Audition de Monsieur Gérard PASCAL
Directeur du Centre national
d'études et de recommandations
sur la nutrition et
l'alimentation
(13 décembre 2000)
M.
Gérard Dériot, Président
- Monsieur Pascal, nous
sommes heureux de vous accueillir. Nous vous remercions d'ores et
déjà d'avoir répondu à cette convocation. Vous
êtes directeur du centre national d'études et de recommandations
sur l'alimentation et la nutrition. C'est à ce titre que nous vous avons
invité afin que vous puissiez nous dire quel est votre sentiment sur
l'utilisation des farines animales. Nous souhaitons également que vous
puissiez nous commenter l'action menée par votre organisation pour
lutter contre le problème posé par les farines de viande.
Après votre intervention, mes collègues vous poseront quelques
questions.
Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête
du Sénat. Dans ce cadre, toutes les interventions se font sous serment.
Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de
la commission d'enquête et fait prêter serment à M.
Pascal.
M. le Président
- Je vous remercie. Je vous laisse maintenant la
parole.
M. Gérard Pascal
- Je souhaiterais, tout d'abord, me
présenter et préciser quels sont mes différents champs
d'activité. J'espère que le changement du cadre de mes
activités, depuis la période où je dirigeais le centre
national d'études et de recommandations sur la nutrition et
l'alimentation, rendra tout de même utile mon audition. Aujourd'hui, mes
activités sont de diverses natures.
Je suis directeur scientifique chargé des problèmes de nutrition
humaine et de sécurité alimentaire à l'Institut de la
Recherche Agronomique. Toutefois, je ne pense pas que ce soit à ce titre
que vous ayez souhaité m'entendre dans la mesure où nous ne
développons pas de travaux en rapport direct avec les risques
liés à l'utilisation de farines carnées en alimentation
animale dans les départements dont j'ai la charge.
Je préside, par ailleurs, le conseil scientifique de l'Agence
Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA).
Cette fois encore, je ne pense pas que ce soit à ce titre que vous ayez
souhaité m'auditionner dans la mesure où ce conseil scientifique
n'a, en aucun cas, été impliqué dans les avis
donnés par l'AFSSA sur les problèmes de «vaches
folles». Ce conseil scientifique, totalement indépendant de la
hiérarchie de l'AFSSA, a pour principal objectif de s'assurer de la
qualité des travaux de recherche et de la cohérence des avis
scientifiques. Du fait de la récente création de l'AFSSA, force
est de reconnaître que cette mission du conseil scientifique n'a pas
encore très largement été mise en oeuvre. Nous attendons
qu'un nombre d'avis plus important émane de l'AFSSA pour porter un avis
motivé sur la cohérence de ses différentes
décisions.
Enfin, je préside, au niveau de l'Union européenne, le
comité scientifique directeur. Ce comité a pour rôle de
donner la totalité des avis à la Commission européenne
concernant les problèmes d'encéphalite spongiforme transmissible.
Il propose également des mesures à prendre pour protéger
la santé des consommateurs et la santé animale. C'est en tant que
président du comité scientifique directeur que je souhaite
intervenir aujourd'hui.
Je commencerai par vous dire quelques mots de mes activités à
Bruxelles. De 1992 à 1997, j'ai présidé le comité
scientifique de l'alimentation humaine. Ce dernier n'a que peu parlé
d'Encéphalite Spongiforme Bovine (ESB). En effet, ce comité
scientifique était essentiellement chargé de donner des avis sur
les produits ayant subi une transformation industrielle. Il ne lui incombait
pas de donner des avis sur les matières premières produites par
l'agriculture n'ayant subi aucune transformation. En 1995, nous avons
été saisi de questions concernant l'ESB. ces questions portaient
sur la présence d'abats particuliers dans les aliments pour
bébés. A l'époque, ces abats n'étaient pas encore
qualifiés de «matériaux à risque
spécifié». En l'occurrence, c'est parce que les aliments
pour bébé sont des aliments industriels que nous avons
été consultés. C'est à cette période que
j'ai pris connaissance des problèmes et des mécanismes
biologiques aujourd'hui en cause.
Nous avons, de nouveau, été sollicités par la commission
en 1996. Cette fois, il s'agissait de porter un avis sur la gélatine qui
est un produit industriel fabriqué, en particulier, à partir de
sous-produits bovins. C'est à cette période que le comité
d'alimentation humaine s'est ému de la façon dont la Commission
européenne semblait traiter ces problèmes d'ESB. Nous avons
d'ailleurs émis un avis à ce sujet en 1996. Ces
événements se sont produits quelques jours avant que la
Grande-Bretagne n'annonce la possible transmission de l'agent de l'ESB à
l'homme et la responsabilité de cette transmission dans l'apparition des
nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La crise a alors
éclaté très rapidement à Bruxelles sur la
façon dont la Commission gérait les avis scientifiques.
Au mois de juillet 1996, j'ai été nommé dans un
comité dont l'existence a été relativement
éphémère. Il n'a siégé que jusqu'au mois
d'octobre 1997. Il s'agissait d'un comité multidisciplinaire
scientifique sur les problèmes d'ESB, directement placé
auprès du Secrétariat général de la Commission.
