B. L'ETAT DE DROIT ET LA RECONSTRUCTION ÉCONOMIQUE : DEUX AXES MAJEURS DE L'EFFORT INTERNATIONAL
Les attributions de la MINUK s'étendent à tous les secteurs de l'administration du Kosovo. Deux domaines prioritaires ont retenu l'attention de la délégation, compte tenu de leur rôle crucial pour la stabilisation de la province : l'édification d'un Etat de droit, face au vide laissé par le départ de l'administration serbe, et la reconstruction d'une économie dévastée par dix années de dégradation.
1. La police et la justice : beaucoup reste à faire
Le retrait des forces et des fonctionnaires serbes a laissé le Kosovo sans institution judiciaire et sans police. Cete situation a favorisé le développement d'activités mafieuses et de trafics en tous genres, laissant s'instaurer un sentiment d'impunité très préjudiciable à l'effort de reconstruction.
Le département de la justice de la MINUK, dirigé par un magistrat français, Mme Pantz, s'est engagé dans la création d'un nouveau système judiciaire articulé autour d'une cour suprême, de 5 cours de district et 22 cours municipales, une cour commerciale et 13 procureurs. Il a défini le droit applicable, constitué des lois en vigueur avant 1989, dans la mesure où elles sont conformes avec les normes internationales des droits de l'homme, et les régulations du représentant spécial. Plus de 400 magistrats, issus des différentes communautés ethniques, ont été recrutés. Outre les problèmes de formation de ce nouveau corps judiciaire, les principales difficultés rencontrées proviennent de litiges mettant en cause des ressortissants de minorités étrangères. Pour assurer le traitement équitable de ces litiges, la MINUK a dû faire appel à une quarantaine de juges et procureurs étrangers . La consolidation du système judiciaire implique également une amélioration de la rémunération des juges et procureurs, qui s'élève actuellement à environ 640 deutsche marks par mois. Enfin, l'administration de la justice souffre du délabrement du système pénitentiaire , dû à l'insuffisance de locaux en état et de personnel de surveillance qualifié. L'évasion au mois de septembre de 15 prisonniers serbes détenus au centre de détention de Mitrovica, dont 2 personnes inculpées de génocide, illustre les graves lacunes constatées dans un domaine essentiel pour la restauration de l'Etat de droit.
La MINUK a, par ailleurs, mis en place une police civile qui compte actuellement près de 4 000 hommes , sur un total autorisé de 4 700. La responsabilité s'étend à une large partie de la province, hormis quelques zones où la KFOR continue à intervenir. C'est moins l'insuffisance d'effectif que l'hétérogénéité de cette police , formée de près de 50 nationalités différentes et de personnels de qualification très disparate , qui est régulièrement soulignée. Cohabitent au sein de cette composante, qui compte environ 70 policiers français, des contingents provenant notamment des Etats-Unis, d'Allemagne, d'Inde, du Royaume-Uni, du Bangladesh, de Russie, du Ghana, de Jordanie, du Nigeria, du Pakistan, d'Espagne, du Népal, de Malaisie ou de Turquie. A la différence de la KFOR, dans laquelle la multinationalité est compensée par une certaine communauté de tradition militaire, la police de la MINUK agrège des personnels provenant de tous les continents et ne disposant d'aucune unité de formation et de méthodes d'action. De multiples interlocuteurs de la délégation ont déploré l'inefficacité de cette police, tant dans les missions de sécurité publique que dans les fonctions de police judiciaire. C'est moins la qualité des personnels qui est ici en cause que le mode d'organisation retenu qui ne peut en lui-même que générer de profonds dysfonctionnements.
Pour renforcer l'efficacité de la police, un recrutement local , avec une représentation de l'ensemble des communautés ethniques, est mis en oeuvre, les effectifs atteignant désormais 2 000 hommes. La police française apporte un concours apprécié à l'instruction de ces stagiaires kosovars, qui devrait désormais accorder une place plus importante à la formation de gradés.
Rappelons que les missions de police ont été identifiées par l'Union européenne comme le complément indispensable aux actions militaires de gestion de crise. Au conseil européen de Feira, en juin 2000, les Etats membres se sont engagés à fournir d'ici à 2003, dans le cadre d'une coopération volontaire, jusqu'à 5 000 policiers, dont 1 000 pourront être déployés dans un délai de 30 jours , pour des missions internationales couvrant toute la gamme des opérations de prévention des conflits et de gestion des crises. Cet objectif englobe aussi bien les polices à statut civil que les polices à statut militaire, de type gendarmerie, toute la variété des capacités de police nécessaires devant pouvoir être utilisées de façon complémentaire tout en tenant compte de leurs spécificités.
