N° 56
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001
Annexe au procès-verbal de la séance du 26 octobre 2000 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée au Kosovo du 5 au 8 octobre 2000,
Par MM. Xavier de VILLEPIN, André BOYER et Christian de La MALÈNE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Xavier de Villepin,
président
; Serge Vinçon, Guy Penne,
André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer,
Mme Danielle Bidard-Reydet,
vice-présidents
; MM. Michel
Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès,
secrétaires
; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc
Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy
Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier
Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert
Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel,
Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote,
Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu,
Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de
Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard
Plasait,
Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas,
André Rouvière.
Europe de l'Est. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Du 5 au 8 octobre dernier, une délégation de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, composée de MM. Xavier de Villepin, André Boyer et Christian de La Malène, s'est rendue au Kosovo afin d'effectuer un point de la situation, quinze mois après la fin de l'opération « Force alliée ».
Il s'agissait d'apprécier les conditions dans lesquelles se déroule l'action internationale, tant militaire que civile, menée au Kosovo en application de la résolution 1244 du conseil de sécurité des Nations unies, et de mesurer l'évolution de la situation politique dans la province, au moment même où intervenait à Belgrade, à la suite de l'élection présidentielle du 24 septembre et des manifestations de l'opposition, le départ de Slobodan Milosevic.
La délégation tient à remercier vivement pour son précieux concours le Bureau de liaison de la France placé, à Pristina, auprès de la Mission intérimaire des Nations unies pour le Kosovo (MINUK), qui lui a permis de procéder à de multiples visites et entretiens avec :
- le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Bernard Kouchner, et plusieurs de ses adjoints,
- le commandant de la KFOR, le général Ortuño, chef d'état-major du Corps européen, son adjoint français, le général Jean-Philippe Wirth et le commandant ainsi que les unités de la brigade multinationale nord, basée à Mitrovica,
- de nombreuses personnalités kosovares, d'origine albanaise ou serbe.
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Lors de son bref séjour, la délégation a pu constater que bien des signes de la crise de 1999 étaient effacés mais que les antagonismes communautaires, l'absence de structures administratives et la fragilité du tissu économique continuaient d'hypothéquer lourdement toute perspective de règlement rapide du conflit et conduisaient inévitablement à envisager le prolongement d'une présence internationale aujourd'hui massive, tant sur le plan militaire que civil.
Comptant en 1998 environ 1 900 000 habitants, à 85 % d'origine albanaise, sur une superficie représentant deux départements français moyens, la province a vu près de 1 300 000 d'entre eux quitter leur domicile au plus fort de la crise, dont 800 000 partant pour l'Albanie, la Macédoine ou d'autres pays étrangers, le restant s'étant déplacé sur le territoire du Kosovo. Aujourd'hui, l'essentiel des réfugiés kosovars albanais a regagné le Kosovo , les retours s'étant effectués à un rythme beaucoup plus rapide que prévu. A la faveur de ces retours, la répartition de la population a changé, le chef-lieu Pristina passant de 270 000 à 600 000 habitants. En revanche, des départs massifs ont été constatés dans les populations d'origine serbe , en direction de la Serbie et du Monténégro. Le chiffre de 200 000 départs, généralement avancé, donne une vision imparfaite du phénomène, dans la mesure où il englobe les vrais réfugiés ayant abandonné leur domicile et de nombreux agents publics en poste au Kosovo qui n'avaient pas nécessairement vocation à y rester. Au total, la population d'origine serbe se réduirait à 70 000 personnes , réparties entre l' extrême nord de la province et une quinzaine d'enclaves aujourd'hui protégées par la KFOR. Quant aux autres minorités ethniques -Turcs, Roms, Bosniaques notamment- elles représentent de 3 à 5 % de la population de la province et se trouvent, elles aussi, dans une situation précaire .
D'une manière générale, le Kosovo a moins souffert des bombardements de l'OTAN, concentrés sur la Serbie, que des destructions commises par les forces serbes, alors que la province pâtissait déjà du délabrement de la plupart de ses services publics et de ses entreprises dont la direction avait été retirée aux kosovars albanais dès le début des années 1990. La délégation a été frappée par la vitalité de la reconstruction , attestée par l'omniprésence des chantiers de construction de maisons individuelles ou de bâtiments commerciaux. L' aide internationale , mais aussi et surtout l'argent de la diaspora, ont favorisé ce semblant de reprise économique alors que le redémarrage du secteur agricole a permis le retour à l'autosuffisance alimentaire. Les graves problèmes d'alimentation en eau et en électricité qui ont marqué l'hiver 2000 ne devraient pas se rééditer. Pour autant, le chômage reste massif, même s'il faut en tempérer les effets en tenant compte de l' économie informelle . La relative reprise en zone albanaise contraste cependant avec l' économie sinistrée des zones serbes où le niveau de vie s'est effondré et dépend des aides en provenance de Belgrade.