L'objectif était de placer ce comité en dehors des directions
générales car celles-ci devaient, à la fois, donner des
avis scientifiques en termes d'évaluation de risques et prendre des
décisions en termes de réglementation dans le domaine de
l'agriculture comme de l'industrie. Ce comité était
composé de sept ou huit membres. Je vous avoue que je n'ai pas
vérifié le nombre exact de ces membres. Toutefois, je peux vous
dire que ce comité comptait deux candides : le président de
la commission et moi-même. Étaient également membres de
cette commission les meilleurs spécialistes des maladies à prions
dont le Professeur Dormont pour la France. Nous avons travaillé pendant
plus d'une année dans ce cadre. Pendant ce temps, la Commission a pu
réorganiser ces comités scientifiques et mettre en place, fin
1997, un comité scientifique directeur plus spécifiquement
chargé de suivre les problèmes d'ESB et les maladies à
prions.
Ce comité scientifique directeur a mis en place immédiatement un
groupe de travail, dit groupe ad hoc, constitué des meilleurs
scientifiques européens spécialisés dans les maladies
à prions. Ce comité est composé de scientifiques de bon
niveau quoiqu'ils ne sont pas, pour la plupart, spécialistes des
maladies à prions. C'est pour cette raison qu'il était
nécessaire qu'ils s'appuient sur les conclusions d'un groupe de travail
spécialisé pour émettre leurs avis. Ce comité
directeur était néanmoins en mesure de prendre un certain recul
par rapport à une connaissance scientifique extrêmement pointue
afin d'essayer d'embrasser l'ensemble des facteurs qui sont à prendre en
compte dans la protection de la santé publique et de la santé
animale. J'ai eu l'honneur d'être élu à la
présidence de ce comité au mois de novembre 1997. Ce
comité vient d'être renouvelé et j'ai, de nouveau, eu
l'honneur d'être élu à sa présidence la semaine
dernière. Ce comité a commencé à travailler sur la
base des éléments scientifiques analysés par le groupe de
travail. Nous avons essayé de construire une méthodologie valable
pour l'ensemble du phénomène de façon progressive et
collective.
Comment pouvons-nous, à terme, protéger la santé de
l'homme ? En premier lieu, c'est en essayant d'éradiquer la maladie
animale. C'est dans ce sens que le comité a essayé de conseiller
la Commission en lui indiquant des mesures à prendre pour
protéger la santé animale sachant que ces mesures ne se
traduiraient en termes de réduction de risques chez l'homme qu'à
terme. En deuxième lieu, pour protéger la santé de
l'homme, il convenait de mettre en place des procédures permettant de
s'assurer qu'aucun animal malade n'entrait dans la chaîne alimentaire
humaine. Dans la mesure où il n'était pas possible de garantir
à 100 % que ces mesures seraient efficaces, il s'est
avéré nécessaire également de garantir que les
tissus et organes les plus susceptibles de renfermer des quantités
importantes de prions dangereux soient éliminés de la
consommation humaine. Nous avons donc adopté une approche de bon sens
basée sur les connaissances scientifiques du moment.
Progressivement, le comité directeur a construit un système
d'évaluation des risques. Le système que nous avons conçu
a identifié les facteurs de risques vis-à-vis de la santé
animale, à savoir l'importation de farines animales mais
également d'animaux vivants en provenance de Grande-Bretagne. Pour
d'autres pays, il pouvait s'agir de l'importation d'animaux ou de farines en
provenance de pays dans lesquels cette maladie de «la vache folle»
existait. Ces deux facteurs constituaient les deux voies d'introduction de la
maladie dans un État. Ensuite, nous avons analysé le
phénomène de reproduction extrêmement rapide de l'agent
prion pathologique au sein de l'espèce bovine. Ainsi, nous avons
identifié un certain nombre de facteurs qu'il était essentiel de
contrôler si nous voulions réduire le risque de transmission de la
maladie et avoir une chance de l'éradiquer.
Le premier de ces facteurs est la surveillance épidémiologique et
la qualité de la surveillance. Ces mesures ont pour but d'identifier les
animaux malades et soit d'abattre l'ensemble du troupeau auquel appartient cet
animal, soit d'abattre de façon plus ciblée les populations
d'animaux à risque. Nous nous sommes également engagés
à éliminer les matériaux à risque
spécifié de la fabrication de farines de viande et d'os. Il
s'agit, en l'occurrence, des tissus et des organes les plus susceptibles de
renfermer des quantités importantes de prions, à savoir le
système nerveux central, le cerveau, la moelle épinière,
les yeux, un certain nombre de ganglions et une partie de l'intestin. Le
premier travail du comité directeur a été d'établir
une liste de ces matériaux. Dès la fin 1997 nous avions
évoqué la possibilité de moduler cette liste en fonction
du niveau de risque encouru dans les différents États de l'Union
européenne. Ensuite, nous avons élargi notre réflexion au
monde entier.
Le deuxième facteur portait sur la structure de la population bovine
puisque nous savions que les animaux les plus susceptibles de consommer des
farines de viande et d'os étaient les vaches laitières. En effet,
une production importante de lait nécessite d'apporter aux vaches des
protéines supplémentaires en quantité suffisante. C'est
pour cette raison que le risque est plus grand pour les vaches laitières
que pour les animaux élevés pour la production de viande.