2. La reconstruction économique : une aide internationale conséquente
En matière économique, il s'agit moins pour la MINUK de réparer les destructions liées au conflit, relativement modestes, que de remédier à la désorganisation qui a succédé au retrait des forces serbes et à la disparition du cadre indispensable à l'activité économique, mais aussi de rattrapper le retard considérable dû à la dégradation continue de l'économie de la province depuis 1989. Durant dix années, toute l'économie yougoslave a été durement éprouvée par l'état de guerre et ses conséquences. A ce facteur s'est ajouté, pour le Kosovo, l'impact de l'éviction de tous les albanais des postes de responsabilité et de la politique menée à son encontre par le régime de Milosevic.
Depuis juin 1999, les commentateurs ont parfois estimé que la MINUK ne disposait pas de moyens suffisants pour contribuer à la stabilisation économique de la province. Pourtant, force est de constater que le flux d'aide internationale , au cours des 18 derniers mois, a été massif. Les deux conférences des donateurs organisées en juillet et novembre1999 sous l'égide de la Banque Mondiale totalisaient plus de 3 milliards de dollars d'engagements de la part des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux sur les années 1999 et 2000.
Selon les précisions fournies par la Banque Mondiale, environ la moitié de ce montant correspond à l'assistance humanitaire, essentiellement fournie en 1999, y compris hors du Kosovo. L'autre moitié, soit 1,5 milliard de dollars sur deux ans , doit être directement affectée à la reconstruction et au soutien au budget et à l'administration civile du Kosovo.
Certes, ces engagements n'ont pas tous été suivis des financements correspondants, et certaines lourdeurs en matière de décaissement ont été constatées, notamment pour les fonds provenant de l'Union européenne. Il n'en demeure pas moins que les moyens consacrés par la communauté internationale ne sont pas négligeables pour un territoire représentant, rappelons-le, deux départements français moyens.
L'action économique relève principalement de l'Union européenne dont les interventions se sont élevées à 505 millions d'euros en 1999 et 360 millions d'euros en 2000. Cette contraction correspond en réalité à la décrue de l'aide humanitaire, qui représentait 378 millions d'euros en 1999 et 50 millions d'euros seulement en 2000. L'aide européenne à la reconstruction proprement dite est en revanche en nette augmentation, puisqu'elle est passée de 127 à 275 millions d'euros de 1999 à 2000. A cette aide s'ajoute, en 2000, une aide macrofinancière exceptionnelle de 35 millions d'euros.
A ces contributions européennes s'ajoutent de nombreuses contributions bilatérales . Pour la France, hors l'aide humanitaire qui représentait 332,5 millions de francs en 1999, l'aide économique bilatérale s'est élevée à 70 millions de francs, en 1999, et à 59,8 millions de francs en 2000. Sur ce montant, 35 millions de francs correspondent à 5 projets financés par l'Agence française de développement (AFD), à savoir la reconstruction du pont de Mitrovica, la réhabilitation de la route Pristina-Mitrovica, une étude sur le développement de l'aéroport de Pristina, le financement de microcrédits à l'agriculture et un appui au secteur coopératif.
