits dans les
abattoirs et à les transformer à destination d'un certain nombre
d'industries utilisatrices, parmi lesquelles se trouvait l'industrie de
l'alimentation animale (qui vous intéresse plus particulièrement)
et également celles du petfood, de la savonnerie, de la gélatine,
des engrais organiques, de la lipochimie ou encore de la pharmacie qui utilise
des fractionnements de protéines ou de corps gras, des acides
aminés ou gras. Les sous-produits d'abattoirs sont une matière
première pour un très grand nombre d'industries.
Le problème que traite votre Assemblée est celui des farines de
viande dans l'alimentation animale. Ces farines n'existent pas dans la nature
car ce sont des sous-produits animaux qui ont été
déshydratés ; on pourrait les comparer à de la
purée de pommes de terre en flocons ou à de la poudre de lait.
La qualité ou la sécurité de ce produit est principalement
liée à la qualité des matières premières
mises en oeuvre. En utilisant de mauvaises pommes de terre, on fabrique une
mauvaise purée en flocons ; la farine de viande obéit aux
mêmes critères.
Concernant le procédé de traitement mis en oeuvre, il faut
correctement stériliser, produire cette farine, la sécher, la
déshydrater et la dégraisser. Il existe un certain nombre de
critères qui, quand ils sont bien mis en oeuvre, contribuent à la
sécurité de la farine de viande.
J'ai rappelé que les cadavres d'animaux, de manière consensuelle,
étaient recyclés. Cette matière première ne
présentait pas de garantie a priori et nécessitait la mise en
place d'un système de traitement thermique efficace au plan de la
microbiologie et de la sécurité.
On peut dire qu'en France le système a été correctement
mis en oeuvre puisque l'apparition de l'ESB en France est liée aux
importations de farines anglaises. Avant ces importations nous n'avions pas
décelé de cas d'ESB en France ; cela tend à
démontrer que le système français (un service
d'équarrissage extrêmement large recyclant la totalité des
déchets d'animaux à destination de l'alimentation animale) n'a
pas provoqué de problèmes sanitaires.
On peut parler de deux événements : l'apparition de la
maladie en Angleterre, pour les raisons que vous connaissez (et que je pourrais
éventuellement commenter), et l'importation de farines anglaises en
France qui a, semble-t-il, introduit la maladie sur le territoire.
Un deuxième élément concerne une sensibilisation de
l'opinion, au cours des années 1990, sur les problèmes
alimentaires en général et les problèmes d'élevage.
On peut regrouper la sensibilisation de l'opinion aux mauvais traitements des
animaux, à leurs conditions de transport ainsi qu'à certains
éléments concernant l'élevage et les pratiques agricoles.
La première crise médiatique de la société a
été liée à l'annonce en Grande-Bretagne, en mars
1996, de la transmission de l'ESB à l'être humain. Cela a
amené les autorités communautaires, et notamment
françaises, à prendre des dispositions.
La première, et la plus importante, de celles-ci a été la
création du service public de l'équarrissage et
l'élimination (la destruction par incinération) des farines de
viande produites à partir d'un certain nombre de sous-produits parmi
lesquels figuraient les matières à risques des ruminants, les
plus potentiellement susceptibles d'accueillir le prion, ainsi que d'autres
matières parmi lesquelles le prion n'a jamais été
détecté ; il s'agit notamment d'un certain nombre de
déchets de volailles.
Tout ceci était destiné à répondre à un
souci d'image. Les mesures du 28 juin 1996 (l'interdiction de certaines
farines) répondaient à des exigences sanitaires liées
à l'ESB et à un besoin d'image des farines de viande
vis-à-vis de l'opinion.
Parallèlement à ces matières à risques (les saisies
d'abattoirs, les matières de ruminants à plus fort taux
d'affectivité vis-à-vis de l'ESB), notre industrie transforme
d'autres matières animales pour en faire des farines de viande
(qualifiées de saines jusqu'au 14 novembre dernier) à partir de
coproduits en grande partie de qualité alimentaire.
Une très grande partie des matières animales est de
qualité alimentaire et se trouve disponible pour notre industrie du fait
des changements de consommation. Par exemple, le « pied de cochon »
est un plat réputé mais, compte tenu des volumes abattus en
France, des quantités de pieds de porc ne terminent pas dans les
assiettes ; ces excédents dans les abattoirs permettent de
fabriquer des farines de viande. Il n'est donc pas choquant de
déshydrater un produit qui, pour partie, est consommé dans
l'alimentation humaine. Le même principe se retrouve avec la tête
de porc.
Ceci procure donc des centaines de milliers de tonnes de sous-produits
alimentaires transformés en farines de viande pour lesquelles, a priori,
il existe moins de problèmes que pour les farines produites à
partir de cadavres.
Je pense également aux tibias de bovins qui sont découpés
en rondelles par le boucher pour être incorporés au pot-au-feu. La
ménagère utilise cet os sans aucun problème, mais
dès qu'il est déshydraté pour en faire une farine il se
transforme, dans l'opinion, en produit dangereux. Des pratiques ont
peut-être été excessives, mais la peur l'est aussi quand on
présente la situation de cette manière.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- J'aurais aimé savoir quels
étaient les tonnages de farines produits par votre établissement,
depuis un certain nombre d'années, et la ventilation des produits en
fonction de vos différents clients de la cosmétologie, de la
pharmacie, etc.
M. Laurent Beaumont
- Je citerai, de mémoire, quelques chiffres
et, si vous le souhaitez, je vous transmettrai des renseignements plus
précis et plus contrôlés.
Le Groupe Caillaud, à savoir la Société Caillaud et les
sociétés contrôlées aujourd'hui, car cela a
évolué au fil des années, traitent environ 1 million de
tonnes de coproduits animaux. Sur cette quantité, actuellement environ
300 000 tonnes relèvent du service public de l'équarrissage et
sont traitées dans 4 usines.