Le troisième facteur portait sur la méthode de préparation
des farines de viande et d'os, c'est-à-dire sur leurs conditions de
température, de pression et de durée de traitement. Il nous
incombait également de contrôler l'interdiction de l'utilisation
de farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins.
Je suis en mesure de vous laisser quelques documents à ce sujet. Je suis
néanmoins au regret de vous dire que ces documents sont
rédigés en anglais puisque les rapports du comité
scientifique directeur sont tous rédigés dans cette langue. Ces
documents sont publiés dès leur adoption et sont également
disponibles sur Internet. Je suis le premier à regretter que ces
documents ne soient pas traduits dans une autre langue que l'anglais.
Vous trouverez la méthodologie que nous avons utilisée dans le
document que je vous remettrai. Ce dernier a été adopté
pour établir une évaluation comparative du risque
géographique dans les pays de l'Union européenne et dans un
certain nombre de pays tiers qui avaient souhaité faire évaluer
leur situation. Nous avons demandé à l'ensemble des États
de remplir un dossier. Quatorze États de l'Union européenne se
sont exécutés à l'exclusion de la Grèce qui n'a pas
souhaité produire un dossier et nous fournir les renseignements
nécessaires pour effectuer les évaluations. A l'issue de ces
évaluations portant sur quatorze pays de l'Union européenne et
douze pays tiers dont les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande,
l'Australie et l'Argentine, nous avons publié nos rapports au cours du
mois de juillet 2000. Ces analyses ont permis de démontrer qu'aucun pays
de l'Union européenne ne pouvait prétendre être totalement
exempt de la présence de l'agent de l'encéphalite spongiforme
bovine. Nous avons, à cet égard, été des
précurseurs puisque nos premiers projets de rapports ont
été publiés au cours du printemps 2000. Nos remarques
portant sur le Danemark se sont confirmées. En effet, quelques jours
après l'envoi du rapport, le premier cas danois d'ESB a
été signalé. Nous avions également anticipé
le déclenchement de la crise en Espagne et en Allemagne. Aujourd'hui,
nous serions extrêmement surpris que la maladie ne se déclare pas
en Italie.
Nous avons établi un classement des différents États de
l'Union européenne en termes de risques pour l'animal. Le Royaume-Uni et
le Portugal figurent dans la catégorie de pays à risque le plus
élevé. La deuxième catégorie comprend les pays dans
lesquels nous ne pouvons croire que l'ESB n'existe pas que les animaux malades
aient été identifiés ou non. Dans cette catégorie,
nous retrouvons la France, le Bénélux, l'Espagne, l'Italie et
l'Allemagne. Ce sont soit des pays qui comptaient des cas
déclarés au mois de juillet dernier, soit des pays qui n'en
comptaient pas à l'époque comme l'Espagne ou l'Allemagne. Force
est de reconnaître que ce système a montré son
efficacité en termes de prédiction. L'objectif de ce
système n'était pas de montrer du doigt les pays dans lesquels il
existait un risque important. Ce système avait plutôt pour
objectif de prodiguer des recommandations visant à améliorer les
filières bovines de manière à réduire le risque.
Aujourd'hui, les résultats qui viennent d'être publiés par
l'AFSSA concernant la France ne nous surprennent absolument pas. Dans la
conclusion de notre rapport, nous les avions prévus même si nous
n'avions pas fourni de données chiffrées. Nous avions
prévu que le nombre de cas en France devait continuer à augmenter
mais que la situation était stabilisée. La tendance était
même à la diminution du risque. Cette diminution claire du risque
ne se manifestera, en termes d'incidence de la maladie, que dans un an, voire
deux.
En conclusion, je souhaiterais souligner l'importance de bien prendre en
considération le facteur temps dans la crise de l'encéphalite
spongiforme bovine et de maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'incidence actuelle de
la maladie chez les bovins correspond à un risque auquel ont
été exposés ces bovins, il y a cinq ans en moyenne, voire
plus de dix ans pour certains animaux. Il ne faut pas s'appuyer uniquement sur
l'incidence de la maladie pour évaluer le niveau de risque auquel sont
exposées aujourd'hui les populations animales. Nous ne savons pas
très bien quelle est la durée de la période d'incubation
de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme. Nous
pensons qu'elle est comprise entre dix et trente ans. Par conséquent,
les cas observés aujourd'hui en Grande-Bretagne résultent d'une
exposition à l'agent de l'ESB datant de dix, vingt, voire vingt-cinq ans
en arrière. Le nombre de cas actuel n'offre pas une image exacte du
risque que court la population britannique aujourd'hui en consommant de la
viande bovine. Assimiler la situation épidémiologique humaine ou
animale actuelle au niveau de risque serait nier toute efficacité des
mesures qui ont été prises ces cinq dernières
années chez l'animal et ces dix ou quinze dernières années
chez l'homme. Il est essentiel de bien comprendre cette caractéristique
de la maladie. Cette dernière est différente d'autres maladies
qui peuvent toucher l'homme, en particulier le virus VIH. Si la contamination
par le virus du sida se détecte extrêmement rapidement
après la contamination, une contamination par l'agent de l'ESB ne va se
traduire par des symptômes cliniques que dix, quinze ou vingt ans plus
tard. Cette différence est fondamentale pour comprendre les niveaux de
risque actuels et proposer des mesures efficaces de réduction des
risques.