L'AIDE INTERNATIONALE POUR
Depuis la fin du confit, deux conférences de donateurs pour le Kosovo ont été réunies sous l'égide de la Banque Mondiale et de l'Union européenne. Le 28 juillet 1999 , les donateurs se sont engagés sur une aide de 2,1 milliards de dollars , dont 1,6 milliard de dollars pour l'assistance humanitaire, y compris hors du Kosovo, et 500 millions de dollars pour la reconstruction et le soutien budgétaire . Lors de la seconde conférence, le 17 novembre 1999 , les promesses de dons ont porté sur 1 milliard de dollars , quasi exclusivement consacré à la reconstruction et au redressement économique. S'agissant de la seule aide économique , c'est donc un total de plus de 1,5 milliard de dollars , sur les années 1999 et 2000, qui a été promis par les donateurs. Ce montant se répartit en 735 millions de dollars d'aide multilatérale (dont 668 millions de dollars de l'Union européenne et 60 millions de dollars de la Banque Mondiale), et 808 millions de dollars d'aide bilatérale. Selon la Commission européenne et la Banque Mondiale, sur ce montant promis de 1,542 millions de dollars, les donateurs, au 30 juin 2000 , avaient engagé 1,172 milliard de dollars et payé 553 millions de dollars. L'aide budgétaire, qui transite directement du budget des donateurs à celui du Kosovo, a fait l'objet de versements supérieurs (117 millions de dollars versés pour 109 millions de dollars promis) à ceux qui avaient été promis, en raison de l'augmentation des besoins. En revanche, il n'est pas anormal que les taux de consommation soient plus faibles pour l'aide à la reconstruction (68 % des promesses de dons ont été engagées et 28 % versées), le processus de réalisation de la dépense étant plus lent. Le donateur doit identifier le besoin auquel il souhaite affecter son aide, mettre en oeuvre les procédures budgétaires nationales ou européennes et ce n'est qu'à ce moment là que la MINUK ou les autres opérateurs peuvent lancer les appels d'offres pour entamer la réalisation des projets. Pour l'ensemble de l'aide économique, le taux moyen d'engagement se montait au 30 juin 2000 à 76 % du montant des promesses d'aide, ce taux n'étant que de 55 % pour l'Union européenne mais de 96 % pour les donateurs bilatéraux. Plusieurs donateurs bilatéraux avaient engagé un montant supérieur à leur promesse initiale, comme la France, qui avait promis 11,2 millions de dollars et en avait engagé 17,1 (environ 130 millions de francs) au 30 juin. |
L'agence européenne de reconstruction coordonne l'ensemble de ces programmes. Les préoccupations principales portent sur la situation énergétique, qui impliquera des importations d'électricité au cours de l'hiver, la remise en état des infrastructures routières et ferroviaires, la gestion du système de téléphonie fixe et la réhabilitation du vaste complexe minier et industriel de Trepca, dont la MINUK a pris le contrôle au mois d'août.
Rappelons que Trepca constitue un ensemble d'installations de production et de transformation dont les implantations s'étendent dans plusieurs régions de l'ex-Yougoslavie, principalement en Serbie et au Kosovo. S'agissant du Kosovo, certaines installations étaient restées sous direction serbe alors que d'autres étaient passées sous direction albanaise dès l'été 1999. La remise en route, par la direction serbe, de l'usine de production de plomb de Zvecan, particulièrement polluante, a précipité l'intervention de la KFOR puis la réunion, sous une même direction supervisée par la MINUK, de l'ensemble des composantes du complexe de Trepca fonctionnant au Kosovo. La MINUK prévoit de consacrer une vingtaine de millions de dollars à des travaux de mises aux normes environnementales, de sécurisation des sites et de préservation de l'outil de travail, aujourd'hui extrêmement dégradé et bien souvent obsolète. La viabilité économique à moyen terme du complexe de Trepca demeure cependant incertaine. Un audit doit être mené par un consortium international, à l'issue duquel la MINUK souhaiterait trouver un opérateur industriel acceptant de reprendre l'exploitation d'installations qui nécessitent d'importants investissements de remise à niveau estimés à au moins 20 millions de dollars.
Tout aussi importants sont les investissements exigés par la réhabilitation des centrales électriques Kosovo A et B, fonctionnant à base de lignite. Selon les informations fournies à votre délégation, la communauté internationale devait consacrer 100 millions de dollars en 2000 et 120 en 2001 pour permettre à ces centrales de couvrir les besoins en énergie de la province.
Au-delà d'une certaine reprise économique dans le secteur agricole, le commerce et la construction, l'instauration au Kosovo d'une économie viable demeure problématique.
L'argent de la diaspora, provenant d'environ 400 000 Kosovars vivant à l'étranger, essentiellement en Allemagne et en Suisse, contribue à soutenir le niveau de vie d'une population frappée par un chômage massif compris, selon les estimations, entre 50 et 65 %. Parallèlement, l'aide internationale, très conséquente dans les mois qui ont suivi l'entrée des troupes de l'OTAN, est appelée à se réduire, d'autant que les changements politiques à Belgrade ont immédiatement entraîné l'appel à des financements internationaux beaucoup plus importants que ceux accordés jusqu'à présent au Kosovo.
Dans cette optique, l'augmentation rapide des prélèvements fiscaux , pour alimenter un budget encore financé à 50 % par les dons internationaux, constitue pour la MINUK un impératif urgent .