Sur les 700 000 tonnes valorisables (au sens donné avant le 14 novembre)
environ 200 000 tonnes sont destinées à la filière du
petfood. Notre Groupe ne transforme pas et ne collecte pas de matières
fraîches pour l'industrie du petfood qui, en France, utilise environ 1,1
million de tonnes de sous-produits animaux : une moitié est en
frais, des matières broyées et congelées servant à
réaliser des boites d'aliments, et l'autre moitié est en
déshydraté pour la fabrication des croquettes.
Le Groupe Caillaud est donc présent sur le marché de la
fourniture de matières premières pour les producteurs de
croquettes pour chiens et chats. Cela représente environ 200 000 tonnes
pour la fraction protéique.
Dans les matières utilisées pour le petfood, essentiellement des
sous-produits de volailles, seule la protéine est utilisée ;
les corps gras sont généralement traités par l'industrie
de la savonnerie ou de la lipochimie.
Notre Groupe traite environ 100 000 tonnes de matières premières
à destination de la production de gélatine. Nous disposons d'une
unité de dégraissage d'os dont une fraction de la matière
sèche est utilisée pour l'extraction de la gélatine.
L'autre fraction sèche, la partie la moins dense, celle qui était
auparavant recyclée dans l'alimentation animale, fait aujourd'hui partie
des farines de viande dites suspendues par l'arrêté du 14
novembre. Cette autre fraction des os dégraissés était (et
est encore) cédée à la savonnerie, à la lipochimie
et a également pu être vendue, auparavant, dans les aliments
d'allaitement pour veaux.
Le reste, 400 000 tonnes, constituait les matières premières
valorisables utilisées pour la production de farines
dégraissées animales destinées à l'industrie de
l'alimentation animale jusqu'au 14 novembre. Cela représente environ 70
000 tonnes de graisses animales et 80 000 à 100 000 tonnes de farines de
viande.
M. Georges Gruillot
- A la liste, pouvez-vous ajouter les engrais ?
M. Laurent Beaumont
- Le Groupe Caillaud ne s'est pas
spécialisé sur ce marché. Nous avons vendu quelques
milliers de tonnes de farines de plumes, d'hydrolysat de plumes, à
l'industrie des engrais, mais notre part de marché est faible.
M. le Rapporteur
- Aviez-vous, dans votre Groupe, des
sociétés hors du territoire national ?
M. Laurent Beaumont
- Non.
M. le Rapporteur
- Avez-vous eu des mouvements, des échanges, de
produits à partir d'autres pays de l'Union européenne, à
savoir l'Angleterre, l'Irlande, les Pays-Bas, la Belgique ou le
Bénélux ?
M. Laurent Beaumont
- Ma réponse est négative à la
date d'aujourd'hui. Nous avons eu, pendant 4 ans, la propriété
d'une usine de transformation en Belgique mais elle est maintenant
cédée. Cette société avait été
acquise avant la crise de 1996, à une époque où la
circulation des produits était aisée. Il existait une
cohérence industrielle à cette opération, mais l'usine a
été rétrocédée depuis.
Le fonctionnement de notre Groupe est essentiellement français, avec
quelques importations marginales de matières premières
d'Allemagne et aussi de Belgique ; certaines de nos usines, situées
dans l'Aisne et la Meuse, collectent parfois quelques tonnages aux abattoirs
frontaliers.
M. le Rapporteur
- Il s'agissait de matières premières et
non pas de farine directement fabriquée. Pourrons-nous connaître
précisément ces tonnages ?
M. Laurent Beaumont
- Oui, il s'agissait de matières
premières.
M. le Rapporteur
- Les équarrisseurs, en général,
ont été directement mis en cause par des fabricants d'aliments,
notamment de la dernière audition avec M. Glon ; il semblerait que
vous achetiez, sur le marché international, des farines anglaises
à l'époque où elles étaient bradées.
M. Laurent Beaumont
- Ce n'est pas le cas de notre entreprise.
M. le Rapporteur
- Ce n'est également pas le cas de l'entreprise
que nous avons auditionnée précédemment ; aussi,
puisque vous n'êtes que deux sur le marché national, nous «
tournons en rond ».
M. Laurent Beaumont
- Nous ne sommes pas seulement deux ; il existe
deux acteurs majeurs, mais nous sommes environ 20.
M. le Rapporteur
- En termes de tonnages, de volume, combien le Groupe
Saria Industries et le Groupe Caillaud représentent-ils ?
M. Laurent Beaumont
- 70 %.
M. le Rapporteur
- Les allégations qui m'ont été
fournies par certains fabricants d'aliments me laissent penser que ce ne serait
pas vous mais plutôt les autres.
M. Laurent Beaumont
- Historiquement, notre Groupe n'a pas eu de
pratiques de négoce, l'achat de produits finis ou semi-finis, pour
réaliser une finition et revendre. Nous sommes suffisamment
occupés par la transformation des matières premières et
cela ne figure pas dans les lignes de développement de notre entreprise.
Par ailleurs, les données statistiques douanières existent et il
ne doit pas être très compliqué d'obtenir des
renseignements.
M. le Rapporteur
- Vous n'avez donc acheté que des
matières premières ?
M. Laurent Beaumont
- Oui, et parfois marginalement sur les abattoirs
frontaliers proches de nos usines frontalières. Cela se faisait en
permanence, avec des ajustements quand la réglementation
française s'est distinguée de la réglementation
communautaire, à savoir quand des matières étaient
valorisables en Allemagne mais plus en France. Il était en effet plus
difficile d'avoir la garantie de conformité.
M. le Rapporteur
- En 1996, avec la décision unilatérale
française de retirer les MRS des carcasses de bovins, ce qui
n'était pas le cas en Allemagne, vous avez pu importer des carcasses
d'Allemagne.
M. Laurent Beaumont
- Nous avons maintenu nos importations d'Allemagne
sur des marchandises précises, comme les os, pour lesquels il n'existait
pas d'ambiguïté. Nous avons aussi privilégié les
importations de sous-produits d'abattoirs de porcs pour lesquels il n'y avait
pas de restrictions en France. Nous avons continué à importer des
os d'Allemagne en précisant, à compter d'octobre 1997, que les os
crâniens en étaient exclus. Nous disposions de certificats
vétérinaires du pays expéditeur et du pays importateur
afin de garantir la conformité des produits mis en oeuvre avec la
législation française.