M. Jean Bizet, Rapporteur
- Vous avez précisé que vous
aviez procédé à une consultation sur l'alimentation des
bébés et des gélatines. Pouvez-vous nous parler plus
précisément des résultats de ces consultations ?
M. Gérard Pascal
- Ce n'était pas véritablement une
consultation mais plutôt une évaluation du risque. Notre
comité était relativement à l'aise pour fournir un avis
à la Commission. A titre personnel, j'étais d'autant plus
à l'aise que j'avais présidé la section alimentation du
Conseil supérieur d'hygiène publique de France de 1988 à
1992. Au cours de cette période, le Conseil avait émis un avis
qui a été suivi d'un arrêté d'interdiction
d'utilisation d'un certain nombre d'abats dans les aliments pour enfant.
M. le Rapporteur
- A quelle date exacte cet arrêté a-t-il
été pris ?
M. Gérard Pascal
- L'interdiction date de 1989. La date exacte
reste à vérifier. A l'époque, les fabricants
français avaient déjà pris la décision
d'éliminer ce type de matières premières. Certes, la
décision des fabricants était récente. Néanmoins,
ils l'avaient d'ores et déjà prise. Même si nous
n'étions pas des spécialistes de la maladie, nous savions que des
concentrations importantes d'agents de l'ESB figuraient dans un certain nombre
d'abats et en particulier dans le système nerveux central. Par
conséquent, nous avions conseillé d'éliminer
systématiquement les cervelles dans les aliments pour enfant. Notre
attitude était déjà relativement prudente puisque notre
décision portait sur les cervelles bovines. Nous ne pouvions nous
empêcher de penser à la tremblante du mouton même si rien
n'avait encore été signalé en termes de risque pour
l'homme.
M. le Rapporteur
- C'est essentiellement la cervelle qui était
utilisée dans ce type d'aliments pour bébé.
M. Gérard Pascal
- Les nutritionnistes ont toujours
recommandé la cervelle aux enfants à cause de la présence
importante d'un certain nombre d'acides gras poly-insaturés dans sa
composition. Ces acides gras jouent un rôle essentiel dans le
développement du système nerveux central. Nous pensions donc que
la cervelle était recommandée sur le plan nutritionnel. Puis,
nous nous sommes aperçus qu'il y avait des risques supérieurs aux
avantages nutritionnels. Sur les pots pour bébé, notre action a
été relativement facile.
Concernant la gélatine, nous avons essayé de nous livrer à
une petite enquête. C'est à ce moment que nous avons mis en
évidence les dysfonctionnements de la Commission. Pour mener notre
enquête, nous nous étions adressés à une
interprofession qui représentait l'ensemble des fabricants
européens. Cependant, les modes de production de gélatine sont
divers d'un pays à l'autre. Toutes les usines ne sont pas construites
sur le même modèle. Elles n'utilisent pas exactement les
mêmes technologies. Or un syndicat interprofessionnel s'exprime au titre
de la profession dans son ensemble. Cette
hétérogénéité rendait notre enquête
d'autant plus complexe qu'il était déjà difficile
d'obtenir des informations précises sur la variabilité des
technologies utilisées.
A l'époque, la profession avait entrepris des tests sur
l'efficacité des différentes étapes de préparation
de la gélatine dans la destruction de l'agent de l'ESB. Une
première série de résultats nous avait été
fourni. Nous savions également que d'autres études étaient
en cours puisque ces premiers résultats ne nous permettaient pas de
conclure à l'efficacité du traitement de fabrication de
gélatine. Or ces résultats n'arrivaient pas. Nous avons appris,
quelque temps après, que ces résultats étaient bien
arrivés à la Commission mais qu'ils n'avaient pas
été transmis. Lorsque nous avons pris connaissance de ces
résultats, nous nous sommes aperçus qu'ils auraient
été de nature à moduler notre opinion.
En effet, loin de rassurer -même s'ils n'étaient pas non plus
très inquiétants-, ces résultats démontraient que
certaines étapes de fabrication de la gélatine
n'entraînaient pas une destruction aussi importante que prévue de
l'agent de la maladie. Depuis lors, dans le cadre du comité scientifique
directeur, nous avons demandé que la profession poursuive les
études. Nous avons demandé, en particulier, qu'elle fasse une
étude sur l'ensemble de la chaîne de production de manière
à ce que nous puissions voir quelle était l'efficacité de
la totalité du traitement le plus souvent pratiqué pour la
fabrication des gélatines. Ces études sont en cours. Aujourd'hui,
nous ne disposons pas encore de leurs conclusions.
A cette époque, le Parlement européen avait menacé la
Commission de prendre des mesures à son encontre. Ces
événements ont conduit la Commission à réorganiser
totalement ces comités scientifiques et à les soustraire des
directions générales qui avaient comme double mission de juger de
l'évaluation des risques et de juger de la réglementation dans
les domaines concernés.
M. le Président
- De quand date cette décision ?
M. Gérard Pascal
- Cette décision a été
prise en 1996. Elle a conduit à la mise en place, au mois de juillet
1996, d'un comité scientifique particulier rattaché directement
au Secrétariat général de la Commission. Ce comité
a travaillé jusqu'au mois d'octobre 1997, année de la mise en
place de l'ensemble de la structure actuelle d'évaluation scientifique.