La province semble ainsi s'accommoder de la présence massive des agents internationaux, qui ont pris en mains toutes les fonctions essentielles de la vie administrative et économique du Kosovo, s'interdisant de fait toute possibilité de désengagement à moyen terme, alors que les conditions d'un règlement politique sont loin d'être réunies.
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Le présent rapport d'information entend rendre compte des principales impressions recueillies lors de ce déplacement et des analyses complémentaires que la commission a pu mener depuis, au vu des évolutions politiques à Belgrade et au Kosovo même.
Trois questions ont retenu l'attention de la commission.
La première concerne les aspects militaires et de sécurité, qui relèvent de l'Alliance atlantique et de sa force au Kosovo, la KFOR, à laquelle la France apporte une contribution importante. La délégation a pu constater que depuis le lancement par l'OTAN de l'opération Joint Guardian , en juin 1999, la KFOR avait atteint ses principaux objectifs -le retour à un environnement sûr et la démilitarisation de l'UCK - même si elle est parfois confrontée à des situations difficiles, notamment le risque persistant de violences interethniques qu'elle s'efforce de prévenir. La délégation a également observé l'efficacité avec laquelle l'état-major du Corps européen , en charge du commandement de la KFOR d'avril à octobre 2000, s'est acquitté de sa tâche, concluant avec succès la première expérience de commandement d'une force de l'OTAN par une structure européenne. Elle a également été le témoin de l'excellent travail effectué par les unités françaises de la brigade multinationale nord . La KFOR intervient très au-delà des simples aspects militaires de la situation, et l'ampleur de son implication, tant que les conditions d'un retour définitif à la paix civile ne seront pas réunies, laisse présager un engagement durable .
La deuxième série d'observations portera sur l' action de la MINUK, qui a pris directement en main tous les aspects de la vie quotidienne de la province et a mis sur pied une administration internationale suppléant l'absence totale de structure locale. Sous l'impulsion de M. Bernard Kouchner, dont l'engagement personnel mérite d'être souligné, la MINUK tente de renouer le dialogue entre communautés et de favoriser le cheminement du Kosovo vers l' autonomie substantielle , par le biais de structures politiques intérimaires et de la mise en place de municipalités élues. Elle s'efforce, non sans difficultés, de reconstruire l'Etat de droit, notamment la justice et la police, et de reconstituer, avec l'aide d'importants financements internationaux, un tissu économique aujourd'hui très affaibli.
Enfin, votre commission évoquera les questions relatives à l'avenir du Kosovo , compte tenu de ses évolutions politiques internes et des changements intervenus à Belgrade et dans l'environnement régional. Le départ de Slobodan Milosevic doit permettre, dès lors que la situation politique sera réellement stabilisée en Serbie, après les élections législatives du 23 décembre, une reprise du dialogue en vue de concrétiser les principes posés par la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est-à-dire un statut d'autonomie substantielle permettant également la coexistence et l'expression politique de toutes les communautés ethniques du Kosovo. Cependant, cette perspective est difficilement acceptée par les éléments kosovars albanais les plus radicaux, alors que le passé récent rend inenvisageable aux yeux de la population d'origine albanaise un retour pur et simple de la province sous la tutelle de Belgrade, l'aspiration à l'indépendance semblant unanimement partagée. Durant les prochains mois, la capacité des parties en présence à apaiser les tensions sera déterminante pour asseoir les bases d'un règlement politique qui ne saurait, en tout état de cause, intervenir rapidement.
I. LA FORCE INTERNATIONALE DE MAINTIEN DE LA PAIX : UNE IMPLICATION FORTE ET UNE PERSPECTIVE D'ENGAGEMENT DURABLE AU KOSOVO
Après la Bosnie-Herzégovine depuis 1995, le Kosovo constitue la seconde participation majeure de l'OTAN à une opération de maintien de la paix, sous mandat des Nations-Unies. C'est en effet le Conseil de sécurité des Nations Unies qui a confié à l'OTAN la responsabilité de former le noyau et de commander la force internationale de maintien de la paix déployée au Kosovo.