M. Michel Souplet
- En 1996, vous aviez une usine en Belgique. Or,
à cette date, la Communauté européenne a pris des mesures
qui n'ont été appliquées en France qu'en 1998.
En Belgique, en 1996, appliquait-on les mesures communautaires ou, comme en
France, continuait-on selon l'ancienne formule sans s'inquiéter des
133°C, 3 bars et 20 minutes ?
Nous aimerions savoir quels sont les pays de la Communauté
européenne ayant satisfait immédiatement aux injonctions de
celle-ci et quels sont ceux qui, comme la France, ont tardé à le
faire.
M. Laurent Beaumont
- En Belgique, la décision communautaire de
juillet 1996 a été mise en application et la
société que nous contrôlions a investi dans le
système de 133°C, 3 bars et 20 minutes.
M. Michel Souplet
- Vous étiez donc tenu de le faire dès
1996 en Belgique alors que cela n'a été appliqué en France
qu'à partir de 1998.
M. Laurent Beaumont
- Cette usine située dans les Flandres
bénéficiait d'un statut (en raison des particularités
régionales belges) pour la transformation de matières à
faibles risques mais également à hauts risques (de cadavres) en
cas de besoin de la collectivité. Elle n'avait pas le statut
d'équarrisseur officiel mais pouvait être
réquisitionnée pour traiter des matières.
Globalement, à certains moment, notre filiale belge a traité
à 133°C, 3 bars et 20 minutes des matières contenant des
cadavres d'animaux alors qu'en France nous traitions selon le barème
thermique 94-382, considéré comme équivalent à la
stérilisation à 133°C, 3 bars et 20 minutes,
vis-à-vis du prion de l'ESB.
Il ne faut pas porter un jugement trop sévère sur le fait que la
France a tardé à imposer (seulement en février 1998) le
traitement à 133°C, 3 bars et 20 minutes, puisque le barème
en vigueur était prescrit par la Décision 94-382 de l'Union
Européenne, qui dans cet attendu, faisait référence
à des expérimentations garantissant une élimination du
prion de l'ESB.
Le texte de juillet 1996, imposant les 133°C, 3 bars et 20 minutes pour
certains sous-produits, vers certaines destinations (il ne s'agissait pas de
toutes les farines de viande), prenait en considération des
expérimentations nouvelles sur l'inactivation du prion de la tremblante
qui était présenté comme plus thermorésistant que
le prion de l'ESB par les instances communautaires ; c'est ce que certains
scientifiques contestent.
M. Jean Bernard
- Où êtes-vous installés dans la
Meuse ?
M. Laurent Beaumont
- A Charny.
M. le Rapporteur
- Concernant la fabrication des graisses et de la
gélatine, avez-vous appliqué les nouvelles normes de fabrication
par anticipation, à la date imposée par le Gouvernement ou encore
avez-vous subi quelques informations, conseils ou injonctions de la part de vos
clients ? Il s'agit en effet de matériaux à valeur
ajoutée intéressante.
M. Laurent Beaumont
- Nous ne sommes pas présents sur les
marchés de cosmétologie et pharmacie. Toutefois, nous le sommes
sur celui de la gélatine par le biais d'un semi-produit, à savoir
l'os dégraissé qui, dès le début, a
été mis en conformité avec les normes
réglementaires, notamment avec l'arrêté du 3
décembre 1991 qui est la transcription d'un texte communautaire de 1990.
Une date importante, en matière de gélatine, est celle de la
décision entrée en vigueur au 1er juin sur le respect des
délais d'acheminement de produits et le suivi documentaire ; les
matières premières et semi-finies doivent être
accompagnées d'un document commercial. Cela a été mis en
oeuvre et nous avons anticipé la mesure de retrait des colonnes
vertébrales, depuis plusieurs mois, de manière concertée
avec le client.
M. le Rapporteur
- La différenciation entre vos circuits de
farines à bas risques et farines à hauts risques vous pose-t-elle
un problème et comment évoluez-vous sur ces deux types de
matériaux ?
M. Laurent Beaumont
- Il n'existe pas de farines à hauts ou bas
risques : une farine est sans risque puisque le traitement thermique est
destiné à le supprimer. Elle peut être issue de
matière à hauts risques ou à faibles risques.
Il est difficile de comprendre ce point précis et il est
nécessaire d'apporter des précisions. La terminologie
communautaire de hauts risques et bas risques ne recouvre pas exactement le
champ d'application du service public de l'équarrissage. Cela signifie
que des matières à hauts risques sont valorisables. Ce n'est pas
très intelligible pour le grand public.
M. le Président
- Des matériaux à hauts risques
sont transformés en farines.
M. Laurent Beaumont
- Les termes de farines à hauts risques ou
à bas risques sont utilisés, mais pour être précis
la classification entre les matières à hauts risques et celles
à faibles risques relève à l'origine d'une pertinence
scientifique. Toutefois, les textes français mis en application depuis
ne recouvrent pas strictement les produits à hauts risques
destinés à la destruction et les produits à bas risques
valorisables ; il existe des produits à hauts risques valorisables
comme les matières qui ne sont pas soumises à une inspection post
mortem.
La définition des bas risques concerne des sous-produits issus d'animaux
ayant bénéficié d'une inspection anté-mortem et
post-mortem à l'abattoir. Or, des matières sont
prélevées avant l'inspection post-mortem. Par définition,
ce sont des matières à hauts risques mais elles restent
valorisables car elles ne sont pas visées par les textes relatifs
à la destruction. Les pieds de bovins, par définition, sont une
matière à hauts risques ; quand ils sont inspectés,
ils deviennent à faibles risques.
Cela influe sur des fractions de tonnages mais il est important de le savoir
car il existe, dans l'application des textes, une différence entre les
matières à hauts risques et celles à bas risques.