M. le Rapporteur
- A partir de quelle date peut-on raisonnablement
imaginer que le processus de fabrication de la gélatine a
été correctement amélioré ?
M. Gérard Pascal
- Je n'affirmerai pas que le
procédé de fabrication de la gélatine a été
amélioré. Je ne pense pas que le processus ait été
modifié. En fait, sa production ne nous semblait pas présenter de
risques majeurs sous certaines conditions. Nous voulions savoir quel
était le niveau de destruction de l'agent prion par le processus. Sous
quelles conditions estimions-nous qu'il n'y avait pas de risques ? Il est
évident qu'une seule technologie n'est jamais suffisante pour
réduire le risque aussi bas que nous le souhaitons. C'est donc un
ensemble de mesures qu'il convenait de prendre. A l'instar des farines
animales, nous avons pris la décision d'éliminer les
matériaux à risque spécifié. A la fin de
l'année 1996 et au début de l'année 1997, j'avais eu
écho du fait que certaines usines européennes utilisaient des
crânes pour fabriquer leur gélatine. De temps en temps, ces
crânes n'étaient pas fendus et renfermaient donc la
totalité du cerveau. Ce dernier point nous paraissait aussi dangereux
qu'une technologie pas tout à fait au point.
Pour réduire le risque lié aux farines de viande et d'os, nous
avons pris un ensemble de mesures. L'élimination des cadavres
était l'une de ces mesures. J'entends sous le vocable de
«cadavres» ce que les Anglais qualifient de «fallen stocks»
c'est-à-dire non seulement les cadavres de bovins mais aussi les animaux
de laboratoires, les chats et les chiens euthanasiés dans les cabinets
des vétérinaires ou encore des animaux de zoos
décédés. La première mesure a été
d'éliminer des matériaux à risque spécifié
de tous les animaux dont on ne savait rien en termes de santé. La
deuxième mesure consistait à éliminer les matériaux
à risque spécifié des autres animaux
considérés aptes à la consommation humaine quel que soit
le pays d'origine. Certes, notre analyse n'avait pas tout à fait abouti.
Toutefois, elle nous conduisait à penser qu'il y avait un risque de
présence de l'agent de l'ESB en Italie, en Espagne et en particulier en
Allemagne. La troisième mesure consistait à mettre en oeuvre des
conditions technologiques permettant d'éliminer au maximum l'agent de
l'ESB. Ainsi, il est recommandé de chauffer les farines à 133
degrés, sous 3 bars et pendant 20 minutes. Cependant, nous savions
dès 1997 que ce procédé n'était pas d'une
efficacité totale. Ce procédé permettait, certes, de
réduire d'un facteur au minimum de 1 000 la contamination sans toutefois
annuler totalement le risque.
Les Allemands ont prétendu jusqu'à, il y a quelques semaines, que
cette technique était totalement fiable et détruisait 100 %
des agents. Une guerre économique et commerciale a été
lancée par nos voisins allemands puisque ces derniers ont toujours
soutenu que cette technique était infaillible. Ils ont même
pesé d'un certain poids au niveau de Bruxelles pour faire adopter ces
conditions harmonisées de traitement des farines à 133
degrés, 3 bars et 20 minutes. Il est évident que cette technique
est la plus efficace que nous connaissions aujourd'hui. Néanmoins, elle
n'est pas totalement efficace. Par conséquent, nous ne pouvons envisager
cette seule technique. C'est un ensemble de facteurs qui, appliqués et
contrôlés correctement, peuvent permettre de réduire le
risque lié à la consommation de farines par d'autres
espèces animales.
La Commission européenne a fait très rapidement une proposition
de décision aux États membres pour harmoniser
l'élimination des matériaux à risque
spécifié. Beaucoup d'États membres ont
résisté arguant du fait qu'ils n'avaient pas d'ESB sur leur
territoire et que leur technique de traitement des farines était
infaillible. A la fin du mois de juin, la Commission est parvenue à
obtenir une majorité qualifiée pour faire passer son projet
d'harmonisation de l'élimination des matériaux à risque
spécifié. La décision relative à
l'élimination des cadavres est, quant à elle, encore plus
récente. Toutefois, force est de reconnaître que cette mesure
était en vigueur en France depuis quelque temps déjà et
que la Grande-Bretagne avait été le premier État à
prendre cette mesure compte tenu de la gravité de sa situation
nationale. Malheureusement, les autres États membres n'ont pas suivi.
J'ai souvent entendu des critiques violentes formulées à
l'encontre de la Commission européenne. Toutefois, je souhaite vous
rappeler que ce n'est pas la Commission européenne qui a refusé
d'harmoniser les mesures mais ce sont une majorité d'Etats membres.
M. le Rapporteur
- Compte tenu du poids et de la présence du
comité scientifique directeur, pensez-vous qu'il est désormais
plus facile de parvenir à une cohérence en ce domaine ?
M. Gérard Pascal
- Certes, notre approche a été
énormément critiquée puisqu'elle a eu des
conséquences économiques et commerciales évidentes dans
certains pays de l'Union. Toutefois, cette méthodologie a
démontré également qu'elle permettait de prévoir et
d'anticiper les crises éventuelles. Par conséquent, nous pouvons
affirmer qu'elle n'est pas complètement aberrante. Il est
désormais possible de s'appuyer sur cette méthodologie non
seulement pour juger de la situation des États de l'Union mais aussi
pour juger de la situation de pays tiers. Ainsi, nous pouvons désormais
affirmer qu'il n'y a pas qu'en Europe que cette maladie existe. En effet, la
majorité des pays avec lesquels nous échangeons des
matériaux d'origine bovine ne peuvent prétendre être
totalement «propres».