Composée de 46 000 soldats issus de 39 pays dont les 19 membres de l'OTAN, la KFOR (Kosovo force) a rapidement atteint certains des objectifs qui lui avaient été assignés, empêchant toute reprise des hostilités et favorisant le retour à une situation relativement sûre, sinon totalement pacifiée. Sa présence demeure déterminante pour prévenir les risques d'affrontements interethniques et assurer la sécurité des enclaves serbes, alors que l'ordre public reste mal garanti par une police en cours d'édification. Tous ces éléments laissent à penser que l'OTAN se trouve engagée durablement, les conditions d'une stabilisation définitive étant loin d'être réunies.
Au vu du déroulement de l'action de l'OTAN et des témoignages relevés par la délégation lors de ses contacts avec les unités, il paraît utile de tirer, pour la France, les premiers enseignements de sa participation au volet militaire de cette opération.
A. LE SECOND ENGAGEMENT DE L'OTAN DANS UNE OPÉRATION DE MAINTIEN DE LA PAIX DE GRANDE AMPLEUR
L'opération Joint Guardian engagée en juin 1999 consacre l'implication croissante de l'OTAN dans les missions de gestion de crise , initiée en Bosnie-Herzégovine et validée par le nouveau concept stratégique défini à Washington. Si elle dirige la force, l'OTAN n'en fournit qu'une partie des effectifs. La France et les pays européens occupent une place importante dans un dispositif qui laisse place à l'expression de capacités européennes, comme en témoigne l' engagement du Corps européen.
1. Mandat et missions de la KFOR
La résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 12 juin 1999 pose le principe d'une présence internationale de sécurité au Kosovo, « avec une participation substantielle de l'OTAN » , déployée sous commandement et contrôle unifiés , en charge des responsabilités suivantes :
- prévenir la reprise des hostilités, maintenir le cessez-le-feu et assurer le retrait des forces militaires, policières et paramilitaires serbes,
- démilitariser l'armée de libération du Kosovo,
- établir un environnement sûr pour le retour des réfugiés et des personnes déplacées, pour l'établissement d'une administration intérimaire et pour l'acheminement de l'aide humanitaire,
- assurer le maintien de l'ordre et la sécurité publics jusqu'à ce que la présence internationale civile puisse s'en charger,
- superviser le déminage jusqu'à ce que la pression internationale civile puisse, le cas échéant, s'en charger,
- appuyer ce travail de la présence internationale civile,
- assurer la surveillance des frontières,
- assurer la protection et la liberté de circulation pour elle-même, pour la présence internationale civile et pour les autres organisations internationales.
Par ailleurs, l'accord militaro-technique signé le 9 juin entre l'OTAN et le commandement yougoslave instaure une zone de sécurité terrestre de 5 kilomètres de large , située au-delà de la limite de la province du Kosovo, ainsi qu'une zone de sécurité aérienne de 25 kilomètres de large, également au-delà des limites de la province, zones dans lesquelles ne peuvent pénétrer ni les forces militaires et paramilitaires serbes, ni les forces de police spéciale, seule étant admise la présence de la police locale.
2. L'organisation de la KFOR
Placée sous la responsabilité du commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), la KFOR comprenait au ler octobre 2000 45 829 hommes, dont 40 879 au Kosovo même, le restant se trouvant en soutien en Macédoine, en Grèce ou en Albanie.
La KFOR se compose de 39 contingents de nationalités différentes , les 19 pays de l'OTAN fournissant environ 80 % des effectifs. Contribuent également à la KFOR les pays de l'Union européenne non membres de l'OTAN, la plupart des pays candidats à l'OTAN, la Russie, qui fournit un important contingent de 3 200 hommes et l'Ukraine. Parmi les contributeurs non européens, on peut signaler la présence des Emirats Arabes Unis, du Maroc et de la Jordanie.
La KFOR, dont le quartier général est établi à Pristina, est organisée en cinq brigades multinationales dont la responsabilité a été confiée :
- à l'Allemagne pour la zone sud, autour de Prizren,
- au Royaume-Uni pour la zone centre autour de Pristina,
- à la France pour la zone nord autour de Mitrovica,
- à l'Italie pour la zone ouest autour de Pec,
- et aux Etat-Unis pour la zone est autour de Gnjilane.