Nous avons plutôt tendance à parler de filière de
destruction et de filière de valorisation, y compris pour la
valorisation suspendue. Dans le Groupe, nous avons choisi, en 1996,
l'affectation exclusive d'usines à l'une ou l'autre activité.
Grâce à un nombre important de sites, ce choix, qui n'a pas pu
être fait par toute la profession, nous était permis. Dans
certaines usines, il a été nécessaire de constituer deux
ateliers pour séparer les matières à détruire et
les matières valorisables.
Ce choix d'usines dédiées à l'une ou l'autre
activité a augmenté la logistique et a rallongé les
distances, mais il avait le mérite de la clarté vis-à-vis
du public. De même, les parcs de véhicules ont été
affectés à l'une ou l'autre activité.
M. Paul Blanc
- Que faites-vous de ce qui sort de Charny ?
M. Laurent Beaumont
- A Charny, il s'agit de matières
valorisables, y compris de la valorisation suspendue par l'arrêté
du 14 novembre.
M. Jean Bernard
- Les responsables d'une commune se questionnent :
les farines entreposées proviendront-elles de chez vous et seront-elles
à bas ou hauts risques? Il faut faire passer cela au niveau de la
population.
Des camions qui sortent de chez vous vont à la cimenterie de
Couvrau ?
M. Laurent Beaumont
- Notre usine de Charny a 4 productions : l'une
est commercialisée et les trois autres sont destinées à la
destruction dans le cadre des mesures annoncées par le Premier ministre
le 14 novembre.
La production destinée à la valorisation concerne les suifs, les
corps gras qui vont en savonnerie, et les trois autres productions touchent les
farines de viande, les graisses animales et les cretons, à savoir la
texture protéique issue de la fonte des corps gras qui n'ont pas
l'agrément, sur cette usine, pour aller au petfood.
Certaines autres usines peuvent le faire compte tenu de la présence de
l'atelier de traitements des produits à faibles risques situé
à côté. Il faut une ligne d'usine exclusivement
dédiée au petfood, ce qui n'est pas le cas de cette usine.
Les graisses animales peuvent être utilisées dans notre propre
chaufferie comme combustible de substitution ou brûlées dans des
chaufferies industrielles de cimenterie, de fours à chaux, etc. Une
laiterie est une importante consommatrice d'énergie et brûle des
graisses dans sa chaufferie.
Concernant les farines, Charny a quelques débouchés en cimenterie
mais l'essentiel part en stockage.
Ce sont des farines issues de matière valorisables, essentiellement des
bas risques. La précision que j'apportais sur les hauts risques est
marginale mais elle est néanmoins importante.
Ces farines sont actuellement stockées et sont produites aux normes de
l'alimentation animale en vigueur jusqu'au 13 novembre dernier ; elles
sont stérilisées à 133°C, 3 bars pendant 20 minutes.
M. le Président
- La différenciation entre les deux types
est-elle toujours justifiée puisqu'il n'y a, actuellement, plus de
destination à l'alimentation animale et pensez-vous que ce
système doive perdurer ?
M. Laurent Beaumont
- Il existe deux éléments de
réponse. Le régime réglementaire prévoit une
suspension (ce n'est pas une interdiction) qui sera sans doute convertie en
interdiction. Je ne sais pas s'il s'agira de la totalité.
M. Jean Bernard
- Vers le 1er juillet.
M. Laurent Beaumont
- Il n'est pas possible de prendre position et de
préjuger. Il existe un aspect d'acceptation par l'opinion et un aspect
scientifique. Nous ne savons pas si une fraction sera de nouveau valorisable.
Pour le moment, il n'est pas envisageable de mélanger les deux
activités.
Un second aspect concerne l'acceptation par les populations en matière
de stockage et d'incinération qui peuvent être
différenciés. Nous rencontrons des difficultés de stockage
mais elles seraient bien plus importantes si les farines étaient
mélangées et si l'on annonçait à un maire que des
farines à hauts risques seraient stockées sur le territoire de sa
commune.
Les farines à faibles risques, qui servaient à nourrir des porcs
et des volailles jusqu'au 13 novembre dernier, posent quelques problèmes
auprès de l'opinion ; s'il s'agissait de farines issues de
matières à hauts risques, cela compliquerait la situation.
M. Georges Gruillot
- J'ai quelques difficultés à
comprendre. Vous nous avez longuement expliqué depuis le début de
votre intervention, en étant très affirmatif, que l'ESB en France
provenait des farines animales anglaises.
Vous avez, dans une deuxième partie de votre exposé,
insisté pour démontrer que vos fabrications n'étaient
entachées d'aucune possibilité de risques. Vous avez même
indiqué qu'avant la mise en application des 133°C, 3 bars et 20
minutes en 1998 en France, vous disposiez d'un processus au moins aussi
efficace pour détruire le prion.
Vous traitez un million de tonnes de déchets par an. La personne qui est
passée ici avant vous représente une société qui
traite 1,5 million de tonnes et nous a tenu le même discours. Vous
représentez ensemble 2,5 millions de tonnes sur les 3,2 ou 3,5 millions
de tonnes traitées.
M. Laurent Beaumont
- Je dirais plutôt 4 millions de tonnes.
M. Georges Gruillot
- Selon vous, la responsabilité est
totalement anglaise. Vous avez été très affirmatif sur ce
sujet.
Pour que nous trouvions l'ESB à un tel niveau en France, il faut que la
farine soit passée quelque part. Si ce n'est pas par les 2,5 millions de
tonnes fabriquées par les entreprises que nous venons d'auditionner,
cela ne peut être que par les plus petits fabricants.
Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ? Si vous avez raison, et
vous avez certainement raison, expliquez-nous pourquoi et apportez-nous plus
d'éléments. Notre commission d'enquête doit aller au fond
de ce problème et savoir comment (à partir de ce qui s'est
passé en Angleterre, de farines mal traitées et vendues à
bas prix, arrivées sur notre marché et consommées par nos
bovins) nous avons pu rencontrer plus de 200 cas d'ESB sur nos bovins.