Il y a un an, la crise entre la France et la Commission à l'occasion de
la discussion sur la levée de l'embargo sur la viande en provenance du
Royaume-Uni n'était pas, à mon sens, un désaccord profond.
C'était plutôt un désaccord mineur entre scientifiques.
Cependant, ce désaccord a été exacerbé par un
certain nombre de facteurs, en particulier les médias et le monde
politique. Cette crise a montré aux scientifiques qu'il était
nécessaire d'avoir des échanges entre eux. Elle a
démontré la nécessité de profiter de
l'expérience et des compétences existant dans chacun des
États. Il était nécessaire d'organiser un débat
scientifique avant de prendre des décisions politiques. A l'avenir, un
tel débat ne pourra que faciliter la cohérence et la concordance
des avis scientifiques. Ceci ne veut pas dire que les décisions
politiques seront forcément harmonisées. En effet, bien d'autres
facteurs doivent être pris en compte. La seule évaluation du
risque n'est pas suffisante. Néanmoins il me semble que nous avons
tiré un certain nombre de leçons des difficultés
rencontrées dans les dix-huit derniers mois.
M. Paul Blanc
- Dans la mesure où le comité
vétérinaire permanent dispose d'un nombre de voix en fonction des
pays qui le représente, ne pensez-vous pas que le poids de certains pays
comme l'Angleterre ou l'Allemagne peut considérablement influencer le
comité scientifique ?
M. Gérard Pascal
- J'ai omis de préciser que les
comités scientifiques auxquels je me réfère,
c'est-à-dire le comité scientifique directeur et le comité
de l'alimentation humaine et de l'alimentation animale, ne sont pas des
comités permanents. Par conséquent, les scientifiques, membres de
ces comités, y siègent à titre strictement personnel. Ils
ne représentent rien d'autre qu'eux-mêmes. Il n'y a ni
pondération des voix ni vote. Ainsi, toutes les questions ont
été débattues jusqu'à ce que tous les membres se
rangent à un avis commun. Ceci étant, les hommes sont les hommes
et personne n'oublie totalement sa nationalité. L'expérience m'a
cependant montré qu'avec un collectif de seize membres dans lequel les
hommes ont appris à s'apprécier, lorsque l'un d'entre nous
défend, à l'évidence, des positions nationales, un autre
membre lui rappelle systématiquement la dérive de son discours.
Il serait malhonnête d'affirmer que les prises de position nationales
n'existent pas, cependant le débat tend à réguler
naturellement cette dérive.
L'an dernier, au moment de la crise entre la Commission et la France, la presse
avait indiqué qu'il y avait davantage d'Anglais dans le comité
scientifique directeur que de Français. Cette situation ne tient pas une
représentation quelconque. En fait, huit des seize membres du
comité sont nommés par la Commission sur appel à
candidature après étude d'un dossier scientifique. Ceux-ci ne
sont membres d'aucun autre comité. Ces huit autres membres sont les
présidents des huit comités scientifiques dont le comité
directeur coordonne les activités. Il se trouve que beaucoup
d'anglo-saxons sont élus président de conseils scientifiques en
raison de leurs qualités scientifiques et de leur expérience
internationale.
M. Paul Blanc
- Dans une interview publiée dans Le Monde du 16
janvier 2000, je crois avoir lu que les viandes de tous les pays de l'Union
présentaient le même niveau de risque. Par ailleurs, je crois
savoir que l'Allemagne ne retire pas les abats de la fabrication de ses
saucisses. Est-ce exact ?
M. Gérard Pascal
- C'est exact. Cependant, aujourd'hui, je ne
dispose pas des résultats des inspections vétérinaires
conduites récemment. Au deuxième trimestre 1999, nous avions
émis un avis sur le risque d'exposition humaine. Nous avions alors
trouvé des publications d'un laboratoire allemand qui lui-même
avait mis en évidence, par des méthodes immunologiques, la
présence de cerveau d'origine bovine dans des saucisses et dans des
pâtés allemands. Je pense néanmoins que ces produits n'ont
pas été exportés car ils étaient très
spécifiques de certaines régions allemandes. Les risques encourus
par la population allemande étaient probablement loin d'être
négligeables, il y a quelques années. Prétextant l'absence
de la maladie et l'efficacité totale de leurs technologies, aucune
précaution n'avait été prise ni pour l'homme ni pour
l'animal.
M. Paul Blanc
- J'ai cru comprendre dans votre propos introductif que
vous aviez en charge, aujourd'hui, des départements qui n'utilisent pas
ou qui n'ont pas utilisé de farines animales. Si cette affirmation est
exacte, quels sont ces départements ?
M. Gérard Pascal
- Je me suis peut-être mal exprimé.
En tant que responsable scientifique de la coordination et de l'animation des
programmes scientifiques de l'INRA dans le domaine de la nutrition humaine et
de la sécurité alimentaire, je n'ai pas en charge les
problèmes d'alimentation animale. Je ne suis pas directement responsable
de recherche menées dans le domaine de l'alimentation des animaux.