Chaque brigade est constituée à majorité des unités de la nation qui la commande. Les contingents des autres pays sont affectés à l'une des cinq brigades, à l'exception du contingent russe, réparti dans chacune de ces brigades.
Formé d'un millier de personnes, l' état-major de la KFOR est relevé tous les 6 mois. Son noyau est formé d'un Etat-major préexistant auquel sont adjointes des contributions complémentaires des différentes nations participant à l'opération. Se sont ainsi succédé pour former l'ossature du commandement de la KFOR, l'état-major du corps de réaction rapide du commandement allié en Europe (ARRC), celui des forces terrestres alliées de centre-Europe (LANCENT), celui du Corps européen d'avril à octobre 2000 et, depuis octobre 2000, celui de deux commandements sous-régionaux (JC South et JC South East) du commandant en chef des forces alliées du sud-Europe (CINCSOUTH).
Effectifs de la KFOR par nationalités au ler octobre 2000
Pays |
Effectif total |
Effectif au Kosovo |
Etats-Unis |
6 351 |
5 711 |
Italie |
5 664 |
5 071 |
France |
5 506 |
4 684 |
Allemagne |
5 372 |
4 221 |
Royaume-Uni |
4 032 |
3 912 |
Russie |
3 240 |
3 240 |
Grèce |
1 810 |
1 489 |
Espagne |
1 800 |
1 501 |
Pologne |
1 345 |
1 268 |
Emirats arabes unis |
1 214 |
1 210 |
Turquie |
1 171 |
959 |
Norvège |
1 151 |
1 049 |
Belgique |
1 003 |
765 |
Finlande |
959 |
932 |
Suède |
784 |
772 |
Danemark |
745 |
704 |
Autriche |
497 |
477 |
Maroc |
384 |
384 |
Portugal |
348 |
341 |
Ukraine |
337 |
333 |
Hongrie |
337 |
325 |
République tchèque |
180 |
170 |
Suisse |
167 |
160 |
Estonie |
120 |
10 |
Irlande |
105 |
102 |
Jordanie |
104 |
104 |
Argentine |
84 |
81 |
Slovaquie |
42 |
40 |
Bulgarie |
40 |
39 |
Azerbaïdjan |
34 |
34 |
Géorgie |
34 |
34 |
Lithuanie |
30 |
30 |
Luxembourg |
12 |
12 |
Roumanie |
11 |
0 |
Canada |
7 |
7 |
Lettonie |
6 |
6 |
Slovénie |
6 |
0 |
Pays-Bas |
5 |
3 |
Islande |
1 |
0 |
TOTAL |
45 829 |
40 879 |
3. Le dispositif français
Le dispositif français au Kosovo s'articule autour de trois éléments :
- la participation à l'état-major de la KFOR,
- le commandement de la brigade multinationale nord, dont l'effectif provient majoritairement d'unités françaises,
- des effectifs placés sous contrôle national, voués à la logistique et au soutien, ainsi qu'un échelon de commandement national, le Repfrance.
Les militaires français sont relevés tous les quatre mois, à l'exception de ceux participant à l'état-major de la KFOR, qui ne sont relevés que tous les six mois.
Contribution française à la KFOR
(Effectifs 1 er octobre 2000)
Kosovo |
Macédoine |
Grèce |
Total |
|
Etat-major de la KFOR |
79 |
17 |
- |
96 |
Brigade multinationale nord (BMN-N) |
3 642 |
82 |
- |
3 724 |
Hors BMN-N dont Repfrance Bataillon logistique Base de soutien interarmées |
963 77 873 - |
717 - 7 610 |
6 - - 3 |
1 686 77 880 613 |
TOTAL |
4 684 |
816 |
6 |
5 506 |
Les unités françaises représentent environ la moitié des effectifs de la brigade multinationale-nord qui comportait également, au mois d'octobre, des contingents émirati, belge, danois, russe, marocain, jordanien et luxembourgeois, ainsi que des renforts polonais et espagnol. La brigade couvre la partie nord du Kosovo qui comporte à la fois plusieurs enclaves serbes et une zone homogène de peuplement serbe contiguë au territoire de la Serbie. Selon le recensement opéré par l'OSCE, le ressort de la brigade compte environ 260 000 habitants, dont près de 56 000 Kosovars d'origine serbe et 1 400 ressortissants d'autres minorités ethniques. Le centre du dispositif se trouve à Mitrovica, ville d'environ 70 000 habitants, traversée par la rivière Ibar au sud de laquelle se concentre la population d'origine albanaise, la rive nord comprenant une majorité de Kosovars serbes et une minorité d'Albanais, de Bosniaques, de Turcs et de Roms.