Vous devez avoir des renseignements sur ce thème et nous souhaiterions
avoir des informations ; vous devez aller au fond du problème.
Vous dites être vierge et nous avons compris que la SARIA l'était
également. Il existe donc parallèlement des circuits moins
vierges puisque vous êtes affirmatif sur le rôle des farines
anglaises dans l'épidémie d'ESB en France. Pourquoi
êtes-vous aussi affirmatif ? Nous vous demandons de nous donner des
éléments nous permettant d'aller chercher ailleurs.
M. Laurent Beaumont
- Je ne suis pas un expert scientifique. Je pense
être un bon connaisseur parce que c'est mon métier et ce serait
grave si je n'avais pas quelques idées précises sur la question.
M. Georges Gruillot
- Il serait grave de ne pas nous en faire part.
M. Laurent Beaumont
- Je ne suis pas un chercheur, à savoir un
thésard, sur l'introduction de l'ESB en France mais ce sujet
m'intéresse au plus haut point. J'ai lu beaucoup de choses sur la
question, entendu des experts dans des colloques, des conférences ou des
réunions interprofessionnelles, me permettant de me forger une
idée.
Mon affirmation ressort également de l'analyse de textes que j'ai lus.
Je n'ai pas réalisé d'expertise de la probité de ces
articles, mais il existe un faisceau d'éléments assez
cohérents.
Je pense que la France et les procédés français ne sont
pas en cause. En effet, les premiers cas d'ESB ont été
constatés en France en 1991 ou 1992 et à très faible
quantité. Les cas suivants l'ont été à partir de
1995/1996 à une fréquence plus forte.
Par ailleurs, l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation animale
remonte à plusieurs décennies, dans les années 1950 ou
1960. Je ne sais pas à quel moment l'incorporation dans les aliments
pour bovins a été faite ; il faudrait sans doute questionner
les représentants de l'industrie animale. Je pense que c'est
également assez ancien.
Les températures de cuisson, les traitements thermiques,
n'étaient pas, à ma connaissance, normalisés en France
dans les années 1970 et même 1980. Le premier texte officiel date
de 1990. D'après ce que je sais concernant cette profession, en France
la norme était de chauffer les farines à environ 130°C
(parfois moins ou parfois plus, selon les technologies). Le traitement ne se
faisait pas sous pression : il pouvait s'agir de traitement à
pression atmosphérique, en discontinu ou en continu. C'était
assez disparate mais la donnée commune reposait sur des
températures importantes.
En Angleterre, le procédé mis en oeuvre au début des
années 1980 utilisait une très basse température avec une
évaporation sous vide (donc à moins de 100°C) de l'ordre de
75°C à 80°C. L'écart était considérable
(d'environ 40°C à 50°C) par rapport au traitement
généralement utilisé en Europe. Or, c'est
précisément en Grande-Bretagne que la maladie s'est
propagée avec l'impact que vous connaissez.
De là à valider en contrepoint les procédés
français, c'est assez tentant et il n'existe pas beaucoup
d'éléments pour s'opposer à cette affirmation.
Les cas d'ESB ont été relevés en France au début
des années 1990 alors que les importations de farines anglaises
étaient relativement importantes (si j'en crois la presse) dans les
années 1987/1989. Compte tenu de la période d'incubation, il est
également plausible de considérer que cette maladie a
été importée par ce biais. Je ne l'affirme pas
scientifiquement mais c'est plausible car les dates concordent.
Ensuite, il faut tenir compte d'une nouvelle donnée. Quand la maladie a
été introduite en France, notre profession a eu, dans ses
collectes de matières premières, des sous-produits d'animaux
contaminés. Cela justifie le renforcement et la normalisation des
procédés de traitement qui ont été pris par
l'Europe et la France en 1996/1998, tous les ans et tous les 6 mois depuis.
Je ne pense pas que les matières premières aient
été importées car ce genre de produit brut ne supporte pas
les transports sur de grandes distances. Les importations qui peuvent
être faites sont celles de proximité et je n'ai pas connaissance
d'importations de matières premières crues d'Angleterre.
Toutefois, les importations de farines de viande anglaises ont pu être
faites par des producteurs français de farines de viande.
M. Georges Gruillot
- Vous avez été tellement affirmatif
que j'aimerais vous pousser au fond de vos retranchements. Or, dans la
deuxième version vous l'êtes beaucoup moins. Si vous étiez
aussi affirmatif, vous un vrai professionnel, vous devriez avoir connaissance
de certains éléments que nous ne connaissons pas.
M. Laurent Beaumont
- J'ai la connaissance de la profession en France
dans les années 1980 où l'on cuisait à des
températures élevées. Je connais également bien le
procédé anglais (car il nous avait été
proposé en France par les constructeurs) qui consiste à extraire
les protéines et graisses à basse température. Il est vrai
que cette technologie était séduisante par certains aspects.
M. Georges Gruillot
- Existait-il, durant la période critique,
une importante différence de prix entre les farines anglaises et les
nôtres qui aurait pu inciter certains de vos confrères à
acquérir des farines anglaises pour les mélanger à leur
production ?
M. Laurent Beaumont
- L'interdiction de l'utilisation des farines de
viande en Grande-Bretagne a pesé sur le marché français en
provoquant une chute des cours des farines de viande produites en France.
M. le Rapporteur
- Cela a dû vous handicaper sur le plan
commercial. Vous aviez sans doute les mêmes charges fixes ; comment
vous êtes-vous adaptés ?
M. Laurent Beaumont
- Les importations de farines anglaises sont une
question essentielle de votre Commission. Je pense que les Douanes doivent
pouvoir vous procurer la liste des déclarations d'importations.
M. Georges Gruillot
- Vous n'êtes pas très nombreux et tout
se sait dans le milieu professionnel ; si vous le savez, vous êtes
tenu de nous le dire.
M. Laurent Beaumont
- Nous avons constaté, à
l'époque, des diminutions d'achat de la part de nos clients. Le
fabricant d'aliments qui importait des farines anglaises a moins acheté
en France.