Toutefois, l'INRA a mené, il y a quelque temps, un certain nombre de
travaux portant sur la substitution de produits d'origine
végétale aux produits d'origine animale et sur le soja
américain. Nous avons donc déjà beaucoup travaillé
sur la culture de protéo-oléagineux tels que le pois, la
féverole et le tournesol. Ces travaux avaient eu des résultats
positifs. Malheureusement, à l'époque, ils n'étaient pas
économiquement exploitables par rapport aux farines animales. Nous avons
également beaucoup travaillé sur la production de
protéines par des organismes unicellulaires à partir de substrats
divers dont les matières premières agricoles. Nous essayons,
aujourd'hui, de ré-exploiter ce fonds scientifique le plus rapidement
possible.
En revanche, nous n'avons pas développé de travaux portant sur la
technologie de traitement des farines à l'INRA. Néanmoins, nous
disposons de tous les éléments pour connaître les besoins
des animaux selon la production attendue. S'il nous est demandé de
produite 3 000 litres de lait par an, nous vous répondrons qu'il n'est
pas nécessaire d'utiliser des compléments protéiques. En
revanche, pour produire 7 000 litres de lait par an, il sera nécessaire
de trouver une solution adéquate.
M. Gérard Miquel
- Je souhaiterais aborder à nouveau la
question de la gélatine. Si mes informations sont exactes, la France est
l'un des pays, sinon le pays, le plus gros consommateur de gélatine par
tête d'habitant. A cet égard, les propos que vous avez tenus ne me
semblent pas très rassurants. Les fabricants de gélatine sont
dans l'obligation d'acheter des os dans d'autres pays puisque la France n'en
dispose pas en quantités suffisantes. On m'a laissé entendre que
certains fabricants allaient acheter des os en Inde ainsi que dans d'autres
pays du monde. Est-ce exact ? Par ailleurs, sommes-nous aujourd'hui
assurés que les techniques de fabrication de gélatine nous
mettent à l'abri d'une contamination ?
M. Gérard Pascal
- Pour être à l'abri de la
contamination, il faudrait s'assurer qu'il n'entre pas d'agents de l'ESB dans
les matières premières utilisées. Pour en être
certain, il faut mettre en oeuvre plusieurs moyens. Dans toute filière,
il y a des failles et il peut y avoir des fraudes. Il peut également se
produire des erreurs humaines. Or l'erreur humaine est inévitable. Par
conséquent, il faut s'accorder le maximum de moyens pour s'assurer que
cet agent ne rentre pas dans les matières premières qui vont
servir à fabriquer la gélatine.
Pour garantir une sécurité de la filière, il faut
s'assurer de l'origine des animaux. En effet, les animaux destinés
à la consommation humaine comportent un risque considérablement
réduit par rapport aux animaux qui seraient éliminés de la
consommation humaine. Il faut ensuite s'assurer de l'élimination
sérieuse et contrôlée des matériaux à risque
spécifié. Cependant, je n'ai aucune compétence pour vous
donner des informations concernant le contrôle des animaux. Je ne suis
pas inspecteur vétérinaire. Je ne suis pas la
traçabilité des matières premières utilisées
pour la fabrication de la gélatine.
Pour avoir suivi de près un rapport d'inspection
vétérinaire réalisé par l'inspection de la
Commission européenne en Angleterre, je sais que ce travail est
extrêmement difficile. Ce rapport montrait qu'il était quasiment
impossible de s'assurer de la traçabilité totale des
matières premières utilisées. J'ai moi-même
étudié le circuit des matériaux d'origine française
utilisés dans les usines française. Les documents qui m'ont
été fournis m'ont rassuré. Ces documents indiquaient une
traçabilité et précisaient par quel camion les
matériaux avaient été transportés.
En dehors du contrôle des animaux, il faut utiliser une technologie
performante de fabrication et de traitement des farines. La technologie est
d'autant plus importante que nous ne pouvons être sûrs qu'aucun
agent porteurs de l'ESB ne va être utilisé. A cet égard,
nous attendons les résultats d'une étude très importante
mise en oeuvre par un laboratoire travaillant sous assurance-qualité
dans lequel nous plaçons toute notre confiance. Nous ne disposons pas
encore des résultats de cette importante expérimentation. Ce
laboratoire contamine des matières premières et teste la
gélatine obtenue grâce au modèle «souris» afin de
voir s'il reste de l'infectivité dans cette gélatine.
Par conséquent, il est indispensable d'avoir une
traçabilité totale des matières premières. Ensuite,
il faut suivre le procédé de fabrication et le contrôler
sérieusement. Il faut enfin avoir des installations en état pour
s'assurer que des matériaux à risque spécifié ne
puissent pas rentrer dans ce circuit. C'est sans doute au niveau de l'abattoir
que les points critiques sont les plus nombreux. C'est donc à ce niveau
qu'il est nécessaire de mener le plus de contrôles.
M. Georges Gruillot
- Nos voisins européens, qui
déclaraient n'avoir aucun cas d'ESB, commencent maintenant à
déclarer des cas d'animaux malades. Vous dites que ces pays en avaient
probablement depuis un certain nombre d'années. Je partage tout à
fait votre analyse. Depuis quelques années, la France a, dans la
majorité des cas, mieux respecté les réglementations et
les recommandations européennes que les autres pays membres de l'Union
européenne.