La zone relevant de la responsabilité de la France comprend donc la ligne de contact majeure entre les deux communautés, qui est également périodiquement le théâtre des tensions et des affrontements interethniques.
Le Repfrance constitue un élément original du dispositif français dans la mesure où cet état-major est commandé par un général intégré dans la chaîne de commandement de l'OTAN mais aussi dans une chaîne de commandement national, relevant du chef d'état-major des armées. L'état-major Repfrance a pour mission de fournir une capacité d'appréciation indépendante au profit du haut commandement national, notamment grâce à des moyens propres de renseignement. Il comporte également une cellule consacrée aux actions civilo-militaires, que ce soit par l'état-major du Repfrance ou par la cellule spécialisée de la brigade multinationale nord chargée d'identifier puis de soutenir des actions nationales de reconstruction ou de développement, dans les domaines éducatif, social, culturel et économique.
La délégation a pu constater la diversité des projets suivis dans le cadre des actions civilo-militaires , que ce soit par l'état-major du Repfrance ou par la cellule spécialisée de la brigade multinationale nord . De ce point de vue, les opérateurs français semblent avoir été beaucoup plus impliqués dans la reconstruction du Kosovo qu'ils ne l'avaient été en Bosnie. En effet, durant la première année, près de 30 % des contrats liés à la reconstruction auraient été attribués à des opérateurs français. Le renforcement des actions civilo-militaires pose toutefois la question des limites au-delà desquelles l'intervention des armées risquerait de perdre sa justification. Il semble à cet égard indispensable de distinguer les actions d'urgence menées durant ou immédiatement après la phase purement militaire de l'opération, en vue de rétablir les fonctions vitales essentielles et d'évaluer les besoins, et les opérations normales de reconstruction, pour lesquelles il n'y a lieu d'envisager qu'exceptionnellement l'intervention militaire, le relais devant être passé à un dispositif civil. Or, force est de constater sur ce plan que si les armées ont su se doter rapidement de moyens d'action civilo-militaires efficaces, en s'appuyant sur un personnel qualifié, y compris de réservistes, les structures civiles capables de relayer cette action demeurent à construire. La création de la mission interministérielle pour l'Europe du sud-est répond à ce souci mais, à l'évidence, il faut aller au-delà de cette structure légère de coordination.
4. L'engagement du Corps européen : première illustration des capacités européennes de gestion de crises
Les quinze pays de l'Union européenne fournissent 62 % des effectifs de la KFOR et près des trois-quarts de son Etat-major.
Dès avant la mise en oeuvre des objectifs définis par l'Union européenne lors de la conférence d'engagement des forces du 20 novembre, la participation de l'état-major européen au commandement de la KFOR a en outre constitué une première illustration positive de l'édification de capacités européennes de gestion de crises.
Le Corps européen avait déjà participé aux opérations en Bosnie mais pour la première fois, son état-major a été appelé à fournir le noyau de l'état-major d'une force multinationale.
Lors de son déplacement, qui coïncidait avec le terme de sa mission de 6 mois, la délégation a pu constater que l'état-major du Corps européen avait parfaitement maîtrisé les différents domaines du commandement qui lui était confié. Au cours de cette période a été réalisée l'opération complexe de prise de contrôle des installations de Trepca et la surveillance étroite, pour prévenir les fraudes, de l'élection présidentielle yougoslave du 24 septembre, alors que la KFOR poursuivait ses différents objectifs en matière de sécurité intérieure et de montée en puissance du Corps de protection du Kosovo.
L'intervention du Corps européen aura constitué la première utilisation d'une structure européenne multinationale pour commander une opération de l'OTAN. Elle aura pleinement démontré comment l'édification de capacités européennes propres peut fournir à l'OTAN, tout comme à l'Union européenne, des outils performants de gestion de crises.
Après le succès de l'état-major du Corps européen dans sa mission d'état-major d'une force terrestre multinationale, l'étape suivante consiste désormais à transformer le Corps européen en un corps de réaction rapide, à la disposition de l'Union européenne comme de l'Alliance atlantique. Cette transformation implique des aménagements de structure et certains renforcements de capacités dans les domaines du commandement et des moyens de transmission. Elle pourra normalement être validée à la fin de l'année 2001 lors de l'exercice Cobra 2001 qui se déroulera au Sud de l'Espagne.