M. le Rapporteur
- Ce que vous dites est intéressant :
pourrions-nous avoir la liste de vos clients qui sont passés, à
l'époque, d'un certain volume d'achats à un volume moins
important ?
Ce sont des documents comptables, dont vous devez disposer, concernant les
années charnières. Une entreprise comme la vôtre ne peut
pas avoir perdu ce genre de renseignements.
M. Laurent Beaumont
- Je prends note. Ce sont des archives commerciales
vieilles de 14 ou 15 ans et je ne peux vous apporter aucune garantie. Il me
semblerait plus rapide, pour vous, d'obtenir des informations de la part de
l'Administration.
M. le Président
- Nous disposons de ces documents mais nous vous
demandons de nous fournir des renseignements sur ce qui s'est passé avec
vos clients. Si vous les suivez, vous pouvez constater des changements
éventuels.
M. le Rapporteur
- Il serait pertinent de faire des recoupements de
façon à avoir les réponses des uns et des autres.
La seconde question (qui a également été posée
à votre prédécesseur, la Société SARIA)
concerne votre adaptation, durant les années délicates, à
l'effondrement des prix de ces matières premières pour rester
concurrentiels sur le marché.
Comme l'a dit très clairement M. Glon, avez-vous acheté des
farines anglaises pour effectuer un mélange avec les vôtres et
moduler votre prix de revient ou avez-vous eu d'autres solutions ?
M. Laurent Beaumont
- J'ai déjà répondu : non,
nous n'avons pas importé de farines anglaises. Concernant l'adaptation,
il n'existe pas beaucoup de manière d'y parvenir ; il faut
s'aligner sur les prix.
Un fabricant d'aliments a besoin de protéines qui sont d'origine animale
ou végétale et se substituent facilement. Nous en avons la preuve
depuis le 15 novembre puisque les animaux sont nourris sans farines de viande.
C'est la preuve que la substitution totale est possible.
Quand un fabricant d'aliments se positionnait pour acheter des protéines
animales, il se référait au produit dominant, le tourteau de
soja, qui est la ressource majeure mondiale en termes de protéines. Les
cotations sont connues et transparentes.
Le formulateur donne donc un prix équivalent aux farines de viande.
C'est automatique et la négociation n'existe pratiquement pas. C'est un
prix d'alignement sur l'équivalent en protéines
végétales, à quelques ajustements techniques tels que les
matières minérales présentes dans les farines de viande et
carencées dans les végétaux. La fixation du prix est
dominée par la teneur en protéines.
Par ailleurs, un facteur limitant est le taux d'incorporation. On sait que pour
un type d'animal donné le taux d'incorporation maximum en farines de
viande est par exemple de 5 % ou 6 % pour les dindes, pintades,
canards, etc. C'est parfaitement connu de la profession, des nutritionnistes de
nos clients et des services commerciaux de notre entreprise.
Il n'y avait donc pas une très grande élasticité à
la consommation de farines de viande. Même en donnant le produit, il
n'aurait pas été consommé plus en raison du facteur
limitant qui est le taux d'incorporation.
Quand il y a un apport de marchandise, il faut dégager le marché
à l'exportation. On peut dire que le marché français de
farines de viande était très régulier et très
étale. On peut dire que c'est une question de parts de marché. En
cassant les prix, on prend des parts de marché aux concurrents mais,
globalement, il ne se vendra pas plus de produit. Le concurrent ayant des
stocks pourra exporter pour les vendre aux pays qui sont de gros importateurs
de protéines. Le marché s'équilibrait ainsi.
J'ai bien noté votre question mais des baisses de consommation de la
part d'un client ne signifient pas automatiquement qu'il importait
d'Angleterre. Il achetait peut-être plus à SARIA ou à
d'autres, ou peut-être avait-il eu la possibilité, à un
moment donné, d'acheter du soja bon marché, etc. Il existe des
moyens de recoupement de l'information.
Concernant votre question sur notre réaction, nous nous sommes
alignés sur les prix ; il nous était donc possible de
baisser les prix en France ou de pratiquer la grande exportation qui pouvait
devenir compétitive.
M. le Rapporteur
- Vous avez dû perdre de l'argent sur le
marché national à partir du moment où vous avez
été obligés de baisser vos prix par rapport à une
période antérieure. Si vous avez pratiqué l'exportation,
vers quels pays était-ce ?
M. Laurent Beaumont
- En général la grande exportation est
orientée vers le Moyen-Orient, qui est gros consommateur, et les pays de
l'Est.
M. le Rapporteur
- Quelle est l'utilisation de ces produits au
Moyen-Orient ?
M. Laurent Beaumont
- De l'alimentation pour les volailles.
Au niveau financier, il ne faut pas oublier que notre industrie pratique le
recyclage. Les farines de viande sont de la viande
desséchée ; nous achetions les sous-produits des abattoirs
en fonction du prix de vente des produits finis.
Si les importations de farines de viande anglaises ont pesé sur le
marché des protéines en France, en entraînant une chute des
cours, notre seul moyen de nous en sortir financièrement consistait
à répercuter sur les abattoirs en achetant les sous-produits
moins cher qu'auparavant.
C'est comme le ferrailleur : quand le prix de l'acier baisse, la ferraille
s'achète et se vend moins cher. Le même phénomène se
rencontre avec le pétrole : quand le prix du brut augmente, le prix
augmente à la pompe et inversement, indépendamment des
phénomènes de stocks et autres.
Pour nos produits, il existe une indexation de fait entre le cours de la
protéine et celui de reprise en abattoir des coproduits. Tout cela a
entraîné temporairement une moindre valorisation des coûts
de produits d'abattoir.
M. Georges Gruillot
- Au niveau de la connaissance de la
dangerosité des farines dans les cas d'épidémie d'ESB,
quand les Anglais ont interdit la consommation de leurs farines de viande pour
les bovins, en tant que professionnels avez-vous été
informés en France ?