Il y a quelques années, le Sénat avait mis en place une
commission portant sur l'application des règles en matière de
quotas laitiers en Europe. J'avais eu l'honneur de présider cette
commission. Nous avions effectué des visites dans divers pays
européens. Nous avions été effaré de constater que
les pays du sud de l'Europe respectaient la réglementation de
manière extrêmement laxiste. Dans certains pays comme la
Grèce, on ne savait même pas que la réglementation
existait. De plus, en Allemagne, qui se targue d'être un donneur de
leçons, nous avions constaté que les réglementations
européennes étaient quasiment ignorées.
Aujourd'hui, en France, le marché de la viande bovine est
complètement déstructuré. Je souhaiterais avoir l'opinion
du chercheur de l'INRA sur cette question. L'opinion publique est
bouleversée par les affirmations des médias d'autant plus que ces
derniers ont, à mon sens, exagéré l'affaire. L'opinion
publique semble accréditée une thèse qui me semble fausse.
Beaucoup sont persuadés que si nous voulons la sécurité,
il faut que la population se tourne de plus en plus vers les petits produits de
terroir et vers des produits de type biologique. Or, dans nombre de
régions françaises, l'avenir de l'agriculture passe par des
produits spécifiques de qualité bénéficiant d'un
AOC. Il ne faut pas commettre l'erreur de faire la promotion des
filières du terroir et des produits biologiques sans être certains
de leur sécurité alimentaire. Nombre de personnes croient que la
sécurité alimentaire existe dans ce type de produits. Or,
à mon sens, elle n'existe pas ou elle existe moins qu'ailleurs. Quel est
votre sentiment à ce sujet ? Comment devons-nous réagir dans
la mesure où à terme cette croyance risque d'être nuisible
à l'agriculture française ?
M. Gérard Pascal
- La France, en tant que premier producteur
agricole de l'Union européenne, ne peut se permettre de ne produire que
des produits biologiques et des produits du terroir. L'économie
française n'y résisterait effectivement pas. Notre agriculture,
si elle doit devenir raisonnée, doit également rester
compétitive. Il faut donc trouver un équilibre harmonieux entre
des produits du terroir et d'autres méthodes de production agricole et
une production agricole raisonnée mais économiquement
compétitive.
L'INRA a engagé un programme d'expérimentation pour comparer les
résultats entre ces deux modes d'agriculture. Ces travaux sont
menés à la fois sur le terrain et sur des parcelles
expérimentales. Il ne faut pas généraliser la
portée des résultats d'analyse de terrain. En effet, cette
année a été une très mauvaise année en
termes de climat et de développement de mycotoxines, en particulier pour
le déoxynivalénol. Des teneurs extrêmement fortes ont
été trouvées dans tous les produits quel que soit le mode
d'agriculture utilisé. Cependant, des concentrations, en moyenne, plus
fortes ont été trouvées dans des produits d'agriculture
biologique.
A l'inverse, les premiers résultats expérimentaux - qu'il est
nécessaire également d'analyser avec prudence - montrent que les
travaux de l'INRA sur une agriculture biologique sans nitrates ont conduit
à des résultats contraires. Les produits de l'agriculture
biologique comportaient des teneurs en mycotoxines inférieures aux
produits d'une agriculture même raisonnée.
Ainsi, il semble que ce n'est pas un type d'agriculture qui va conduire
à un type de résultats. C'est vraiment toute la conduite de la
culture qui va conditionner le résultat. Nous pouvons obtenir des
résultats excellents dans une agriculture raisonnée mais
compétitive et des résultats excellents en agriculture
biologique. Nous pouvons également obtenir des résultats
extrêmement mauvais en termes de teneurs en nitrate dans l'agriculture
biologique comme dans l'agriculture conventionnelle.
Nous essayons désormais de mieux comprendre quels sont les facteurs qui
entrent en jeu. Nous cherchons comment nous pouvons apprendre à les
maîtriser de manière à assurer le meilleur niveau de
sécurité possible en termes de contaminants. Cette mission
transversale de l'INRA commence à mobiliser un certain nombre de
chercheurs. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de se prononcer sur
cette question.
M. le Rapporteur
- Quelle est votre analyse sur les derniers propos
tenus par le commissaire européen à l'agriculture Franz
Fischler ? Celui-ci dédouanait quelque peu les farines animales et
laissait entendre qu'il existerait une autre approche de cette
épidémie ESB au niveau mondial. Disposez-vous de quelques
informations scientifiques sur ce point ? Son opinion a fait l'objet, il y
a quelques jours, d'un article dans un grand quotidien national. Il
considérait qu'il s'agissait davantage d'un problème de mutation
génétique.
M. Gérard Pascal
- Je répondrai à votre question
par une boutade. Nous étions en réunion du comité
scientifique directeur lorsque nous avons pris connaissance de cet encart. Nous
avons alors dit : «Tiens ! Nous ignorions qu'il y avait un
dix-septième membre au comité scientifique directeur !».
M. le Président
- Nous vous remercions de votre intervention et
des éclaircissements que nous vous avez apportés même si
certains étaient un peu inquiétants puisque nous avons
noté des décalages et des différences
d'interprétation d'un pays à l'autre.