Les grands spécialistes de farines de viande et tous les grands de
l'alimentation animale ont sans doute été informés bien
avant la sensibilisation de l'opinion publique sur ce même sujet.
Dans les années 1989/1990/1991, vous avez certainement dû, entre
vous, parler de ce problème. Je pense qu'à l'époque vous
étiez tous parfaitement informés du risque qui existait à
utiliser des farines insuffisamment traitées, et particulièrement
des farines qui auraient été importées, dans
l'alimentation des bovins. Cela se savait-il dans le milieu professionnel ?
M. Laurent Beaumont
- Il n'est pas possible de dire que nous
étions parfaitement informés, notamment au niveau scientifique et
sanitaire. Le contrecoup a été découvert par le
marché.
M. Georges Gruillot
- Vous saviez toutefois que l'utilisation de ces
farines était interdite en Angleterre.
M. Laurent Beaumont
- Nous l'avons appris par les fabricants d'aliments
du bétail.
M. Georges Gruillot
- A quelle période l'avez-vous appris par
rapport à l'interdiction anglaise ?
M. Laurent Beaumont
- Je ne m'en souviens plus mais, a priori, cela a
été assez rapide. L'arrivée des farines anglaises sur le
marché français nous a tous surpris. A l'époque, peu de
personnes parlaient de ce problème de l'ESB.
M. Georges Gruillot
- Dans le milieu professionnel, quand on a su que
les farines anglaises, dangereuses et interdites Angleterre, venaient polluer
le marché français, personne n'a réagi ? Il
s'agissait également de conscience professionnelle par rapport à
la sécurité de l'aliment.
M. Laurent Beaumont
- Vos propos sont parfaitement logiques. Le souvenir
que j'ai de cette période est que nous avons mis en avant cet aspect
incongru de l'arrivée en France des farines anglaises alors qu'elles
étaient interdites en Grande-Bretagne.
Cela s'est fait de services commerciaux à services commerciaux,
d'acheteurs français de farines à vendeurs anglais de farines. La
remarque a été de nous dire que nous défendions nos
produits, que nous étions insatisfaits de la concurrence, que les
farines étaient autorisées et que tout était légal.
M. Georges Gruillot
- Quels fabricants d'aliments vous ont tenu ce
langage ?
M. Laurent Beaumont
- Je ne peux pas le dire car je ne le sais pas. Je
ne suis pas Directeur commercial de l'entreprise et ces entretiens m'ont
été rapportés, à l'époque, dans nos
discussions de Direction.
Ces arrivées de farines anglaises, qui plombaient le marché
français, nous agaçaient. Le discours des Anglais était
que les farines étaient autorisées à l'exportation et que
notre réaction était celle de commerçants.
M. Georges Gruillot
- Vous devez savoir de qui il s'agissait. Si vous ne
le savez pas, il vous est sans doute possible, dans votre entreprise (il existe
toujours des traces), de vous renseigner et de nous remettre une réponse
écrite dans quelques jours.
M. Laurent Beaumont
- Non.
M. Georges Gruillot
- Nous nous interrogeons devant un tel
problème. Devant un tel mur de silence, nous ne pouvons que supposer
qu'il y a quelque chose à cacher.
M. Laurent Beaumont
- Je répète que, personnellement, je
n'ai pas souvenir des interlocuteurs de l'époque ; c'était
il y a 12, 13 ou 14 ans. Sur la vingtaine ou trentaine de clients de Caillaud
S.A., si mon Directeur commercial a des souvenirs précis de ces
échanges de propos, je n'ai pas d'objection ou de raison de m'opposer
à votre demande.
C'est un réflexe corporatiste : un vendeur cherche à vendre
le plus cher possible et un acheteur cherche à acheter le moins cher
possible. Quand on trouve une marchandise moins chère
autorisée....
M. Paul Blanc
- Cela doit laisser des traces au niveau des bons de
commandes : un client avec lequel vous avez entamé des discussions
a moins commandé de farines chez vous.
M. Laurent Beaumont
- C'est moins ou c'est autant et beaucoup moins
cher. Cela se passe en termes de prix.
M. le Président
- Nous vous demandons de vérifier, pour
les années qui vous ont notifiées, les variations de prix de
vente chez vous ; si vous avez été obligés de vous
adapter en fonction du marché, on doit constater une baisse de vos prix
de vente à la tonne ou au kilogramme. C'est le signe qu'il existe une
concurrence.
Nous vous demandons également, dans ces périodes
évoquées, pour un certain nombre de clients, si les commandes ont
été moins importantes de leur part. Cela doit pouvoir permettre
d'apprécier s'il existe une concurrence en tonnage provenant d'ailleurs.
Vous nous fournirez ces renseignements pour que nous puissions constater si
cela correspond à quelque chose.
M. le Rapporteur
- Vous disiez que l'on vous avait fait des propositions
en matière de technologies nouvelles vous permettant de moins chauffer
les farines. Cela sous-entendait-il un matériel spécifique ?
M. Laurent Beaumont
- Oui.
M. le Rapporteur
- Vous avez donc été contactés par
des vendeurs de matériel.
M. Laurent Beaumont
- Il existe un procédé qui
était assez largement répandu en Grande-Bretagne.
M. le Rapporteur
- Ces professionnels existent-ils sur le marché
français ou sur le marché européen ?
M. Laurent Beaumont
- C'est européen.
M. le Rapporteur
- Vous pourriez donc nous communiquer la liste des
professionnels qui mettaient à votre disposition ce matériel
nouveau.
M. Laurent Beaumont
- Oui.
M. le Président
- Quel traitement subissaient les graisses
animales issues de la presse des farines ?
M. Laurent Beaumont
- C'était le même traitement thermique
que celui des farines, hormis la stérilisation depuis février
1998. En effet, le texte communautaire prévoit l'application du
traitement à 133°C, 3 bars et 20 minutes sur la matière
première ou sur la farine. Ce barème de traitement ne s'imposait
pas aux graisses animales.
Il existe donc deux manières d'appliquer le barème : sur la
matière première, crue, ou sur le produit fini, qui était
limité aux farines. C'était la technologie utilisée dans
notre Groupe.
M. le Président
- Pouvez-vous nous fournir l'évolution,
année après année, de la production de farines et de
graisses animales par votre Groupe pour la période comprise entre 1975
et 2000 ?
M. Laurent Beaumont
- Ce sera compliqué à reconstituer car
entre 1975 et 2000 le Groupe s'est agrandi.
M. le Président
- Je sais que vous avez changé de
dimension à plusieurs reprises.
M. Laurent Beaumont
- Il faut également tenir compte des
orientations de matières premières vers d'autres
débouchés. Les sous-produits de volailles ont permis, à
une certaine époque, de fabriquer des graisses et des farines, puis des
cretons de volailles pour les petfood ; ils n'ont donc plus
été destinés à l'alimentation des animaux de rente.
Une même matière première peut avoir des
débouchés différents suivant le traitement qui lui est
appliqué. Un os dont on extrait de la gélatine peut aussi servir
à la fabrication de la farine de viande ou d'un creton dans des
croquettes d'aliments pour chiens.
M. le Président
- Un certain nombre d'établissements de
votre Groupe, ou d'autres groupes, sont mis au pilori par les médias car
les conditions d'exploitation ne sont pas toujours tout à fait conformes
à ce que l'on peut attendre.
Que fait votre Groupe pour tenter d'améliorer la situation, notamment
par rapport à l'environnement ? Il est évident que l'on
trouve toujours des conséquences sur l'environnement immédiat.
M. Laurent Beaumont
- C'est une démarche assez longue. Notre
Groupe n'est pas à l'abri des difficultés ou des
problèmes. C'est toutefois une idée importante, de
stratégie, d'être clairs vis-à-vis des problèmes
d'environnement. C'est un choix d'entreprise coûteux.
Le problème de l'environnement peut être aussi une clé de
distorsion de concurrence s'il n'existe pas une politique de contrôle
homogène. Notre Groupe a la prétention d'avoir engagé un
effort, ou poursuivi ce qui avait été engagé par nos
prédécesseurs, sur la voie d'une rigueur en matière de
respect de la réglementation environnementale ; il s'agit parfois
même d'une anticipation.
Le Groupe Caillaud représente 41 sites en France, 12 usines et 29
dépôts centralisateurs de marchandises. Ce nombre très
important nécessite une forte volonté de management, des moyens
financiers importants ainsi qu'un savoir-faire ; la volonté des
clients ne suffit pas. Nous sommes engagés sur une démarche
à long terme de certification ISO 14 000 sur un certain nombre de sites.
M. le Président
- C'est engagé.
M. Laurent Beaumont
- Oui, c'est la poursuite d'un effort financier
considérable. Toutefois, il est vrai que nous avons dû être
vigilants pendant un certain nombre d'années concernant l'impact sur les
coûts par rapport à la concurrence. Beaucoup de secteurs
d'activité connaissent ce genre de problème.
M. Georges Gruillot
- Pouvez-vous nous indiquer, depuis 8 ou 10 ans,
quelle est la fréquence des visites, dans vos établissements, des
grandes administrations technique de l'Etat, notamment des Services
Vétérinaires ? Nous comprenons que ce nombre est maintenant
important, mais l'était-il il y a 4, 5 ou 6 ans et quel était
leur rôle chez vous ?
M. Laurent Beaumont
- Nous avons noté un renforcement, en 1997,
avec la création du service public de l'équarrissage puisque des
postes ont été créés. Nous avons, sur nos usines de
production, une personne détachée avec une présence d'une
journée minimum par semaine ; cela concerne essentiellement la
fabrication sanitaire et des questions financières pour attester aux
organismes payeurs de la bonne exécution des marchés
d'équarrissage qui ont été passés.
Si vous voulez me faire dire qu'il y a eu un accroissement de la
fréquence des visites, il est évident que la perception plus
forte du problème de l'ESB, les connaissances scientifiques nouvelles et
l'inquiétude grandissante ont amené les services de
contrôle à être plus présents qu'auparavant.
M. Georges Gruillot
- A quelle fréquence étaient-ils
présents ?
M. Laurent Beaumont
- Nous avons 41 sites et il serait possible de vous
apporter autant de réponses que de sites. C'est assez variable d'un
département ou d'un site à l'autre. Quand une entreprise est
présente non loin d'un abattoir où se trouve un
préposé à demeure, il est demandé à cet
inspecteur de l'abattoir de faire des visites fréquentes dans
l'entreprise d'équarrissage.
M. Georges Gruillot
- Est-ce un préposé ou un
vétérinaire ?
M. Laurent Beaumont
- Cela peut-être l'un ou l'autre. Je n'ai pas
connaissance d'une attitude homogène.
Ce peut être fait à double titre puisque les Services
Vétérinaires ont une responsabilité de contrôle en
matière sanitaire mais également environnementale. Ils ont une
tutelle du ministère de l'Environnement au titre de l'inspection des
installations classées pour la protection de l'environnement.
M. Georges Gruillot
- A part les Services Vétérinaires,
vous n'avez jamais vu personne d'autre ?
M. Laurent Beaumont
- Au titre de la Police des eaux, nous avons des
contrôles des services de l'Agriculture, des gardes-pêche de la DDA
ou, quand nous rejetons dans des voies fluviales, de la DDE puisque c'est de
leur compétence.
Nous avons également des contrôles de la DGCCRF, mais
exclusivement au titre des produits mis sur le marché.
Les Services Vétérinaires sont concernés par
l'environnemental, le tri des matières premières, le respect
sanitaire, le respect de l'arrêté préfectoral
d'autorisation au titre des installations classées et le respect de
l'agrément sanitaire délivré au titre de
l'arrêté du 30 décembre 1991.
M. le Président
- Merci d'avoir répondu à toutes
nos questions.
M. Laurent Beaumont
- Sous quel délai voulez-vous les
informations ?
M. le Président
- Nous souhaiterions en disposer au plus tard le
15 mars 2001.